A PARIS PENDANT LE SIÈGE PAR Un Any tais, membre de l'Université d'Oxford TRADUCTION, NOTES ET DOCUMENTS DIVERS PAR FÉLIX SANGNIER « C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. Montaigne. DEUXIÈME ÉDITION PAUL OLLENDORFF, ÉDITEUR 28 bis, RUE DE RICHELIEU, "28 lis 1888 A ' ' Tous droits réservés. A PARIS l'ENDANT EE SIÈGE A PARIS PENDANT LE SIÈGE PAR Un Any lais, membre de l'Université d'Oxford TRADUCTION, NOTES ET DOCUMENTS DIVERS PAR FÉLIX SANGNIER •> C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. Montaigne. DEUXIÈME ÉDITION PARIS PAUL OLLENDORFF, ÉDITEUR 28 bis, RUE DE RICHELIEU, 28 bis \ 888 Tous droits réservés. TABLE Pages. Avant-Propos 1 Préface *x>» Chapitre Premier. — Préparatifs du siège 1 Chapitre II. — Comment ncus cuisons dans notre jus. . . M Chapitre III. -— Une nuit aux avant-postes 64 Chapitre IV. — Temps perdu 81 Chapitre V. — Un chapitre d'accidents 116 Chapitre VI. —■ Orléans lai Chapitre VII. — Un chapitre pour « le général Boum ». 174 Chapitre VIII. — Espoir quand même! 217 Chapitre IX. — Noël 209 Chapitre X. — Bombardement 298 Appendice 323 Notes 347» Documents divers 400 AVANT-PROPOS L'histoire du siège de Paris n'est pas encore faite; beau¬ coup de personnes, témoins des événements du siège, ou acteurs dans ce triste drame, ont dans des ouvrages bien écrits constaté ce qu'elles ont vu ou dit ce qu'elles ont fait. Aucune n'a pu, en retraçant ses souvenirs, se détacher suffi¬ samment des impressions reçues pour se tenir dans la juste impartialité que l'histoire doit observer. Dans quelque cin¬ quante années 011 pourra, peut-être, écrire cette histoire avec calme, avec justice. L'historien de cette époque de notre existence n'est pas encore né. Faut-il donc s'abstenir de tout récit sur ces temps troublés? Je ne le pense pas. Le devoir n'est-il pas au contraire de dire ce qu'on sait et de raconter ce qu'on a vu, de le dire avec sincérité et de le raconter avec son tem¬ pérament. Ces récits divers, ces impressions variées, ces aperçus personnels seront les éléments avec lesquels s'écrira un jour l'histoire de l'année terrible. Le livre anglais « Inside Paris during the siege » (A Paris pendant le siège) a eu un très grand succès, quand il parut à Londres, en février 1871, quelques semaines après la fin de la guerre. En traduisant cet ouvrage anglais, je n'ai qu'une préten¬ tion : fournir à l'historien futur des documents nouveaux, des appréciations d'autant plus désintéressées qu'elles sout a II AVANT-PROPOS. colles d'un étranger. Il est Anglais et il parle d'un pays qui n'est pas le sien. Mais il aime la Prance et ce sentiment de vive sympathie pour notre cher pays est de tradition dans sa famille. Son frèfe, reçu docteur à la Faculté de Méde¬ cine de Paris, s'était fait attacher aux ambulances de la Presse et il était tout lier de porter la croix de la Légion d'honneur, juste récompense de sa belle conduite et de son dévouement. L'auteur de ces mémoires écrits sur les événements du siège, fellow de l'Université d'Oxford, était tout jeune en¬ core quand il liL ce livre. Esprit distingué et ami des belles- lettres, il vint souvent à Paris où il trouvait un grand plaisir dans la société des célébrités de l'époque. L'accueil bien¬ veillant. que lui faisait l'ambassade anglaise, lui avait ou¬ vert les portes de tous les salons de Paris. Curieux comme tous les jeunes gens, en sortant des salons littéraires célè¬ bres où son goût délicat pour les choses d'esprit le faisait apprécier, il allait volontiers chez les fougueux démocrates. C'était l'époque où le libéralisme inattendu des dernières années de l'Empire donnait à ses adversaires une impor¬ tance, qui devait lui être si fatale. La philosophie du jeune auteur aimait ces contrastes. Les connaissances, qu'il contracta dans ces courses à travers des mondes ditférents, lui permirent de mieux voir les événements, d'en péné¬ trer quelquefois les dessous et de les juger avec plus de vérité. 11 était depuis quelque temps à Paris avec sa famille, quand, surpris par la fermeture des portes au moment de l'investissement, il fut obligé d'y rester et de renoncer à tout retour dans son pays. Il croyait, d'ailleurs, avec tous les Parisiens que l'extrémité ne serait pas longue et qu'il en serait quitte pour quelques jours de séjour forcé. Le siège dura, il est vrai, plus longtemps qu'il ne l'avait prévu et il put ainsi assister, en curieux désintéressé, à des évé¬ nements que chacun prévoyait grotesques ou dramatiques selon la nature de son esprit. Il comprit, tout de suite, qu'il allait assister à un drame et il résolut d'en noter les scènes, les actes et les paroles. Observateur et philosophe, il a surtout étudié l'état des es¬ prits et l'effet moral produit parles événements de celle année terrible sur la population de Paris,: si mobile, si impres- AVANT-PROPOS. m sionnable et si légère. Son travail est plutôt une étude psychologique de Paris pendant le siège, qu'une histoire des faits. C'est la raison qui m'a décidé à le faire connaître. S'il est intéressant de marquer les coups que deux lut¬ teurs, deux grands peuples donnent et reçoivent, il est encore plus intéressant de constater l'état de leur âme aux différentes périodes et péripéties de la lutte. Quelle lutte est plus sérieuse, plus attachante que celle de la France et de la Prusse en 1870! Quel drame! quels acteurs! D'un côté la France, celle glorieuse que Louis XIV avait faite grande et puissante en lui donnant l'unité; celte sentimen¬ tale qui, éprise d'enthousiasme pour des idées nouvelles, crut être généreuse en voulant les imposer à l'univers; celte amoureuse de la poudre qui, entraînée par le génie incarné en Napoléon, a traversé le monde à pas do géants et a imposé sa loi à tous les peuples. De l'autre côté la Prusse, que la géante a écrasée dans une de ses courses folles et qui se souvient! Il y a longtemps, il est vrai, qu'elle a élé frappée à mort; mais si les hommes disparaissent, les nations leur survivent. La Prusse a accepté dans le présent, avec résignation et avec calme, le sort des batailles; mais, pleine de dignité dans son recueillement, elle a repris chaque jour des forces, attendant avec patience le moment de montrer qu'elle n'était pas morte. Puis, un grand homme lui est venu; il a compris que l'unité est une force et il a voulu faire pour l'Allemagne ce que Louis XIV avait fait pour la France. Fier de cette régénération, qu'elle s'efforçait de tenir cachée, ce n'est cependant pas sans émotion qu'il l'a conduite au combat contre son ancien vainqueur. En prenant les armes contre la France, l'Allemagne n'était pas sûre de la victoire; elle craignait une nouvelle défaite. La France, satisfaite de la gloire acquise dans ses dernières guerres, ne recherchait pas de nouveaux combats. Entraînée par les cris : «A Berlin ! » poussés sur les boulevards de Paris par quelques braillards de carrefour, et confiante dans sa vieille-renommée, elle acceptait la lutte, malgré l'Empereur qui ne voulait pas la guerre. Les deux armées ennemies, une fois en présence, hésitent à frapper le premier coup. 11 est contraire à la France, qui recule d'un pas. Lqg deux armées sont dans l'étonné- AVANT-PROPOS. ment: l'une d'être battue, l'autre d'être victorieuse. La Prusse, surprise de son succès, gagne eu aplomb, en au¬ dace, ce que la France, dans son premier trouble, perd de confiance en elle-même. La Prusse, malgré tout craintive, fait un pas de plus en avant, et le succès est encore pour elle. La France cependant continue la lutte; elle combat non pas en enfant gâté, qui boude contre la mauvaise fortune, mais en enfant terrible, que la résistance met en rage. Enfin essoufflée, à bout de forces, sanglante des blessures reçues, elle tombe épuisée à Sedan. Que va devenir la blessée? Quelles vont être les exigences de son vainqueur, fier de prendre enfin sa revanche attendue patiemment pendant plus de cin¬ quante ans? Son Empereur, après avoir inutilement cher¬ ché au milieu des combattants la mort qui ne voulait pas de lui, a rendu son épée à l'Allemand pour sauver de sa patrie chérie ce qui pouvait encore être sauvé. — La France a malheureusement été plusieurs fois exposée à pareille extrémité; mais l'histoire nous a appris que cette adversité d'un moment ne l'a pas empêchée de conserver dans l'estime du monde la place que sa valeur lui avait donnée. Elle nous apprend aussi que la gloire de François 1er n'a pas souffert de ce que ce monarque a, dans la fameuse journée de Pavie, tout perdu hors l'honneur. La France n'é¬ tait pas sans doute assez malheureuse, elle devait connaître des malheurs encore plus grands. Le maître une fois abattu, l'esprit de révolte s'est ré¬ veillé et les irréconciliables ont été plus hardis. Ils ont dit à la France : Fais comme le sanglier blessé, quand il est pour¬ suivi par le chasseur dans sa dernière retraite; redresse-toi et fais tête à l'ennemi. Nous venons à toi, écoute nos con¬ seils et tu seras sauvée. Oui, mais ils oubliaient sans doute que le sanglier est alors toujours mis à mort par le chas¬ seur. La France les a écoutés et elle n'a pas été sauvée. L'ennemi était là d'ailleurs l'arme au bras, il la tenait sous sa loi. Ils avaient encore oublié, eux les soi-disant invin¬ cibles, que la désunion, semée dans le pays, l'exposait à une ruine complète. Se sont-ils préoccupés de cette éventualité? Le Gouvernement, étourdi par la nouvelle que l'Empereur était prisonnier, et le peuple de Paris, anéanti par la dou¬ leur ressentie à la suite des échecs successifs de nos armées, AVANT-PROPOS. v les laissèrent faire. Le moment était propice pour s'em¬ parer du pouvoir et ils allèrent à l'Hôtel de Ville. Ils y allèrent en se promenant; la foule, en les voyant passer, ne se doutait ni de l'endroit où ils allaient ni de ce qu'ils al¬ laient y faire. Une fois arrivés dans le sanctuaire de la Révolution, ils s'écrièrent: Nous sommes le pouvoir; qu'on nous obéisse! Puis se regardant les uns les autres avec des yeux étonnés, ils se dirent : Ce n'est pas plus difficile que cela. On promit à la France malheureuse de chasser l'enva¬ hisseur et elle accepta le fait accompli; son patriotisme la poussait au dévouement. L'ennemi avait combattu, il était victorieux; 1807 était effacé. Il ne demandait qu'à se retirer sous sa tente avec toute sa gloire; il était prêt à trailer.il le désirait. Les membres du nouveau gouvernement prirent le titre de membres du Gouvernement de la Défense nationale et dé¬ clarèrent que la lutte continuerait. Toute blessée, toute pantelante, la France en se redres¬ sant contre la mauvaise fortune s'honorait assurément ; mais sans qu'elle le voulût, sa résistance faisait comprendre à son ennemi, plus que séculaire, qu'il pouvait maintenant avoir de l'ambition. S'il venait de combattre pour prendre sa re¬ vanche du passé, il allait enfin pouvoir livrer des batailles pour faire des conquêtes utiles et glorieuses. Désireux de frapper l'ennemi au cœur, il marcha sur la capitale de la France et vint mettre le siège devant Paris. Il investit com¬ plètement la ville qui fut. dès lors, tout à fait séparée du monde vivant pendant cinq mois et demi. Le drame devient de plus en plus intéressant. La France va se trouver seule aux prises avec, son vainqueur et Paris, séparé d'elle, sera abandonné à lui-même. La France n'a plus d'armées; les unes ont été faites prisonnières à Sedan, et emmenées en Allemagne. Les autres, réfugiées dans Metz, sont assiégées par les Prussiens. Il semble vraiment que le pauvre pays de France soit à la merci du vainqueur. Non. Il se défendra jusqu'au dernier souffle. S'il n'a plus d'armée, il en formera de nouvelles. Tout citoyen en état de porter les armes prendra le fusil et courra sus à l'en¬ vahisseur; on décrétera la guerre à outrance. Un homme sorti de la foule, animé du souflle patriotique, Gambelta, prenant le drapeau français en main, l'agitera devant tous VI AVANT-PROPOS. pour les enlrainer au combat et les conduire à la victoire. Il ne les conduira qu'à la défaite, et cependant il sera tou¬ jours le grand, l'immortel Gambella. Il n'a pas douté de son pays; il est devenu l'incarnation du sentiment patrio¬ tique, cela suffit à sa gloire. Que va devenir Paris avec ses deux millions d'habitants et ses trop peu nombreux soldats, sauvés de la débâcle géné¬ rale? Un cercle de fer l'étreinL de toutes parts et l'isole du reste du pays et du monde. Là, enfermés dans une enceinte fortifiée, des femmes, des enfants, des hommes par milliers sont sans ouvrage, sans travail, sans pain, et les hommes ont des armes ! Une vieille habitude d'esprit leur donne la prétention de gouverner le monde et ils n'ont plus qu'eux à gouverner! Au dehors, tous les regards sont tournés vers eux; on se demande avec inquiétude, avec crainte, ce qu'ils font, ce qu'ils deviennent : l'oreille tendue, ils écoutent avec anxiété les échos des bruits qui se font au loin. Us ne les entendent pas. Ce n'est pas la première fois que Paris a été soumis à cette dure épreuve; il a été, dans tous les temps, un objet de jalousie et de convoitise pour les peuples étran¬ gers. Depuis l'an o'2 avant Jésus-Christ, époque à laquelle, n'étant encore qu'une petite bourgade connue sous le nom de Lutèce, il eut à se défendre contre Labiéuus, lieutenant de César, jusqu'à nos jours où il est devenu la belle ville, qui fait l'admiration et la crainte'de tous les peuples, la ville Lumière, comme l'appelle Victor Hugo, Paris apresque toujours été sans interruption obligé de prendre les armes pour se défendre. Il a été souvent attaqué par des ennemis puissants; et les dissensions intestines, qui l'ont agité, ont presque toujours dégénéré en véritables guerres, alors que les princes et les grands seigneurs se disputaient sa posses¬ sion afin d'arriver plus sûrement à devenir les maîtres du beau pays de France. De tous ces sièges les deux plus sérieux et plus célèbres sont : le^siège de Paris en 88a par Kollon, chef des Normands, et celui que le roi de Navarre,depuis Henri IV, mit en la89- laOO devant la grande ville, su mie. ■Sigefrid et Hollon, chef des Normands, voulaient se venger de la trahison de l'empereur Charles le Gros, qui avait laissé assassiner Godefroy et Hugues, tous deux souverains AVANT-PROPOS. vil du royaume de Lorraine. Ils avaient envahi le pays des Francs et pour mieux atteindre leur ennemi ils avaient de¬ mandé aux Parisiens le libre passage de leur armée à tra¬ vers la ville. Ils se présentaient devant les portes de Paris avec iO ou iiOOOO hommes. Gozlin, évêque de Paris, refusa. 11 fit fermer les portes et achever le Grand Châtelel. Il mit la ville dans le meilleur état de défense qu'il put. Rollon donna plusieurs fois l'assaut aux remparts que l'évêque défendit le casque en tête et la hache à la main. L'ennemi, toujours repoussé, renonça à prendre la place de vive force et transforma le siège en blocus. Il s'empara des villes im¬ portantes, qui commandaient les routes de Paris, afin de l'affamer plus sûrement; sa cavalerie nombreuse ravagea les environs de la ville et n'y laissa entrer aucune sorte de vivres. Rollon faisait chaque jour de nouvelles attaques et les Parisiens y répondaient par des sorties fréquentes. Eudes, comte de Paris, put s'échapper et aller à Metz demander des secours à l'Empereur. Il fut assez adroit pour rentrer dans la ville assiégée, qui était à toute extré¬ mité, et annoncer les secours que lui amenaient Henri de Bavière et l'Empereur. L'arrivée de l'armée de Charles le Gros sur les hauteurs de Montmartre força le chef des Nor¬ mands à lever le siège et à accepter un traité do paix. Le siège avait duré six mois. Le second siège, fameux entre tous, est celui que Paris eût à soutenir en C>89 contre Henri 111 et Henri de Navarre. Après l'assassinat de Henri de Guise à Blois, Henri [Il appela à son aide Henri, roi de Navarre, son parent et son futur héritier, contre Paris révolté qui venait de nommer le duc d'Aumale gouverneur de la ville pour organiser la résistance contre l'autorité royale. Après s'être emparé d'Étampes, de Poissy, de Pontoise, de Saint-Germain, de Marly et de Bougival, les deux Henri vinrent mettre le siège devant Paris. Henri 111 occupait avec ses troupes l'espace compris entre Neuilly, Suresnes, Saint-Cloud; le roi de Navarre tenait le pays depuis Sèvres et Vanves jusqu'à Cha- renton. Leurs lieutenants s'étaient établis dans les autres parties du pays autour de la ville. Ils occupaient tous les villages des environs et ils purent ainsi empêcher le ravi¬ taillement de Paris. Après la mort de Henri 111 assassiné par Jacques Clément, Henri de Navarre, devenu roi de France, VIII AVANT-PROPOS. fut forcé de lever le siège pour aller battre, à Tvry, le duc de Mayenne qui venait au secours des assiégés. Vainqueur des princes, qui n'avaient pas voulu reconnaître ses droits à la couronne de France, il vint de nouveau assiéger sa capitale. Cette fois, le blocus fut complet; la ville ne put renouveler ses vivres et eut à souffrir d'une grande misère et d'une épouvantable famine. Ce parlement fut obligé d'édicter des ordonnances pour faire remise aux locataires des maisons d'un tiers de leurs dettes, en exceptant toutefois les loca¬ taires des maisons qui appartenaient à la ville de Paris. Si l'on en croit les chroniqueurs de l'époque, Pierre de l'Esloile et de Thou, la famine fut horrible et poussa les Pari¬ siens aux excès les plus cruels et les plus inhumains. Après avoir épuisé la viande des chevaux, des chats et des chiens, ils se faisaient un régal des peaux, encore saignantes, des rats et des souris. Ils broutaient l'herbe des rues et allaient jusqu'à chercher leur vie dans les fumiers. Quelques lans¬ quenets, poussés à bout par la faim, auraient l'ait la chasse aux enfants et en auraient mangé plusieurs. Un autre chroniqueur affirme qu'une mère, pour apaiser sa faim, a fait rôtir le cadavre de son fils, et qu'elle est morte de douleur avant de prendre cette horrible nourriture. Voltaire a raconté plusieurs de ces horreurs dans la Henriade. Les souffrances, endurées par les Parisiens, étaient si grandes qu'elles louchèrent le cœur du brave Henri de Navarre et qu'il laissa entrer quelques vivres. Elles permirent aux assiégés de prolonger la résistance qu'ils opposaient aux armées du roi. 11 était ainsi devant Paris depuis trois mois et demi, quand l'arrivée des troupes espagnoles, con¬ duites par le duc de Parme, le força pour la deuxième fois à se retirer. Il avait fallu une armée de secours pour dé¬ bloquer Paris. Henri de Navarre revint, il est vrai, une troisième fois mettre le siège devant la grande et coura¬ geuse ville. Malgré tous ses efforts, il ne put y entrer qu'a¬ près son abjuration, faite le 22 juillet 1593 entre les mains de l'archevêque de Bourges, parce que les Parisiens fatigués lui en ouvrirent les portes, le 22 mars 1594. Depuis cette époque jusqu'à nos jours, Paris, souvent troublé par les révoltes et les guerres civiles, n'a pas eu à soutenir de siège dont il eut beaucoup à souffrir. Devenu ville ouverte, il vit quelquefois l'ennemi, mais le manque AVANT-PROPOS. de fortifications lui permit d'échapper aux horreurs d'un siège régulier. En 1814, après l'entrée des alliés à Paris, qui s'était faite assez facilement malgré la résistance éner¬ gique des Parisiens, l'opinion publique attribua la prise de la ville à l'absence de fortifications. (Juelques années plus tard, sous le roi Louis-Philippe, M. Thiers, alors ministre, demanda aux Chambres et obtint d'elles qu'on construisit autour de Paris un mur d'enceinte fortifié qui devait le mettre à l'abri des surprises de l'ennemi. Il s'était souvenu sans doute du mot de Napoléon I°r, qui a dit dans ses Mé¬ moires : « Si Paris eût été encore une place forte en 1814 et en 1815, capable de résister seulement buit jours, quelle influence cela n'aurait-il pas eue sur les événements du monde ! » Malgré cette parole du grand Napoléon, on peut et on doit se demander ce qui est préférable pour une grande capitale : être une ville fortifiée ou une ville ouverte? A cette question chacun répond d'après son tempérament. Il est cependant certain que les fortifications exposent la ville fortifiée à toutes sortes de douloureuses extrémités et tous les généraux sont d'accord pour reconnaître qu'elle est fatalement condamnée à capituler, quand elle est assiégée, si une armée de secours ne peut venir la délivrer. Paris, devenu place forte de première classe, a été de nouveau, grâce à ses fortifications, exposé à subir les épreuves d'un siège. L'événement n'a malheureusement pas tardé à se réaliser. Le siège de 1870 rappelle dans beaucoup de ses elfets ceux de 885 par Rollon et de 1589 par Henri IV. Les Prus¬ siens, comme l'ennemi à ces différentes époques, obtinrent facilement le blocus complet de la ville en s'emparant des points stratégiques qui commandent les principales routes de la capitale, et ils purent par ce moyen obtenir le même résultat et affamer la ville. Les malheurs et les souffrances des Parisiens devaient être, en 1870, plus grands qu'ils ne l'ont jamais été à aucune autre époque ; Paris était surpris par les événements de l'année terrible au milieu d'une grande prospérité. Il était alors le produit le plus parfait de la civilisation arrivée â son plus grand développement. Devenu le centre intel¬ lectuel des grands esprits de tous les peuples, il tirait de a. X AVANT-PROPOS. cette situation un grand éclat qui rayonnait sur le monde entier. Le Itlocus, en arrêtant subitement les différents rouages de son industrie, en suspendant les opérations de son commerce et eu l'isolant non seulement de la France mais des autres pays, devait le l'aire reculer loin en arrière et le montrer, à ceux qui étaient enfermés dans ses murs, tel qu'il était sans doute dans les temps les plus reculés de l'histoire. Une existence nouvelle fut faite à ses habitants; les pri¬ vations les plus grandes leur furent imposées : les vivres, peu abondants, étaient soumis à un rationnement aussi exigu que possible. La température était exceptionnellement froide; dans le mois de décembre, le thermomètre avait, pendant plusieurs jours, marqué lo degrés; il était même descendu jusqu'à 20. La lumière, elle-même, manquait; l'épuisement du stock de charbon ne permettait plus de faire du gaz, les rues n'étaient plus éclairées et les théâtres étaient fermés. Il y avait aussi disette de papier, et pour y suppléer on était obligé d'employer le vieux papier qu'on blanchissait à l'aide de produits chimiques. Les conditions de l'existence ainsi changées, Paris ne vivait plus que d'une vie, de la vie militaire. Tout homme valide était tenu de prendre les armes, de s'exercer à s'en servir et de se tenir prêt à repousser l'assaut que l'ennemi pouvait donner. A toutes ces épreuves il fallait en ajouter deux autres, qui ne contribuaient pas peu à augmenter le trouble de tous les Parisiens : le manque de nouvelles des femmes et des en¬ fants laissés loin de la ville, en province, exposés aux coups de l'ennemi; les dépêches trop rares et trop peu claires, apportées par les fameux pigeons voyageurs, ne suffisaient pas pour calmer l'anxiété de tous, et puis, autre épreuve plus dangereuse encore, l'inoccupation : tout travail ma¬ nuel et intellectuel était complèlementsuspeudu. Que faire après l'exercice militaire, qui n'employait qu'une partie de la journée? Le bourgeois, content de jouer au soldat, de montrer ses épaulettes, se tenait pour satisfait quand il avait crié sus à l'Allemand. Le costume militaire et la pen¬ sée qu'il était un héros l'aidaient à supporter avec quelque patience les misères du jour. Les rentiers et les hommes qui avaient occupé une position politique se tenaient à l'écart, tout en faisant leur devoir. Leur présence dans les AVANT-PROPOS. rangs des gardes nationaux était pour eux le meilleur moyen de ne se point faire remarquer. Ils observaient le silence et gardaient pour eux les craintes que leur inspirait le point noir entrevu à l'horizon. Dans les réunions de la garde nationale, toutes les classes de la société se trouvaient mêlées; toutes montraient le même dévouement et la même ardeur à concourir à la défense de la ville. Le riche et le pauvre, le savant et l'ignorant, le patron et l'ouvrier, se regardaient l'un l'autre sans mépris, sans jalousie, et s'en- tr'aidaient au besoin. Tout le monde souffrait des mêmes peines et faisait effort pour atteindre le même but. Mais les rangs rompus, chacun reprenait sa place avec les souf¬ frances ou les satisfactions particulières attachées à sa situa¬ tion personnelle. L'ouvrier, à l'heure où il n'était plus soldat, allait chez le marchand de vin ou sur la place publique. Il était sur d'y trouver compagnie et de pouvoir discourir sur les choses publiques et sur la guerre. Dans ces réunions où l'on dis¬ cutait toujours, il apportait ses passions et son inexpérience. N'y avait-il pas là un danger pour le gouvernement nou¬ veau et pour la société; un danger plus grand encore pour la défense de Paris? Une révolle, une guerre civile pouvait tout compromettre et livrer la ville à l'assiégeant. La crainte de ces troubles intérieurs a été, pendant toute la durée du siège, une des grandes préoccupations des hommes du gou¬ vernement du 4 Septembre. Ils ont toujours cherché à éviter les émeutes et ils n'ont trouvé d'autres moyens que de faire sans cesse des concessions aux exigences des exaltés. Ils les faisaient sans doute à contre-cœur, mais elles n'en étaient pas moins faites et elles produisaient les effets naturels à toutes les concessions inspirées par le manque de fermeté. Jules Favre, dans les dépositions qu'il a faites devant la commission d'enquête sur les actes du gouvernement de la Défense nationale, avoue cette crainte et explique cette con¬ duite. Les députés de Paris, qui s'étaient établis à l'Hôtel de Ville sans opposition et auxquels le général Trocliu était venu, comme il l'a dit, apporter le concours de l'armée sauvegarde de l'ordre public, croyaient sans doute qu'en proclamant la République ils allaient soulever dans le pays un élan d'enthousiasme. Ils pensaient probablement aussi Xll AVANT-PROPOS. faire peur à l'ennemi et l'engager il battre en retraite. Louis- Philippe, poussé à bout par l'ambassadeur d'une puissance étrangère qui le menaçait d'une coalition, lui avait bien dit : « Monsieur l'ambassadeur, si on me taquine trop, je lâcherai mon tigre. » Son tigre, c'était le peuple français avec ses pas¬ sions, qu'il avait apprivoisé par les mille cajoleries dont il n'était, pas avare. Le tigre existait bien encore, mais les temps étaient changés; la guerre et les revers l'avaient fati¬ gué, épuisé et découragé. Le pays, justement, parce que l'unité était faite depuis longtemps, était tout entier atteint par les dures épreuves de notre mauvaise fortune. Les coups portés au nord avaient eu leur retentissement dans le midi et la France ne demandait dans le moment qu'à ar¬ rêter la lutte pour reprendre possession d'elle-même. Aussi quel ne fut pas l'étonnement des membres du gouverne¬ ment de la Défense nationale, quand ils constatèrent que le pays ne répondait pas, comme ils le désiraient, à leurs provocations républicaines; qu'il n'avait ni haine, ni indi¬ gnation contre l'Empire, mais seulement beaucoup d'in¬ différence pour la République présentée comme une libéra¬ trice ! Les républicains de la veille (on appelait ainsi les hommes qui avaient dirigé le grand mouvement républi¬ cain de 1848) étaient eux-mêmes obligés de se rendre à l'évidence. Les choses ne pouvaient pas rester ainsi et le Gouvernement fit tout ce qu'il put pour galvaniser la nation. 11 annonce aux Parisiens que la ville va être assiégée; qu'il faut la mettre en état de défense, et il fait des procla¬ mations patriotiques pour demander à tous, sans distinction d'opinion, de lui prêter le concours de leur dévouement. Les Parisiens sceptiques lui répondent d'abord en ne prenant pas la chose au sérieux. Ils disent que Paris ne pourra pas résister, que les forts ne tiendront pas trois jours et que les Prussiens entreront dans la ville par surprise. Ils ne croient pas au siège et ils pensent que dans trois semaines tout sera fini. Sans tenir compte de ces premières impressions, les membres du nouveau gouvernement prennent toutes les mesures de prudence et toutes les précautions qu'exige l'approche des ennemis. Ils envoient une délégation du Gou¬ vernement à Tours avec mission de soulever la province et ils appellent à Paris tous les mobiles disposés à venir le défendre. AVANT-PROPOS. XIII Du 4 au 17 septembre, 100 000 mobiles de lu province en¬ trent dans la capitale ; ils y resteront enfermés pendant cinq mois. Vingt-cinq départements sont ainsi venus prendre part au siège. C'était vraiment un grand dévouement. Les mobiles n'abandonnaient-ils donc pas leur pays, leurs familles, leurs biens, exposés aux coups de l'ennemi, pour répondre sans hésitation à l'appel qui leur était adressé? En 1848, la pro¬ vince était déjà venue spontanément au secours de Paris menacé par la démagogie. Ces dévoûinents et ces généreux secours ne donnent-ils pas à la province quelques droits sur la capitale? La France n'a-t-elle pas quelques bonnes rai¬ sons pour dire que Paris lui appartient ? Après l'affaire de Châtillon, qui fut si malheureuse pour nos armées, mises en déroute sous les murs de la capitale, les Parisiens commencent à croire à la possibilité et à la durée du siège. Quelques jours après, l'investissement de la place était complet et les communications avec l'extérieur devenaient impossibles. Livrée à ses propres ressources, la ville allait être obligée de ne compter que sur son énergie pour vivre et pour se défendre. Enfermés dans les murs de Paris,il y avait : 80080 hommes de troupes de ligne, — on ne pouvait en compter comme vrais soldats qu'un tiers ou un quart : le 35e et le 42e régi¬ ments étaient les seuls qui fussent de formation antérieure à la guerre; — 100000 mobiles, venus de la province; 13 000 mo¬ biles de la Seine, et enfin 300000 gardes nationaux non exercés, qu'on arrachait à leurs travaux, à leurs occupations, à leurs boutiques et à leurs ateliers. Parmi ces 300000 gardes nationaux il y avait, d'après le général Trochu, 30000 repris de justice. Organiser ces armées de natures différentes, les maintenir dans la discipline et les conduire au combat n'était certes pas une petite tâche. On pouvait conquérir beaucoup de gloire en tentant l'aventure, si on réussissait ; mais à quels périls ne s'exposait-on pas en cas d'insuccès! Les membres du gouvernement de la Défense nationale avaient conscience de ces périls ; ils devaient d'autant mieux les pressentir qu'ayant toujours été dans l'opposition, sous tous les gouvernements, ils connaissaient mieux que d'au¬ tres la force et les moyens de l'opposition. Ils avaient une possession d'état, qui leur permettait d'imposer leur volonté; mais leur gouvernement n'avait aucune légalité. L'exemple X I V AVANT-PROPOS. donné ét.iil mauvais ; ils pouvaient craindre des représailles. Il semblait que le pouvoir dOL appartenir au plus adroit et au plus fort. Le 31 octobre faillit le leur prouver. Mécon¬ tents de l'effet produit par la proclamation de la Républi¬ que; incertains des dispositions de celte foule armée sur l'esprit de laquelle ils sentaient n'avoir qu'une médiocre in¬ fluence ; hésitant par manque d'habitude sur les dispositions à prendre et sur les ordres à donner; hommes de bonne vo¬ lonté, mais ignorant l'art de gouverner les peuples, ils vécurent au jour le jour en proie à la crainte de l'ennemi du dehors et de ceux qu'ils appelaient les ennemis du de¬ dans. En lisant les procès-verbaux des séances du Gou¬ vernement, on constate à chaque page leurs craintes, leurs hésitations et le désaccord qui existait entre les différents membres du Conseil. Il est résulté de cet état de choses qu'en toutes circonstances, soit au sujet des opérations militaires, soit à l'occasion des événements politiques de l'intérieur, ils se laissaient diriger par ce qu'ils croyaient être l'opinion publique. Ils se débarrassèrent du trop turbulent et autoritaire Gambetta en l'envoyant chercher fortune en province. Us lui donnèrent pour mission d'organiser les armées de se¬ cours. Ceci fait, ils consacrèrent tout leur temps et toute la force de leur esprit à provoquer l'enthousiasme du peuple, à lui insuffler le sentiment de la résistance à outrance, à se défendre contre l'opposition et à maintenir la foule dans le bon ordre en lui faisant toutes les concessions possibles. Sous l'influence de ces sentiments, les membres du Gou¬ vernement décrétèrent d'abord la laïcisation de toutes les écoles; puis ils déclarèrent que la France ne céderait ni un pouce de sua territoire ni une pierre de ses forteresses ; que tous les habitants de la ville seraient soldats; que leurs officiers, même ceux des mobiles, seraient nommés à l'élec¬ tion; que chaque garde national toucherait chaque jour une paye de 1 fr. 50 pour lui et 75 centimes pour sa femme ; qu'on distribuerait des rations de vivres. C'était sous une autre forme la résurrection des ateliers nationaux de 1848, dont la dissolution a correspondu à l'insurrection de Juin. Ces décrets sont à la fois l'explication et l'excuse de cette autre révolte terrible, appelée la Commune, qui a mis la France à deux doigts de sa perte. Enfin ils ont ordonné par AVANT-PROPOS. x v le décret du 30 octobre que « la France adopterait tous les enfants des citoyens morts pour sa défense et qu'elle pour¬ voirait aux besoins de leurs veuves et de leurs familles, qui réclameraient le secours de l'État ». Ces mêmes gouvernants ont cependant résisté aux cris de la multitude, qui demandait la levée en masse et la trouée. 11 faut les féliciter d'avoir su, en cette circonstance, se montrer fermes et énergiques. Ils étaient, il est. vrai, sou¬ tenus dans leur résistance par tous les généraux de l'armée de Paris. Ceux-ci savaient par expérience que lancer contre un ennemi aguerri, solidement retranché derrière de bonnes fortifications, des masses d'hommes peu exercés au manie¬ ment des armes et pas habitués au feu, c'était malgré leur courage les conduire à la défaite et à la boucherie. C'était aussi jeter le pays dans l'inconnu et l'exposer à de sérieux troubles intérieurs. Ils avaient conscience de cette vérité si bien exprimée par Napoléon Ier dans le Moniteur du 12 ther¬ midor an XI, alors que, parlant des levées en masse de l'Angleterre, il dit : « Savez-vous ce que c'est qu'une levée en masse? Croyez-vous que la multitude ne soit pas la même dans tous les temps?... Les levées en masse ont toujours été les précurseurs et le foyer des discordes civiles. » Paris a été, pendant le siège, suffisammentéprouvé par les émeutes et les agitations populaires, dont le gouvernement a eu lui- même beaucoup à souffrir; il n'était pas nécessaire de don¬ ner à la partie agitée et remuante de la population un élé¬ ment nouveau de discorde civile. Ces agitations populaires ont eu lieu à la suite des échecs, éprouvés par nos armées sous les murs de Paris, et des mau¬ vaises nouvelles de la province apportées par les pigeons. Ces pauvres bêtes ont été un instant en si grande faveur que le sentimental Edgar Quinet a réclamé pour elles l'hon¬ neur de figurer dans les armoiries de la ville, de Paris. Il y avait un désaccord latent entre une partie de la population et celui qui dirigeait les opérations militaires. Le peuple n'avait qu'une pensée, qu'une volonté : chasser l'ennemi, le forcer à lever le siège. Les généraux, et surtout le général Trochu, étaient, eux, convaincus qu'il était impossible d'ar¬ river à un pareil résultat et qu'une ville assiégée, si elle n'est pas débloquée par une armée de secours, doit fata¬ lement succomber. Ils ne combattaient que pour l'honneur. XVI AVANT-PROPOS. Le sentiment public devinait ces pensées, et les échecs de l'armée ne faisaient que l'exaspérer. De l'exaspération à la révolte il n'y a pas loin. En dehors de ces révoltes loutes politiques, l'ordre le plus grand a toujours régné dans Paris. Le peuple a été sage, extraordinairement sage. Il faut le dire bien haut et cependant, jamais population n'a été exposée à la fois et pendant aussi longtemps à des souffrances aussi 'grandes et aussi nombreuses. La faim, le froid, l'inoccupation et l'isolement. On pouf bien appeler ainsi celte privation com¬ plète de toutes relations avec le dehors qui la forçait à vivre sur elle-même. Les tribunaux furent suspendus et les sessions des assises renvoyées à des temps plus calmes. Pour tribunaux il n'y avait plus que des conseils de guerre. La police elle-même s'était de beaucoup relâchée; elle avait été énervée par un changement trop fréquent des chefs, que la politique lui donnait et lui enlevait. Pendant les cinq mois et demi du siège, trois préfets se sont succédé à la Préfec¬ ture de police : AL de Kératry, M. Adam, M. Cresson, homme d'esprit et de cœur, dont le dévouement a été mis à une dure épreuve par les hésitations du gouvernement. Eh bien ! jamais, à aucune époque, on n'a constaté moins de vols et moins de crimes. La défense de la ville était la préoccupation de tous; le sentiment patriotique suffisait pour maintenir chacun dans le devoir et dans le respect de tous et de toutes choses. L'armée, les marins improvisés défenseurs de Paris, les mobiles et les différents corps de la garde nationale ont fait preuve de courage et de dévoue¬ ment à la chose publique. Les échecs ne les ont pas ébran¬ lés et le gouvernement les a toujours trouvés prêts pour de nouveaux efforts. Après la surprise causée par la malheureuse affaire de Châtillon, le Gouverneur de Paris, président du Gouverne¬ ment, employa plusieurs semaines à réorganiser l'armée et à créer des moyens de défense. On fit des canons, des armes, et on exerça les gardes nationaux. Plusieurs plans de sortie et d'attaque ont été proposés par les généraux. Trois ont été acceptés, préparés et mis à exécution. Le général Trochu avait conçu un plan sérieux et vrai¬ semblablement le meilleur de tous. Il voulait tenter une sortie du côté de l'ouest en se dirigeant sur Rouen par la AVANT-PROPOS. XVII vallée de la Seine. Il consacra cinq semaines à en préparer l'exécution, en faisant des travaux spéciaux dans la plaine de Gennevilliers et en y accumulant de nombreux moyens d'attaque. Il était arrivé à faire ces préparatifs sans éveil¬ ler l'attention des Prussiens. Les Parisiens eux-mêmes les ignoraient. C'était une condition de réussite. Au moment d'exécuter ce plan, Gambetta envoya de Tours plusieurs té¬ légrammes pour annoncer que l'armée était en marche sur Paris, qu'elle était à. Montargis et qu'elle serait bientôt à Fontainebleau. 11 demandait qu'on tentât une sortie pour aller donner la main à l'armée de province. C'était après la victoire de Coulmiers. Le plan d'attaque du côté de Rouen fut aussitôt abandonné et les efforts de cinq semaines de travail furent tout à fait perdus. On se décida à essayer de rejoindre l'armée de secours si bien annoncée, en attaquant l'ennemi du côté de la Marne. L'armée n'eut que cinq jours pour prendre ses nou¬ velles dispositions et préparer la bataille qui allait se livrer à Champigny. On a expliqué l'insuccès de nos armes dans cette trop malheureuse journée par deux raisons : les mu¬ nitions auraient manqué et les troupes engagées n'auraient pas pu être soutenues par des troupes suffisamment fraîches et reposées. M. Jules Favre a essayé de rejeter la responsabilité de cette défaite sur la délégation de Tours, qui avait envoyé des nouvelles incomplètement exactes. Le deuxième plan de sortie est celui qui a conduit nos généraux à faire une seconde tentative du côté du Bourget. Malheureusement l'atfaire de la Ville-Evrard n'a pas été plus heureuse que les autres. Enlin on met en exécution, dans les derniers jours de janvier, un troisième projet d'at¬ taque. Il était comme le dernier effort d'un désespéré. On attaque l'ennemi du côté de Saint-Cloud et on livre la ba¬ taille de Buzenval. Les membres du gouvernement de la Défense nationale étaient, dans les derniers temps du siège, mécontents de la délégation de Tours. Elle cherchait trop à s'affranchir de l'autorité supérieure qui résidait à Paris, et Jules Favre avait plus d'une fois écrit à Gambetta pour le rappeler au respect des décisions prises par le Gouvernement. Gambetta répon¬ dait en accusant ce même gouvernement de ne rien faire pour la délivrance de Paris et de la France; il le menaçait XVIII AVANT-PROPOS. de le dénoncer au pays. Pris entre les objurgations patrio¬ tiques du dictateur de Tours, dont ils avaient bien un peu peur, et les cris de la multitude de Paris qui réclamait une trouée, les gouvernants cédèrent à l'opinion publique et envoyèrent au combat l'armée et surtout la garde natio¬ nale. Elles rivalisèrent toutes deux de courage et de dévoue¬ ment. La bataille a été perdue, mais l'honneur a été sauvé. L'affaire n'aurait sans doute pas mieux réussie si elle avait été mieux combinée et mieux exécutée. Jules Favre, qui, plus que les autres membres du Conseil, avait insisté pour que cette bataille fût livrée, croyait-il qu'on pût réussir? S'il l'a cru sincèrement, il s'est trompé; mais il a été patriote. S'il n'a pas cru au succès, il a commis en insistant une faute, une très grande faute. Cette bataille a coûté tant en tués qu'en blessés 4000 hommes. Ce sacrilice devait être inutile. Le bombardement, qui faisait beaucoup de bruit, effrayait seulement quelques personnes et ne causait pas de grands dommages. Depuis le 5 janvier, jour où il a commencé, jus¬ qu'au 28 du même mois, date de la signature de l'armi¬ stice, 300 personnes seulement sur les 2000000 d'habitants, enfermés dans Paris, ont été tuées ou blessées par les obus. Quelques maisons ont été atteintes, aucune n'a été complè¬ tement détruite et les obus de l'ennemi n'ont pas pu enta- merles remparts. Aussi l'effet moral, sur lequel les Prussiens comptaient, a-t-il été tout à fait nul. Paris aurait tenu longtemps encore contre les efforts des Allemands, si la famine n'avait pas frappé à ses portes. Elle paralysa la défense. A la fin de janvier il n'y avait plus de vivres que pour quelques jours, et il fallait prévoir les difficultés du ravitaillement dans le cas où on pourrait traiter avec l'en¬ nemi. La lutte était terminée; l'armistice s'imposait. La France allait se trouver à la merci de son vainqueur; elle était obligée de se soumettre aux exigences de ses condi¬ tions de paix. Faisant un retour sur les événements, qui ont précédé ce moment terrible où il devenait impossible de continuer la lutte, on peut bien se demander si les maîtres improvisés de la malheureuse France n'auraient pas pu trouver l'occa¬ sion de traiter dans des conditions moins défavorables. L'occasion s'est présentée quatre fois. 1° Après Sedan : la Prusse aurait traité avec la France; AVANT-PROPOS. x i x elle aurait traité avec le nouveau gouvernement, qui n'avait pas craint de faire une révolution sous les yeux de l'en¬ nemi vainqueur. 2° Au 30 octobre : M. Thiers, qui avait été implorer l'aide de l'étranger à Florence, à Vienne, à Saint-Pétersbourg et à Londres, rentrait à Paris avec un laissez-passer délivré par la Prusse. Il apportait l'appui moral de ces puis¬ sances. Elles avaient promis de soutenir auprès de la Prusse la demande d'un armistice. Le vainqueur ne demandait alors que l'Alsace et 2 milliards. C'était, il est vrai, la veille du 31 octobre; l'insurrection populaire fit échouer les négo¬ ciations. 3° Dans les derniers jours de novembre : lorsque l'Angle¬ terre convoqua la France à la conférence, qui devait se tenir le 3 janvier à Londres pour discuter avec la Russie le traité de Paris de 1836. La Russie venait de dénoncer l'article 14 du traité conclu à Paris, en 1836, après la prise de Sébastopol. Par cet article, la Russie s'était engagée,'vis-à-vis delaPorte, à ne pouvoir tenir dans la mer Noire plus de 6 vapeurs de 800 tonneaux et de 4 voiliers de 200 tonneaux. Dénoncer le traité de 1836, c'était mettre de nouveau en question la neutralité de la mer Noire. L'Autriche, l'Italie, l'Angleterre et la Russie désiraient que la France prit part à cette conférence. Gambetta et M. de Chaudordy, diplomate distingué, délégué du ministre des Affaires étrangères à Tours, insistèrent auprès de M. Jules Favre pour qu'il se rendit à l'invitation de l'Angleterre. Elle avait obtenu de la Prusse un sauf-conduit pour le vice- président du gouvernement de la Défense nationale. Faire partie de la conférence était pour la France un moyen d'ar¬ river à gagner l'appui de l'Europe, de traiter avec son ennemi et de terminer cette guerre ruineuse pour les deux adversaires. Jules Favre ne voulut partir pour Londres qu'à la condition que les puissances neutres lui garantissent l'in¬ tégralité du territoire français. Sur les nouvelles instances de la délégation de Tours, la question fut soumise au Conseil le 10 janvier, et la majorité de ses membres s'opposa au départ de Jules Favre. 4° Le 6 décembre : lorsque M. de Moltke envoya au géné¬ ral Trochu la fameuse lettre, dans laquelle il annonçait la défaite de l'armée de la Loire et offrait un sauf-conduit à un XX AVANT-PROPOS. officier du général pour lui permettre de s'assurer du fait. Les Prussiens, à ce moment, étaient fatigués de la guerre et de la résistance des armées françaises, qui leur causait d'importantes pertes d'hommes et de grandes dépenses. La lettre de M. de Mollke n'était qu'une proposition déguisée d'entrer en pourparlers. Victorieuse, la Prusse n'avait aucun intérêt à continuer la guerre et la France en avait un très grand à faire la paix. On devait pouvoir se mettre d'accord. La réponse à faire à cette lettre fut vivement discutée par les membres du conseil. Les généraux Trocliu et Ducrot furent d'un avis opposé; il y eut entre eux une scène quelque peu violente, dont on retrouve un écho dans les procès-verbaux des séances du Gouvernement. L'avis du général Trocliu l'em¬ porta et il fut décidé qu'on ne tiendrait aucun compte de cette lettre. Ces refus continuels d'entrer en négociations avec l'ennemi ont augmenté les exigences de la Prusse, lorsqu'après l'échec de Buzenval le manque de vivres lui livra la France et força Jules Favre à traiter de la paix. Elle exigea la cession de l'Alsace et de la Lorraine, plus a milliards. 11 a fallu con¬ sentir. La France était épuisée et pour se défendre contre les prétentions exorbitantes du vainqueur elle n'avait plus d'armées, plus de force de résistance à lui opposer. Jules Favre avait-il donc oublié que, pour traiter sans trop de désavantage avec son adversaire, il faut le faire au mo¬ ment où on est encore assez fort pour prolonger utilement la résistance? Le 23 janvier 1871, M. Jules Favre, qui avait demandé une entrevue à M. de Bismarck, se présenta seul devant le gé¬ néral prussien pour traiter des conditions de l'armistice. La paix ne pouvait être décidée définitivement que par une as¬ semblée élue, représentant le pays tout entier. C'était prendre bien facilement de lourdes responsabilités. De graves questions militaires devaient être débattues dans ces entretiens et Jules Favre ne pouvait pas avoir la préten¬ tion d'être en état de défendre utilement la France et de tenir tête, lui seul, au grand chancelier; mais il était le vice-pré¬ sident du Conseil et il représentait la République. Deux armées avaient lutté l'une contre l'autre avec courage, il semblait tout naturel qu'un militaire, un général, fût chargé de traiter avec le vainqueur. Le général Trocliu avait con- AVANT-PROPOS. XXI duit les opérations du siège, il était le chef de l'armée ! c'était à lui de la défendre et de la protéger contre les exi¬ gences de la Prusse. Il est vrai que le général avait juré publiquement qu'il ne capitulerait pas. On peut croire ce¬ pendant que M. de Bismarck aurait accordé des conditions meilleures, s'il avait eu à traiter avec le général Trochu dont il estimait tout particulièrement l'honnêteté et le courage. Le 26 janvier au soir, M. Jules Favre, après être convenu que le feu cesserait à minuit, rentra à Paris et apporta aux membres du Conseil le projet des conventions définitivement arrêtées entre lui et M. de Bismarck. Le Conseil, après de vives discussions, accepta ces conventions. Elles disaient qu'un armistice de vingt et un jours serait accordé sur toute la ligne des opérations militaires, excepté sur le terrain des départements du Doubs, du Jura et de la Côte-d'Or. Le but était de permettre au gouvernement de la Défense natio¬ nale de convoquer une assemblée librement élue, qui déride¬ rait la question de la paix ou de la continuation de la guerre. M. Jules Favre retourna le 27 au quartier général prussien et cette fois il emmena avec lui le général de Beaufort d'Hautpoul pour discuter, dans les questions militaires, ce qu'il appelait les questions de détail. Le choix du conseil était heureux. Opposer à M. de Moltke le génér al de Beaufort d'Hautpoul, c'était lui opposer le seul officier qui l'ait jamais battu. En 1839, dans la guerre que l'Egypte soutenait contre la Turquie, M. de Moltke était le conseiller d'Hafiz Pacha, commandant de l'armée turque, et M. de Beaufort d'Haut¬ poul, alors capitaine en congé régulier, était le chef d'ôtat- major de Méhémet, commandant de l'armée égyptienne. Le jeune officier français, malgré toute l'habileté de M. de Moltke, réussit à s'emparer des positions qui commandaient la route d'Alep ; il prévint ainsi les manœuvres stratégiques de son adversaire, battit l'armée turque et ouvrit le che¬ min de Constantinople aux armées égyptiennes. Le traité de Londres, en 1840, put seul les arrêter dans leur marche victorieuse. Le général de Beaufort d'Hautpoul insista auprès de M. de Moltke pour avoir des renseignements sur la position de l'armée de l'Est; ne pouvant les obtenir, il refusa de con¬ tinuer la discussion. Le lendemain, il fut remplacé auprès de M. Jules Favre par le général de Valdan, chef d'état-major XXII AVANT-PROPOS. général de l'armée. Les conventions furent signées le 28. L'armistice était conclu et la lutte était finie. Paris a lutté avec calme, avec sang-froid, avec patience et avec courage jusqu'à sa dernière bouchée de pain. La fa¬ mine l'a vaincu, mais non pas les armes de son ennemi. La France, bouleversée jusque dans le fond de ses entrailles par cette guerre terrible qui avait duré plus de six mois, a bien mérité de la patrie en persistant à résister à la mau¬ vaise fortune. Elle a succombé sous les coups d'une fatalité plus forte que sa volonté et que son courage. Elle a été vaincue, c'est vrai; mais le vainqueur a été obligé de re¬ connaître que la victoire a été chèrement payée. Le corps du vaincu, qui gisait à terre, lui inspirait encore du respect et même de la crainte. L'Allemagne comprenait que le peuple français se sentait encore assez de vie, de force et de volonté, pour avoir con¬ fiance dans l'avenir et justifier le mot d'adieu, adressé à Étain, par un ancien zouave d'Afrique et de Grimée, au géné¬ ral de Manteulfel alors qu'il quittait le territoire français avec le dernier corps d'armée d'occupation. Le feld-maré- chal avait assisté au défilé de ses troupes qui poussaient des hourras, et il était resté le dernier à la tête de son état-major; à ce moment le vieux zouave s'approche du général en chef de l'armée allemande, il lui tend la main qu'instinctivement le vieux maréchal saisit du haut de sa selle. Les deux vieillards se regardent un instant en face et le zouave s'écrie: « Tu sais, Manteulfel! bon voyage, mais n'y reviens pas ! » La France, blessée au cœur il y a dix-sept ans, est au¬ jourd'hui guérie; la convalescence est terminée. Le pays tout entier sent les forces nouvelles que la santé lui a données. Confiant en lui-même, et tout en s'abstenant de provoquer l'étranger, il répète avec calme, avec énergie, le cri du zouave: « Qu'il n'y revienne pas ! » Décembre 1887. FÉLIX SANGNIER. PRÉFACE Je prie toutes les personnes bienveillantes et indulgentes,qui liront le récit de mes souvenirs, de m'accorder trois faveurs. La première sera de me permettre de ne pas faire de stratégie; car, je l'avoue, je n'y entends rien. Il est bien vrai que, pendant toute la durée du siège, je ne suis pas arrivé à faire, pour la délivrance de Paris, un plan qui me fut personnel. La seconde faveur sera l'au¬ torisation de faire mon récit à ma manière, sans y ajouter ni embellissements ni traits de mon inven¬ tion; et la troisième, la dispense de blâmer ou d'approuver les faits que je rapporte, blâme ou approbation dont la responsabilité est toujours dé¬ sagréable. Je me suis proposé de me tenir éloigné, autant que possible, des conventions de l'histoire XXIV PRÉFACE. qui ne permettent pas d'apprécier le côté vraiment humain des choses. Les légendes sont des laits dont la vie et les couleurs sont dénaturées. Je crois bien sincèrement que le siège, auquel j'ai assisté, ne pourra pas devenir légendaire ; mais je crois aussi que quelque chose de la naïveté ori¬ ginale, dont les Parisiens ont fait preuve à cette époque, pourra survivre aux récits de ses nombreux historiens. Londres, février 1871. A PARIS PENDANT LE SIÈGE CHAPITRE PREMIER PRÉPARATIFS DU SIÈGE Le lundi 19 septembre, le réseau de fer que les Prussiens avaient tressé par degrés autour de Paris pendant les cinq jours précédents était terminé. Il enserrait la ville et la prenait comme à la gorge dans les plaines de Châtillon. A partir de ce jour nous avons été abandonnés à nous-mêmes « pour cuire dans notre jus », comme le disait Bismarck dans son langage imagé. Un article du Journal officiel, qui nous faisait pressentir ce qu'était réellement notre situation dans le moment présent, voulait préparer la population à ne pas s'étonner de la cessation des communications télégraphiques de Paris avec la province. Beaucoup de personnes, qui ignoraient ce qui se passait et qui ne croyaient pas au siège, ont essayé le matin de ce même jour d'aller 1 2 A PARIS PENDANT EE SIÈGE. revoir leurs maisons do campagne, situées à l'ouest de Paris. Elles ont vu, à leur grand cll'roi, qu'on avait fait sauter les ponts de Sèvres et de Saint-Cloud, et elles ont rencontré sur leurs chemins des troupes dé¬ bandées, zouaves et lignards qui, après la déroute de Châtillon, se précipitaient dans les rues de la capitale en criant que la trahison et la panique étaient causes de tout. Chacun de nous, aussitôt qu'il était convaincu que nous étions prisonniers dans la ville, se hâtait de monter sur les points élevés de l'intérieur de Paris pour voir de ces hauteurs les limites de notre prison. Elles formaient à l'ouest et au sud une ligne en forme de demi-cercle qui passait par les hauteurs de Châ- tillon, par Clamai t, Meudon, Sèvres et Saint-Cloud ; au nord, elles ne dépassaient pas la ville de Saint-Denis; à l'est, le cours sinueux, de la Marne et les bois de Vincennes. A partir du 19" septembre, le monde, pour nous, n'a pas eu d'autre horizon. Je peux dire avec raison notre monde ; car dans ces limites étaient renfermés une nation et un gouverne¬ ment. Celui-ci était faible, sans assises et dominait tant bien (pie mal les aspirations de chaque faction politique; mais il était la seule autorité qui eût survécu en France au dernier gouvernement tombé. Elles renfermaient aussi les destinées de quarante millions de Français. 11 faut accepter la vérité, même dans tout ce qu'elle a de plus dur. Paris, ce cher Paris, que nous étions accoutumés à regarder comme la capitale du monde civilisé; Paris, la merveille et les délices de l'Europe; Paris révolu¬ tionnaire, avec ses clubs, ses orateurs et ses myriades d'hommes armés, était forcé de subir le même sort qu'une humble et lourde forteresse de province. 11 y PRÉPARATIFS DU SIÈGE. avail certainement quelque chose de grand et de tra¬ gique dans la situation où il se trouvait : elle était sem¬ blable à celle d'une belle abandonnée do ses amants, de ses amis, de ses connaissances, qui ne veulent plus la reconnaître aux heures du danger et de la misère. Était-il donc véritablement possible que l'Europe s'ha¬ bituât tranquillement à vivre sans nous ? lié quoi ! n'y a-t-il pas un de us ex machina, un miracle de la onzième heure qui puisse nous sauver? Dans cette sérénité imperturbable des hommes et de la nature il y avait cependant de la douleur, de l'humiliation et de l'aiv- goisse. Le grand oracle pour lequel nous avons un profond respect, la Pythie aux nombreux amants, le Times, « ce coquin de Times », en un mol, a pris congé de nous en s'amusant à rechercher combien il fau¬ dra de pain et d'« eau d'affliction » pour dompter notre esprit rebelle, et pendant combien de temps la ville du plaisir et de la débauche saura endurer les souffrances d'un siège. « La cité de la débauche et du plaisir! » Ces épithètes de mauvais goût, employées par des puritains, offensaient plus nos oreilles que les odeurs de la cuisine de Bismarck n'offensaient notre odorat : nous aimions mieux « cuire dans notre jus » que d'entendre de pareils sermons. Quand une ville doit être assiégée et qu'elle le pres¬ sent, elle prend aussitôt toutes sortes do dispositions pour subir le siège; le premier coup de canon de l'en¬ nemi, qui s'entend dans le lointain, détend ses nerfs. L'effet qu'il produit sur les hommes est le même que celui des premières grosses gouttes de pluie, qui tom¬ bent d'un nuage orageux, un jour de grande chaleur. Le combat qui avait eu lieu, à midi, à Chàtillon, et ce fait que les Prussiens, au coucher du soleil, étaienl encore hors de nos murs, ont fait perdre au siège de Paris, dans l'imagination des Parisiens, la moitié de la 4 A l'A H IS FENDANT LE SIÈGE. terreur qu'il leur avait inspirée. A partir de ce mo¬ ment, le siégea été pour eux un événement ordinaire, un fait acquis. Avant de continuer mon récit, et de raconter en détail ce que nous avons fait, dit, senti et souffert pendant de longs mois de captivité, il est bon, je pense, de regarder en arrière et d'examiner les événements critiques qui se sont passés à Paris depuis le jour où les premiers désastres do la campagne nous ont fait prévoir ce qui nous arrive aujourd'hui. ^ Les témoins oculaires du spectacle, que présentaient les boulevards pendant les nuits du 5 et 6 août, ne peuvent pas oublier quels cris de rage et de désappoin¬ tement les nouvelles, envoyées de Wissembourg à Paris, ont fait pousser aux Parisiens et quelle conster¬ nation s'est alors emparée de leur esprit. Ces témoins oculaires ne peuvent pas oublier davantage que les nouvelles des combats de Wœrth et de Forbach ont frappé Paris d'une confuse épouvante. La chute pro¬ chaine de la dynastie impériale a paru dès lors iné¬ vitable. Mais ce que les simples spectateurs étaient le moins préparés à constater dans la capitale, c'était la soudaine et entière disparition du sentiment pa¬ triotique. Ils n'avaient pas suffisamment observé qu'au commencement de la guerre le patriotisme parisien n'allait pas au delà d'un chauvinisme1 exubérant, qui se montrait surtout sur les boulevards, dans les thé⬠tres, les cafés, les concerts, et qu'au souvenir des ré¬ cents succès de Magenta et de Solférino, ce chauvi¬ nisme ne voyait dans l'avenir que des promenades militaires, et une entrée triomphale à Berlin, le 15 août. L'orgie était terminée. Paris avait dansé son cancan impérial et il venait de se réveiller, comme Pierrot 1. Chauvinisme vient de Chauvin, nom d'un patriote ardent. PRÉPARATIFS DU SIÈGE. 5 dans sa prison, sans espoir et dans l'abattement qui succède it l'ivresse. Il était certainement douloureux de voir avec quels yeux étonnés le Parisien regardait défiler, dans les grandes rues et sur les boulevards, les régiments qui allaient gagner la frontière envahie par l'ennemi. Ces soldats étaient ennuyés, fatigués, et ac¬ cablés sous le poids d'une charge trop lourde; ils ont trouvé sur leur passage un médiocre encouragement et un accueil encore moins bon. La foule, en regar¬ dant défiler ces soldats silencieux, observait le même silence qu'eux, et si quelque timide acclamation ve¬ nait rompre le silence général, elle ne faisait que le rendre plus saisissant. Ingrat, fantasque Paris! Ces sol¬ dats n'étaient-ils donc plus pour lui que ce que sont des joujoux cassés pour l'enfant désappointé de les voir brisés? Paris, qui était alors dans un état de profonde pros¬ tration, s'est résigné à confier son sort à un nouveau ministère dont Palikao a été le président. Les titres, qui désignaient surtout le « Comte chinois » pour ce poste de suprême confiance, étaient la grande énergie dont il avait fait preuve en Chine et son dévouement à la fortune désespérée de l'Empire. Paris avait alors perdu tout sentiment de la réalité et il s'est donné con¬ fiance dans l'avenir à force d'illusions. 11 a accepté Palikao comme un illusionné plus habile qu'Ollivier et de Gramont. Les classes laborieuses avaient en général, dès le début, manifesté une grande aversion pour cette guerre. Après avoir fait contre le Corps législatif quelques démonstrations demeurées infruc¬ tueuses, elles sont restées dans leurs faubourgs silen¬ cieuses et menaçantes. Des ouvriers se réunissaient en groupes le long des remparts; ils passaient la journée dans les ouvertures des glacis et haussaient les épaules à la vue des préparatifs de défense. Ceux qu'on faisait li A PARIS PENDANT LE SIÈGE. paraissaient alors bien inutiles : quelques canons de "24 pouces gisaient sur les plates-formes des bastions pleins d'bcrbos; les embrasures pour les bouches de canon n'étaient qu'à moitié percées; des bêches, des pioches, gisaient pêle-mêle abandonnées dans des coins. «Ali! Monsieur, me dit un ouvrier, que faire de tout cela sans la République? C'est inutile. Nous sommes trahis. Vivre sous bad inguet ou sous le roi Guillaume, quelle est la différence pour nous? Ce sont simplement des maîtres différents. Défendre Paris! défendre la propriété des riches! A quoi bon? Je ne vois rien de bien utile pour nous en celte affaire. Vive la République !... » Paris, cependant, s'est résigné à jouir des charmes du « Dragon do Chine » Cousin-Montauban, duc de Palikao. Quand je dis Paris, je veux parler de ceux qui se promènent ordinairement dans cette partie de la ville qui s'étend entre le boulevard Montmartre et le Grand-Hôtel — on en peut voir certainement un échantillon à Londres dans Regent street. — Je veux parler aussi de ceux qui habitent les quartiers situés entre le faubourg Saint-Honoré et la rue Saint-Antoine. Le Gaulois, le Figaro, le Paris-Journal et ceux des journaux parisiens qui sont toujours prêts à honorer une paire d'éperons dorés vissés sur une paire de bottes militaires, se sont mis à l'œuvre pour relever la situa¬ tion ; ils ont parlé haut et ont poussé sus aux Prussiens pour réveiller le patriotisme sur le boulevard; ils ont calmé les susceptibilités des Parisiens, expliqué les dernières défaites, et adressé des outrages à Ollivier et à Le Bœuf; pleins d'enthousiasme, ils ont promis qu'avec Monfauban dans Paris et Bazaine dans Metz, on aurait de prompts succès et une revanche certaine. Nous remarquions chaque jour de nouveaux progrès dans les travaux des fortifications, mais tous ces pré- PRÉPARATIFS DU SIÈGE. 7 paratifs de défense avançaient si lentement que leur lenteur nous donnait à penser qu'on faisait sem¬ blant de les exécuter. Le nouveau ministère entretenait nos folles illusions; il relevait notre confiance engour¬ die à l'aide de télégrammes adroitement combinés et ingénieusement mélangés de vérités et de mensonge. Nous languîmes dans cet état de somnolence jusqu'au moment où le général Trochu fut appelé à prendre le titre de Gouverneur de Paris. A partir de cette époque, chaque bulletin officiel, qui donnait des renseigne¬ ments sincères sur Metz, était commenté par quelques journaux à la dévotion de Trochu; ils laissaient entre¬ voir les dangers qui menaçaient la capitale. Trochu et Palikao jouèrent vis-à-vis l'un de l'autre, et aussi vis- à-vis de nous, l'un le rôle du docteur Tant pis, l'autre celui du docteur Tant mieux; nous avons donné la préférence au docteur Tant mieux et à ses remèdes. Le docteur Tant mieux prescrivait la confiance, don¬ nait à petites doses les nouvelles de victoire, parlait mystérieusement de « plans » — nous avons toujours eu confiance dans les plans. — Le docteur Tant pis secouait la tète, avait un regard sévère, ordonnait de faire des fortifications, des travaux en terre, et de se servir des gros canons de la marine ; il donnait des ordres pour qu'on démolit les maisons gênantes et pour qu'on rasât le bois de Boulogne. Nous voici arrivés au dimanche 4 septembre. Je n'essayerai pas de décrire les scènes tumultueuses de la nuit qui a procédé cette fameuse journée : je n'en ai pas été le témoin. La matinée du dimanche fut une matinée sombre, triste, solennelle, comme on n'en voit pas à Paris. Sur la rive gauche de la Seine, où j'habi¬ tais, tout était dans le plus grand silence, et les crieurs de nouvelles s'abstenaient d'en crier dans les rues. A la mairie de Saint-Sulpice, où j'allai en curieux, je s A PARIS PENDANT LE SIÈGE. trouvai une foule qui discutait avec câline les ter¬ ribles nouvelles arrivées dans la nuit : « Quarante mille prisonniers. !'empereur fait prisonnier pendant la bataille. » Un homme du peuple s'écria en appre¬ nant ces nouvelles : « Ils l'ont pris, tant mieux, pourvu qu'ils le gardentI » Il y avait aussi deux affiches sur les murs, deux proclamations rivales : l'une était de Trochu, l'autre venait des ministères. Toutes les deux étaient imprimées sur le papier blanc réservé au gou¬ vernement etavec les caractères qui lui sont spéciaux ; chacune d'elles était rédigée sans souci du texte et du commentaire de l'autre. Collées sur le même mur dans la cour de la mairie, elles étaient également ex¬ pressives dans leur réserve, et insignifiantes dans leurs textes. Un patriote assure « qu'il va mettre son fusil sur l'épaule et se retirer chez lui ; mais qu'il faut tout d'abord balayer les prêtres et les sémina¬ ristes, tous des calotins ». Une tranquillité inaccoutumée règne sur la place du Carrousel. Le drapeau tricolore ne flotte pas, il tombe mollement le long de sa hampe au-dessus du palais des Bourbons dont le dôme de mauvais goût gâte toute la beauté des Tuileries. A mon arrivée, quelques passants commencent à paraître sur la place et mar¬ chent nonchalamment devant eux. Des voitures de maître et des fiacres, rangés en files, attendent près de la porte du palais. Elles sont un mauvais présage. Turba medicorum. C'est sans doute une réunion alar¬ mante de médecins en consultation auprès de la dy¬ nastie! 11 y a partout des signes non équivoques d'un chan¬ gement prochain dans l'état des choses : ainsi le calme tout particulier, qui règne dans la rue de Rivoli et sur la place de la Concorde ; les couronnes et les guir¬ landes de fleurs, silencieux épigrammes, qui ornent PRÉPARATIFS DU SIÈGE la statue de Strasbourg, « la cité qui ne s'est pas ren¬ due ». Les hommes ne se parlent que par mono¬ syllabes. De temps ù. autre on saisit quelques-unes de leurs paroles. On comprend alors, en les écoutant, que la garde nationale (sa réunion est ordinairement pour le peuple un beau jour de fôle) doit à midi, par ordre supérieur, se rassembler sur la place de la Concorde. Les membres du Corps législatif se réunissent à 1 heure, sans y être invités par le peuple souverain, pour délibérer sur une motion de déchéance présentée par Jules Favre. Le chemin que les « souverains » doivent prendre pour se rendre à la Chambre traverse le pont de la Concorde. A la tête de ce pont, M. de Pa- likao a placé une double file de gendarmes armés. A les voir avec leurs ceinturons jaunes et leurs sabres brillants, on dirait qu'ils font partie d'un décor. Du pont de la Concorde, je suis allé à l'ambulance du palais de l'Industrie pour y passer les trois ou quatre heures de la journée qui devaient être si pleines d'in¬ cidents. J'étais, en y arrivant, dans l'ignorance la plus complète de ce qui s'était passé, pendant les dix mi¬ nutes que j'avais mis à franchir celte distance. Un homme blessé fut apporté de la place du Carrousel à l'ambulance. Il avait essayé de casser un des aigles en pierre qui ornent les statues du palais, et l'aigle lui avait fait une blessure à la tète. Les docteurs pensaient qu'on allait le retirer de leurs mains pour le conduire au poste de police. En effet, des sergents de ville se tenaient au coin des maisons et aux angles des rues avec l'air important qu'ils savent prendre à certains moments. Lorsque nous sortîmes du palais de l'In¬ dustrie, moi et trois autres personnes, nous n'étions nullement préparés au spectacle que les Champs- 1. Kl A PARIS PENDANT LE SIÈGE Elysées présentaient en ce moment. L'avenue parais¬ sait toute brillante de vie et d'éclat. Le soleil, les femmes et leurs gaies toilettes éclairaient l'avenue. (Tétait le même mouvement et le même air de fête qu'on trouve dans les Champs-Elysées, le dimanche, dans l'après-midi. Et cependant la matinée avait été si triste! Je me rappelle l'inimitable description que Custave Flaubert a faite de la jeune République de 1818 surgissant tout à coup dans les rues de Paris. Oui, c'est bien la République. Pour me convaincre que c'est bien elle, je regarde du côté du pont de la Con¬ corde qui, midi, était gardé par des gendarmes. Ils sont partis, et la foule circule en toute liberté sur le pont. Je regarde ensuite le palais des Tuileries; le dra¬ peau ne Hotte plus au-dessus du pavillon de l'Hor¬ loge. Est-il donc nécessaire d'avoir d'autres preuves? Plus on se rapproche des boulevards, plus ce que l'on voit paraît intéressant. Des bataillons de la garde nationale s'improvisent à la hâte dans chaque légion, et chacun d'eux se précipitant de son quartier sur les boulevards, ils les envahissent tous. C'est un mélange incroyable d'uniformes et de blouses, de képis et de chapeaux tyroliens, de chapeaux ronds et de chapeaux de toutesles formes. Les tambours battent aux champs et les baïonnettes brillent au bout des fusils. Lorsque nous passons auprès des gardes nationaux, ils nous provoquent par leurs joyeuses acclamations de : « Vive la République! » Pour leur donner un satisfaisant témoignage de nos sentiments républicains, nous le¬ vons nos chapeaux au-dessus de nos têtes et nous con¬ tinuons notre route. Chaque individu, que nous ren¬ controns, porte un rameau vert ou une cocarde rouge, blanche et bleue. Les cocardes se vendent dans les rues tout comme les fleurs aux courses. Paris est en train de se costumer en République. PRÉPARATIFS DU SIÈGE. 11 Des citoyens honnêtes promènent leurs femmes et leurs filles au milieu de cette foule ; et des personnes, qui ne se connaissent point, se serrent les mains et s'embrassent en se disant : « Nous sommes en famille, n'est-ce pas? » Il y a aussi des larmes et des attendris¬ sements : dans de telles occurrences, les sources de notre sensibilité gauloise coulent librement. Quelle est remarquable la rapidité avec laquelle le mot Impe¬ rial disparaît des devantures des boutiques et des bal¬ cons! Ici, c'est Dusautoy, tailleur « impérial» ; il reste tailleur, mais il cesse d'être « impérial ». Là, c'est le Théâtre « impérial » de l'Opéra-Gomique, qui perd son titre: un citoyen, en manches de chemise,brise avec un marteau les grandes lettres dorées qui forment le mot « impérial ». J'ai aperçu la dernière image de César, une grande médaille en plâtre doré — quelque récom¬ pense internationale, obtenue pour des épices de qua¬ lité supérieure, ou pour une moutarde tout ce qu'il y a de meilleur — un garde national facétieux l'avait prise et la portait en triomphe au bout de sa baïon¬ nette. La foule regardait, riait, applaudissait et admi- rail. Les sergents de ville levaient en l'air la garde de leurs épées, en signe de soumission : ils rôdaient au¬ tour de l'effigie du César tombé, et allaient tête basse à travers les rues. Sur ces entrefaites, les politiciens affairés échangent au coin des rues les derniers « on dit ». — Quelles nouvelles a-t-on de l'Hôtel de Ville? — Quel est le der¬ nier gouvernement proclamé ? — Quelle est la dernière liste? — Gambetta, Favre, Rochefort?... — Non, lto- chefort, Pelletan, Favre, Trochu... —- Trochu, Favre, Gambetta. » Et Sedan ! Qui se souvenait de Sedan? La proclama¬ tion de Palikao était encore fraîchement collée sur nos murs; elle commençait par ces mots de mauvais 12 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. présage : « Un grand malheur », mais nous lisons « bonheur », el nous substituons au crayon notre le\le à celui de Palikao. Paris se chauffait au soleil de ce court jour de fête. Dans les tavernes démocratiques, on mangeait, on buvait, on festoyait; les moblots, les lignards et les blouses blanches y fraternisaient en buvant des litres de « petit bleu ». Un citoyen, trop ému par ses libations fraternelles, va, tout chan¬ celant, tomber sur une sentinelle en faction ; il lui explique que nous sommes tous frères et libres, et il crie : « Vive la République! » La sentinelle lève les épaules et ne sait que dire. Le Quatre Septembre est en effet une énigme pour les sentinelles et pour la partie raisonnable du peuple. Bien que nous regardions tous ces événements avec sympathie, nous n'avons pu cependant ne pas en être profondément impressionné. Cette émotion était due à l'étonnement que nous causait la facilité avec laquelle Paris, dans ses journées tout à fait « byzantines », a changé de sentiments et les a poussés à l'extrême. En une seconde il a rejeté loin de son esprit et de sa mémoire l'affreuse platitude de ce qu'il a lui-même appelé un gouvernement; et à la manière des enfants, il s'est réveillé tout frais et tout, dispos pour commencer une vie nouvelle. — Ah! Paris, pauvre malade! Tu t'amuses avec ta République d'un jour, et tu oublies l'armée ennemie qui se rapproche de toi, les politiciens redondants, et la guerre. N'as-tu pas, en proclamant la « République », décrété une « Utopie »? Il te fau¬ dra, demain, te réveiller et te soumettre à suivre le triste cours des choses de ce monde. Moquez-vous de la faculté que nous avons de pouvoir vivre dans une réunion de fous? Mais avouez que cette faculté était notre force aussi bien que notre faiblesse, et que, pen¬ dant le siège, elle soutint nos forces au delà du pos- PREPARATIFS DIJ SIÈGE sible. Par bonheur, notre paradis de fous était assez grand pour en contenir deux millions. Comment Paris supportera-t-il la cessation de ses rapports avec le monde? Telle est la question que chacun se pose. On y répond en disant que nos vices d'hommes civilisés et notre faiblesse trouvent un aliment et un soutien dans la réunion même d'un aussi grand nombre d'hommes. Paris séparé du monde! Paris ne peut vé¬ ritablement pas penser qu'il en est ainsi ; il pense bien plutôt que c'est le monde qui a été séparé de lui. Le monde, qui est au delà de nos remparts, bah! qu'im¬ porte! Ce n'est que la province! Les forts, qui nous entourent et qui nous protègent, ne sont-ils pas, eux aussi, en province? Comme de vrais Parisiens, nous continuons à ignorer même la géographie des environs de Paris : province, tout cela! Et voilà com¬ ment « nous cuisons dans notre jus ». Les premières journées, qui suivirentlet Septembre, furent des journées pleines de troubles, de tempêtes et de dangers. Les ambitions déçues s'exaltèrent et se donnèrent libre carrière dans des manifestes rouges. La Marseillaise1 accusa le nouveau gouvernement d'être un gouvernement réactionnaire. Rochefort, ré¬ dacteur de ce journal et membre du gouvernement, était ainsi placé entre l'un et l'autre parti dans la po¬ sition ambiguë d'un médiateur. Sur sa demande, la Marseillaise suspendit sa publication. Cluseret2, « le gé¬ néral radical », qui aurait volontiers brigué la place de gouverneur de Paris, se réfugia à Lyon. Belleville 1. La Marseillaise est un journal républicain, dont Rochefort était le rédacteur en chef. 2. Cluseret, ancien capitaine dans l'armée, ancien chef de ba¬ taillon des mobiles en 18-48, a donné sa démission en 1850. Il est allé en Amérique et s'y est fait naturaliser Américain. Il est rentré en France à la chute de l'Empire. H A PARIS PENDANT LE SIÈGE, retira ;\ Hochefort cl à Gambetta la confiance qu'elle avait mise en eux. La bourgeoisie, portée â l'optimisme par la nature paresseuse de son tempérament, s'atta¬ cha passionnément ;\ cette idée que la itépublique, proclamée le dimanche précédent, devait être, par le fait seul de sa proclamation et comme par enchan¬ tement, une raison de faire la paix et une cause d'arrêt dans la marche en avant des armées allemandes. Les premiers troubles passés, les bourgeois s'aperçurent que la République n'était pas faite pour donner une solution aux difficultés du moment, et ils reconnurent que les membres du gouvernement n'étaient pas d'accord dans les conseils qu'ils donnaient... Gambetta et ses fidèles réclamaient « la guerre au couleau », la guerre à outrance; et Jules Favre, l'homme au cœur tendre, se mettant dans la peau d'un agneau, se prononçait contre cette circulaire; Trochu, lui, pré¬ parait la défense de Paris, tout en désespérant de la faire réussir. Ces deux manifestes étaient, à eux seuls, la preuve d'une imprévoyance et d'une désorganisation générale. Tout était en réalité désorganisé. Le « sauve qui peut » est en France un mol fatal, il est la mort de toute énergie individuelle. A l'exception de quelques régiments, qui avaient fait la campagne de Rome, l'armée n'était que la réunion d'un grand nombre de vétérans rappelés sous les drapeaux, et de recrues non instruites, rassemblées à la bête. Chacun do ces soldats conservait ses défauts d'origine; il ne trouvait pas dans ses.camarades le soutien et le stimulant né¬ cessaires pour développer ses propres qualités. La discipline, corrompue parle système impérial et relâchée à la suite d'une série de défaites sans exemple, avait été presque complètement perdue dans les quinze jours qui^suivirent la révolution du 1 Sep¬ tembre. L'enthousiasme républicain est sans aucun PRÉPARATIFS DU SIÈGE. 15 doute un beau thème pour les rêveurs qui croient que les changements politiques ont le pouvoir de mora¬ liser les grandes agglomérations d'hommes dont l'édu¬ cation n'est pas faite; mais pour la plupart des sol¬ dats la République semblait n'être que le droit pour chacun de s'enivrer, de se battre, de maltraiter les of¬ ficiers, de transgresser les lois, les règlements et de faire toutes ces choses au cri de : « Vive la République ! » L'esprit des classes supérieures de la société était troublé par une terreur panique tout fait inconve¬ nante. Ce qui les troublait, c'était la crainte de l'éternel « spectre rouge » — la crainte de l'anarchie et du pil¬ lage, la crainte de la guillotine, la crainte de Belleville en armes, et surtout de Belleville armé de fusils à tir rapide, — gardez les fusils à tir rapide pour les « épiciers! » les autres sont assez bons et même trop bons pour Belleville et les faubourgs. L'inquiétude cl la méfiance des citoyens sont à leur apogée. Les ma¬ ris partent avec leurs femmes, les frères avec leurs sœurs. Le départ général des riches ajoute à la con¬ sternation de ceux qui restent. Les cannes à épée se vendent partout de la façon la plus ostensible et cha¬ cun s'arme contre son voisin. Mon voisin à moi est un énergique ami de l'ordre, tout ce qu'il y a de plus ami de l'ordre: un commissaire de la marine et un gouver¬ nemental parfaitement bien dressé. Le seul mot de République lui fait passer un frisson dans tout le corps ; nous évitons ce mot dans la conversation afin de mé¬ nager noire susceptibilité. Il me propose de nous ar¬ mer de pistolets charges et de faire ensemble des pa¬ trouilles dans notre avenue. Le lendemain matin je le vis, de ma croisée, offrir des cigares et du vin à des soldats qui étaient campés devant noire porte. Je l'en¬ tendis les appeler « citoyens » et les exhorter à dé¬ fendre la République avec tout l'héroïsme dont ils 16 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. étaient capables. Los Prussiens nous font peur; mais, hclas! nos défenseurs, eux aussi, nous effraient. Quels sont ceux que nous redoutons le plus? Il se pourrait bien que ce fût nos défenseurs; ils sont plus près de nous et les Prussiens en sont encore loin, à six journées de marche. 11 est cependant possible que nous les crai¬ gnions davantage quand ils seront plus près. Un pro¬ verbe français dit : « Un clou chasse l'autre. » Aussi, à supposer que nous ayons toutes les sortes imagi¬ nables de peurs, on peut vraisemblablement dire que chacune d'elles est,à son tour, le meilleur remède qui existe pour nous guérir des autres. Nous sommes vivement inquiets, nous, c'est-à-dire les amis de l'ordre tels que moi et mon voisin du troi¬ sième, et nous désirons en secret qu'on fasse la paix. La cote des fonds publics est une preuve que ce désir est partagé par beaucoup de personnes. Ils montent comme le vif-argent des thermomètres, après la circu¬ laire de Jules Favre. Jules Favre a déclaré qu'il ne cé¬ derait « ni un pouce de terre, ni une pierre », et alors, en véritables Parisiens que nous sommes, nous nous rassurons en faisant des hypothèses nombreuses et variées : L'Europe ne soutiendra pas et n'acceptera pas notre démembrement; l'Amérique nous a promis son appui, et 100 000 hommes; l'origine de ce bruit a une grande autorité, il vient directement du boule¬ vard et la nouvelle en est donnée par le Figaro; la Russie, — nous avons toujours eu un faible pour la Russie ; le souvenir qu'elle a gardé de la guerre de Cri¬ mée et de Malakoff doit certainement lui faire désirer de se porter à notre secours, — la Russie est sur le point de faire marcher une armée.sur la Silésie. La paix était la préoccupation de toutes nos pensées; nous n'osions pas en parler dans la crainte que Relie- ville ne voulût pas la faire. Belleville inspire une ter- PRÉPARATIFS DU SIÈGE. 17 reur salutaire aux patriotes, qui, derrière leurs comp¬ toirs, sont encore dans le doute de ce qu'ils doivent faire. Les clubs démocratiques poussent les ouvriers à la résistance et les intéressent à la défense de la lîépu- blique en faisant appel à leurs aspirations républi¬ caines. Sous l'influence loute particulière delà société Y Internationale1, il s'établit dans les vingt arrondisse¬ ments ou sections de Paris tout un système de comi¬ tés de défense, qui sont la reproduction, en petit, du Comité de défense du gouvernement. Ces comités, qui s'étaient attribué de leur propre autorité la mission qu'ils voulaient remplir, formaient comme un sous- gouvernement du gouvernement présidé par le géné¬ ral Trochu. Ils devaient observer une jalouse surveil¬ lance sur les délibérations du gouvernement officiel, et le préserver de l'influence énervante de la bour¬ geoisie; ils devaient également surveiller l'adminis¬ tration municipale, se rendre compte de tout ce qui avait rapport à l'organisation militaire, protéger et soutenir envers et contre tous les intérêts de la Répu¬ blique démocratique et sociale. Réunis dans un comité central, ils sont on fait le germe d'un gouvernement révolutionnaire, encore à l'état embryonnaire, mais prêt, à un moment donné, à révéler son existence et à s'imposer sous le nom de « Commune » à 300 000 affi¬ liés tout surpris de l'événement. Paris est comme une fourmilière, qui est bien intéres¬ sante à regarder quand elle est arrêtée dans son ingé¬ nieux travail et qu'elle est subitement détournée de ses occupations ordinaires pour suivre une direction nou¬ velle. Fervet opus. Chaque groupe de la fourmilière humaine est occupé de ses propres projets, il tiraille t. L'Internationah: est une société politique organisée dans 1rs dernières années de l'Empire pour le combattre et lutter avec lui dans les élections générales de 1SG9. 18 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. son propre grain de blé le long des chemins que chaque autre groupe traverse et embarrasse; il est absorbé dans son propre travail et noblement inconscient des groupes voisins; enfin, après avoir pris beaucoup de peine, il dépose avec une grande candeur le grain de blé dans quelque coin où une pierre l'arrête. C'est là tout le résultat du travail et des efforts de la fourmi¬ lière. La vie de Paris, à cette époque, était tout en¬ tière dans les clubs et dans les réunions populaires : c'était chose curieuse à voir. Dès les premiers jours les événements excitèrent vivement mon intérêt et je m'efforçai de fixer mes impressions du moment dans un journal quotidien dont je vais donner des frag¬ ments. Mercredi 7 septembre. — Hier j'ai rencontré un de mes plus anciens amis du Café de Madrid, un utopiste à outrance, mais un croyant Nous ne nous étions pas vus depuis l'Empire; malgré cela, nous avons fra¬ ternisé comme de vrais républicains. — « Venez avec moi ce soir, me dit-il mystérieusement, et vous verrez ce que nous sommes en train de faire. Que les rois prennent garde à eux et qu'ils tremblent ; on prépare quelque chose qui leur sera funeste. » Étant de nature pacifique, je tremblai : j'acceptai cependant le rendez- vous donné pour le soir. Nous nous trouvâmes au lieu du rendez-vous à huit heures, silencieux comme il con¬ vient à des conspirateurs. Partis bras dessus, liras des¬ sous, nous avons traversé les boulevards et des passages remplis de monde; puis nous nous sommes engagés dans une petite rue étroite. Là, nous sommes 'entrés dans une maison sombre, donL l'escalier était ('gaie¬ ment sombre et étroit; arrivés au troisième étage, nous I. M. Jules Andrieu, ancien employé de l'Hôtel de Ville sous l'Empire et sous le gouvernement du Quatre Septembre, était un membre actif de Y Internationale. PRÉPARATIFS DU SIÈGE. 10 nous sommes arrêtés devant la porte de la Chambre fédérale ponressuycr nos pieds avant d'entrer. La pièce, dans laquelle nous sommes entrés, était basse de pla¬ fond et peu éclairée; on y sentait une forte odeur de pétrole et de tabac. Les citoyens au milieu desquels nous nous trouvions gesticulaient beaucoup, ils pre¬ naient des poses et faisaient des gestes qui ine rappe¬ laient ceux d'un chœurde figurants répétant une scène de conspiration. Je m'attendais à subir, à mon entrée, quelque horrible épreuve; à mon grand désappointe¬ ment, les citoyens se contentèrent d'une introduction ordinaire. La Chambre fédérale était en conférence depuis quelque temps déjà et les membres se dispo¬ saient à se retirer. Ils ne tardèrent pas à s'en aller et nous fîmes comme eux. A la porte de la maison ils se séparèrent en plusieurs groupes qui prirent chacun une direction différente. Mon ami et moi, nous nous joignîmes à l'un de ces groupes. Après avoir fait un long chemin à travers beaucoup de rues et de ruelles, nous sommes enfin entrés dans une maison et nous avons frappé à la porte d'une grande chambre située au rez-de-chaussée et éclairée au gaz ; du dehors, on entendait comme le bourdonnement de plusieurs voix. Entrés dans cette chambre, nous nous sommes trouvés au milieu d'une foule de blouses blanches et bleues, de mécaniciens, de maçons et d'ouvriers de tous les corps d'état. Mes compagnons montèrent sur l'estrade; ils échangèrent quelques mots avec le président de la réunion et avec les orateurs qui étaient tous des ou¬ vriers. Ces derniers se levaient constamment pour débiter des harangues improvisées et plus patriotiques que sensées. Différentes propositions furent faites et transmises « au nom du peuple souverain ».I1 désirait ou était censé désirer que des comités de vigilance fus¬ sent envoyés dans chaque section, avec la mission d'en- 20 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. gager les maires à agir et d'exercer une inquisitoriale surveillance sur toul ce qui pourrait intéresser le salut de la République. Pendant qu'on présentait ces résolutions, la foule riait, causail et s'amusait aux dépens de celui qui faisait la motion; elle le laissait s'épuiser dans ses essais d'éloquence, mais elle l'applaudissait chaque fois qu'il demandait ses applaudissements et elle approuvait avec une unanimité touchante des mesures qu'elle ne comprenait pas. Parmi toutes les propositions qui furent faites, il en est une surtout qui obtint un succès réel : c'est celle qui demandait qu'une résolution fût prise pour obtenir du gouvernement qu'il ordonnât la suspension de tout travail et le paiement d'un subside aux ouvriers enrôlés dans la garde nationale pour la défense de la patrie. Cette proposition remplit le peuple souverain de joie; tous les citoyens levèrent la main en l'air avec la plus grande vivacité pour l'appuyer. Elle était à peine votée qu'un ouvrier tailleur, à la tète forte et aux cheveux jaunes taillés en brosse, ce qui le faisait ressembler à une tète de loup, se précipita, tout haletant, à la tribune : « Citoyens, s'écria-t-il, il est inu¬ tile de déguiser la vérité ; le peuple est trompé, je dirai plus encore, bien que cela puisse paraître incroyable: oui, je vous le dis, vous êtes vendus, vous êtes trahis. » — Oui, oui, s'écria toute l'assemblée en gémissant, nous sommes vendus, nous sommes trahis! — « Oui, citoyens, pendant que nous sommes ici en train de prendre des mesures pour le salut de la République, la réaction relève sa tête de vipère. Citoyens, j'ai vu, j'ai vu de mes propres yeux, les gardes municipaux, soldats stipendiés de Bonaparte, monter la garde aux portes du Palais de Justice. » - Un long murmure s'éleva dans l'assemblée. — « Si vous doutez de la vé¬ rité des faits que je vous dénonce, dit l'orateur, nom- PRÉPARATIFS DU SIÈGE. mez des délégués, hommes honnêtes qui feront une enquête; envoyez-les au Palais de Justice. Le temps presse; il n'y a pas un moment à perdre, si vous vou¬ lez sauver la République. » Cinq délégués furent tout aussitôt choisis; ils partirent sur-le-champ pour rem¬ plir leur mission. A la suite de cet incident, un grand nombre de dénonciations furent faites à la tribune : un orateur dit qu'il a vu, dans une gare, 80 000 chasse- pots emballés par paquets dans de la paille; il suppose qu'ils y ont été déposés par des traîtres qui veulent les livrer aux Prussiens. Mon ami garda le silence, mais, me prenant par le bras, il me dit tout bas que, lui aussi, il pourrait faire une révélation qui ferait trembler tous ceux qui l'entendraient, et il ajouta : « Les princes d'Or¬ léans ont en leur possession la clef d'une entrée parti¬ culière des Tuileries et ils peuvent ainsi pénétrer dans des chambres secrètes du palais. » Se sentir posses¬ seur d'un secret aussi important et ne pas le lancer, comme une bombe explosive, au milieu de la foule as¬ semblée, tout en se tenant à l'écart pour observer les effets burlesques produits sur les innombrables Ju/rs par cette explosion, eût été pour la plupart des hommes une épreuve tout à fait concluante de leur puissance sur eux-mêmes. Le cœur heureusement ne me man¬ qua pas dans ce moment critique. Le peuple souverain, h peu près remis de sa panique, commença à discuter et à dresser des listes pour la nomination des membres de son comité. Chaque orateur proposa une liste de son invention dans laquelle il eut le soin d'inscrire son nom. Après de mutuelles concessions, faites de part et d'autre, une liste fut enlin arrêtée et soumise au vote de l'assem¬ blée. La plupart des noms inscrits sur la liste étaient inconnus. On fit alors une ingénieuse proposition : d'après elle, chaquecandidat devait monter à la tribune et y rester cinq minutes pour y être examiné par tout A PARIS PENDANT LE SIEGE lo monde. Le candidat devait ôlre choisi, comme on choisit une épouse, sur sa lionne mine. Les candidats montèrent chacun à leur tour à la tribune. Ils se pla¬ çaient dans l'attitude qui leur était le plus favorable et ils essayaient de parler. Généralement ils n'allaient pas plus loin que le mot « citoyen » et se contentaient de frapper leur poitrine patriotique. L'assemblée leur vint en aide dans leurs essais oratoires en déclarant qu'on ne leur demandait pas d'être éloquents, qu'on avait assez d'avocats et qu'on manquait d'hommes d'action. Ces présentations n'étaient qu'une occasion de s'amu¬ ser et la liste proposée fut votée par acclamation. Juste ce moment la porte de la chambre s'ouvrit pour lais¬ ser entrer les cinq délégués, récemment revenus du Palais de Juslicc ou de quelque taverne des environs dans laquelle ils s'étaient arrêtés pour rafraîchir leur patriotisme. Ils sont revenus pour apprendre à l'assem¬ blée qu'il était bien vrai que les soldats de Bonaparte montaient lagardeaux postesdu Palais de Justice. Mais les « Gugustes » et les « Polytes1 » s'étaient trop bien amusés des altitudes ébouriffantes, prises à la tribune par les différents candidats, pour avoir encore beau¬ coup d'attention à donner Bonaparte 011 à ses soldats. Une des dernières curiosités était une souscription faite pour payer les dépenses d'impression d'une adressse aux années allemandes. Cette adresse était faite au nom de la société l'Internationale ; elle invitait les frères, qui étaient dans l'armée envahissante, à rebrousser chemin et il repasser le Ithin. Comment faire parvenir cette adresse aux frères de l'Allemagne? La chose était certainement très difficile. Un franc-tireur s'engagea à coller l'adresse sur les murs des villages qui se trou- 1. Gui/uste et Puhjlc sont des abréviations de Auguste et de Hippolyte, noms typiques pour désigner d'une manière générale les jeunes gens qui habitent les faubourgs de Paris. PRÉPARATIFS DU SIÈGE. 2:5 vaient sur le passage des Prussiens en marche sur Paris. Laisser « Gugusle » à son club donner à l'édifice so¬ cial, déjà couronné à Sedan, un couronnement d'une beauté tout à fait inattendue et laisser Ara go (Etienne), le vieux vaudevilliste oublié depuis longtemps, mais ressuscité avec l'écharpe de maire de Paris, s'efforcer avec le marteau et le pinceau de républicaniser les rues et les monuments impériaux en y faisant inscrire la devise : Liberté, k'gtditè, Fraternité, et autres choses semblables, c'est comme si nous laissions de côté le style emphatique et « l'utopie » pour ne faire atten¬ tion qu'à la prose. Il faut cependant le faire et parler des forts et des remparts où les tristes travaux de la guerre continuent à se faire avec une molle activité. On élève des travaux en terre sur les hauteurs de Châ- tillon et de Montretout; on en élève aussi dans d'autres endroits pour compléter la première ligne de défense dans ses points les plus vulnérables. Mais les ouvriers passent la meilleure partie de la journée à boire avec les soldats dans les guinguettes des villages. Un nuage de poussière s'est élevé au-dessus de Paris. Le peuple s'en inquiète et désire connaître les dernières nouvelles ; il se porte en foule autour des mairies pour les apprendre. Uhlans! UhlansI ce sont eux qui arrivent, chevauchant à travers la forêt de Fon¬ tainebleau. Les voilà, ces ennemis ravageurs; ils se précipitent sur Paris par les vallées de l'Oise, de la Seine et de la Marne. « Us sont à Gompiègne, ils sont à Melun; ils sont à Meaux. » Dans nos larges rues et dans nos avenues, on ne voit que des délilés de mobiles venus de la province. Ce sont des paysans en blouse, qui regardent triste¬ ment leurs fusils à percussion ; ils nous regardent plus tristement encore, nous autres les Parisiens. La Nor- A PARIS PENDANT LE SIÈGE. raandie, la Bretagne, la Bourgogne, toutes les pro¬ vinces de la France les envoient en grand nombre et ils se luttent d'arriver à Paris1. Dans les gares, une foule de gens les entourent et les questionnent; ils leur demandent des nouvelles de la province et ce qu'on y pense de la République. Pour toute réponse, au mot de Hépubiujue, les mobiles, arrivés de la province, se contentent de hausser les épaules; ils paraissent avoir assez de Paris et de ses Républiques. Ils ne pensent qu'à leurs villages, qui leur tiennent au cœur, et à leurs provinces qu'ils ont laissées derrière eux à la merci des Prussiens. Dès ce moment on déploya une grande activité pour vêtir, équiper et armer les nouveaux bataillons de la garde nationale ; on leur distribua tous les fusils qu'on avait sous la main, quels qu'ils fussent. C'est ainsi que les fusils à percussion des mobiles, armes de rebut, firent subitement leur apparition au milieu des chas- sepots. Les gardes nationaux se préoccupaient surtout de l'élection de leurs ofliciers. Elles se faisaient ordi¬ nairement chez le marchand de vin du coin à l'aide d'un nombre illimité de petits verres d'absinthe et de rhum. Ce qui décidait aussi du choix, c'était le degré plus ou moins élevé du républicanisme du candidat, le nombre de jours, de semaines ou de mois qu'il avait passés eu prison pour délits politiques ou autres commis sous l'Empire. Mégy, un ouvrier, qui avait tiré un coup de pistolet sur un sergent de ville, était nommé lieute¬ nant. Les mobiles de la Seine furent désignés pour occuper les forts. La vie joyeuse, qu'ils avaient menée à Chàlons, les avait mal préparés pour supporter la disci¬ pline sévère qu'il est si nécessaire d'observer en temps de guerre. Leurs bataillons, qui étaient en grande I. Voir à l'appendice, à la lin du livre, le tableau des bataillons de mobiles envoyés par la province à Paris. PRÉPARATIFS DU SIÈGE. partie formés avec les jeunes gens les plus mauvais sujets des faubourgs, ne purent s'astreindre à aucune discipline militaire et firent mille folies extrava¬ gantes. A Villejuif, ils pénétrèrent dans des couvents de femmes et s'amusèrent à se vêtir des costumes des re¬ ligieuses et des babils des prêtres. Ils passaient les nuits à faire des bombances enfantines, à troubler les villages par toutes sortes de tapage et ils juraient qu'ils montreraient les talons aux Prussiens quand ceux-ci arriveraient. L'armée paraissait atteinte d'une démoralisation irrémédiable, à l'exception toutefois des marins qui, dans leurs vaisseaux — c'est le nom qu'ils avaient donné aux forts conliés à leur garde, — attendaient de sang-froid les.attaques de l'ennemi, De jour en jour, et pour ainsi dire d'heure en heure, on attendait le premier coup de canon. Les forts, au moyen de drapeaux, échangeaient de rapides corres¬ pondances avec l'Arc de Triomphe et le .Ministère de la marine. Des hauteurs de Bicêtre, nous pouvions voir à l'hori¬ zon, aussi loin que notre vue pouvait aller, une fumée épaisse et brune qui par endroits obscurcissait le ciel; c'étaient des feux que des ingénieurs français es¬ sayaient inutilement [d'allumer dans les forêts envi¬ ronnantes. De temps en temps un bruit sourd se faisait entendre dans le lointain; les jeunes officiers s'empa¬ raient aussitôt et avec impatience de leurs lorgnettes pour voir ce qui causait cette détonation. Non, ce n'était pas encore le coup de canon attendu; ce n'était que l'explosion d'une mine qui faisait sauter 1111 pont, et les officiers reprenaient tristement la série ennuyeuse des préparatifs de la guerre. A nos pieds, on voyait Paris couvert de nuages de poussière qui voltigeaient autour de ses hauts toits et des flèches de A PARIS PENDANT LE SIEGE. ses églises; et en rentrant dans la ville par les ponts- levis, on pouvait embrasser d'un seul coup d'uni toutes les misères des préparatifs du siège. Des liles de char¬ rettes et de voitures de campagne, toutes chargées de tables, de chaises, d'ustensiles de ménage, de légu¬ mes, d'outils de jardinage, de chats et d'enfants, se pressaient à l'envi et embarrassaient le passage étroit qui conduit à la porte du pont-levis. Au milieu de cet encombrement de voitures, d'animaux et de personnes on n'entendait que ces mots : « Ils arrivent; ils sont arrivés! » répétés par tout le monde. C'était bien certainement un moment de grande épreuve pour ce peuple si fiévreux, si impressionnable, si impatient de voir la fin de toutes ces misères; pour ce peuple sevré de tous plaisirs et surpris, comme au sortir d'un rêve, par une grande incertitude sur sa propre existence. Les artistes, les poètes, les philo¬ sophes et les plus intimes auxiliaires de la presse s'em¬ ployèrent tous pour adoucir notre silencieuse agonie. La place de la Concorde, avec ses grands souvenirs du temps passé,devint le centre de la vie des Parisiens: il y eut là comme une sorte de théâtre patriotique, dressé en plein air, sur lequel les Parisiens trouvaient le double plaisir d'être à la fois acteurs et spectateurs. Les murs étaient couverts de proclamations de diffé¬ rentes couleurs : les couleurs écarlate, magenta, rose d'œillot, lilas, étaient celles des républicains des diffé¬ rentes nuances; le vert foncé ou d'autres couleurs sombres appartenaient aux positivistes; la couleur blanche était réservée aux affiches du gouvernement. C'est avec des affiches blanches que les sages s'adres¬ sent à la foule; c'est aussi la couleur choisie par l'idole des multitudes, par Ilugo, le roi des poètes, qui, de ses doigts inspirés, fait, comme un chantre, résonner la lyre de Pindare. PRÉPARATIFS DU SIÈGE 27 « Que toutes les communes se lèvent! que toutes les campagnes prennent l'eu! que toutes les forêts s'emplissent de voix tonnantes ! Tocsin ! tocsin ! Que de chaque maison il sorte un soldat; que le faubourg devienne régiment, que la ville se fasse armée... « En marche! Lyon, prends ton fusil; Bordeaux, prends ta carabine; Rouen, tire ton épée; et toi, Mar¬ seille, chante ta chanson, et viens terrible... Roulez des rochers, entassez des pavés, changez les socs en haches, prenez les pierres de notre terre sacrée, lapi¬ dez les envahisseurs avec les ossements de notre mère la France... Que les rues des villes dévorent l'ennemi... Que les tombeaux crient, que derrière toute muraille on sente le peuple et Dieu, qu'une flamme sorte partout de terre, que toute muraille soit un buisson ardent!... Quant à l'Europe, que nous importe l'Eu¬ rope! Qu'elle regarde, si elle a des yeux ! 1 » Cela eût certainement été une chose heureuse pour Paris s'il eût suffi, pour le satisfaire, de traduire le sentiment patriotique avec un art aussi grand. Mal¬ heureusement, le ridicule l'emportait sur le sublime. La statue de Strasbourg devint bientôt grotesque sous les disgracieuses guirlandes de (leurs, qui lui servaient de coiffure. Des gamins assis sur ses bras et sur ses genoux s'y livraient à leurs jeux ordinaires, et de vieux messieurs, montés sur son piédestal, faisaient de leur mieux pour se faire écouter du public qu'ils haran¬ guaient. Quoi, encore! Le Figaro, prodigue de louanges, demandait que l'on conférât la croix de la Légion d'honneur à cette idole. A Paris, nous étions tous dans l'état fiévreux d'un homme qui est sur le point de se battre en duel : 1. Voir la proclamation entière à la fin du volume, note I. 28 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. « Nousfumions beaucoup, nous jetions auvent de nom¬ breuses bouffées de fumée de nos cigares; nous tour¬ nions cl retournions nos cannes dans nos mains; nous buvions force liqueurs, et, nous nous regardions dans la glace; puis nous demandions à nos seconds s'ils nous avaient jamais vus aussi calmes. » Alfred Assolant, un des rédacteurs du Paris-Journal, nous donne aujourd'hui môme la réponse : « Je ne sais, dit-il, si on me croira, Paris n'a jamais été aussi gai, qu'il l'est en ce moment. » Nous supportons avec impa¬ tience le silence général qui nous entoure, il tue notre courage; il faut que nous fassions du bruit, que nous nous remuions, et que nous ayons l'air de faire quelque chose. Quand, sur le champ de bataille, les soldats sentent que leur dernier moment approche, ils brû¬ lent leurs dernières cartouches contre des ennemis imaginaires. Nous, nous faisons feu de toutes sortes d'extravagances. Nous ne cessons de dire que nous brûlerons Paris; que nous le ferons sauter; que les catacombes sont minées et que Paris sera le tombeau de ses ennemis. A la forte conviction, que nous avons de ne pouvoir être vaincus, il faut ajouter la persistance de notre foi dans l'espérance, notre méthode succincte et facile d'expliquer nos défaites à notre avantage, la puissance et le prestige que nous accordons volontiers au chan¬ gement des noms des choses et des faits. — La Répu¬ blique a été acceptée par la grande majorité du peuple comme le deux ex machina de la victoire. Ce n'est pas la France, mais bien l'Empire, qui a subi les défaites; — « maintenant nous avons changé tout cela », nos armées sont républicaines et tout est à recommencer. Nous sommes forts et notre imagination est prompte à voir également les hommes et les choses tels que nos nouvelles fantaisies désirent qu'ils soient. Un peu PRÉPARATIFS DU SIÈGE. 29 de rouge ici, un peu de poudre là et Paris apparaît sous un nouveau jour; le bonnet phrygien, résolu¬ ment posé sur le côté de sa tôle, complète sa toilette de siège. 11 attend l'ennemi et compte les minutes sur sa montre. 2. CHAPITRE II COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS Mardi 10 septembre. — Hier, dans notre tranquille avenue de Breteuil, nous avons entendu le premier coup de canon, le vrai, celui qu'on attendait depuis si longtemps avec anxiété. Dans la ville, on disait, pen¬ dant toute la matinée, qu'on se battait du côté de Clamart. Un peu avant midi, nous vîmes des cuiras¬ siers qui retournaient, au petit pas de leurs chevaux, dans leurs quartiers au Champ de Mars. Rien, dans leur tenue, n'indiquait qu'ils revinssent du champ de bataille. Us se tenaient droits et fermes sur leurs che¬ vaux bien pansés, ils avaient l'air de suprême indiffé¬ rence qui est particulier aux vieilles troupes ; leurs casques étaient tous brillants et leurs cuirasses toutes neuves étincelaient au soleil. Tout cela devait bientôt changer. Une foule de fugitifs se précipita tout à coup dans les principales avenues qui vont de Montrouge et do Chàtillon aux différents quartiers de la rive gauche. Parmi les fugitifs et au milieu d'une abominable con¬ tusionnes gendarmes à cheval tout furieux cherchent COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. 31 à dépasser un long train de chariots militaires et de voitures d'ambulances pleines de soldats blessés; ils poussent en avant pour arrêter la fuite de l'infanterie et ils finissent par se joindre à tous les fuyards. Des zouaves, en débandade, expliquent au peuple avec force gestes pour quelle raison ils ont battu en retraite. Ce n'est pas qu'ils aient manqué de courage, la chose est naturellement impossible, mais ils ont manqué de munitions. Quelques-uns ont l'effronterie de montrer leurs cartouchières, et le plus sou vent, quand on les exa¬ mine avec attention, on s'aperçoit qu'elles sont encore pleines de cartouches. De jeunes soldats de la ligne haranguent les femmes compatissantes qui les entou¬ rent en foule. Us tiennent tous le même langage : « Nous sommes trahis, disent-ils, Trochu nous a con¬ duits au massacre. Les Prussiens ont pris nos mitrail¬ leuses et cette nuit ils seront dans Paris. » — « Le fort de Vanves va se faire sauter. » — « Tout cela est bien triste », s'écrient toutes ces femmes avec la grande commisération naturelleà leurs cœurs, et sur-le-champ elles donnent des secours à ces héros trahis ; elles leur donnent à boire et à manger. Mais voici les gardes nationaux ; en arrivant ils font beaucoup d'em¬ barras, et ils ne tardent pas, pauvres Dumanets qu'ils sont, à se retirer dans les corps de garde les plus près d'eux. On dit que quelques fuyards ont abandonné leurs cartouches et même leurs fusils aux vauriens des faubourgs, qui, certainement, n'ont pas l'intention de s'en servir contre les Prussiens. On sait d'ailleurs que la plus mauvaise partie de la population est par¬ ticulièrement habile à profiter de toutes les occasions qui se présentent, pour se procurer des armes contre la société. Vers les trois heures de l'après-midi, la panique semble être à son apogée sur le boulevard Saint- 32 A PARIS Pli NI) ANT LE SIÈGE. Michel ; r'esl le moment où une longue lile de caissons y arrive ; ils viennent de Cliûtillon où l'artillerie a laissé sept ou huit canons entre les mains de l'ennemi. Le boulevard était alors rempli d'une l'ouïe de gens divisés en plusieurs groupes ; ils s'efforçaient de saisir au pas¬ sage tout ce qui se disait parmi les artilleurs ; au besoin, ils amplifiaient les nouvelles ainsi apprises. Les artil¬ leurs étaient fort embarrassés pour répondre aux questions qu'on leur faisait sur les résultats du com¬ bat. Il était tout à fait dangereux de se trouver au milieu d'eux, car s'ils venaient à s'imaginer qu'on mettait en doute les informations précises et correctes qu'ils donnaient, ils vous accusaient immédiatement d'être un ublan déguisé en bourgeois et la foule ne manquait pas de reconnaître que vous aviez en par¬ lant un accent étranger. Le peuple n'était pas seul à être troublé par cette panique ; nos gouvernants novices l'étaient autant que lui. Au premier coup de canon, ils paraissaient avoir perdu la tète tout comme des pro¬ priétaires ruraux pendant l'orage1. Un de mes amis, t. Cette défaite de Châtillon avait une importance extrême. En effet, le résultat de cette bataille, que l'énergie de quelques trou¬ pes placées sur l'aile droite rendit indécise jusqu'au soir, avait été contre nous; les Prussiens avaient pris Châtillou. Quelques canons à peine défendaient la redoute et les tranchées ne suffi¬ saient pas pour abriter nos tirailleurs. L'insistance de nos officiers avait été stérile. La clef de la défense était prise. Un cercle de 1er allait pouvoir s'étendre autour de Paris. Le même jour, le 6e bataillon de la Seine, dont l'histoire est liée à la nôtre, abandonnait Montretout dont les remparts inachevés étaient impuissants à le protéger. L'ennemi occupa aussitôt les hauteurs qui dominent le fort d'Issy, de Vanves, de Montrouge et commença ces gigantesques batteries qui lui permirent de bom¬ barder les forls et l'enceinte. La route île Choisv à Versailles l'ut couverte de fascines par lesquelles les grosses pièces Krupp pouvaient monter sans bruit. Plusieurs étages de retranchements s'élevèrent sur les flancs du coteau. Une batterie placée au Moulin- de-Pierre était à 1 000 mètres du fort de Vanves. Les cent-gardes de l'empereur étaient présents sur le champ COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. Ti qui avant-hier, dans l'après-midi, a rencontré Gam- belta dans la rue, nous a raconté que le jeune mi¬ nistre était dans un état de surexcitation furieuse et qu'il s'est soulagé en répétant plusieurs fois ces mots : « Je vous dis que ces b... (les Prussiens) sont à la porte Maillot. >> Le spectacle le plus triste qu'il fût possible de voir, même de loin, était la retraite géné¬ rale du corps d'armée de Ducrot ; elle a duré pendant plusieurs heures de la nuit. Nous avons entendu la lourde démarche de ces malheureux soldats quand ils sont arrivés dans notre avenue de Breteuil, affamés, cle bataille. Ils attendaient avec impatience l'ordre de prendre part à l'action. Cet ordre ne leur fut pas donné. 19 septembre. Combat de cliatillon. « On nous fait immédiatement ranger en bataille, et le corps du général La Caussade, auquel nous avions été annexés, se met en route. Bientôt le soleil se leva sur nous, ce fut alors un admirable spectacle, dont le souvenir restera à jamais gravé dans la mémoire de ceux qui ont assisté aux préparatifs de la bataille. Vingt mille hommes s'avançaient d'une seule pièce; les canons de fusil scin¬ tillaient aux premiers rayons du jour. Devant nous, c'étaient les longs replis de l'infanterie disposée par files. Derrière nous, c'était la cavalerie; un escadron d'anciens cent-gardes, qui avaient con¬ servé leur éblouissant costume, se détachait sur l'horizon lumi¬ neux. Les cavaliers semblaient des géants dorés. Un silence ma¬ jestueux régnait autour de nous Nous ciions alors au centre même de l'action; tout autour de nous les obus éclataient, soule¬ vant une poussière rouge; nous voyions au-dessus de nos télés les cercles gracieux de fumée blanche que l'explosion produisait. L'artillerie restait cependant à son poste. A ce moment, on donna à la cavalerie l'ordre de charger. Ce fut un admirable coup d'œil. Les cent-gardes s'avançaient lentement au milieu de la plaine; les rangs s'étaient ouverts devant eux. On eût dit une masse d'acier et d'or qui se mouvait. Impassibles sous le feu qui redou¬ blait, ils attendaient l'ordre de s'élancer sur l'infanterie ennemie qui marchait toujours. Cet ordre ne devait pas venir. (Extrait des Souvenirs de la campagne de Paris, par Ambroise Rendu, ancien officier des mobiles.) Le corps des cent-gardes, créé le 24 mars 18.44, n'a été licencié par décret du gouvernement de la Défense nationale que le :i octobre 1870. 34 A PARIS PENDANT LE SIEGE. fatigués, les pieds en sang, et tout abattus. Au milieu d'eux, il y avait des charrettes à moitié brisées, pleines de soldais blessés qui, étendus sur des lilières tachées de sang, criaient comme des animaux, à moitié mas¬ sacrés. Des habitants sortaient, il la dérobée, de leurs maisons et se tenaient cachés prés des portes cochè- res; d'autres quittaient leurs lits, se mettaient à leurs croisées, derrière les rideaux ; tous voulaient voir il leur passage ces horreurs qu'on cherchait h cacher et auxquelles le mystère de la nuit donnait une attrac¬ tion encore plus horrible. Au milieu de toutes ces tristesses, nous éprouvons, le matin, quelque soulagement à voir que le soleil n'a pas oublié do se montrer et de briller au-dessus de nos tètes, et à constater que Paris est encore tel que le veut sa nature, aussi brillant, aussi beau, aussi in¬ souciant et aussi oublieux qu'il l'a jamais été. Main¬ tenant qu'une bonne nuit de sommeil a passé sur nos premières émotions, nous sommes prêts pour les évé¬ nements que le siège ne peut manquer d'offrir à notre curiosité, surtout si le temps continue à être beau. Nous nous proposons d'aller, cette après-midi, au Tro- cadéro. Une dame qui demeure dans notre maison nous dit que la vue qu'on a des hauteurs du Troca- déro est splendide, et qu'une foule de personnes's'y trouvaient réunies, hier, pour suivre les péripéties de la bataille qui se livrait juste en face, sur les hauteurs de Clamart et de Châtillon, à 3 ou î milles de distance. « Elle n'a pas vu de Prussiens, » car ces barbares se tenaient invisibles, comme des traîtres, dans leurs ca¬ chettes,1. Il est possible qu'ils consentent cette après- midi à nous montrer leurs casques. I. Les sentinelles prussiennes et les vedettes faisaient souvent dans la terre des trous profonds dans lesquels elles se tenaient cachées pour observer l'ennemi sans être vues. COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. Jeudi 1*1 septembre. — Depuis mardi, on parle va¬ guement dans le public de négociations qui seraient entamées avec l'ennemi. Le journal de M. Ernest Picard1, Y Electeur libre1, a révélé, avec une indiscré¬ tion voulue, la visite de Jules Favre à Ferrières3, qu'on voulait tenir cachée ; tout aussitôt on en a conclu dans le public qu'un armistice était chose certaine. Le silence observé par le gouvernement était de mauvais augure ; de grandes difficultés étaient certainement survenues, sans compter que l'attitude des rouges devenait de plus en plus menaçante. Pour les conten¬ ter, le gouvernement ne cessait de répéter la formule 1. M. Ernest Picard était un des cinq députés qui, sous l'Em¬ pire, formaient à eux seuls toute l'opposition. Éloquent, spiri¬ tuel, espiègle comme un enfant de Paris, il a été un adversaire loyal. Il a fait plus que tout autre pour la défense des principes libéraux. Après le \ Septembre, il devint membre du gouverne¬ ment de la Défense nationale et ministre des Finances. Il a eu pour secrétaire général M. Albert Liouville, avocat à la Cour d'appel de Paris, qui, dans ces jours d'épreuves, s'est dévoué tout entier à l'intérêt de la chose publique. 2. On lisait dans Y Electeur libre : Les négociations paraissent entamées pour la conclusion d'un armis¬ tice. Nous avons annoncé le départ de M. Jules Favre et de son sous-chef de cabinet. M. Ring, pour le quartier général du roi de Prusse. Le mi¬ nistre est parti, en effet, dimanche à 6 heures du matin. Depuis dix jours, lord Lyons avait demandé cette entrevue. La réponse a tardé, mais elle est arrivée ; elle était favorable. Le vice-président du gouvernement de la Défense nationale ne pou¬ vait entreprendre une pareille démarche qu'avec la certitude d'un accueil digne de la France et l'espoir bien fondé d'une bonne solution. Aussi comptons-nous sur un résultat immédiat et conforme à nos vœux. Lord Lyons ne se serait pas entremis et M. Jules Favre n'aurait pas quitté son poste pour n'emporter qu'une déception. Il y a donc lieu de croire que l'armistice va être conclu et qu'il en sortira bientôt la paix. Une paix honorable : la France n'en accepterait pas d'autre. 3. Ferrières est un château qui appartient à M. de Rothschild. Il est situe à Ferrières, village de Seine-et-Marne, à 27 kilomètres de Meaux. C'est dans ce château qu'eut lieu le 20'septembre 1S70 une entrevue entre M. Jules Favre et M. de Bismarck. A RARIS PENDANT LE SIEGE. toute faite, qui était comme l'ultimatum dg sa poli¬ tique : « Ni un pouce de terre, ni une pierre, etc. » Gambetta fait des proclamations patriotiques dans lesquelles il invoque les souvenirs républicains du 21 septembre 1792, et il nous invite tous à nous mon¬ trer dignes de Danton et de Vergniaud*. La garde na¬ tionale répond à cet appel en paradant sur la place de la Concorde, où elle présente les armes à la statue de Strasbourg; puis, après avoir couvert l'idole de fleurs 1. Proclamation du gouvernement : On a répandu le bruit que le gouvernement de la Défense nationale songeait à abandonner la politique pour laquelle il a été placé au poste do l'honneur et du péril. Cette politique est celle qui se formule en ces termes : Ni un ponce de notre territoire, ni mie pierre de nos forteresses. Le gouvernement la maintiendra jusqu'à la fin. GÉNÉRAL TROCHU. GARNIER-PAGÈS. EMMANUEL ARAGO. E. PELLETAN. JULES FAVRE. ERNEST PICARD. JULES FERRY. ROCIIEFORT. GAMBETTA. JULES SIMON. Le ministre de la Guerre, GÉNÉRAL LE FLÔ. Le ministre tir l'Atjrientture et du Commerce, M. MAGNIN. Le ministre des Travaux publies, M. DORIAN. Fait h l'IIÔtel de Ville, 1<- 20 septembre 1870. 2. Proclamation de Gambetta : Citoyens, C'est aujourd'hui le 21 septembre. Il y a soixante dix-huit aDs, à pareil jour, nos pères fondaient la République et se juraient à eux-mêmes, en face de l'étranger qui souil¬ lait le sol sacré de la patrie, de vivre libres ou de mourir en combattant. Ils ont tenu leur serment; ils ont vaincu et la République de 1792 est restée dans la mémoire des hommes comme le symbole de l'héroïsme et de la grandeur nationale. Le gouvernement installé à l'Hôtel de Ville aux cris enthousiastes de : COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. 37 d'immortelles, elle marche en colonnes serrées, au son du tambour et bannières déployées, sur la place de l'Hôtel-de-VilIe ; « elle y manifeste contre la paix. » Gambetta vient la recevoir; debout, devant le portail de l'Hôtel de Ville, il lui parle avec toute l'éloquence dont il est capable. Le maire, Arago, content de jouer les seconds rôles là où il ne peut pas jouer les pre¬ miers, jure dans un coin, sans pouvoir réussir à se faire entendre, que « tant qu'il vivra, aucun Prus¬ sien ne souillera l'Hôtel de Ville par sa présence ». Jules Favre, revenu de Ferrières mardi dernier, était, lui, occupé à faire le rapport officiel de son entrevue avec le chancelier fédéral; quant à nous, nous nous préparions à lire un morceau d'éloquence, écrit dans la langue académique la plus pure : il avait demandé trois jours pour le composer et trois heures pour le lire. Ce factum, si impatiemment attendu, paraît aujourd'hui dans les colonnes du Journal officiel ; il soulève une tempête d'indignation. Les rouges en veulent à Jules Favre, parce qu'il a pleuré; la classe moyenne de la société lui sait au contraire bon gré de ces mêmes pleurs. 11 y a cependant un point du factum, un seul, qui est généralement approuvé par tout le monde : c'est le passage dans lequel il reconnaît qu'il est impossible de faire la paix avec des Vandales tels que M. de Bis¬ marck et son royal maître dont nous punissons l'or¬ gueil par ceLte clause : Pas un sou de notre trésor. «Vive la République ! ne pouvait laisser passer ce glorieux anniversaire sans le saluer comme un grand exemple. Que le souille puissant qui animait nos devanciers passe sur nos âmes et nous vaincrons. Honorons aujourd'hui nos pores et demain sachons, comme eux, forcer la victoire en affrontant la mort. Vive la France! Vive la République! I.r ministre tir l'Intérim,'. LÉON OA MU ETTA. l'aris, 2J septembre 187U. 3 38 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Nous ajoutons celle clause au défi sans condition que nous adressons à l'ennemi. Paris prend, à partir de ce moment, ses dernières dispositions pour la résistance, et il se décide, de propos délibéré, à commettre l'hé¬ roïque folie de soutenir un siège. Vendredi 23 septembre. — Victoire! Pendant toute la matinée nous avons entendu le canon gronder du côté du midi, et voilà que maintenant les nouvelles se répandent dans les rues comme des traînées de poudre : Nous avons tué 20 000 Prussiens ou à peu près, et 30 000 sont en ce moment cernés. On les a sommés de se rendre : mais ils sont intraitables et ils refusent... Quelques tours de nos mitrailleuses les mettront à la raison. Il ne faut faire aucune merci à ces hordes de barbares. Souvenez-vous, dit-on, du langage que ce Vandale de Bismarck a tenu à Jules Favre. Sur les boulevards, nous faisons un beau mas¬ sacre de nos ennemis; le chiffre des tués va toujours se multipliant par milliers. C'est d'abord 20 000, puis 30 000, enfin 00 000. Quant aux prisonniers, nous nous contentons d'en avoir fait 1,3 000. Quelqu'un se hasarde à demander dans quel endroit on les a con¬ duits : « Monsieur, lui répond-on, je vous dis qu'ils ont été conduits ici, à la tombée de la nuit, afin d'éviter une démonstration ; ils sont cachés dans les baraques de l'Kcolc Militaire. » Un monsieur de sentiments plus modérés nous engage à être calmes et à conserver cette dignité qui convient à des vain¬ queurs. Il sait de bonne source que la journée a été excellente et que le général Vinoy, à son retour, avait la tenue d'une personne satisfaite'. Nous cherchons 1, Un combat avait eu lieu à Villejuif; il avait été heureux : le soir, vers dix heures, on posa l'at'tiche suivante à la mairie de la rue Drouot : Voici la vérité ; nous avons repris Villejuif et le Mouliu-Saquet. A l'est. COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. J9 alors à savoir combien il faut qu'on ait fait de prison¬ niers pour que la ligure du vieux soldat ait dessiné un sourire; mais les cafés sont fermés à dix heures et demie (du soir), par ordre du comte de Kéralry, préfet de police; et les théâtres ne jouent pas par crainte du bombardement; ceci nous décide à faire un tour de promenade en plus sur le Boulevard et nous regagnons notre lit, notre dernier refuge contre l'ennui. Dimanche 25 septembre. — Nous avons subi trois jours de manifestations, un jour de victoire et sept jours de siège; peut-être avons-nous bien gagné notre dimanche? Le temps est si merveilleusement beau qu'on oublie les Prussiens et ils ont tant de respect pour le jour du sabbat qu'il est plus que probable qu'ils nous oublieront aussi. Il n'y a qu'une semaine que le siège est commencé; mais pour les Parisiens, c'est bien long, il faut le reconnaître. Nous ne pou¬ vons pas toujours parler de bombardement, projeter de nous faire sauter, de faire de Paris la tombe de ses ennemis et persévérer dans ces pensées jusqu'au jour où nous l'aurons converti en un charnier ou en un sépulcre. Il vaut mieux certainement rendre Paris agréable, aussi agréable que les Prussiens et Belleville le permettront. C'était bien réellement pour chaque habitant une étrange sensation que celle de ne rece¬ voir aucune lettre de ses chers absents. On n'en était cependant pas encore trop attristé : 1111 peu de silence et un peu d'absence n'ont jamais nui au bonheur d'un ménage parisien. Les Parisiens ont d'ailleurs une étonnante disposition à la résignation; c'est le summum bonum de leur philosophie! En ce moment, nous avons débusqué l'ennemi de la Courneuve et du Bourget. Eu somme, bonne, tics bonne journée. Pour copie conforme : Lu iiittirr, RANC. 40 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. c'est un fait universellement admis <|iie nous ne pou¬ vons plus aller au delà des l'orlilicalions. La dernière tentative faite pour sortir de Paris et aller dans les environs a été essayée, je crois, par une vieille dame naïve; elle voulait prendre l'omnibus cpii faisait le service de Ville-d'Avray. Elle fut toute surprise de s'en¬ tendre dire que Ville-d'Avray était en Prusse et qu'elle se ferait fusiller si elle essayait d'y aller. La perspective du bombardement nous rend parfois inquiets, nous surtout, les paisibles habitants de la rive gaûchc, qui nous savons à la portée des canons de Chàtillon. Mais y a-l-il quelque chose qui puisse nous rendre la vie malheureuse? Si de ce côté-ci de la Seine nous restons chez nous, de l'autre côté de l'eau le peuple continue à s'amuser aux Champs-Elysées le dimanche dans l'après-midi. N'avons-nous pas d'ail¬ leurs pris contre le bombardement, si grandement redouté, louLes les précautions convenables et utiles? Un aperçoit dans la cour de chaque maison un petit tas de sable, et au pied de chaque escalier deux mi¬ nuscules brocs d'eau. Je m'informe auprès de madame ma concierge des motifs de ces préparatifs guerriers : « Ah! Monsieur, me répond ce digne fonctionnaire, qui profile de l'occasion pour se reposer des fatigues que lui cause le balayage de la maison, le gouverne¬ ment nous a dit de mettre du sable dans les cours et des seaux d'eau au bas des escaliers ; maintenant qu'ils y sont, nous sommes complètement à l'abri du dan¬ ger. Espérons-le. » Un a pris aussi des précautions d'un autre genre pour prévenir les dangers du bom¬ bardement. Toutes les quatre ou cinq maisons on voit flotter à la porte de l'une d'elles un petit étendard blanc portant la croix de Genève; mais elle serait bien grande la simplicité du blessé qui, sur la foi de ce pa¬ villon, irait frapper à la porte de la maison pour de- COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. 41 mander un lit. Tôt ou tard, selon le degré de son in¬ telligence, il découvrirait que le drapeau à la croix de Genève n'a été arboré que comme un talisman contre les bombes des Prussiens. Charité! ils sont nombreux les péchés qui se commettent sous la puissante pro¬ tection de ton nom. Qui peut dire toutes les lâchetés, toutes les prétentions ambitieuses et toutes les petites vilenies qui se cachent sous ta belle livrée? Et aussi, je tremble en le disant, à combien de flirtations ne se livrc-t-on pas, tout en faisant ton service? Un grand nombre de « belles dames » se sont enrôlées dans les ambulances ; habillées de robes noires et le brassard do la croix de Genève au bras, elles sont devenues ce que les Anglais expriment par ces mots : « so becoming » et les Parisiennes par ceux-ci : « si intéressantes. » L'Arc de Triorftphe et le pont du chemin de fer d'Auteuil sont maintenant le but favori de mes pro¬ menades. J'y ai été cette après-midi comme tout le monde le fait; nous y sommes restés des heures ;\ examiner la forteresse du Mont-Yalérien avec nos lorgnettes de théâtre, nous étonnant quand nous voyons tout à coup de la fumée blanche tourbillonner au-dessus de la forteresse. « Je voudrais bien qu'ils livrent un combat, qu'ils fassent le bombardement ou quelque autre chose, s'écria une belle dame en s'adressant à son cher Adolphe. Vraiment, mon cher, ajouta-t-elle en bâillant, tout cela est bien ennuyeux. » Notre patriotisme nous soutient, il est vrai, mais les Parisiens ne peuvent pas vivre que de sentiments. Ils se consolent à la pensée que les Prus¬ siens, depuis qu'ils ont entendu parler des manifes¬ tations de la semaine dernière, ont peur de nous et qu'ils regrettent d'avoir commencé le siège de Paris. Je communique à un ami l'idée que les Prussiens ont peut-être le projet de nous affamer, et je lui fais re- 12 A PARIS PENDANT LE SIECJE. marquer que nous ne faisons rien pour prévenir celle extrémité '. Celle idée mo fail loul de suite passer pour « un pessimiste ». Il me semble que depuis la semaine dernière « les pessimistes », comme nous les appelons, ont changé de manière de voir. « Joseph Prud'homme », ce type du bourgeois repu qui, ces jours derniers, désirait certainement faire la paix à quelque prix que ce fût plutôt que de subir le siège, est trop heureux aujourd'hui d'avoir fait deux décou¬ vertes : la première, qu'il peut vivre sans « madame Prud'homme », son épouse, qu'il s'efforce, la bonne âme, de croire à l'abri des attaques des uhlans dans sa province; la seconde, qu'il peut tenir un fusil dans ses mains et monter la garde. En un mot, il est si fier des preuves qu'il donne de son courage, en passant la nuit à monter la garde sur les remparts et le jour à servir ses clients, qu'il est pour le moment transformé en un véritable héros et qu'il soutient que Paris ne pourra pas être pris. Belleville, qui fait réellement peur au courageux M. Prud'homme, a une confiance moins assurée. Belleville n'a-t-il donc pas à se plaindre du gouvernement? Félix Pyat réclame la Commune et il ne veut pas qu'on la lui refuse. Blanqui et les clubs insistent pour qu'on fasse une perquisition gé¬ nérale dans les maisons et dans les caves des riches. 11 serait bien possible qu'on y trouvât toutes sortes de provisions qui pourraient servir à l'entretien des patriotes; mais cette façon de faire est contraire à tous les principes de « l'Économie politique ». C'est vraiment une chose bien fâcheuse pour l'Kconomie 1. Pendant les derniers jours de l'Empire, M. Clément Duver- nois, ministre du Commerce, avait fait entrer dans Paris une très grande quantité de vivres de toutes sortes. Ces approvision¬ nements, laits pour ainsi dire à l'insu de tous, ont permis à Paris de résister à l'ennemi jusqu'à la lin»de janvier 1871. COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. 43 poliIiqun que l'existence des sièges qui troublent ses préceptes! Les bouchers semblent être bien plus orthodoxes en ces matières. Si on les abandonnait à leur instinct naturel, la loi de l'offre et de la demande amènerait certainement notre destruction. En l'état actuel des choses, malgré les tarifs et les règlements imposés par l'Etat, il est presque impossible de trou¬ ver de la viande en quelque lieu que ce soit. Ce n'est pas à dire qu'on ne puisse s'en procurer chez les bou¬ chers; mais on ne peut pas arriver jusqu'à leur porte. Un garde national se tient tout auprès et il vous me¬ nace de vous transpercer de sa baïonnette si vous no reculez et ne prenez votre tour dans la queue des affamés. Pour pénétrer dans la boutique et arriver à se procurer de la viande, il faut en connaître l'entrée particulière et mystérieuse, et aussi un certain para¬ vent derrière lequel se tient « madame la bouchère; » ainsi cachée, elle regarde au dehors la pluie ou le so¬ leil, tout en distribuant ses sourires et ses côtelettes de mouton à ses pratiques privilégiées. Ces procédés sont connus du peuple; il en est exaspéré et il réclame une juste sévérité qui sauvegarde l'égalité. Mais le gouvernement ne paraît pas encore décidé à rationner la viande. Dans les marchés publics, on achète de la viande de cheval avec un grand empressement; le filet et les morceaux de choix sont réservés pour la table de « messieurs les riches », dont les injustices dépassent toute mesure. Parmi les pauvres, on a peut-être une prévention plus' marquée contre la viande de cheval; cependant, dans l'ensemble de la population, le plus grand nombre des habitants se fait à ce genre de nourriture. On dit bien aussi, mais quelque peu vaguement, que des chats et des rats ont été mangés. Ceux qui en mangent et qui semblent ainsi devancer l'avenir sont, pour la plupart, des U A PARIS PENDANT LE SIÈGE « badauds blasés » et des « dilettanti » qui continue¬ ront à jouir de leurs aises jusqu'au dernier jour du siège; ils sont pressés do devenir des personnages historiques. La fièvre de l'espionnage a un peu diminué; elle n'est pas, cependant, sans offrir encore quelque dan¬ ger, surtout pour ceux qui ont la chance d'habiter au quatrième ou au cinquième étage et qui, le soir, lisent un roman dans leur lit à la clarté d'une lampe cou¬ verte d'un abat-jour vert; il y a alors beaucoup de chance pour qu'une bande de gardes nationaux, avant même qu'on en soit arrivé à la description de l'hé¬ roïne du roman, envahisse votre chambre, vous tire hors de votre lit et vous accuse d'être un espion en correspondance avec les Prussiens au moyen de signaux de couleur. Je l'ai, moi-même, échappé belle, l'autre jour, alors que je me promenais tranquille¬ ment sur les hauteurs de Montmartre pour jouir de la vue des villages qui l'entourent. Les patriotes, et surtout ceux de Montmartre, ont un goût prononcé pour la mise en scène et pour tout ce qui fait de l'embarras. Ce goût les porte à soup¬ çonner tout le monde. Je regardais depuis quelques minutes seulement le soleil, qui illuminait de sa res¬ plendissante clarté les hauteurs de Montmartre, lors¬ qu'un citoyen vint îl moi; il me dit qu'il désirait savoir où Monsieur habitait parce qu'il lui semblait que Monsieur n'appartenait pas au quartier; il était étonné que Monsieur pût venir sur ces hauteurs es¬ carpées rien que pour voir le pays. Je fus immédiate¬ ment entouré par un grand nombre de gardes natio¬ naux. Un d'eux, malheureusement pour moi, se rap¬ pelait m'avoir vu passer deux l'ois dans la même rue devant la Mairie : cela lui paraissait véritablement très étrange. Je vis alors que j'étais 1111 homme perdu si je COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. 45 ne leur faisais un discours; je fis un effort et coura¬ geusement je commençai : « Citoyens, je serai certai¬ nement très heureux de répondre à vos questions. Avant de le faire, laissez-moi vous dire combien j'ad¬ mire votre prudence inquiète. Nos amis de la Chambre fédérale seront bien fiers d'apprendre que Montmartre a un œil aussi vigilant sur les traîtres. Notre plus mau¬ vais ennemi est la réaction. » Les citoyens ne me lais¬ sèrent pas en dire davantage et, interrompant tout aussitôt ma harangue, ils me firent beaucoup de com¬ pliments. Je fus assez généreux pour les accepter, puis je m'empressai de me retirer dans un endroit moins bien surveillé par la garde nationale. Je ne me suis jamais senti bien brave en face du « citoyen-soldat»; sa présence m'anéantit, ses bottes m'effraient, et son képi inspire de la terreur à mon âme. Un fusil, après tout, n'est jamais dans les mains d'un soldat qu'un fusil; mais dans les mains d'un citoyen il est quelque chose de bien terrible... et son propriétaire me cause un véritable effroi quand je m'aventure sur les rem¬ parts. Je rentre alors en moi-même et j'interroge ma conscience. Dans mon trouble, je vais jusqu'à m'ima- ginor que je suis un Prussien et que Bismarck me paie pour aller en avant prendre des notes sur ce que je vois. Pour la première fois des nouvelles nous arrivent des départements. Elles nous donnent des rensei¬ gnements réconfortants sur ce qu'on fait à Tours pour secourir la capitale. Les deux vieux avocats, MM. Crémieux et Glais-Bizoin, étaient-ils les hommes qu'on aurait dû choisir? Étaient-ils capables d'ins¬ pirer aux provinciaux l'esprit de la résistance et de secouer cette universelle léthargie, qui menaçait de laisser Paris mourir lentement tout en traî¬ nant son agonie au milieu du silence général de la 3. iG A PARIS PENDANT LE SIÈGE. France1? Co n'était là pour le moment qu'une question secondaire. La nouvelle qu'un secours, quelque peu important qu'il lut, pouvait nous arriver, rompait agréablement le silence, si Fatigant pour nous, de celte dernière quinzaine. Une préoccupation commença dès lors à prendre le pas sur toutes les autres; il s'agissait de savoir quelles mesures on devait prendre pour ra¬ tionner les vivres. La quantité de celles dont nous pouvions disposer n'était pas exactement connue et la persistance, que les Prussiens mettaient à rester dans l'inaction, annonçait chez eux l'intention de nous ré¬ duire par un blocus très sévère; ce rationnement de¬ venait notre meilleur moyen de défense. Les embarras que l'on prévoyait dans l'avenir, et l'inaction si libé¬ ralement observée par la politique prussienne, per¬ mettaient au parti de la Commune de revivre et de reprendre des forces. Une grande agitation régnait dans les rangs de la garde nationale ; elle y était secrè¬ tement provoquée par les officiers dont l'esprit était révolutionnaire; ils poussaient les gardes nationaux à demander l'élection d'une Commune. 11 ne se passait pas de jours sans que le gouverne¬ ment reçût quelque nouvelle députation des faubourgs, qui essayaient leurs forces en lui présentant « au nom du peuple » des plans d'attaque contre les Prussiens, plans qui étaient des plus étranges et des plus contra¬ dictoires. Ils étaient tous d'accord pour condamner 1. Décret qui nomme une délégation du gouvernement, chargée de le représenter dans les provinces non occupées par l'ennemi : Le gouvernement de la Défense nationale décrète : M. Glais-Bizoiu, membre du gouvernement, et l'amiral Fourichon, ministre de la marine, se rendront «à Tours et y formeront, avec le garde des sceaux (Créraieux), la délégation du gouvernement de la Défense nationale, appelée à exercer les pouvoirs de ce gouvernement dans les départements non occupés par l'ennemi. Ces pouvoirs dureront autant que l'investissement de la capitale. Fait à l'Hôtel de Ville de Paris, le 10 septembre 1870. COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. 17 la nonchalance du gouvernement et demander qu'on prît des mesures plus rigoureuses. Flourens a établi son quartier général à Belleville, qu'il a fait sa propre chose ; il y commande cinq ba¬ taillons dévoués à sa personne. Le gouvernement, divisé par des dissentiments intérieurs, parlemente avec ses adversaires : il commence par promettre des ('•lections municipales ; puis il les ajourne et il finit par les refuser. Pour comprendre la conduite du gouver¬ nement, il faut bien connaître, non pas l'histoire offi¬ cielle, mais l'histoire secrète du 4 Septembre : IIle dies primus lethi, atque eu, prima malorum Causa fuit... Un de mes amis, dont j'ai déjà parlé dans ces pages, M. Jules Andrieu, homme de grande intelligence et de grande autorité dans les questions de tactique ré¬ volutionnaire, a obligeamment mis à ma disposition un travail1 consciencieusement fait sur le parti répu¬ blicain et sur les efforts qu'il fit, du mois de sep¬ tembre 1870 au mois de mars 1871, pour s'organiser complètement. Ses révélations éclairent la partie la moins connue de l'histoire du siège parce qu'elle en est la partie la plus secrète; elles mettent dans leur véritable jour et dans leur juste proportion une série de faits que la sotte bourgeoisie a déniés jusqu'au moment où elle a eu à en supporter les conséquences ; l'historien, lui aussi, s'est obstiné à vouloir les ignorer. Des événe¬ ments déjà anciens ont forcé l'univers à en recon¬ naître l'existence. 1. Voie à la fin du volume le travail complet envoyé par M. .Tules Andrieu à l'auteur de ce livre. Il l'intitule : De l'organi¬ sation du parti républicain de septembre 1S70 à mars 1871. On pourrait y mettre ce sous-titre : les Républicains jugés pur un Républicain. A PARIS PENDANT LE SIÈGE Moil ami écrivait le 15 mars, trois jours avant la honteuse l'nile du gouvernement de M. Thiers : L'all'aire de la Villeltc a prouvé, avant la chute de l'Em¬ pire, deux choses : 1° Que le parti républicain n'était pas organisé, puisque, à la suite des premiers désastres, il n'a pas, en faisant tomber l'Empire, prévenu Sedan, Metz et Paris. 2" Que les députés de Paris, qui avaient rêvé un com¬ mencement d'action, ont reculé devant l'acte. Camille Pel¬ letai) (le fils du député) m'annonçait un mouvement insur¬ rectionnel général pour l'avant-veille. Les députés de Paris ont donné un contre-ordre que le parLi blanquiste n'a pas reçu, ou mieux voulu recevoir. Gambetta en reniant à la tribune la légitimité de cette révolte, en doublant Palikao, Cambetta reniait tout simplement une complicité et men¬ tait, mais il n'en est pas chiche de mensonges. Le 4 septembre, en dehors des faits connus du public, il y a eu toute une collection de paroles, de silences, de com¬ promis, d'actes, de trahisons qui, moins répandus, éclairent l'histoire de ce jour fameux mais non glorieux. Une réunion, don! Grévy faisait partie avec les députés de Paris, fait voir clair dans la bêtise vaniteuse de ces his¬ trions. Tous étaient d'accord que la résistance était impos¬ sible. Grévy dit que des républicains ne devaient pas endosser la responsabilité de la faillite impériale. Ces messieurs do Paris pensèrent avoir la dextérité, la souplesse nécessaires pour faire la faillite et obtenir ce concordat qu'on appelle le pouvoir. Grévy pensa comme un sceptique, mais, conformant ses actes à sa pensée, agit bien en se tenant coi. Mais eux, les hommes de la gauche, qu'en penser? Ces messieurs de la gauche ne voulaient pas proclamer la République avec Vésinier' qui occupait la tribune du Corps législatif. La République a été proclamée sur la place de la Concorde. Gainbetta proposa d'aller à l'Hôtel de Ville, pour être plus il l'aise pour délibérer. C'est lui, lui tout 1. Vésinier, révolutionnaire ardent, a été le secrétaire de Eugène Sue. Il a été nommé membre do la Commune par le Ier arrondissement. COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. 40 seul avec ses amis, dans une pièce à pari, cpii a nommé Etienne Arago maire de Paris, et Kératry préfet de police. Itocliefort, en ce moment délivré de Sainte-Pélagie, en¬ touré, comme toujours, d'amis maladroits, reçoit de ces messieurs le baiser et l'accolade Lamouretle. Il remit à demain la chose sérieuse, l'organisation municipale ap¬ pelée la Commune. Celte Commune fut promise pur tous ces messieurs. Ce fut là le sous-entendu de la journée, le pacte tacite, par suite duquel les républicains qui firent le Quatre- Septembre laissèrent au pouvoir ceux qui en devaient, pro¬ fiter. Ce demain n'arriva pas et ne pouvait pas arriver. Le 4 septembre, au soir, place de la Corderie, au siège de l'Association internationale, Leverdays'parla d'affiches à apposer pour convoquer les électeurs à la nomination de cette Commune, de cette municipalité. On ne l'entendit pas, on remit à plus tard. Le lendemain il revint à la charge. Ce jour-là, par son refus d'entendre et de comprendre, l'Association interna¬ tionale perdit la République. On parla de faire un mani¬ feste — des paroles toujours! Les choses furent poussées si loin que Tolain qui, le 4 septembre, présidait la réunion, place de la Corderie, médit à moi-même ces mots : « Mon ami, nous sommes sur le chemin de la République uni¬ verselle ou sur celui de Cayenne ! » Trochu fit garder le Louvre et les Tuileries par la gen¬ darmerie. On dit alors que les d'Orléans y étaient cachés. Et tout dernièrement, d'Angleterre venait l'affirmation positive que, le 4, il jouait à la fois l'Empire le matin, la République l'après-midi, avec les d'Orléans présents et consentants. Un gouvernement de chicaneurs, qui ne se soutenait qu'en jouant un double jeu et en se livrant à une foule d'artifices dignes de petits avocassiers, ne pou¬ vait manquer plus tôt ou plus tard de tomber dans des difficultés qui sont devenues inextricables même pour l'habileté bien connue de M. Thiers. M. Jules Favre a certainement été fort embarrassé au mois d'octobre, quand Belleville fit valoir ses prétentions et demanda fièrement le prix de sa coopération à l'œuvre 50 A PARIS PENDANT LE SIÈGE do la journée du 1 septembre. Itochefort, interpellé par Fleurons el invité par lui à declarer ses intentions ol choisir entre le gouvernement, dont il était un des membres, el ses anciens associés, répondit, après être descendu au fond de sa conscience, « que dansl'in- térêtdc l'union il valait mieux renvoyer de semblables explications à un moment plus convenable. Les barri¬ cades sans doute prenaient en ce moment tout son temps. Créer un directeur des barricades et en confier les fonctions à Hochefort a été 1111 moyen, inventé par ses collègues, pour occuper son temps et son attention et l'empêcher de faire des sottises '. Gambetta épuisait le meilleur de son énergie dans ses luttes avec les dé- putations du parti communaliste; il tyrannisait ses collègues, hommes d'un tempérament des plus doux el peu préparés d'ailleurs à remplir les fonctions du gouvernement. Une longue carrière, fournie dans les assemblées impériales, les avait rendus tout à fait impropres à ces fonctions en les habituant à l'insou¬ ciance et à la rhétorique des casse-cou. Un tel état de choses énervait le pouvoir et l'empê¬ chait de s'occuper de la défense militaire de la capi- 1. Le 22 septembre, le gouvernement de la Défense nationale a créé un comité de défense et une commission des barricades: 1° Le comité de défense. Le gouvernement de la Défense nationale décrète : Sont nommés membres du comité de défense : MM. Arago (Fmmanuel); Garnier Pagès, Gambetta. Sifjnti : générai, trociiu, j. favre, j. simon, jui.ks ferry, ernest picari), henri rochkfort eugène pklletan. Fait <'i Paris, 22 septembre 1870. 2" La Commission chargée de la construction des barricades est composée comme il suit : MM. Henri Rochefort, membre du gouvernement de la Défense natio¬ nale : Dorian, ministre des travaux publics: Gustave Flourens; Jules Basii'e. ancien ministre de la République; Martin Bernard: Floquet. adjoint au maire de Paris; A. Dréo, secrétaire adjoint du gouverne- neinent de la Détense nationale. COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. lit taie. C'est en vain que le général Trochu essaya d'in¬ troduire la discipline dans les rangs de la garde nationale; son oisiveté bien payée et les mauvaises habitudes, qu'elle contracta, la rendirent tout à l'ait incapable d'organisation. Les gardes nationaux ne savaient ni travailler ni employer utilement leur temps. Leurs fonctions militaires étaient pour ainsi dire nomi¬ nales : deux heures d'exercice par jour et à tour de rôle une nuit à passer aux remparts; aussi passaient- ils leur temps à boire et à jouer. Quelquefois ils s'en prenaient à quelque individu innocent et l'arrêtaient comme Prussien, ou bien ils faisaient irruption, pen¬ dant la nuit, dans les maisons particulières, donnant satisfaction à quelques inimitiés personnelles ou se livrant à quelques petits vols sous prétexte de faire la chasse aux espions. Le soir, ils allaient le plus ordi¬ nairement passer leur soirée dans les clubs. Là ils écoutaient les orateurs dont le thème favori était l'hé¬ roïsme de la population mis en opposition avec l'in¬ capacité et la timidité du gouvernement. Enfin ils terminaient la journée là où ils l'avaient commen¬ cée, chez le marchand de vin. Les journaux populaires comptaient avec complai¬ sance les jours du siège, comme si chaque unité ajou¬ tée au nombre précédent élevait le sentiment de notre héroïsme à une plus grande hauteur. Chaque matin nous étions entretenus dans notre tranquillité par des rapports officiels bien écrits; ils annonçaient une fois qu'un fort avait envoyé un couple de bombes dans un poste prussien et qu'on avait vu une ambulance se diriger de son côté pour relever les blessés et les morts ; une autre fois, que le sergent Hoff avait fait un nou¬ veau prisonnier, ce qui augmentait la liste de ses nombreuses captures; ou bien encore,qu'il rapportait des avant-postes ennemis des casques et autres curio- !i2 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. sités. De Icnips à autre on disait qu'on avait tué à l'ennemi un personnage de marque. Celte nouvelle causait une grande joie sur les boulevards ; nous éta¬ blissions alors, comme un fait certain, que ce person¬ nage tué était ou de Moltke ou Bismarck ou le prince Frcdéric-Charles. — Nous sommes fatigués d'avoir tue Fritz; pour vivre encore, il faut véritablement qu'il ait une excellente constitution. Le Figaro, notre toute particulière providence, a entrepris de nous égayer. Dernièrement, pour nous amuser, il nous faisait la description du genre de vie que Guillaume menait à Ferrières. « Guillaume reste couché jusqu'à huit heures du matin, puis il se lève et déjeune de bon appétit comme cela convient à un meurtrier du genre humain ; aprèsle déjeuner, il remplit une grande pipe de tabac et envoie des bouffées de fumée dans le vide pendant une heure environ, tout en pensant à Au¬ gusta. » Ensuite, avec une gravité bienséante, il dépose sa pipe sur une table, reçoit ses lettres des mains de Bismarck, qui lui en explique le contenu.L'effort d'es¬ prit, qu'il a fait, est trop grand, et il se met à luncher. Dans l'après-midi,il chasse dans les bois de Ferrières; à sept heures, il s'assoit à la table royale avec tous ses feudataires, pour souper. Le bon roi se lève de table un peu avant minuit. Fendant ce temps les soldats de Bismarck soupirent après les Gretchens qu'ils ont lais¬ sées dans leurs villages et ils font le compte de ceux qui ne reverront plus jamais le Vatcrland. Bismarck, si ça continue1, De les Prussiens il ne restera guère; Bismarck, si ça continue, I)e tes Pr ussiens il n'en restera plus. 1. Ce sonl les paroles d'une chanson faite pendant le sièpe et devenue populaire à Paris : elle était chantée partout et par tous en manière de r aillerie et de cléli. COMMENT NOUS CUISONS DANS NOTRE JUS. G.'i Ah! certes, ils sont effrayés on entendant dire que nous sommes un demi-million d'hommes sous les armes, prêts à verser la dernière goutte de notre sang pour les empêcher d'entrer dans Paris; ils commen¬ cent aussi à se trouver mal à l'aise en voyant arriver l'hiver. Est-ce que Victor Hugo, tout à la fois un grand poète et un prophète, ne leur a pas donné un so¬ lennel avertissement en leur disant que la Prusse serait jetée dans un profond abîme sur les bords duquel elle chancelait déjà », — que c'était le vieux combat de tArchange et du Dragon qui allait recommen¬ cer ». — Est-il nécessaire de dire que nous sommes l'Archange? — « quenosennemis n'ont plus de bois ni de bosquets où ils puissent se cacher; que les ruses du chat ne peuvent plus lui servir contre le lion? 1 » Toutes ces paroles ont dû produire une grande im¬ pression sur l'ennemi. — 11 est clair qu'il se propose débattre en retraite. Dans le but de la protéger, et cela depuis les combats de Chevilly qui ont eu lieu le 30 septembre, il masse ses forces du côté de Choisy-le- Roi, afin de garder le pont qui protège la liberté de ses communications avec l'Allemagne. Mais qu'arri- vera-t-il si Strasbourg, notre idole et notre espérance, tombe entre les mains des ennemis? Victor Hugo ne nous a-t-il pas dit que, si Paris a donné à la statue de Strasbourg une couronne de fleurs, l'histoire donnera à Paris une couronne d'étoiles? Samedi. 8 octobre. — Le beau temps, qu'il a fait pen¬ dant ces derniers jours, a permis à un grand nombre de personnes d'allerse promener du côté de l'ouest de Paris et principalement sur les bastions du Point-du- Jour, qu'on croit être le point le plus vulnérable des fortifications. On y va dans l'après-midi; on stationne 1. Voir la proclamation de Victor Hugo à l'appendice. 5t A PARIS PENDANT LE SlEOE. sur lu pont du chemin de fer et on regarde avec atten¬ tion les hauteurs de Meudon, situées en face du pont. On s'efforce de suivre avec des lorgnettes de théâtre ou des télescopes les progrès des batteries prussiennes, réelles ou imaginaires, placées dans le voisinage du château. Aujourd'hui je suis sorti par la porte de Ver¬ sailles et je me suis amusé, chemin faisant, à regarder quelques mobiles grotesques qui faisaient partie d'une troupe de mobiles parisiens; ils allaient du côté de Sèvres. Ces mobiles faisaient ondoyer leur étendard; ils chantaient et criaient joyeusement; ils faisaient des plaisanteries aux dépens de leurs sergents et des passants; ils avaient bien plus la tenue de collégiens, échappés du collège, que celle d'hommes armés allant au-devant de l'ennemi. Je m'arrêtai au coin de la route, près du viaduc du chemin de fer, pourvoir de quelle manière ces mobiles passeraient par la brèche faite dans la barricade. Près de moi était un jeune Adonis, élève de l'École de droit ; il avait une paire de moustaches bien cirées et il portait la tunique des mo¬ biles de Paris bien ajustée à la taille. Il se tenait appuyé sur une victoria, dans laquelle étaient deux jeunes de¬ moiselles du quartier Latin, et il paraissait tout occupé à faire l'aimable avec ces enchanteresses. Tout à coup il se redressa et se tint deboutâ côté d'elles; puis il leur dit : « 11 faut que je vous quitte. » En disant ces mots, il se dirigea vers une troupe de cavaliers qu'on voyait venir du côté du pont. Le gouverneur de Paris, dont la figure est bien connue, était à la tête de ces cavaliers. Son teint pâle et ses yeux fatigués disaient assez tou¬ tes les nuits qu'il avait passées sans sommeil. La phy¬ sionomie est énergique, mais elle a une expression quelque peu méprisante. C'est avec froideur qu'il porta le doigt au képi pour rendre aux mobiles le salut mi¬ litaire qu'ils lui avaient donné. C 0 M M E X T NOUS CUISONS D A N S N 0 'I R E J U S. 55 La foule devint silencieuse au moment de son pas¬ sage; sa présence seule imposait silence à tout le monde. 11 doit être un homme qui se tient habituel¬ lement sur une grande réserve ; sa tenue et le tour de son esprit doivent s'en ressentir. Pauvre Trochu ! telle est l'exclamation, qui s'échappa de mes lèvres, quand je le vis de si faible complexion. Sa tôte est une belle tète de philosophe religieux; elle exprime le calme et le courage résigné ; mais Trochu n'a pas le physique d'un dominateur-de la foule, non plus que celui d'un dompteur. C'est malheureux, surtout en ce moment où le besoin d'un dompteur se fait vivement sentir. Lesgardesnationaux, placésen sentlnellessurlepont, font tout leur possible pour forcer la foule à rester en dedans des palissades en bois et des ouvertures faites dans la maçonnerie qui ferment les arches du pont. Les personnes qui veulent à toute force voir quelque chose doivent se contenter de la vue que l'on a du parapet. Des gamins offrent des lorgnettes qu'ils louent et un garde national, perché sur un grand tabouret, vante les mérites d'un télescope, une œuvre d'art qu'il a eu beaucoup de peine à monter. « Mesdames, mes¬ sieurs, il n'en coûte que cinq sous pour regarder. — Je suis aux regrets de n'avoir pas en ce moment de Prussiens à vous faire voir, mais vous pouvez regarder avec mon télescope le drapeau des Prussiens qui Hotte sur un des toits du château. » — Il parie du château de Meudon, qui est en face de nous. Chaque jour, passé systématiquementdans l'inaction par les Prussiens, ajoute à notre lassitude et augmente les embarras du gouvernement à l'intérieur de la ville. Les privations commencent à être assez grandes pour être sensibles. Le charbon de bois est pour le mo¬ ment excessivement rare. Le peuple est dans un élat de nerveuse impatience et le gouvernement, pris 5(i A l'A RIS PENDANT LE SIËGE. cntro la bourgeoisie conservatrice et les chefs des révolutionnaires avec lesquels il s'est tout à fait com¬ promis, joue un jeu de bascule dangereux. Aujour¬ d'hui les bataillons de Belleville nous font craindre une grande manifestation; ils veulent l'élection im¬ médiate d'une Commune. Hier, il y a eu des troubles sur la place de l'Hôtel-de-Ville1 ; c'est là que des 1. Une a Cliche, placardée sur les murs de Paris, invitait les citoyens à se réunir le 8 octobre sur la place de l'Hôtel-de- Yille pour protester contre le gouvernement et sa façon d'agir : à deux heures, un groupe de trois ou quatre cents personnes était réuni sur la place de l'IIotel-de-Ville lorsqu'arriva le 84'' ba¬ taillon de la garde nationale (commandant Bixio). Des cris de " Vive la Commune! «et des cris de protestation contre le gouver¬ nement se firent tout aussitôt entendre. Le bruit s'étant répandu dans Paris qu'une partie de la population voulait exercer une pression sur le gouvernement, de nombreux bataillons de la garde nationale arrivèrent promptement sur la place de l'Hôtel-de-Yille pour la déblayer et pour protéger le gouvernement. Le calme une fois rétabli, Jules Favrc et le gouvernement de la Défense nationale passèrent les bataillons de l'ordre en revue. Ils firent ensuite faire le cercle aux officiers et, monté sur une chaise, Jules Favrc leur adressa une chaleureuse harangue. Le même jour il adressa la lettre suivante au général Tami- sier. commandant en chef des gardes nationales de la Seine : MON CIICR ucnkrai., Je vous remercie avec effusion, vous et la garde nationale, dont vous êtes le digne chef, du concours que vous venez de nous prêter. Au pre¬ mier signal, vos bataillons sont accourus et. par leurs acclamations patriotiques, ont protesté contre les imprudents qui cherchent à nous diviser devant l'ennemi. Vous leur avez prouvé qu'ils n'y réussiront pas. Nous resterons unis pour combattre et pour vaincre. Nous le serons encore après, car tous nous n'avons qu'une volonté : fonder une Repu¬ blique durable, décrétés par la nation dans sa souveraineté. C'est pour l'accomplissement de cette double tâche que nous sommes debout, ne formant qu'un faisceau, maintenant avec fermeté le gouvernement établi le 1 septembre, ne demandant d'autre récompense que l'honneur insigne de remettre h la France, délivrée par l'héroïsme de ses enfants, les pouvoirs que nous avons reçus pour la défendre. Agréez, mon cher général, l'expression de mes sentimeuts affectueux et dévoués. I.r Y iee-Prcsidrnt me dit-il. — « Au fort de Bicêtre, » répondis-je. El je donnai le nom de mon ami. » Je suis étonné, ajouta-t-il en m'inter- rompant, que vous ayez pu sortir des portes de Paris sans un laissez-passer. » Je lui dis que personne ne m'avait arrêté au passage; il en fut fort surpris. » Par quelle porte êtcs-vous venu? — Par la porte d'Or¬ léans. — Mais la porte d'Italie est celle par laquelle 1. On devait faire le lendemain 13 octobre une grande recon¬ naissance sur Bagneux et Châtillon. Le général Yinoy a com¬ mandé cette sortie. Les mobiles de la Côte-d'Or et de l'Aube, commandés par le lieutenant-colonel M. Grancey, se sont empa¬ rés de Bagneux et le commandant du 3e bataillon de l'Aube, M. Picot de Dampierre, y a reçu la mort en voulant entraiuer ses mobiles à l'assaut d'une barricade. 2. L'an mil huit cent soixante-dix, etc., etc. UNE NUIT AUX A VA NT-PO S T E S. G7 on sort généralement quand on veut aller au fort de Bicêtre, et vous auriez pris ce chemin, Monsieur, si vous vous étiez inquiété de prendre la route directe; mais Monsieur a peut-être une préférence pour le che¬ min le plus long. Ainsi donc, vous êtes venu par Mont- rouge? Et sans doute vous ne savez pas que deux divi¬ sions ont suivi ce chemin. Je suppose, Monsieur, que vous avez du goût pour jouer la comédie. » Il examina alors très minutieusement l'itinéraire de mon excur¬ sion et remplit deux feuilles de son papier avec mes réponses. Quand il eut fini d'écrire le procès-verbal, il me le lut et me le remiL pour que je puisse le vérifier. Ceci fait, il le plia en quatre et me demanda de l'accompagner chez le colonel. « Nous irons ensem¬ ble, dit-il, je ne désire pas que vous causiez quelque tumulte dans la rue ou que vous vous fassiez à vous- même quelque tort. Nous ferons tout cela tranquille-- ment et voici pourquoi : Si vous êtes innocent, Mon¬ sieur, ce qui serait de beaucoup préférable, je serai enchanté; et si vous ne l'êtes pas, nous serons très convenables pour vous : nous vous donnerons dix minutes que vous pourrez passer dans la compagnie d'un prêtre; je dis cela dans le cas où Monsieur aurait de la religion et voudrait en voir un. » Nous partîmes. Nous causions, tout en marchant à travers des ruelles étroites. Le sergent était très communicatif, et il me dit qu'il était très contrarié parce que les appa¬ rences m'étaient tout à fait contraires : je parlais le français sans aucun accent étranger; cela se rencon¬ trait très rarement chez les Anglais, mais souvent chez les Prussiens ; on se demandait quelle pouvait être mon intention en sortant ainsi seul, hors de la ville, sans aucun papier, et pour faire une excursion aussi dan¬ gereuse. Je m'exposais à être tué par les paysans dont la tête était pleine de toutes sortes de contes sur fis A PARIS PENDANT LE SIÈGE. les espions prussiens. — 11 Lcrminait chaque remarque en m'assurant que f ma position était des plus mauvaises, et en le disant, il me regardait bien en face pour donner plus de force à ses paroles. Le colo¬ nel était absent ; il était à Paris, et son retour devait se faire attendre quelque temps. Le sergent fut fort embarrassé; il me proposa de me conduire auprès du commandant. Le commandant était un gentilhomme breton, très courtois, qui avait servi en Italie. Nous le trouvâmes en déshabillé, occupé à plier se*s vêlements et â tirer ses bottes. Il s'excusa de me recevoir avec aussi peu de cérémonie, me dit de m'asseoir et commença la conversation. Il semblait vouloir éviter tout ce qui pouvait ressemblera une question directe, et cepen¬ dant, en causant avec moi, il apprit tout ce qu'il avait intérêt à savoir. Il devint plus sérieux, quand il sut que je n'avais pas de papiers, et il dit qu'en l'absence du colonel, il ne pouvait pas prendre la responsabilité de décider ce qu'il fallait faire de moi. «Je crains, ajouta-t-il, que vous ne soyez obligé de passer la nuit ici; mais je donnerai des ordres pour qu'on vous donne de la nourriture et tout ce dont vous aurez be¬ soin. » Puis, se tournant vers le sergent, il lui ordonna de veiller à ce que je reçusse des vivres de campagne. « Ce sont, dit-il, de maigres provisions ; elles sont les seules que nous pouvons vous offrir. » Je demandai si on ne pourrait pas envoyer un mot à mon ami du fort de Bicêtre ; il pourrait certainement venir, et il établirait mon identité. Le commandant y consentit et donna des ordres pour qu'on envoyât immédia¬ tement un messager, ajoutant qu'il espérait que ce messager pourrait rapporter la réponse. Je retournai avec le sergent dans sa chambre. Nous y trouvâmes un lieutenant et quelques hommes UNE NUIT AUX AVANT-POSTES. f.9 qui se tenaient autour d'un petit poêle pour se chauf¬ fer. Il y avait sur le poêle un petit pot de terre dans lequel ils faisaient cuire leur dîner. Des mobiles vin¬ rent alors trouver le sergent pour lui demander quel¬ ques provisions d'extra qu'ils désiraient ajouter à leur popote; il ne paraissait pas que ce fût une chose bien facile de satisfaire aux demandes d'aussi nombreuses bouches affamées. Ces messieurs m'offrirent, pour me rafraîchir, un verre de ce qu'ils appellent du ver- mout, et pour me chauffer, un siège auprès du poêle. Le sergent envoya un messager au fort, et il quitta la chambre en me priant de rester où j'étais. Il venait justement, me dit-il, déplacer une sentinelle à la porte avec un fusil chargé; et il ajouta ces mots : « Vous comprenez, Monsieur, que si vous essayez de quitter la chambre, ce sera tout simple. » Le lieutenant rit. Les hommes du poste devinrent sérieux et se mirent à causer à voix basse ; je pus cependant saisir quelques mots de leur conversation; tout en causant, ils regar¬ daient de mon côté pour voir l'effet que leurs paroles produisaient sur moi. Un pauvre chat gris et tout mai¬ gre, qui paraissait être le seul survivant de tous ses frères du village, vint se frotter à moi et sauter sur mes genoux. Je le caressai avec la main, et l'officier, qui avait remarqué sa tendresse pour moi, me dit : «C'est vraisemblablement une consolation pour la pauvre bête de voir un civil ; il en a assez des militaires ; il est pos¬ sible que votre vue lui rappelle ses anciens maîtres. » Il commençait ;\ faire presque nuit, et on n'avait encore reçu aucune réponse du fort. Les portes de Paris étaient fermées à sept heures; je commençai croire que je n'aurais que juste le temps de rentrer. Le lieutenant me dit qu'il craignait, à cause de cette circonstance, que j'aie quelques difficultés effectuer mon retour quand je voudrais rentrer dans Paris, et 70 A PARIS PENDANT LE SIÈGE il mo promit de me faire accompagner par une bonne escorte pour me protéger contre la foule. Il y avait presque une heure que j'étais dans la chambre, et il n'y avait pas encore de réponse. Enfin, le sergent rentra, il faisait une très longue figure. « Mauvaise réponse, » dit-il,'et il me montra la réponse de l'officier du fort ; elle était écrite sur l'envers du papier qu'on lui avait adressé : «Envoyez cet homme, disait l'officier, il la porte d'Italie, remettez-le entre les mains de la garde nationale, et envoyez-le àlaPré- fecture de police. » J'exprimai ma surprise de ce que mon ami n'avait pas été trouvé au fort. Le sergent me lança un regard sévère, ne fit aucune réponse, et donna l'ordre à un caporal de faire venir tout de suite quatre hommes; puis il quitta la chambre. 11 y revint et se mit à se promener de droite et de gauche. Je ne tardai pas à voir briller dans la cour du corps de garde les baïonnettes des soldats : « Maintenant, Monsieur, me dit le sergent, nous sommes à votre disposition. » Je me levai et je lui fis mes adieux. « Non, monsieur, non, pas adieu, mais au revoir; nous nous reverrons demain matin à quatre heures. » Je me plaçai de moi-même au milieu de mon es¬ corte, à laquelle le sergent avait recommandé de me traiter avec tous les égards possibles, et nous allâmes ainsi à travers les rues du village. Arrivés à tien tilly, nous nous sommes arrêtés devant une petite construction en pierres, qu'on m'a dit être la mairie du village. Mon escorte échangea le mot de passe avec la sentinelle qui montait la garde à la porte, et nous entrâmes, au rez-de-chaussée, dans une pièce dont le plafond était soutenu par quatre colonnes. Des boites de biscuits étaient empilées dans un coin ; quelques-unes servaient de siège aux mobiles dont le plus grand nombre se tenait assis auprès de la UNE NUIT AUX AVANT-POSTES. 71 porte. Ils se levèrent tous à notre entrée, et le sergent de service vint pour 'me recevoir et me prendre des mains de mon escorte. Je fus conduit dans un coin, derrière une sorte de barricade faite avec des boîtes de biscuits, ce qui m'ôtait tout espoir de fuite; quatre sentinelles se placèrent d'elles-mêmes avec leurs fu¬ sils chargés à l'entrée de cette retraite. Pour com¬ mencer on me mit au régime des « vivres de cam¬ pagne » : une tranche de lard et une livre de pain. En guise de siège, on poussa dans mon coin une caisse de biscuits, et je plaçai moi-même une chandelle sur le rebord de la croisée. Ceci fait, on m'engagea à in'ar- ranger le plus confortablement possible, pour passer la nuit. Une telle invitation n'était pas à dédaigner. Je demandai à mes geôliers d'envoyer un mot à mes amis, à Paris, pour les rassurer. — « Impossible, me lut-il répondu, aussi impossible que d'aller à Berlin. » Je leur exprimai l'espoir que l'un n'était pas plus im¬ possible que l'autre. Je leur expliquai que j'avais une mère, inquiète de me savoir absent de la maison; et je fis appel aux plus tendres sentiments. Je leur de¬ mandai si leur plus grand tourment n'était pas de penser que leurs propres mères, laissées seules au loin dans leurs villages, pouvaient s'imaginer, pour peu qu'elles sachent ce qui se passait, que depuis long¬ temps leurs fds étaient tués et ensevelis. Je leur pro¬ posai de porter à leur commandant un mot de moi, dans lequel j'en mettrais pour ma mère un autre que je laisserais ouvert. Un jeune caporal, que mon argu¬ ment ad homincm avait vraisemblablement touché, consentit à porter un mot à son commandant; il m'offrit pour l'écrire un crayon et une feuille de pa¬ pier qu'il arracha de son portefeuille. Ma dépêche expédiée, je m'assis et je dinai de mon morceau de pain et d'un peu de jambon. Peu.à peu, 12 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. nies geôliers adoucirent la rigueur de leur garde, et devinrent mes amis. Ils nie montrèrent leurs chasse- pots et m'expliquèrent la manière de s'en servir. Ils se mirent aussi me parler de leur pays, situé près des montagnes du Jura, qu'ils avaient quittées, il y avait seulement quelques semaines. Ils me disaient que le Lemps leur paraissait très long; ils croyaient qu'il leur paraîtrait plus long encore, si les Prussiens se mettaient dans la tête d'aller do ce côté et de boire leur bon vin rouge du Jura. « Il est tellement bon ce vin, Monsieur, que vous n'avez rien à Paris, qui puisse vous donner une idée de ce qu'il est; vous ne pouvez savoir combien nous regrettons ici, à Gentilly, d'en être privés. » Un de ces mobiles était à Marseille, em¬ ployé chez un négociant, quand la guerre fut déclarée. Il fut appelé subitement dans son département pour rejoindre son régiment; il ne sait vraiment pas pour quelle raison il a fait ses malles et est parti pour Paris. Est-ce qu'il n'y a pas assez de Parisiens à Paris pour défendre leur propre ville? Juste à ce moment, un lieutenant, accompagné d'un prêtre, entra dans le poste. « Notre chapelain, » me dit tout bas et coniidenlicllement une des sentinelles. L'officier et le prêtre se dirigèrent tout droit vers le coin où j'étais. Nous échangeâmes les saints d'usage et l'officier m'adressa la parole en anglais : « — Vous êtes Anglais, Monsieur? —Oui, lieutenant. — De quel comté ôles-vous? — D'Oxford. » Le lieutenant con¬ naissait bien Oxford et ses environs ; nous nous mîmes à parler du collège, de la rivière et des courses de ba¬ teaux, cela au grand ébahissement des mobiles, dont le respect pour leur officier semblait augmenter à chaque phrase d'anglais qui s'échappait de ses lèvres. Monsieur l'aumônier approuvait de temps en temps et confirmait son assentiment par quelques mots. Le UNE NUIT AUX AVANT-POSTES. 73 lieutenant se retira en me faisant les saluts les plus courtois. Il était visiblement satisfait de son prisonnier, etilétaitégalementcontentdereffet qu'il avait produit sur tous les mobiles. « Il est bien fort, notre lieute¬ nant, s'écrièrent ceux-ci quand il eut quitté le poste. Comme il parle bien l'anglais, et Monsieur l'aumônier aussi! Malheureusement il n'est pas tout à fait aussi bon qu'il en a l'air. Vous savez qu'il est venu pour vous entendre parler anglais. » A partir de ce mo¬ ment, la glace fut rompue entre moi et mes geôliers, et on enleva les caisses de biscuits une par une pour démolir la barricade derrière laquelle j'étais. Les mo¬ biles m'invitèrent à m'asseoir à leur table; ils m'offri¬ rent de l'eau-de-vie, du tabac, et me proposèrent de faire ma partie dans un jeu de cartes de leur inven¬ tion. Ils passaient la nuit à jouer à ce jeu, quand les officiers étaient hors du poste. Notre tapis vert était un numéro du Figaro, dont, à l'occasion, on déchirait un morceau pour allumer les pipes; une bouteille au col cassé dont, ainsi que me le faisait remarquer un mobile, on ne pouvait plus se servir, nous tenait lieu de chandelier. De tous les joueurs le plus absorbé par le jeu était le sergent. Il avait perdu la nuit dernière toute une fortune, une quinzaine de francs, et il faisait son possible pour être plus adroit et se mieux tirer d'affaire. Les sous et môme l'argent circulaient, passant rapidement d'un joueur à l'autre, quand tout à coup le commandant, de tous les visiteurs le moins attendu assurément, ap¬ parut à l'improviste au milieu de nous. L'apparition d'un casque prussien aurait difficilement produit une plus grande confusion parmi les joueurs, qui, cachant avec la plus grande précipitation cartes, tapis vert et gros sous, se levèrent pour recevoir leur officier. Le commandant vint à moi en me tendant la main; 0 71 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. il me marqua un grand intérêt pour ma note qu'il n'avait pas reçue en temps voulu pour qu'il y pût ré¬ pondre. Il ajouta qu'il était trop tard pour retourner cette nuit à Paris, mais qu'il espérait bien que je pas¬ serais au poste une nuit aussi confortable que le local et une couverture de laine pouvaient le permettre. En manière de consolation, il me dit que ce serait ma première nuit de campagne passée avec le régiment. Puis, après m'avoir demandé si les hommes s'occu¬ paient de me donner ce qui m'était nécessaire, il me souhaita le bonsoir et nous quitta pour continuer sa ronde aux avant-postes. Cartes, tapis vert, etc., repa¬ rurent immédiatement sur la table et le jeu recom¬ mença pour ne finit- que le matin assez tard. Les chandelles brûlées étaient remplacées par des chan¬ delles neuves; les mobiles en étaient prodigues sous le prétexte que « c'étaient les chandelles du gouver¬ nement ». — Un tas de dormeurs, dont le ronflement faisait chorus avec les conversations des joueurs, étaient couchés pêle-mêle sous leurs couvertures dans les coins du corps de garde. Un de ces dormeurs s'agitait de temps en temps au milieu de son som¬ meil ; il respirait difficilement et sanglotait. Ses cama¬ rades do la table de jeu cessaient pcndanL un instant de jouer et un caporal disait : « Pauvre Jacques, il fait toujours de mauvais rêves; il n'est pas bon de le laisser dormir; nous ferions mieux de le réveiller. » Le caporal de poste vint, à ce moment, chercher les mobiles, qui devaient relever les sentinelles. Quatre dormeurs sortirent de dessous leurs couvertures, se dressèrent sur leurs jambes, s'équipèrent et sortirent pour aller faire une faction peu confortable. Ils avaient les yeux à demi fermés, et étaient de méchante hu¬ meur pondant qu'ils mettaient leurs ceinturons, leurs porte-baïonnette et leurs cartouchières. J'étais ac- UNE NUIT AUX AVANT-POSTES. 75 câblé de fatigue; avec l'aide de deux mobiles je me fis un lit. L'un me prêta un havresac qui me servit d'oreiller et sur lequel j'étendis mon mouchoir pour le rendre moins dur. L'autre me donna sa tente pour en faire un matelas et sa couverture pour me couvrir et me tenir chaud. Mon lit ainsi fait, je m'étais ar¬ rangé pour dormir jusqu'au lever de l'aurore, lorsque le canon de Villejuif vint m'arracher au sommeil. Le matin, il faisait froid et le temps était gris; les mobiles se regardaient entre eux d'un air inquiet. Ils échangeaient leurs remarques sur la bataille, qui allait être .livrée, tout en se réconfortant autant qu'ils le pouvaient en prenant des tasses de café chaud. On venait de rapporter et de le distribuer. L'un d'eux s'écria : «Tiens! voilà que le canon s'amuse de nou¬ veau; les chassepots vont aussi travailler. — Oui, mais reverrons-nous notre chez-nous et quand? » lui répondit un de ses camarades. Des soldats vinrent dire qu'on se battait à Cachan, village tout près du poste. Leur compagnie avait des hommes engagés dans ce combat et le poste se disposa tout de suite à prendre les armes. Les feux des cuisines étaient allu¬ més dans le jardin à côté; un capitaine vint faire la distribution de la viande et l'attention de mes compa¬ gnons fut partagée entre les rations qu'on leur distri¬ buait et leurs armes qu'ils passaient en revue. Ils me demandèrent comment j'avais passé la nuit. « Vous aimeriez mieux être chez vous, me dirent-ils, et nous aussi. Ah! quand donc tout cela sera-t-il fini? Que va devenir notre vendange? » Le capitaine me remit un mot de la part du colonel, qui désirait me voir. Je fus conduit sous escorte jusqu'à sa demeure. Les hommes, qui m'avaient accompagné, restèrent dans la cour de la maison et moi je montai, ainsi que l'ordre en avait été donné, dans la chambre du colonel A PARIS PENDANT LE SIÈGE. située au premier élage. Il était dans son lit, vêtu d'une jaquette en drap très serrée à la taille, et il fumait une courte pipe en terre. Le colonel était un vieux soldat d'Afrique ; il avait des moustaches courtes, quelques touffes de cheveux grisonnants ramenés sur les tempes, et avec cela une de ces figures maigres et allongées qui sont plus particulièrement caractéris¬ tiques du type des guerriers. 11 me reçut avec la simplicité courtoise d'un soldat, et après m'avoir prié de prendre une chaise et de m'asseoir auprès de son lit, il me dit qu il regrettait que j'aie passé une nuit aussi peu confortable. II était revenu de la ville trop tard pour me rendre ma liberté. Il rit de mes aventures et me montra, avec un air de grand étonnement, la réponse de l'officier du fort : « Envoyez l'homme à la Préfecture de police, etc. » «L'homme, vous savez, me dit-il, qui il est? — C'est vous-même. » Il m'offrit une cigarette et me demanda si j'avais entendu la fusillade; il craignait que ses mobiles aient tiré les uns sur les autres. « Ils n'ont fait que dépenser leurs munitions et les cartouches des chassepols coûtent cher. » « Vous avez vu, mon¬ sieur, continua-t-il, quels hommes sont ces mobiles? — Des jeunes gens qui, il y a deux mois, ne pensaient nullement qu'ils seraient un jour appelés à faire un pareil métier. (Joelques-uns sont à moitié habillés: plusieurs ont encore leurs blouses de paysans. » Je répondis en faisant cette remarque qu'ils ne me pa¬ raissaient pas manquer de bonne volonté et qu'ils me semblaient avoir plus de sang-froid que la plupart des soldats des régiments de ligne. Le colonel commença alors à parler de la guerre; il blâma la tactique de ses concitoyens : « Nos généraux conduisent cette guerre justement comme on le fai¬ sait, il y a cent ans, quand nous avions des fusils à UNE NUIT AUX AVANT-POSTES. 77 pierre avec lesquels on ne pouvait tirer plus d'un coup par deux minutes et atteindre l'ennemi à plus de cent mètres. L'autre jour, nous avons perdu deux mille hommes à Chevilly sous le commandement de M. Vinoy. Les Prussiens étaient bien retranchés der¬ rière des barricades et ils faisaient feu sur nous comme sur des lapins. Nos soldats sont aussi, cela est vrai, trop impétueux et nous avons les plus grandes diffi¬ cultés pour les tenir sous la main. Hé bien! que font nos généraux? Ils lancent les hommes à la baïonnette de la façon la plus inconsidérée contre des barricades et des positions retranchées. — Pourquoi le font-ils? La conséquence, c'est qu'à quatre cents mètres ils reçoivent une décharge. Naturellement, les hommes hésitent et se débandent; puis ils se reforment et s'avancent de nouveau pour recevoir une seconde, une troisième et môme une quatrième décharge. Si nos généraux persistaient à conduire la guerre de cette manière, nous, colonels, nous n'y consentirions pas. Nous désirons ménager la vie de nos hommes. Ah! Monsieur, dit-il, en interrompant la suite de ses remarques, si l'Angleterre avait bien voulu être des nôtres! » Je risquai quelques observations au sujet des meetings de Londres. « Tenez. Monsieur, me répliqua le colonel, l'Angleterre n'est pas fâchée, je suppose, de laisser notre présomption habituelle re¬ cevoir une leçon; mais la leçon a été dure. » « Parce qu'ils ont battu les Arabes, les Chinois et les Mexicains, nos généraux de cour ont pensé qu'ils allaient faire une promenade miliLaire jusqu'à Berlin. Si les Autrichiens avaient été armés de chassepots, ils nous auraient vaincus à Magenta et à Solférino. C'est égal, après Sedan, il y a eu un moment où il eût été possible de faire la paix. L'Angleterre aurait dû alors nous soutenir de son influence morale; une interven- 78 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. tion active n'était pas nécessaire, — elle devait aussi se rappeler qu'en Crimée les deux nations avaient com¬ battu à côté l'une do l'autre comme deux alliés loyaux et lidôles.» 11 exprima une grande admiration pour la ténacité et la discipline de la race anglo-saxonne. Je lui demandai ce qu'il pensait de la ténacité des Prus¬ siens et si, dans sa pensée, les fatigues d'une campagne faite pendant l'hiver, le froid, la pluie et la gelée n'abat¬ traient pas le moral des armées prussiennes. Il me ré¬ pondit en haussant les épaules : « Le roi de Prusse a résolu de faire cette guerre; ses soldats le suivront jusqu'au bout. Ils sont tous liers de leurs victoires. Ils vivent sur le pays, ils y lèvent de fortes contribu¬ tions et ils ont une quantité de femmes qui les suivent partout où ils vont. Les hommes mariés, qui se trouvent parmi eux, oublient peu à peu leurs femmes et leurs familles. En fait, ils ont tout ce qui peut retenir les soldats dans le devoir et les attacher à leurs drapeaux. Quant au logement, leurs troupes sont logées dans les villages tout comme vous avez pu voir que les nôtres le sont ; leurs soldats, qui sont aux avant-postes, sont natu¬ rellement exposés à la pluie et au mauvais temps ; mais ils sont relevés régulièrement après qu'ils y ont fait un séjour déterminé d'avance et ils rentrent dans les mai¬ sons des villages pour refaire leur santé et reprendre des forces. Leurs généraux enfin ne commettent pas de remarquables bévues. » Il expliqua la tactique de leur artillerie et l'habileté avec laquelle ils la disposent sur trois rangs, chacun d'eux couvrant la retraite ou l'avancement de l'autre. Après avoir fait l'éloge de la supériorité de leurs générauxet de la discipline de leurs troupes, il n'en exprime pas moins une grande con¬ fiance dans le résultat final du siège. « L'armée, que nous pouvons maintenant mettre en ligne, dit-il, est une armée nouvelle, animée d'un esprit nouveau et UNE NUIT AUX AVA N T - PO ST E S. moralement supérieure à l'ancienne. La dure leçon que nous avons reçue nous prolilera. Nous sommes mal montés en artillerie, mais avec nos chassepots nous pouvons nous frayer un passage et une fois que nous tiendrons la corde, nous pourrons aller de l'avant. » Je lui demandai ce qu'il pensait des secours que nous espérions recevoir de la province.— «La province, dit- il, nous ne devons pas nous en préoccuper; nous de¬ vons faire nous-mêmes une trouée et la province se joindra à nous pour poursuivre l'ennemi. » La con¬ versation tomba ensuite sur l'état de l'esprit public Paris. Le colonel parla avec une grande animation de Flourensetde Belleville : « S'ils bougent, nous des¬ cendrons à Paris et nous les mettrons à la raison en vingt-quatre heures. Toute cette agitation révolution- nairenous fait un grand mal. L'esprit national est tombé bien bas dans ces trois dernières années : c'estd'un bien mauvais augure pour l'avenir.» En me donnant congé, le colonel m'exprima, avec une courtoisie toute française, l'espoir que je ne garderais pas un trop mauvais sou¬ venir de ma nuit passée à Gentilly. Je l'assurai qu'au contraire la réception, qu'il m'avait faite, serait proba¬ blement un des souvenirs les plus agréables que le siège me laisserait; puis, nous nous dîmes réciproque¬ ment adieu ou plutôt au revoir. » Car au revoir son¬ nait mieux aux oreilles dans des temps où la vie était partout si dangereusement exposée. Pauvre colonel D"* ! Celui qui a accepté le comman¬ dement d'un régiment de mobiles, a virtuellement fait l'abandon de sa vie pour le salut de sa patrie. La carte du colonel me donna la possibilité d'aller au fort, où j'appris que mon ami, l'officier de marine, avaitchangé de quartier. De ce changement venait l'er¬ reur ù laquelle je dus d'être retenu prisonnier comme espion prussien. 80 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Les coups de fusil avaient cessé en deçà de la ligne des avant-postes, et, à l'exception de quelques coups de canon tirés selon les besoins du haut de la redoute des Hautes-Bruyères, il n'y avait rien qui pût donner l'idée d'une prochaine bataille. Les troupes, qui étaient sorties la veille, étaientdisposées avec soin, en arrière, dans les villages. C'est tout au plus si on pouvait dire que ces trente mille hommes, cachés dans l'espace de quelques kilomètres d'un pays relativement découvert, étaient comme une troupe d'agents de policeAjlkcés en embuscade pour arrêter des voleurs. CHAPITRE IV TEMPS PERDU Vendredi l i octobre. — Le combat ont liou le len- demain à Bagnoux, village situé dans la vallée en contre-basde la colline de Cbâtillon. Ce combat se ter¬ mina comme se terminaient généralement tons ces en¬ gagements « par une retraite en bon ordre», et les Pari¬ siens, àleur grand désappointement, commencèrent à comprendre que, nécessairement, toutes les opérations dn siège auraient la môme fin. Les premières lignes de l'ennemi avaient été prises et un certain nombre de Bavarois avaient été faits prisonniers dans le village même de Bagneux. Les troupes de ligne avaient mon¬ tré une certaine valeur et les mobiles, pour la première fois engagés sérieusement dans un vrai combat, avaient été tout surpris d'entendre le signal de la retraite. Elle fut sonnée, le long des lignes, peu de temps après l'arrivée du général Trochu sur le champ de bataille. Une foule de personnes inquiètes entouraient ces mo¬ biles etlesquestionnaient, maisils ne pouvaient donner aucun détail sur le combat. En effet, que peuvent sa¬ voir d'une bataille les combattants qui y ont pris part? A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Beaucoup de personnes, curieuses de voir la bataille et parmi elles plusieurs dames, élaienl venues dans la plaine de Mon!rouge en dehors des fortifications. RocheforL et quelques-uns de ses collègues du gouver¬ nement suivirent les péripéties du combat de l'inté¬ rieur du fort de Vanves, qui reçut de l'ennemi quelques boulets égarés. Les journaux du jour disent que c'est là un acte, qui doit augmenter la popularité du « pré¬ sident des barricades » et celle du gouvernement dont il fait partie. La foule devint toute joyeuse à la vue des casques prussiens que les francs-tireurs et les mo¬ biles rapportaient au bout de leurs baïonnettes. Elle se précipita sur leur passage; comme des enfants, cha¬ cun battait des mains et s'efforçait de regarder par dessus son voisin pour apercevoir les prisonniers ba¬ varois que nous persistons à appeler des « Prussiens ». Quelques prisonniers allemands blessés étaient traînés dans des voitures de place ou de maître, disposées en longue lile le long des remparts, comme le sont, les soirs d'opéra, les voitures devant le péristyle du Théâtre Italien. Un de mes amis était allé auprès d'un Bava¬ rois blessé, qui était étendu derrière un buisson à quelques pas du Français qui avait tiré sur lui. Le soldat français était assis devant lui et regardait tris¬ tement celui qu'il appelait le « Prussien d'en face » ; il avait, lui, reçu un boulel dans le bras gauche. Le Bavarois, en voyant approcher mon ami, leva le bras et faisant comme s'il épaulait un fusil, il lui cria « Poum » pour le faire partir. Mon ami désarma le soldat blessé en lui disant: « Nicht poum », puis il l'enleva de terre et le mit dans la voiture avec le Fran¬ çais qui l'avait blessé. Les deux ennemis, après avoir échangé des coups de fusil sur le champ de bataille, échangèrent dans cette voiture, en allant à l'ambu¬ lance, des cigares et de mutuelles assurances d'éter- TEMPS PERDU 83 nclle amitié; tout cela dans un langage de circon¬ stance. C'est ainsi que les soldats entendent la guerre. Mardi 18 octobre.-—Paris, pendant ces derniers jours, a été dans une grande inquiétude. Il croyait savoir que des nouvelles avaient été reçues de la province et il accusait le gouvernement de les cacher. Samedi, M. Portalis, directeur du journal la Vérité, un nou¬ veau journal qui n'est en réalité que l'ancien Electeur libre de M. Arthur Picard, a publié sous la forme de questions un grand nombre de dépêches. Elles lui avaient été communiquées par un ami américain d'après une note copiée dans le Standard, qui avait pu parvenir dans une ambassade. M. Portalis, à la suite de cette communication, interpelle le gouvernement dans les colonnes de son journal. Il met de grands points d'interrogation à la fin des phrases, emploie de gros caractères et use de tous les moyens dont peuvent disposer les journalistes, qui veulent attirer l'attention du public. Est-il vrai, demande-t-il, que l'armée de la Loire a été battue dans plusieurs ren¬ contres? que la République rouge a été proclamée à Lyon? qu'un armistice, proposé par le comte de Bis¬ marck, a été repoussé par le gouvernement de la Dé¬ fense nationale1? Cette forme parlementaire, employée par le journal pour faire ses interpellations, est en quelque sorte un nouveau moyen de faire circuler les nouvelles ; mais n'est-elle pas aussi la meilleure preuve que le tempérament nerveux du public et la politique indécise du gouvernement obligeaient tout le monde, en ce moment, à prendre certaines précautions? Les numéros de la Vérité, qui contenaient ces informa¬ tions, furent immédiatement enlevés sur les boule- 1. Voir note III l'article de M. Edouard Portalis publié le 16 octobre 1870 dans la Vérité. 84 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. vards el le gouvernement fut forcé de se départir de sa réserve, soi-disant diplomatique. Le Journal officiel rompit le silence, dimanche, en faisant paraître une longue note de la composition d'un écrivain de troisième ordre. Dans cette note il essaie d'échapper aux questions de M. Portalis. Il dénonce le Standard comme un journal notoirement hostile à la France, et il menace le directeur de la Vé¬ rité de poursuites judiciaires sous le prétexte qu'il trouble la paix publique. L'effet de cette note fut. que les plus intelligents parmi les citoyens perdirent toute confiance dans les agissements du gouvernement. La grande majorité de la population, qu'un mensonge officiel, quoique grossier, réussit toujours à tromper, se sentit cependant troublée et sa confiance fut fortement ébranlée parles mesures sévères prises contre M. Por¬ talis. Il fut en effet enfermé dans la prison de la Con¬ ciergerie1. Un signe certain de celte anxiété soupçon¬ neuse est l'empressement que tout le monde met à interroger les étrangers dans la pensée qu'ils peuvent puiser des renseignements à quelque source mysté¬ rieuse. L'arrivée du colonel Lindsay2, qui ne fut révélée par les journaux que quelques heures après son dé¬ part, a causé une grande excitation dans le public. On croit que tous les Anglais, qui habitent à Paris, ont reçu de lui un long et détaillé récit de ce qui se passe en province. Tout le monde répète les nouvelles qu'on 1. M. Édouard Portalis a été arrêté à six heures du soir. Après avoir été interrogé à la Prefecture de police, il a été envoyé à la Conciergerie, où on l'a détenu sous la prévention de publication de fausses nouvelles. 2. Le colonel anglais Loyd Lindsay était entré dans Paris le 14 octobre. 11 était venu apporter au ministre de la guerre une somme de 500 000 francs destinée au soulagement des militaires français blessés ou malades. Cette somme était le produit des souscriptions recueillies en Angleterre. TEMPS PERDU. 8j donne, même les plus mauvaises; mais chacun les dis¬ cuterait volontiers avec une grande naïveté si on s'a¬ visait de le prendre au mot. Les Parisiens ont une faculté toute particulière pour interpréter les faits; si l'interprétation que vous leur donnez ne coïncide pas avec la leur, ils vous accusent tout de suite d'être un fils de Bismarck. 11 est juste de rappeler ici que M. Thiers, en juillet dernier, a été traité de Prussien pour avoir prédit les désastres qui depuis ont accablé notre pays. Ce qu'il y a de mieux à faire pour un étran¬ ger, c'est de tenir sa langue; ce n'est cependant pas chose aisée chez un peuple aussi ingénieux que l'est le peuple français pour interpréter même le silence. La visite que M. de Flavigny a faite à Versailles est le sujet de commentaires nombreux et pleins d'anxiété. D'un autre côté, on entend dire, et cela « d'après les meilleures autorités », que non seulement il est allé à Versailles, mais qu'il y a dîné avec « notre Fritz » et que notre Fritz, qui a une grande admiration pour la résistance héroïque de Paris, a déclaré que nous ne serons pas bombardés. Il me semble que les Parisiens, depuis le conseil de guerre tenu à Versailles et dont le Figaro a donné tous les détails, sont moins mal dis¬ posés pour Fritz qu'ils no l'étaient dernièrement. Notre Fritz aurait dit qu'il était si fortement impressionné et démoralisé par notre courage qu'il pensait à battre immédiatement en retraite. Malheureusement son père, un entêté, a coupé court à cette conversation en frappant la table du conseil d'un grand coup de poing. Revenons à M. de Flavigny. Quelques journaux af¬ firment, et leur affirmation est toute positive, que parti pour aller à Versailles, il s'est arrêté en route et qu'il est rentré à Paris. Je suis très embarrassé pour savoir ce qu'il peut y avoir de vrai ou de faux dans le récit du dîner de M. de Flavigny et dans l'assurance donnée A PARIS PENDANT LE SIÈGE. par notre Fritz que nous ne serons pas bombardés. Il est bien possible que toutes ces choses ne soient inven¬ tées que par le désir que nous avons de les voir se réaliser, somma xyrolanlium. 11 faut avouer qu'en dépit de notre courage si vanté, nous avons comme des défaillances périodiques cau¬ sées parla crainte du bombardement. Il est bien pos¬ sible qu'elles ne soient que l'effet de certains troubles difliciles à décrire et pour lesquels les femmes ont inventé le mot de « vapeurs ». Paris « a donc ses va¬ peurs ». Il est vrai que Paris se sent inquiet. Les rai¬ sons de cette inquiétude sont nombreuses et difficiles à apprécier. Au fond il a un secret désir de reprendre son ancienne existence et une impatience bien grande de savoir ce que Gambetta fait en province. On se demande s'il s'est avisé de faire quelque coup de théâtre qui puisse amener la fin du siège. 11 faut en¬ core compter avec l'éloignement des familles et avec cet état d'incertitude, qui devient monotone pour tous les esprits et qui fait que le temps passe lentement. La première impression causée, par l'état de siège et par le bruit incessant du canon, a perdu tout l'at¬ trait de la nouveauté. Los sorties sont maintenant con¬ sidérées comme dos mouvements en avant, inévitable¬ ment suivis do mouvements en arrière: les opérations militaires ont en conséquence perdu une grande par¬ tie de leur intérêt. Les théâtres étaient fermés et c'était une question d'une importance capitale que celle de savoir comment on pourrait suppléer aux di¬ vertissements qu'ils procuraient. Paris peut bien se résigner à vivre sans manger de viande ; mais jamais, aussi longtemps que le monde vivra, il ne pourra se passer des spectacles de quelque nature qu'ils soient. Si les théâtres sont fermés, la comédie et le drame se joueront dans la rue. Ce sera une pièce dans laquelle TEMPS PERDE 81 le public pourra remplir un rôle et par cela même elle sera plus qu'aucune autre capable d'exciter les nerfs des Parisiens. Des clubs sont établis dans le théâtre de la Porte Saint-Martin et dans celui des Folies-Ber¬ gère; ils font tout leur possible pour remplacer les divertissements qu'on y donnait avant le siège. Des hommes de loi, des publicistes, des pasteurs proles¬ tants s'y font entendre; ils nous régalent de speeches dans lesquels ils nous prouvent qu'en passant une soirée à les écouter, en l'absence de M"0 Schneider ou de M,lc Déjazet, « nous livrons un combat moral contre la Prusse et que l'issue de ce combat, sans aucun doute, sera pour nous l'occasion d'un triomphe. Si Bismarck, disent-ils, pouvait être au milieu de nous et voir par lui-môme la manière dont nous nous com¬ portons, il serait convaincu qu'il n'est pas possible de conquérir une grande nation qui défend sa liberté. » Un ministre protestant se réjouit de « notre régénéra¬ tion morale » ; Paris ne sera plus la cité frivole des jours passés, etc., etc... Il est certainement plaisant d'entendre dire toutes ces choses, qui n'ont guère plus de portée qu'un simple sermon. C'est pour cette rai¬ son que nous ne prodiguerons pas nos compliments. Nous désirons auparavant être assuré que tout cela est sincère. Le joli contraste qu'on établit entre notre fri¬ volité d'hier est notre régénération morale d'aujour¬ d'hui, nous fait éprouver un secret plaisir; il est sem¬ blable à celui que ressent une coquette corrigée, qui, après avoir écouté un prédicateur à la mode, va en¬ tendre un sermon de carême. Notre philosophie ne ressemble-l-elle donc pas à la philosophie des co¬ quettes : « Quand vous n'avez pas ce que vous aimez, il faut que vous aimiez ce que vous avez. » C'est là une devise essentiellement féminine et parisienne. Nous ne pouvons pas avoir Schneider, eh bien! nous nous 88 A I'AItIS PENDANT LE SIÈGE. contentons du pasteur Edmond de Pressensé; et malgré toul il est bien possible que l'intérêt, que nous portons à toutes ces choses, aille en diminuant. Il est maintenant à la mode de se former en société de mutuelle admiration. Peut-on, cependant, s'imaginer qu'une coquette, qui serait entourée du matin au soir de jeunes adorateurs, puisse devenir la directrice d'un couvent? 11 est possible que, sous l'influence d'une louange aussi continuelle, elle finisse par bâiller. Il en est de même de Paris, et c'est entre beaucoup d'autres une des raisons qui font que « Madame a ses nerfs ». Le gouvernement, par certains de ses actes, laisse de¬ viner son intention de tirer un parti pratique de l'esprit guerrier qui s'est emparé des Parisiens pendant le mois dernier; mais avec quelle précaution et quelle délicatesse le général Trochu traite cette question! Il est officiellement annoncé que, dans chaque mairie, un registre sera ouvert pour y recevoir les inscriptions de ceux des gardes nationaux qui voudront s'engager dans les bataillons de volontaires. Le Cri du Peuple est pour la « levée en masse » de toute la partie de la po¬ pulation qui est en état de porter les armes. Ce projet d'inscription de volontaires semble partager le sort commun à toutes les souscriptions volontaires pour lesquelles il y a toujours un grand nombre d'adhésions platoniques. Elles disparaissent au moment où on veut les réaliser. L'esprit d'initiative personnelle est tout à fait contraire au génie du peuple français. Il attend qu'on lui donne des ordres et il est très docile entre les mains de celui qui lui montre de la fermeté. Le général Trochu essaie de se mettre en rapport avec le peuple; il ne paraît pas réussir à l'engager à faire des efforts énergiques et désespérés. 11 a cepen¬ dant bien tout calculé pour faire les choses tranquil- TEMPS PERDU. 89 lement et pour préparer les Parisiens, degré par degré, aux phases différentes des maux qu'ils devaient avoir à supporter. Le général Trochu prend peut-être trop do précautions pour tâter le pouls du peuple. Je me suis laissé dire par une personne digne de foi que, inter¬ rogé l'autre jour sur les raisons qu'il avait pour ne pas risquer des engagements plus décisifs, le général Tro- cliu répondil que Paris serait dans la consternation à la vue de dix ou douze mille blessés. L'effet produit sur les personnes, qui étaient sur les remparts au moment de la dernière affaire de Bagneux, peut don¬ ner une idée de l'émotion qui résulterait d'un pareil événement. 11 semble que la vue des blessés, depuis les premières sorties de Châtillon et de Chevilly, n'im¬ pressionne plus autant la sensibilité nerveuse de Paris. Un certain sentiment de curiosité a, peu à peu, succédé à la consternation du premier moment. Le silence, plein de tristesse, qui dans les premiers temps se faisait partout sur le passage des ambulances, a bientôt été rompu par le récit des différents épisodes du combat dans lequel les soldats avaient été blessés, Paris prend vite peur, mais il se remet aussi très vite de sa frayeur. C'est un article de foi de dire que les Parisiens peuvent s'habituer à tout. Ceux qui ont été témoins de la variabilité de l'humeur des Parisiens peuvent confirmer la justesse de ce dicton. Les officiers parlent d'une sortie qui doit se faire dans la direction de Saint-Cloud et de Versailles. Elle doit avoir lieu un des jours de cette semaine. On suppose que les lignes prussiennes sont en ce moment moins fortes sur le front ouest de la ligne d'investissement ; cet affaiblissement serait la conséquence soit d'une con¬ centration de troupes faite dans la direction de Choisy- le-ltoi où on dit qu'elles sont en grand nombre, soit d'un envoi de régiments destinés à renforcer l'en- 90 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ncmi opposé à l'armée de la Loire. Toutes sortes de détails, en ce qui nous concerne, sont divulgués avec une étonnante facilité, et si les espions du comte de Moltke gagnent réellement leurs salaires, les Prus¬ siens doivent être renseignés sur les projets du gou¬ verneur Trochu et les connaître aussi bien que lui- même. L'affaire de Chevilly, qui a eu lieu le 30, n'était un secret pour personne dès le "25; je puis le dire, puisque je l'ai connue moi-même longtemps d'avance. Après avoir eu la manie de voir des espions partout, manie qui fit beaucoup de victimes, on tomba dans un extrême opposé, celui d'une incroyable insouciance. C'est là une réaction naturelle aux choses de ce monde. Nous usons d'une étonnante minutie dans les précautions que nous prenons pour cacher nos faits et gestes, et cependant tout le monde les connaît aussi bien que nous-mêmes. Le gouvernement, dans ses communications, fait allusion à des armées de 80 000 hommes « qui sont en formation à...»: en lais¬ sant le nom en blanc, il a l'intention de cacher leurs mouvements à l'ennemi, et les journaux publient des avis mystérieux de concentration de troupes qui se font chaque jour « dans une direction que le patrio¬ tisme défend de révéler ». Nos secrets ont le même sort que ceux que l'on confie à des femmes : l'univers entier les connaît. Vendredi 21 octobre. — Une nouvelle bataille est engagée; elle, a lieu dans les environs des hauteurs es¬ carpées qui sont situées entre Saint-Cloud et Versailles. On dit que le duc de Wellington, pour satisfaire à la curiosité d'une personne, qui lui demandait ce que c'était qu'une bataille, en fit la description suivante : « Une ligne d'hommes s'avance, comme à la parade, contre une autre ligne d'hommes; ils font feu; alors il s'élève dans les airs un nuage de fumée et aussitôt TEMPS PERDU. 91 qu'elle est dissipée une des deux lignes de soldats regarde si l'autre ligne a pris la fuite ; si elle ne l'a pas prise, c'est elle qui s'enfuit. » A l'exception de quelques changements de peu d'importance, introduits dans la tactique par l'inven¬ tion des chassepots et appréciables seulement pour des militaires, une bataille est, à bien peu de chose près, telle que le duc de Wellington l'a décrite. Une grande revue est aussi un spectacle intéressant. Mais il est plus intéressant pour moi de constater les émo¬ tions de la foule fiévreuse des Parisiens qui, pour voir la bataille et en suivre les phases diverses, se sont massés dans l'avenue deNeuilly depuis l'Arc de Triomphe jus ¬ qu'aux fortifications. Quelques-uns plus heureux sont parvenus par fraude à franchir les murs d'enceinte, soit en s'introduisant dans les voitures d'ambulance, soit en usant de toutes sortes d'autres stratagèmes. Ils ouvrent démesurément les yeux pour tâcher de découvrir derrière les hauteurs, où sont postées les arrière-gardes prussiennes, la fumée des canons fran¬ çais que leur seule imagination a placés en cet endroit ; ces canons doivent écraser de leurs boulets l'ennemi qui ne s'attend pas à les recevoir. « Cependant, si nous faisions plus attention eL si nous nous servions de lorgnettes dont l'usage ne nous serait pas inutile, nous pourrions voir des boulets tomber dans les rangs des soldats aux pantalons rouges. « Certainement, s'écrie une gentille dame en frappant la terre avec son para¬ pluie, et en applaudissant de ses mains finement gan¬ tées, c'est le général Polhès, et maintenant l'arrière- gardc de ces hordes de sauvages est engagée. Je sais à quoi m'en tenir. Un de mes amis, qui connaît le géné¬ ral Trochu, m'a dit que les dépèches de Gambetta ne sont pas les seules qui donnent de bonnes nouvelles. Le général Trochu ne publie pas toutes celles qu'il a Oil A PARIS PENDANT LE SIÈGE. reçues dans la crainte de mettre les Prussiens dans le secret. Mais le général a dit à mon ami tout ce qui concerne celte affaire. » Aussi nous persuadons-nous bien vite que l'armée de la Loire s'avance vers nous et le succès que les troupes françaises ont obtenu à Mon- tretout dans leur première rencontre avec l'ennemi, nous paraît être un heureux début. Nous nous em¬ pressons de rentrer chez nous pour répandre la bonne nouvelle. Ne sommes-nous pas toujours contents d'une comédie quand les premiers actes sont bons? Cela nous suffit et nous ne nous inquiétons plus du dénouement. La vérité fut, peu à peu, connue à Paris et le désap¬ pointement y fut grand; il fut d'autant plus grand que les espérances, inspirées par les premiers succès de l'après-midi, avaient été exagérées. L'état-major publia dans la soirée une relation assez vague des faits accomplis dans la journée. Ce rapport donnait avec complaisance les résultats de l'attaque faite par l'aile droite de l'armée sur les hauteurs de la Jonchère, en laissant toutefois de côté les opérations de l'aile gauche à Montretout; il insistait sur les pertes consi¬ dérables de l'ennemi et promettait de donner plus tard des détails encore inconnus. On apprit alors que Montretout avait été abandonné; que des canons étaient perdus; que les mobiles de l'armée de Ducrot avaient lâché pied cl qu'une foule d'incidents étaient arrivés dans les commissariats et dans les ambu¬ lances. Enfin on entendit parler, comme toujours en pareille circonstance, « de trahison » et de l'incapacité des chefs militaires. Les Gaulois ont une étonnante faculté, qui les dis¬ pose à croire en eux tant qu'ils sont dans le succès et à se déchirer les uns les autres après un revers. Chaque sortie provoque des scènes semblables aux querelles des amoureux. Il n'y a pas assez de caresses TEMPS PERDU. pour nos généraux quand ils annoncent qu'ils vont faire une sortie; ils sont alors des héros et nous les adorons pendant une après-midi. Le lendemain matin, la lune de miel est passée et nous lacérons, nous dé¬ chirons leurs proclamations et leurs billets doux ; nous jurons qu'ils sont des traîtres et nous estimons que l'échafaud est lui-même une peine trop douce pour leurs forfaits. Mais ils viennent à nous avec des paroles flatteuses; ils font l'éloge de notre héroïsme; ils sou¬ rient; ils disent que tout est pour le mieux et ils nous remercient de notre admirable manière de prendre les choses: nous, alors, nous les tenons quittes du passé et nous les adorons plus que jamais « pour quelques jours de plus ». Extrêmes dans notre amour, extrêmes dans notre haine, nous passons de l'un à l'autre sentiment avec la rapidité qui convient à un peuple particulièrement nerveux. Ceux, qui ne nous comprennent pas, disent que c'est de la légèreté ; nous, nous disons que c'est le fait d'une disposition géné¬ reuse et chevaleresque. Ces événements entretiennent dans la ville un dan¬ gereux courant d'agitation ; il est très sensible et le gouvernement s'efforce de l'enrayer en prenant di¬ verses mesures qui sont inefficaces. Il poursuit devant la justice Sapia1, un commandant de la garde nationale qui avait excité ses hommes à la rébellion, et Sapia est acquitté par la cour martiale. 11 destitue le maire du XIe arrondissement, M. Mottu, qui avait gravement offensé le parti clérical en proscrivant l'instruction religieuse des écoles et en baptisant les boulevards de noms hérétiques. Le boulevard du Prince-Eugène avait été appelé boulevard Voltaire et cette subsli- 1. Le commandant Sapia a choisi pour le défendre devant la cour martiale M» Lachaud, avocat à la Cour d'appel, resté à Paris pendant toute la durée du siège. 91 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. tution de nom avait paru horrible à des personnes res¬ pectables. Flourens, menacé d'être traduit devant une cour martiale pour avoir usurpé le commandement dans la garde nationale et pour avoir comploté le renversement du gouvernement de la République, déclare dans le journal lu Combat qu'il a été, sous l'Empire, si bien habitué à être condamné à mort, qu'il ne craint plus aujourd'hui les cours martiales de la République. Tous ceux, qu'on poursuivait ainsi, passaient, en gens habiles qu'ils étaient, avec une par¬ faite aisance à travers les mailles des filets que le gouvernement tendait pour les prendre. Les votes faits dans les bataillons de la garde nationale étaient des votes de caprice et de boutade; les agitateur les interprétaient dans un sens favorable à l'établisse¬ ment de la Commune. Dans son numéro du "21 octobre, Félix Pyat, un des principaux, provocateurs des troubles de ces derniers jours, prit pour texte d'un article, dans son journal, la dernière circulaire de Jules Favre, une de ces effu¬ sions indiscrètes et académiques dans lesquelles notre Cicéron exprimait devant toute l'Europe les tristesses de son cœur et révélait aux Parisiens la faiblesse de leur position. « L'Europe, disait-il, se repentira trop tard de n'être pas venue à notre secours. » Ces mots servaient de péroraison à sa circulaire. «Trop tard! répéta Félix Pyat, ce mot est mortel ! c'est déses¬ pérer; c'est dire que la France va tomber ou se rendre; traiter ou trépasser; c'est le dernier sou¬ pir, le dernier mot du trappiste : 11 faut mourir! 11 y avait deux politiques à suivre, celle de l'intri¬ gue et celle de l'audace; celle de M. Thiers et celle de Danton. A vrai dire, entre les deux, le gouvernement, c'est-à-dire le comité de la défense nationale, a choisi une troisième, celle des pleurs. 11 a plaidé TEMPS PERDU. 95 pour la France comme Me Lachaud a pu le faire pour Mn"' Lafarge. « 11 s'est adressé à la « cordialité » des rois plutôt qu'à l'énergie de la Révolution ; il les a priés, suppliés d'abord; puis, ne pouvant les attendrir, il a tenté de les jouer. 11 a envoyé M. Thiers refaire les rois en Angleterre, en Autriche, en Russie et il a été refait. M. Thiers n'a pas ramené le moindre cosaque au secours de la France républicaine. Bref, il a re¬ cueilli, comme dit la circulaire, les témoignages stériles de cordialité. Il a pu rapporter cela en ballon, ça ne pèse pas lourd Parisiens, vous avez voulu la République. Pourquoi? parce qu'elle est le contraire de l'Empire; parce que l'Empire avait été la perte et que la République était le salut; parce que la Répu¬ blique, en intéressant tout le monde, avait seule la force de vous sortir du trou où vous avait jetés l'é- goïsme d'un seul et le vôtre : l'Empire Soyez conséquents. Il faut pour cette tâche ardue que ce soit la République et non l'Empire sous le nom de République. 11 faut que ce soit une République de ré¬ publicains et non d'impérialistes » Et Pyat propose, comme panacée, la Commune. « Si nous n'avons pas la Commune, brisons plumes et épées. Résignons- nous. Trocliu ira rejoindre Uhrich. Le neveu de Blùcher sera, comme son oncle, gouverneur de Paris. Quatre cent mille Prussiens auront raison de quarante millions d'âmes. La fausse République tombera comme le véritable Empire, Paris comme Strasbourg Par la Prusse ou la faim, le vaisseau de Paris sera le Vengeur ou le radeau de la Méduse! Le 15 novembre quand les batteries du siège de Strasbourg commen¬ ceront celui de Paris, ce jour-là, si Paris n'a pas subi déjà le sort d'Ugolin, ce jour-là, même pour la Com¬ mune, il faudra dire comme la circulaire : Trop tard ! 9G A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Ce jour-là les Prussiens auront la France morte ou rendue! Donc, citoyens, il est temps! La Commune ou la honte! la Commune ou la mort! » Ces appels passionnés, répétés par les innombrables voix des clubs, trouvaient leur principale force dans l'indécision et l'impuissance qui paralysaient la poli¬ tique et l'action militaire du gouvernement. Il devenait évident que les engagements militaires ne réussiraient pas et qu'on ne pourrait pas, par ce moyen, parvenir à mobiliser trente ou quarante mille gardes nationaux1. Pour cacher ce résultat mortifiant, les gardes natio¬ naux se plaignent non de ce qu'on a demandé trop de volontaires, mais de ce qu'on n'en a pas demandé assez et les citoyens-soldats dont les exploits, même au dire des journaux de l'opinion du Combat, sont dif- licilcs à raconter, demandent au gouvernement avec 1. Le 1G novembre 1870 le gouvernement de la Defense natio¬ nale avait rendu le décret suivant : Le Gouvernement de la Defense nationale décrète : Art. 1er. — Il est formé dans chaque bataillon de la garde nationale sédentaire une compagnie de gardes nationaux mobilisés. Art. 2. — Cette compagnie se composera de 150 hommes recrutés parmi les gardes nationaux du bataillon par voie d'inscription volontaire. Un registre est ouvert dans chaque mairie d'arrondissement pour recevoir les inscriptions. arrêté. Le commandant supérieur des gardes nationales de la Seine : Arrête : Art. lor. — Les officiers, sous-officiers et caporaux des bataillons de volontaires appelés à l'extérieur par un service de guerre recevront la solde allouée aux officiers, sous-officiers et caporaux de la garde natio¬ nale mobile; ils toucheront en sus les vivres de campagne. Art. 2. — Les gardes volontaires appelés à l'extérieur par un service de guerre recevront les vivres de campagne en sus de la solde de 1 fr. 50 qu'ils reçoivent déjà en station. Art. 3. — Cette solde de 1 fr. 50, qui sera payée par les agents du Trésor, pourra être déléguée par les gardes, en tout et en partie, à leurs familles. Art. 4. — Pendant la durée du siège, les chefs de bataillons de volon¬ taires qui en feront la demande recevront une ration de fourrage. Paris, 2'■> octobre 1870. TEMPS PERDU. 97 une grande énergie « une sortie en masse » de toute la population mâle. Le général Trocliu a répondu par une adresse longue et pleine de cœur. Dans cette adresse, il s'est élevé contre les mesures désespérées que l'impatience du peuple voulaient lui faire prendre et il s'est opposé avec douceur au projet de faire sortir toute la population parisienne; il affirmait que c'était l'envoyer à un massacre général et il terminait sa proclamation en disant « qu'il avait un plan ». Ce fut un acte de condescendance qui attira sur le mal¬ heureux gouverneur une pluie d'épigrammes finement aiguisées. — « Avez-vous vu le plan de Trochu?» C'esL par cette question qu'on s'aborde dans les rues. « Ah ! il a un plan ! — Oui. Mais il est cacheté et déposé chez un notaire, M1' Ducloux. — Pensez-vous que M° Ducloux consente à y jeter un coup d'œil? » De¬ puis cette proclamation on n'appelle plus Trochu que « l'homme au plan1 ». On raconte de Souvarow, vieux général russe, le trait suivant : C'était la veille d'une bataille; la situation était critique. Les officiers, qui l'entouraient.le questionnaient sur ses projets.Tout d'abord, il refuse de répondre; puis, après avoir fait inutilement beaucoup d'efforts pour échapper à leurs questions, il leur dit, comme s'il cédait à leur impor- lunité : « Messieurs, chacun de vous recevra, cette nuit, mon plan enfermé dans une enveloppe cachetée ; je vous ordonne de ne pas l'ouvrir avant demain dans l'après-midi. Bonne nuit, et veillez à ce que chaque chose soit en ordre demain matin. » Le lendemain matin la bataille était livrée et gagnée à midi. Comme 1. Le plan dont il est question ici, a été déposé par le général Trochu chez son notaire, M" Ducloux. Il l'ait partie du testament du général. Il a voulu laisser une preuve certaine de ce qu'il pensait de la guerre et du siège alors qu'il les dirigeait, et ce, pour le cas où il serait mort pendant la guerre. 6 08 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. l'état-major se confondait en congratulations auprès du général, il dit aux officiers : « Maintenant, mes¬ sieurs, vous pouvez ouvrir vos enveloppes. » Ils les ouvrirent et trouvèrent dans chacune d'elles un mor¬ ceau de papier blanc soigneusement plié en quatre. On ne questionna plus jamais le général Souvarow sur ses plans. Mais Souvarow était un Moscovite et ses officiers n'étaient pas des Parisiens. Flourens, qui s'était illustré en Crète, demandait pourquoi M. Trochu ne conduisait pas la guerre comme il l'avait lui-même conduite en Crète. Il est bien possible que les résultats de la campagne de Flourens n'aient pas été assez brillants pour engager le gouverneur de Paris à imiter sa tactique. Le plan de Flourens est très simple : 1° décréter la victoire, 2° fusiller les généraux vaincus. — Je crains pour mon pauvre ami Flourens qu'il n'ait pas longtemps à vivre, si sa façon succincte et commode de traiter les généraux vaincus était adoptée et s'il était lui-même pourvu d'un commandement. Les canons se fondaient lentement, car le gouvernement ne s'entendait pas avec les entrepreneurs civils. 11 y avait souvent désac¬ cord entre les entrepreneurs et leurs ouvriers et les olfres de haute paye n'avaient même pas le pouvoir de décider ceux-ci à travailler au lieu d'aller pares¬ seusement jouer au soldat sur les remparts. — Le gé¬ néral Trochu avait déclaré que, si l'on n'avait pas une bonne artillerie nouveau modèle, on ne pourrait pas faire d'opérations actives dans le rayon des forts; que c'était une condition sine • Le gouvernement a parlé et quand il a pu forcer le gouvernement à parler. M. Prudhomme est content. Le Bourgetl Quelle heureuse et importante diver¬ sion ! Dans cette affaire, nos mobiles, les mobiles de la Seine, se sont couverts de gloire; donc les affaires commencent à prendre une meilleure tournure. Mal¬ heureusement je fais la rencontre d'un philosophe pessimiste qui parle comme un livre ou comme un article de la Revue des Deux Mondes. Mon ami regrette le temps où il pouvait s'occuper de travaux littéraires et il fait force doléances sur ce qu'il éprouve un ennui TEMPS PERDU. 109 intolérable. Nous dirigeons notre promenade sur les quais et nous traversons le jardin des Tuileries. Notre conversation devient tout à fait mélancolique et le grondement des coups de canon, qu'on entend dans le lointain, ne nous cause aucun plaisir. Je déteste en¬ tendre le canon de loin : ce n'est pas à dire que j'aime mieux l'entendre de près, mais l'éloignement donne un accent funèbre à sa voix. Je suis porté à croire que je vais assister à mes funérailles et que Paris sera mon tombeau. La Seine, qui coule à mes pieds, me paraît toute mélancolique lorsqu'elle passe avec bruit sous les arches du pont Royal. Je ne vais certainement pas faire l'éloge de la vivacité de la con¬ versation de mon ami, mais je dois avouer qu'elle me laissa, lorsqu'il m'eut quitte, la même triste impression que la vue de la Seine venait de me faire éprouver. M. Thiers est attendu, ici, demain. Quelles nouvelles apportera-t-il? Apportera-t-il la paix? Nous nous ber¬ çons de cette idée, qu'il est en train de faire 1111 mi¬ racle ; le citoyen Félix Pyat nous a cependant tenu en garde contre le « colporteur Thiers et ses mar¬ chandises ». 11 nous a dit «que les sympathies qu'il rapporte de son voyage en Europe no pèsent pas assez lourd pour qu'il ne puisse pas les rapporter en bal¬ lon ». Quand le peuple ne sait ni ce qu'il doit faire, ni ce qu'il doit penser, il se promène et il dîne; c'est ainsi que nous nous donnons tout le mouvement que nous pouvons et que nous essayons de dîner avec nos 60 grammes de viande, qui seront réduits la semaine prochaine à 50 grammes1. 1. Arrête concernant la viande de cheval : Le ministre de i/Agriculture et du Commerce, Vu l'arrêté du 7 octobre 1870 établissant la taxe sur la viande de cheval. arrête : Article 1". — Dans les étaux autorisés k vendre de la viande de 7 110 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Ln dimanche malin 30 oclobre, le village du Bourget fut attaqué par les grenadiers de la garde prussienne. Ils firent de grandes perles dans ce combat, mais tous les bataillons de nos mobiles, surpris derrière leurs barricades et cernés, furent forcés de se rendre à l'en¬ nemi 2. Les événements de la matinée ne furent géné- cheval, le prix de vente de ladite viande est fixé ainsi qu'il suit ; Aloyau et faux filet, 1 fr. 80 le kilogramme; Tende de tranche, culotte, gîte à la noix, tranche grasse, 1 fr. 10 le ki¬ logramme ; Tous autres morceaux, 50 centimes le kilogramme. Le filet n'est pas taxé et se vendra k prix débattu. Art. 2. — Le présent arrêté aura une durée de sept jours k partir luudi 31 octobre. «Art. 3.—Toute infraction aux dispositions du présent arrêté sera puni des peines portées par les articles 479 et 180 du Code pénal ainsi conçus : « Art. 479. — Seront punis d'une amende de 11 à 15 franca es bouchers qui vendront la viande au delà du prix fixé par la taxe légalement faite et publiée. «Art. 480. — Pourra selon les circonstances être prononcée la peine de l'emprisonnement pendant cinq jours au plus. » Fait à Paris le 29 octobre 1870. Dans un autre arrêté du même jour, le ministre de l'Agriculture et du Commerce fixe le nombre des chevaux qui pourront être li¬ vrés chaque semaine à la boucherie, nombre qui ne pourra en aucun cas être dépassé. 2. Rapport militaire publié dans le Journal officiel : 30 octobre, Si heures et demie du soir. Le Bourget, village eu pointe eu avant de nos lignes, qui avait été occupé par nos troupes, a été cauonné pendant toute la journée d'hier sans succès par l'ennemi. Ce matin, de bonne heure, des masses d'infan¬ terie, évaluées à plus de 15 000 hommes, se sont présentées de front, appuyées par une nombreuse artillerie, pendant que d'autres colonnes ont tourné le village, venant de Dugny et de Blanc-Ménil. Un certain nombre d'hommes, qui étaient dans la partie nord du Bourget. ont été coupés du corps principal, et sont restés entre les mains de l'ennemi. Ou n'en connaît pas exactement le nombre en ce mo¬ ment. Il sera précisé demain. Le village de Drancy, occupé depuis vingt-quatre heures seulement, ne se trouvait plus appuyé à gauche, et le temps ayant manqué pour le mettre en état respectable de défense, l'évacuation en a été ordonnée pour ne pas compromettre les troupes qui s'y trouvaient Le village du Bourget ne faisait pas partie de notre système général de défense : son occupation était d'une importance très secondaire, et les bruits, qui attribuent de la gravité aux incidents qui viennent d'être exposés, sont sans aucun fondement. TEMPS PERDU. Ill ralcment connus sur les boulevards qu'à deux heures de l'après-midi ', mais les dépêches officielles, parues la veille, étaient pleines de mauvais pressentiments. Le Combat, qui paraît le matin, se fit l'écho des quelques bruits qui couraient déjà sur cet engagement : « Un gros corps de Prussiens a été cerne entre Aubervil- liers et le Bourget. » C'était le corps qui ferma la retraite aux troupes françaises venues du Bourget. Grâce à la crédulité native des Parisiens, on put tout d'abord leur faire croire que les vainqueurs é'aient les vaincus et leur affirmer que les Prussiens ne sorti¬ raient pas de ce mauvais pas. .Malgré cela, il y eut chez tout le monde un sentiment de doute et d'inquiétude. Dans les colonnes du Combat de ce matin, il paraît un article insidieux, qui, selon toute vraisemblance, a été fait avec l'intention de porter le dernier coup aux hommes en ce moment au pouvoir. M. Pyat, abandon¬ nant son ton ordinaire de colère, prend un ton d'ironie modérée et courtoise; ce changement dans sa manière d'écrire produisit un grand effet, et le lecteur, quel 1. Le commandant du 12e bataillon, M. Baroche, fils de l'ancien ministre de la Justice, trouva une mort glorieuse dans le combat livré au Bourget contre les Prussiens. Il était derrière une barri¬ cade avec quinze moblots. Les obus pleuvaient autour d'eux; sept hommes étaient déjà tombés autour de lui. frappés mortelle¬ ment. « Enfants, dit-il à ceux qui restaient, allez-vous-en : nous ne sommes pas en nombre ! » Ils hésitaient. « Je vous l'ordonne! » reprit-il. Et il demeura seul. Il se dirigea alors vers le cimetière du Bourget et là, après avoir rallié cent cinquante soldats de toutes armes, il surprit l'en¬ nemi par une nouvelle décharge. Peu d'instants après, il chan¬ cela, frappé d'une balle au cœur. On s'empressa autour de lui : il était mort. Cette mort héroïque a causé une grande émotion dans tout Paris. 112 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. qu'il fût, en lisant entre les lignes de cet article ano¬ nyme du HO octobre, était tout préparé aux événe¬ ments du 31 octobre. Pour cette raison et aussi parce qu'il est un modèle d'ironie française, l'article de M. Pyat mérite d'être cité tout au long : Que ce gouvernement soit plein de bonnes intentions, c'est ce que je ne conteste pas. Il est même certain qu'il s'agite. Ceux qui ont tenté jusqu'à nier son existence n'ont certainement jamais tenté de pénétrer dans l'intérieur de l'Hôtel de Ville, où ils auraient bien reconnu, en voyant la quantité de troupes qui y sont postées, qu'il se passe quo¬ tidiennement quelque chose d'extraordinaire. A voir tous ces mobiles en armes, un étranger (s'il eu était encore dans Paris) pourrait se figurer que l'ennemi est au Pont-Neuf. Ce serait une déplorable erreur. Ces mo¬ biles forment la garde d'honneur du gouvernement de la Défense nationale. Là (ce n'est pas un conte) se réunissent tous les jours un certain nombre de gens, qui ont l'air de faire quelque chose. Quoi? C'est leur secret. Ce doit être une œuvre bien dure, car, lorsqu'on les rencontre dans les galeries, ils pen¬ chent mélancoliquement une tête accablée, et, quand ils sortent de l'Hôtel de Ville, ils se courbent comme des géants, qui porteraient un monde dans la doublure de leur pa¬ letot. Personne n'assiste à leurs réunions: nul ne les entend, ni ne les voit ; de temps en temps quelqu'un d'eux s'échappe un instant dans un corridor, salué jusqu'à terre par le même huissier qui s'inclinait devant le préfet impérial; car rien n'est changé à l'Hôtel de Ville : il n'y a que quel¬ ques Français de plus; puis il disparait tout à coup dans un mur. Ces hommes sont-ils des fantômes ? N'ont-ils qu'une existence imaginaire? Font-ils partie d'un redoutable con¬ seil des Dix? Qu'y a-t-il derrière ce mur? Aucun bruit ne transpire, et rien jamais n'en sort. A considérer ces hommes, vous diriez de bons bourgeois : celui-ci est ventru, cet autre est chauve, un troisième a le teint rubicon d'un augure, ce maigre porte un pantalon à carreaux. Braves gens, honnêtes, peu méchants. On leur TEMPS PERDU. 113 dirait bonjour, n'était le respect. Silence : ces hommes sont des Romains. A eux seuls, ils réunissent toutes les gloires de la grande république romaine. Toutes les gloires et tous les noms1. Ils n'ont avec eux ni Fabius ni Brutus; mais Fabius est au Louvre, où il mérite plus que jamais le surnom de Cunc- tator; quant à Brutus, il est parti ; espérons que ce n'est pas pour les plaines de Philippes. Brulus est magnifique, de temps à autre on reçoit de lui des dépêches ainsi conçues : « Tout va bien. Nous avons été battus à tel endroit; telle ville a capitulé; tel général s'est rendu; mais tout va bien, tout va très bien. » A la vérité, on pourrailcroire que, si 38 millions d'hommes le voulaient bien, ils ne se laisseraient pas écraser par poignées de 2000 sans bouger de place; on pourrait croire que, si l'on avait des canons, ces canons tireraient et que, si nous étions les plus foi ls, nous ne serions pas toujours les plus faibles. Mais Brutus affirme le contraire, et Brutus, on le sait, est un homme honorable. A la vérité, quelques-uns pourraient dire que les servi¬ teurs de César n'ont peut-être pas tout ce qu'il faut pour défendre la République, et que n'étant pas très bons sol¬ dats, ils sont encore plus exécrables citoyens. Ils pourraient ajouter que, jusqu'à cette heure, ils ne voient guère que le siège de Paris qui aille bien et que, puisque rien de ce qu'on a fait n'a réussi, il serait temps d'essayer d'autre chose. Mais Brutus affirme le contraire, et Brutus, on le sait, est un homme honorable. Pour employer une comparaison peu romaine, Brutus ressemble à ces garçons de restaurant, qui vous annoncent toujours le bon état d'une côtelette qu'ils ne vous apportent jamais. Cependant il faut se taire. Caton vous répondrait que vos propositions ne sont pas constitutionnelles. En vain vous répliquerez qu'en ce moment il n'y a pas de constitu¬ tion. I. Le lecteur reconnaîtra bien le général Trochu, Gambetta, Pi¬ card, Jules Favre et Rochefort sous les noms de Fabius, de Brutus, de Lucullus, de Cicéron et de Cassius. 114 A PARIS PENDANT LE SIEGE. Galon el, ses amis n'en croienl r ien : re qu'ils aiment par¬ dessus tout, c'est la formalité. Nulle peste n'offusque et ne trouble si fort, Pour subverlir le droil, pour eslalilir le tort, Pour jeter dans les yeux des juges la poussière, Que cette enchanteresse autrefois étrangère. Son habit de couleurs et chiffre bigarré, Sous un vieil chaperon un gros bonnet carré : Los faux poids, sa fausse aune et sa règle tortue, Deschill'rent son énigme et la rendent connue. Pour présent que d'enfer la discorde a porté, Et que difforme tout : c'est la formalité. Ainsi dit d'Aubigné. Mais comme auteurs, Caton et ses amis préfèrent Schneider. Sous le gouvernement impérial, Schneider trouvait l'entrée des Prussiens en France peu constitutionnelle. Il rappelait volontiers M. Guillaume à l'ordre. Caton n'agit pas d'autre sorte. La grande préoccupation du gouvernement actuel con¬ siste à changer le moins possible de ce qui existait avant lui. 11 gémit chaque jour d'être lui-même illégal et incons¬ titutionnel ; et l'on s'attend, à tout instant, à apprendre qu'il a écrit à l'ex-empereur pour lui demander l'autorisa¬ tion de gouverner la France. Joseph Prudhomme, qui est devenu Romain, s'extasie; c'est ce même Joseph qui disait sous l'Empire : « L'homme qui vous gouverne est un misérable; tout le monde en convient; mais gardons-nous de le changer pour ne pas causer de divisions. » Ce même Joseph dit aujourd'hui : « Je conviens (pie notre gouvernement est insuffisant; il n'y a même qu'une voix là-dessus; gardons-nous cependant d'y toucher, de peur d'enfanter des divisions. » Et il ajoute : « Quand 011 a un gouvernement, c'est pour le soutenir. » A Paris est resté Lucullus; à Paris est resté Cicéron. Lucullus est gras; la nation lui donne 5000 francs par mois pour qu'il soit gras; il obéit à la nation. Cicéron pleure; demain il descendra de sa litière et présentera le cou au poignard : Cicéron est un grand homme. Peut-être, en ce moment, vaudrait-il mieux un goujat qui arrachât le cou¬ teau et poignardât le licteur. TEMPS PERDU. 115 Dieu me soit eu aide, voici le pâle Cassius — celui-là in¬ quiétait César. — Eli ! quoi ?si puissant contre César, si faible près d'Antoine.' Passons : ce n'est que le speclre de Cassius. Caton l'Ancien est aussi ressuscité; il a voulu siéger près de Caton d'Ulique; il branle un peu la tête; il n'est plus, comme on dil, à la hauteur; il a oublié sou « Delenda Cnr- thago >> et, de temps en temps, il s'approche d'un secré¬ taire pour lui dire à l'oreille : « Trouvez-nous, je vous prie, quelque chose qui compro¬ mette les socialistes. » Caton l'Ancien confond les socialistes avec les Prussiens; il croit que ce sont les socialistes qui ont brûlé Orléans et eue les Prussiens montent la garde à la porte de Gustave l'iourens. En résumé, ces Romains ne font rien, seulement ils ont un plan, et ils l'écoutent chaque jour avec un nouveau plaisir. Après quoi, quelques-uns sortent soucieux. Une voilure les attend à la porle; ils la prennent. Où vont-ils? Grand Dieu! ils passent les fortifications. Parfois ils font le lourdes remparts; parfois ils visitent un fort; d'autres fois, ils observent dans une lunette les endroits où pourraient être les ennemis. Puis ils rentrent pour diner, convaincus qu'ils ont accompli un devoir. Ils ont été salués par des mobiles, et ils ont fait prendre l'air à leur plan. Je le disais en commençant, ce gouvernement s'agite. Pour ce qui me regarde, il ne me déplaît pas. Ce que j'en dis n'est pas pour le désobliger, et je suis le premier à recommander la patience. Il est des incidents bizarres et qui déjouent toutes les prévisions. Rien ne nous prouve après tout que ce gouvernement ne sauvera pas Paris. L'Histoire ne nous apprend-elle pas que Rome fut jadis sauvée par les oies du Capitole? Cet article, paru dans le journal le Combat, était si¬ gné : Le Joueur de flûte. CHAPITRE Y UN CHAPITRE D'ACCIDENTS Lundi, soir 31 octobre. — Lorsque je sortis de la mai¬ son, à midi, la première chose qui frappa mes yeux fut une proclamation de Jules Favre. Elle annonçait la reddition de Metz par « Monsieur le maréchal Ba- zaine1 » (la semaine dernière, en parlant de lui, le gou¬ vernement disait encore l'Illustre soldat de Metz). Tout à côté de cette proclamation il y avait une affiche dont le rapprochement ne disait rien de bon ; elle informait les Parisiens de l'arrivée de M. Thiers, qui apportait une proposition d'armistice 2. Que peut signifier cet 1. Note parue à l'Officiel et affichée sur les murs de Paris: Le gouvernement vient d'apprendre la douloureuse nouvelle do la reddition de Metz. Le maréchal Bazaine et son armée ont dù se rendre après d'héroïques efforts que le manque de vivres et de munitions ne leur permettait plus de continuer. Ils sont prisonniers de guerre. Cette cruelle issue d'une lutte de près de trois mois causera dans toute la France une profonde et pénible émotion; mais elle n'abattra pas notre courage. Pleine de reconnaissance pour les braves soldats, pour la géné¬ reuse population, qui ont combattu pied à pied pour la patrie, la ville de Paris voudra être digne d'eux. Elle sera soutenue par leur exemple et par l'espoir de se venger. 2. Avis donné à la population de Paris, par M. Jules Favre, à l'occasion de l'arrivée de M. Thiers : M. Thiers est arrivé aujourd'hui à Paris ; il s'est transporté sur-le- champ au ministère des Affaires étrangères. Il a rendu compte au gouvernement de sa mission. Grâce à la forte UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 117 armistice? La dernière phrase de l'affiche signée du nom de M. Jules Favre n'est pas rassurante : « Il est « bien entendu que le vote de l'Alsace et de la Lorraine « ainsi que le ravitaillement sont une condition, sine qua non, de l'armistice. » Cette phrase ressemble beau¬ coup trop à un ultimatum. La paix ? M. Thiers est cer¬ tainement celui qui est tout désigné pour la négocier. Erqo, M. Jules Favre n'a aucune inquiétude au sujet de la paix. Mais sa principale sollicitude est pour sa chère République d'avocats; périsse la France, mais que l'honneur de la République, qu'il a prise sous sa garde, soit sauf! M. Jules Favre est depuis longtemps convaincu qu'il doit terminer tout ce qu'il écrit par une période des plus enilées dans le style de 1789. L'IIis- toire sans aucun doute l'admirera. L'Histoire est en effet assez stupide pour donner son admiration à tous ceux qui la recherchent. Les historiens nous admire¬ ront parce que nous avons vécu sans manger ni beurre ni œufs frais, et parce que nous avons murmuré quel¬ ques plaintes en mangeant nos grillades de viande de cheval; mais ils refuseront leur admiration à mon chat qui, beaucoup plus héroïque que nous tous en¬ semble, peut un jour ou l'autre être appelé à se sacri¬ fier dans la poêle à frire de son pays pour prolonger la vie de quelques-uns de ses défenseurs. Je traversai la place Vendôme; c'était mon chemin pour aller chez le docteur A... qui habite près des bou- impression, produite en Europe par la résistance de Paris, quatre grandes puissances neutres. l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et l'Italie, se sont ralliées à une idée commune. Elles proposent aux belligérants un armistice qui aurait pour objet la convocation d'une Assemblée nationale. Il est bien entendu qu'un tel ar¬ mistice devrait avoir pour condition le ravitaillement proportionné à sa durée et l'élection de l'Assemblée par le pays tout entier. Le ministre (les Affaires étrangères chargé par intérim du ministère de VIntérieur, JULES FAVRE. 7. 118 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. levards. Quelques badauds, t|ui s'attendaient à du ta¬ page, s'étaient déjil rassemblés sur la chaussée dans la rue de la Paix. Un homme en blouse se plaignait, d'une voix forte et comme suffoqué par une colère rentrée, de la façon dont les jeunes mobiles de Paris avaient été abandonnés sous le feu meurtrier de l'ar¬ tillerie prussienne. « On ne vous a pas dit quelles sont nos portes, » s'écria-l-il en s'adressant à la foule cu¬ rieuse. « J'étais à Saint-Denis, moi, et je les connais. On ne vous dira jamais ce qu'elles ont été : plusieurs centaines d'hommes ont été surpris au nord du vil¬ lage! Vous devez me croire. Mais comment se fait-il, je voudrais bien le savoir, que nous sommes toujours surpris, toujours obligés de nous rendre? >> Un garde national qui passait par là, le fusil sur l'épaule, re¬ garda sévèrement l'orateur en face et dit : «C'est quel¬ que grand b... qui n'a jamais pris de canon et qui passe son temps à brailler. » J'allai trouver le docteur, qui est un grand politicien; il est très irrité contre Trochu et contre les membres du gouvernement. « Trochu! me dit-il, ne prononcez jamais son nom devant moi : Dans les arts, un bon critique sait ce qu'il doit criti¬ quer dans un tableau ; mais si vous lui demandez d'en faire un, il ne le pourra pas Est-ce que nous n'en sommes pas là? » Je lui demandai s'il ne serait pas possible d'établir une dictature militaire avec le général Trochu, tout en confiant la direction des affaires étran¬ gères à M. Thiers : « C'est impossible, me répondit-il. « Il n'y a pas une créature vivante plus impopulaire « que M. Thiers ; nous ne le voudrions pas pour tout au « monde. » « M. Thiers, dis-je, est cependant le seul homme d'Etat français que l'Europe, à tort ou à raison, respecte. » Le docteur, pour toute réponse, haussa les épaules et se mit à se lamenter sur les désastres du Bourget. Ce qui nous manque, dit-il, c'est l'énergie. UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 119 L'énergie ! ce mot est sur les lèvres de tous les Fran¬ çais. Ils la recherchent dans l'autorité parce qu'ils ne la trouvent pas en eux-mêmes. De là ces appels conti¬ nuels aux légendaires exploits de 1792. La France de nos jours est comme une nation composée de Childe- llarold, qui essaient de revêtir les armures de leurs ancêtres sans avoir une grande confiance en elles. Mon ami devint sombre et silencieux. « 11 y a bien l'iourens! » dit-il enfin en haussant les épaules comme pourrait le faire un docteur qui remet entre les mains d'un homéopathe un malade dont le cas est désespéré. Si Paris linit par succomber, on devra écrire sur sa tombe : Ci-gît une personne morte pour avoir reçu les soins d'un trop grand nombre de médecins. — Pnriit turbo, medicorum. Je dois ajouter que le docteur A..., au moment où je le rencontrai, revenait de la place de l'IIôtel-de-Ville où il avait vu la garde nationale lever en l'air la crosse de ses fusils pendant que la foule criait : « Vive la Com¬ mune! Pas d'armistice! La guerre à outrance! A Ver¬ sailles, à Versailles! » Pour rentrer chez moi, je pris par la rue de Rivoli et je remarquai que la foule s'y était beaucoup augmentée. Un monsieur expliquait qu'un revolver était parti accidentellement (les revol¬ vers partent toujours ainsi) et que les révolutionnaires avaient profité de cet accident pour répandre le bruit que les mobiles liraient sur le peuple. J'ai eu une grande peine à me frayer un passage au milieu de la foule, qui encombrait les arcades de la rue de Rivoli. Il nie semblait revoir Paris tel que je l'avais vu dans la soirée du 7 août. 11 y avait cette différence toutefois qu'à cette époque les Parisiens n'osaient pas bouger; ils avaient peur des sergents de ville et de leurs triques. Des bataillons de la garde nationale allaient du côté de l'Hôtel de Ville : c'était comme une énorme forêt de 120 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. baïonnettes et de bannières. En passant devant la porte du Gouverneur, je vis une de leurs compagnies entrer dans la cour de l'hôtel; quelles étaient ses intentions? Bonnes ou mauvaises? Il était difficile de le dire. Dans des temps pareils, il n'est pas facile de distinguer ses amis de ses ennemis. Je remarquai plus loin que les proclamations de Jules Favrc, qui avaient été affichées sur les murs, étaient ou déchirées ou barbouillées d'encre et de boue. La foule augmentait à chaque pas. De nombreux bataillons de gardes nationaux se pré¬ cipitaient sur la place de l'Hôtel-de-Ville ; ils ve¬ naient du boulevard de Sébastopol. C'était comme un flot continuel. Il y avait parmi eux les bataillons de la Villette, ceux de la Chapelle et ceux de Belleville, le lléau et la terreur de Paris. Ils portaient leurs fusils, la crosse en l'air, ils les montraient à la foule. Des groupes de bourgeois anxieux, inquiets et bavards, se pressaient près des portes et des angles des maisons; ils avaient la précaution de ne pas se tenir trop loin d'un lieu de refuge. Leur attitude était celle de per¬ sonnes qui désirent voir, mais qui ont peur. De temps en temps, pour se mettre à l'abri du danger, ils se reti¬ raient avec précipitation dans quelque rue du voisinage ou dans les cours des maisons. Les hommes de la Villette s'arrêtaient à chaque ins¬ tant, levaient on l'air leurs fusils, baïonnette au canon, chantaient, riaient et dansaient. Ils étaient comme de vrais gamins du genre de «Guguste » et de « Polyte». Ils criaient : « Vive la République! vive la Commune! » Ce cri est toujours un bon régal pour les « Gugustes ». Ils n'en finissaient pas de pousser des acclamations, de faire des manifestations et de montrer leurs jolies grâces de faubouriens. Tout cela me rappelait ce qui s'était passé dans un collège que je ne veux pas nom¬ mer; nous, les élèves, nous avions barricadé les portes UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 121 etles fenêtres,nous étions montés sur lestableset nous avions dansé comme des Indiens Peaux-Rouges autour de notre maître d'étude. Guguste, aujourd'hui, dansait autour du gouvernement: voilà toute la différence. Un bataillon de la garde nationale s'arrête subite¬ ment, il est tout consterné ; je crois bien qu'il n'y avait, sur son chemin, pour l'arrêter qu'un cheval de char¬ rette. Bientôt les gardes nationaux se remettent en marche en levant de nouveau en l'air la crosse de leurs fusils et en criant. Leur commandant est à cheval; les hommes du premier rang l'entourent; lui, il crie, il gesticule et brandit son épée. Ses hommes se moquent de lui et lui mettent leurs baïonnettes sous le nez. Enfin la façade renaissance de l'Hôtel de Ville apparaît à nos yeux, elle est comme le décor final de quelque mélodrame de la Porte-Saint-Martin. Les balcons, les fenêtres sont remplis d'une grande foule de gens du peuple, beaucoup d'entre eux sont suspendus aux cor¬ niches des croisées. Ils forment comme des grappes humaines; et quels hommes les forment! Le Peuple! oui, Sa Majesté le Peuple : le fretin des employés de commerce, des ouvriers, des garçons épiciers, des gar¬ çons coiffeurs et des reporters de la presse boulevar- dière; les uns en veste, les autres en manches de che¬ mises ou en blouses de toutes les couleurs; ils étaient là, groupés, comme au théâtre, dans un chœur bur¬ lesque. Ils regardaient du haut de leurs trônes les braillards qui étaient au-dessous d'eux ; ils leur jetaient à profusion des petits morceaux de papier sur lesquels étaient écrits, au crayon ou à l'encre, les noms d'une douzaine de citoyens qu'on invitait le peuple à élire membres du gouvernement. Pendant ce temps, de nou¬ velles masses de citoyens se précipitaient sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Ils venaient de la rive gauche de la Seine par la Cité. Ceux-ci se distinguaient des autres par I±> A PARIS PENDANT LE SIÈGE. leur tenue et leur maintien. C'était nne réunion variée de blouses bleues sortant des repaires du faubourg Saint-Marceau, le quartier le plus pauvre et le plus mal lamé de Paris. Ils marchaient en ordre de bataille, bien que beaucoup d'entre eux ne fussent pas armés et ne portassent pas le képi, ce signe particulier qui sert à distinguer le garde national du simple citoyen. Dans leurs rangs je remarquai beaucoup de ces figures, qu'on ne voit que dans les tableaux représentant des scènes de la Terreur. M. de Bismarck avait bien tort de dire que Paris ren- fermedansson sein «une populace ». Non, monsieur le Comte,—c'est ainsi que le républicain Jules Favrevous appelle, — Paris n'a pas de populace. Oui, vraiment, sa population est dévouée et intelligente; si dévouée et si intelligente que, en ce moment même, le général Trochu, Jules Favre et leurs collègues de la Défense nationale qui sont à l'Hôtel de Ville, sont obligés, pour se protéger, d'établir une barricade de chaises autour de la table devant laquelle ils sont assis; ils sont injuriés, salis de crachats et menacés d'armes à feu par cette partie de la population intelligente de Paris. Les chefs de l'opposition ont inutilement essayé de la ramener à la raison en lui adressant des paroles aimables et flatteuses. On a été à la fin forcé de faire intervenir les fusils et les sabres. Pendant que tous ces événements se passaient, j'ai été, avec ma sœur, voir un de nos amis, qui habite une maison voisine de la nôtre. Je trouvai toute sa famille dans une grande agitation. 11 y avait aussi là quel¬ ques officiers, ils étaient pleins de rage. D'Artagnan lui-même, notre pétulant ami du Midi, paraissait vivement impressionné; bien qu'enfant de Marseille et franc-tireur, il gardait le silence et était plongé dans de profondes réflexions. De vieilles dames se UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 123 plaignaient des journalistes : « Toujours ces journa¬ listes! disaient-elles. Oh! pourquoi le gouvernement ne les a-t-il pas renvoyés de Paris avant le siège en môme temps que les bouches inutiles? Cet horrible préfet de police nous a trahis; on lui avait ordonné, ce matin, de réunir promptement la partie honnête de la garde nationale. Nous voici maintenant de nouveau en pleine révolution avec la guillotine et je ne sais quoi encore. — Grand'maman, je suis choquée de vous entendre parler ainsi! » s'écria, de l'autre côté de la pièce, une jeune femme pleine d'enthousiasme. Elle a une forte passion romantique pour Gambetta et elle est en conséquence imbue d'un grand sentiment révolu¬ tionnaire. « Grand'maman, dit-elle, je préfère certai¬ nement dix mille révolutions à une seule guerre. Le Gouvernement n'a que ce qu'il mérite pour toutes les fautes stupides qu'il a commises et et, soupira- t-elle, j'admire le peuple! — Mademoiselle n'a pas vu l'objet de son admiration prendre ses ébats sur la place de l'Hôtel-de-Ville, » répondit un officier, et il raconta malicieusement certain épisode dont il venait justement d'ôlrc le témoin. 11 avait fait ce qu'il avait pu pour écouler les orateurs du peuple. L'un d'eux, un ouvrier, s'adressait en ces termes à ses frères de la blous.e : « Frères, nous avons renvoyé le gouverne¬ ment parce qu'il nous a trahis, maintenant nous avons la Commune et la liberté. Nous sommes tous frères et nous ne resterons pas plus longtemps sous la tyrannie du riche. Chacun de nous doit s'armer et aller prendre dans l'argent du riche la part qui lui revient. Tive la Commune... » Puis, le discours ter¬ miné, l'orai eur s'était laissé tomber dans les bras de ses frères, ses' admirateurs. La conclusion générale de toute cette discussion, dans laquelle op. ,dit beaucoup de choses, fut qu'il n'y 124; A PARIS PENDANT LE SIÈGE. avait rien à faire qu'à attendre et à souffrir le bon plaisir de la Commune : « Que voulez-vous? c'est un fait accompli ; le gouvernement est mis sous clef et sous verrous; il est pris dans la chambre du conseil et c'est bien là le pis. Que diable allait-il faire dans cette galère? » Pour rentrer à la maison, nous sommes passés, ma sœur et moi, le long de la rive gauche de la Seine. Des foules de citoyens de Montrouge et du faubourg Saint-Alarceau s'y rassemblaient pour aller grossir le nombre de leurs frères déjà réunis sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Ils marchaient au son du tambour et du clairon et chantaient des chansons démagogiques « contre Badinguet et sa clique ». Ils croyaient qu'il était pour quelque chose dans cette trahison, et ils avaient comme une vague idée que, un jour, il appa¬ raîtrait subitement dans la chambre du conseil de l'Hôtel de Ville comme Jack hors sa boite. Grand Dieu! quand entendrons-nous le dernier cri de « vive la Commune »? Qu'ils l'aient donc leur Commune; mais qu'ils cessent de crier! Pendant que j'écris, j'entends dans notre avenue le bruit sourd et triste des tambours qui ba'itent le rappel. Ils invitent la garde nationale à prendre les armes. J'écris dans mon lit, car je ne peux pas faire de feu pour travailler. Le bois de chauffage est trop cher et je confesse que, si j'étais garde na¬ tional, la trompette pourrait sonner trois fois avant que je me tire de dessous mes chaudes couvertures pour revêtir tout l'accoutrement militaire : ceintu¬ ron, cartouchière, baïonnette, fusil à tabatière. Je souhaite aux citoyens de passer une nijit agréable sur l'orageuse place de l'Hôtel-de-Vi'ûe. J'aimerais cependant bien savoir ce que nous a u'rons demain à notre réveil : un dictateur ou une O.ommune? Trochu UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 125 et ses Tiretons pourront-ils disperser les hommes de Belleville? .Mais Trochu est entre les mains des révo¬ lutionnaires et il est probable qu'il est en ce moment à Mazas. Mardi novembre, six heures du malin. — Est-ce la Commune ou Trochu? Je ne puis encore rien dire. Nous avons entendu, pendant toute la nuit, la trom¬ pette qui appelait aux armes les bataillons de notre quartier. Notre quartier est prêt à accepter tout gou¬ vernement, quoiqu'il soit, pour cette seule raison que ce sera un gouvernement. Qu'il soit bon, mauvais ou entre les deux, peu lui importe; l'essentiel est que ce soit un gouvernement. Au plébiscite de mai il a voté oui : ce vote l'a fait passer, aux yeux des Parisiens, pour un adversaire direct des Bellevillois. 11 est bien possible que Trochu réussisse à se sauver de l'IIùtel de Ville et à faire cerner, par les bataillons de notre faubourg et par les Bretons de l'armée de Uucrot, les tables autour desquelles se tiennent en conciliabule ceux qui l'ont fai t prisonnier... Mais que faire decette queue qui stationne aux portes des boucheries? 11 y a là un état de choses auquel le changement de gou¬ vernement ne peut apporter aucun remède. Oh ! France, malgré le naufrage de tes différents gouver¬ nements, il y a une chose que tu devras toujours sup¬ porter, et celte chose c'est : la queue; la queue sous toutes ses formes. Queue au théâtre, à l'entrée duquel nous restons debout tout grelottants pour avoir une place de parterre; queue, dans les administrations publiques; là, on nous place dans des compartiments différents comme des moutons dans un parc et un gardien, coiffé d'un chapeau à deux cornes, nous fait obéir au doigt et à l'œil. Cette habitude nous a admi¬ rablement bien préparés à faire queue aux portes des boucheries. Je viens justemenld'aller prendre un billet 120 A TARIS TENDANT LE SIEGE. pour los boucheries; il esL vert et il porte un numéro d'ordre. Ce billet me donne le privilège de prendre soil en personne, soit par mandataire, la cent trente et unième place dansla queue qui s'est formée devant la boucherie de mon quartier. 11 ne pleut pas et il ne fait pas trop froid, aussi je compte aller moi-même chercher la part de viande qui nous revient. Je re¬ marque que dans cette queue tout le monde s'occupe beaucoup de, Trochu et de la Commune. « Trochu a donné sa démission, » dit une vieille dame. — Ah! c'est la Commune alors, » répond sa voisine. — << Qu'e st-ce que cette Commune va faire pour nous? demande un petit homme au nez recourbé : fera- l-elle que les queues soient un peu plus courtes et les rations un peu [dus longues (fortes)? — Mon¬ sieur, je ne fais pas de politique, réplique une vieille dame en haussant philosophiquement les épaules, je suppose cependant qu'ils vont faire quelque chose. » Mardi, onze heures du matin. — Après avoir été servi, je quittai la queue; et mon déjeuner pris, je me mis à courir les environs pour savoir sous quel gouverne¬ ment nous étions. 11 est vraiment désagréable de vivre dans une ville, et particulièrement dans une ville assiégée, sans savoir sous quel régime on a le bonbeur de vivre. C'est comme si on jouait aux cartes avec un adversaire auquel on n'a pas été présenté. A quelques pas de ma porte, je rencontre mon bouillant ami méridional de l'autre soir. « Hé bien! me crie d'Artagnan, connaissez-vous le grand succès de cette nuit? — Combien a-t-on tué de Prussiens? combien a-t-on fait de prisonniers? » rommençai-je à lui de¬ mander. — « Non, non, vous n'y êtes pas, vous n'êtes pas sur la voie. Je veux parler de notre succès à l'Hôtel de Ville. Ah! nous avons fait une rude besogne. Tout UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 127 d'abord je quittai ceux avec lesquels j'étais et je dis : Bertrand mon ami — c'est le nom, vous le savez, que j'ai donné à mon chassepot de Reischoffen. — Mais dites-moi donc ce que vous savez de Trochu, » me hasardai-je à lui dire. — « Attendez, me répondit-il, vous le saurez tout à l'heure, quand le moment sera venu. Je dis donc à Bertrand : Maintenant, mon ami, tu vas faire ton devoir. — Mais qu'attends-tu donc? — Ah! il veut des cartouches, ce cher ami. » — J'ou¬ bliais de dire qu'il l'appelait son cher ami. — « Je prends Bertrand et aussi beaucoup de cartouches ; vous savez que nous ne pouvons pas, moi du moins, consentir à être la risée de l'Europe. — Je vous en prie, parlez-moi de Trochu. — Patience, vous allez en entendre parler. Je vais tout droit à l'Hôtel de Ville et j'entends dire par la canaille : « Ah! nous le tenons. » — Trochu! dis-je, où donc le tenez-vous? — Hé bien! là-haut. — Pour sûr, il est là-haut? — Il y est sous clef et sous les verrous dans un grenier. — Oh! il était dans un grenier, lui? » m'écriai-je en interrom¬ pant mon ami. D'Artagnan me fit un signe de tête, tordit ses moustaches et continua : « Je courus tout de suite au Louvre avec Bertrand, et par Dieu c'eût été une mauvaise affaire pour Flourens de se trouver sur notre chemin. Ah! ah! Bertrand, le coquin sait que tu es avec moi et il a bien le soin de ne pas venir trop près de toi. Je monte l'escalier de Trochu quatre à quatre, aussi vite q.ue mes jambes me le permettent, et notez bien que personne au Louvre ne savait où était Trochu. Le général Schmitz1 fut la première personne que je rencontrai. « Mon général, le Gouver¬ neur est à l'Hôtel de Ville dans un grenier. — Ah! dit-il, dans un grenier? Est-ce possible? — Bien, mais I. Le général Schmitz était le chef d'état-major du président du gouvernement de la Défense nationale. 128 A PARIS PENDANT LE SlfiGE. abrégeons cotte longue histoire. Jules Ferry1 arriva; je le pris, lui et un bataillon (le la garde nationale, pour aller it l'Hôtel de Ville, et en avant, mes enfants! — Je délivre Trochu et pour retourner au Louvre nous le mettons dans un fiacre. Trochu me place, moi et Bertrand, en sentinelle à la porte de ses apparte¬ ments privés; et il me donne l'ordre de ne laisser entrer personne sans l'annoncer. Le général Vinoy ar¬ riva, puis le général Beaufort, et encore d'autres gé¬ néraux. — Pardon, mon général, on ne passe pas. — Mais je suis le général Vinoy! — Mon général, on ne peut pas entrer. — C'était vraiment un grand honneur que de parler ainsi avec tous ces généraux. Enfin Du- erot arriva de Neuilly; il est un ami intime de Trochu. Ils sont l'un pour l'autre comme deux frères. Ducrot dit à Trochu : «J'ai 30 000 mobiles et des canons sur la « place du Trocadéro. — Vous permettez que nous les « passions en revue, » dit Trochu à Ducrot. On fait battre le rappel et la générale ; la garde nationale se rassemble, elle se joint aux mobiles et auxBretons, qui crient : « Vive Trochu ! il est notre père, nous mourrons «pour Trochu ! » —Nous marchons sur l'Hôtel de Ville, nous l'entourons avec la garde nationale et nous en¬ trons, je veux dire mes hommes et les mobiles. Nous jetons la Commune en bas des escaliers; Pyat, Blanqui (il compte sur ses doigts), Mottu, Bonvalet et Tibaldi sont pris et envoyés au fort de Bicêtre : demain matin, la cour martiale, dix minutes de grâce et r-r-r-an. » C'est ainsi que Trochu a été délivré pard'Artagnan et par Bertrand avec l'aide de 30 000 mobiles et gardes nationaux. Nous aurons plus tard d'autres détails; je crois qu'il ne sera pas inutile de compléter, sinon de rectifier, le récit de mon ami. I. M. Jules Ferry était un des adjoints du maire de Paris; il avait pu s'échapper de l'Hôtel de Ville. UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 129 La mairie de la rue de Grenelle, notre mairie, n'a pas encore, selon toute apparence, renoncé à ses sym¬ pathies temporaires pour le « parti du désordre». Je le regrette beaucoup pour notre tranquille et tout à fait respectable faubourg. Cependant, en atténuation de ce scandale, je dois noter ce fait que nous, habitants des quartiers de la rive gauche, qui avons échappé aux troubles de cette nuit, nous jouissons du gouver¬ nement paternel d'un maire instruit, le docteur Ri- beaucourt. Il est médecin et disciple zélé de l'école du progrès. Le docteur est un de ces philosophes bien pensants, dont l'ambition pendant leur vie est d'éclai¬ rer la Révolution des lumières de la science. Dans les temps de trouble,[le savant prend sa lanterne et se porte en avant dans l'obscurité pour éclairer le mou¬ vement; mais il arrive alors que lui et sa lumière sont détruits, au commencement même de la route, par le premier souffle brutal de la foule. La politique du doc¬ teur avait prévalu à notre mairie pendant quelques heures. Sur les murs on voyait encore des placards de Dorian, contresignés par Schœlcher et par Etienne Arago, « maire de Paris » et ancien vaudevilliste. Ils convoquaient les électeurs, à midi, pour l'élec¬ tion d'une Commune '. D'Artagnan s'arrêta court devant cette affiche; il mit ses mains dans les poches de derrière de son vêtement et lut avec infiniment de goût l'élucubration de Dorian ; il s'interrompait de temps en temps par des exclamations de ce genre : « Ha! ha ! la Commune! quelle bonne farce! Et la signature d'Arago! excellent ! le pauvre homme, il était cette nuit dans une pénible situation ; placé entre deux feux, il s'agitait et cherchait des tempéraments 1. Voir à la note V l'affiche qui a été posée sur les murs de la ville et envoyée au journal le Siècle qui en a publié le texte le lv novembre. 130 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. pour garder sa place et sauver sa peau. » Après s'être soulagé par ce débordement de sentiments réaction¬ naires, il se retourna pour échanger plusieurs remar¬ ques avec des gardes nationaux qui appartenaient, me dit-il, au 10(1° bataillon1, un des bons, un de ceux qui marchèrent la nuit dernière sur l'Hôtel de Ville pour convertir Flourens et ses amis à leurs opinions. Ces honnêtes citoyens ont tous, soit ensemble, soit sépa¬ rément, accompli quelque action de martiale prouesse et ils sont, c'est bien naturel, désireux de les raconter i\ leurs amis pour leur mutuelle édification. Quelques- uns ont faitarrêter un omnibus, sur l'impériale duquel plusieurs gavroches vociféraient les cris de « Vive la Commune!» et ils ont appris à ces vilains polissons à ne point se moquer de la dignité des gardes nationaux 2. Le matin, le soleil se leva brillant sur les quais cou¬ verts de neige et sur les places du Paris de la rive droite comme pour les purifier des orgies de la nuit. Nous sommes passés devant la magnifique façade du palais des Tuileries, reste bien triste des gloires pas- 1. On lit dans le Gaulois du 1er au 2 novembre : C'est le 106e bataillon, commandant Ibos, qui a délivré le général Trochu et M. Jules Ferry. Ce bataillon a pu entrer, clairon en tête, dans la cour intérieure de l'Hôtel de Ville et une compagnie est montée dans la salle, où se trouvaient les membres du gouvernement provisoire, a entouré le général et l'a entraîné. A ce moment, quelques tirailleurs du bataillon de Flourens sont montés sur une table ayant le chassepot chargé et ont couché M. Trochu en joue. Mais le Gouverneur de Paris, protégé par les gardes nationaux avait déjà disparu. 2. On lit dans le Gaulois du 31 octobre : Un omnibus passait devant des gardes nationaux criant : Vive la Répu¬ blique! Vive Trochu! Du haut de l'impériale deux individus répondent par le cri de : «Vive la Commune ! >» Aussitôt l'omnibus est arrêté; les gardes nationaux montent sur l'im¬ périale, y cueillent délicatement les deux énerguinenes et les déposent en lieu sûr. Un des deux braillards était, parait-il, le citoyen Albert Peyrouton. UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 131 sées. .Mon compagnon parlait beaucoup et il était im¬ possible de l'arrêter. La vue du palais le jeta dans des considérations philosophiques tout aussi pénibles à entendre que ses considérations sur la guerre. « Voyez quels gens ont été ces Bonaparte! » et il mefitremar- quer, en me tirant par la manche de mon habit, l'esca¬ lier de marbre qui conduisait aux appartements privés du prince impérial: « Ilsnepouvaient, dit-il, marcher aue sur le marbre, rien n'était trop beau pour eux. » Hélas ! le prince impérial, il y a environ quatre mois, faisait courir son auguste vélocipède sur le bitume même de l'allée où nous marchions. Sur les murs du palais, on lisait les mots : Propriété nationale. Vive la République! écrits en gros caractères. « Tout cela est à nous, s'écria d'Artagnan, dans un transport de joie simulée; nous avons maintenant le droit de cueillir des roses dans les plates-bandes. » Il me quitta à la porte du jardin, après m'avoir plusieurs fois menacé de me quitter, menace qu'il n'avait malheureusement pas encore mise à exécution. Quant à moi, je continuai mon chemin en prenant par la rue de la Paix. Je trouvai cette rue pleine de bataillons de la garde nationale, réunis pour la dé¬ fense de « l'ordre ». L'ordre est une chose vraiment étonnante, moins étonnante cependant que le succès. Maintenant chacun parle avec fureur contre Flourens, Blanquiet« leur clique »; on les voue à l'exécration. Quand, le soir, quelque balai fortement manié a net¬ toyé les rues et vaincu l'insurrection, la société s'a¬ perçoit, le lendemain matin, qu'elle a toujours été du côté du balai. C'est ce qu'a fait le prévoyant de Morny la veille du "1 Décembre '. Hier, le gouverne- 1. Moray répondit, le soir du 1er décembre 1831, à ceux qui lui demandaient dans lequel des deux partis il allait se ranger, qu'il avait toujours eu pour principe de se mettre du côté du balai. 132 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ment était prisonnier dans la chambre du conseil de l'Hôtel de Ville : il paraissait alors évident à tous les hommes raisonnables que le gouvernement, à ne con¬ sidérer que les faits, sans passion, et malgré que Belle- ville ait eu la main un peu rude en sa qualité de révo¬ lutionnaire désireux de s'amuser, n'avait que ce qu'il méritait pour la punition de ses fautes passées. S'il en eût été autrement, comment aurait-on pu soulfrir qu'il fût mis sous clef? Aujourd'hui, le gouvernement a vaincu les hommes de Belleville et voilà que, comme par miracle, nous nous trouvons tous unis pour le défen¬ dre, comme si nous l'avions toujours été, et que nous sommes prêts à répandre notre sang pour le protéger contre les méchantes entreprises d'une minorité mé¬ prisable. « Si j'étais à la place du gouvernement, si j'étais le gouvernement », ce qui seditcourammentici, aussitôt que je sentirais se refroidir le zèle de mes respectables partisans, je me ferais dans les vingt- quatre heures renverser et rétablir! Mon triomphe me rendrait l'affection de mon peuple et arrêterait la diminution de son admiration. On vienl d'enlever l'affiche du gouvernement provi¬ soire, qui avait été placardée la nuit dernière sur la porte de notre mairie. Les élections municipales sont ajournées de par l'ordre de Son Excellence Jules Favre, ministre de l'Intérieur. Ainsi pas de Commune, tout au moins pour le moment présent. Tel était l'étal des choses le mardi matin, ["novem¬ bre, entre onze heures et midi. Le jour précédent, le gouvernement avait été renversé dans l'après-midi et rétabli le soir. La question maintenant était desavoir comment il userait de la victoire. Il avait à choisir entre deux manières d'agir: 1° 11 pouvait couper le nœud gordien en proclamant la loi martiale. — Mais M. Jules Favre et ses collègues ne pouvaient pas se UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 133 lancer dans cette voie à cause de leur politique toute formaliste et, aussi, à cause des compromis et des in¬ telligences, ou plutôt mésintelligences, qui avaient existé entre eux et les hommes du parti républicain avancé; ce parti les avait aidés à renverser l'Empire. 2° Il pouvait, en mettant à profit le changement qui s'était fait dans l'opinion publique en faveur des mi¬ nistres, retourner contre leurs adversaires l'arme du suffrage universel et faire consacrer leur pouvoir par un plébiscite. Une émeute leur avait donné le pou¬ voir et il leur était difficile de le défendre légale¬ ment contre une insurrection. La dictature militaire est bien le genre de gouvernement qui convient à une ville assiégée, surtout à une ville aussi turbulente que Paris; mais le général Trochu croyait à la puissance de la force morale et convaincu, ainsi qu'il l'a dit dans plusieurs occasions, que « le militarisme avait été le ver rongeur de la France », il refusait de marcher sur les traces d'un Cromwell ou d'un Bonaparte. Français du type de M. de Tocqueville, militaire libéral, ayant passé ses années de maturité dans une école de demi- républicanismeetd'orléanisine fortement américanisé, tout à fait respectable dans le choix de ses héros et ne reconnaissant comme modèles à suivre que Washing¬ ton et Lincoln, M. Trochu n'avait qu'une ambition, celle de n'employer que des mesures modérées et li¬ bérales pour conduire, au milieu des épreuves d'un siège sans égal, une capitale naturellement turbulente et incapable de discipline. Tout le monde, excepté lui, s'attendait à le voir succomber sous les contre¬ coups des impressions morales causées par les calamités du siège. C'était véritablement une noble ambition et il a peut-être sacrifié pour la satisfaire quelques- unes de ses chances de succès. 11 a ainsi perdu l'occa¬ sion de mériter les éloges de l'histoire. Toutefois, si le 8 13'. A PARIS PENDANT LE SIÈGE. général Trochu n'a pu réussir à délivrer Paris des Prus¬ siens, il a loul au moins réussi à le défendre contre les Parisiens. Sa politique d'essais et de conciliation s'alliait mal à la fermeté qui convient à un soldat. L'indécision, la faiblesse et les tendances morales de ses collègues se trouvent très exactement reproduites dans tout ce qui a été fait le 1" et le 2 novembre. Ja¬ mais les Parisiens n'avaient assisté à une pareille exhi¬ bition de proclamations officielles; c'était comme un vrai kaléidoscope, elles apparaissaient d'heure en heure, écrites dans le style très correct des proclamations de Jules Favre. Elles s'amendaient, se corrigeaient et se contredisaient l'une l'autre, tout comme les annota¬ tions d'un commentateur inhabile ou comme la liste des errata d'un imprimeur. Ainsi, à midi, les élections municipales étaient ajournées; à une heure, une pro¬ clamation de Jules Favre remettait tout en question et décidait que les électeurs auraient à choisir entre la Commune et le gouvernement de la Défense natio¬ nale. Mardi pendant la nuit, 1er novembre. — Il est bien heureux que le bois de Boulogne soit encore ouvert et qu'on puisse s'y réfugier pour fuir l'enceinte de ce Charenton étouffant qu'on appelle Paris; ce Paris, qui ressemble vraiment au sac romain des parricides dans lequel on enfermait le parricide avec un singe, un coq et un serpent, pour les y laisser ensuite se disputer à leur aise;ce Paris, qui déraisonne tout le long du jour en discutant, à perte do vue, sur la Commune, sur la République, sur l'armistice qu'on doit ou qu'on ne doit pas accepter, et sur la guerre à outrance. La guerre, la vraie guerre, est demandée avec instance, comme une faveur, par les orangs-outans qui exercent leur industrie sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Abuser de Paris est irritant pour les nerfs. Aussi je lui dis adieu UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 135 pour quelque temps et je m'en vais en province, c'est- à-dire au bois de Boulogne. Avant de partir, j'ai pu jouir de la dernière communication de Jules Pavre. C'était une proclamation, son œuvre personnelle, dans laquelle le gouvernement disait « qu'il avait été gardé à vue par les hommes de Belleville 1 ». Gardé à vue ! Est-ce que, dans le français de Jules Pavre, cela veut dire qu'on lui a tiré des coups de fusil et qu'on l'a sali de crachats? M. Jules Favre est un fervent catho¬ lique, il est possible qu'il soit heureux d'accepter ce gouvernement comme un moyen de mortification. Chacun selon son goût. Savoir pardonner est une grande vertu; mais pour un homme, qui représente l'autorité, la juste sévérité est une vertu encore plus grande. A la porte de la mairie où j'ai lu la proclamation de celui qui, déjà frappé sur une joue, tendait l'autre à son insulteur, se tenait un être tout rabougri, une 1. Proclamation de Jules Favre adressée à la population pari¬ sienne le 1er novembre 1870 : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Ministère de l'Intérieur. L'affiche publiée, hier, pendant que les membres du gouvernement étaient gardés k vue, annonce des élections matériellement impossibles aujourd'hui, et sur l'opportunité desquelles le gouvernement veut con¬ naître l'opinion de la majorité des citoyens. En conséquence, il est iuterdit aux maires, sous leur responsabilité, d'ouvrir le scrutin. La population de Paris votera jeudi prochain, par oui ou par non, sur la question de savoir si l'élection de la Municipalité et du Gouvernement aura lieu à bref délai. Jusqu'après ce vote, le gouvernement conservera le pouvoir et main¬ tiendra l'ordre avec énergie, l-'ait le le novembre 1870. Le minister (1rs Affaires étrangères charge par intérim du ministère de VIntérieur, J. FAVRE. Cette proclamation est une réponse à la convocation des électeurs faite par M. Dorian, le 31 octobre dans la soirée, et affi¬ chée pendant la nuit dans quelques arrondissements de Paris. 136 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. espèce d'avorton coiffé d'un sale chapeau et vêtu d'une blouse; il fallait faire quelque attention pour recon¬ naître que cette chose, ainsi affublée, était un homme. Il disait, en criant de toute la force de ses poumons, que « nous étions vendus et trahis». Mais la foule n'était nullement d'humeur à l'écouter. Combien j'étais heureux, n'étant pas un des membres du gou¬ vernement et par conséquent « n'étant pas gardé à vue », comme M. Jules Favre, d'être libre d'aller où je voulais et de vagabonder dans cet agréable bois tout ensoleillé. A l'exception des parties qui touchent aux remparts, il a beaucoup moins souffert que nous nous l'étions figuré. La guerre après tout, une fois qu'elle est engagée, et quand elle se fait dans votre propre pays, change très peu l'aspect extérieur des choses. Il en est de la guerre comme des voyages : ce qu'il y a de plus pénible, ce sont les préparatifs. Il est vrai que je ne vois plus autour des lacs, ni équipages fashionables, ni pur-sang anglais, ni femmes à la figure peinte et portant les cheveux rouges mis à la mode par Cora1. Tout cela a disparu, tout cela s'est évanoui avec la gloire des journées impériales. Il est cependant possible que les cheveux rouges de ces dames reparais¬ sent l'année prochaine et que, sous le règne de Louis- Philippe II, j'assiste de nouveau aux succès de toilette et de galanterie de la nièce ou de la fille de ma concierge, qui s'étalera sur les coussins d'un brillant huit-ressorts en souriant à son protecteur.—Quelque courtisan, qu'on trouverait en ce moment dans « Regent street», doit rêver au moyen de rendre le bonheur, à la France, par l'établissement d'une confortable monarchie, et à lui, par l'obtention d'une sinécure diplomatique auprès de quelque duchesse de Gérolstein ou dans quelque 1. M'1# Cora était une Anglaise très à la mode, sous l'Empire, dans le monde où l'on s'amuse. UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 131 autre eldorado grand-ducal. A cette époque de félicité que quelque Pecksniff1 de la maison d'Orléans est appelé à faire revivre, le bois de Boulogne, ce vieux coquin de bois de Boulogne, sera de nouveau livré à toutes les voluptés les plus cyniques. L'herbe des bas¬ tions aura repoussé, les embrasures faites pour les canons seront comblées et les canons enlevés seront remisés dans le Musée d'artillerie, ainsi que Schneider (Mlle Schneider) le dit dans un de ses rôles : « Mettez- moi ce sabre dans mon musée d'artillerie. » Le siège lui-même ne sera plus alors dans le souvenir de chacun qu'une ombre obscure dans le passé; et nous, démodés, vieillis, grotesques, nous les témoins du siège, nous serons là pour rappeler aux jeunes l'époque à laquelle on ne voyait dans l'avenue de l'Impératrice que des barricades et des fossés ; le temps où on entrait dans le bois par un pont-levis, où on faisait paître des bestiaux dans le champ de courses de Longchamps et où on laissait les bœufs fouler aux pieds, quand ils allaient boire dans le lac, l'herbe et les délicates fleurs exotiques qui en ornaient les bords. En ce moment, rien ne trouble le calme de cet élégant désert; on n'entend même pas le mugissement des troupeaux qui, pendant le triste mois de septembre, alors qu'on se préparait à soutenir le siège, donnaient à ces lieux un si horrible aspect; et si je regrette leur présence, ce n'est certainement pas au point de vue de l'esthétique. J'entends tout à coup un bruit de roues, je regarde et je vois un dog-cart. Une intrépide élégante était assise sur le siège; dans toute sa personne et dans sa toilette il y avait comme une réminiscence timide et contenue des temps où fleurissaient les chignons 1. Personnage de la comédie anglaise; il ressemble à Tartufe. 8. m A PARIS PENDANT LE SIÈGE. jaunes et la poudre de riz. Elle était en « deuil de son pays », deuil qui convenait bien à la délicate pâleur de son tempérament parisien. A la place du petit bi¬ chon traditionnel (sorte de petit chien), elle portait dans les mains une lorgnette de théâtre. Ainsi armée, elle allait hors de la ville, comme les membres du gouvernement, d'après Félix Pyat, pour satisfaire sa curiosité et jeter un coup d'œil du haut de la batterie de Mortemart ou de la Cascade deLongchamps sur les différents points que l'ennemi pouvait occuper. Les hauteurs de Meudon, de Sèvres et de Saint-Cloud, qui étaient en face de nous, se voyaient très distincte¬ ment dans toutes leurs lignes; nous regardions et regardions encore, mais bien inutilement, pour tâcher de voir briller les casques pointus. L'ennemi reste invisible; ceci prouve, il faut bien l'avouer, qu'il joue à cache-cache avec nous. Victor Hugo le dit : cette guerre, c'est « la guerre de cache-cache ». Cette manière de faire la guerre est tout à fait indigne de soldats civilisés qui ne doivent pas tirer des coups de fusil sans s'exposer à en recevoir. Pas un coup de fusil ne se fait entendre sur toute la ligne occidentale non plus que du côté du Mont- Valérien. L'artillerie de ce fort avait cependant fu¬ rieusement bombardé Saint-Cloud, comme s'il eût voulu conquérir les faveurs des Parisiens et réparer le silence qu'il avait observé pendant les quinze pre¬ mières nuits du siège. Ce géant (le Mont-Valérien) reste, malgré lui, silencieux dans son coin : il est sans doute honteux et tout penaud d'avoir manqué derniè¬ rement de pulvériser M. Thiers'. Ce silence indiquait- il qu'on était en train de négocier? Était-il volontaire de la part de l'ennemi qui voulait, en agissant ainsi, I. M. Thiers, en rentrant à Paris, avait manqué d'être tué près du pont de Sèvres, par une homhe partie du Mont-Valérien, UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 139 éviter de nous distraire de nos discordes civiles? Sur ces entrefaites, à Paris, la garde nationale était passée en revue sur toutes les places publiques, devant l'Hôtel de Ville, sur la place Vendôme et sur la place de la Concorde. Les mobiles bretons quittaient leurs posi¬ tions aux avant-postes et rentraient dans la ville. Je vis un de leurs régiments passer dans la rue de Rivoli et je fus vivement frappé de l'attitude martiale de leur tenue. Ducrot avait-il réellement changé ces paysans en soldats? N'était-ce au contraire qu'une illusion due à leurs capotes militaires? Les Parisiens trou¬ vaient, mais sans aucun doute cette opinion était exagérée, qu'ils avaient un air lourdaud et bêta. Comme les Bretons en défilant avaient l'air quelque peu bourru, j'entendis la foule murmurer. On disait : « Les Bretons viennent ici, ils n'ont pas l'air content. » Un proverbe dit que les Bretons ont la tête chaude et qu'ils sont entêtés. Ils n'ont pas le moindre respect pour la liberté, l'égalité, etc.; quant à la fraternité, ils ne savent rien d'elle. Leurs curés ont empoi¬ sonné leur esprit en les remplissant d'idées réaction¬ naires sur la discipline et sur l'obéissance due à leurs officiers, qui appartiennent à la classe des gentils¬ hommes campagnards. Ceux-ci, en Bretagne et dans l'ouest de la France, ont conservé toute leur influence sur les paysans. M. Thiers nous a quittés hier à quatre heures ; les journaux racontent un grand nombre d'anecdotes, plus ou moins facétieuses, sur ses promenades en Eu¬ rope et dans les rues de Versailles. Dans cette der¬ nière ville, temporairement capitale prussienne, il aurait, si nous en croyons la Liberté, rencontré M. de Bismarck dans la rue de Valois, et il lui aurait adressé la parole en ces termes : « Monsieur le comte, je vous parle seulement pour vous dire que je ne puis pas HO A PARIS PENDANT LE SIÈGE. parler avec vous1.» On affirme, d'un autre côté et avec plus de vraisemblance, qu'il a fait une visite au Comte. Mais je suppose que, dans ce temps de gouver¬ nement des rues, il lui a fait cette visite dans la rue. Dans des temps aussi critiques queles nôtres, l'arnour- propre des Parisiens est malheureusement obligé de plier devant les événements. Les journalistes font avec douceur tout ce qu'ils peuvent pour le flatter; ils rapportent les vaillantes conversations de leur illustre petit homme et ils citent ses réparties à la Talleyrand. Mercredi 2 novembre. — La nuit porte conseil ; ce proverbe s'applique particulièrement à notre gouver¬ nement. 11 paraît changer de résolutions aussi souvent que les journaux qui paraissent le matin. Hier une question était posée aux électeurs parisiens par Jules Favre ; il s'agissait pour eux de choisir entre le gou¬ vernement de la Défense nationale et la Commune. La réponse désirée était : non, c'est-à-dire pas de Commune. Aujourd'hui la question est changée : il ne s'agit plus que d'un simple vote de confiance à émettre en faveur du gouvernement existant ; nous passons ainsi du non \. On lit dans la Liberté, à la date du lor novembre 1870 : Thiers à Versailles : Ici, se place un incident des plus curieux et très frappant dans les douloureuses circonstances oii nous sommes. En traversant la rue de Valois, croyons-nous, M. Thiers se croisa avec M. de Bismarck. Il y eut dans l'assistance, parmi les officiers, une émotion profonde. La France vaincue, mais debout encore et fière, croisait, sur ces pavés célèbres de Versailles, la Prusse victorieuse et implacable. M. de Bismarck vint à M. Thiers et le salua. M. Thiers rendit ce salut et dit : — Monsieur le comte, je ne puis vous parler que pour vous dire que je ne puis vous parler. — Je le comprends, répondit M. de Bismarck. — Je ne passe ici, ajouta M. Thiers, que pour aller chercher les instructions et demander les pouvoirs du gouvernement de mon pays. Un nouveau salut et les deux hommes d'État se séparèrent. UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 141 au oui. Je serais étonné si mon ami, M. Prudhomme, n'avait pas la mémoire troublée par ces affirmations et ces négations qui se succèdent et se contredisent1. Pauvre Monsieur Prudhomme ! voilà qui va vous rendre encore plus perplexe : le plébiscite, qui doit avoir lieu demain, est ce que nous appelons une boîte à surprises, une boîte adroitement faite avec des com¬ partiments à secret; chacun d'eux est dénommé élec¬ tions municipales. « Ah ! nous allons avoir des élec¬ tions municipales; c'est la Commune octroyée par le gouvernement, et Messieurs de Belleville n'ont plus rien à réclamer. Il n'y a au fond de toute cette affaire qu'un malentendu ; en réalité, nous sommes tous du même avis, excepté la canaille. » Telle est l'explica¬ tion couleur de rose que l'on donne du plébiscite ; cette interprétation permet aux personnes respecta¬ bles de déguster à leur aise leur demi-tasse. « Halte là! s'écrie un irréconciliable, la première République a été perdue par un compromis. Je vous dis que les J...F... de l'Hôtel .de Ville jouent tout simplement sur le mot « municipal »; hier il signifiait Commune et au¬ jourd'hui tout le contraire. Jules Favre le dit et je crois toujours un avocat quand il exprime la vérité malgré lui. » Pour ma part, je suis porté à accepter la défini¬ tion que les paysans donnent au mot plébiscite : « un mot latin qui, selon M. le curé, veut dire oui. » Dites d'abord oui, vous verrez ensuite ce que vous pensez. M. Jules Favre se propose un double but : il veut gar¬ der les maires, qui sont actuellement en fonctions et en même temps observer la promesse qu'il a faite, celle de faire des élections municipales. La majorité triomphante, qu'il s'attend évidemment à trouver dans un vote de confiance, lui assurera samedi le re- l. Voir dans la note V les documents divers concernant les élections dit 31 octobre. 112 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. tour des maires conservateurs; et ceux-ci, au lieu de former une assemblée délibérante parfaitement unie, autrement dit une Commune, seront isolés et confinés dans leurs mairies respectives, ainsi que le veut le mot « municipal ». Ils y seront de simples employés du gouvernement central de l'Hôtel de Ville. Je crains que la visite de Jules Favre à Ferrières n'ait rien pro¬ duit de bon. 11 doit avoir pris une leçon de diplomatie du Comte méphistophélétique ; « Monsieur le Comte » lui a appris comment on nous bismarcke : il est bien possible après tout que les succès de Bismarck, que nous croyons dus à sa diplomatie, ne le soient qu'à une série de fautes heureuses. M. Jules Favre pense qu'il doit se borner à communiquer au monde cha¬ cun des nouveaux systèmes qu'il invente entre le déjeuner et le lunch et entre le lunch et le dîner. Ne vivons-nous pas sous un régime de liberté? Notre gouvernement est comme un crabe en mouvement; quand il marche, sa course est un zigzag perpétuel: un pas ep avant, deux pas en arrière, et une pause pour changer sa direction ; finalement, il s'arrange, en dépit des amis et des ennemis, pour se mouvoir d'après les lois propres à son espèce. Cette après-midi, le bruit se répandit qu'il y avait des troubles à Belleville. Je n'y suis pas allé, c'est trop loin et les rues montent trop. D'ailleurs est-ce qu'il ne pourrait pas arriver que les habitants de Belleville descendent dans mon quartier, pendant que j'irais les chercher chez eux! J'aurais la mortification de me promener dans des rues désertes pendant que le vrai peuple, que je désirais voir, serait occupé à investir le gouvernement dans le cœur de Paris, à l'Hôtel de "Ville. J'ai été à l'Hôtel de Ville, pour me trouver au centre des événements. Je trouvai la place occupée par deux mille gardes nationaux environ; ils apparte- UN CHAl'ITRE D'ACCIDENTS. 143 naient au respectable bataillon du faubourg Saint- Honoré. La première personne, que je rencontrai, était un homme de quelque valeur littéraire; il avait de fortes convictions républicaines et il occupait une position distinguée dans l'administration. Pour me tranquilliser, il m'apprit que l'endroit où nous étions, était « un volcan ». Il allait de groupe en groupe, en secouant tristement la tête et en marmottant de vives imprécations contre le gouvernement et contre Trochu. 11 leur reprochait de n'avoir pas eu l'esprit de prévoir les événements qui s'étaient passés lundi dans l'après- midi. « llegardez-les, dit-il : ils sont encore là, aujour¬ d'hui, sans avoir eu la prévoyance de prendre des mesures préventives. Trochu quitte l'Hôtel de Ville pour aviser aux moyens à prendre pour se défendre. Que pensez-vous de la proclamation d'hier et de celle d'aujourd'hui? Faiblesses sur faiblesses, imbécillités sur imbécillités ! Le gouvernement laisse mettre en question sa propre existence, il donne à tout le monde l'envie de le renverser. Je ne serais pas surpris qu'il y eût un mouvement aujourd'hui. » Tout en parlant, il regardait fiévreusement autour de lui. J'attirai son attention sur un groupe de patriotes dont la tenue pa¬ raissait suspecte. « Écoutons ce qu'ils disent, » s'écria- t-il. Il me quitta un instant pour aller plus près d'eux etquand il revint me trouver, il m'avoua naïvementque dans le plus mauvais de ces groupes, je ne pourrais pas entendre attaquer le gouvernement avec plus de violence qu'il ne l'attaquait lui-même en ce moment; il était, en effet, aujourd'hui, d'accord avec les gens les plus révolutionnaires pour conspuer le gouvernement. 11 m'offrit de monter chez lui pour voir ce qui al¬ lait se passer; les fenêtres de son cabinet donnaient en plein sur la place de l'Hôtcl-de-Ville. Nous pen¬ sions que le gouvernement serait assiégé dans l'après- 144 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. midi cl nous sommes montés pour être témoins des événements et de l'envahissement de l'Hôtel de Ville. Je restai à la fenêtre pendant deux grandes heures d'horloge, attendant patiemment la tournure que les événements allaient prendre, et je compris que le gouvernement ne serait pas attaqué. De notre bal¬ con, au quatrième étage, nous voyions les gardes nationaux prendre position sur la place et se former en bataille sur trois rangs parallèles, fermés à leur extrémité par deux lignes perpendiculaires : la place se trouvait ainsi complètement investie. De temps en temps, un bruit de trompettes se faisait entendre au coin de la rue de Rivoli et une masse noire s'agi¬ tait en dehors des lignes des gardes nationaux. On parlementait pendant un moment, puis quelques hommes se détachaient de la foule et allaient vers l'Hôtel de Ville. Cela s'appelle envoyer et recevoir des délégations. En ce moment, les délégués revien¬ nent auprès de leurs amis, et ils s'en vont en re¬ prenant le chemin qu'ils ont suivi pour venir; mais cette fois sans accompagnement de trompettes. Après cette démonstration probablement hostile, l'Hôtel de Ville paraît penser que le moment est venu de faire une contre-démonstration ou de donner quelque signe de vie. La grande porte centrale, celle qui est au-des¬ sous de la statue équestre de Henri IV ', s'ouvre toute grande pour livrer passage à une demi-douzaine de per¬ sonnages « de noir tout habillés a comme dans la chan¬ son de Malbrouck ; ils portent une écharpe tricolore I. Depuis ces événements, l'Hôtel de Ville a été brûlé pendant les derniers jours de la Commune en mai 1871. 11 a été recons¬ truit; mais la fameuse statue équestre de Henri IV, qui faisait motif au-dessus de la porte principale de l'Hôtel de Ville, n'a pas élé remise à la place qu'elle avait occupée pendant si longtemps. Elle est sans doute reléguée avec beaucoup d'autres au Garde- Meuble. UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 145 sur leur habit noir. Mon ami est fort étonné de voir Étienne Arago à la tête de cette procession. « Quoi ! Arago est encore là? Mais je suis certain qu'il a donné sa démission, hier, à deux heures. » M. R... oublie qu'il est aussi difficile d'arracher certains républicains à leurs places que de tuer un chat qui a neuf vies 1 ; il oublie également que le renvoi pur et simple est le seul moyen que l'on ait pour débarrasser le pays de patrio¬ tes aussi dévoués. Arago, le maire, était ressuscité la nuit dernière après avoir donné sa démission seule¬ ment pour la forme. Accompagné de ces Messieurs à l'écharpe tricolore, il passait devant chaque compagnie de la garde nationale; il tenait son chapeau à la main et s'arrêtait de temps en temps pour expectorer quel¬ ques mots qui pouvaient bien ressembler à un speech; il les accompagnait de beaucoup de gesticulations et de coups de chapeau. ' Pendant que ces Messieurs faisaient ainsi le tour de la place, je reconnus parmi eux Eugène Pellelan, l'un du « grand onze» ; il marchait tout à côté d'Étienne Arago. Arago portait la tête très haut, il avait une démarche fière et orgueilleuse et il s'agitait beaucoup. Pelletan, lui, ne relevait pas la tête; il tenait les yeux baissés vers la terre, et il ne disait pas un mot. Je fis observer à mon ami que Pelletan n'avait pas du tout l'air d'être à son aise. « 11 y a de bonnes raisons pour cela, me répondit-il, il a gardé le souvenir de lundi dernier. C'est lui qui a été chargé de répondre à la foule, quand elle s'est précipitée sur l'Hôtel de Ville. » Mais voilà qu'on bat du tambour et le groupe se retire derrière la porte. Arago reste sur le seuil de la porte, avec un peu d'affectation, pour recueillir les modestes applau¬ dissements des gardes nationaux; il y reste juste le 1. Un dicton anglais assure que les chats meurent et ressus¬ citent neuf fois avant de mourir définitivement. 9 146 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. temps nécessaire pour donner aux auteurs de celle sorlie un prétexte décent pour faire baisser la toile sur le tableau linal de la représentation; Arago finit ce¬ pendant parse retirer cl toute sa suite fait comme lui. Mmc A..., une courageuse vieille dame, dont le salon depuis longtemps célèbre continue, en dépit du siège, à recevoir une réunion choisie de vieux membres de l'Aca¬ démie française, se rappelle Arago dans sa jeunesse. Il avait toujours eu le goût de la parade; et il aimait alors à se vanter de ses succès réels ou supposés auprès du beau sexe. Jeudi 3 novembre. — Paris, aujourd'hui, paraît être de bonne humeur; il est bien disposé pour lui-même, pour le gouvernement, pour M. Thiers, pour le siège, pour tout le inonde enfin, excepté pour Belleville. Les électeurs vont aux urnes comme un troupeau de mou¬ tons; il n'y a pas le plus petit doute à avoir sur le triomphe du gouvernement. Des calculs rigoureux font supposer qu'il n'y aura pas plus de quinze ou vingt mille non Nous sommes comme des sensitives ; le soleil brille et il nous met en gaieté. Je n'avais jamais compris, avant cette guerre, le monde imagi¬ naire dans lequel vivent les Parisiens. Ils vivent comme s'ils étaient enfermés dans un boudoir, soigneusement 1. Le 3 novembre, à dix heures du soir, M. Etienne Arago, maire de Paris, accompagné de MM. Hérisson et Clamageran, ses adjoints, et du colonel Montagut, de l'état-major de la garde na¬ tionale, monta sur une estrade dressée devant la porte principale de l'Hôtel de Ville; des gardes mobiles l'entouraient et portaient des torches allumées. Il lit un discours chaleureux aux gardes nationaux et à la population réunis sur la place de l'Hôtel de Ville, il le termina en proclamant officieusement le résultat des elections connu à dix heures du soir ; Il annonça aussi que la proclamation officielle des votes serait faite le lendemain dans la salle Saint-Jean. Oui Nun 275221 19 3S3 UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 147 mis à l'abri des bruits extérieurs. Ils y reçoivent les échos joyeux de leurs pensées à moitié' émises et des miroirs y reproduisent, dans un dessin parfait, les ombres à peine dessinées de leurs fantaisies. Personne ne met en doute la conclusion de l'armistice, il est « aussi certain que s'il était signé » : Bismarck !fera certainement des objections, mais elles ne seront faites que pour la forme; il ne pourra les maintenir en pré¬ sence de l'appui moral que l'Europe nous donne. Tout va bien, « remarquablement bien », ainsi quele Com¬ bat le disait l'autre jour. Il semble qu'il y ait comme une entente implicite entre les électeurs conservateurs et le gouvernement; on pense que ce dernier vole af- firmatif doit, à cause de l'appui qu'il donne au gouver¬ nement, lui rendre les choses plus faciles et écarter les difficultés qui pourraient s'opposer à la conclusion de la paix. M. Jules Favre oubliera « son pouce et sa pierre », ce n'était d'ailleurs qu'une façon de parler ; d'autre part, l'Alsace et la Lorraine ne seront pas an¬ nexées à l'Allemagne, mais seulement « médiatisées ». Peu de personnes savent ce que veut dire médiatiser une province ; "c'est le peu de précision de cette expres¬ sion qui en fait tout le mérite. Quelle serait donc l'uti¬ lité de la diplomatie si on devait appeler les choses par leurs noms? Les montres des boutiques commencent à se rem¬ plir; c'est là une vue à laquelle on n'est plus ha¬ bitué. Les objets, qui ont atteint des prix fabuleux, tels que le beurre, les œufs, etc., sont offerts, en prévi¬ sion de l'armistice, à des prix que nous pouvons con¬ sidérer comme très raisonnables1. Un de mes amis vient d'acheter un jambon entier, un vrai jambon d'York. 11 l'a acheté à un épicier qui l'a découvert ce I. Voir dans les Documents divers, à la tin du livre, les prix de quelques objets d'alimentation pendant le siège. 148 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. malin, par miracle, au fond de sa boutique, tout en lisant le Petit Journal. Je suis allé dans la môme bou¬ tique, en prenant mon air le plus aimable, et l'obli¬ geant épicier, inspiré celte fois par un article de Y Elec¬ teur libre, découvrit une seconde édition du jambon armistice. Je désire qu'il y ait tous les jours une pré¬ vision d'armistice : nous pourrions alors réparer le temps que nous avons perdu, avant et depuis le com¬ mencement du siège, en négligeant de nous prémunir d'une grande quantité de provisions. Le peuple pro¬ nonce difficilement le mot « armistice » ; il persiste à le prononcer «amnistie». Quand on lui explique la diffé¬ rence qu'il y a entre les deux mots, il comprend que l'offre d'un «ar-mnistie» ne devait pas être prise pour une insulte : ce n'est, je pense, qu'à cette confusion de terme qu'on doit d'avoir entendu, lundi dernier, le peuple pousser avec tant d'énergie ce cri : « Pas d'ar¬ mistice! » La masse du peuple, d'abord si opposée à la chose, se réconcilie maintenant tout à fait avec cette idée. Le mouvement révolutionnaire, qui a commencé le lundi 31 octobre, et s'est terminé une semaine après, le dimanche ti novembre, par la déclaration officielle du rejet de l'armistice, est l'événement capital de l'histoire morale du siège : il explique bien la suite des événements qui vont se passer à l'intérieur de la ville assiégée. Le vote du 3 novembre semblait donner une existence légale au gouvernement et l'encourageait à prendre toute autorité sur ses associés de la première heure1. Jules Favre et ses collègues pouvaient ne plus tenir compte de la faction politique, qui leur avait servi de marchepied pour escalader le pouvoir. 1. Voit1 note V les proclamations adressées à la population parisienne par le gouvernement à la suite des élections du 3 no¬ vembre et du o. UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 149 Les républicains d'opinion extrême étaient désarmés par l'adoption hypocrite des mesures qu'ils avaient énergiquement réclamées, je veux parler des élections municipales. Le courant, qui avait permis au gouver¬ nement de doubler avec succès le cap des élections du 3 novembre, devait aussi lui faire doubler avec triomphe celui du 5. L'insuccès des négociations, entreprises en vue d'un armistice, engagea le gouvernement à suivre une poli¬ tique militaire plus ferme, afin de se concilier la ma¬ jorité du parti de la guerre à outrance. Cette détermi¬ nation du gouvernement devait cependant rencontrer une vive opposition dans les rangs de l'armée régu¬ lière, qui se sentait ainsi sacrifiée à la vanité des sol¬ dats amateurs, aux gardes nationaux. L'indignation était grande parmi les mobiles de la province, parti¬ culièrement parmi les Bretons. Ils eurent un instant l'idée ou plutôt un vague soupçon qu'on voulait les exclure du vole du 3 novembre. Plusieurs protesta¬ tions s'élevèrent tout aussitôt au nom de la garde mobile et il parut un manifeste de défi. Il émanait de deux commandanls bretons; l'un d'eux, M. de la Rochelhulon, a, depuis cette époque, tenu une place distinguée dans l'Assemblée de Versailles. Dans ce manifeste, les deux commandants déclarent qu'ap¬ pelés de leurs provinces à Paris, pour la défense de la capitale, les mobiles ont le droit d'être considérés autrement que comme de la chair à canon, et que leurs réclamations doivent avoir autant de valeur que celles de la populace qu'ils ont chassée de l'Hôtel de Ville. Ils terminent leur manifeste par une menace : ils disent que « si les mobiles sont exclus du vote, ce qui serait pour eux la preuve que Paris, suivant sa coutume, veut imposer sa volonté à la France, ils se tiendront à l'écart et laisseront les événements suivre lot) A PARIS PENDANT LE SIEGE. lour cours ». Ils ajoutent qu'alors les bataillons de la Bretagne se rappelleront » les traditions de leur an¬ cienne indépendance ». Si l'année a été grandement désappointée à la nou¬ velle que l'armistice n'était pas acceptée, il faut reconnaître que les bourgeois de Paris en ont éprouvé également une grande déception. Ils hésitent entre les deux partis extrêmes et ils écoutent, avec la même faveur ou la môme indifférence, les nouvelles qui constatent leur impuissance ou flattent le mieux leur vanité. Il est certain que l'espérance d'un armi¬ stice, sur lequel on comptait pendant ces derniers jours, tout aussi bien que les troubles, causés par la politique, ont relâché l'esprit moral de la population et diminué son goût pour la résistance. Pendant le siège, Paris — le Paris auquel l'exposition de 1867 avait donné un si grand éclat, — n'a pas cessé un instant de jouer la comédie, et la perspective d'un armistice a permis à sa vieille frivolité, dont il ne peut jamajs se dépouiller complètement, de briller de tout son éclat. Dans les Champs-Elysées, on voyait de belles et bril¬ lantes toilettes, une foule de petits crevés s'y prome¬ naient en sortant de leurs cachettes, les ambulances et autres lieux de retraite, où ils s'étaient réfugiés par choix pour échapper à l'obligation de servir dans la mobile. Sur les boulevards, on commence à parler avec quelque cynisme des derniers désastres de la guerre. Le Figaro donne un spécimen de cette légèreté, qu'il dépeint comme choquante et écœurante, mais dont il ne néglige pas de se servir pour le plus grand divertissement de ses lecteurs. Il ne se fait pas faute non plus d'y ajouter la note plaisante en racontant des choses shocking : « Enlin ! s'écrie un boulevar- dier, Bazaine a pu faire sa jonction avec Mac-Ma- hon. » — Le mal gagne même le rang des gardes natio- UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. loi naux patriotiques ; ils négligent maintenant de porter leur uniforme. Un garde national en rencontre un autre habillé en civil ; il l'interpelle en ces termes: « Tiens, te voilà déjà habillé en armistice. » C'est là un signe des temps que le Figaro, une vieille portière, ne manque pas de relater. Le Figaro, qui fait com¬ merce de cynisme, demande gravement ce que nous devons penser de l'opinion publique qui a passé du noir au blanc dans l'espace d'une courte semaine. « Lundi. Pas d'armistice, pas de paix, la guerre à outrance; l'opinion publique demande une sortie en masse sur Versailles. — Vendredi. Quand donc l'ar¬ mistice sera-t-il conclu ? se demande-t-on. L'opinion publique est impatiente : Trochu et Jules Favre doi¬ vent se rappeler les devoirs qu'impose, au gouverne¬ ment, l'appui que les Parisiens ont bien voulu lui donner en votant le plébiscite. — Lundi 7 novembre. Le gouvernement est dans une airreuse disgrâce parce qu'il a rompu les négociations à Versailles'. Le général Trochu, dont tous les actes ont toujours surpris les Parisiens, ne les a cependant jamais autant étonnés qu'en rompant brusquement les négociations. Elles lui ont dès le début jusqu'à la fin causé beaucoup d'anxiété ; en les entamant, il avait risqué sa popula¬ rité. Sa conduite était vraiment inexplicable en pré- i. Note de YOfficiel, jeudi 5 novembre. Armistice. Les quatre grandes puissances neutres : l'Angleterre, la Russie, l'Au¬ triche et l'Italie, avaient pris l'initiative d'une proposition d'armistice à l'effet de l'aire elire une assemblée nationale. Le gouvernement de la Délense nationale avait posé ses conditions qui étaient : le ravitaillement de Paris et le vote pour l'Assemblée natio¬ nale par toutes les populations françaises. La Prusse a expressément repoussé la condition du ravitaillement; elle n'a d'ailleurs admis qu'avec des réserves le vote de l'Alsace et de la Lorraine. Le gouvernement de la Défense nationale a décidé à l'unanimité que l'armistice ainsi compris devait être repoussé. 152 A PARIS PENDANT EE SIÈGE. sence des nouvelles décourageantes qu'on recevait des armées de la province. On s'attendait à recevoir de M. Thiers, reconnu compétent pour traiter des choses militaires, un rapport clair et détaillé sur l'état réel des affaires en province. Le silence, observé sur ce point parle gouvernement, ne pouvait donner lieu qu'à une seule explication : c'est que M. Thiers n'avait conservé aucun espoir, pas môme celui du plus petit succès. De¬ puis longtemps déjà nous étions sans nouvelles directes de Gambetta et nous avions, comme le sentiment, que nous nous trouvions précisément dans les jours les plus critiques de l'histoire générale de la guerre. Metz venait de se rendre et la France perdait le dernier espoir de secours qu'elle avait placé dans l'armée de Bazaine. La détermination, prise subitement par le général Trochu.de repousser toutes les ouvertures ultérieures qui pourraient être faites pour la conclusion d'un armistice, peut s'expliquer peut-être par une coïnci¬ dence de dates. Le jour où le gouvernement de Paris coupa court aux négociations est celui où l'armée de la Loire, commandée par d'Aurelle de Paladines, et sur laquelle depuis longtemps on ne comptait plus, commença avec un grand succès son mouvement en avant contre le général bavarois Yon der Thann; elle le mettait par cette attaque en un sérieux péril. Il est certain, pour ceux qui ont quelques connaissances des choses militaires, que le général Trochu peut recevoir sur les événements, qui arrivent au loin, des rensei¬ gnements autres que ceux qui lui sont donnés par les dépêches privées confiées par le gouvernement de Tours aux pigeons voyageurs. Il peut les recevoir par des moyens connus de lui seul. Paris cependant restait dans une ignorance complète de la tournure que les événements prenaient en province ; et supposant la vérité plus mauvaise qu'elle ne l'était réellement, il UN CHAPITRE D'ACCIDENTS. 153 tombait d'une entière confiance dans un profond dé¬ couragement. Des écrivains, tels que M. About, com¬ mencent, à mots couverts et avec une grande habileté d'insinuation, à parler en faveur de la paix, c'est-à-dire, dans leur pensée, en faveur de la capitulation. Il court toujours des bruits qui laissent entrevoir la possibi¬ lité de conclure un armistice. Ces bruits persistent et prennent une certaine consistance en dépit de l'artil¬ lerie des forts, qui déploie une activité dont on avait perdu l'habitude à cette époque du siège. L'Électeur libre, toujours à l'affût pour saisir le mo¬ ment opportun do favoriser les tendances pacifiques de la population, parle de drapeaux parlementaires, tous de pure imagination, qui seraient plantés le long de la ligne ouest de la défense de Paris et il ferme les oreilles au bruit des canons du Mont-Valérien. Le ton, une fois donné, a été accepté par tous les journaux qui paraissent le soir. Tous, ou presque tous, ont copié l'article de M. About sur la capitulation et un grand nombre d'exemplaires a été vendu dans l'armée1. La réaction de l'élément civil sur l'élément militaire fut si forte que le moral et la discipline des troupes s'en trouvèrent tout à fait relâchés. Des bataillons de mobiles n'hésitèrent pas à crier en public : « Vive la paix! » et à affirmer qu'ils ne prendraient part à aucune sor¬ tie. C'est au moment où le moral des défenseurs de Paris éprouvait cette défaillance que le général Trochu lança, le 14 novembre au matin, une de ses plus ter¬ ribles proclamations2. 11 regrettait que le mouvement populaire du 31 octobre l'ait empêché de conclure l'armistice; puis, récapitulant tout ce qui avait été fait 1. Le 8 novembre 1870, M. About, a t'ait paraître dans le jour¬ nal le Soir un article intitulé : la France et la phrase. Cet article a l'ait une grande sensation : voir la note VI. 2. Voir note VII la proclamation de Trochu. 9. 154 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. pour la défense de la capitale et indiquant les res¬ sources dont on pouvait disposer pour la résistance, il s'efforçait de ranimer le courage abattu du peuple pour le déterminer à faire un dernier et désespéré effort. L'effet naturel de cette proclamation devait être d'éteindre, dans le cœur des Parisiens, la dernière étincelle d'espoir et de courage qu'ils avaient pu y conserver. Ce langage, qui était celui du désespoir, n'était pas fait pour les amener à faire un effort su¬ prême. Il est heureux que, dans l'après-midi du 14 no¬ vembre, juste au moment où les trompettes du géné¬ ral Trochu semblaient sonner l'enterrement de nos dernières et très chères illusions, de bonnes nouvelles nous soient arrivées de Coulmiers. Ces nouvelles étaient pour nous un premier présage de victoire et elles rompaient le mauvais sort jeté sur nous par nos dé¬ sastres et nos défaites. CHAPITRE YI ORLÉANS ' C'était une chose véritablement étonnante de voir revivre le nom légendaire d'Orléans à une époque où le voltairianisme était le plus en honneur et de voir ressusciter, au milieu des agonies d'une nation expi- 1. 14 novembre. Le gouvernement venait de recevoir de Gam- betta la dépêche suivante : Gambetta à Trochu. L'armée de "la Loire, sous les ordres du général d'Aurelle de Pala- dines, s'est emparée hier d'Orléans après uue lutte de deux jours. Nos pertes, tant en tués qu'en blessés, n'atteignent pas 2 000 hommes ; celles de l'ennemi sont plus considérables. Nous avons fait plus d'un millier de prisonniers, et le nombre augmente par la poursuite. Nous nous sommes emparés de doux canons modèle prussien, de plus de 20 caissons de munitions attelés, et d'une grande quantité de fourgons et de voitures d'approvisionnement. La principale action s'est concentrée autour de Coulmiers, dans la journée du 9. L'élan des troupes a été re¬ marquable malgré le mauvais temps. Tours, 11 novembre 1870. A la réception de cette dépêche, M. Jules Favre la fit afficher dans Paris et y ajouta cette proclamation : Paris, 14 novembre 1870. Mes chkrs concitoyens, C'est avec une joie indicible que je porte à votre connaissance la bonne nouvelle que vous allez lire. Grâce à la valeur de nos soldats, la fortune nous revient; votre courage la fixera ; bientôt nous allons donner 156 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. rante, le souvenir d'un passé héroïque. L'effet de ce souvenir fut prodigieux, et, pour la première fois, le feu du patriotisme s'éleva brillant et clair dans la cité assiégée. Notre imagination surexcitée s'enflamma. Nous vîmes Kératry se mettre en marche avec ses BreLons, venus de l'Ouest; d'Aurelle de Paladines s'é¬ lancer en avant avec ses soldats algériens, venus du Midi. Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis la bril¬ lante affaire de Coulmiers, et nous écoutions encore avec attention les échos du dehors; nous espérions entendre dans le lointain les premiers coups de leurs canons. De l'autre côté des remparts, surtout sur le front ouest de l'armée, il était facile de constater de grands mouvements de troupes. L'armée régulière, et principalement la garde mobile, se remettait lente¬ ment du découragement des jours passés; ses efforts se bornaient à faire des démonstrations. Les troupes manquaient d'élan; la politique anarchique de la ca¬ pitale les avait démoralisées et elles étaient convain¬ cues qu'elles seraient injustement et sans rémission sacrifiées aux passions du peuple parisien. Il est cer¬ tain, cependant, qu'un grand et indéniable changement s'était opéré dans l'espriL de toute la population. On se sentait disposé à faire un nouvel effort et bien que le moment, depuis longtemps redouté, où la famine serait enfin un fait réel, fut arrivé, on prit la chose assez tranquillement et on n'y fit pas trop attention. Les Parisiens apprirent, avec beaucoup de calme, que les viandes de bœuf et de mouton étaient épuisées et, qu'à l'avenir chaque habitant n'aurait plus qu'une once et demie de viande de cheval par jour. la main à nos frères des départements et avec eux délivrer le sol de la patrie. Vive la République! Vive la France! Le ministre de l'Intérieur par intérim JULES FAVRE. ORLÉANS. 157 C'est à partir de ce moment que les chiens, les chats et les rats devinrent une nourriture ordinaire. Le grand désir que l'on avait de manger de la viande fraîche, après quatre ou cinq semaines d'abslinence relative, adoucit un peu pour le peuple les rigueurs de la famine. Les classes supérieures les supportè¬ rent plus facilement : elles pouvaient se procurer les avantages d'une cuisine parisienne. Plusieurs curieux menus de ces repas, qu'on faisait dans les restaurants pendant le siège, ont été conservés par ceux qui dî¬ naient hors de chez eux1. Personne ne pouvait chez soi se donner le luxe d'un salmis de rats. Tous ces menus sont une preuve certaine de l'imagination fer¬ tile de nos cordons-bleus. Les chats et les chiens, qui ne demandent pas une préparation savante, étaient en grande partie consommés par les classes inférieures. On demandait dix et même vingt francs pour un angora bien en chair ; mais les chats et les chiens, qu'on ven¬ dait, étaient généralement des animaux volés par les gamins.Dans le quartier Montmartre, onvoyaitune bou¬ cherie de chiens et de chats, qui avait pour enseigne : A la Guerre à outrance. Elle était ouverte au public et elle était reconnue par les règlements de la police. Je puis même ajouter que la viande de chien ressemble beau¬ coup à la viande de mouton ; et tout le monde sait que souvent on mange du chat eu croyant manger du lapin. Le mulet est un mets délicat que je préfère au bœuf. La viande de cheval, que l'on distribuait dans les bou¬ cheries, était certainement mauvaise. Les personnes riches mangent leurs pâtés de rats avec beaucoup de gaieté et ceux qui prennent part à ces genres de festins s'y montrent tout à fait gracieux; ils veulent suivre la mode. On fait généralement ces dîners aux rats, dans 1. Voir un de ces menus dans les Documents divers. A PARIS PENDANT LE SIÈOR. lesquels on no sert que des rats, mais à toutes sortes de sauces, pour se moquer de Bismarck et do ses me¬ naces. Les vrais Parisiens éprouvent d'ailleurs un grand plaisir, ce sentiment est inné chez eux, à faire tout ce qui peut étonner leurs voisins d'Europe, gens simples d'esprit, cl à mystifier la postérité. Les Anglais, qui sont amateurs des poésies de Théodore de Ban¬ ville, si toutefois il en existe quelques-uns, pourront s'amuser lire la pièce de vers qui suit. Elle lui a été inspirée par le sort de l'intéressant animal que le cuirassier blanc, le comte de Bismarck, nous force à dévorer. ODE AUX RATS Dans un coin reculé du parc, Les rats, assis sur leurs derrières, Regardent monsieur de Bismarck Sous les ombrages de Ferrières. Les yeux enflammés de courroux Et lui tirant leurs langues roses, Les petits rats blancs, noirs et roux, Lui murmurent en chœur ces choses : » Cuirassier blanc, qui te poussail A vouloir cette guerre étrange? Ali! meurtrisseur de rois, c'est A cause de toi qu'on nous mange! Mais ce crime, tu le paieras; Et puisque c'est toi qui nous tues, Nous irons, nous les petits rats, En Prusse, de nos dents pointues, Manger les charpentes des tours Et les portes des citadelles, Plus alfamés que les vautours, Qui font dans l'air un grand bruit d'ailes. ORLÉANS. 159 Tu nous entendras, dans le mur De ton grenier où l'ombre est noire, Tout l'iiiver manger ton blé mûr Avant de grignoter l'armoire. Puis, nous rongerons Técriteau Qui sacre un nouveau Charlemagne Et même le rouge manteau De ton empereur d'Allemagne. » Etc., etc., etc., etc., etc. Ce môme esprit de bonne humeur, avec lequel Paris supportait si gaiement les réelles fatigues et les privations causées par le siège, lui permettait de sur¬ monter, comme par enchantement, les difficultés les plus grandes qu'aucun gouvernement ait jamais ren¬ contrées sur son chemin. La garde nationale obéissait avec empressement au décret qui mobilisait, pour un service actif à faire aux avant-postes, la partie la plus jeune et la plus forte des citoyens-soldats '. Nos pes¬ simistes et nos redditionnistes qui, dans cette dernière quinzaine, avaient fait de sinistres prédictions, fai¬ saient maintenant pénitence en entendant les applau¬ dissements avec lesquels on accueillait les outranciers sur les boulevards. M. About, qui était devenu, il y a deux jours, l'homme le plus populaire de Paris pour avoir exposé dans une prose honnôte de vilaines vérités sur notre état moral, ne fut plus regardé que comme le promoteur responsable d'un état de choses dont il avait été seulement le complice heureux. M. About est un chasseur de papillons; il prend rarement dans son filet le papillon qu'il pourchasse, la popularité. Le grave et réservé Journal ilrs Débats, pas plus que les autres, n'a pensé à faire valoir l'uti- 1. Voir note VIII le décret qui organise les bataillons de marche. 160 A PARIS PENDANT LE SIEGE. 1 ito de la convocation d'une Assemblée nationale, et le gouvernement a pu se faire donner un pouvoir illimité et sans contrôle. Paris, pour la première lois, commença avoir confiance dans les membres de son gouvernement. Convaincu qu'on allait être délivré par des secours venus du dehors, on s'abstint de les maltraiter et, par suite d'un accord tout moral, on ne leur adressa plus de critiques et on n'exprima plus de doutes il leur égard. Ceux qui pensaient que la défense de Paris, à cause de la longueur du siège, élait une duperie ou tout au moins une démonstration faite seulement pour sauver l'honneur de la capitale, fai¬ saient comme tout le monde. Ils poussaient aussi le cri de la victoire; mais ils se réservaient d'exprimer leur opinion dans un moment plus opportun. Ce courant d'opposition à la guerre a existé en fait pen¬ dant toute la durée du siège; il était très accentué et il est plus que probable que les historiens ne pourront pas en constater exactement la force ni en retrouver les traces dans les mémoires qu'ils consulteront. On a pensé généralement que les écrivains qui dirigeaient l'opinion dans les journaux populaires étaient portés û soutenir la guerre et qu'ils se faisaient beaucoup d'illusions. La vérité est que, depuis le commencement des événements, à l'exception de quelques journaux républicains ultra, la presse est restée ce qu'elle était sous l'Empire, profondément sceptique et soumise aux mêmes inlluences corruptrices, un véritable instrument à la disposition du gouvernement quel qu'il soit. Elle trouvait son compte à flatter la vanité des Parisiens et à entretenir leurs illusions par le récit de petits commérages relatifs à la guerre. Ainsi elle s'amusait à raconter les aventures du sergent Hoff et, afin de satisfaire le goût que le public a géné¬ ralement pour les choses scandaleuses, elle publiait, à ORLÉANS. 161 propos de l'emprunt Morgan1, toutes sortes de récits sur les exploits financiers de MM. Laurier et Gam¬ betta à Tours. M. Ernest Picard a eu là une heureuse occasion pour attaquer son collègue absent et pour faire valoir ses propres aptitudes au poste qu'il occu¬ pait au ministère des Finances. Mercredi 16 novembre. — On entend au loin, dans la direction des forts du sud, un grand bruit de grosse artillerie. Dans les environs d'Auteuil, on voit planer un ballon captif au-dessus des lignes françaises; il cherche sans aucun doute à se rendre compte des po¬ sitions occupées par les Prussiens, et qui sait? il cher¬ che, peut-être, à découvrir dans le lointain quelque indice qui lui annonce l'approche des armées de se¬ cours. Les Parisiens étudient les caries et commencent à devenir très forts en géographie. Ils savent mainte¬ nant par quelles routes et par quelles vallées les ar¬ mées de la Loire et de la Bretagne, qui agissent de con¬ cert, peuvent effectuer leur marche. Les pessimistes et les redditionnistes, on leur donne ce nouveau nom depuis l'apparition de l'article d'About, ont sonné de la trompette avant les patriotes dont la phraséologie doit, selon eux, se soumettre aux nécessités sociales du moment; ce qui ne les empêche pas de donner un libre cours à leurs opinions en attaquant le gou- vernementet particulièrement la délégation de Tours. Les journalistes et le monde judiciaire se préoccupent surtout de la renommée de Laurier et de Gambetta, de l'emprunt de '260 millions et des nombreux scandales qui viennent se greffer sur le tout. L'Empire est si bien oublié que la publication de ses papiers secrets n'excite plus la curiosité publique2. Nous commençons à prefe- 1. Emprunt fait en Angleterre au nom du gouvernement par Gambetta. 2. Le 7 septembre 1870, M. Gambetta, ministre de l'Intérieur, 1«2 A PARIS PENDANT LE SIEGE. rer jeter tu» coup (l'œil sur la correspondance privée du gouvernement actuel; nous espérons bien trouver, cela n'est pas impossible, quelques épisodes roma¬ nesques parmi les nombreux ordres du jourelles rap¬ ports del'arméequisonl rédigés dans le style du Morny des meilleurs jours. Dans les cercles bien informés, on dit qu'un mouvement antigambettiste s'est pro¬ duit Tours. Ce bruit prend quelque consistance. On semble penser que M. Daru et Buffet ont, d'accord avec M. Thiers, combiné quelque intrigue contre le dicta¬ teur. Les personnes qui réfléchissent redoutent le mo¬ ment où, à la fin du siège, nos communications seront rétablies avec la province. Elles craignent que les Pa¬ risiens et les provinciaux, à leur première rencontre, ne s'adressent réciproquement des reproches intermi¬ nables. Les événements les ont excités les uns contre les autres et le gouffre s'est creusé plus profondément entre eux pendant les longues semaines de la sépara¬ tion. La province accusera Paris, Paris accusera la province, et chacun d'eux rendra l'autre responsable de la guerre et de ses désastres. Les « ruraux », c'est le nom que nous donnons aux provinciaux, ont en¬ couragé l'Empire à faire la guerre à l'Allemagne en votant sans réflexion le plébiscite de mai; et Paris a aggravé la catastrophe de Sedan en imposant à la pro¬ vince un gouvernement incapable qu'il a créé à lui tout seul. Que peut-on faire pendant un siège, si re n'est de avait institué une commission chargée de réunir, de classer et de publier la volumineuse correspondance impériale qui avait été trouvée aux Tuileries ou saisie à la frontière. Cette commission était composée : de M. de Kératrv, préfet de police, président; M. André Lavertujon, vice-président: M. Es- tancelin, ancien député ; M. Gagneur, ancien député; M. André Cochut. ORLÉANS. 103 philosopher? Nous faisons comme le lièvre de La Fon¬ taine dans son trou : nous philosophons tristement sur l'avenir de la France. Quelques personnes croient que la France est arrivée à la dernière crise de sa maladie : le mal date de 1789. Cette révolution a rendu tout gouvernement impos¬ sible; des flatteries de toutes sortes, le suffrage uni¬ versel, les plébiscites et autres concessions hypocrites faites par les classes dirigeantes ont perverti le peuple. Paris, Lyon et Marseille forment une Trinité ronge; elles ont une populace au service des avocats sans cause, des littérateurs de troisième ordre, et des aven¬ turiers qui ont déjà eu à faire à dame Justice. Le gouvernement, quel qu'il soit, qui s'établira dans l'une ou dans l'autre de ces trois cités, et la prendra pour capitale, devra, tôt ou tard, inévitablement tom¬ ber : c'est une question de temps, et, comme le comte de Bismarck l'a dit à Jules Favre à propos de Stras¬ bourg, c'est un simple calcul à faire. Chaque nouvelle révolution, particulièrement celle de février 1848, a élargi le fossé creusé entre la Province, qui souffrait de la révolution, el la Capitale, qui l'imposait. Au lieu de soutenir leurs propres droits par la guerre civile, ainsi que les Vendéens l'ont fait en 1793, les paysans sont restés chez eux. Confinés dans leurs petits lopins de terre, ils y ont vécu comme des personnes fati¬ guées, qui sont devenues indifférentes et égoïstes. La tôle et le cœur de Jacques Bonhomme sont devenus plus durs que le bois de ses sabots. C'est la consé¬ quence et la revanche des injustices qu'il a eues à sup¬ porter de la part du gouvernement despotique de la monarchie et aussi de la centralisation révolution¬ naire. Les provinces, dont les intérêts purement locaux sont sacrifiés, deviennent de plus en plus indifférentes à l'intérêt général du pays. L'esprit patriotique va 164 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ainsi diminuant de jour en jour et la vie nationale perd de son énergie. Dans le moment où j'écris, les provinces redoutent certainement plus les républicains que les Prussiens. Bismarck, en conduisant le siège de Paris avec une aussi grande lenteur, agit en homme politique et fait un coup de mailre. 11 est évident que Paris, dont toutes les communications avec la province auront été interrompues pendant trois mois, n'excitera plus l'intérêt de la France. L'anarchie, qu'un siècle de révolutions a entretenue dans le pays, bien qu'elle ne soit encore qu'à l'état latent, s'affirmera un beau jour dans une grande et universelle conflagration. La résistance purement passive, que les provinces ont jusqu'ici opposée à la tyrannie de la capitale, devien¬ dra une résistance active. Le Nord, l'Ouest, le Midi, se sépareront et formeront une série d'États indépen¬ dants. C'est une illusion d'espérer, comme le fait le parti orléaniste, que la campagne et les villes consen¬ tiront à oublier leurs différends et à unir leurs efforts pour préparer la revanche de la France contre la Pru sse. On ne peut préparer une aussi grande entre¬ prise nationale sans soulever des questions, qui peu¬ vent en compromettre la réussite. Dans les provinces envahies par l'ennemi, les citoyens des deux ou trois générations qui vont se succéder, auront certainement le cœur rempli de haine contre les Prussiens ; mais par¬ tout où le fléau de la guerre ne se sera pas fait sentir, on supportera mal l'obligation de fournir des soldats à une armée nationale et il y aura des rébellions. Dans l'effort fait de nos jours, on reconnaît déjà, à certains signes, que les provinciaux ont quelque répu¬ gnance à suivre l'impulsion de Paris et à s'associer à sa défense. Les mobiles ne peuvent pas comprendre pourquoi on les a fait venir de leurs pays « situés à ORLÉANS. 165 plusieurs centaines de lieues d'ici, pour défendre les Parisiens ». La seule force armée, qui ait conscience d'avoir un intérêt direct dans les choses du siège, est celle dont le patriotisme consiste à faire des dé¬ monstrations, prétendues révolutionnaires, au cœur de la capitale. Les troupes de la ligne, et particuliè¬ rement les mobiles, n'aiment pas les Parisiens; ils les tiennent en suspicion. Chaque jour, des discussions ont lieu, entre moblots et gardes nationaux, chez les marchands do vin établis dans les environs de l'Hôtel de Ville, près duquel les bataillons bretons ont leurs quartiers. Les Bretons affirment qu'ils ne veulent pas plus longtemps prendre part aux sorties, ni se battre « pour les Parisiens et leur Commune », et quand un Breton a mis quelque chose dans sa tête, il n'y a pas moyen de l'en faire sortir. Un de leurs compa¬ triotes, qui faisait partie de la garde nationale, choquait beaucoup ceux de ses compagnons d'armes, qui étaient Parisiens, en déclarant sur les remparts qu'il était Breton et qu'il ne serait pas assez sot pour rester à Paris une fois qu'il pourrait en sortir. « Ah ! mille fois non ; pas si bête, je retournerai tout de suite dans mon pays. » Les officiers de marine sont indignés de la légèreté des Parisiens, qui ont commencé par demander la guerre au couteau et qui maintenant s'abritent derrière l'armée de la province, comme si celle-ci était bonne pour se faire tuer et tout suppor¬ ter, afin que la postérité puisse ajouter un mythe de plus à tous les mythes inventés depuis 1793 et répéter que Paris a fait une défense héroïque; et cela, alors que cette défense n'a coûté aux Parisiens aucune goutte de leur sang. Ces officiers ont le plus profond inépris pour toutes les innovations que l'on a faites, entre autres pour l'élection des officiers par leurs propres soldats. Cette innovation a rendu impossible 106 A I'ARIS PENDANT LE SIÈGE. le maintien de la discipline dans les rangs do la garde nationale et le mal, devenu contagieux, a gagné l'ar¬ mée régulière. Quelques-uns, le cœur plein d'amer¬ tume, ont déclaré qu'ils verraient avec plaisir Paris réduit en cendres parles obus prussiens. Cette mésin¬ telligence, qui n'a pas encore éclaté au grand jour, prépare pour l'avenir, en France, un terrible et irré¬ conciliable débat entre l'élément civil et l'élément militaire, déjà si jaloux l'un de l'autre. Il aboutira à un horrible massacre sur 1 ee boulevards. De tous les côtés, on craint la guerre civile ; les optimistes pensent qu'elle n'éclatera pas avant la fin du siège. Jeudi 17 novembre. — Le citoyen Pyat, dans son journal bordé de noir, le Combat, demande péremptoi¬ rement des explications au gouvernement. Le général Trochu avouait l'autre jour qu'il ne lit jamais les jour¬ naux. C'est une sage résolution pour une personne qui ne peut avoir beaucoup de temps à perdre. Mais s'il les lisait, que penserait-il de la question qui lui est adressée par Félix Pyat : ■< Est-il vrai que le plan de Trochu, si toutefois il en a un, consiste à attaquer l'ennemi du côté de Choisy-le-Itoi, ainsi que semblent l'indiquer les fréquentes inspections que le gouver¬ neur fait de ce côté? S'il a vraiment cette intention, c'est qu'il prépare l'holocauste des patriotes. » Les patriotes continuent à parader avec leur même indiffé¬ rence quotidienne. Le général Clément Thomas, qui, depuis le 31 octobre, a succédé au général Tamisier dans le commandement en chef de la garde nationale, paraît s'être mis sérieusement au travail. 11 déploie une grande activité pour organiser les bataillons de marche; on le voit chaque jour descendre la rue de Rivoli à cheval, à la tête d'un bataillon, qu'il ins¬ pecte ensuite sur la place Vendôme, en face de son quartier général. Cette après-midi, j'ai vu un grand ORLÉANS. 167 nombre de ces compagnies de gardes nationaux mo¬ bilisés ; elles manœuvraient sur cette place et jouaient avec beaucoup d'entrain la Marseillaise que depuis longtemps nous n'avions pas entendue. Je pensais que ces gardes nationaux allaient à quelque grande revue et je questionnai l'un d'eux pour savoir si je ne me trompais pas. « Il n'y a pas de revue, me répondit-il, le général Clément Thomas nous fait seulement faire une promenade militaire. » Le général portait une simple capote en laine bleu clair serrée à la taille par un ceinturon de cuir noir. Il voulait sans doute réagir par son exemple contre le goût des ornements et des galons d'or si chers aux citoyens-soldats Vendredi 18 novembre. — On passe une grande revue de la garde nationale dans l'avenue des Champs- Elysées et sur la place de la Concorde. Depuis les der¬ nières nouvelles, que nous avons reçues d'Orléans, ces revues sont les événements les plus importants de notre vie pendant le siège. Pour elles, nous déser¬ tons les divers lieux de nos promenades et même les boulevards; elles contribuent beaucoup à entretenir en nous l'enthousiasme patriotique. On vient en foule pour regarder les manœuvres des bataillons de guerre et pour admirer la vivacité avec laquelle ils exécutent leurs mouvements. Les hommes sont fiers de leur attitude militaire; dans les rangs, chacun observe son I. Un télégramme de l'agent de France à Bruxelles, datée du 8 novembre, rapporte que les généraux prussiens sont fort étonnés de la résistance de Paris et notammment de la solidité de notre infanterie. Ils paraissent très bien informés de ce qui se passe chez nous. Le 28 octobre, on annonçait dans le cercle de M. de Bismarck la tentative insurrectionnelle du 31 octobre, en citantles noms de ceux qui devaient y prendre part, et l'on s'en réjouissait d'avance. La pluspart des officiers désirent la paix. Les soldats eu ont assez. Ils sont très surpris de rencontrer une résistance devant Paris. (Extrait du Journal officiel, 17 novembre^) "168 A l'A RI S PENDANT LE SIEGE. voisin, et de temps à autre veille sur lui-même : « Voyez comme ils font bien l'exercice, dit un vieux monsieur; ah! les Français sont nés soldats; vous voyez bien que nous aimons la gloire et la liberté. Ces mêmes hommes qui, il y a seulement quelques semaines, maniaient leurs chassepots aussi lourde¬ ment que des éléphants auraient pu le faire, font aujourd'hui l'exercice aussi hien que de vieilles troupes; et ce qui est mieux encore, ils ont une tenue admi¬ rable, pleine de fermeté, sous le feu de l'ennemi et au milieu des émeutes. » Je les vois, moi, descendre tranquillement les Champs-Élysées; ils ne vont pas combattre des émeutes et ils ne marchent pas sous le feu ennemi; mais ils lancent des œillades aux belles qui sont venues voir Alphonse faire l'exercice. Je sup¬ pose alors qu'ils ne sont pas nés pour la gloire. Clément Thomas était à cheval; il était entouré d'un nombreux état-major, composé de jeunes élégants qui se dandinaient gracieusement sur leurs selles et qui, vraisemblablement, étaient incapables de com¬ prendre les ordres de leur général. Ce général gesti¬ culait beaucoup; il prit beaucoup de peine pour répéter et faire comprendre ses ordres. Les aides de camp partirent, en caracolant, dans de fausses direc¬ tions, et les compagnies de gardes nationaux se mirent en marche. Tous ces mouvements divers amenèrent une confusion générale. Elle cessa au moment où la musique, venant à leur secours, se mit à jouer la Marseillaise. Nos héros s'en allèrent alors aux sons d'une musique entraînante. Ceux de mes amis, qui font partie de ces bataillons, m'assurent que leur moral est excellent. Ils ont une grande confiance dans le général d'Aurelle de Paladines, l'idole dn jour. Son buste et son portrait sont exposés dans toutes les de¬ vantures de boutiques. Ceux qui le connaissent dé- ORLÉANS. 169 peignent le vainqueur de Coulmiers comme un homme à poigne, sévère et inflexible, de l'école du maréchal Castellane. —C'est un homme de forte corpulence ; il a le tempérament rude et colérique des montagnards de la Lozère. Les grandes folies de sa jeunesse, qui paraît avoir été ce qu'ici on appelle orageuse, ont laissé des traces qui complètent, en d'Aurelle de Pala- dines, le type de ce que le soldat celte est accoutumé à regarder comme le véritable idéal d'un général. On commence à croire à la possibilité de l'exécution d'un plan concerté avec les levées faites en province; elles manœuvreraient sur les flancs de l'armée prus¬ sienne d'investissement afin de la séparer de ses ren¬ forts, et finalement de la renfermer dans chacun de ses quartiers pendant que nous, nous ferions une marche en avant et que nous passerions au travers de ses lignes Ceux qui ont le cœur sensible et qui s'apitoient à tout propos sur les gens ou sur les choses, sont déjà émus, à la pensée du terrible et affreux carnage que les paysans furieux feront des Prussiens, quand leurs armées seront tout à coup battues et mises en déroute. 11 n'y a aucun doute que ce plan ne soit des plus in¬ génieux; mais, par malheur, les cent mille soldats du 1. Dépèche reçue de Tours, le 13 novembre 1870: Gambetta à Jules Fa ere. Nous vous avous annoncé notre mouvement officiel sur Orléans, qui a été repris après deux, jours de marche, pendant lesquels deux gros com¬ bats ont été livrés à Baxon et à Coulmiers, où nous avons lait deux mille cinq prisonniers, tout compte fait, et où nos troupes ont fait preuve du plus vigoureux élan. Nous occupons fortement les approches de la ville et nous pouvons repousser un retour offensif. L'état intérieur de la France est entièrement satisfaisant. L'ordre le plus complet règne à Lyon, à Marseille, à Perpignan, à .Saint-Étienue. L'ennemi a évacué Dijon et l'administration préfectorale y a repris son cours. Vous pouvez hautement affirmer que partout notre gouvernement est respecté et obéi et que toute l'effervescence, excitée par la reddition de Bazaine, est maintenant calmée sur tous les points du territoire. 10 170 A PARIS PENDANT LE SIEGE. prince Frédéric-Charles sont déjà sur le chemin de la Loire. La conception de ce plan et la réalisation, que nous pensons en faire nous réconfortent beaucoup et nous donnent une grande confiance dans la victoire; les nouveaux mobilisés de la garde nationale sont animés d'une ardeur tout à fait inaccoutumée. Quel¬ ques-uns de leurs bataillons sont déjà revêtus de la capote de campagne; elle est bleu clair, et comme on manque de drap, on a réquisitionné tous les draps qu'on a pu trouver sans se préoccuper de la couleur et des nuances. A côté d'un bataillon habillé de drap bleu clair, nous en voyons un autre vêtu de drap vert, de ce drap qui sert à faire les billards; un troisième porte des capotes couleur marron. Des mauvais plai¬ sants lui donnent le sobriquet de « bataillon de M. De- vinck » : M. Devinck est un fabricant de chocolat. Les hommes qui font partie de ce bataillon sont tenus de se rappeler les devoirs que leur imposent les couleurs de leur patron : de « vaincre ou de mourir ». Dimanche 20 novembre*. — lime semble que nous ap¬ prochons du moment où tous les préparatifs, faits en vue d'un effort désespéré, vont être terminés. Hier matin une brigade entière se dirigeait vers le sud, où on fait une grande concentration de troupes. Ce matin les mobiles de l'Ain ont été remplacés à 1. On lit clans le Journal officiel : Le gouvernement a reçu aujourd'hui pour la première fois un numéro du Journal officiel prussien qui s'imprime à Versailles. Nous croyons devoir le communiquer à nos concitoyens sans en retrancher un mot, avec d'autant plus d'empressement qu'on y verra clairement quelle est la pensée et quelles sont les aspirations de l'ennemi. La circulaire de M. de Bismarck sera demain l'objet d'une réponse de la part du ministre des affaires étrangères. Ce même numéro du Journal officiel prussien donne la circulaire que M. de Bismarck a adressée aux États allemands de la confé¬ dération du Nord à la suite de la rupture des négociations enta¬ mées au sujet de l'armistice. Voir cette circulaire, note IX. ORLÉANS. 171 Gachan par les Bretons : il se fait dans toutes les direc¬ tions de grands mouvements de troupes. On devait faire aussi hier, dans l'après-midi, une sortie sous la protec¬ tion des canons du Mont-Valérien. M. A.-D. delà Gran- gerie, qui est revenu d'Asnières la nuit dernière, nous dit que les troupes étaient sous les armes, et qu'elles s'avançaient avec un grand entrain, quand un contre- ordre leur est arrivé. 11 est bien possible que ce mouve¬ ment de troupes ne soit qu'une simple démonstration destinée à donner le change à l'ennemi. Le gouver¬ neur veut paraître chercher à assurer son système de défense sur tous les points à l'ouest pour avoir sa liberté d'action d'un autre côté. Quand le général Berthaut reçut l'ordre de brûler une certaine quan¬ tité de bois, dont les Prussiens pouvaient se servir pour jeter un pont sur la Seine entre Bezons et Argenteuil, il répondit qu'au lieu de brûler ces bois il eût été pré¬ férable de les leur abandonner et de leur inspirer la tentation de passer le fleuve. Sur la ligne du chemin de fer d'Orléans,on prépare des wagons blindés, armés d'un canon, pour soutenir l'attaque que l'on veut faire du côté de Choisy. Les officiers du fort d'Ivry annon¬ cent une grande sortie dont le général Ducrot doit prendre la direction; il doit avec ses 80 000 hommes sortir de Paris et passer au travers des lignes prus¬ siennes. Ses hommes auront à porter cent quatre-vingts cartouches. Ils prendront de la nourriture, du biscuit, du lard, etc., pour cinq jours, aussi peu de bagages que possible, et puis ils diront adieu à Paris. Les marins sont jaloux et ils font tout ce qu'ils peu¬ vent pour obtenir d'être de la sortie. Ces hommes ont un grand courage dans les combats, et si le général Trochu avait deux divisions de ce corps d'élite, il n'y a point de doute qu'il ne pût passer au travers des lignes ennemies; malheureusement son armée est 172 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. faite de bric et de broc. Les officiers, qui ont de l'expé¬ rience, n'ont pas confiance dans les mobiles; ils ne paraissent pas non plus faire fond sur le général Trochu, qui a le commandement en chef de l'armée. «Trochu, disent-ils, vit au milieu des avocats et il est en train de devenir lui-même un avocat. C'est en critiquant les autres qu'il a fait sa réputation et son malheureux livre1 nous a tous si parfaitement bien désignés, depuis le général jusqu'au sous-lieutenant, que nos imbé¬ ciles ont perdu toute confiance en nous. » Le nom du général excite un rire moqueur qui fait un grand tort au gouverneur : « il a mis, dit-on, sa plume dans le fourreau de son épée et sonépée dans son encrier, et quand il veut tirer l'épée, il ne dégaine qu'un porte- plume. » Mercredi 23 novembre. — M. de Bismarck et M. Jules Favre se font la guerre à coups de petits papiers; il est inutile d'indiquer celui des deux qui a l'avantage. Comme les diplomates ne sont jamais plus querelleurs que la veille d'une réconciliation, le parti de la paix conclut de cet échange d'aménités diplomatiques qu'on discute ii Versailles les conditions d'un armistice. Les Débuta réclament de nouveau la convocation d'une Assemblée nationale et le contre-ordre, donné à la sor¬ tie qui devait avoir lieu samedi dernier, réveille les anciens soupçons des amis de M. Pyat. Les forts, heu¬ reusement, se font entendre pendant la nuit; il semble qu'ils disent : « Boum, pas d'armistice! Bang, bang, bang, à Versailles! » Dans les clubs, du moins dans ceux qui sont fréquentés par la bourgeoisie, on ne fait plus que plaisanter. Le public est fatigué des speeches en prose et ne s'y amuse pas. La nuit dernière, à Va¬ lentino, salle de bal dans laquelle on danse habituel- 1. Ce livre, paru dans les dernières annés de l'Empire, a pour titre : /'Armée française cil I8B7. ORLÉANS. 173 lenient le cancan, un orateur sérieux a comparé le siège, que nous subissons, avec le siège héroïque de .Montevideo qui a duré sept ans : « La première année tous les chevaux, tous les chats, tous les chiens ont été mangés; la seconde année toute l'argenterie et toute la vaisselle plate a été vendue, il no restait pas un centime de monnaie dans la place; la troisième année on mit aux enchères les églises et les palais. » — « Je voudrais bien savoir, s'écria un petit commer¬ çant intelligent, comment ils ont pu vendre des maisons s'il n'y avait pas d'argent dans la ville pourles payer? » — «La quatrième année... » continua l'orateur. Toute l'assistance cria : « Assez! assez! » Un capitaine de la garde nationale envoya au diable Montevideo et ses braves défenseurs. Il affirma que nous n'avions pas le temps de nous occuper des peuples étrangers, quand les Prussiens étaient à 600 mètres des murs de la ville et que les gardes nationaux se faisaient tuer pour l'amour de leur pays : « Je voudrais savoir, capitaine, où vous avez été lue, » demanda un auditeur espiègle. Le capitaine poussa un grognement et la séance se termina par un tumulte indescriptible. 10. CHAPITRE VII UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM » Lundi 28 novembre. — Le signal est enfin donné ; les ambulances doivent toutes se réunir dans le Champ de Mars à deux heures du matin. On s'attend à voir com¬ mencer le combat avant l'aurore. Il semble que le moment décisif est arrivé1. Dans ces derniers temps 1. Proclamation du gouvernement à la population de Paris: Le gouvernement de la Défense nationale à la population de Paris. Citoyens, L'effort que réclamaient l'honneur et le salut de la France est engagé. Vous l'attendiez avec une patriotique impatience que vos chefs militaires avaient peine à modérer. Décidés comme vous à débusquer l'ennemi des lignes où il se retranche et à courir au-devant do vos trères des dépar¬ tements, ils avaient le devoir de préparer de puissants moyens d'attaque. Ils les ont réunis; maintenant ils combattent: nos cœurs sont avec eux. Tous, nous sommes prêts k les suivre, et, comme eux, à verser notre sang pour la délivrance de la patrie. A cette heure suprême où ils exposent leur vie, nous leur devons le concours de notre vertu civique. Quelle que soit la violence des émo¬ tions qui nous agitent, ayons le courage de demeurer calmes. Quiconque fomenterait le moindre trouble dans la cité, trahirait la cause de ses défenseurs et servirait celle de la Prusse. De même que l'armée ne peut vaincre que par la discipline, nous ne pouvons résister que par l'union et l'ordre. Nous comptons sur le succès, nous ne nous laisserons abattre par aucun revers. Cherchons surtout notre force dans l'inébranlable résolution d'étouffer, UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 17S nos provisions se sont rapidement épuisées, et Paris commence à prendre l'aspect d'une ville affamée. On est surtout frappé de ce changement, dans les quar¬ tiers de la rue Montmartre et du faubourg Saint-An¬ toine. Parmi les nombreuses femmes affamées, qui se tiennent debout, rangées en longues files, devant les portes des boucheries, on aperçoit des figures ravagées et désespérées, qui rappellent celles qu'on voit dans les tableaux qui représentent la marche de Paris sur Versailles en octobre 1789. Le peuple acclame les bat¬ teries de mitrailleuses qui se rendent à Vincennes en passant par le faubourg Saint-Antoine; les gardes na¬ tionaux boivent à leur succès. Ils se querellent avec les canonniers de l'armée régulière, qui expriment le désir de voiries gardes nationaux ne pas se contenter de leur adresser des félicitations, mais prendre aussi comme un germe de mort honteuse, tout ferment de discorde civile. Vive la France! Vive la République! Les membres du gouvernement : jules favre, vice-président du gouvernement, emmanuel arago, jules ferry, garnier, pages, eugène pelletan, ernest picard, jules simon. Let ministres : général le flô, dorian, j. magnin. Les secrétaires du gouvernement : andré lavertujon, f. herold, a. dreo, durier. Paris, 28 novembre 1870. Proclamation du gouverneur au peuple de Paris. Citoyens de Paris, Soldats de la garde nationale et de l'armée, la politique d'envahisse ment et de conquête entend achever son œuvre. Elle introduit en Eu¬ rope et prétend fonder en France le droit de la force. L'Europe peut subir cet outrage en silence, mais la France veut combattre et nos frères nous appellent au dehors pour la lutte suprême. Après tant de sang versé, le sang va couler de nouveau. Que la res¬ ponsabilité en retombe sur ceux dont la détestable ambition foule aux pieds les lois de la civilisation moderne et de la justice. Mettant notre confiance en Dieu, marchons en avant pour la patrie. Le gouverneur de Paris, général trochu. Paris, le 28 novembre 1870. 17fi A PARIS PENDANT LE SIÈGE. leur part de combat. On est convaincu qu'on va sur¬ prendre les Prussiens, eL cependant l'avis bien précis, publié vendredi dernier à l'occasion de la prochaine fermeture des portes, a certainement donné une f⬠cheuse publicité aux intentions de nos généraux '. Au¬ tre chose plus grave, nous avons appris, cette après- midi, l'heure àlaquelle l'attaque doitavoir lieu demain. Il n'y a pas de raison pour que les Prussiens, dans le cas où ils auraient voulu mettre le prix à ce rensei¬ gnement, ne l'aient pas aussi bien que nous. Mardi 29 novembre, cinq heures du matin. — Pour la première fois depuis le commencement du siège, je fus réveillé par la canonnade qui se faisait entendre autour de Paris. Ce fut tout d'abord un roulement sourd comme celui du tonnerre qui gronde au loin; bientôt après, comme j'étais tout à fait réveillé, je vis, de mon lit, le ciel noir sillonné à toutes minutes par des éclairs qui se voyaient au-dessus de tous les quartiers de la ville. Certainement, pensai-je, il se passe quelque chose de plus sérieux que de coutume: l'artillerie donne aujourd'hui plus qu'elle n'a jamais donné pendant ces six dernières semaines. Elle tirait alors de temps à autre le canon pour l'amusement particulier des Parisiens. Je m'habillai bien vite et je montai sur le toit de la maison. Du haut de cet observatoire, j'avais une vue magnifique sur toutes les hauteurs des environs de Paris depuis le Mont- 1. Le Journal officiel du 25 novembre a publié l'avis suivant : Fermeture des portes. A partir de dimanche matin, les barrières dos différentes portes de l'enceinte seront fermées à la circulation jusqu'à nouvel ordre, et elles ne s'ouvriront que pour le passage des troupes, du matériel, des con¬ vois de voitures militaires ou civils au service de l'armée, des militaires isolés, des ingénieurs et ouvriers appelés au dehors pour les travaux militaires. Pari», 2b novembre 1870. UN CHAPITRE POUR < LE GÉNÉRAL BOUM ». 177 Yalérien, à ma droite, jusqu'à Ivry près de la Seine, à ma gauche. Du côté de Bagneux.on voit des langues de flammes rouges sortir des bouches des canons; du côté de l'est, en entend dans le lointain de grands bruits de mousqueterie. 11 fait complètement nuit au moment où j'écris et le bruit du canon est incessant. Les deux artilleries ennemies se livrent, sans aucun doute, à un duel terrible, qui doit être le prélude d'une attaque désespérée de l'infanterie. Je suis émer¬ veillé de la belle tenue des mobiles à Gentilly et à Caclian pendant ces heures terribles passées dans l'obscurité. Les balles sifflaient autour d'eux et les obus crevaient au-dessus de leurs têtes pendant qu'ils attendaient dans le calme que le jour vînt et que les colonnes, désignées pour l'attaque, reçussent l'ordre d'abandonner leur retraite et de s'élancer dans cet espace terrible qu'on avait laissé libre entre leurs retranchements et les barricades prussiennes, établies à l'Hay, à Chevilly et à Thiais. J'avoue qu'à ce mo¬ ment, quatre heures du matin, j'ai éprouvé dans mon for intérieur une certaine sympathie pour les poltrons. N'est-il pas vrai que dans l'existence les moments les plus désagréables soient ceux où, jetant un regard nou¬ veau sur la vie, le cœur succombe sous le fardeau des misères qu'il entrevoit; celui que la justice, avec un raffinement de torture, a fixé pour l'exécution des criminels et aussi celui où le râle de la mort se fait le plus souvent entendre dans la chambre d'un ma¬ lade. Les troupes françaises sont, je le crois, très sen¬ sibles à ce genre d'impressions ; j'ai toujours vu, dans l'histoire des guerres antérieures, qu'elles ont lâché pied quand elles étaient surprises avant l'aurore, pen¬ dant qu'elles préparaient leur café noir: tant il est vrai qu'un soldat français ne peut pas aller au feu sans l'avoir pris. Je me suis senti, à ce moment de la nuit, 178 A PARIS PENDANT LE SIEGE. pris do pitié pour les combattants plus que je ne l'au¬ rais été it toute autre heure de la journée. Huit heures du matin. — Nous venons de lire à l'ins¬ tant la proclamation que le général Ducrot adresse à ses troupes C'est la proclamation d'un soldat plein de courage; elle est entraînante et les coups de canon, qui s'entendent au loin, ajoutent encore à sa fière allure. Le général fait le vœu de ne rentrer à Paris que mort ou victorieux. Il comprend évidemmentqu'il s'adresse à des jeunes troupes inexpérimentées; elles ne sont pas encore assez soumises à la discipline pour se jeter, sans encouragement, au fort de la mêlée et se porter en avant contre les terribles murailles ennemies qui sont toutes crénelées. Son langage est un appel désespéré à leur courage : « Puisse la rage secrète qui brûle ma poitrine, remplir aussi les vôtres et vous inspirer le mépris de la mort! » Il fait allusion « aux héroïques efforts » de l'armée de la Loire. Le mot « efforts » a comme une apparence de mauvais augure dans la bouche d'un général. Le gou¬ vernement est certainement décidé à livrer une ba¬ taille pour la délivrance de Paris. Il a dû recevoir de la province des nouvelles de la plus grande importance ; ce sont elles qui vraisemblablement obligent le géné¬ ral Trochu à risquer cette semaine un dernier elîort. Vendredi dernier quelques journaux anglais sont en¬ trés dans Paris. Ils ont été remis au gouvernement; mais cette fois on n'en a communiqué aucun extrait à la presse. Il est probable qu'ils contenaient quelques avis inquiétants sur les mouvements du général d'Au- relle de Paladines qui devait, déjà à ce moment, être aux prises avec les forces du prince Frédéric-Charles. Notre armée parisienne n'est pas encore prête. Une 1. Voir note X la proclamation du général Ducrot. UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 179 moitié seulement des gardes nationaux est à peu près équipée; l'autre moitié est à peine en état de paraître sur l'arrière-plan du champ de bataille. Si les Parisiens restent aujourd'hui dans l'inaction, il se peut faire qu'ils ne retrouvent jamais une occasion aussi favo¬ rable pour prendre part à la lutte. La destruction des armées de province permettra à l'ennemi de resserrer le cercle de fer qui nous entoure; et alors, que nous soyons prêts ou que nous ne le soyons pas, il faudra que nous fassions le plongeon : aussi Ducrot s'élance- l-il en avant avec l'énergie du désespoir. Mardi soir. — Le résultat du combat, qui a eu lieu ce matin, n'est pas encore connu. Je n'ai pas été au delà des remparts; mais dans l'après-midi je suis allé à la porte d'Orléans. J'en ai trouvé toutes les appro¬ ches strictement gardées par des piquets de gardes nationaux. Il y avait tout autour de cette porte et dans les rues adjacentes une grande foule de personnes ; elles attendaient avec anxiété l'arrivée des blessés. Pendant le temps que je restai à cet endroit, je ne vis revenir qu'un seul blessé, un jeune soldat de la ligne appar¬ tenant à un des régiments nouvellement formés.Nous l'avons salué quand il est passé devant nous. Le pauvre diable avait la figure toute pâle ; il a répondu à notre salut par un de ces sourires qui sont particuliers à ceux qui souffrent. Dans la foule, on ne paraissait pas avoir une juste idée du résultat du combat. Quelques- uns disaient vaguement que Cboisy-le-Roi et quelques autres villages avaient été pris ;que des batteries d'ar¬ tillerie avaientété enlevées à la pointe de la baïonnette, mais que les canons, faute de chevaux pour les enle¬ ver, avaient été laissés sur place. Un garde national racontait que, pendant qu'il montait la garde sur les remparts, son capitaine lui avait affirmé qu'on avait pris soixante gros canons et que le village de Choisy- 180 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. lc-Itoi était occupé. D'autres personnes parlaient seu¬ lement de huit canons et disaient avoir été si souvent désappointées qu'elles préféraient attendre d'autres nouvelles avant de se réjouir. En l'absence de tous renseignements officiels, on dit généralement que ce combat n'est que le prélude de la bataille et que l'en¬ gagement sérieux ne commencera que demain. La perspective de la fin prochaine du siège cause, dans tous les quartiers de la ville, une réelle impres¬ sion de soulagement. La plus grande partie du peuple désire la victoire; il y a cependant des « pessimistes » qui accepteraient sans trop de répugnance une défaite irréparable dont le résultat serait de mettre fin à l'état présent des choses. Mercredi soir, 30 novembre. — Les derniers coups de canon des forts de l'est se font tristement entendre à de longs intervalles. Cela fait un étrange contraste avec le bruit de l'artillerie qui nous a réveillés dans la nuit et qui a duré pendant seize heures sans inter¬ ruption. Les tentatives, faites par Ducrot pour tra¬ verser la Marne, mais un instant retardées par une crue de la rivière arrivée subitement, le matin du jour fixé pour le commencement des opérations, ont enfin réussi. Oh ! quelle était grande l'émotion que j'ai res¬ sentie quand, en allant à Vincennes, j'ai lu ces mots affichés sur les murs : « Toutes les divisions du géné¬ ral Ducrot ont passé la Marne. » Malheureusement, le retard, causé par les vingt-quatre heures passées dans l'attente de la baisse de la crue, ne permet de présager rien de bon pour nos succès. Ce retard a déjà empêché la réussite de l'attaque de Choisy-le-Roi. Depuis le commencement du jour, nous avons passé douze mor¬ telles heures dans un état de grande impatience et d'irritabilité nerveuse. Le gouvernement fait cepen¬ dant tout ce qu'il peut pour nous calmer. Il essaye de UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 181 nous faire comprendre que les opérations entreprises, en vue de la délivrance de Paris, sont d'une nature tel¬ lement complexe, que nous ne devons pas nous inquié¬ ter de quelques mouvements de feinte retraite1. Toutes les deux ou trois heures, le gouvernement fait poser 1. On lit dans le Journal officiel, à la date du 29 novembre 1870 : Le gouvernement invite le public à se mettre en garde contre les bruits qui pourraient circuler. Les opérations militaires entreprises par le gouverneur de Paris sont complexes; elles comportent de feintes attaques et de feintes retraites. Il est donc impossible de rien préjuger en annonçant la prise ou l'éva¬ cuation de tel ou tel poste. Les indications de cette nature pourraient parvenir à l'ennemi et lui dévoiler nos desseins. Les mouvements préparatoires ont été accomplis par nos troupes avec un courage et un entrain qui remplissaient leurs chefs d'espoir et de confiance. En présence d'événements imminents, chaque citoyen doit comprendre que le devoir est la réserve et le calme. Après ces observations, on nous permettra de nous borner à dire que sur les points principaux des avancées, nos troupes ont occupé les points qui leur avaient été désignés et qu'elles sont en mesure d'agir. 29 novembre, soir. Au nombre des bataillons de la garde nationale qui se sont distingués aujourd'hui, nous devons signaler les 100° et 116°, commandants Ibos et Langlois. Aidés de nos marins, ces deux bataillons ont pris possession de la Gare-aux-Hœufs 1 de Choisy, avec un entrain et une bravoure qui méritent les plus grands éloges. Journal officiel, 30 novembre, 4 heures. Le gouverneur de Paris est à la tête des troupes depuis avant-hier. L'armée du général Ducrot passe la Marne, depuis ce matin, sur des ponts de bateaux dont rétablissement avait été retardé par une crue subite et imprévue de la rivière. L'action s'engage sur un vaste périmètre soutenue par les forts et les batteries de position qui. depuis hier, écrasent l'ennnemi de leur feu. Cette grande opération, engagée sur un immense développement, ne saurait sans danger être expliquée en ce moment, avec plus de détail. La gouverneur nu gouvernement. Plateau entre Bry-sur-Marne et Champigny, 3 heures. La droite a gardé les positions qu'elle avait brillamment conquises. La gauche, après avoir un peu tiéchi, a tenu ferme et l'ennemi, dont les pertes sont considérables, a été obligé de se replier en arrière des crêtes. La situation est bonne. L'artillerie, aux ordres du général Fré- bault, a magnifiquement combattu. Si on avait dit, il y a un mois, qu'une armée se formerait à Paris, capable de passer une rivière difficile en 1. Le comte Roger (lu Nord a conduit bravement les bataillons de guerre à l'at¬ taque de la Gare-aux-Bceufs. u 182 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. dos affiches sur les murs de Par is : c'est toujours un court bulletin qui donne les dépêches envoyées par le gouverneur; elles sont datées du lieu môme du combat. Trochu considère certainement les dangers et la mort, auxquels il s'expose sur' le champ de ba¬ taille, comme un moyen honnête d'échapper aux très grandes perplexités de la chambre du conseil. Les dernières nouvelles ne sont pas très encourageantes; on se console cependant quelque peu en apprenant que les premières lignes prussiennes, entre Champigny et Bry, sont restées au pouvoir des Français et que le commandant en chef a dit : « la fin de la journée est bonne ». Prononcées par un homme calme et mo¬ déré, ces dernières paroles doivent porter la conviction face de l'ennemi, de pousser devant elle l'armée prussienne retranchée sur des hauteurs, personne n'en aurait rien cru. Le général Ducrot a été admirable et je ne puis trop l'honorer ici. La division Susbielle qui, en dehors et sur la droite de l'action générale, avait enlevé avec beaucoup d'entrain la position de Montmesly, n'a pu y tenir devant des forces supérieures et s'est repliée sur Créteil, mais sa diversion a été fort utile. Je passe la nuit sur le lieu de l'action qui continuera demain. GÉNÉRAL TROCHU. Gouverneur au t/eneral Schmitz, au Louvre. Rosny, 7 heures V2 min. du soir. La lin de la journée a été bonne. Une division du général Exea ayant passé la Marne, l'otfensive a été reprise et nous couchons sur les positions. L'ennemi nous a laissé deux canons et a abandonné sur place ses blessés et ses morts. Le (/ourerneinent de la Défense nationale au peuple de Paris. Paris, .10 novembre 1870, ii heures du soir. L'action est engagée vivement sur plusieurs points. La conduite dos troupes est admirable. Elles ont abordé les positions avec un grand entrain. Toutes les divisions de l'armée du général Ducrot ont passé la Marne et ont occupé les postes qui leur étaient assignés. Le gros de l'alfaire est à Cœuilly et h Villiers-sur-Marne. La bataille continue. Les membres du gouvernement »/<• lu Défense nationale, J. LA Y RE, EMMANUEL ARAGO, J. FERRY, GARNIER-PAGÈS, EUGÈNE PELLETAN, ERNEST PICARD, JULES SIMON. UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ... 183 avec elles, et le général Trochu est, sans aucun doute, en droit d'être cru quand il parle d'une victoire par¬ tielle. Cependant, quelques épisodes de la journée sont particulièrement malheureux; ils indiquent le peu de solidité que les troupes ont montrée pendant le combat. Ainsi, ce matin, une forte division s'était efforcée d'enlever les hauteurs de Montmesly, situées dans l'angle formé par la Seine et la Marne ; c'était une position d'une grande importance. Enlevée par la division du général Susbielle, elle aurait probable¬ ment permis aux Français de tourner la position de l'ennemi établi à Chennevières et à Gœuilly, ou tout au moins d'empêcher ses communications entre la rive droite et la rive gauche de la Seine. Montmesly avait été enlevée par le général Susbielle avant midi; mais, quelque temps après, une batterie du corps d'armée de Wurtemberg et un bataillon de tirailleurs suffirent pour mettre en déroute toute la division, pour la massacrer dans le village de Créteil, où les barricades élevées par les Français venaient d'être démolies pour livrer passage aux ambulances. 11 s'était produit une panique subite et irrésistible. C'est dans ce village que le brave officier général Ladreit de La Charrière tomba percé de plusieurs balles en essayant de ramener les fugitifs. A Champi- gny, l'artillerie française, avant de pouvoir prendre ses positions, a été prise en enfilade par le feu ennemi au moment où elle débouchait du village par la seule route qui le traversait. Il s'en est sui\i qu'un long temps s'est écoulé avant qu'elle puisse tirer un coup de canon. Une déroute paraissait inévitable. Les offi¬ ciers heureusement ont réussi, au péril de leur vie, à retenir tous leurs hommes à leur poste de combat. Un peu plus tard, le général Renault, l'héroïque com¬ mandant du second corps de l'armée de Ducrot, reçut 184 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. une balle dans la cuisse. Le général élail en ce mo¬ ment, à la tôle des mobiles de la Normandie; ces mobiles s'étaient débandés, et il faisait de vains efforts pour les rallier et les porter en avant à l'attaque des positions saxonnes établies entre Bry et Villiers. Dans ces combats, il y a eu un grand nombre d'officiers tués, surtout parmi les officiers des régiments de mo¬ biles. Ces morts nombreuses, qui sont la conséquence des fautes commises parles troupes novices et inexpé¬ rimentées, les ont vivement impressionnées. La ligne, et principalement les zouaves, qui voulaient réparer la honte de l'échec de Châtiilon, paraissent avoir fait meilleure figure devant l'ennemi. La discipline a dû être cependant assez relâchée parmi eux; on a pu voir les colonnes d'assaut se fondre à leurs deux bouts. Un grand nombre d'hommes, non blessés, quittaient les rangs sous différents prétextes et prenaient les ambu¬ lances comme d'assaut. Les gardes nationaux mobi¬ lisés étaient massés sur une troisième ligne ; ils for¬ maient « une imposante réserve ». Ils pensaient qu'ils n'avaient qu'à regarder ce qui se passait et à mainte¬ nir les mobiles dans le devoir. La facilité avec laquelle ils se font illusion est vraiment étonnante; ils croient qu'ils ont pris au combat une part plus active que celle des correspondants de journaux et des curieux qui, en se faufilant par contrebande dans les voitures d'ambulances, sont parvenus à aller au delà des for¬ tifications et à voir ce que c'est qu'une bataille, en se tenant toutefois à celte distance protectrice que préfè¬ rent les rois, les empereurs, et même les journalistes. Jeudi, matin, 1er décembre1. — La nuit a été très belle ; 1. Rapports militaires du 1er décembre 1870 : Le f/ouverneur de l'avis au général Sehmitz. décembre 1870. Nos troupes restent ce matin sur les positions qu'elles ont conquises UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 185 le ciel était plein d'étoiles et le bruit du canon ne nous a pas troublés. Le froid ce matin est très piquant et très pénible à supporter. Si le général Trochu n'a pas réussi à percer les lignes prussiennes, il n'en a pas moins, en quelque sorte, pris pied au delà de la Marne et établi une base pour de nouvelles opérations militaires. Je voudrais avoir des nouvelles d'Orléans; je me demande ce qu'elles disent. Les dernières dépêches de Gambetta annoncent que l'armée de la Loire a son centre fortement établi dans les positions défensives de Chevilly, Cercottes, etc.; nous espérons que son aile gauche pourra tourner la forêt de Fontainebleau. De son côté, le général Trochu se tient purement sur la défensive et prend une attitude expectante. L'ami- hier et occupées cette nuit. Elles relèvent les blessés que l'ennemi a abandonnés sur le champ de bataille et ensevelissent ses morts. Le transport de nos blessés achève de s'effectuer dans le plus grand ordre. L'armée est pleine d'ardeur et de résolution. Jeudi l«r décembre, 3 heures de l'après-midi. L'artillerie, placée sur le plateau d'Avron, ne cesse pas de couvrir l'en¬ nemi de ses feux. Nos troupes, solidement établies dans leurs positions, n'ont pas été inquiétées. Elles sont prêtes à reprendre le combat au premier signal et ne demandent qu'à marcher. L'enlèvement des blessés prussiens a pris une partie de la journée. D'un moment à l'autre, la lutte peut recommencer. Les chefs de corps sont très satisfaits de l'ac¬ tion d'hier et pleins de confiance. A la même date, 011 lit dans le Journal officiel : La journée du 1er décembre s'est écoulée dans des conditions de calme que ne faisaient pas pressentir les luttes de la veille. Nous nous sommes installés sur nos positions. Nous avions du reste un devoir à remplir : sur le terrain conquis, où ont couché nos troupes, il y avait encore ce matin des blessés français et prussiens, et les ambulances ont dû fonc¬ tionner pendant que nos soldats enterraient religieusement les morts des deux armées. Vers la fin, une partie du terrain n'ayant pu être explorée à cause de la proximité des avant-postes, par une sorte d'accord tacite, il y eut une suspension d'armes, qui dura à peine deux heures, et que l'on employa à terminer l'enlèvement des blessés. On pense que le général Kenault sera amputé demain de la jambe et on augure bien de l'opé¬ ration. Le gouverneur n'a pas quitté les positions. 180 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ral Saisset, dont les canons sont placés à Avron, tire, à l'occasion, sur les convois des Saxons, quand ils passent sur les routes qui conduisent au village de Chelles. Nous devons bien avoir quelque pitié pour les pauvres lignards, pour les malheureux mobiles qui ont passé les deux dernières nuits sur les hauteurs froides au pied desquelles coule la Marne. Ils y étaient exposés au vent d'est, toujours si froid. Ils n'avaient pas leurs couvertures, qu'ils n'avaient pas emportées afin d'être moins embarrassés dans l'attaque des lignes saxonnes. On n'avait pas pu, dans ce moment, leur donner tout ce dont ils avaient besoin ; mais, à chaque instant des fourgons pleins de couvertures, de vêle¬ ments de toutes les espèces, de havresacs et d'autres choses encore, leur étaient expédiés. 11 n'y avait qu'une route par laquelle on pouvait faire ces expéditions : l'avenue de Vincennes. Pendant le combat livré hier, la police militaire insuffisante a été mal faite et l'ave¬ nue, s'étant trouvée tout encombrée, est devenue presque impraticable. Les fourgons n'ont pas pu pas¬ ser. Reste à savoir si tous les objets expédiés, et qui sont en grande quantité, arriveront sur les lieux où campent les troupes assez à temps pour être distribués ce soir. Quelques nuits do plus passées ainsi par les soldats, exposés à ce grand froid sans couvertures pour s'en garantir, pourraient porter la démoralisation dans l'armée placée sous le commandement du géné¬ ral Ducrot. Tous les combats, en général, donnent lieu au récit ennuyeux des mêmes faits, à moins qu'ils ne se dis¬ tinguent des autres par quelques événements particu¬ liers. La guerre, conduite comme elle l'est en ce mo¬ ment, à l'aide du télégraphe pour transmettre les ordres du comle de Moltke, un homme d'une grande valeur, est un simple problème de mathématiques tout UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 187 comme la construction d'un pont ou les opérations d'un comptoir maritime. En appliquant à la matière humaine les procédés ordinaires des mathématiques, on peut déterminer exactement la force de résistance qu'un bataillon bien discipliné et au complet peut opposer, pendant un temps déterminé, à l'assaut qui lui est donné par un corps d'infanterie et d'artillerie, tout comme un ingénieur peut calculer la force de ré¬ sistance d'une arche de pont à un poids donné. Une raison, une seule, je l'avoue, me poussait hier à aller sur le lieu du combat, et elle m'y poussait plus que toute autre ne l'avait jamais fait : il pouvait arri¬ ver que, pour une fois, le comte de Moltke ait fait une erreur de calcul et qu'il n'ait pas pu réunir, au mo¬ ment critique, à deux ou trois lieues au delà de la Marne, le nombre d'hommes mathématiquement né¬ cessaire pour défendre la première ligne d'investisse¬ ment en attendant que les réserves, appelées du nord et du sud, arrivent pour arracher aux bataillons épui¬ sés de Ducrot le fruit de leur victoire. Je n'ai pas été long à reconnaître que le silencieux de Moltke avait le don de l'infaillibilité, ce don qui vient de Dieu ; et je vis la ville prédestinée retomber dans les fers de la fatalité. L'abstrait problème de mathématiques a été résolu d'une façon claire et certaine sur les bords de la Marne. Le drame des passions humaines, ce terrible inconnu, va commencer à se jouer dans l'in¬ térieur de Paris. Les canons du plateau d'Avron peu¬ vent tirer des milliers de coups, ils ne feront pas chan¬ ger la destinée d'un iota. Sait-on ce que peut produire dans les rues de la ville l'excitation d'une foule sau¬ vage, affamée de miracles eL follement éprise d'un dé¬ sir impossible à réaliser? Là est l'énigme, là est l'inté¬ rêt de la guerre. Au lieu de faire plusieurs lieues et de me fatiguer les yeux à regarder ce qui se passe au 188 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. loin, au delà des boiii|uets d'arbres et des remparts de terre, je préfère rester à la maison et observer les progrès de la réaction morale que les événements ex¬ térieurs peuvent produire dans l'esprit de ceux qui sont restés dans la ville. (lue fera ce peuple si nerveux qui se livre, volontiers, tout entier à l'impression du moment? (le peuple si versatile, qui passe, avec des instincts de tigre, des joies de l'espoir à l'abattement le plus grand, et même à la prostration, pour se ré¬ veiller ensuite dans les fureurs du désespoir? Com¬ ment saluera-t-il les troupes de Ducrot, quand elles reviendront des bords de la Marne en criant à la trahison? Jeudi soir. —J'ai passé la plus grande partie de l'après- midi dans les quartiers les plus populeux; je me suis promené dans la rue de Rivoli, dans la rue du Fau¬ bourg-Saint-Antoine et je suis allé jusqu'à la barrière de Yincennes. Les Parisiens étaient tous silencieux. Était-ce un effet du vent froid et piquant qui soufflait de l'est? Ou bien était-ce le contre-coup de la forte émotion qu'ils venaient d'éprouver. En effet, depuis le commencement du siège je n'avais jamais vu Paris aussi calme. Les foules, qui se rassemblaient dans les lieux fréquentés, n'avaient plus cette attitude fîère et vantarde de ces derniers jours. Le peuple paraît être devenu sérieux, pensif et recueilli. Quelques citoyens cependant, plus fidèles que les autres à leurs pen¬ chants naturels, discutent sérieusement les chances, que nous pourrions avoir, si la mésintelligence se met¬ tait dans les rangs des Allemands, entre les Prussiens cl les Allemands du Sud. Il y a quelques nuits on avait appris du côté de Châtillon que la vieille discorde, qui existait autrefois entre les Allemands du Nord et les Allemands du Sud, s'était de nouveau ravivée et que les Saxons, les Wurtembergeois, les Bavarois, ai- UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 189 maient mieux se rendre que d'exposer leurs vies pour satisfaire la vanité du despote prussien. C'est avec ces illusions à la Gramont que le bour¬ geois entêté de la rue Saint-Denis cherchait à amuser les ouvriers du faubourg Saint-Antoine. Mais j'ai re¬ marqué que peu de personnes, dans le peuple, ajou¬ taient foi à ces propos. J'ai vu défiler dans les principales rues de la ville un très grand nombre de voitures de places, ornées de la croix de Genève, et d'omnibus, peints en jaune, tout tachés de sang. Il est passé près de moi une voiture découverte dans laquelle se trouvait un zouave avec des amis. Il riait avec eux et montrait à la foule un fusil à aiguille ou un casque prussien. Un peu plus loin, un omnibus de chemin de fer, plein de mobiles blessés, était arrêté devant la boutique d'un marchand devins. La petite mère « Chose», la petite mère «Ma¬ chin » avait quitté sa loge de portière pour venir donner tous ses soins aux blessés ; elle voulait à foute force leur faire prendre de la nourriture et les faire boire : boire et manger, les paysans ne connaissent que cela. Elle s'efforçait de contraindre les mobiles récalcitrants en leur vantant les propriétés médicales d'un bon verre de vin pris à propos. Du coté de l'est, il y a eu un armistice de quelques heures. Il permit d'enterrer les morts et de relever les blessés, dont la plus grande partie avait passé une longue nuit d'agonie dans les fossés gelés. L'idée d'une trêve, même momentanée, mettait les Parisiens en fureur : ils pensaient que c'était tout à fait contraire à leur dignité de laisser, au milieu du massacre, les Prussiens repren¬ dre haleine, même pendant deux heures, comme si chaque minute en envoyait des milliers dans le séjour de Pluton. Un lieutenant de la garde nationale, qui revenait du u. 190 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. champ do bataille de Villiers, était chargé de butin; il nous montrait, entre autres trophées, une baïonnette, un casque bleu tout sale, et une boîte ;i cartouches en fer-blanc pleine de cigares. Tous ces objets avaient appartenu à un officier prussien de la garde royale : » un grand beau jeune homme, vraiment, tout à fait comme il faut, » disait-il. Il avait trouvé cet officier étendu parterre au milieu d'une mare de sang, à côté de deux de ses camarades, dans une chambre où le même obus les avait tués tous les trois. Le lieutenant s'amusait à fumer les cigares du Prussien et paraissait particulièrement heureux de les tenir d'un ennemi mort. La quantité des bouteilles vides qu'il avait vues, gisant pêle-mêle dans les lignes ennemies, avait frappé son attention; il en concluait que messieurs les Prus¬ siens ne se gênaient pas pour faire bombance avec les vins de France. Les mobiles rentrent dans Paris avec de gros choux ; ces choux attirent bien plus l'attention des Parisiens que les prisonniers prussiens. Je dois avouer que je fis beaucoup d'efforts pour me procurer undeces végétaux au jus succulent; aucun des possesseurs de ce légume ne voulut parlager avec moi et je fus réduit à regretter la délicieuse soupe aux choux que j'aurais pu faire avec l'un d'eux : la fameuse soupe aux choux, qui donne tant de joie aux cœurs des troupiers, quand le matin il entend dans la caserne ce refrain poétique : La soupe aux choux se fait dans la marmite, Dans la marmite se fait la soupe aux choux. Ahl Paris, mon pauvre vieux Paris, pour lequel le monde, en dépit de lui-même, ne peut avoir qu'une querelle d'amoureux, je suis bien affligé de voir dans quel triste état tu te trouves en ce moment. Toi, la ville du plaisir, tu es mise au régime de la diète et de la saignée; toi, la capitale de Voltaire, tu es devenue UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 191 un hôpital à l'américaine. Je suis tout chagrin à la vue de tes croix rouges, qui me font penser à la peste. Je n'aime pas à voir le va-et-vient continuel de tes voi¬ tures d'ambulance; elles me rappellent les voitures des bouchers et, comme elles, elles laissent sur leur passage une odeur fade de viande fraîche. Les rues sont dans l'obscurité et les boutiques se ferment au coucher du soleil ; celles, en petit nombre, qui restent ouvertes, sont éclairées avec du pétrole; ce genre d'é¬ clairage me fait beaucoup regretter le gaz '. Toutes les personnes que je rencontre dans la rue sont affairées ou prétendent l'être. Si je vais au café, on m'appréhende au corps et on me force d'écouter des histoires ridicules telles que celle-ci : « Du côté de Villiers, un escadron de cuirassiers prussiens s'a¬ vançait sur un régiment de mobiles pour le charger; les soldats prennent immédiatement leurs fusils et, quand ils reçoivent l'ordre de faire feu, il n'y a plus devant eux de Prussiens surlesquelsils puissent tirer : 1. Le 21 novembre 1870, M. Jules Ferry, délégué à la mairie de Paris, avail pris l'arrêté suivant pour suspendre la consom¬ mation du gaz chez les particuliers et dans les établissements publics : ARRÊTÉ. Le membre du gouvernement de la Défense nationale, délégué à la mairie de Paris, Considérant qu'il importe à la défense de Paris de ménager l'appro¬ visionnement du charbon, qui appartient à la Compagnie parisienne d'éclairage au gaz, afin d'assurer à l'éclairage de la voie publique, k l'in¬ dustrie métallurgique et au service des ballons une large réserve: Considérant que la Compagnie parisienne demande elle-même la ré¬ duction de son service à l'éclairage d-^ la voie publique, Arrête : Art. 1er. — A partir du 30 novembre, présent mois, la Compagnie pari¬ sienne d'éclairage et de chauffage au gaz cessera toute livraison de gaz aux particuliers et aux établissements publics de toute nature. Art. 2. — La Compagnie procédera, dans la journée du 30 novembre, à la fermeture de tous les robinets extérieurs par lesquels s'opère l'in¬ troduction du gaz dans les maisons. Paris, 21 novembre 1870. 192 A PARIS PENDANT LE SIEGE. une batterie de mitrailleuses les avait tous abattus. » Dieu seul peut savoir combien on a brûlé, hier, de bonne poudre et tiré de coups de fusil. Nous commençons à en avoir assez de toutes ces batailles; elles produisent sur nous le même effet que nous produisait, il y a quinze jours, le bruit monotone do la canonnade des forts : il nous fatiguait. Je vou¬ drais bien savoir quel est le journal à bon marché dans lequel l'inventeur de l'article, à un sou la ligne, a dit qu'il y avait de la poésie dans la guerre. Pour nous, qui vivons au milieu de cette chose qu'on appelle la guerre, il nous semble qu'elle con¬ siste tout simplement à faire des paquets, à marcher avec un lourd fardeau sur les épaules, à tirer des coups de fusil sur une rangée d'hommes au lieu de les tirer sur une cible et ensuite à nettoyer le terrain. N'est-ce pas là l'affaire d'un emballeur, d'un entrepreneur des pompes funèbres et d'un infirmier? L'enthousiasme et l'ardeur guerrière des troupes font un bel effet à dis¬ tance et fournissent à l'imprimeur des sujets de récits faciles à composer. En fait, lorsque les soldats reçoi¬ vent plus de coups qu'ils n'en donnent, ils prennent la fuite; leurs officiers alors se regardent dans le blanc des yeux et fument des cigares pour paraître indiffé¬ rents. Le courage, c'est tout simplement l'effort que l'on fait pour persuader à l'homme, qui est à côté de soi, que l'on n'est pas effrayé. Je m'aperçois que j'ai philosophé sur toute cette affaire au lieu de raconter la grande et terrible bataille, qui a été livrée sur les bords de la Marne entre les Allemands et les Français. Cette négligence fait mon éloge. Vendredi 2 décembre. — L'éternelle canonnade nous réveille de nouveau, ce matin, de très bonne heure; elle croît en intensité à chaque moment. Bien que nous soyons loin du champ de bataille, le vent UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 191 d'est nous en apporte les échos. Je quitte la maison vers midi avec ma mère, qui est très curieuse de voir une véritable bataille. Le bruit du canon était à tous moments véritablement terrible; le soleil brillait d'un grand éclat et cependant on avait froid sous un ciel de plomb. Le vent d'est balayait les rues et élevait dans l'air des colonnes de poussière. Cette journée était tout à fait lugubre; il est bien pénible de regarder la mort en face, quand le thermomètre est à autant de degrés au-dessous de zéro'. En sortant, nous rencontrons à notre porLe un jeune homme dont l'équipement de garde national est à moitié complet. Il nous dit qu'il va au fort de l'Est et il nous demande son chemin ; puis tout à coup il nous crie dans les oreilles qu'il vient de dire adieu à ses parents et qu'il sent bien qu'il ne les reverra plus. C'était un pauvre diable à l'air enfan¬ tin, un spécimen de ceux que la conscription dos grandes villes envoie chaque année à l'armée. Nous avons essayé de l'encourager en lui répétant souvent qu'il ne courrait pas un grand danger au fort de l'Est et qu'il retournerait bientôt auprès de ses parents. 11 n'était pas facile de réconforter ce pauvre garçon; tout en marchant, il avait les larmes aux yeux. Plusieurs fiacres, ornés de l'affreuse croix rouge, amenaient à l'hôpital Neckcr, rue de Sèvres, des mo¬ biles et des soldats blessés. Deux de ces fiacres étaient arrêtés à la porte d'un couvent au-dessus de laquelle flottait un drapeau orné de la croix de Genève. Un major de la garde mobile, le bras droit en écharpe, faisait de vains et pénibles efforts pour sortir de son fiacre trop étroit. La foule, comme hébétée, le regardait avec surprise, et, selon la cou¬ tume, personne ne pensait à l'aider. Il s'appuya sur t. L'année du siège a été une année excessivement froide; le thermomètre est descendu pendant plusieurs jours à 17 degrés. 194 A PARIS PENDANT LE SlEOE. mon bras pour descendre de la voilure, et je l'aidai ii entrer dans le couvent. Ses yeux étaient hagards et rouges, ses joues pèles et tombantes; il paraissait complètement abattu par la souffrance quand, tout en vacillant, il voulut essayer de marcher dans la pièce du rez-de-chaussée, qui servait de parloir. Cette pièce était haute de plafond, froide; des portraits d'abbés irréprochablement frisés, à l'air très poli et très hypocrite, en ornaient les murs; des fauteuils re¬ couverts de housses étaient rangés tout autour de la salle et il semblait que c'eût été une profanation de s'asseoir dessus. 11 n'y avait pas de feu dans la cheminée pour recevoir les visiteurs. Dans son en¬ semble, cette pièce donnait bien une idée de la sim¬ plicité monastique. J'ai aidé le major à s'asseoir dans un des fauteuils. 11 nous a dit qu'il avait été blessé à la première heure, le matin, à Champigny. « Ne pre¬ nez pas souci de moi, Monsieur, » dit-il avec un ton plein de tristesse, comme s'il eût été sous le coup de quelque souvenir douloureux. Puis il continua à parler : « 11 y en a beaucoup d'autres plus maltraités que moi. » Une religieuse arriva, après s'être fait attendre quelque temps. Le major lit un effort pour se lever de son fauteuil en faisant un profond salut à la religieuse. Il lui remit la carte de recommandation que lui avail donnée le directeur des ambulances. La religieuse parut hésiter un peu; son hésitation pro¬ venait on de son indifférence on de la crainte de se mettre dans un grand embarras; elle avait déjà plus d'occupation qu'elle ne pouvait raisonnablement en supporter. La réception qu'elle lit au major n'était pas encourageante. <■ Ma sœur, dit le pauvre homme sur un ton d'aimable douceur, depuis plus de deux heures on me renvoie demaison en maison ;j"ai pu à la finobtenir de me faire recommander auprès de vous, les bonnes UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM». 195 et aimables dames de la rue de Sèvres, qui êtes si hos¬ pitalières, etc., etc. <> La sœur le regardait avec atten¬ tion pendant qu'il parlait; elle aperçut les quatre galons d'or qui ornaient son képi, les seuls signes visibles du rang qu'il occupait dans l'armée, et peu à peu sa ligure prit une expression de douceur et de bienveillance. Les rues de ce côté-ci de la Seine (la rive gauche) étaient tristes et désertes. On entendait de moins en moins le bruit du canon; bientôt on ne l'entendit plus. Nous sommes enfin arrivés au pont d'Austerlitz, où il y avait une grande foule venue pour voir passer les bl essés qu'on ramenait du champ de bataille. De nombreux bateaux à vapeur se croisaient sur la Seine; les uns descendaient le fleuve pour venir décharger leur cargaison de chair humaine toute sanglante; les autres le remontaient pour aller chercher d'autres blessés. Des voitures s'approchaient aussi près que possible des bateaux, amarrés sur le bord de la rivière; on y plaçait les soldats les moins gravement blessés, ceux qui pouvaient supporter ce genre de transport. Les chassepots et les havresacs étaient empilés sur les berges du quai et formaient de gros tas; cela donnait une triste idée du grand nombre des victimes. Des gardes nationaux, appuyés sur les parapets, regar¬ daient la rivière en gardant un profond silence; beaucoup d'entre eux devenaient tout pâles à cette vue; leurs officiers s'en aperçurent et ils leur firent faire demi-tour à droite. De temps en temps quatre hommes passaient en portant un blessé sur un bran¬ card. La foule les entourait tout aussitôt, tout comme l'auraient pu faire des enfants qu'un horrible spectacle attire autant qu'il les effraye. La plupart de ces bles¬ sés étaient sans mouvement sur leurs brancards; il semblait qu'ils étaient morts. Il en est un que je n'oublierai jamais. Il était sur son brancard, les deux 196 A PARIS PENDANT LE SI ft DE. bras passés derrière le cou; sa tôle reposait dans le creux de ses mains raidies ; ses yeux étaient vitreux el sa figure avait une expression de calme agonie comme celle du Laocoon. 11 regardait fixement devant lui, sans voir, el il avait l'airtoulétonné comme s'il était assourdi par le bruit de la bataille. Un autre blessé était porté sur les épaules de deux hommes, dont il serrait le cou avec des mouvements pleins d'angoisses. Un de ses pieds nus Lraînait par terre et j'y ai remar¬ qué un petit trou rouge au-dessus de la cheville 1. Le nombre des blessés était si grand que le gouvernement a été obligé de s'adresser à la population parisienne pour lui demander de l'aider à les soigner. Il lui a adressé, à la date du 3 décembre, la proclamation suivante : Appel à la population de Paris. La lutte héroïque, engagée sous nos murs, impose k la population civile de grands devoirs. Le premier, le plus facile et le plus touchant k la fois, c'est le soin des blessés. Les administrations hospitalières, civiles et militaires, ont déjà fait d'immenses efforts; les particuliers et les associations ont développé des ressources considérables; les municipalités ont établi ou encouragé un grand nombre d'ambulances; il faut faire plus encore. Pour que les moyens d'assistance soient au niveau des nécessités, qui grandissent de jour en jour, il faut que toutes les maisons s'ouvrent, que toutes les familles trouvent un lit k otfrir k ceux qui nous ont donné leur sang. La population de Paris, qui a su loger, il y a trois mois, cent mille mobiles, recueillera aujourd'hui, avec un empressement au inoins égal, les blessés de nos batailles républicaines. Les hôpitaux, les ambulances organisés doivent être réservés aux blessures graves; les blessés dont l'état n'exige pas l'intervention con¬ stante de la chirurgie, les convalescents surtout, pourront être traités avec avantage chez les particuliers. Un bureau d'inscription est ouvert dès à présent, à l'administration des hospices de la Seine, avenue Victoria, 3. Les citoyens sont priés d'y faire conuaitre le nombre de lits qu'ils peuvent mettre a la disposition des blessés convalescents ou atteints de blessures légères. L'administration pourvoira à l'alimentation. Le gouvernement fait pour cet objet un pressant appel k cet esprit de solidarité qui est, dans toutes les conditions sociales, une des vertus favorites de la population parisienne. Le membre du rjouvernement, délégué ri la mairie de Paris, JULES FERRY. UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM». 197 Pendant que nous assistons à ce spectacle, le combat paraît reprendre une nouvelle vigueur; la canonnade devenue très vive nous le fait croire. Nous nous dépê¬ chons d'aller dans la direction du canon, dont le bruit devient de plus en plus fort à chaque pas que nous faisons en avant. Sur notre route, nous rencontrons des gardes nationaux qui fument, rient, causent et jouent à l'éternel jeu du bouchon. Du haut d'une terrasse, convenablement située à une courte distance des remparts, nous avons sur les collines de l'est une vue à vol d'oiseau, qui s'étend à notre gauche, depuis Avron, sur la forêt de Bondy et à notre droite sur les plaines de Saint-Maur et de la Varenne que la Marne traverse. Le gothique donjon de Vincennes se montre au premier plan et nous cache un coin du fort de Nogent qui,toutes les secondes, vomit un nuage de fumée jaunâtre. En face de nous, sur notre gauche, nous apercevons les rangées de peupliers sans lin qui nous cachent à moitié dans le lointain les replis toi'Lueux de la Marne. Derrière les peupliers, l'œil ne découvre rien que quelques llocons do fumée blanche, mais nous entendons un grand vacarme; ce bruit forme comme un demi-cercle au¬ tour de nous. L'oreille peut parfaitement bien distin¬ guer, entre ces coups de canon, ceux qui sont tirés par les pièces de la marine et ceux qui sont tirés par les batteries de campagne. Los premiers ont de profondes résonances; les autres font un bruit sec et crépitant. Dans ce même moment, grâce à un coup de vent inattendu, nous entendons de vives crépitations; elles vont en augmentant. Ce sont sans doute des décharges de mitrailleuses ou des feux de pelotons qui se suc¬ cèdent avec rapidité. Les coups de canon, tirés des forts, deviennent de plus en plus assourdissants; ils dominent le bruit des pièces de campagne. Les enfants 198 A PARIS PENDANT LE SIftGE. interrompent leurs jeux; ce bruit les amuse et ils battent des mains. Les vieillards et les femmes pren¬ nent, eux aussi, quelque plaisir à entendre cetLe musique. Pauvres âmes innocentes! Ils se doutaient peu de la triste vérité que cachait toute cette crois¬ sante activité des forts. S'ils l'avaient connue, ils auraient au contraire désiré (pie le bruit de leurs ca¬ nons, qu'ils entendaient tonner dans le lointain, cessât tout à fait. Une bataille est plus imposante pour celui qui l'en¬ tend que pour celui qui la voit. Pour les Parisiens, le bruit, quoiqu'il soit, est, à lui seul, un plaisir et une joie. Ils ont une vraie passion pour la rhétorique du bruit : « Faire parler la poudre ; passer la parole au ca¬ non », sont des phrases tout à fait françaises et qu'il est presque impossible de traduire dans une autre langue. Sur les trois heures, la canonnade a cessé comme par enchantement. L'avenue de Vineennes, quand nous y arrivons, est barrée par une foule qui va toujours en augmentant. Les gardes nationaux font inutilement tous leurs efforts pour dégager la chaussée et la laisser libre pour le passage d'une longue file de voilures de toutes espèces qui sont dans une confusion inextri¬ cable. Nous regrettons le silchce et la gravité que le peuple avait généralement observés pendant les deux ou trois premiers jours de la lutte, c'était tout à fait caractéristique. Mais aujourd'hui, la population a repris ses vieilles habitudes; les physionomies ont de nouveau l'expression ordinaire des jours de fête que Paris prend, quand il assiste â une tragédie qui dure plus de vingt-quatre heures, alors môme que cette tragédie est une révolution, une épidémie, un mas¬ sacre ou quelque grande catastrophe nationale. Une petite ondée, qui tombe pendant un moment dans les rues, ne fait que les rendre plus brillantes sous les UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM». 199 rayons du soleil qui reparaît. Il en est de même de ces sortes de tempêtes : une fois que leur fureur est passée, l'aspect de Paris est éclairci, la gaie cité se pare de ses habits dp dimanche et s'esbaudit une fois de plus sous les rayons du soleil. Le Parisien est tou¬ jours le même, sempiternel désœuvré et amateur de nouveautés, le badaud que Rabelais a dépeint par ces mots : « l'homme bayant à une mule qui porte des sonnettes, et allant en foule auprès d'elle avec l'im- portunité de myrmidons qui entourent le grand géant Gargantua. » Tel était le Parisien en 1532 et tel il sera aussi longtemps que les tours de Notre-Dame seront debout dans leur masse imposante eL que la langue française se parlera sur les boulevards. Sans les croix rouges, qui sont peintes sur la plupart des voitures particulières, on pourrait se figurer qu'elles sont réunies en cet endroit pour les courses de Vin- cennes. Au milieu de cette foule les Parisiens rient, causent, vont et viennent de-ci de-là, de tous côtés, comme des écoliers en liberté. Ils plaisantent les gardes nationaux sur leurs devoirs et ils taquinent les sentinelles; on boit du mauvais café, on mange du pain d'épice, on fait des pique-niques en plein air;en un mot, on s'amuse comme on le ferait dans une fête de village. Un mobile déserteur vint à passer dans la rue, escorté par quatre sergents de ville. « C'est un Prus¬ sien, » cria-t-on de tous côtés; aussitôt tout le monde de se précipiter sur la chaussée pour voir le Prussien. Les ordres des sentinelles ne sont plus écoutés; le danger que chacun court de se faire écraser par les voitures et par les charrettes n'arrête personne. Dans le même moment, on reconduisait aux avant-postes un Bavarois qu'on avait pris pour un franc-tireur, et qu'on rendait aux Prussiens pour l'échanger contre 200 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. un Français. Son escorte avait pris un chemin détourné pour cacher sa route à la foule. La nouvelle s'était bientiU répandue partout; on se la redisait de bouche en bouche, et la large avenue fut promplement aban¬ donnée par ses mille occupants, qui se jetèrent dans toutes les directions pour voir « le Bavarois ». A notre retour, nous avons été forcés de nous arrê¬ ter près de la barricade qui barrait la route, place du Trône, enlre les doux colonnes élevées en cet endroit, en souvenir des Valois. Le passage laissé libre était étroit et sinueux. 11 était obstrué par toutes sortes de véhicules : fourgons de munitions, voitures d'ambu¬ lance, etc., etc., qui s'efforçaient inutilement de pas¬ ser au travers du labyrinthe élevé par M. Henri Roche- fort contre les Prussiens. Cette barricade servait tout simplement à rendre inutile, pour l'armée de Paris, la valeur stratégique de cette grande voie de communi¬ cation. Nous sommes restés là très longtemps à attendre. Pour faire passer le temps, nous avons écouté la conversation des gardes nationaux qui, du haut de leurs positions élevées, sur les remparts et derrière les parapets, résolvaient des questions de stratégie em¬ barrassantes. Une des choses qu'ils ne pouvaient expliquer à leur entière satisfaction, était la subite cessation de la canonnade. Leurs figures, abritées sous leurs képis, prenaient une expression furieuse comme si quelqu'un eût prononcé tout bas le mot «armistice» : « Non, non, pas de suspension d'armes pour ces bandits, criaient-ils : ils demandent toujours un armistice, quand ils ont besoin de gagner une heure ou deux pour réunir une centaine de mille hommes. Non, pas d'armistice : il faut mitrailler tous ces Van¬ dales et n'en laisser retourner aucun dans leur pays pour raconter la chose. » Les gardes nationaux, qui se trouvaient sur la grande UN CHAPITRE POUR « LE GÉNÉRAL BOUM ». 201 place de la barrière du Trône, se mettaient en frais pour encourager les citoyens à faire des actions d'éclat. De temps on temps, ils cessaient de leur donner des en¬ couragements pour aller écouter des musiciens autour desquels ils faisaient cercle. Sur la place de la Bas¬ tille il y avait une grande foule d'habitants, qui atten¬ daient avec anxiété les nouvelles des événements de la matinée. Nous avons remarqué que l'impatience de la foule devenait sensiblement plus grande à mesure que nous nous rapprochions de l'Hôtel de Ville et de la mairie du IVe arrondissement, où aucun bulletin n'était encore affiché. Sur les quais, près du pont d'Arcole, des bateaux à vapeur déchargeaient leur triste cargaison de blessés, que l'on portait en silence, sur des civières, au plus triste des hôpitaux : à l'Hôtel- Dieu, situé de l'autre côté du pont dans l'île de la Cité. Les vents d'est semblent glacer dans leurs veines le peu de vie qui leur reste; et la lune, qui se montre toute rouge au loin au-dessus du champ de carnage, donne au tableau cette mystérieuse impression d'hor¬ reur qui est le charme particulier des nuits à Paris. Les dernières nouvelles disent que les Prussiens, après avoir donné, vers les six heures du matin, un violent assaut aux positions avancées des Français entre Bry ctChampigny, ont été définitivement repous¬ sés par le feu convergent des forts, par celui des batte¬ ries d'Avron, qui commandent la ligne de communi¬ cation des Saxons entre Noisy et Brv et par celui des redoutes de Saint-Maur et de la Faisanderie qui ba¬ layent le côté opposé des collines, au delà de Cham- pigny et de Villiers. Il paraît que les troupes se sont plus mal comportées que mercredi dernier. Les Bretons, surpris, à l'aube du jour, pendant qu'ils prenaient leur café noir dans le village de Bry, se sont enfuis à la première décharge de mousqueterie, faisant ainsi faux 202 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. bond ti lours officiers qui comptaient sur eux. Il n'en a pas été de môme, heureusement, pour l'artillerie d'Avion et celle de Saint-Maur : sans cela la déroute serait devenue un désastre général. Tous ces événe¬ ments expliquent le ton d'abattement qui perce dans les dépêches du gouverneur. Il dit, en parlant de ce combat, qu'il est maintenant démontré qu'on peut avoir confiance dans « les jeunes armées républicaines ». Puis il ajoute, avec un certain air de découragement, qu'il ne peut dire comment finira la bataille: «J'ignore quel en sera le résultat » Toutefois on reste sur la dé¬ fensive, c'est une attitude qui nuit à l'élan naturel aux troupes françaises. Le général Trochu a essayé de per¬ cer les lignes prussiennes d'investissement; il n'a pas réussi. C'est malheureux, car les Français étaient bien disposés à faire le nécessaire pour passer au travers des lignes ennemies. Aujourd'hui nous attendons l'ar¬ rivée du général d'Aurelle dePaladines; mais viendra- t-il? Les dernières nouvelles, reçues de la province, sont datées de mercredi. Gambetta, dans ses dépêches du "29 et du 30, annonce dans son style ordinairement vague et ambigu que « depuis le 20 il n'y a pas eu d'engagement sérieux1 », traduisez : dans les combats, qui ont été livrés et dans lesquels les Français ont été battus, il n'y a que la défaite qui ne soit pas sérieuse. 1. Voir note XI les dépêche.* du général Trochu au général Schmitz, 2. Dépêche de Gambetta à Trochu : UO novembre. N'ai reçu que ce matin 5 heures dépêche du 24 par ballon Dcschamp Robert, ballon tombé Christiania; consul France recueilli aéronaute, a télégraphié cette nuit votre dépêche. Notre situation excellente, rien à droite ni à gauche, centre gauche à la date du 20 novembre complètement dégagé: les Prussiens repoussés, ne peuvent se maintenir ni à Saint-Calais, Cloyes, ni Chàteaudun ; depuis trois jours offensive heureuse sur droite, occupons Moutargis. Pour copie conforme : Le ministre de l'Intérieur, JULES FAVRE. UN CHAPITRE « POUR LE GÉNÉRAL BOUM »>. 203 Il dit ensuite que le centre gauche de l'armée a été dégagé, c'est-à-dire qu'il est en retraite, que les Prus¬ siens ne peuvent occuper à la fois Saint-Calais, Cloyes ou Chàteaudun. Ceci prouve seulement que, dans la dernière quinzaine, ils se sont successivement emparés de ces places pendant que nous nous abandonnions volontiers au rêve d'une marche victorieuse de Kéra- try sur Chartres et Étampes. Pour M. Gambetta, qui aimait par dessus tout à faire illusion, écrire ainsi, c'était dire la vérité tout en la voilant. Dimanche i décembre. —Hier le gouvernement, faute de meilleures nouvelles, nous a servi une vieille dé¬ pêche de Bourbaki. C'était du réchauffé, la dépêche remontait au moins au 20 novembre. Tout aussitôt le bruit courut que Bourbaki occupait Senlis sur la route de Paris et que, venant de Chantilly, il s'avançait à marches forcées sur l'arrière-garde des Prussiens poul¬ ies surprendre dans les environs de la plaine Saint- Denis. Cette nouvelle venait du Louvre où des gardes nationaux ont été réunis par leurs officiers, qui vou¬ laient les haranguer. Les ambulances de la Presse étant revenues des bords de la Marne,nous en concluions qu'elles devaient aller du côté du Mont-Valérien ; car on avait projeté de faire de ce côté une sortie en masse sur Versailles.Toutes les fois-que nous ressentons une vive émotion, qu'elle soit causée par une mauvaise nouvelle ou par un succès, nous pensons tout de suite à la « Capitale de Guillaume » et nous crions : A Ver¬ sailles, à Versailles! Il faut alors jouer la Marseillaise et lancer les cent mille hommes de Ducrot de l'est à l'ouest contre les forces vitales de l'ennemi. Quel ma¬ gnifique changement de décor! Cela me rappelle la tactique, tout à fait réjouissante, proposée par le géné¬ ral Boum à sa souveraine, la duchesse de Gérolstein : « Couper et envelopper, voilà tout l'art de la guerre. » 204 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Ils sont vraiment nombreux les généraux Boums qui, les moustaches cirées et relevées jusqu'aux yeux, examinent avec fureur les cartes exposées aux de¬ vantures des boutiques et y marquent, avec une infaillibilité, acquise par deux mois de parade et de sottes marches et contremarches, les progrès heu¬ reux que Bourbaki doit faire dans la vallée de l'Oise. « Ah! s'écrient-ils, nous ne tarderons pas à entendre les canons gronder sur les arrière-gardes de Fritz, de Bismarck, de Moltke et de Guillaume.» J'entends dire que Guillaume et sa clique ont pris leurs précautions en temps voulu. Lundi dernier, à la première nouvelle du projet de l'attaque que Ducrot devait faire du côté de la Marne, ils auraient quitté aussi vite que possible la préfecture de Versailles et l'hôtel des Réservoirs où ils avaient si confortablement passé les deux derniers mois. Ils seraient allés s'établir à Ferrières. Bismarck, qui se serait arrêté en chemin pour assister à la dé¬ roule de ses légions, aurait failli tomber au milieu d'un détachement de francs-tireurs; malheureusement pour la France, un paysan traître l'aurait averti du danger qu'il courait et le cuirassier blanc, sautant sur un cheval, aurait galopé jusqu'à Meaux, à quelques lieues plus loin, pour rejoindre son royal maître. Ils seraient maintenant, c'est probable, sur la route de Berlin et porteraient leurs casques enfoncés jusque sur les yeux. — Qu'ils sont pusillanimes, ces conquérants qui, après nous avoir insultés comme une vile popu¬ lace, fuient à la première menace de danger? Quant au paysan, qui a procuré un cheval au plus terrible ennemi de son pays, nous en ferons un juste exemple en racontant comment les francs-tireurs l'ont placé au pied d'un arbre et fusillé, tout de suite, sans lui accorder l'assistance d'un prêtre. Les journaux demandent que l'on chante des Te Deum à l'occasion des succès obtenus UN CHAPITRE « POUR LE GÉNÉRAL BOUM ». 205 sur les bords de la Marne. Félix Pyat lui-même, qui depuis quelque temps a notablement adouci le feu de ses attaques contre le gouvernement, emploie mainte¬ nant, quand il parle du général Trochu, des mots de miel et de lait;je devrais plutôt dire qu'il lui offre de l'eau sucrée arrosée de jus de citron. Il l'encourage en lui citant les exemples donnés par Washington. Le Réveil, édité par le farouche Delescluze, exprime une grande confiance dans nos succès, ce qui ne l'em¬ pêche pas de gourmander nos généraux. « Nous ne connaissons, dit le citoyen Delescluze, des opérations militaires que ce que veulent bien nous en dire les bulletins officiels; mais il nous suffit de savoir que la lutte est soutenue avec fermeté, que les soldats, gardes mobiles et gardes nationaux, marchent au feu tête haute, pour bannir toute inquiétude. Si quelquefois les bons généraux font les bonnes armées, il est plus vrai de dire que les bonnes armées peuvent vaincre avec de mauvais généraux. Or, à nos yeux, l'armée, qui combat sous nos remparts, est et ne peut être qu'excellente. La diversité même des éléments, qui la composent, en consacre la supériorité. Si les débris de nos régiments, plus ou moins bien formés, ont laissé à désirer dans les premiers temps, ils se sont régénérés au contact de la mobile ; et ce n'est pas quand les gardes nationaux de Paris marchent au feu sans sourciller que des soldats iront s'abandonner à de vaines paniques. » Le citoyen Delescluze envisage aussi le côté sombre du tableau, et il insinue, à mots couverts, que nos généraux conspirent pour arriver à une capitulation.» Devons-nous craindre qu'à l'exemple de Bazaine nos généraux ne se soient mis en cam¬ pagne qu'alin de fatiguer les troupes et la population pour les réduire, par l'insuccès et l'épuisement, à assis¬ ter à un dénoûment tout opposé à celui qu'ils désirent? 12 20G A PARIS PENDANT LE SIÈGE. 11 s'est fait, depuis quatre mois, tant de choses en de¬ hors de toute prévision que nous ne voudrions jurer de rien. » Il est évident que Delescluze fait ici allusion aux conversations qu'on prête à certains généraux, conversations qui ont eu malheureusement quelque publicité. 11 n'y a pas longtemps un général, qui com¬ mande l'artillerie, disait en parlant des opérations du siège : « Nous irons seulement jusque sous les forts, » et il le disait sur le ton sceptique et chagrin que pren¬ nent généralement les officiers de l'arme spéciale dans laquelle il sert. « Aussitôt que nous y serons arrivés, nous serons fauchés en masse et nettoyés; mais il faut bien faire des sorties pour sauver l'honneur. » Les officiers français sont naturellement communicatifs. Ils mettent trop de monde dans leurs confidences et ces manques de réserve sont relevés contre eux comme des preuves évidentes de trahison. Leurs rapports avec leurs concitoyens auraient été sans doute meilleurs, s'ils avaient imité l'exemple d'un certain amiral à la bouche close : Un de mes amis, le jour de l'affaire de Chàtillon, se trouvait à la porte de Montrouge; il re¬ gardait, ainsi que plusieurs officiers de la garde nationale, rentrer dans Paris les troupes qui fuyaient en débandade. L'amiral vint au milieu d'eux; mon ami lui demanda ce qu'il pensait de la bataille et si ce n'était pas là une grande débâcle. — « Monsieur, répon¬ dit l'amiral, en prenant un ton des plus sévères et en regardant le questionneur entre les deux yeux, Mon¬ sieur, je considère que c'est un grand succès. » Et le garde national, mon ami, un moment terrifié et suf¬ foqué à la vue des fugitifs qui rentraient dans Paris, s'en alla en répétant les mots du commandant : que tout allait bien et que c'était là « un grand succès ». Le gouvernement paraît interpréter les événements, qui se passent sur les bords de la Marne, de la même UN CHAPITRE « POUR LE GÉNÉRAL BOUM ... 207 manière que ce brave marin interprétait la déroute de Châtillon. MM. Jules Favre, Picard, Simon ont écrit à leur président Trochu une lettre de felicitation et ils l'ont faite aussi éloquente qu'ils l'ont pu '. Pauvre Trochu! s'il est vrai que le ton mélancolique de ses dernières dépêches laisse deviner ses véritables senti¬ ments, il doit être peu dans cette disposition d'esprit qui rend les félicitations agréables et acceptables. De¬ puis le commencement du siège, chaque fois qu'il parle il laisse, comme malgré lui, percer dans ses discours la pensée que les affaires vont de plus mal en plus mal. Sentir qu'il n'y a réellement rien à tenter; que tous les efforts faits ne peuvent servir qu'à retarder pour quelque temps seulement une ca¬ tastrophe finale et inévitable; comprendre que Paris, 1. Lettre du gouvernement de la Défense nationale au général Trochu : Général et bien cher Président, Depuis trois jours, nous sommes avec vous par la pensée sur ce champ de bataille glorieux ou se décident les destinées de la patrie. Nous vou¬ drions partager vos dangers en vous laissant cette gloire, qui vous appar¬ tient bien, d'avoir préparé et d'assurer maintenant par votre noble dé- voûment le succès de notre vaillante armée. Nul mieux qui' vous n'a le droit d'en être fier: nul ne peut plus digne¬ ment en faire l'éloge ; vous n'oubliez que vous-même, mais vous ne pouvez vous dérober à l'acclamation de vos compagnons d'armes électrisés par votre exemple. Il nous eût été doux d'y joindre les nôtres: permettez-nous, au moins, de vous exprimer tout ce que notre cœur contient pour vous de grati¬ tude et d'affection. Dites au brave général Ducrot, à vos officiers si dé¬ voués, à vos vaillants soldats que nous les admirons. La France répu¬ blicaine reconnaît en eux l'héroïsme noble et pur qui déjà l'a sauvée. Elle sait maintenant qu'elle peut mettre en eux et en vous l'espoir de son salut. Nous, vos collègues, initiés à vos pensées, nous saluons avec joie ces belles et grandes journées où vous vous êtes révélé tout entier et qui, nous en avons la conviction profonde, sont le commencement de notre délivrance. Agréez, etc. JULES FAVRE, Ci A RNIER-PAGÈS, JULES SIMON, EUGÈNE PELLETA N, EMMANUEL ARAGO, JULES FERRY, ERNEST PICARD. ->(M A PARIS PENDANT LE SIÈGE. tout à fait ignorant des forces de l'ennemi et de sa propre faiblesse, se prépare pour l'avenir une suite in¬ nombrable de désappointements (désappointements qui doivent faire retomber les malédictions et les im¬ précations les plus dures sur la tôtc de ses chefs pré¬ destinés à ce sort), ce n'est certes pas être dans une po¬ sition agréable qui permette, à un homme courageux, de trouver quelque plaisir à entendre les compliments que lui font une demi-douzaine d'avocats incapables. Ah! que vous devez être malheureux, Trochu! vous qui éprouvez de si nombreux chagrins et qui devez être le bouc émissaire de notre capitulation ! Mnrcli fi drrembre. — La semaine dernière un gé¬ néral, qui a fait un pacte avec la victoire ou avec la mort, nous a fait croire que nous allions être immé¬ diatement délivrés. Dimanche malin un avis officiel nous a avertis que l'armée du général Ducrot avait repassé la Marne et s'était retiré à Yincennes où elle bivouaque'. Est-il possible que des Parisiens puissent supporter un pareil désappointement sans se soulever contre leur chef? Il est certain, cependant, que depuis le 31 octobre leur disposition d'esprit a dû se modifier et que la lutte, qui dure depuis si longtemps, leur a donné quelques leçons de patience. Ce qui est le plus étonnant, c'est qu'ils sonL encore merveilleusementdis- posés à se faire illusion. Ils vivent dans l'espérance. Depuis l'affaire de Coulmiers, leurs regards sont tour¬ nés vers Gambetta et vers la province. Us parlent de feintes et de nouvelles sorties il faire dans toutes les directions. Hier, on disait qu'on se battait dans les en¬ virons de Saint-Denis et le Combat annonçait qu'une grande bataille serait livrée aujourd'hui. Plusieurs de ces rumeurs, qui courent dans le peuple, n'ont d'autre 1. Voir note XII les ordres du jour adressés aux soldats par le général Ducrot et le rapport militaire publié le même jour. UN CHAPITRE « POUR LE GÉNÉRAL BOUM». 209 origine, je crois, que les vieux bulletins de la semaine dernière qui n'ont pas encore été arrachés des murs. La foule s'assemble pour les lire sans faire attention à la date qu'ils portent et les nouvelles sont ainsi répé¬ tées, de bouche en bouche, comme si elles n'avaient pas perdu de leur fraîcheur. Paris n'a pas compris un mot de la seconde proclama¬ tion queDucrot a adressée à ses soldatset danslaquelle il explique qu'une résistance plus prolongée sur la Marne les aurait exposés « à un désastre irréparable ». Leurs yeux ne voient pas l'état misérable dans lequel étaient les troupes, lorsqu'elles sont rentrées, après avoir supporté trois journées de massacre et avoir passé trois nuits glaciales sur les froides hauteurs qui dominent la Marne. Les pauvres diables sont plus misérables que nous. Ils sonl tout maigres et tout grelottants de froid; leurs couvertures sont en lam¬ beaux; ils traînent péniblement leurs pieds blessés par des chaussures déchirées et leurs guêtres, qui ne sont pas attachées, laissent leurs chevilles à découvert. Il n'est certes pas étonnant que tous, particulière¬ ment les mobiles, paraissent découragés et qu'ils ré¬ pondent brièvement et sèchement aux questions des curieux. « Où allez-vous? A quelle nouvelle sortie devez-vous encore prendre part? » Ces remarques sont pour nous un trait de lumière qui explique les événements. Sans en tenir compte, on a soutenu que cette expédition, faite contre les Prussiens, n'était qu'une feinte. C'eût été, vraiment, une terrible feinte, ce combat qui a duré toute une semaine et qui a épuisé l'énergie physique et morale de près de cent mille hommes. Le général Schmitz avoue naïvement que l'armée a besoin de repos. La vérité, c'est que les troupes ont été si complètement épuisées par les fati¬ gues, les maladies et les fautes commises, qu'elles ne 12. 210 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. pourront plus jamais livrer une seconde bataille de Champigny. 11 serait bon toutefois, pour relever leur moral, de recevoir de bonnes nouvelles, el d'apprendre que des succès miraculeux ont été remportés sur les bords de la Loire ou dans le Nord. Un de mes amis, un révolutionnaire, m'assure que le général Ducrol est en très bons termes avec quel¬ ques-uns des républicains avancés; il m'affirme que le plan de campagne, que Ducrot s'est efforcé de réaliser sur les bords de la Marne, a été tout d'abord décidé dans une sorte de conseil de guerre privé tenu par le général pendant la dernière quinzaine; il m'assure que des officiers, dont les opinions sont démocratiques, et certains chefs du parti ont assisté à ce conseil de guerre. Il est à craindre qu'un sentiment de jalousie ne s'élève entre Trochu et Ducrot ; ce serait fâcheux. On a trop souvent, dans ces derniers temps, fait entre eux des comparaisons insidieuses. L'un est généralement représenté comme le chef des hommes d'action, et l'autre comme le mentor indécis ctirrésolu de la Défense. Le ton de la proclamation, que Ducrot a faite le 28 novembre, donne à penser à quelques personnes qu'il a voulu faire une mauvaise niche au gouverneur de Paris. Son nom n'y est prononcé qu'in¬ cidemment â propos des canons « obtenus grâce à la diligence du commandant en cbef », et il semble que celui qui dirige la stratégie et organise les armées de Paris n'y tient que la seconde place. J'ai déjà remar¬ qué que les officiers avaient une tendance à diminuer l'un etâ surfaire l'autre : Ducrot pense peut-être plus à ménager sa popularité dans les camps que ne le fait son collègue, qui se tient quelque peu à l'écart et se sacrifie lui-même. Oh ! combien Ducrot doit mainte¬ nant amèrement regretter ce mot malheureux : « mort ou victorieux » ! Il n'a cependant rien négligé pour UN CHAPITRE « POUR LE GÉNÉRAL BOUM ». 211 accomplir l'une ou l'autre de ses promesses et il s'est souvent jeté au plus fort de la mêlée pour ramener, au front de la bataille, ses moblots qui faiblissaient. Il a fini par avouer, en pleurant de rage, « qu'il ne pourrait jamais rien faire de la mobile. » Ceux qui croient à l'utilité de l'intendance lèveront certainement les épaules au récit de l'anecdote sui¬ vante : Vendredi dernier, dans la soirée, le général Ducrot, commandant en chef de la deuxième armée, était obligé d'envoyer aux ambulances de M. Dardenne de la Grangerie pour demander qu'on voulût bien lui donner par faveur un matelas pour passer la nuit et une paire de chandeliers pour travailler. Il reçut bien les chandeliers, mais on dut aller chercher le matelas à Paris et il ne put le recevoir assez à temps pour s'en servir. Le lendemain, quand l'armée repassa la Marne, les soldats, qui traversaient le pont de Nogent,y croi¬ sèrent un chariot solitaire qui contenait le matelas longtemps attendu et aussi d'autres objets de première utilité. Les soldats de l'avant-garde crièrent au con¬ ducteur : A Paris! mais le conducteur du chariot, dési¬ reux de remettre son chargement à qui de droit, pous¬ sait en avant malgré les avertissements des soldats. Il leur expliquait qu'il devait porter le matelas du géné¬ ral à Champigny ou à quelque autre endroit sur le front de l'armée. «Ah! c'est le matelas du général! s'écrièrent-ils, eh bien! que le matelas du général retourne à Paris. » Ce cri provoqua parmi les soldats un rire de mauvais augure. Ils pensaient, prenant le mot de Ducrot à la lettre comme des écoliers l'au¬ raient fait, qu'il était impossible que le commandant en chef après la retraite, eût besoin d'un matelas, puis¬ qu'il avait promis de rentrer mort ou victorieux. Le général devait avoir besoin à Paris de toute autre chose. 212 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. lin relisant les articles des journaux, écrits au jour le jour et dans un esprit de « pessimisme » peut-être exagéré, j'acquiers de plus en plus la conviction que l'histoire, racontée par des rédacteurs de journaux et par des correspondants spéciaux, dits infaillibles, doit fatalement avoir une tendance à tourner nos héros en ridicule, dette pensée me fait éprouver un vrai plaisir de pouvoir, à propos des généraux Trochu et Ducrot, rappeler ici ce qu'un critique lin et judicieux, M. Ed¬ mond Dardenne1, a écrit sur eux. Il a résumé pour moi, dans un récit vif et intéressant, les souvenirs per¬ sonnels qu'il a conservés sur ces deux hommes vérita¬ blement héroïques et qui n'ont eu qu'un malheur, ce¬ lui de ne pas réussir : « Les généraux Trochu et Ducrot, qui ont joué les principaux rôles dans la défense de Paris, sont de vieux camarades de collège, unis par une solide et presque fraternelle affection. Ils ne se parlent qu'en se disant lu et toi. Il est cependant difficile d'imaginer deux hommes qui se ressemblent moins. « Trochu est petit, maigre, chauve et sans prestance. Ses moustaches noires ne donnent pas une expression guerrière à sa physionomie tranquille et rêveuse. 11 a horreur des galons d'or et des broderies; il est simple dans sa mise et pousse cetle simplicité jusqu'à la né¬ gligence. Dans les différents forts où il a placé son quartier général pour surveiller les opérations mili¬ taires, 011 l'a souvent vu faire son service vêtu d'une jaquette en drap gris et d'un pantalon collant, chaussé d'énormes hottes à l'écuyère et coiffé d'un bonnet de velours. En le voyant ainsi, ses ennemis pouvaient 1. M. Edmond Dardenne a assisté son frère, le secrétaire des ambulances de la Presse, pendant la dernière partie du siège. Leurs fonctions les ont mis fréquemment en rapport avec les généraux Trochu et Ducrot. UN CHAPITRE « POUR LE GÉNÉRAL BOUM ». 213 dire: « C'est bien là Trochu : des bottes de général et une calotte de prêtre. » « Trochu, homme tout à fait honnête et scrupuleux, est sous l'empire de deux défauts : une vraie passion pour les détails et un grand amour pour les grandes sentences. 11 est plutôt un homme de plume qu'un homme d'action; c'est l'opinion de toute l'armée, elle est unanime. Quand il était officier de l'état-major, il avait toujours les mains pleines de notes, de rapports, de documents qu'il analysait et annotait continuelle¬ ment. Un vieux général, sous lequel il a servi, avait l'habitude de dire en le voyant venir chaque matinaux ordres avec quelque rapport ou quelque autre docu¬ ment : « Ah! mon Dieu, nous ne manquerons pas de travail : voilà Trochu avec tous ses petits papiers. » « Ducrot, au contraire, est grand, robuste, bien fait, et carré des épaules. Les cheveux et la barbe sont gris de fer. 11 a la physionomie d'un homme résolu, éner¬ gique et son regard est froid et pénétrant; sa parole est mesurée, brève, mais concise et réfléchie. « Il est le vrai type du soldat, il pourrait porter la lourde armure de Bavard. Son maintien est expressif ; ses maniérés sont réservées, il est sobre de gestes. Il rappelle le type d'un général américain pendant la guerre de Sécession. « En présence du danger il est d'une bravoure calme dont on n'a jamais douté et que personne ne nie. Ducrot a l'intrépidité téméraire, particulière à la race française; cette intrépidité le fait aimer de ses soldats. Il est resté fidèle aux vieilles traditions de nos gé¬ néraux qui, hélas ! ne sont plus de mode aujourd'hui ; à ces vieilles traditions qui veulent qu'un com¬ mandant se place, pour charger l'ennemi, au premier rang de ses hommes et se montre aux endroits les plus périlleux de la bataille pour entraîner ses soldats par 214 A PARIS PENDANT LE SIEGE. son exemple. A la bataille de Champigny, la colonne, commandée par Bucrot, est arrêtée par la première barricade prussienne. Les jeunes troupes, toutes no¬ vices, s'arrêtent et reculent en désordre; cette reculade porte le désordre jusque dans les derniers rangs de la colonne et compromet, dès la première attaque, le suc¬ cès de la journée. Ducrot alors s'élance en avant; il rallie les fugitifs et marche sur la barricade; il dé¬ truit lesgabions doses propres mainsetfait un passage pour ses soldats électrisés par l'exemple de leur général. Si le titre de « brave parmi les braves » conféré pat- Napoléon au marchai Ney était, comme la couronne d'Alexandre, l'héritage du plus digne, ce titre devrait appartenir à Ducrot. « Ducrot a-t-il réellement la valeur d'un grand gé¬ néral? C'est une question qu'il est impossible de ré¬ soudre puisqu'il n'a jamais commandé en chef. Dans la fatale journée de Sedan, Mac-Mahon, après qu'il a été blessé, l'a désigné pour le remplacer dans le com¬ mandement en chef. Ducrot, alarmé par un mouve¬ ment tournant de l'ennemi, mouvement auquel il ne pouvait s'opposer, a donné des ordres pour que l'armée se retirât sur une des hauteurs environnantes, d'où il pouvait livrer la bataille sans courir le danger d'être coupé ou entouré. Mais WimpfTen qui avait reçu des ordres directement de l'Empereur et qui avait été in¬ vesti par lui du commandement en chef, a décidé qu'on 1. Le général île Wimpffen a adressé en l'année 1875 au procureur général de la CourdeParis une plainte en diffamation, en outrage et en injure contre MM. de Leoni et Paul de Cassagnac, pour des articles de journaux écrits par ces messieurs sur l'affaire de Sedan. L'affaire l'ut renvoyée devant la cour d'assises et jugée en février 1875. M° Lacliaud défendait M.Paul de Cassagnac, M1' Grandperret, M. Paul de Leoni; et Jules Favre s'était chargé de la défense du général de Wimpffen. UN CHAPITRE « POUR LE GÉNÉRAL BOUM ... 215 pouvait aller en avant, sur tout le front de l'armée; il a fait, aux instantes prières de Ducrot qui lui demandait de ne pas changer les ordres, celte réponse inflexible : — « L'Empereur désire avoir une victoire aujourd'hui et nous l'aurons. » « On n'a jamais eu la victoire. « Pendant le siège, particulièrement dans la dernière partie du mois de décembre, des personnages politi¬ ques importants, qui accusaient Trochu d'insuffisance, ont plusieurs fois fait des démarches auprès de Ducrot pour le prier de prendre la direction suprême de nos affaires militaires. 11 refusa, chaque fois, en s'appuyant sur cette raison que Jui et Trochu étaient liés par l'amitié; qu'il ne voulait pas supplanter un ami et qu'il n'était pas sur, ainsi qu'il le disait habituellement, de pouvoir faire mieux s'il était à sa place. « Ducrot est un homme pratique, froid, résolu. 11 est un grand admirateur de la tactique des Prussiens et un partisan si passionné de l'emploi de l'artillerie qu'on le critiquait souvent sur sa manie du canon. « Fidèle ;\ sa nature bretonne, Trochu est un idéa¬ liste; il est porté à croire au surnaturel; il s'attend toujours voir la délivrance de Paris se produire par des moyens extraordinaires autres que ceux qu'il a à sa disposition. 11 se faisait une idée exagérée de la force des retranchements des Prussiens et il n'avait qu'une médiocre confiance dans les troupes ; il n'en avait aucune dans la garde nationale. « Mon grand « malheur, avait-il coutume de dire, est que, quand les « Prussiens sont apparus sous les murs de Paris, je n'ai « pu leur opposer comme armée régulière que la divi- « sion de Vinoy, et encore il n'y avait dans cette divi- « sion que deux bons régiments, le 35e et le 42e. J'ai « compris que former une armée dans une ville assiégée « était une tâche pénible et difficile. J'ai rompu les mo- 2lli A PARIS PENDANT LE SIÈGE. « biles à la discipline sans pouvoir jamais en faire de « bons soldais. Quand, après avoir obtenu ce résultat, « qui n'a pas de précédent, j'ai été enlin prêt à agir, je « nie suis alors trouvé en face de fortifications presque « imprenables que majeune arméeétait incapabled'em- >< porter d'assaut. Si j'avais eu à ma disposition seule- « ment dix mille hommes de mes troupes de Crimée, l'en- " nemi n'aurait jamais pris les hauteurs dcChâtillon.et « si j'en avais eu trente mille, il n'aurait jamais réussi à « me couper mes communications avec la province. « J'aurais enlin gardé libre une ligne de chemin de fer.» « Trochu croyait, avec toute la candeur de son cœur, qu'il était impossible de rompre le cercle de fer qui entourait Paris. 11 avait l'habitude de consulter tous ceux de ses visiteurs qu'il supposait avoir quelques connaissances des choses militaires. Il s'efforçait de leur expliquer qu'une des principales difficultés, qu'il rencontrait, était de trouver le moyen de déployer une ligne de bataille dans la campagne des environs de Paris où il se trouve très peu de grandes plaines. Les rivières cl les collines, qui sont occupées par l'ennemi, forment une barrière qu'il faut enlever avec des co¬ lonnes d'assaut, et c'est seulement après un premier succès que la ligne de bataille peut être formée sous le feu des batteries ennemies. 11 n'a pas cru que ses troupes avaient assez de solidité pour exécuter celte manœuvre et il a craint pour Paris le trouble moral qui aurait été le contre-coup d'un désastre arrivé à nos années. Cette crainte, selon moi, a pesé de tout son poids sur son esprit et l'a empêché d'agir. « Nos « troupes manquent d'haleine, » disait-il volontiers pour exprimer son opinion sur l'impossibilité où elles étaient de faire des efforts répétés et soutenus. » CHAPITRE VIII ESPOIR QUAND MÊME ! (Spent contra spcm) Mercredi 7 décembre. — Une lettre du comte de Moltke nous annonce le désastre irréparable de l'ar¬ mée de la Loire. L'armée du général d'Aurelle de Paladines est dans un grand embarras : une rivière l'arrête sur ses derrières, et sur son aile gauche les Prussiens lui coupent la retraite du côté droit de la Loire. Dans ces conditions, elle doit forcément être dispersée par l'ennemi. Son aile droite qui, de Mon- targis, selon la dernière dépèche de Gambetta, pous sait en avant vers l'est, doit avoir été séparée, devant Orléans, dn centre de l'armée. Nous pouvons supposer avec quelque raison que toute l'armée a été coupée en trois tronçons. Il faut ajouter il ces malheurs la perte de nombreuses provisions et d'une grande partie de l'artillerie; de plus, une dizaine de mille hommes ont été faits prisonniers. La défaite, éprouvée sur les bords de la Loire, est évidemment le contre-coup du 13 21R A PARIS PENDANT LE SIÈGE. combat soutenu sur les bords de la Marne. Le géné¬ ral de Mollke notifie l'occupation d'Orléans sans don¬ ner aucun détail. Le ton bref et simple de sa communi¬ cation doit suffire pour donner au gouvernement une juste idée de la situation L'énumération des tro¬ phées conquis était tout à fait superflue. 11 est cer¬ tain que cette note n'est pas autre chose qu'une som¬ mation indirecte d'avoir capituler. La proclamation du gouvernement montre bien que c'est ainsi que le général Trochu et ses collègues l'ont comprise. Il est évident qu'ils ont discuté entre eux l'opportunité d'une capitulation ou de négociations (c'est un euphémisme inventé depuisla chute de Melz). Le (iouverneur en sait plus sur la défaite d'Orléans que n'en dit le texte delà communication de M. de Moltke tel qu'on l'a publié. En effet, il y a quelque malice dans la réponse, exces¬ sivement courtoise, que le gouvernement a faite pour refuser de profiter des moyens de vérification mis à sa disposition par l'état-major prussien 2. Je ne parlerai pas de ce qui s'est passé, la nuit der- 1. Lettre de M. de Moltke au général Troclni, gouverneur de Paris : Versailles, décembre 1870. Il pourrait être utile d'informer Votre Excellence que l'armée de la Loire a été défaite hier près d'Orléans et que cette ville est occupée par les troupes allemandes. Si toutefois Votre Excellence juge à propos de s'en convaincre par un de ses officiers, je ne manquerai pas de le munir d'un sauf-conduit pour aller et venir. Agréez, mon général, l'expression de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéissant ser¬ viteur. Le chef d'ctrtt-major, COMTE DE MOLTKE. 2. Réponse du général Trochu à la lettre de M. de Moltke : Paris, ce 6 décembre 1870. Votre Excellence a pensé qu'il pouvait être utile de m'informer que l'armée de la Loire a été défaite près d'Orléans et que cette ville est réoccupée par les troupes allemandes. J'ai l'honneur de vous accuser réception de cette communication que ESPOIR QUAND MÊME! 219 nière, sur les boulevards cjuand la fatale nouvelle y a été connue. J'ai fait, dans l'après-midi, une longue promenade à travers la ville pour juger de l'impres¬ sion qu'elle avait produite. Personne, même parmi les plus raisonnables, ne paraît comprendre la significa¬ tion réelle de la dépêche du comte de Moltke. On admet bien qu'Orléans a été repris par les Prussiens, mais on dit qu' « Orléans n'est pas une position stra¬ tégique ». On oublie que fîambetta, dans ses dernières dépêches, attachait la plus grande importance, au point de vue stratégique, à la conservation d'Orléans ; il annonçait continuellement que l'armée de la Loire se fortifiait solidement et se retranchait dans ses posi¬ tions, autour d'Orléans, de façon à garantir ce point contre les attaques futures de l'ennemi. A toutes ces observations on se contente de lever les épaules. Bah ! dit-on, il n'est question que d'Orléans ; si l'armée avait été réellement battue, là, ce qui s'appelle battue, ce bon monsieur de Moltke ne parlerait pas d'autre chose que du désastre et des myriades de prisonniers qu'il a faits. On n'a donc pas compris que le général prussien s'est simplement proposé de nous parler de capitulation et que notre gouvernement, non sans quelque hésitation, refuse pour le moment de capi¬ tuler. 11 y a devant le Palais-Royal de nombreux groupes de citoyens qui discutent l'événement du jour. Il n'est pas inutile de dire que tout le monde pense que la perte d'Orléans est sans importance, et qu'en réalité d'Aurelle de Paladines a pu sacrifier cette ville pour exécuter un mouvement stratégique je no crois pas devoir faire vérifier par les moyens que Votre Excellence m'indique. Agréez, mou général, l'expression de la haute considération avec laquelle j'ai 1 honneur d'être votre très humble et très obéissant serviteur, Lr gouverneur de Paris, GÉNÉRAL TROCHU. 220 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. en vue de la délivrance de Paris. Cette idée est celle de chacun et je ne serais pas étonné qu'on prétendît, dans quelques jours, que l'abandon d'Orléans est volontaire ; que c'est un piège adroit dans lequel les Prussiens sont tombés. On pourra môme ajou¬ ter que le prince Frédéric-Charles, que pour l'oc¬ casion on donnera pour mort et enterré, a laissé d'Au- relle lui cacher sa marche en avant et surprendre à Versailles l'arrière-garde de l'armée d'investisse¬ ment. Pour la première fois de sa vie le général Trochu a su contenter la plus grande partie des Pari¬ siens. La réponse habile qu'il a faite au comte de Moltke leur plaît. Les termes de cette réponse, qui ne met pas en doute l'exactitude des assertions de notre adversaire, sont calculés de telle façon qu'ils dimi¬ nuent l'impression qu'elle aurait pu produire sur le public, si elle avait été autrement rédigée. L'idée de publier et d'afficher, sur les murs de Paris, l'original même de la lettre du général de Moltke a été une idée heureuse. Les Parisiens se sont crus comme engagés d'honneur à ne pas ajouter foi aux nouvelles don¬ nées par l'ennemi. Sur les affiches on lit des protes¬ tations indignées, écrites au crayon, à côté de la signa¬ ture du comte de Moltke : menteur, imposteur, sont les termes les plus doux employés par les Parisiens. Je ne sais pas si, en envoyant cette note, la politique prussienne a eu simplement pour but de décourager le peuple, ou bien si elle a pensé en tirer quelque profit immédiat. Dans cette dernière "hypothèse, elle n'aurait pas choisi le meilleur moyen de nous appren¬ dre nos défaites. Tous ceux qui connaissent les Parisiens auraient compris que l'effet moral eût été plus grand si, en les laissant pendant une quinzaine de jours dans une illusion complète, on eût attendu que leur inquiétude ESPOIR QUAND MÊME! 221 naturelle, le silence de Gambetta et les nouvelles chu- chotécs aux avant-postes aient forcé le gouvernement à brusquer l'annonce de ce fatal revers, tout comme cela s'était passé pour la capitulation de Metz. La lettre de M. de Moltke est, comme je l'ai déjà dit, une invite indirecte à la capitulation. Il est clair que pour le quartier général prussien le dernier acte de la pièce est joué. Le ton de la réponse du général Trochu semble, pour moi du moins, indiquer qu'il est du même avis; mais il croit qu'il est indispensable, pour sauver l'honneur du pays, que Paris prolonge la résis¬ tance jusqu'au jour où elle sera matériellement im¬ possible. Quand il s'agit de la défense d'une place forte ordinaire, les principes de l'honneur militaire sont d'accord avec les intérêts de la résistance; il n'y a aucun doute à cet égard. Ne persister dans la ré¬ sistance qu'autant qu'elle est utile, est la règle de conduite d'un combattant isolé qui se bat pour son propre compte. Dans tout autre cas, la prolongation de la défense est nécessaire. C'est comme au jeu d'échecs, un pion ne peut pas s'exposer à se laisser prendre un coup plus tôt qu'il ne le faut. Paris, dont le sort doit décider de toutes les questions, me parait être dans la position d'un roi qui, laissé tout seul sur l'échiquier, n'a avant d'être fait mat qu'un certain nombre de coups à jouer. S'il est vrai qu'à partir d'aujourd'hui la résistance, que nous pourrons faire jusqu'au moment où il faudra nous rendre, ne dépend plus que de la quantité de nos vivres, il y en a encore pour cinq ou six semaines. Je me demande alors pourquoi nous ne nous rendrions pas tout de suite. Il est certain que M. de Bismarck ne nous laissera pas nous remettre en état de lui causer quelques embarras. Ce sont là des questions d'étiquette militaire dont je ne dois pas me moquer. Dans la société l'observa- 222 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. lion (le certaines règles conventionnelles maintient les bons rapports entre les hommes, de même dans l'armée les traditions de l'honneur doivent être sauve¬ gardées par certaines règles artificielles ; elles fortifient et conservent la discipline militaire : pour être hono¬ rable, une capitulation doit pouvoir se justifier par l'application d'un principe technique : elle doit être faite d'après les règlements établis. Molière n'a-t-il pas dit que tout est pour le mieux quand le moribond est mort d'après les règles de l'art. En suivant ce principe, l'honneur d'une armée pourra, quand le moment en sera venu, se relever de l'atteinte reçue. Ces échecs répétés et l'excès des privations ont pro¬ fondément troublé l'armée. On n'entend parler de tous côtés que d'ivrognerie, de pillage et d'indisci¬ pline. Le général Noël, qui commande au Mont-Valé- rien, demande aux autorités supérieures d'instituer immédiatement des cours martiales dans sa forteresse. « Hier, écrit-il, quelques maraudeurs, appartenant pour la plupart aux corps des mobiles, ont franchi mes avant-postes et sont allés à Rueil se soûler et dévaster des propriétés. D'autres, au nombre de près de trois cents, se sonl répandus dans Nanterre et ont dévalisé des maisons. Cinq de ces misérables ont été arrêtés et j'espère qu'on en fera bonne et prompte justice. J'ai donné l'ordre de tirer, sans pitié, sur tout individu, soldat ou autre, cherchant à forcer la ligne des avant-postes. Quant aux pillards, celui qui, som¬ mé de se constituer prisonnier, fera mine de résister, sera, séan-te tenante, passé parles armes... » Toutes ces choses remontent loin dans l'histoire du siège. Le mal est venu des francs-tireurs et des mobiles parisiens ; puis la contagion a gagné les ré¬ giments de la ligne qui n'étaient qu'à moitié disci¬ plinés. L'ivrognerie est devenue un mal universel; le ESPOIR QUAND MÊME! 223 grand froid et le manque de nourriture en sont la cause. L'amiral de la Roncière fait placer les ivrognes pendant plusieurs nuits aux postes les plus dangereux ; il obtient par ce moyen une cure partielle. Aucun officier, en tempérant la sévérité par la douceur, n'a pu obtenir de meilleurs résultats que l'amiral. Les officiers sont généralement trop doux dans les cas graves, et trop portés à faire parade de leur autorité dans les affaires de peu d'importance. Ils tourmentent leurs hommes en leur infligeant de petites punitions, et ils ne les font jamais fusiller. Depuis l'affaire de Châtillon, la peine de mort est devenue un mythe. L'autre jour, un soldat, qui venait d'être condamné à mort pour désertion devant l'ennemi, s'est mis à rire à la face du Président et a fait cette observation que sa condamnation était une condamnation pour rire. Ce soldat aura sans doute obtenu, comme beaucoup d'autres, la remise de sa peine ; et la première fois qu'il ira au feu, il tirera sur son officier. Le rapport du général Clément Thomas 1 sur la con¬ duite honteuse du bataillon des tirailleurs de Belleville aux avant-postes est la première constatation officielle de la tenue de ces gardes nationaux sous les armes. M. Lainpérière, qui commande ces bataillons, en fait la description suivante dans son rapport du i dé¬ cembre : « Ce bataillon, par son indiscipline et les éléments qui le composent, est devenu complètement impos¬ sible. Indiscipline et incapacité dans une partie des officiers et sous-officiers. Voilà, mon général, les prin¬ cipales causes de notre désorganisation. Formé en de¬ hors de toutes les lois qui régissent la garde nationale, ce bataillon s'est montré indigne des privilèges qu'il a 1. Voir note XIII le rapport du général Clément Thomas, daté du 6 décembre 1870. 22 i A PARIS PENDANT LE SIÈGE. obtenus ot n'est qu'un mauvais exemple pour les troupes qui l'environnent. Ces hommes, pour la plupart, se sont refusés prendre le service de la défense. Je de¬ mande donc que le bataillon soit rappelé à Paris et dissous. De plus, j'ai l'honneur de vous adresser ma démission de chef de ce bataillon, ne pouvant,honnête homme, ancien sous-officier de l'armée, rester plus longtemps à la tôte d'une troupe pareille. Je reprendrai mon fusil et rentrerai dans les rangs de la garde na¬ tionale pour me purifier du trop long séjour, que j'ai fait dans le bataillon des tirailleurs de Belleville. Une prompte résolution de votre part est nécessaire, mon général, car la moitié des hommes refusent de faire tout service. » D'après le compte rendu du Journal officiel, deux compagnies de ce bataillon se sont, dans la nuit du 28 novembre, réciproquement prises par erreur pour l'ennemi et ont commencé l'une contre l'autre une fusillade, qui a causé la mort de trois hommes et la dispersion de toute la troupe. Une soixantaine de ces hommes sont rentrés dans Paris; ils voulaient, disaient-ils, s'assurer que, pendant leur absence, leurs femmes n'avaient pas été spoliées des 75 centimes que le gouvernement leur devait à titre d'indemnité1. C'est ainsi que faisaient autrefois les « patriotes ». 1. Décret du 28 novembre accordant des subsides aux femmes des gardes nationaux : Lk gouvernement de la Défense nationale, Considérant que le subside accordé aux gardes nationaux par le décret du 13 septembre 1870 est insuffisant, en presence de la hausse générale des denrées, pour faire face aux besoins de ceux de ces gardes natio¬ naux qui ont charge de famille, Décrète : Un subside complémentaire de 75 centimes par tête sera accordé aux femmes des gardes nationaux qui reçoivent le subside de 1 fr. 50 c., établi par le décret du 13 septembre 1870. Ce subside sera payé directement aux femmes qui y ont droit, «ur des ESPOIR QUAND MÊME! 225 Nous lisons, en effet, dans l'histoire de la grande Révolution, qu'ils refusaient de quitter Paris, et de marcher contre les Prussiens, tant qu'ils n'auraient pas fait chez eus justice de tous les traîtres qui se trouvaient dans leur pays. Flourens est accusé d'avoir usurpé le commande¬ ment du bataillon, pendant une absence du comman¬ dant Lampérière. C'est la raison qui a fait décider son arrestation. Pauvre Flourens! Six ans se sont à peine écoulés depuis l'époque où il faisait son cours au Col¬ lège de France. Nous étions alors loin de penser qu'il voudrait un jour changer la noire simarre, sous laquelle il avait tout à fait l'air d'un savant et d'un professeur, contre les quatre galons d'argent et les grandes hottes que Belleville admira quand, monté sur le tapis vert do la table de la chambre du conseil, à l'Hôtel de Ville, il paradait et défendait la vie de Jules Favre contre la fureur de ses propres partisans1. Depuis cette époque « nous avons changé tout cela ». Notre république du i septembre est une grande mascarade historique, dans laquelle chacun apparaît comme cela se fait au cinquième acte d'une comédie. Voyez ce qu'est devenu Gambetta, qui pérorait au café de Madrid et dans tous les cafés du « quartier Latin », depuis huit heures du soir jusqu'à minuit, en prenant pour thème la Révolution. A cette heure tardive, l'hon¬ nête limonadier le priait poliment de se transporter, lui et sa tribune, dans la rue : la fermeture du café états complémentaires dressés dans la même forme et par les mêmes autorités que ceux qui servent à distribuer le subside aux gardes nationaux. JULES FAVRE, GARNIER-PAGÈS, JULES SIMON, EMMANUEL ARAGO, JULES FERRY, EUGÈNE PELLET AN, ERNEST PICARD. Fait ù Paris, le 28 novembre 1870. 1. Journée du 31 octobre. 13. i'26 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. devait se faire minuit, et les garçons avaient besoin de prendre du repos. Pendant qu'il parlait, Madame, qui trônait au comptoir comme une reine, sommeil¬ lait doucement bercée par les périodes bien caden¬ cées du discours du futur dictateur de la France. Et Georges Cavalier, autrement dit « Pipe-en-Bois », — c'est un sobriquet que les particularités de sa phy¬ sionomie lui lirent donner : la nature malicieuse l'a fait tel que ses yeux, son nez et sa bouche semblent être en guerre l'un avec l'autre; des pipes en bois d'églantier, qui reproduiraient exactement sa figure, feraient certainement la fortune d'un marchand, — Pipe-en-Bois était assis à côté de Gambetta : il bu¬ vait et la bière et les théories politiques de son ami. Pour le récompenser, on l'emmena en qualité de moitié ou de quart de secrétaire, lorsqu'on partit en ballon pour la province avec la mission de charmer les popu¬ lations rurales. Aujourd'hui tous ces bohémiens cara¬ colent sur des chevaux réquisitionnés ; ils sont accom¬ pagnés par des sous-ordres, dont l'emploi consiste, je crois, à aller chercher la pipe de leurs maîtres quand ceux-ci l'ont oubliée dans leur café favori. Notre ami Flourens appartient à une classe plus élevée que celle de ces bohémiens, fruits secs de la presse boulevar- dière. Il a eu la chance de travailler sous la direction du physiologiste distingué Claude Bernard. Il a pu se faire un certain bagage scientifique, qui l'a mis à môme d'occuper pendant un an au Collège de France, plus ou moins parfaitement, la chaire de professeur de son père. Les tendances naturelles de son esprit le portaient à rechercher, dans les faits de la physiologie, ce qui pouvait avoir du rapport avec la doctrine de la république démocratique et sociale. Dans ses leçons, au contraire de son père, qui viviseclait les lapins, il vivisectait les Jésuites. Les Jésuites, comme on devaits'y E S P 0 R QUAND MÊME! 227 attendre, ont été moins patients que les lapins et au commencement de la nouvelle année scolaire M. Gus- lave Flourens a été prié, par décision ministérielle, de ne pas continuer son cours. En prenant cette déci¬ sion, M. Duruy1 n'avait certainement pas pris connais¬ sance des désirs de la « Conférence du lundi ». La « Conférence du lundi » était une sorte de club qui se tenait le lundi: de là son nom. La Conférence comptait parmi ses membres Gustave Flourens et son frère Émile2, plus jeune que lui, mais doué de plus d'expé¬ rience et de connaissance du monde. Émile travaillait pour entrer au Conseil d'État. 11 y avait aussi A..., le métaphysicien utopiste qui maintenant parle dans la salle de la Redoute avec le talent d'un véritable orateur; Erne, attaché à la Marseillaise ; un certain nombre de journalistes, des faiseurs de sonnets, et un couple de peintres et de compositeurs. Chacun de nous avait la conviction qu'il devait révolutionner les arts, la littérature, la politique et la philosophie de notre époque, et nous avions décidé qu'on fonde- rail une revue pour aider à la propagation de nos opi¬ nions. Mais dès le début de nos essais, nous avons été arrêtés par des difficultés financières. Nous nous sommes mis alors à chercher un capitaliste parmi nos connaissances. P... avait pour lui un appartement tout entier, situé au deuxième étage dans une maison de la rue de Rivoli; il recevait des lettres d'actrices en renom et il fumait de bons cigares. On supposait qu'il pouvait jouir d'une dizaine de mille francs de rentes. P... reçut la Conférence chez lui une fois par semaine. Il nous offrait des rafraîchissements et nous fumions 1. M. Duruy était, à cette époque, ministre de l'Instruction pu¬ blique. 2. M. Emile Flourens a été nommé ministre des Affaires étran¬ gères à la (in de l'année 1886. 22K A PARIS PKNDANT LE SIÈGE. ses cigares. Les poètes s'y livraient à une admiration mutuelle de leurs vers ; les peintres invitaient les membres de la Société à visiter leurs ateliers et beau¬ coup d'auteurs inédits proposaient des souscriptions invraisemblables pour la publication de leurs œuvres ; finalement la conférence est morte et pour constater sa mort, on a donné un banquet funéraire dans un restaurant, situé dans les environs du boulevard du Temple. Revenons à Flourens : destitué par le ministère, il en a appelé à l'Empereur et, n'ayant pas reçu la répa¬ ration demandée, il est passé dans le camp des socia¬ listes. Il est ensuite parti pour la Crète, afin d'y étudier l'art de la guerre (la guerre de Crète !). 11 y a reçu le baptême du feu dans une cause qu'on supposait être républicaine. Il y a quelque trente ans, Garibaldi avait donné le même exemple. Après avoir quelque peu erré en Crète et avoir passé, de-ci de-là, quelques journées à Athènes, Flourens revint à Paris avec un état-major composé des révolutionnaires, qui l'avaient accompagné dans son expédition. Un de ses com¬ pagnons, un nommé Ballot, a écrit une histoire de cette guerre de Crète. Ce Ballot a été impliqué dans la grande affaire du complot contre l'Etat qui a été jugée, par la haute cour de Blois, dans le mois de juil¬ let de l'année dernière. Les débats ont établi avec la plus grande évidence qu'il était un agent de police détourné de ses devoirs par Flourens. 11 lui avait confié des fonds secrets destinés à un autre agent bien connu aussi, le nommé Beaury, un déserteur accusé d'avoir conspiré contre la vie de l'Empereur. Au moment où Flourens est rentré à Paris, le parti socialiste, encouragé par les signes, chaque jour plus marqués, d'une prochaine désorganisation de la poli- lique de l'Empire, s'efforçait avec une grande ardeur ESPOIR QUAND MÊME! 229 de s'organiser. Il était alors principalement dirigé par la Société Y Internationale qui était composée d'ou¬ vriers tels que Tolain1 le « ciseleur », la véritable tète du mouvement; Varlin, le «relieur», etc., etc. J'ai eu la bonne fortune d'assister, pendant toute une année, aux efforts patients que ces hommes faisaient pour s'instruire. C'était en vérité une étrange vision que de les voir étudier les déclinaisons et les conju¬ gaisons latines, s'efforcer de vaincre les difficultés des verbes irréguliers, et mettre k tout cela de l'habileté et de l'adresse. Cette habileté et cette adresse, em¬ ployées par eux dans quelque autre travail plus en rapport avec leurs goûts et leurs habitudes d'esprit, auraient stupéfié les lourds et prosaïques bourgeois, pleins de préjugés sur les questions de l'ignorance des classes laborieuses et tout disposés h attribuer au manque d'une éducation convenable ce qui au con¬ traire est la résultante d'une instruction acquise par ambition. Tels étaient les chefs du parti appelé socia¬ liste. Pour la première fois il était organisé par des hommes de la classe ouvrière ; c'est pour cette raison qu'il a acquis plus de cohésion qu'il n'en avait eue, même en 18 48, sous la direction de Louis Blanc et de ses amis. Ces hommes appartenaient évidemment à la classe bourgeoise, qui ne connaît rien aux choses qui intéressent les ouvriers et qui ne se sert d'eux que comme d'un épouvantail pour effrayer les membres de l'opposition au Parlement. Les progrès que la Société Y Internationale fait en Europe lui permettent, tout en augmentant l'expé- 1. M. Tolain est maintenant sénateur à vie du gouvernement de la République. M. Varlin a été plusieurs fois condamné sous l'Empire comme principal organisateur de XInternationale. Sous la Commune de 1871, il a été membre de la commission des finances, puis délégué à la Guerre. 230 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. i ience do ses adeptes français et en étendant la sphère de leur action, de leur venir en aide avec de l'argent, col instrument tout-puissant pour l'entretien d'agita¬ tions continuelles et universelles. C'est ainsi que, grâce à son intervention, le socialisme, qui a pour point de départ des sociétés secrètes, isolées les unes des autres et neutralisées par la police, arrive à former cette ligue universelle du travail, ligue infiniment plus dan¬ gereuse. Elle peut développer ses forces et augmenter assez sa puissance pour se trouver en état de renver¬ ser, un jour, toutes les monarchies de l'Europe.L'Em¬ pire a compris que cette Société était son ennemie. Il s'est efforcé d'en arrêter le développement tant par des poursuites pour inobservation de la loi, qui prohibe les sociétés secrètes, que par un système de conces¬ sions à faire en temps opportun. Il voulait, pour ob¬ tenir ce résultat, faire des lois nouvelles et donner aux travaux publics une plus grande extension afin de procurer du travail aux nombreux ouvriers de la cam¬ pagne, qui étaient venus habiter Paris. En agissant ainsi, on ne faisait que de la politique de circonstance; on donnait raison à ce dicton prêté à l'Empire : Après moi le déluge. (Juand Flourens revint de l'île de Crète, on pouvait à ces différents symptômes reconnaître l'avènement prochain d'une nouvelle politique en France. A son retour à Paris, Flourens ne tarda pas à devenir le cen¬ tre d'un groupe de gens fanatiques. Soutenu par eux, il présida, pendant le printemps de 1869, plusieurs réunions électorales et il fut arrêté pour y avoir sou¬ tenu avec trop de violence les candidats les plus « ir¬ réconciliables ». Du fond de sa prison il s'adressait à ses compagnons de barricades et de coups de feu. Son premier acte, en sortant de la cellule qu'il occupait à Mazas, fut de provoquer en duel, mais à .un duel à ESPOIR QUAND MÊME! 231 mort, M. Paul de Cassagnac qui avait fait la lumière sur la bravoure personnelle des hérosde la démocratie. Paul de Cassagnac transperça d'un coup d'épée la poi¬ trine de Gustave Flourens. Belleville s'était réjouie d'avoir trouvé un chef, qui voulait bien se mesurer dans un combat à mort avec un tireur aussi redoutable que Cassagnac, le mousquetaire de l'Impératrice. En janvier, à l'époque des troubles occasionnés par les funérailles de Victor Noir, Flourens donna des preuves de sa supériorité comme homme d'action. Rochefort avait attaqué les Tuileries avec sa plume, il avait ap¬ pelé le peuple aux armes et, le moment de se montrer venu, il s'était trouvé mal et avait passé dans une boutique de pharmacie les heures qui étaient si pré¬ cieuses pour l'action. Flourens s'était alors efforcé d'exciter le peuple et de l'entraîner à descendre toute l'avenue des Champs-Elysées avec le corps de Victor Noir. Cette entreprise n'était pas aussi folle que ses compagnons poltrons ont paru le croire, quand ils se sont trouvés personnellement en face du danger. Les événements qui ont suivi l'ont bien prouvé, et parti¬ culièrement les votes de l'armée en mai, au jour du plébiscite. Ces votes prouvaient clairement que le gou¬ vernement n'aurait pas pu compter sur les régiments de la ligne pour réprimer une insurrection du peuple. La fermeté que Flourens montra dans ces moments critiques augmenta son prestige à Belleville et à la Villette; ces deux quartiers avaient enfin trouvé leur chef. On s'est beaucoup trop moqué des barricades qu'il a faitélever, pendant une nuit de février, àl'ocea- sion de l'arrestation de Rochefort. Le gouvernement n'a opposé à Flourens et à ses compagnons que la garde municipale; il a fait parquer les régiments de la ligne dans le jardin du Luxembourg, avec les portes ermées, pou r mettre leur fidélité à l'abri de l'infection 232 A PARIS PENDANT LE SIEGE populaire. N'est-ce pas là une mesure tout à fait si¬ gnificative? Flourens était à l'affût de toutes les défaillances, qui pouvaient se produire dans la discipline do l'armée impériale, et il en prenait avantage pour susciter la rébellion. 11 avait des correspondants dans chaque caserne et il exposait avec beaucoup de détails, dans la colonne du journal la Marseillaise, qui lui était réservée, tous les griefs des lignards et des chasseurs envoyés par le ministère de la Guerre en Afrique dans les compagnies pénitentiaires. 11 se gardait bien de donner leurs noms. Grâce au prestige que lui donnait son énergie toute personnelle, Flourens a pu se faire, à Paris, la situation bien établie d'un général de l'insur¬ rection, la môme que celle de Garibaldi et d'autres aventuriers qui se sont fait remarquer par leur cou¬ rage et leur audace. Après la révolution du i septem¬ bre, il fut élu commandant par un bataillon delagarde nationale de Belleville; puis il s'arrogea le comman¬ dement de cinq bataillons et prit de lui-même le titre de major. Le 1" novembre le gouvernement lui retira son grade et il ne fit plus partie de la garde na¬ tionale. Mais les électeurs l'envoyèrent à leur mairie avec le titre d'adjoint au maire. L'Hôtel de Ville ne tarda pas à intervenir à cause des trop grandes libertés municipales que prenait la mairie de son arrondisse¬ ment, et il se trouva de nouveau privé de toute situa- lion militaire et politique. Dernièrement, il a accom¬ pagné aux avant-postes le bataillon des francs-tireursde Belleville, ceux que l'on appelait, de son nom, les francs- tireurs de Flourens ; mais cette fois, il les accompagnait en qualité de simple particulier. Si tous les colonels avaient eu un Flourens dans leurs régiments, ils se seraient bientôt trouvés réduits à ne plus y remplir que les fonctions de caporal. Des avant-postes, Flou- ESPOIR QUAND MÊME! 233 rens a écrit au Combat une lettre dans laquelle il donne son opinion personnelle sur la tenue des Bellevillois devant l'ennemi. Félix Pyat a inséré cette lettre dans le journal sous le titre suivant : Funérailles des francs-tireurs de Belleville tués à Maisons- Alfort par les Prussiens, le 27 novembre. Mon cher Pyat, Seriez-vous assez aimable pour insérer dans le Combat de ce soir l'article ci-joint? Je vous remercie à l'avance, et vous serre cordialement la main. G. FLOURENS. F une railles des frunes-tireurs de Belleville tués à Maisons- Alf'art par les Prussiens, le 27 novembre. Nous venons de les accompagner au cimetière de Cha- ronne 1 et de leur dire nos derniers adieux. Ils sont morts trois pour la République, trois dont le plus vieux avait 29 ans. Il y a quelques jours j'eus encore le bonheur de les voir pleins de vie, de santé, de jeunesse, pleins d'espoir dans le triomphe définitif de la grande République démocratique et sociale universelle. Ils sont morts en braves, tous frappés par devant, après avoir soutenu neuf heures de combat à quatre cents Fran¬ çais contre quinze cents Saxons! Envoyé le vendredi 2a aux avant-postes de Maisons-Alfort, le bataillon des tirailleurs de Belleville va relover dans cette position les mobiles de la Côte-d'Or. Porté: sur Créleil, il engagea le samedi, et toute la nuit du samedi au dimanche, une vive fusillade avec l'ennemi. Pas de vivres et toujours la fusillade. On n'eut à manger que le dimanche il quatre heures du soir. Poste isolé, oil f. « Le cimetière de Charonne », sans aucun doute il veut parler du cimetière du Père-Lachaise. C'est le nom d'un Père jésuite, confesseur du roi Louis XIV. Est-il donc possible qu'on donne le nom déshonorant d'un jésuite à un cimetière dans lequel repose des enfants de Belleville? A PARIS PENDANT LE SIÈGE. 011 n'uvait pas d'appui à espérer, le fort étant loin et [dus loin encore les troupes amies. Néanmoins, pas un ne regardait eu arrière. Ils avaient a défendre la République, et 011 ne périt pas inutilement pour la République, ful-rc même dans un Rourget quelconque sous les ordres d'un incapable général. Tout républicain, qui meurt pour notre cause, nous lègue une part d'héroïsme; de son sang il nous grandit, de son sang il nous rachète de la longue turpitude impériale, de l'opprobre du despotisme. Le sergent Richard, qui vient relever les tirailleurs de la 2° compagnie, cherche à mettre à l'abri ses hommes. « Sergent, lui disent ceux-ci, vous vous exposez trop. » Les balles saxonnes sifflaient, drues comme la grêle, autour de lui. « Laissez-moi faire, » répond-il. En ce moment il tombe. Une balle venait de le frapper à mort, et nous l'avons enterré aujourd'hui. Tombent aussi le caporal Altenhoven et le tirailleur Stelf. Nous venons de laisser couchés, côte à côte dans la tombe, ces trois chers amis. En, même temps, cinq de leurs camarades étaient blessés. Ce pauvre Richard, né à Metz, était élève de l'École des Beaux-Arts. Jeune homme studieux, intelligent, doux et bon, qui va rejoindre tant de milliers d'autres jeunes, héroïques et douces victimes de la folie furieuse de Bona¬ parte, de l'épouvantable ambition de Bismarck. Ah! bien chers amis, nous ne nous verrons plus. Vous étiez notre joie, notre espoir, notre bonheur; votre géné¬ reuse jeunesse travaillait avec tant de désintéressement, de courage, pour l'avenir de l'humanité! Oui, vous comptiez la voir, cette République, pour la¬ quelle vous venez de donner votre vie, vous comptiez la voir de vos yeux intelligents et bons. Vous l'espériez à chaque heure du jour cette grande, cette sublime République, qui doit, affranchir tous les peuples de leurs tyrans, les Prussiens de leur Guillaume comme les Français de leur Napoléon, qui doit faire de tous les peuples du monde une vaste fraternité. Cette République, qui doit assurer à chaque homme la ESPOIR QUAND MÊME! 235 jouissance de tous ses droits et l'accomplissement de lous ses devoirs, qui doit relever la femme, l'enfant, tous les faibles de l'esclavage, qui doit dissiper toutes les ignorances, qui doit nous rendre tous heureux en nous rendant tous égaux. Vous ne la verrez pas, cette République. Nous qui n'avons pas encore comme vous accompli notre tâche, jurons tous sur vos nobles restes de n'avoir pas de trêve, ni de cesse, que nous ne l'ayons fondée, notre République démocra¬ tique et sociale. Jurons de nous venger en faisant des hommes, même de ces esclaves du despotisme pr ussien, qui vous ont tués vous, leurs meilleurs frères. C'est ainsi que les républicains se vengent! Paix dans la République à tous ceux qui ont un cœur d'homme! Mort à tous les tyrans! (i. FLOURENS. Ah! pauvre Flourens! Tu es un enjôlé et un enjô¬ leur. C'est tout ce que mon cœur peut trouver à dire après la lecture de cet épanchement de ton âme. Et c'est à ce prix qu'on obtient la popularité à Belle- ville! Flourens sait parfaitement bien que celte fusil¬ lade n'a été que la conséquence d'une panique et que les trois malheureux jeunes gens, qui ont été tués, n'ont été que les victimes de la poltronnerie de leurs camarades. C'est là une belle légende inventée par son imagination en l'honneur de Belleville seule. J'ai pitié de Harry Hotspur1, condamné à faire l'éloge de Falstaff. Il faut avouer que Falstaff accepte avec une complaisance, vraiment encourageante pour ceux qui les donnent, les nombreuses admirations que lui pro¬ diguent tous les jours la presse et le gouvernement. Ainsi ces mêmes Bellevillois, que le général Clément Thomas désarme à cause de leur poltronnerie, sont, le lende¬ main, portés jusqu'aux nues avec une mention hono- 1. Type de chevalerie, personnage de la comédie de Shakespeare. 2:jfi A PARIS PENDANT LE SIÈGE. rable à l'ordre du jour, dès qu'ils posent les pieds dans les tranchées et y accomplissent le même exploit qui les a fait depuis marquer d'infamie. Mais nous vivons sous un gouvernement, qui a toujours flatté la popu¬ lace et qui l'a parée de toutes les vertus cardinales, la traitant comme des enfants traitent un gros chien dont ils ont peur. Us lui donnent des os de pou- lcLs et toutes sortes de friandises; ils le flattent de la main et quand il grogne, ils l'appellent bon chien : « Cher bon chien, lui disent-ils, très bon chien, ne me mange pas! » Cette comparaison, quoique triviale, peut à peine donner une idée, même affaiblie, de l'état d'enfance dans lequel Jules Favre était tombé. Il en était arrivé lit, en dépit de sa respectable barbe, par faiblesse de caractère et par vanité. Le journal de Blanqui, la Pairie en danger, cessera de paraître demain; les fonds manquent. Ce jour¬ nal ne voit pas que la situation soit belle. Blanqui, depuis le commencement du siège, a toujours joué le rôle de Jérémie. Il prend congé des Parisiens en leur adressant un grand nombre d'imprécations sur leur aveuglement et sur leur frivolité. Il est fâcheux que Blanqui n'ait pas vécu au temps deHezekiah qui avait confiance dans ce roseau flexible : la diplomatie. S'il avait écrit en vers, ses lamentations seraient parve¬ nues jusqu'à la postérité la plus reculée. Mais il a écrit en prose et comme elle est imprimée sur du papier à moitié gris, elle servira l'année prochaine à faire des cornets pour mettre le tabac en poudre. Blanqui-Jéré- mic se consolera en buvant une demi-pinte déporter à Leicester Square, si toutefois, ce qui est possible, le gouvernement paternel ne l'envoie pas étudier le climat de Cayenne. Mes amis de la Chambre fédérale soutenaient, ainsi que Blanqui et les clubs, que si on réquisitionnait BSPOIR QUAND MÊME ! 237 énergiquement les réserves des particuliers, Paris pourrait encore être approvisionné pendant deux mois. Suivant eux, les épiciers ont caché de grands approvisionnements dans leurs propres maisons et même dans les ambulances. Leur opinion est, un peu trop exagérée pour que je la trouve tout à fait juste. L'autre jour, on a trouvé dans une voiture d'ambu¬ lance toute une cargaison de jambons d'York; ils ap¬ partenaient à quelque patriote partisan de l'accapa¬ rement à outrance. S'il est vrai que les ambulances laissent mourir huit pour cent des blessés qui leur sont confiés, elles font, d'un autre côté, beaucoup pour conserver la vie des citoyens. Voulez-vous échapper au service sur le champ de bataille? Vite, allez dans une ambulance. Désirez-vous vous tenir les pieds chauds en les posant sur les chenets d'une cheminée? désirez- vous manger des biftecks tous les jours? Hé bien I enrôlez-vous dans une ambulance. Vous n'avez pas autre chose à y faire que de laisser les blessés mourir tout seuls ; ils le font promptement d'ailleurs, aussitôt qu'ils sont entrés au Grand Hôtel. Jeudi 8 décembre. — Une neige épaisse couvre le sol. La tenue des moblots et des gardes nationaux est ce qu'elle peut être. Ils s'amusent à faire avec de la neige les têtes et les bustes de Badinguet, de Bismarck et de Guillaume. J'ai vu sur le boulevard celui de Ba¬ dinguet, il a une grande ressemblance avec l'original; les moustaches pointues et le nez en bec de perroquet sont exactement reproduits. C'est bien un peu la ca¬ ricature de ses traits; mais elle est faite avec une malice toute parisienne. Dans la rue de la Paix, Clé¬ ment Thomas, ainsi que le veut l'usage, passe en revue quatre ou cinq bataillons de guerre. Tout en marchant dans ces parages, je lisais un numéro du Combat, qui est devenu plus stupide que jamais depuis •238 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. que Félix Pyat n'attaque plus le gouvernement dans son style violent et de haut goût. Un garde national me crie de ne pas continuer à marcher du côté où je vais ; ses camarades remarquent que je lis le Combat et ils se moquent de moi. 11 paraît que ce journal n'est pas populaire parmi les loyaux épiciers du fau¬ bourg Saint-Honoré. Il y avait un grand attroupement autour de l'un de ces gardes nationaux. Il chantait ron molto brio le chant du Volontaire, un misérable plagiat de la Marseillaise, qui paraît remplacer l'im¬ mortel chant de Rouget de Lisle. Le chanteur était un gros homme, doué de forts poumons. Il avait dû autrefois avoir, comme chanteur, quelques succès dans les cafés-concerts ; car, à la fin de chaque couplet, il agitait majestueusement les bras, et faisait à la foule des sourires aimables et provocants. Un vieux mon¬ sieur, qui avait l'air chagrin, se lamentait à haute voix sur l'entêtement des Parisiens. « Mon Dieu! que peut-on faire maintenant? Faire une nouvelle sortie 1 elle nous coûtera du monde et nous n'en tirerons pas plus d'avantages que de la dernière. Il est vrai que tout le monde parle de faire une sortie en masse. D'abord il est possible que, pour le moment, le mauvais temps et le mauvais état des chemins s'y opposent; ensuite, quand bien même ces obstacles à la sortie n'existeraient pas, qu'aurions-nous à y gagner? Il nous faudrait perdre plus de dix mille hommes, comme à Champigny. Le gouvernement est le premier à reconnaître qu'on y a perdu près de six mille hommes, c'est-à-dire, en chiffres ronds, dix mille hommes. Dans la prochaine affaire, nous en perdrons vingt mille, et la situation n'en sera pas meilleure. La population est devenue entêtée. La vue du sang, les privations, la famine, la mort et toutes sortes d'horreurs l'ont en¬ durcie, et elle ne veut pas céder, simplement parce ESPOIR QUAND MEME! 23!) que l'amour-propre la tient. — Nous ne voulons pas admettre que nous sommes battus... » Il est heureux pour la défense de Paris que notre vieil ami, Dr X..., envisage l'affaire sous un jour tout à fait différent. Il vit, je devrais plutôt dire qu'il végète, dans un optimisme bienheureux; il n'a pas le moins du monde l'idée que l'on puisse commettre des fautes. Il me montrait, ce matin, le Journal officiel avec un air de triomphe. « Eh bienl me dit-il en se frottant les mains, avez-vous lu le rapport militaire1? Nous n'avons perdu que six mille hommes : la belle affaire! Les Prussiens ont dû en perdre le double! Encore sept ou huit sorties comme celle-là, et le siège de Paris sera levé. » Je l'écoutais avec gravité, car c'eût été un crime de ne pas paraître partager sa docte opinion. Ce n'est certes pas une des moins dures épreuves du siège que d'être obligé de paraître ac¬ quiescer à de pareilles erreurs. Vendredi 9 décembre. — Trochu propose à M. de Moltke un échange de prisonniers3. Il est évident qu'il 1. Les pertes de l'armée française dans les diverses journées de la bataille de Champigny ont été, suivant le rapport militaire adressé au ministre de la Guerre, de 1 008 tués et 5 022 blessés ainsi répartis : officiers troupes Tutls. Blessés. Tués. Blessés 2° armée 6L 301 711 4 098 3e armée 8 22 192 361 Corps d'armée de Saint-Denis . 3 19 33 218 72 342 936 4 £80 resume Tués. Blessés. Officiers 72 342 Troupes 936 4 680 Totaux. . 1 008 5 022 2. Le gouverneur de Paris a écrit au général Sclimitz la lettre suivante : Vincennes, le 8 décembre 187o- Mon cher général, J'apprends avec une véritable douleur que les quatre officiers prus- 240 A DARIS PENDANT LE SIÈGE. est sans nouvelles de Gambetta; celui-ci n'écrit qu'au¬ tant qu'il a quelque bonne nouvelle à communiquer et, depuis le 30 novembre, il n'a pas envoyé de pigeons. Je suis tout disposé à croire que les pigeons refusent de voyager par un temps aussi dur ; il est aussi possible que, poussés par un sentiment patriotique, ils refusent de se faire les porteurs de mauvaises nouvelles. En l'absence de nouvelles positives et détaillées sur ce qui se passe loin de Paris, le général Trochu estpeut- ôtre désireuxde profiler, sous une autre forme, del'offre de M. de Moltke. Sous le prétexte d'un échange de prisonniers, il envoie des officiers causer avec l'état- major prussien. De son côté, M. de Moltke sera très heureux d'accepter l'échange proposé et il nous ren¬ verra des soldats de l'armée de la Loire qu'il a faits prisonniers. Les feux des forts ont été très actifs pen¬ dant toute la nuit; ce matin une canonnade très nourrie s'est fait entendre jusqu'à midi. Le temps est froid et dur. Une couche de neige plus épaisse que celle des derniers temps recouvre les toits des maisons et la chaussée de nos avenues. Je n'ai pas le courage de sortir. Je suis très éprouvé par le siège et je reste dans mon lit toute la matinée, parce que je n'ai pas de bois pour faire du feu. Mon chat tourne tristement autour de nous; il bâille mélancoliquement comme s'il pensait que le siège doit durer encore longtemps. Depuis le mois de septembre la pauvre bête ne connaît siens, qiie j'avais fait conduire à Paris, ont été l'objet de manifestations malveillantes dont le caractère pouvait devenir iusultant. Ces officiers prisonniers sur parole, comme sont les nôtres en Prusse, se trouvent à Paris sous la sauvegarde de l'honneur national. Envoyez- les-moi immédiatement, je stipulerai leur échange contre un pareil nombre d'officiers français du même grade. Ils ne pourront porter à l'armée prussienne qu'un avis, c'est que l'état moral de Paris, soutenu par l'esprit de dévouement et de sacrifice, n'a jamais été plus solide, et que tous nous nous préparons au combat. Recevez, etc. GÉNÉRAL TROCHU. ESPOIR QUAND MÊME. 241 plus le goûl du lait et elle est toute heureuse de man¬ ger de vieilles croûtes de pain que, dans les jours de prospérité, elle n'aurait même pas voulu regarder. Tous les trois ou quatre jours elle dévore la meilleure partie de ma portion de viande de cheval et elle retrouve alors assez de force pour sauter gentiment dans la chambre. Que dirait-elle si elle savait que les locataires qui habitent au-dessus d'elle ont pensé souvent, oh! bien souvent! qu'on pourrait en faire un bon civet? Tous ses frères ont disparu des toits voi¬ sins sur lesquels ils faisaient des orgies à minuit. Elle fait ron-ron toute seule ; elle est restée comme la der¬ nière rose de l'été pour la reproduction de son espèce, à moins que... Mais c'est là une pensée trop horrible pour que je m'y arrête un seul instant. Nous avons dans ma famille de fréquentes discussions au sujet do l'issue du siège. L'investissement et l'exiguïté de nos rations nous rendent querelleurs. Mon père soutient avec énergie que nous serons enfermés ici jusqu'au mi¬ lieu du mois de mars, époque à laquelle nous devrons vivre avec trois onces de pain par jour. Gambetta, dit-il, nous enverra du haut de quelque fort des Pyrénées l'an¬ nonce de nouvelles victoires de la République fran¬ çaise. Les Parisiens espéreront toujours voir arriver à leur secours une armée victorieuse; les forts tueront deux Prussiens par jour et compteront détruire ainsi en détail les armées ennemies. Il n'est pas possible de connaître exactement la quantité de farine que nous avons dans les réserves. Il y a une quinzaine de jours, j'entendais dire à un de mes amis, vraisemblablement en position de le savoir, que, déjà à cette époque, la quantité de farine fournie par les moulins suffisait à peine à la consommation de chaque jour. On peut aussi, en les interprétant, tirer quelques conclusions des actes du gouvernement. D'après toutes ces indi- 14 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. cations, je serais porté à croire que le stock de farine peut nous conduire jusqu'au 10 janvier. Dimanche 11 décembre. — Que pensez-vous des pigeons prussiens? C'est la question que tout le monde s'adresse. On y répond généralement par cette phrase: « Je les prends pour des canards. » Les pigeons ap¬ portent la nouvelle que Rouen et Amiens sont occupés par les Prussiens et que ceux-ci marchent sur Tours. Le gouvernement veut nous faire croire que ces messagers ailés nous ont été1 envoyés par l'ennemi 1. Il l'explique 1. Oû lit dans Y Officiel, à la date du 10 décembre : Le 12 novembre dernier, le ballon Daf/uerre. parti de Paris, tombait k Ferrières, au pouvoir des Prussiens. Ce ballon contenait un certain nombre de pigeons, dont la plupart sont restés aux mains des Prussiens. Le 9 décembre, à 5 heures du soir, un de ces pigeons rentra au colom¬ bier auquel il appartenait. Il était porteur d'une dépêche datée de Rouen, 7 décembre, qui sera reproduite plus bas fn° 1). Le même jour, 9 décembre, k sept heures et demie du soir, un second pigeon rentrait au même colombier, porteur d'une dépêche datée de Tours, 8 décembre, reproduite plus bas (n° 2). Aucun doute n'existe sur l'identité des pigeons recueillis avec deux des pigeons pris à Ferrières par les Prussiens. Les agents de l'admi¬ nistration l'attestent avec toute certitude. Les deux dépêches étaient attachées de la même mauière, suivant un mode différent de celui qu'emploient les agents français. Elles trahissent d'ailleurs leur origine germanique autant par le style que par la forme de l'écriture. L'origine prussienne des deux dépêches est donc incontestable. Le gouvernement, résolument décidé à communiquer à la population toutes les nouvelles qui l'intéressent, ne croit devoir accompagner d'au¬ cun commentaire la reproduction des dépêches prussiennes dont suit le texte : N" 1 Rouen. 7 décembre. ('iowerneur, Paris. Rouen occupé par Prussiens, qui marchent sur Cherbourg. Populations rurales les acclament, délibérez. Orléans repris par ces diables. Bourges et Tours menacés. Armée de la Loire complètement défaite. Résistance n'offre plus aucune chance de salut. A. LAVERTUJON. N" 2 Tours, 8 décembre. Rédacteur Figaro, Paris. Quels désastres, Orléans repris, Prussiens deux lieues de Tours et Bourges, Gambotta parti Bordeaux. Rouen s'est donné. Cherbourg ESPOIR QUAND MÊME! 243 en disant que les dépêches sont rédigées dans un style qui sent l'allemand. Nous avons examiné ces dépêches, comme le dit Rabelais, avec une double paire de lunettes « à grand renfort de besicles » et nous n'y avons pas pu découvrir tti moindre trace de « germa¬ nisme », si ce n'est peut-être l'épithète « les diables », appliquée aux Prussiens. Toutefois ce terme n'est pas fort usité dans la langue allemande; il est cependant anti-français employé, dans ce sens, en un pareil mo¬ ment. Les employés de l'administration du télégraphe affirment que ces pigeons sont les mêmes que ceux qui, envoyés par ballon, sont tombés, il y a un mois environ, entre les mains des Prussiens. En admettant que cela soit, il n'en est pas moins vraisemblable que les nouvelles qu'ils apportent doivent être vraies. C'est au moins l'opinion de M. L..., avocat, qui est en rapport d'intimité avec la plupart des membres du gouvernement. Il a rencontré l'autre jour M. Picard sous les arcades de la rue de Rivoli, quelques heures après la publication de la lettre de M. de Moltke. M. Picard avait l'air tout à fait triste et tous les deux, comme tacitement d'accord, se sont mis à parler de la pluie et du beau temps ou de tout autre sujet indiffé¬ rent, qui fait ordinairement le fond des conversations banales. Ils ont marché ainsi, à côté l'un de l'autre, pendant une dizaine de minutes et se sont quittés sans avoir cherché à faire la plus petite des allu¬ sions à la politique. M. Picard est très malheureux du refus que ses collègues ont opposé à l'offre du menacé, armée Loire n'est plus, fuyards, pillards, population rurale partie connivence Prussiens. Tout le monde en a assez, champs dévastés. Bri¬ gandage florissant, manque de chevaux, de bétail. Partout la faim, le deuil. Nulle espérance. Faites bien que les Parisiens sachent que Paris n'est pas la France. Peuple veut dire son mot. Signature illisible ressemblant à celle-ci, COMTE DE PUJOL OU DE PUJET. 244 A PARIS PENDANT LE SIÈGE comte de Moltke. Il a toujours pensé que la résistance n'avait aucune chance de succès; il le leur a dit dans la nuit du 4 Septembre, quand M. Grévy leur posa clairement la question dans une réunion des députés do la gauche. Picard était parmi les membres du gouvernement celui qui avait l'esprit le plus juste. Il s'est toujours montré, en toutes circonstances, favorable aux négo¬ ciations, et il n'a jamais manqué, lorsque l'occasion s'en présentait, d'émettre dans son journal l'Electeur libre l'idée d'un armistice; son but était de rendre l'esprit public plus raisonnable. L'autre jour, dans une séance du Conseil, réuni tout exprès pour la dis¬ cussion de la proposition de M. de Moltke, M. Picard a omis l'avis qu'il fallait l'accepter; et sa voix ne fut pas la seule qui s'opposa aux décisions prises par le gou¬ vernement. 11 est certain que le sentimental Jules Simon a été rallié à la politique de son collègue dont l'esprit est vraiment pratique. Il a avoué en effet, en présence de M. L..., dans son cabinet, que la proposi¬ tion de la Prusse n'avait pas été rejetée à l'unanimité comme la proclamation du gouvernement le laissait croire. On peut donc en tirer cette conséquence qu'il a lui-môme voté avec la minorité. Jules Simon est très triste. Je puis le certifier; je le rencontre régulière¬ ment, tous les jours, dans la rue de Bellechasse ou sur le pont de la Concorde, quand il va à son ministère, le ministère de l'instruction publique. Jules Simon n'a pas de voiture à lui et il ne prend pas de fiacre. C'est un philosophe; il a écrit un livre intitulé le Devoir. Comme tous nos immortels, l'exception de Jules Favre, qui, lui, a une voiture, il va à pied, courbé sous le poids de son immortalité. On rencontre sou¬ vent sur le boulevard des Capucines M. Emmanuel Arago, un autre des onze. Paris, le rendez-vous des ESPOIR QUAND MÊME ! 245 nations, est devenu une espèce de petite ville de province. Les mêmes personnes sont toujours ren¬ contrées dans les mêmes endroits et elles provoquent toujours les mêmes remarques. C'est ainsi que cela se passe dans les villes universitaires ; le commérage y règne en maître. La tristesse de ces hommes de l'Hôtel de Ville les suit partout; ils ont l'air de revenir de quelque enter¬ rement et d'aller à un autre. Leurs discours ressem¬ blent à des compliments de condoléance bien tournés. Ils sont de véritables oraisons funèbres. Cependant Louis Blanc est en train de tresser des chapelets d'im¬ mortelles et des guirlandes de légendes héroïques qu'il appellera « l'Histoire ». Publiées en deux volumes et reliées en veau, elles seront un jour, en 1990, données comme récompense au meilleur discours de rhéto¬ rique à la distribution des prix du concours de la Sor- bonne. Le plan de Trochu est encore chez son notaire. Il ne faut pas que l'Histoire ouvre ce testament ; elle pourrait y trouver quelques indications défavorables à notre héroïsme et le monde serait désabusé. C'est toutefois une consolation de penser que, dans le cas où nos affaires iraient encore plus mal, nous avons un gouvernement d'entrepreneurs de pompes funèbres, tout prêts à porter notre deuil gratis, à nous faire enterrer et prêts aussi à faire graver notre gloire sur des tablettes de marbre et de bronze. Je les soupçonne fortement d'avoir, dans le moment présent, l'intention de rationner le pain. M. Jules Ferry ordonne la fer¬ meture des fabriques de biscuit et de celles des pains de fantaisie. On croit que cette disposition n'est qu'une me¬ sure préparatoire pour arriver à la diminution de notre ration de pain. Des rumeurs inquiétantes circu¬ lent; elles ont naturellement produit une grande il. 246 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. panique chez les boulangers '. J'ai eu la curiosité d'entrer dans une demi-douzaine de boulangeries des quartiers du centre; on y disait que tous les pains qu'on avait faits pendant la nuit, avaient été emportés de bonne heure le matin par le peuple des faubourgs. Dans les environs du quartier Montmartre, j'ai vu des queues de vieilles femmes à l'air révolutionnaire; leurs figures avaientquelque ressemblance avec celles des furies de la guillotine de 1794. Des gardes natio¬ naux étaient en faction devant les portes des boulan¬ geries pour empêcher que ces vieilles enragées ne les envahissent. Us me disaient tout bas que, dans trois jours, le pain serait rationné à raison de une livre par jour et par personne valide ; ils me donnaient la nou¬ velle comme certaine. En temps ordinaire, il est peu de personnes parmi nous qui mangent une livre de pain par jour ; mais le siège nous a fait aimer le pain, surtout quand il est beurré des deux côtés. Les ou¬ vriers en consomment au moins le double; la ration du soldat est environ d'une livre et demie, sans comp¬ ter le biscuit. Pour calmer nos craintes, on nous dit 1. Proclamation du gouvernement aux habitants de Paris, relativement au rationnement du pain : Hier des bruits inquiétants répandus dans la population ont fait affluer les consommateurs dans certaines boulangeries. On craignait le rationnement du pain. Cette crainte est absolument dénuée de fondement. La consommation du pain ne sera pas rationnée. Le gouvernement a le devoir de veiller à la subsistance de la popu¬ lation; c'est un devoir qu'il remplit avec la plus grande vigilance. Nous sommes encore fort éloignés du terme où les approvisionnements devien¬ draient insuffisants. La plupart des sièges ont été troublés par des paniques. La popula¬ tion de Paris est trop intelligente pour que ce fléau ne nous soit pas épargné. JULES FAVRK, JULES FERRY, JULES SIMON, E. PELLETAN, ERNEST PICARD, GARNIER- PAGES, EMM. ARAGO. Pari», 12 décembre 1870. ESPOIR QUAND MÊME! 247 que le blé ne manque pas, mais que les moulins ne peuvent pas en moudre chaque jour une quantité suffisante pour notre consommation journalière. Nous avons déjà quelque peine à avaler notre pain, et les nouvelles que les pigeons ont apportées hier sont certainement un mauvais assaisonnement pour cette livre de pain. L'inaction de fiambetta et celle de Du- crot commencent à produire un mauvais effet sur le moral du peuple ; elles lui ôtent ses forces. Mardi 13 décembre. — Le temps est affreux. La neige fond, la boue et la pluie donnent à Paris un aspect hideux. Je suis resté hier toute la journée à la maison ; j'y ai passé ces longues heures de vilain temps à relire l'Histoire de la Révolution, de M. Thiers. Que l'impression est différente quand on fait cette lecture à la lumière des temps présents! M. Thiers me parait être le seul Français qui ait clairement compris la Ré¬ volution. 11 a traduit ses appréciations dans un style poli et diplomatique; nous ne devons pas les lire à la légère. En écrivant, il est dans une crainte perpétuelle de blesser la vanité de ses concitoyens. Quand il parle des faits les plus pénibles de la Révolution, il a tou¬ jours l'air de penser à ce vers : Incedo per cineres dolosos. Un grand nombre de ses intentions peuvent échapper au lecteur qui, pour apprécier les mots qu'il emploie, n'a pas acquis l'expérience du caractère français aussi parfaitement qu'on le peut faire, au¬ jourd'hui, dans ces temps de guerre. Dans le récit qu'il fait des scènes de la Révolution, je reconnais le Paris de 1870. C'est une preuve que les autres his¬ toires ne sont qu'une compilation de racontars. Paris était en 1793 ce que nous le voyons aujourd'hui. Il faut cependant faire une remarque importante : la classe ouvrière a été, de nos jours, corrompue et énervée par des jouissances qu'elle ne connaissait pas 248 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. à coite époque. L'Empire l'a grisée avec les restes des riches. Los salaires ont été augmentés; on a fait de beaux squares pour la promenade; on a ouvert de grands alcazars tout pleins de femmes pour inspirer le goût de la beauté; et, pour satisfaire à celui de la musique, on avait Thérésa1 et ses beuglements. Tout ce luxe à bon marché, créé sous l'Empire civilisé, a fait des ouvriers parisiens, vôtus de blouses, la copie des pe¬ tits crevés du boulevard vôtus d'habits à la mode. J'ai entendu quelquefois des révolutionnaires de l'école de Saint-Just exprimer le regret que la guillotine n'ait pas été établie sur la place de la Concorde pendant toute la durée du siège. La raison qui fait que la Ré¬ publique du 4 Septembre n'a pas fait usage de cet instrument de terreur, est bien plutôt une preuve de dégénérescence qu'une preuve de progrès. La populace s'est trop adonnée aux plaisirs, elle n'a pas conservé assez de force pour se servir de la guillotine; elle se contentera d'égratigner, de déchirer, de lacérer et elle y mettra la férocité venimeuse des créatures faibles et dégénérées. La guillotine, malgré toute l'horreur qu'elle inspire, est un symbole de force. Il n'y a pas en ce moment dans nos murs, parmi les chefs fana¬ tiques des révolutionnaires, un seul homme qui ait assez de confiance en lui-môme ou dans ses compa¬ gnons pour oser se servir de moyens d'intimidation aussi désespérés. Il est cependant possible qu'en insistant ainsi sur le passé, je sois injuste envers le temps présent. Je dois avouer que, pendant ces der¬ niers jours, j'ai complètement oublié toutes ces con¬ sidérations. Les faits de l'histoire de ce monde sont I. Thérésa est une chanteuse légère qui chantait les chanson¬ nettes à l'Alcazar. Elle les chantait avec une grande perfection; elle a, aujourd'hui, la réputation d'être une grande artiste. ESPOIR QUAND MÊME ! 249 comme les événements d'une journée qui est passée, ils n'ont qu'un intérêt rétrospectif. Toul ce que je peux comprendre en ce moment aux choses du jour, c'est que nous allons à la famine, et que nous y allons lentement, mais sûrement. La panique, qui s'est produite dimanche dernier dans les boulangeries, a beaucoup effrayé le gouver¬ nement. Selon son habitude, il a lancé une proclama¬ tion pour calmer les craintes de la population. On nous affirme que le pain ne sera pas rationné, mais cela ne prouve pas que le gouvernement n'ait pas eu l'intention de le rationner. Je crois qu'il a simplement désiré nous tâter le pouls avant de décider la chose, et qu'il a trouvé que nous n'avions pas encore assez souffert pour supporter cette nouvelle mesure. Le Siècle, dont le bailleur de fonds est M. Cernuschi', passe pour recevoir les confidences du gouvernement; il s'efforce de nous donner des encouragements et il fait un exposé de la situation à un point de vue semi- officiel. Il nous annonce que nous avons cinquante mille quintaux de farine et « une immense quantité de blé ». Il est vrai qu'il n'y a pas assez de moulins pour moudre tout ce blé. Les moulins, qui travaillent en ce moment, peuvent moudre quatre mille quin¬ taux par jour (la consommation journalière de Paris est, paraît-il, de six mille cinq cents quintaux); mais on a construit de nouveaux moulins et on pourra do¬ rénavant moudre sept mille quintaux par jour. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Quelques colonnes plus loin, le même journal nous adjure avec éloquence défaire des sacrifices, de dimi¬ nuer « le bien-être de nos foyers domestiques » et d'économiser le pain pour prolonger notre existence. 1. M. Ceniujchi est un Italien économiste distingué. 2.10 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Sacrifier mon chat! Non, mon chat, je ne suivrai pas les conseils du Siècle; il se passera beaucoup de temps avant que je refuse de partager avec toi ma dernière tranche de viande de cheval et ma dernière croûte de pain. La facilité avec laquelle le peuple ajoute foi à l'existence d'une grande réserve de blé m'étonne beau¬ coup. Au commencement du siège, il avait cru égale¬ ment à l'existence d'un immense approvisionnement de farine. On n'aurait pu penser qu'ayant la preuve qu'il s'était trompé une première fois, il ne s'exposerait pas à se tromper encore. Mais Paris ne perd jamais l'es¬ pérance, il espère toujours et quand môme, tout comme un malade qui est à la dernière extrémité. Je ne saurais dire exactement à quelle disposition d'es¬ prit correspond l'état moral actuel des Parisiens. Ils sont pleins de tristesse, complètement découragés, et, malgré tout, ils sont pleins d'espérances. L'affaire des francs-tireurs de Belleville ne semble pas être aussi claire qu'elle le paraît au premier abord. La lettre d'apologie que leur ancien commandant Lampérièrc vient d'écrire au journal le Combat, prouve seulement, si toutefois elle prouve quelque chose, qu'il n'y a pas de choix à faire entre lui et ses hommes. Les francs-tireurs, désarmés par le général ClémentThomas, ont fait une réunion ; ils y ont invité les délégués des autres bataillons, dont les témoi¬ gnages indirects avaient été invoqués contre eux par les autorités. Le mot « délégué » fait un très bel effet sur le papier et il s'est trouvé dans chaque bataillon assez de gens pour former une juste représentation de toutes les idées de Belleville. Ces délégués, sommés de don¬ ner leur avis sur la façon honnête et honorable dont les Bellevillois se sont comportés devant l'ennemi, ont tous consenti à signer un papier qui leur donnait une absolution pleine et entière. Arthur de Fonvielle, com- ESPOIR QUAND MÊME! 251 mandant du 47e bataillon de la Villette, a protesté contre les allégations contenues dans le rapport du général. D'après ces allégations, ses hommes auraient été pris pour leurs camarades de Belleville d'un tel dégoût qu'ils auraient, avec une grande insistance, demandé à être séparés d'eux aux avant-postes. Les francs-tireurs ont sommé leur ancien commandant de comparaître à leur réunion et, comme quelques-uns d'entre eux, à la suite de cette invitation, avaient fait des menaces, le président a recommandé à l'assemblée de recevoir le coupable avec le calme qui convient à de braves gens qui défendent leur honneur. Le com¬ mandant a dû penser que la réception qui lui serait faite ne serait pas calme; il n'est pas venu à la réu¬ nion, mais il a écrit une lettre au Combat. Dans cette lettre, il rétractetouteslesaccusationsqu'ilavaitportées contre ses hommes. Lampérière est un vieil exilé et à ce titre il a été reçu à bras ouverts par Flourens. Il est probable qu'une parfaite harmonie a existé entre eux pendant les deux derniers jours qu'ils ont passés ensemble aux avant-postes. Obligé de s'absenter de son poste de Gréteil, le major a demandé amicalement à Flourens de le remplacer pendant quelque temps dans son commandement, lin prenant congé de lui, il lui a jeté sur les épaules en présence de ses hommes, sa capote militaire ornée des quatre galons d'argent, in¬ signe du grade de commandant. Il aurait ensuite été au quartier général avec un rapport préparé d'avance. Dans ce rapport, il dénonçait Flourens et l'accusait d'avoir usurpé les insignes du commandement. Flou¬ rens, avec sa naïveté ordinaire, est tombé dans le piège et il a fourni au gouvernement une excellente occa¬ sion de mettre à exécution les projets qu'il avait de¬ puis longtemps conçus contre lui. Son nom est désor¬ mais associé à celui du bataillon de Belleville accusé m A l'ARIS PENDANT LE SIÈGE. de s'être mal conduit; sa personne est sous les ver¬ rous et elle est à la disposition de Jules Favrc. C'est comme une revanche du 31 octobre. Telle est la version de Belleville et j'ajoute qu'elle paraît assez vraisemblable quand on l'oppose aux explications contradictoires du major Lampérière, explications qui ont été acceptées par l'État-major. Il paraît que Belleville et les Batignolles ont man¬ qué de pain dans la matinée du dimanche et la partie de la population qui était affamée a épuisé nos propres ressources en se jetant sur les quartiers du centre. Belleville pense qu'il doit ce manque de pain à une trahison ; il croit ou affecte de croire que le gouver¬ nement désire le pousser à la révolte pour se donner l'occasion de faire une petite saignée salutaire. C'est un sombre complot, un complot très sombre en vérité, mais je m'imagine que Belleville surfait l'ha¬ bileté de son gouvernement. La vérité est que nous n'avons de farine que juste ce qu'il en faut pour satisfaire tout le monde à la fois, et que les moyens do transport ne sont pas suffisants pour assurer une prompte distribution aux livraisons, qui doivent être faites, chaque jour, aux boulangers des hauteurs inaccessibles de Belleville. La porte du bâtiment mu¬ nicipal, qui fait face à l'Hôtel de Ville, est envahie par une foule de citoyens; leurs vêtements, couverts de farine, indiquent suffisamment leur profession. C'est la queue des boulangers auxquels Jules Ferry distribue chaque jour la part qui leur revient. Chacun de ces hommes soupçonne, paraît-il, son voisin de queue d'avoir avec les autorités quelque entente illi¬ cite, qui lui permet de passer avant son tour, et on réclame avec violence contre ce privilège. J'ai entendu leurs cris du quatrième étage, du bureau d'un de mes amis, employé dans l'administration de la ville, chez ESPOIR QUAND MÊME! 253 qui je me trouvais clans ,1e moment. Il m'expliquait l'impuissance de cette grande administration qui est toute concentrée entre les mains de M. Jules Ferry. Ce personnage doit sa célébrité à un violent pamphlet qu'il a écrit contre le baron Haussmann : les Comptes fantastiques de M. Haussmann. Il est maintenant assis dans le fauteuil du baron Haussmann et il traite de toutes ces questions en maître, comme un Turc. Le sul¬ tan Ferry est grand, il est un peu voûté et il a une petite écriture. Le contraste qui existe entre sa taille et son écriture révèle l'homme. Il a dans le main- lien une certaine raideur qui le caractérise encore mieux. Celte raideur peut faire croire qu'il a des apti¬ tudes particulières pour remplir les fonctions d'un gendarme. Elle lui esl d'une grande utilité dans le poste qu'il occupe à la mairie centrale de l'Hôtel de Ville'. Jeudi 15 décembre. — Une vive canonnade, une ca¬ nonnade « bien nourrie », mieux « nourrie » que nous- mêmes, s'est fait entendre pendant toute l'après-midi sur différents points, au sud et à l'ouest. Tout le monde parle d'une grande sortie dans laquelle Vinoy, qui a succédé à Ducrot dans la faveur populaire, doit avoir le principal rôle. Les stratégistes du boulevard disent que M. Vinoy s'est caché dans des replis de ter¬ rain, sous le canon du Mont-Valérien, avec un maté¬ riel de ponts ; qu'il est là en attente et prêt à le jeter rapidement sur la Seine au moment opportun. 11 a avec lui, disent-ils, 100 000 hommes qui n'attendent que le signal convenu pour se jeter su r ies lignes prus¬ siennes peu épaisses entre Bezons et Chatou. — Il n'y a rien d'important à relater, si ce n'est une nou¬ velle proclamation du gouvernement. Elle a pour but t. Voir note XXV la proclamation aux habitants de Paris relative au rationnement. 15 254 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. de rassurer les plus timorés sur la question du ration¬ nement et de leur ùter leurs dernières appréhensions. On nous dit, pour la centième fois, que nous sommes un peuple héroïque dont on n'a jamais douté: seule¬ ment, et c'est la chose difficile à dire, nous ne devons pas être trop délicats et il faut nous faire à l'idée de manger du pain noir. Du pain noir ! mais c'est excellent! « les paysans ne mangent pas autre chose,» et j'ose dire qu'ils ne voudraient pas en manger d'au¬ tre, alors même qu'ils le pourraient. Ce pain qu'on nous donne doit être très sain pour la santé; il contient, il est vrai, lo p. 100 de son qui n'est pas tout à fait aussi nourrissant que la farine ; il y entre aussi, pour parfaire le poids, Dieu sait combien de poussière et de sable. Le gouvernement, en nous l'offrant, nous dit, avec un aplomb imperturbable, qu'il est un rempla¬ çant perfectionné du pain blanc de Paris. Quelle pré¬ caution et quelle délicatesse ne prend-on pas pour adoucir notre médecine ! J'ai rencontré dans l'après-midi un peloton de deux ou trois cents soldats sans armes qui appartenaient à une douzaine de régiments différents. Ils allaient au fort de Vineennes sous la conduite d'un lieutenant de gendarmerie. Ces soldats faisaientune halte sur le quai, à l'esplanade des Invalides, et un sergent loustic les avait fait ranger en escouades correspondantes aux numéros de leurs régiments ; leur tenue était sale et misérable à l'excès. Ils avaient l'air d'avoir perdu tout sentiment de honte et d'accepter avec beaucoup de philosophie leur dégradation publique. Un d'eux m'a expliqué qu'en temps ordinaire il aurait été puni de trois mois de prison, mais qu'aujourd'hui, à cause du siège, il en serait quitte pour passer quinze jours au fort de Yincennes. Je lui ai demandé ce qu'il avait fait pour mériter sa punition ; il m'a répondu en ter- ESPOIR QUAND MÊME mes assez vagues qu'il avait été surpris en train de boire avec des mobiles. Quelques-uns de ses camara¬ des, plus vieux que lui, avairnt entouré le sergent et faisaient leur possible pour obtenir, sous différents prétextes, l'autorisation d'aller seuls jusqu'au fort. L'homme, qui avait l'honneur de porter sur ses man¬ ches les galons de sergent, s'est contenté de se frotter les moustaches et de les regarder doucement avec un air d'incrédulité. J'ai remarqué que ces soldats, qui étaient tout simplement des déserteurs, faisaient pour le plus grand nombre partie de la réserve. Les hommes mobilisés parla loi du 10 août paraissent avoir contri¬ bué beaucoup à la démoralisation générale de l'armée. On peut bien enseigner aux jeunes recrues qu'elles doivent tirer quelque vanité de leur discipline militaire, mais on ne peut faire oublier aux vétérans, qui ont depuis plusieurs années repris les habitudes de la vie civile, le dégoût qu'ils ont pour la routine du métier et pour la tyrannie de la caserne. J'avais déjà ob¬ servé en juillet dernier que les soldats, précédemment envoyés en congé et qu'on venait de rappeler pour les verser dans les régiments réduits à leur plus simple expression, avaient peu l'esprit militaire. Je lis cette remarque un jour que j'étais resté pendant plusieurs heures dans la rue Saint-Dominique, en face de la porte du ministère de la Guerre, à regarder la foule de ceux qui y attendaient leur tour pour retirer leur feuille de route. Cette feuille de route n'était-elle pas pour eux le présage d'un voyage très désagréable et sans retour? En sortant du ministère, ils agitaient le fatal papier devant les yeux de leurs camarades et s'écriaient nerveusement: « C'est pour cette nuit! <> La vue de cespapiers rendaitleurs camarades toutsérieux. J'en ai entendu plusieurs exprimer de la sympathie pour les partants: « Ce pauvre Jean-Claude ! 11 était 256 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. revenu en congé dans son village, il avait fait son temps ou presque son temps, moins trois mois. Pou¬ vait-on seulement penser que cette malheureuse guerre éclaterait juste en ce moment, » etc., etc. Ils faisaient encore d'autres remarques du même genre; on les entendait très peu chanter la Marseillaise, et on les voyait encore moins donnerdes signes d'enthousiasme. Pleins de regrets pour leurs villages, où ils avaientdéjà goûté paravance le plaisir de se croire hors de l'atteinte de la conscription, ce Moloch1 des paysans français, ils faisaient pitié à voir dans leurs tuniques usées, portant leurs havresacs à moitié pleins et battant le pavé par deux ou par trois sans que personne s'occupât d'eux el leur fît bonaccueil.il fallait qu'ils perdissent beaucoup de temps au ministère de la Guerre, parce que les feuilles de route n'étaient pas délivrées en temps voulu. Avant de les avoir,il fallaitattendredeux ou trois jours et passer la nuit sur la pierre à la porte de l'hôtel de Son Excellence le maréchal Le Bœuf.De temps en temps, un bon Samaritain les conduisait chez le marchand de vin du coin pour noyer leur chagrin dans une pinte de « petit bleu ». Quant au ministère de la Guerre, il les laissait volontiers sur le pavé : ce qui, après tout, valait encore mieux pour eux que les profonds foss4s de Wœrth, de Spickeren et de Grave- lotte. Vendredi 16 décembre. — Je me suis longtemps pro¬ mené le long des quais avec Jules Andrieu, mon ancien ami de la salle de la Redoute, et, pendant toute la durée du siège, je n'ai jamais ressenti une émotion aussi grande qu'en écoutant ce qu'il m'a dit. Je désirais être fixé sur les réelles idées de son parti et sur la ligne de conduite, qu'il devait suivre après la défaite d'Orléans I. Moloch est un personnage de la Bible, un dieu des Philis¬ tins qui dévorait les jeunes gens. ESP.OIR QUAND MÊME! 257 et la sortie manquée de Ducrot du côté de la Marne. Je lui demandai s'il croyait au renversement du gou¬ vernement actuel. Il considère cette éventualité comme peu probable, et cela à cause de l'état d'impuissance auquel sont réduits Blanqui, Delescluze et Pyat, les trois têtes de la Révolution : « Blanqui est un homme d'un génie supérieur, mais le désaccord qui s'est élevé entre lui et le Quixotic révolutionnaire, Armand Barbés, a fait douter de son caractère. » Delescluze, me don- na-t-il à entendre, remplit très bien le rôle d'un second violon ; il spécule sur les actes d'hommes plus entre¬ prenants que lui. Mon ami fut moins explicite sur le compte de Pyat ; il prononça son nom avec une grande admiration, mais il est évident qu'il lui reconnaissait quelque défaut secret. Sa conversation peut se ré¬ sumer dans les termes suivants: «Nous sommes ar¬ rivés à un moment où l'action individuelle doit être subordonnée à l'action collective des groupes ; ceux-ci, au lieu de faire le siège du gouvernement de l'Hôtel de Ville, ferait mieux d'oublier qu'il existe et de faire eux-mêmes leurs propres affaires. Chaque maire, par exemple, pourrait prendre l'initiative dans son arron¬ dissement et s'entendre avec les maires des vingt autres arrondissements. Vous vous rappelez ce que je vous ai dit, il y a six ans, sur la nécessité qu'il y avait de créer une opposition dans le parlement et d'organiser des groupes républicains dans chaque arrondissement, afin qu'ils soient prêts à prendre la place de l'Empire le jour de ses dernières convulsions. La méfiance et la désorganisation sont la perte d'un parti ; nos clubs cherchent à mettre plus d'unité dans les résolutions qu'ils prennent, et ils gagnent chaque jour en nombre et en influence, tandis que les clubs libéraux consti¬ tutionnels, Valentino et les Folies-Bergère, ne sont plus que des lieux de rendez-vous à l'usage des agents de 258 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. police et des cocottes. Pour expliquer notre situation par rapport au gouvernement du I Septembre, il faut faire trois hypothèses : 1° Celle où le gouvernement aurait dissipé sans espérance les ressources du pays; dans ce cas, ilnenousreste plusqu'àémigrer. 2°Celle où le gouvernement n'aurait pas assez fait; c'est à nous à réparer ses omissions par une action indépendante de lui. 3" Celle où le gouvernement aurait fait tout ce qu'on pouvait faire ; dans l'un et l'autre cas, ce sé¬ rail erreur de vouloir le renverser. » C'est à mes ques¬ tions, souvent répétées, que je dus ces aveux; je leur dois aussi la révélation qu'il m'a faite sur la ma¬ nière dont le parti républicain avancé envisage notre situation désespérée. Je suis absolument convaincu que si, dans le moment présent, les chefs des révolu¬ tionnaires voulaient réellement prendre le pouvoir, ils trouveraient bientôt une occasion favorable pour renverser Jules Favre et ses incapables collègues. 11 n'y a aucun doute qu'ils se sont dit entre eux ces mots significatifs : « Il est trop tard. » Trop tard pour assumer la responsabilité du pouvoir,quand la famine frappe déjà aux portes de la ville et quand le dernier espoir des secours qui pourraient venir de la province s'est évanoui avec les armées de la Loire: les dernières dé¬ pêches de Gambetta disent qu'elles ont été séparées, c'est-à-dire « coupées en deux ». Le gouvernement, nous dit-on, a quitté Tours pour aller à Bordeaux, alin de ne pas « retarder les mouvements stratégi¬ ques1 ». 1. Le 15 au soir il est arrivé à Paris deux^ pigeons Qui ont aP~ porté les deux dépèches suivantes : 1" dépêche. Tours, il dtVembm 1870. Ciambftta à Trochu. Vos dépêches nous sont parvenues. Elles ont provoqué l'admiration ESPOIR QUAND MEME! 259 Samedi 11 décembre. — La Vérité1, qui, pendant ce dernier mois, a assez augmenté le nombre de ses lec¬ teurs pour pouvoir paraître dans le grand format, commence à parler ouvertement de reddition (négo- pour la grandeur des efforts de l'année et des citoyens. Nous nous as¬ socions à vos vues et nous les servirons. Orléans a été évacué devant les masses de l'armée de Frédéric- Charles. Nous avons dû reprendre sur notre gauche avec le 16e, le 17e, le 21e et la moitié du 19e corps en formation, les positions que nous avons occupées avant la reprise d'Orléans, le général Chanzy comman¬ dant toutes ces forces réunies. Le 15H corps commandant des Pallières, est prêt à se porter à droite ou à gauche, selon les exigences de l'action. Bourbaki commande le 18e et le 20l" corps auxquels on envoie inces¬ samment des renforts considérables pour couvrir Bourges et Nevers, Nous sommes donc exactement dans les vues de votre dépêche du jeudi 20 novembre. A la suite de l'évacuation d'Amiens, l'ennemi a marché sur Rouen qu'il menace d'occuper aujourd'hui ou demain. Le général Faidherbe, qui a remplacé Bourbaki dans le nord, est eu action. Les Prussiens ont levé le siège de Montmédy et de Mézières. Ils sont vigoureusement tenus en échec par Garibaldi entre Autuu et Dijon. GAMBETTA. 2e dépêche. Tours, le» 11 décembre 1870, midi. (ramhetta à Trochu ft à Jules J'avre. Je vous écris tous les jours, mais le temps est si contraire. Nous sommes également sans nouvelles depuis le 6. Les choses sont moins graves que ne le répandent les Prussiens à vos avant-postes. Après l'évacuation d'Orléans, l'armée de la Loire a été divisée en deux parties, l'une sous le commandement de Chanzy, l'autre de Bourbaki. Le premier tient avec un courage et une ténacité indomptables contre l'armée de Mecklembourg et de Frédéric-Charles, depuis six jours, sans perdre un pouce de terrain entre Josnes et Beaugency. Les Prussiens tentent un mouvement tournant par la Sologne, Bourbaki s'est retiré sur Bourges et Nevers. Le gouvernement s'est transporté à Bordeaux pour ne pas gêner les mouvements stratégiques des armées. Faidherbe opère dans le Nord, et Manteuffel a rebroussé chemin de H on fleur vers Paris. Nous tenons ferme; l'armée, malgré sa retraite, est intacte, et n'a besoin que de quelques jours de repos. Les mobilisés sont prêts et entrent en ligne sur plusieurs points. Bressolles, à Lyon, se dispose à se jeter avec 30 000 hommes dans l'Est, appuyé sur les forces de Garibaldi et les gar¬ nisons de Langres et de Besançon. Je suis à Tours, et je me rends dans une heure à Bourges pour voir Bourbaki. La France entière applaudit à la réponse que vous avez faite au piège de Moltke. Saints fraternels. l. gambetta. 1. La Vérité est un journal républicain. 2G0 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ciation est le mot qu'on emploie); elle laisse entrevoir que notre provision de farine tire à sa fin. Mais la po¬ pulation persiste à croire que nous en avons encore assez pour faire du pain pendant trois ou quatre mois. Chez Mme la comtesse D...s, dont le salon est un des principaux centres du parti orléaniste, on affirme po¬ sitivement (cette affirmation est donnée sous le cou¬ vert d'un grand personnage, qui ne serait autre que Trochu lui-même), que nous aurons du pain jusqu'au 15 février et même jusqu'au mois de mars. J'ai de¬ mandé à la cousine de la comtesse, Mme S..., pourquoi le gouvernement, s'il était réellement persuadé de la chose, ne l'affichait pas dans toute la ville, et ne le pu¬ bliait pas dans tous les journaux : « Oh! il ne faut pas le publier, m'a-t-elle répondu, la population serait dé¬ couragée si elle savait qu'elle aura à supporter un siège aussi long. » Il y a peut-être quelque chose de juste dans cette remarque. Le docteur Alan Herbert1 trouve que le siège est « très monotone » et il m'assure qu'il ne serait pas resté à Paris s'il avait pensé que le siège fût aussi in¬ signifiant. « Quoi, m'a-t-il dit, nous n'aurons rien autre chose à dire, quand nous rentrerons en Angleterre, si ce n'est que nous avons manqué de biftecks! Je crois que nous serons bombardés, mais vous verrez qu'il n'y aura pas un seul obus dont nous puissions racon¬ ter les peccadilles. » Il est étonné de voir la population opposer à l'ennui une résistance aussi passive. L'Eu¬ rope ne s'était pas attendue à la voir endurer les fa¬ tigues et les privations avec une semblable tranquil¬ lité. 11 est vrai qu'on n'a jamais pu bien comprendre les Parisiens, quand on n'a pas vécu au milieu d'eux. 1. Le docteur Herbert est un docteur anglais de grand talent qui a depuis longtemps fixé sa résidence à Paris, où il exerce sa profession avec un grand succès. ESPOIR QUAND MÊME! 261 Leur caractère est trop subtil, trop complexe, trop féminin, en un mot, pour qu'on puisse l'expliquer par les grandes généralités, tirées de leur histoire. 11 faut l'étudier, le juger en prenant les faits, heure par heure, tout comme on fait quand on veut juger le ca¬ ractère changeant des femmes. Il est fait d'un mélange de faiblesse, de mauvaise humeur, de caprices, com¬ biné avec de l'héroïsme intermittent; tous sentiments qui, chez la femme, sont le produit de sa trop grande impressionnalité. M. Henri de Pêne, le journaliste bien connu, avait, avant le commencement du siège, posé la question ainsi ; « Si Paris doit se rendre, Paris sera ridicule. » Le mot « ridicule » est un mot qui déplaît autant à Paris qu'il a toujours déplu aux femmes. Les forts et l'énergie morale de leurs commandants ont sauvé l'honneur de Paris dans la malheureuse jour¬ née de Châtillon. Le fameux proverbe : « Il n'y a que le premier pas qui coûte », s'est trouvé une fois en¬ core justifié. L'événement passé, Paris est revenu de sa panique; il s'est réconforté au souvenir de son cou¬ rage traditionnel et s'est prompteinent trouvé en état de supporter le siège. Son amour pour la gloire lui a donné, à partir de ce moment, assez de force pour faire ce qu'il devait faire. Il a compris qu'il était, une fois encore, redevenu le centre des préoccupations du monde. Ses poètes, ses artistes et ses grands hommes se sont efforcés, à l'envi l'un de l'autre, de caresser les fibres les plus délicates de sa vanité. Paris a fait fête aux marins qui occupaient les forts; aux canons Joséphine, Marianne, Valérie, qui grondaient du haut du Mont-Valérien. Ces canons étaient pour les Pari¬ siens ce que sont pour les femmes ces gros bull-dogs, doués d'une grande force, auprès desquels leur fai¬ blesse cherche une protection dans les moments de 15. 262 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. danger. Abrité derrière eux, Paris se remettait de ses peurs, qui le faisaient s'évanouir, de ses froids accès de découragement et de ses caprices enfiévrés. Après chaque défaillance, sa ténacité féminine reprenait le dessus et il avait alors un nouvel élan d'héroïsme. D'un autre côté, en prenant des mesures empreintes d'esprit socialiste, on avait beaucoup diminué les effets que la famine et les privations pouvaient produire sur la population. Les principales de ces mesures étaient : la distribution d'un subside aux ouvriers; l'introduc¬ tion d'un tarif maximum qui fixait le prix du pain, puis le rationnement de la viande. Le riche se trou¬ vait ainsi soumis au même régime que le pauvre. Les queues, les rations réduites à de petites proportions, la faim, la mort, sont, il faut bien l'avouer, d'étranges propagateurs pour l'idée républicaine, sans compter que l'idée du nivellement social, qui est instinctive chez le peuple, n'a à aucune époque été aussi com¬ plètement réalisée que pendant le siège. Vous, aristos, qui n'avez pas traversé l'eau, réjouissez-vous, comme nous, de l'once de viande qu'on vous accorde et qui est fournie par vos chevaux de carrosse réquisition¬ nés' ; prenez votre fusil ou votre concierge vous dénon¬ cera; prenez place dans les rangs et obéissez à l'ordre de votre capitaine; c'est lui qui a fait les bottes avec lesquelles vous marchez. Et toi, « Polyte » de Belle- ville, tout comme ton frère jumeau « Guguste » de Montmartre, fais le fier dans les rues; fais-toi le sau¬ veur et le régénérateur du genre humain ; marche au son du tambour et des trompettes; chante jusqu'à t'enrouer « Mourir pour la patrie ». Chaque jour est pour toi un jour de fête ; tu fais le lundi pendant toute la semaine en régalant tes camarades; tu leur offres 1. Voir note XV le décret qui ordonne la réquisition des che¬ vaux, ânes et mulets. KSPOIR QUAND MÊME! 263 trop de punch lorsque le devoir les appelle aux avant- postes, et tu t'offres à toi-même trop de glorias et d'absinthes après les travaux nocturnes du club. C'est le « sésame » de Polyte et de Guguste dans les grandes circonstances. —« Sésame » à l'Hôtel de Ville, quand Polyte frappe à la porte de Jules Favre et de Trochu et leur fait signifier ce qui est son bon plaisir par des délégués de son choix. Debout! paresseux et « fei¬ gnants », traîtres et Badinguets du Louvre, agissez vous-mêmes et prenez garde que nous ne vous for¬ cions à agir. Oh! c'est une excellente et puissante chose que de sentir qu'on est le centre de l'univers. Il est vrai cependant qu'il y a encore assez d'aristos et de traîtres pour qu'on reconnaisse que les théâtres et les cafés font absolument défaut. Les théâtres ont été rouverts les uns après les autres sous prétexte da charité, et les cafés, fermés par l'ordre de M. de Ké- ratry à dix heures et demie du soir, sont maintenant ouverts jusqu'à minuit. Le club politique est ù l'occa¬ sion un lieu d'amusement; il est tout au moins un lieu où les personnes, privées de leurs familles et n'ayant pas assez d'argent pour se donner le luxe d'aller au café, peuvent venir passer convenablement des soirées qui sont longues et tristes. En temps de paix, les salles de lecture de la Sorbonne et les cabi¬ nets de lecture publics sont, pendant l'hiver, la pro¬ vidence de la bohème ; aujourd'hui, elle se réfugie en foule dans les casinos, à Valentino et aux Folies- Bergère. A propos de club, je sors à l'inslant d'une réunion tenue dans la « salle de la Redoute », située rue Jean- Jacques-Rousseau. Ce club est présidé par un ardent révolutionnaire; le gouvernement y est tous les soirs fort maltraité. Le citoyen Gaillard, le vaillant cordon¬ nier, qui a provoqué Paul de Gassagnac à un duel à 2fi4 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. mort, a ouvert la séance par un discours plein d'at¬ taques contre le gouvernement. Il s'est fièrement croisé les bras sur la poitrine et a commencé à parler en ces termes : « Citoyens, le gouvernement vous trahit. Combien de fois ne nous a-t-on pas dit qu'il fallait attendre patiemment que les lignes prussiennes soient forcées ! Nous avons attendu. Quelle a été notre récompense? La voici : le pays a été dévasté dans un périmètre de quarante lieues autour de la ville et la trouée promise est devenue impraticable. Dans le cas même où l'armée réussirait à percer les lignes enne¬ mies, elle serait inévitablement affamée dans le désert prussien qui entoure nos murailles. Citoyens! ne vous apercevez-vous donc pas enfin que le gouverne¬ ment vous conduit, tout simplement et peu à peu, à la capitulation et à la honte ?» 11 a continué à parler sur ce ton pendant un quart d'heure ; puis, après avoir terminé son discours par une péroraison accompa¬ gnée d'un coup de poing capable d'ébranler la maison, il est descendu de la tribune et est allé reprendre sa place sur la plate-forme, au milieu de ses partisans. Celui qui lui a succédé à la tribune avait une démarche lente et timide ; il portait des lunettes. A première vue, son geste et sa tenue pouvaient le faire prendre pour un défenseur de l'Hôtel de Ville. C'était le citoyen Casimir Henricy; il faisait l'effet d'un loup, quand il était au milieu des agneaux des « Folies-Bergère», qu'il présidait habituellement; mais il avait l'air d'un agneau, quand il venait chez les loups de la salle « de la Redoute ». 11 paraissait réunir en sa personne toutes les misères humaines et être le souffre-douleur de ses semblables ; de plus, il était enroué, et sa voix s'éraillait dans les notes soprano aigu qu'il s'efforçait de donner pour dominer le bruit, qui se faisait dans l'assemblée. Son discours a été une défense de Trochu, ESPOIR QUAND MÊME! 265 mais une défense si exagérée, qu'elle couvrit de ridi¬ cule le malheureux gouverneur de Paris. Puisse Dieu le protéger contre ses amis 1 La seule énonciation de son nom provoquait dans l'assemblée des manifesta¬ tions ironiques ; les femmes, fidèles à l'instinct de leur sexe, qui les rend plus inflexibles que les hommes, se montraient particulièrement indignées et laissaient éclater toute leur colère. Quelques-uns des discours, qu'on a entendus dans cette réunion,étaient réellement bien faits. Ils pous¬ saient le peuple à une politique de résistance déses¬ pérée. Us ont été applaudis avec enthousiasme par l'assemblée, dont les passions semblaient être adou¬ cies par l'éloquence. A la fin de la séance, un inventeur est monté à la tribune en portant une bombe de son invention. Cet inventeur était un homme petit, au regard brillant comme celui d'un furet et à la barbe longue comme celle d'un sorcier. La bombe était un cylindre de 18 pouces, divisé en sept compartiments. Ce cylindre avait une grande ressemblance avec le saucisson de Pologne, qui est recouvert de papier d'argent, ou avec un câble transatlantique. L'inventeur maniait cette bombe avec passion; il la tournait et la retournait dans tous les sens, sur la table, pour en montrer toutes les beautés. Cette vue produisait un involontaire frisson dans la foule et les gardes nationaux se ca- chaientderrière leurs bancs : « Si elle allait éclater ! » disaient-ils. L'inventeur a expliqué que cette bombe faisait explosion comme un pétard en touchant le sol ; que, lancée dans l'espace, elle bourdonnait en tournant à droite et à gauche à deux pieds au-dessus du sol et en faisant de nombreux zigzags; il dit enfin qu'elle pouvait certainement aller trouver les Prussiens dans leurs cachettes et les faucher comme du foin. C'est un 266 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. engin qui peut nous délivrer de l'ennemi promptement et à bon marché. Quelqu'un demande à l'inventeur comment lui et son invention ont été reçus à l'Hôtel de Ville. « Ils m'ont dit : « Allez faire vos expériences « à Vincennes. » J'ai été à Vincennes et j'y ai trouvé les emplacements convenables toujours occupés par quel¬ qu'un ou par quelque chose. C'est en me disant : « Revenez un autrejour » que les patriotes m'ont ren¬ voyé. Aussi je propose à la ligue républicaine de faire une souscription d'un billet de mille francs pour me permettre de faire mes expériences. Pour les faire, il me faut cette somme. Les expériences une fois faites, nous porterons notre bombe au gouvernement et nous lui poserons la question suivante : «Désirez-vous fau- « cher les Prussiens?répondez,oui ou non. » Et s'ils ne répondent pas, pourquoi ne les faucherions-nous pas eux-mêmes?... » Ah ! ah ! et il riait de son mot spirituel. Le président a accepté le baby au nom de la ligue, qui a consenti à être sa nourrice. 11 a demandé au père de lui donner un nom. « Bien, » dit l'inventeur en se grattant la tête; «eh bien! il faut l'appeler le fau¬ cheur. » Oui! oui! le faucheur! Une grande émotion a été produite dans la réunion par le discours d'un citoyen qui est venu nous expli¬ quer les mystères d'un complot habilement tramé. Les Jésuites auraient pris à leur solde Trochu et tous les généraux. Tout ce qui se fait ici et en province se¬ rait fait en vue de la capitulation. La République sera prise entre les Prussiens et la réaction, et les Jésuites rétabliront la monarchie. « 11 n'y a pas de doute que nous ne réussissions à défendre Paris, nous y sommes déterminés. Mais vous ne connaissez pas les Jésuites; ils tireront profit même de nos succès. Si nous tenons ferme ici jusqu'à ce que la province vienne à notre secours, vous devez comprendre que les ruraux nous ESPOIR QUAND MÊME! 2G7 imposeront leur volonté et Kératry nous ramènera un roi. Je dis donc qu'il faut que Paris ne doive sa délivrance qu'à lui-même sans avoir recours à per¬ sonne. » La séance a été levée après cette harangue et nous sommes tous partis pour aller chez nous avec la séré¬ nité et la bonne humeur qu'on rencontre ordinaire¬ ment chez les Français qui ont entendu de beaux dis¬ cours. Les ouvriers ont entouré mon ami Andrieu et l'ont félicité de son discours qui était l'événement de la soirée. L'un d'eux m'a fait la confidence que l'ora¬ teur réussissait beaucoup mieux dans la salle de la Redoute que partout ailleurs : « J'ai été, me dit-il, dans plus d'une réunion publique et je n'ai trouvé nulle part un orateur, qui connaisse mieux son pu¬ blic. J'aimerais tout de même savoir ce que le gou¬ vernement pense de toutes ces discussions : il faut qu'il ait un fameux coton dans les oreilles pour ne pas les entendre. » En rentrant chez moi, je me suis arrêté au café de Madrid; j'y ai trouvé beaucoup de mes amis qui dis¬ cutaient le manifeste républicain de Ledru-Rollin. Ils portaient l'uniforme des bataillons de guerre et avaient une ceinture de flanelle rouge passée autour des reins. Ils attendaient des ordres pour aller le len¬ demain du côté du Bourget, où on devait livrer une bataille. Le siège n'était évidemment dans leur exis¬ tence qu'un accident : la guerre, d'ailleurs, n'est elle-même qu'un épisode dans l'histoire de Paris assiégé. Bloqués comme ils le sont par les canons prussiens, ils sont tout préoccupés de la revision du catéchisme de la politique républicaine. Le vrai drame se joue donc à l'intérieur avec accompagnement de la musique des forts. Pendant qu'ils discutaient entre eux, on est venu du boulevard leur apporter les der- 268 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. niers on dit : 15 000 Prussiens auraient été faits prisonniers. La nouvelle n'est pas encore confirmée : mais ça se dit sur le boulevard. C'est le cordial que nous prenons ordinairement le soir avant d'aller nous coucher; c'est le verre d'eau sucrée qui, pris avant de nous endormir, nous prometoine bonne nuit; c'est le coton avec lequel nous bouchons nos oreilles pour ne pas entendre les bruits désagréables; c'est le bon¬ net de nuit de nos illusions. Bonsoir, Paris, et puis¬ sent les armées de Sennachérib s'évanouir le matin, tout comme les rêves de la nuit! CHAPITRE IX NOEL Mardi soir 20 décembre. — J'ai dîné ce soir au restaurant. C'est la première fois depuis le siège. J'ai été avec mon ami, l'avocat L..., au café Gaillon situé dans les environs de la rue de la Paix. Personne au¬ jourd'hui ne fait plus mystère de ce qu'il mange. Je dirai sans aucun scrupule que notre repas se composait d'une assiettée de soupe, d'une tranche de roast-beef, entourée de pommes de terre frites, d'une friture de goujons — quatre goujons pour chacun de nous — plus un plat de haricots. Pour dessert nous avons eu des abricots conservés et du café. Le bœuf, qui nous a été servi, était si bon que je suis resté 'convaincu que c'était du mulet, mais Germain « a juré sur les cen¬ dres de tout ce qu'il avait de plus cher » que c'était bien du bœuf. Mon ami m'a assuré qu'il y avait des moyens, plus ou moins légitimes, de se procurer cette viande introuvable et que lui-même en possédait, chez lui, une provision suffisante pour une semaine. La salle a tout à fait l'apparence des restaurants an¬ glais : chacun y occupe une table à part et il règne un 270 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. grand silence dans tout l'établissement comme dans les dining-rooms en Angleterre. Si vous voulez avoir une notion exacte de l'aspect réel de Paris pendant le siège, il faut vous imaginer que Paris était, à cette époque, presque aussi triste que Londres l'est ordinai¬ rement. Pendant que nous dînions, un monsieur de la vieille école est entré dans le restaurant. Il est venu se mettre à table auprès de nous, malgré l'avis cha¬ ritable de mon ami qui le prévenait qu'à cette place il pourrait prendre froid. Ce monsieur est une véritable scie, me dit M. L.... Il s'est adressé à nous et nous a presque aussitôt gratifiés d'une longue tirade sur les vols et les exactions des Prussiens. Cette tirade était évidemment un plagiat de la circulaire diplomatique du comte de Chaudordy. Il nous a dit aussi que le gouvernement avait le projet de proposer un plé¬ biscite et de soumettre au vote du peuple la question de la continuation de la défense. Je ne parlerais pas de ce propos s'il ne coïncidait avec ce qui se disait la nuit dernière, dans plusieurs clubs, à propos de cer¬ tains bulletins de vote qu'on aurait déjà préparés à l'Imprimerie nationale. Pendant ces derniers jours, beaucoup de personnes ont demandé la capitulation; on l'avait déjà réclamée dans la première quinzaine de novembre, mais on la demandait avec discrétion en disant que ce serait un acte de sagesse. M. L..., par exemple, croit que les Prussiens se montreraient plus raisonnables dans leurs prétentions si, pour satisfaire leur amour-propre mili¬ taire, on leur accordait l'entrée dans Paris. Il n'y a que des personnes riches quipeuvent exprimer dépareilles idées. Elles voudraient retrouver l'oreiller de sybarite sur lequel leur génération a follement espéré de passer les courtes heures de l'existence. .Mais pour les pauvres, ce serait retomber dans la misère, dans la détresse ; NOEL. 271 ce serait, en un mot, retomber sous la loi du travail manuel dont le siège les a affranchis. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, après avoir goûté du régime de Yulopie et s'être habitués aux idées héroïques, ils veuillentretarderle moment où ils devront se remettre au travail de chaque jour. C'est sans aucun doute la part qui leur revient dans tout système d'économie politique établi avecjustice. Nous parlions, mon ami et moi, de la douceur vraiment admirable avec laquelle le peuple supportait toutes les épreuves auxquelles il était soumis. « Je crains, observa mon ami, que tout cela finisse par un grand bouleversement. Les Parisiens ont toujours une manière de faire qui surprend et étonne. Plus ils ont été modérés jusqu'à ce jour, plus nous devons craindre l'éclosion de leur colère quand le moment sera venu. » Je vois qu'on nous plaint beaucoup en Angleterre parce que nous mangeons des salmis de rais; ce n'est là qu'une simple plaisanterie qui ne donne pas une juste idée de nos réelles misères. Jetez un regard scrutateur sur les familles qui ont une tenue modeste et savent conserver leur dignité dans la pauvreté, puis consultez les listes de décès; celles-ci révèlent leurs secrets : on y trouve cent cas de pneu¬ monie — c'est ainsi que disent les médecins — qui sont causés par le stationnement fait dans les queues devant les portes des cantines municipales. Aujour¬ d'hui, M. L... a aperçu dans une cour deux dames bien cachées sous leurs voiles; elles cbantaienl, et allaient ainsi chanter de cour en cour pour deux sous. On ne connaîtra jamais le nombre de tous ceux qui souffrent et meurent sans rien dire, mais on s'apitoiera sur le menu d'un dîner aux rats fait par un corres¬ pondant de journal, dîner qu'il mangera gaîment dans la compagnie d'une demi-douzaine de célébrités. Le temps du siège est pour quelques personnes un temps 272 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. fort gai : le champagne n'a pas tourné au bruit de la canonnade perpétuelle ; les cocottes n'ont pas perdu leur goût particulier pour les soupers et pour le can¬ can; elles tiennent bon jusqu'aux heures matinales du lever de l'aurore, moment où Sardanapale galope vers les avant-postes et d'où il revient, le soir, avec la cuisse brisée par une bombe. Nos dames galantes ne sont pas exclusives dans les faveurs qu'elles accordent. Le comte de Solms, premier secrétaire de l'ambas¬ sade de Prusse, est entré dans Paris ; il y est venu sous un déguisement,et pour cause,et il a entretenu une cor¬ respondance suivie à travers les lignes avec M"® F... de l'Opéra1. Il est resté à Paris, dans les hôtels du fau¬ bourg Saint-Germain et dans quelques boudoirs du quartier Bréda, beaucoup trop de femmes pour que le général Trochu et son état-major puissent garder longtemps leurs secrets. Demain on doit faire une sortie dans la direction du Bourget8 : un officier d'état- major l'a annoncé en confidence à sa femme : et ce que femme sait, le monde ne tarde pas à l'apprendre. J'ai vu sur les boulevards, vers minuit, les restes des grandes libations auxquelles les bataillons de guerre s'étaient livrés pour se préparer à aller au feu. Un élève de l'Université d'Oxford, en passant près du café Riche, aurait pu se croire dans High Street un soir de grande orgie, ou encore à Haymarket, après les courses de l'Université. Pendant que j'étais là, une 1. Le fait indiqué ici par l'auteur n'est pas prouvé; il est pro¬ bable qu'il l'a entendu raconter par quelque lanceur de fausses nouvelles. 2. On lit dans le Journal officiel du 20 décembre : Le gouverneur est parti ce soir pour se mettre à la tête de l'armée, des opérations de guerre importantes devant commencer demain?) décembre, au point du jour. Tous les mouvements de troupes se sont exécutés avec la plus grande régularité, et, à l'heure qu'il est, il y a plus de cent bataillons de la garde mobilisée en dehors de Paris. 20 décembre, 11 h. du soir. NOEL. 273 longue file de voitures d'ambulances, ornées de la sinistre croix rouge, remontait la rue du Faubourg- Montmartre. On cache aux troupes, autant qu'on le peut, ce vilain côté du tableau. Mercredi matin 21 décembre. — La vive canonnade, que j'entends dans la direction du Mont-Yalérien, m'indique que nous faisons une nouvelle sortie. — La sortie a été officiellement annoncée par la fermeture des portes. Elle a eu lieu lundi dernier1. Son objectif, selon Mmc X*", serait la prise du village du Bourget. A en juger d'après le bruit du canon que le vent apporte, la bataille doit être engagée sur un vaste pé¬ rimètre, du Mont-Valérien à l'ouest jusqu'à Nogent à l'est. 11 est difficile de supposer que les généraux prus¬ siens, s'ils ont de bons espions, ne sachent pas exac¬ tement le point sur lequel l'attaque doit avoir lieu. Ces sorties sont faites simplement pour amuser les Parisiens; le temps passe ainsi en attendant que les diplomates interviennent, comme des témoins dans un duel, et disent cette phrase : « Maintenant, Mes¬ sieurs, vous pouvez remettre l'épée au fourreau; n'avez-vous donc pas assez combattu pour que l'hon¬ neur soit satisfait? » Quant à moi, il m'est impossible de ne pas croire que notre capitulation ne devienne un pendant à Dona Julia2, qui... « disant qu'elle ne consentira jamais, finit par consentir », Saying Ihe would ne'er cousent, consented. Jeudi soir 22 décembre. — Le froid est très grand et 1. Le 18 décembre, on a affiché l'avis suivant sur tous les murs de Paris : A partit' de demain. 19 décembre, à midi, toutes les portes de Paris seront fermées. Le gouverneur de Paris. Paris, 18 décembre 1870. 2. Dona Julia est un personnage du Don Juan, de Byron. 274 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. je préfère rester au lit; j'ai d'ailleurs, pour cela, une bonne raison, c'est que j'ai très peu de combustible pour me chauffer. J'aime mieux aussi oublier le siège en lisant, dans mon lit, Y Histoire de la Révolution de M. Thiers. Le général Schmitz s'efforce de justifier l'insuccès « de la sortie » d'hier, et Jules Pavre écrit un mot pour faire l'éloge de nos canons. Ce sont bien « nos canons », en vérité, car nous les avons achetés avec nos gros sous, et ils sont si élégants, si brillants, que nous aurions, je pense, quelque peine à les aban¬ donner ! Il paraît, s'il faut croire tout ce qu'on dit, que les mauvaises nouvelles reçues du Bourget ont causé une grande émotion dans la ville'. L'impres¬ sion de tous est que les choses vont tout de travers I. Rapport militaire publié dans le Journal officiel du 22 dé¬ cembre 1870 : Ce 22 décembre, 3 h. J/2. Conformément à vos ordres, nous avons attaqué le Bourget, ce matin. Le bataillon des marins et le 138e, sous l'énergique direction du capi¬ taine de frégate Lamothe-Tenet, ont enlevé la partie nord du village, en même temps qu'une attaque vigoureusement menée par le généra Lavoignet, dans la partie sud, se voyait arrêtée, malgré ses efforts, par de fortes barricades et des murs crénelés qui l'empêchaient de dépasser les premières maisons dont on s'était emparé. Pendant près de trois heures, les troupes se sont maintenues dans le nord du Bourget, jusqu'au delà de l'église ; luttant pour conquérir les maisons une à une, sous les feux tirés des caves et des fenêtres et sous une grêle de projectiles, elles ont dû se retirer; leur retraite s'est faite avec calme. Simultanément une diversion importante était effectuée par les 10e, 12*, 13e et IIe bataillons des gardes mobiles de la Seine et une partie du 62e de la garde nationale mobilisée de Saint-Denis sous le commandement du colonel Dautremon. Enfin, au même moment, le 68e bataillon de la garde nationale mobi¬ lisée de Saint-Denis se présentait devant Épinay, tandis que les deux batteries flottantes numéros 1 et 4 canonnaient le village, ainsi qu'Orge- mont et le Cygne d'Enghien, qui ripostaient vigoureusement. Nos pertes sont sérieuses, surtout parmi le 13 4° et le 138°. Bien que notre but n'ait pas été atteint, je ne saurais assez louer la vaillante énergie dont nos troupes ont fait preuve. Cent prisonniers prussiens ont été ramenés du Bourget. Le vice-amiral commandant en chef an gouverneur de Paris, DE LA ROKC1ÈRE. Fort d'Aubcrvilliers. NOEL. 27a au quartier général. Trochu est dans un grand abat¬ tement depuis les combats malheureux d'Orléans et de Champigny. Ducrot, lui aussi, depuis le fatal en¬ gagement qu'il a pris le 28 novembre, paraît, à tous ceux qui l'approchent, « comme sous le coup d'un arrêt de mort » ; son esprit est hanté d'une idée fixe qui paralyse ses facultés. Il sent qu'il a perdu tout l'ascendant moral qu'il avait acquis à un si grand prix : un général de division a pu lui dire en face « que sa plume était plus longue que son épée». Dans l'armée, l'esprit de discipline est ébranlé; les dissen¬ sions de ses chefs en sont la cause. Hier, les mobiles delàGôte-d'Or ont refusé de marcher ; ils demandaient pour qui ils allaient se battre, si c'était pour la Répu¬ blique ou pour la Commune? Les officiers doivent traiter ces mobiles avec beaucoup de ménagement; ils leur ont donné leur parole que leur régiment ne serait pas engagé sur la première ligne, mais qu'il serait placé à l'arrière-garde comme réserve. Le cri de : « Vive la Commune ! » s'est do nouveau fait en¬ tendre dans certains quartiers de la ville, et si je suis exactement renseigné, ce cri aurait été poussé devant le Théâtre-Français, près du Palais-Royal. Vendredi soir 23 décembre. — Aujourd'hui, honteux de mon indolence, j'ai pris « mon courage à deux mains », comme on dit à Paris, et j'ai gravi les hau¬ teurs de Montmartre en prenant par la rue Lepic. C'est une rue sinueuse et escarpée dans laquelle des trous pleins d'eau gelée forment de véritables petits glaciers. Du sommet de la colline, près de la place Saint-Pierre, j'ai pu jouir d'une vue magnifique sur les environs de Paris, du coté nord-est : à ma gauche, Saint-Denis avec ses forts, qui émergent du pays inondé par la Crould ; en face de moi, le fatal Bourget, — un long mur blanc avec des arbres plantés devant ; 276 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. derrière eux, quelques lignes en zigzags, qui doivent être les toits des maisons. — Plus loin encore, et surla gauche, le village de Dugny, une masse noire, émaillée de quelques points blancs. Au delà de ces pays, il n'y a qu'une plaine toute nue dont le grand angle sem¬ blait^ mon œil peu militaire, fait tout exprès pour nous ouvrir toutes grandes les portes de la délivrance. Cet angle est situé entre les hauteurs de Saint-Denis, à ma gauche, et celles de Bondy, à ma droite. Mais, dans cet espace, il y avait le Bourget, l'obstiné Bourget. Était-ce donc pour cette raison que les avant-gardes, placées çà et là sur le chemin de fer de Soissons et le fort de l'Est, ouvrage en terre placé en avant d'Auber- villiers et du Drancy, lançaient des volées de coups de fusil et de bombes sur ce village sacrifié, qui res¬ tait muet et impassible, comme si son sort lui eût été indifférent? La foule, venue pour voir ce spectacle, suivait avec passion l'effet produit par chaque coup de canon ; elle exprimait toutes sortes de théories sur les tranchées, la sape et l'assaut : « Enfin, dit un cri¬ tique, en se frottant les mains, nos généraux ont com¬ pris ce qu'il faut faire. Us vont prendre les positions des Prussiens l'une après l'autre, en faisant un siège régulier pour chacune d'elles ; c'est ainsi qu'ils au¬ raient dû procéder depuis longtemps. Cependant, tout est bien qui finit bien. Ils ont fini par où ils devaient commencer, et nous avons assez de pain et de poudre pour leur donner le temps de terminer l'œuvre com¬ mencée. » Les lorgnettes passaient volontiers de mains en mains pour que chacun pût suivre les mouvements des masses mystérieuses, qu'on voyait à l'arrière- garde de l'armée du Bourget. La conversation est libre et sans contrainte. On ne fait pas de cérémonie avec ceux qu'on ne connaît pas ; il n'est nullement nécessaire de se faire présenter pour se mêler à un NOEL. 277 groupe quelconque de Parisiens. Cela est surtout vrai dans les circonstances présentes, alors que chacun reconnaît un ami dans son voisin. Il s'est, en effet, établi entre nous une espèce d'intimité de quaran¬ taine; elle est provoquée par le blocus et par le mal¬ heur. Quel soulagement pour ceux qui ont à supporter les souffrances d'un siège, d'être enfermés au milieu d'une compagnie aussi sociable ! Ainsi, ces « Athé¬ niens » passent l'après-midi, sur les froides hauteurs de MontmarLre, à causer agréablement entre eux, et ce passe-temps rend pour un moment les horreurs et les misères de celte anxieuse existence supportables à des êtres humains civilisés. — Cela leur permet de se mettre it la poursuite de leurs papillonnantes espé¬ rances et de tisser la toile enchantée de leurs illusions. 11 se faisait un grand vacarme sur la place Saint- Pierre. Les citoyens-soldats s'étaient déshonorés à Avron, et les viragos de Montmartre faisaient aux fuyards un accueil si chaleureux que c'était presque à leur faire désirer de rentrer ainsi sous le feu des batteries saxonnes. Samedi 2i décembre. —Trahison au Mont-Valérien. 11 paraîtrait qu'on a découvert au fort qu'un médecin français était en correspondance régulière avec l'en¬ nemi. Je le tiens de bonne source. Ce n'est pas la pre¬ mière trahison que j'aie entendue garantir comme cer¬ taine. Un de mes amis du 50e bataillon des mobiles de Paris, caserné à Issy, m'a dit que, pendant les pre¬ miers jours du siège, on a trouvé sur les bastions du fort des canons encloués et qu'ils l'avaient été pendant la nuit. On a eu grand soin de tenir la chose cachée dans la crainte, à ce moment critique, d'alarmer l'esprit public. Mais on a exercé une grande surveil¬ lance sur les israélites, qui faisaient partie du bataillon, et sur les maçons employés aux travaux des bastions. 16 278 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Dimanche io décembre. — C'est aujourd'hui Noël; nous reconnaissons que ce jour a été un heureux jour de l'été, si toutefois bonheur veut dire : tranquillité et contentement résigné. Nous sommes, en effet, en plein dans la résignation. On a peu de motifs pour se réjouir, quand le thermomètre marque 10 degrés au- dessous de zéro et quand le vent soulève dans les rues un tourbillon de poussière qui vous prend à la gorge. Le général Schmitz parle peu de la guerre dans ses rapports; il se contente de nous informer exactement de l'état de la température qui ne permet pas de tra¬ vailler dans les tranchées. Quant aux Prussiens, je suppose qu'ils se bornent à monter la garde et qu'ils laissent au fold-inaréchal la Gelée le soin de travailler pour eux. La modeste petite église anglicane de l'avenue Mar- heuf a pris pour la fôte de Noël les mômes dispositions que les années précédentes. La réunion des fidèles y est plus nombreuse que de coutume; quatre-vingts personnes environ y sont venues ce matin. La colonie anglaise parle de roast-becf et de plum-pudding. Elle sent de loin la bonne chère que l'on fait dans Albion. Elle en veut à Bismarck; mais elle dédaigne la viande et parle sur le siège avec plus de sagesse qu'un rédac¬ teur du Times. Un article, tiré de la Gazelle de Silésie et publié aujourd'hui dans le Journal officiel1, nous fait savoir sans ménagement ce que les Allemands pensent du siège. La Gazette parle du moment psychologique, de ce moment où le bombardement longtemps différé devra produire tous ses funestes effets. Nous avons oublié- tout ce que nos professeurs nous ont appris; nous avons oublié même la psychologie. Malgré cela, je prévois que le mot aura du succès sur le boulevard. 1. Voir note XVI l'article du journal étranger public dans le Journal officiel le 27 décembre. NOEL. 279 « Tout est prêt pour le bombardement. » Un corres¬ pondant du Daily Telegraph le lui écrit de Versailles. Il ajoute qu'il a toutes sortes de raisons pour croire que le bombardement commencera le 19 de ce mois. Ces avis répétés me laissent, je l'avoue, quelque peu incrédule. Les Prussiens ont avec persévérance observé à notre égard une politique d'inaction qui doit, en nous affamant, nous amener à la capitulation. PourT quoi ne pas persisterdans la même règle de conduite, alors surtout qu'ils ont la famine pour eux? Pourquoi enfoncer une porte à moitié ouverte? D'ailleurs le bombardement ne peut leur être utile qu'autant qu'ils se seront emparés de deux ou trois forts, et les trois mois, écoulés depuis le commencement du siège, ont accoutumé les Parisiens (bien que leur énergie soit un peu tombée) à supporter leurs souffrances sans se plaindre; ils ont aussi émoussé en eux l'instinct de la vie qui nous pousse à lutter contre la mort. Lundi 26 décembre. — Il faut bien que la vérité fi¬ nisse par être connue. Nous apprenons ce matin que l'armée s'est retirée des positions avancées qu'elle occupait, et dont on avait tant parlé depuis deux ou trois jours. Il n'y a pas moins de 5 000 cas de congé¬ lation dans l'armée, ainsi que l'établit un rapport privé adressé à l'administration centrale des hospices. L'armée estentiérementdérnoraliséc. Elle aperdu toute confiance en Trochu. Les généraux, eux-mêmes, ne croient plus en eux. On prétend que le général de Maud'huy, qui commande la meilleure des divisions de Vinoy, a devant ses soldats expliqué la situation présente en disant : « Nous sommes à vingt-cinq pieds dans la m.... et nous n'en sortirons jamais. » Une personne, qui a un caractère officiel, a dit cette après-midi, à l'Hôtel de Ville, en ma présence, que nos réserves en farine étaient plus grandes qu'on ne le croyait géné- 280 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ralement. Le secrétaire do Jules Ferry, qui reçoit tous les jours un rapport sur le montant exact de l'appro¬ visionnement, et dont un double est remis au général Trochu, m'a assuré aujourd'hui que les quantités de blé et de farines, fournies par les réquisitions ont dépassé toute attente et quenous avions un approvisionnement suffisant pour aller jusqu'à la fin du mois prochain. Mardi 28 décembre. — Hier matin, vers huit heures, nous avons été surpris par des coups do canon, ils fai¬ saient un bruit que nous ne connaissions pas encore: rap-rap-rap.Ce. bruit venait de loin, à l'est. Nous avons cru tout d'abord qu'une sortie avait eu lieu du côté d'Avron. Nous nous étions trompés : c'était le bom¬ bardement, la première attaque de l'artillerie alle¬ mande contre les fortifications de Paris. Les grosses pièces d'artillerie de siège, dont on avait tant parlé qu'on avait fini par ne plus croire à leur existence, faisaient entendre leur voix de tonnerre. Jules Favre a répondu à cette attaque par une proclamation ; elle apprend à la population de Paris que le combat, livré du côté d'Avron, est le prélude du bombardement. L'effet de cette proclamation a été mauvais et on ré¬ pète dans les groupes ces mots de mauvais augure : « C'est le canon Krupp; ils ont des canons qui portent à deux lieues et demie. Que fait donc le gouverne¬ ment? » On tenait les mêmes propos dans un groupe de braillards, rassemblés autour d'une affiche collée sur une des maisons do la rue de Bellechasse. C'est une des nombreuses rues de notre tranquille quar¬ tier qui est exposée aux coups du canon Krupp de Chàtillon. « Que fait le gouvernement? — Le gou¬ vernement! dit un monsieur, vêtu d'un costume offi- I. Le gouvernement avait, quelques jours auparavant,ordonné de faire des perquisitions générales pour rechercher les blés qui n'avaient pas encore été déclarés. NOEL. 281 ciel, ne voyez-vous pas que le gouvernement prend des mesures pour combattre l'artillerie prussienne? Le gouvernement n'a pas besoin de vous dire quelles mesures il prend... » Pendant que ce monsieur disait ces choses et encore beaucoup d'autres, mon père, remettant dans ce beau parleur une vieille con¬ naissance, un exilé, qu'il avait rencontré en Italie, lui frappa sur l'épaule, et tout aussitôt le flux de son élo¬ quence s'arrêta : « Mon cher ami, dit-il tout bas, nous sommes dans le pétrin, mais il n'est pas nécessaire de le dire au peuple. » Il nous raconta qu'il était attaché au département des provisions et il se mit à notre ser¬ vice pour tout ce qui pouvait avoir du rapport avec ses fonctions officielles. « Ne perdons pas courage, ajouta-t-il, vers le 15 du mois prochain nous aurons un million d'hommes sous les armes, il n'y a plus long¬ temps à attendre. » Ma mère et moi, nous avons fait la promenade que nous avons toujours aimé faire pendant le siège. Nous avons été du côté du faubourg Saint-Antoine jusqu'à la place du Trône, en prenant ensuite à gau¬ che par le boulevard de Charonne. Il restait à peine quelques vestiges des jeunes arbres qui ornaient cette ligne des boulevards extérieurs. On ne voyait plus, par-ci par-là, que quelques troncs d'arbres et les bar¬ rages en fer, qui devaient les protéger, gisaient à terre tout tordus. Plus loin, un grand arbre était abattu ; autour de lui il y avait comme une fourmilière enra¬ gée de femmes et d'enfants, qui s'efforçaient d'en cou¬ per les petites branches avec des hachettes. Des hom¬ mes du peuple sciaient, à leur base, quelques grands ormes qui avaient jusqu'alors résisté aux efforts de la foule. Pendant qu'ils les sciaient, des grappes d'en¬ fants tiraient sur les branches. Après quelques efforts, l'arbre tremblait sur son tronc, et en tombant sur la 16. 2S2 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. terre il entraînait des enfants avec lui dans sa chute* Tout Belleville était descendu dans les rues et c'était comme une procession de fourmis, (Urina ris populi ; chacun emportait sa part de butin : des branches, des bûches, des fagots, jusqu'à des sciures de bois qu'on ramassait avec une pelle dans des tabliers. Un vrai combat de désespérés pour l'existence. Le cimetière du Père-Lachaiso, dont les grands jardins tout remplis de tombes s'étendent sur le liane des hauteurs de Charonne, était plus triste que jamais il ne l'a été. Pendant que nous montions doucement les degrés qui conduisent à la chapelle mortuaire, située tout en haut du cimetière, le bruit sourd et lointain d'un coup de canon obusier est venu frapper nos oreilles. L'amas de neige qui couvrait les hauteurs de Montreuil, en amortissant ce coup de canon, l'avait rendu si sourd, si lugubre, qu'il nous parut venir de l'autre monde. Nous nous sommes arrêtés, un instant, pour regarder une longue tranchée que des fossoyeurs faisaient sur le versant est de la colline. A l'extrémité de celte tranchée, des cercueils étaient empilés trois par trois, puis recouverts, les uns après les autres, d'une légère couche de terre, qui les cachait à nos yeux. Les pa¬ rents, tout tristes, les yeux pleins de larmes, regar¬ daient recouvrir la fosse commune, et exprimaient la crainte que les bières ne vinssent à se casser dans tout ce pêle-mêle. « Ne vous tourmentez pas, dit un grave fossoyeur peu sensible aux tristesses de la tombe, il y a assez de place pour tout le monde, allez. » Quel¬ ques mètres plus loin, nous rencontrons une foule de personnes qui, armées de longues-vues, faisaient leur possible pour voir les masses noires des hauteurs der¬ rière lesquelles se cachaient les batteries saxonnes. Un soldat du 35e régiment parle du combat de Champigny dans lequel les mitrailleuses ont si brave- NOEL. 283 ment fait leur devoir; il déclare que Paris est impre¬ nable : « Si nous avions des provisions suffisantes, nous pourrions tenir encore dix mois. » Ses camarades ont moins de confiance, et parlent avec quelque inquié¬ tude du canon Krupp des Prussiens. Des bourgeois, d'un âge respectable, déplorent les scènes de pillage dont ils ont été les témoins. Un épicier chaudement vêtu, et qui avait l'air de jouir d'une certaine aisance, a fait cette remarque : il est assurément bien désa¬ gréable de mourir, parce qu'on ne peut pas se faire de feu ; niais le pillage est aussi une chose sérieuse : une fois commencé, on ne sait pas où il s'arrête. Hum ! « La République est une bonne chose; mais si répu¬ blique veut dire pillage, pour moi, je n'en ai que faire. » En revenant à la maison, nous avons passé par la prison de la Roquette, auprès de laquelle est un chan¬ tier de bois, que le peuple avait pillé le matin même. Au moment où nous arrivions, on se disputait les dernières planches d'un hangar qui servait à remiser des voitures. Nous avons demandé à un garde na¬ tional et à une femme comment la journée s'était passée dans leur arrondissement. Ils nous ont ré¬ pondu que le chantier venait d'être dévalisé, il y avait seulement quelques heures. « Le maître du chantier est un accapareur, il amassait son bois pour le vendre en spéculant sur la misère du peuple. Aussi le peuple s'est fait à lui-même la distribution de son bois. » Pendant que la femme parle ainsi, un détachement de gardes nationaux arrive sur les lieux. Un citoyen portant une ceinture aux trois couleurs marchait â leur tête. — « C'est M. Mottu, notre maire, » nous dit la femme, et elle se mit à le considérer avec respect. Pendant ce temps-là, M. le maire s'approche du hangar ; il donne, à droite et à gauche, des poignées 284 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. de main aux hommes du peuple. Il paraît recommander de l'aire les choses décemment et avec ordre ; en fait, il préside il une équitable distribution des objets pillés. Jeudi 29 décembre. — De tout temps, la garde natio¬ nale a eu du goût pour la musique; mais je n'ai jamais entendu sa musique faire autant de tapage qu'aujour¬ d'hui, quand j'ai traversé la rue de Rivoli. Il y avait certainement quelque chose dans l'air, c'est du moins ce que je pensais. La chose m'a été expliquée sur la place de l'Ilùtel-de-Ville. Un bataillon de guerre, de retour des avant-postes, était rentré dans Paris. Il apportait la nouvelle de l'évacuation d'Avron. Le peuple s'intéressait beaucoup à l'événement, et les gardes nationaux, ceux-là mômes qui apportaient la nouvelle, en faisaient beaucoup d'embarras '. Nous 1. Rapport militaire du 29 décembre : Le feu, qui a été modéré hier sur les positions bombardées, est devenu très vif dans l'après-midi et la soirée. De nouvelles batteries ont appuyé celles qui avaient été précédemment établies par l'ennemi ; nos pièces, moins puissantes que les canons Krupp. ayant dù renoncer à faire feu, le plateau est devenu tout à fait intenable pour l'infanterie. Le gouverneur avait le devoir impérieux de soustraire cette artillerie et ces troupes à une situation que l'intensité croissante du feu de l'en¬ nemi ne pouvait qu'aggraver. Il a ordonné et organisé sur place la rentrée des pièces en arrière des forts. Cette opération difficile et laborieuse s'est effectuée pendant la nuit et dans la matinée. Le tir de l'ennemi, dans la soirée, passant par dessus le plateau d'Avron, atteignait la route stratégique et par moments les villages environnants. La nouvelle phase prévue depuis longtemps, dans laquelle entre le siège de Paris, pourra transformer les conditions de la défense, mais elle ne portera atteinte ni k ses moyens ni à son énergie. Le gouverneur de Paris. Par ordre : Le général, chef d'état-major général, SCHMITZ. Paris, 29 décembre 1870. Aujourd'hui, le bombardement a redoublé d'intensité ; ses effets sur le plateau d'Avron, qui n'a cessé d'être canouné, ont démontré l'opportu¬ nité de l'évacuation qui a été opérée la nuit dernière. Les 74 pièces d'artillerie, qui ont été retirées k peu près intactes, auraient été complète- NOEL. 285 élions très étonnés de leur attitude. — « Nous avons abandonné Avron, disaient-ils, mais qu'importe? nous avons bien fait de le quitter. » — « Est-ce que vous l'avez abandonné aux Prussiens?» s'écriaavec indigna¬ tion un vieillard. —« Ah bah! vous êtes un alarmiste. Les Prussiens ne peuvent pas occuper Avron, il est dominé parles canons de Iiosny; c'est simplement un terrain neutre. Je vous donne ma parole qu'Avron est une position sans importance. » — « Mon cher Monsieur, observa un inconnu cynique, est-ce que ce n'est pas là le cas de toutes les positions?Ellessonl im¬ portantes tant qu'on les occupe, et elles cessent de l'être quand on les perd. » Là-dessus, les gardes nationaux s'en sont allés en faisant beaucoup de tapage. Ils sonnaient de la trompette et ils battaient du tam¬ bour. Des groupes nombreux se sont alors formés sur la place, et ce fut comme dans la tour de Babel. Un patriote pleure et gémit. Il crie que notre grosse artil¬ lerie navale est encore à Avron, et il montre le poing à ses contradicteurs. Un ami passe derrière lui et vient expliquer que, si l'infanterie a été retirée du plateau, l'artillerie y a été laissée pour bombarder les Prussiens. «Ha! ha! crie un joyeux petit monsieur à la figure toute ronde, je ne voudrais pas être dans leurs sou¬ liers; grâce à llosny, ils vont avoir joliment chaud. » ment désorganisées par le feu violent de la journée ; il a été plus parti¬ culièrement dirigé contre les forts de Rosuy, Nogent et Noisy, qui ont fait bonne contenance sous une pluie d'obus d'une dimension extraor¬ dinaire lancés à grande distance. Des dispositions sont prises pour que cette artillerie soit, contre-battue par les plus gros calibres dont dispose la défense. 11 y a eu au fort de Nogent, 14 blessés, dont 2 canonniers auxiliaires. Au fort de Rosny, 3 tués, dont 2 artilleurs de la garde nationale ; 9 blessés, dont 4 artilleurs de la garde nationale. Au fort de Noisy, quelques contusionnés seulement. I/ennemi a ouvert le feu sur Bondy, ou nous avons vu 2 hommes tués et G blessés. Paris, 29 décembre 1870. 2S6 A TARIS TENDANT LE SIÈGE. Mais un vagabond dos faubourgs proteste d'un Ion bourru; il dit qu'Avron est bel et bien nettoyé ; qu'on n'y a laissé ni artillerie ni autre chose, à l'exception de deux pièces de marine qu'on a abandonnées aux Prussiens. « C'est un mensonge : regardez ses che¬ veux roux1, il est allé dans cinquante groupes; em¬ parez-vous de lui et menez-le au corps de garde. » L'homme aux cheveux roux se retire, ainsi qu'une douzaine de personnages respectables, qui murmu¬ rent entre leurs dents quelque chose contre les traîtres et les alarmistes. En revenant du plateau de Belleville, où j'avais passé la soirée à regarder le bombardement du fort de Hosny,je suis tombé sur un couple de gendarmes, qui escortaient un prisonnier. C'est le premier Prus¬ sien vivant que j'aie vu en face de moi pendant le siège. Les gendarmes s'étaient arrêtés devant un mar¬ chand de tabac, pour permettre à leur prisonnier de prendre du feu et d'allumer son cigare. Il était grand; ses épaules étaient larges; il ressemblait plutôt à un marin qu'à un soldat. Je ne pouvais arriver à le re¬ garder sans lever la tête, comme un Lilliputien devait le faire pour regarder Gulliver. Je me suis involontai¬ rement écrié : « C'est un Prussien! » Il s'est retourné en faisant une grimace aimable, et il m'a salué d'un « Ponchour, Monsié, eh ponchour. Ya, Prussien. » Puis, après avoir jeté un regard sur les maisons qui l'entouraient, il se mit à fumer avec l'air d'un homme qui est satisfait de lui. Vendredi30 dfirembre. — Ma mère et ma sœur m'ont si souvent demandé de les emmener avec moi à Belle- ville, que j'y ai consenLi. Je les y ai conduites aujour¬ d'hui. Je sais que lord Lyons a averti ses compatriotes I. Allusion aux espions prussiens NOEL. 287 du danger qu'il y avait à rester, dans une ville telle que Paris, pendant le siège. Toutefois lord Lyons n'a pas suivi le conseil qu'il a donné. Les rouges de Paris, tout sanguinaires qu'ils puissent être, sont très polis pour les étrangers. Nous avons trouvé la place de l'Hôtel-de-Ville occupée par les Bretons, et cela en prévision d'un nouveau 31 octobre. Les troupes sont maintenant disposées à faire usage de leurs armes contre le peuple. Elles ne sont pas contentes du rejet de l'armistice, et elles l'attribuent au parti révolution¬ naire. Notre longue marche nous a ouvert l'appétit, et nous n'avons trouvé pour le satisfaire qu'un morceau de pain d'épice moisi, que nous avons déniché chez un petit marchand. Toutes les boulangeries, devant lesquelles nous sommes passés dans la rue de Belle- ville, étaient fermées. On a écritsur les volets : « Fermé faute de livraison de farine. » Belleville a été obligée d'aller chercher son pain dans les quartiers du centre. Les rues sont tranquilles et le peuple doux et inof¬ fensif dérange très poliment les pavés des barricades pour faire un chemin, afin que ces dames puissent passer. En somme, nous n'avons eu à nous plaindre que des rues qui étaient glissantes, et des rafales d'un vent nord-est, qui balayait le plateau de Belleville. Nous sommes venus, comme beaucoup d'autres, pour voir le grand spectacle, et nous n'avons vu que les hauteurs boisées du Raincy, de Oagny et de Montfer- meil, — Montfermeil, le pays où la petite Cossette de Victor Hugo a passé son enfance dans la famille exem¬ plaire de Thénardier. Le plateau sur lequel nous étions est un promontoire qui a une pente rapide du côté du nord, celui qui fait face à la plaine de Saint-Denis. — Il est comme une extension dangereuse du révolu¬ tionnaire Belleville. Au loin dans la plaine, au-dessous de nous, la vue plonge sur les tours et sur les rem- 288 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. parts crénelés du château de Yincennes. Nous voyons très bien la masse noire de ses bois et la plaine de Saint-Maur, toute blanche de neige. A notre extrême droite sont les collines méridionales qui font le cercle autour de Paris, depuis Ivry jusqu'à Montrctout. Der¬ rière nous est la ville, perdue dans la vallée de la Seine, qui a la forme d'un entonnoir. Regardez Paris qui rampe aux pieds de ses faubourgs : Montrouge, Yaugirard, Glichy, Montmartre, la Villette, Chaumont, Belleville et Gharonne; il a autour de lui un million de sans-culottes. Rappelez-vous ensuite la menace qu'on lui a faite, une menace qui n'est pas vaine : la descente des faubourgs dans Paris. Il y a un temps d'arrêt dans la canonnade, et ceux qui se proposaient de voir le bombardement sont tout désappointés. L'un d'eux dit : « Les Prussiens bom¬ bardent, c'est une feinte pour couvrir leur retraite. » D'autres conjecturent que l'ennemi désire cacher ses mouvements et envoyer des détachements de renfort au secours de Frédéric-Charles battu par Chanzy. L'ex¬ plication, la plus ingénieuse et en même temps la plus parisienne, est assurément celle qui suppose que les Prussiens font une feinte. Tout le monde sait que nous sommes nés stratégistes. N'avons-nous pas in¬ venté cette jolie phrase, en parlant de Chanzy : « Il joue avec Mecklembourg comme un chat joue avec une souris. » Cela est possible, mais j'ai bien peur que Chanzy ne soit pas le chat et que Mecklembourg, lui, ne soit pas la souris. Une grande tourmente de neige nous a forcés de faire une retraite en bon ordre et de nous mettre, à l'abri, dans une pauvre petite auberge qui se trouvait sur notre chemin. Ma mère n'a pas pu se défendre d'un certain mouvement de défiance à la vue de notre hôte. C'était un homme très fort. 11 était pris d'un accès de goutte et tenait sa jambe malade NOEL. 28!) étendue sur une chaise, près du poêle. 11 fumait silen¬ cieusement un brûle-gueule en terre, et il avait l'air triste d'un républicain. Notre hôtesse s'est empressée d'apporter de la sciure de bois dans son tablier pour ranimer les cendres du foyer ;\ moitié éteintes. Le vieil homme, en priant sa femme de nous offrir de la li¬ queur Raspail, nous a dit avec une courtoisie grave : « Mesdames, je vous recommande Raspail. C'est un grand homme ; si nous en avions seulement une demi- douzaine comme lui ! » Puis il a ajouté : « Le malheu¬ reux Raspail est si vieux que sa pauvre tète déménage tout à fait; il a le coco très usé1. Ah! s'il a le coco quelque peu perdu!... » Cette conversation était vrai¬ ment une heureuse introduction; elle nous permit de parler de la guerre et de la politique. Cet homme ne se tourmentait nullement du bombardement. « La canonnade, nous dit-il, est finie; les batteries ont été prises, et maintenant les soldats travaillent avec la baïonnette. » Après avoir exprimé cette opinion avec la tranquillité d'un vieux soldat, il a gardé le silence et s'est mis à frotter sa jambe. Il a ensuite repris : « Oui, oui, c'est comme cela que les choses se sont passées, ils sont nettoyés... » Nous avons quitté le pauvre vieil homme en train de calmer sa goutte par ses réflexions. Je pense que nous nous rappellerons volontiers la pauvre petite auberge du plateau de Bel¬ leville. Un habile rédacteur du Temps a posé carrément cette question au gouvernement : « Que pense-t-on faire de l'armée de 200000 hommes qu'on a formée, à Paris, pendant le siège? Cette armée est notre dernière ressource. Si la ville est obligée de se rendre, il faut à quelque prix que ce soit la sauver de notre propre 1. Coco est une expression employée quelquefois dans les fau¬ bourgs pour désigner la tète, l'intelligence. 17 290 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ruine, alin de pouvoir prolonger la résistance du pays dans quelque autre lieu plus favorable. Laissons le gouvernement parler librement; qu'il déclare sans hésitation quelles sont les ressources dont il peut dis¬ poser et qu'il nous dise, si elles peuvent nous per¬ mettre d'attendre que les armées de la province viennent à notre secours. » Le Temps a levé là un gros lièvre et son article est inséré dans presque tous les journaux. Ainsi volens, nolens (bon gré, mal gré), le gouvernement sera obligé de parler demain matin '. Samedi 31 décembre. — Le gouvernement a parlé; il a lancé une proclamation verbeuse et ambiguë, écrite par le général Trochu. Le gouvernement parait igno¬ rer le sérieux des objections qu'on fait contre sa poli¬ tique de temporisation. Il y répond par des tirades classiques dont se sont servis Ollivier, Palikao et que l'ex-Empereur a usées jusqu'à la corde : il parle de la nécessité qu'il y a d'établir une union et une concorde parfaites entre tous les citoyens. C'est l'argument or¬ dinaire des gouvernements in extremis, qui demandent carte blanche pour commettre leurs dernières sottises. 11 aurait été préférable pour la France, et même pour l'Empire, que le gouvernement impérial eût été ren¬ versé le 9 août, après Wœrth, plutôt que le i Septembre, après Sedan. On s'atténdait à la résignation du géné¬ ral Trochu ; c'est pour celte raison que son nouvel essai littéraire a été accueilli avec beaucoup de froi¬ deur. On a beaucoup ri, sur les boulevards, des méta¬ phores dont il s'est servi, de celle-ci par exemple : « des sentiments réciproques de confiance », et de cette autre : « le faisceau de notre unanimité. » Ce mot « faisceau » a eu un sort aussi malheureux que celui 1. Voir note XVII l'article paru dans le Temps du 29 décembre. NOEL.- 291 de « son plan », qui a provoqué une si grande gaieté au mois d'octobre1 : Je sais le plan de Trochu. Plan, plan, plan, plan, plan! Mon Dieu ! quel beau plan ! Je sais le plan de Trochu, Grâce à lui rien n'est perdu. Quand sur du beau papier blanc Il eut écrit son affaire, Il alla porter son plan Chez maître Ducloux notaire. C'est là qu'est le plan de Trochu ! Plan, plan, plan, plan, plan! Mon Dieu! quel beau plan! C'est là qu'est le plan de Trochu! Grâce à lui rien n'est perdu. Etc., etc., etc., etc., etc. 1. Proclamation du général Trochu, adressée à la population et à l'armée, de Paris : citoyens, soldats ! De grands efforts se font pour rompre le faisceau des sentiments de confiance réciproque auxquels nous devons de voir Paris, après plus de cent jours de siège, debout et résistant. L'ennemi, désespérant de livrer Paris à, l'Allemagne pour la Noël, comme il l'a solennellement annoncé, ajoute le bombardement de nos avancées et de nos forts aux procédés si divers d'intimidation par lesquels il a cherché à énerver la défense. On exploite devant l'opinion publique les mécomptes doDt un hiver extra¬ ordinaire, des fatigues et des souffrances infinies ont été la cause pour nous. Enfin, on dit que les membres du Gouvernement sont divisés dans leurs vues sur les grands intérêts dont la direction leur est confiée. L'armée a subi de grandes épreuves, en effet, et elle avait besoin d'un court repos que l'ennemi lui dispute par le bombardement le plus violent qu'aucune troupe ait jamais éprouvé. Elle se prépare à l'actiqn avec le concours de la garde nationale de Paris et tous ensemble nous ferons notre devoir. Enfin, je déclare ici qu'aucun dissentiment ne s'est produit dans les Conseils du Gouvernement et que nous sommes tous étroitement unis en face des angoisses et des périls du pays, dans la pensée et dans l'espoir de sa délivrance. b' yiMùrrnrur (le Pari», général trochv. 202 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Trochu contredit avec énergie les bruits, qui circu¬ lent dans Paris, et d'après lesquels les membres du Gouvernement ne seraient pas tous d'accord. Qui s'ex¬ cuse s'accuse : nier officiellement un fait paraît être le meilleur moyen d'en prouver l'existence. Les vieilles barbes ducafé de Madrid sont tout à fait désespérées. G..., un vétéran parmi les conspirateurs, qui a été traqué dans sa jeunesse de club en club par la police de Sa Majesté Louis-Philippe, m'a serré la main avec plus d'énergie que de coutume ; il a laissé déborder sur moi le chagrin qu'il tenait renfermé dans son cœur : « La fin approche, me dit-il; je ne puis encore y croire. N'y a-t-il donc plus d'honneur dans le cœur des Français? Non ; il faut jeter ce Gouverne¬ ment par la fenêtre. » Le café était plein de monde et notre conversation était couverte par le bruit des dominos. « Qui pourrait bien succéder au général Trochu?— Il y a l'amiral Saisset, qui a signalé l'im¬ portance militaire d'Avron que Vinoy vient de perdre. — 11 y a La Roncière, l'homme énergique qui tient dans la place forte de Saint-Denis. Essayons des ami¬ raux puisqu'il n'y a plus rien à faire avec les géné¬ raux. » Tout le monde voulait parler à la fois .et per¬ sonne n'écoutait. 11 était impossible d'exprimer des idées qui eussent de la suite. Cependant les conver¬ sations, après avoir été trop animées, se sont subite¬ ment et complètement arrêtées. C'est alors qu'un petit homme, qui avait patiemment attendu la fin ÏIq ce débordement de paroles, a quitté précipitam¬ ment la place qu'il occupait et est venu se placer au milieu de notre table. C'était un homme maigre, bien pris dans sa petite personne; il avait l'air d'un vrai Parisien; sa figure, rasée de près comme colle d'un comédien, avait, grâce aux grimaces qu'il faisait, un air assez bouffon. Il ressemblait à une vieille balle NOEL. 293 élastique, qui aurait rebondi, çà oL1 à, sur l'asphalte du boulevard Montmartre pendant les quinze ou vingt dernières années. « Quel besoin, s'écria-t-il, avons- nous d'un Gouverneur de Paris? un valet de tous les métiers comme Trochu — un petit morceau de géné¬ ral, une tranche de ministre de la guerre, mêlés à un aromate de préfet de police et de secrétaire parti¬ culier... Rappelez-vous qu'en 1818,au club de l'École- de-Médecine, on a fait cette grande plaisanterie de pro¬ poser Barbés pour la place de Gouverneur de Paris. Ce n'était qu'une pure fantaisie. Les Ganaches \ qui se plaignaient, allaient sur-le-champ voter cette décision, quand un gamin est monté sur son banc et s'est écrié : « Un Gouverneur de Paris ! Vo«s n'avez pas besoin « d'un gouverneur; c'est nous qui gouverne! » Cette fallacieuse apostrophe a démoli Barbès et la place de gouverneur plus vite que n'aurait pu le faire un beau discours. » Un rire général éclata dans tout le café, et chassa la tristesse qui y régnait auparavant. L'orateur profita ensuite de l'effet, qu'il avait produit, pour expo¬ ser au plus grand profit de la compagnie ses idées per¬ sonnelles sur la situation présente. « Nous avons plus de vivres que nous le croyons. J'ai dernièrement en¬ tendu dire que nous aurons du pain jusqu'à la fin de février; mais il faut, par tous les moyens possibles, nous débarrasser de l'état-major de Trochu et délivrer le gouvernement des deux étrangers Bibesco 2 et Cer- nuschi qui se sont faits les contrôleurs de tout et de tous... » Il fit ensuite allusion aux soupçons, qui se sont élevés dans l'esprit du public contre l'état-major du Louvre à l'occasion des sorties; soupçons dont il ne 1. On donne le nom de Ganache à une espèce de Tartufe so¬ lennel. 2. M. Bibesco est un prince moldave qui était attaché à l'état- major de Trochu. 204 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. se disculpera pas, tant qu'on n'aura pas expliqué d'une façon satisfaisante certaines fâcheusescoïncidences. — « Je remarquerai ici, passant, que les officiers de son état-major sont pour la plupart des jeunes gens ri¬ ches: leur nomination a dépendu surtout du nombre de jésuites et de jésuitesses du faubourg Saint-Ger¬ main qu'ils ont su mettre dans leurs intérêts.» — Celte classe de la société brûle en secret du désir de voir la fin de la guerre. Elle est en état de rébellion plus ou moins avérée contre la capitale ; et elle consentirait volontiers à être témoin d'une, capitulation qui humi¬ lierait la République. Le retour de nos amis des bataillons de guerre interrompit le discoffrs et produisit une diversion. Ils avaient été absents pendant ces dix ^derniers jours pour faire leur service aux avant-postes. Ils furent tous très entourés et ils reçurent une ovation conve¬ nable. Les honneurs de la campagne de la dernière semaine furent accordés à la garde nationale. Elle les avait bien mérités, je pense, quoique la conduite de quelques bataillons « n'ait pas été aussi bonne qu'elle aurait pu l'être ». La garde nationale paraît avoir acquis plus de fermeté; elle a été moins fanfaronne et a pris plus de confiance en elle-même. La fatigue physique et la discipline ont, toutes les deux, contribué à amé¬ liorer l'esprit et les muscles des gardes nationaux. On les a envoyés à la campagne, aux avant-postes. Le grand air a bien calmé leurs nerfs; ils étaient trop excités, et cette excitation les rendaient dangereux pour le gouvernement. Ils racontèrent avec gaieté les épreuves de leur campagne. Ils dirent qu'ils se sont régalés de choux; ce qui nous fit venir l'eau à la bouche; qu'ils ont passé les nuits en plein champ « à la belle étoile » ; qu'ils ont fait des feux à certains en¬ droits pour tromper les Prussiens; qu'ils ont couru NOEL. 295 en file indienne pour faire l'exercice et ne pas. avoir froid. Tout cela fut dit légèrement et en badinant. Peyrbuton, un des chefs du parti révolutionnaire, avait fait campagne avec eux. C'est un grand jeune homme maigre, nerveux, à la poitrine de pigeon. Son attitude dans les tranchées avaient été caricaturée de la ma¬ nière suivante par un de ses camarades. La carica¬ ture montrait Peyrouton rampant, avec un doigt sur la détente de son fusil; il ressemblait à un chassepot au bout duquel était une sardine ou à une sardine au bout de laquelle était un chassepot. Ce récit provoqua des rires et les rieurs "demandèrent au commandant Cournet de venir au milieu d'eux pour confirmer la chose. Le mélange pittoresque des uniformes, le feu rou¬ lant des plaisanteries vraiment parisiennes pouvaient à ce moment faire croire qu'on assistait à un bal de fantaisie ou à la répétition de quelque scène mili¬ taire et héroïque, destinée à être jouée au théâtre du Châtelet. Après tout, le siège est-il autre chose qu'un solennel spectacle militaire dans lequel les Parisiens sont les victimes et les dupes? Quant à ce pauvre G..., il est resté inconsolable dans son coin. 11 déplorait la faute que Flourens avait fatalement commise le 31 octobre « en priant les membres du Gouvernement de résigner leurs fonctions au lieu de les envoyer tous ensemble à la prison de Mazas.. Flourens, disait-il, a, dans ce moment, tout perdu par amour pour la parade. — Et votre ami Blanqui, lui dis-je, qu'a-t-il fait? — Le cher vieux Blanqui, me répondit-il, il est entré tout simplement dans la pièce voisine; il y a pris un siège et s'est mis au travail pendant que les autres péroraient. » J'apprends dans les environs de la Madeleine que Chanzv et Faidherbe sont vainqueurs. Jules Favre du 296 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. moins le dit, bien qu'il ne fasse pas « officiellement » annoncer la nouvelle. Il l'a de nouveau annoncée à la réunion des maires dont l'opposition commence à devenir dangereuse pour le gouvernement. Jour de Van. — C'est le jour des bonbons. On s'ef¬ force de se faire illusion et de jouer au jour de l'an en s'ofFrant des chevaux de bois pour les enfants, des armes brillantes, des saucissons, des pâtés de rats et des présents étranges de toutes les espèces. Le Gouver¬ nement a, pour sa part, contribué à la gaieté générale1 en distribuant à chacun trois onces et demie de viande 1. La proclamation suivante a été apposée sur les murs de Paris le 1" janvier 1871 : COMMISSION DES BARRICADES RÉPUBLIQUE FRANÇAISE liberté, éà a lit é , fraternité Citoyens, Dès que l'ennemi s'est présenté sous les murs de Paris, et pour faire face à toutes les éventualités du siège, une commission des barricades a été officiellement constituée. Cette commission s'est aussitôt mise à l'œuvre ; elle a fortifié les abords intérieurs de Paris et déterminé les points sur lesquels les barricades devaient être élevées en cas d'attaque de vive force. A ces opérations devaient se limiter le rôle de la commission des bar¬ ricades tant que les Prussiens se borneraient à investir Paris. Aujourd'hui que l'ennemi semble vouloir prononcer l'offensive, la pré¬ voyance de la commission des barricades est tenue à d'antres devoirs. Si improbable que soit le succès d'une tentative contre nos remparts, il importe d'éviter tonte surprise et de prendre à l'avance toute précaution utile, il importe que tout le monde le sache : derrière les forts protégés par le courage de l'armée et de la garde nationale mobilisée, derrière les murs, gardés par la constance de la garde nationale sédentaire, les Prussiens rencontreraient encore l'indomptable résistance dos barricades parisiennes. En conséquence il a paru utile à la commission des barricades de l'aire appel au patriotisme de tous et d'inviter chaque ménage à préparer, dès maintenant, comme mesure de prévoyance, deux sacs à terre, qui se¬ raient livrés, au premier avis de la commission, et serviraient concurrem¬ ment avec les pavés, à couvrir en quelques heures Paris de barricades ou à réparer les brèches. Tout sac ii terre doit avoir 70 centimètres de longueur sur 30 eenti- NOEL. 297 conservée, une poignée de grains de .café non brûlés, quelques haricots secs et une livre de riz crevé, le tout accompagné d'une tablette de chocolat. Passez gaie¬ ment votre jour de l'an, Parisiens, et engraissez-vous pour le canon Krupp de Châtillon. mètres de largeur, de façon à être facilement transportable. La toile peut en être grossière et le prix en serait minime (65 centimes au plus) pour les citoyens qui n'aimeraient pas mieux les fabriquer eux-mêmes. Dans les circonstances présentes, il est de notre devoir de nous tenir prêts à tout événement et de nous assurer contre l'inconnu. Le peuple sait bien qu'il a dans les membres de la commission des barricades des hommes décidés à défendre Paris pied à pied, à ne jamais rendre à l'en¬ nemi de notre patrie cette citadelle du droit et de la liberté républicaine ! Les membres de-la commission '1rs barricades, Henri rochefort, président ; jules bastide, vice- président ; v. schœlcher ; albert, membre du gouvernement provisoire de 1848; martin bernard ; charles floquet; a. dréo;cournet. Paris, le janvier 1871. 17. CHAPITRE X BOMBARDEMENT Jeudi 5 janvier 1871. — Les dernières nuits ont été troublées par la canonnade du côté du sud et par des explosions de mauvais augure sur le versant de Châ- tillon. Ce matin, dès le lever du soleil, le grand con¬ cert a recommencé; le bruit est tout à fait assourdis¬ sant. Je suis sorti, dans l'après-midi, pour voir ce qui se passait. J'ai vu sur beaucoup de figures une vague expression d'anxiété, et dans les groupes les conversa¬ tions sont moins bruyantes qu'elles ne le sont ordinai¬ rement. Rue de Vanves, qui est tout près de la rue de Yaugirard, l'observateur peut reconnaître les symp¬ tômes précurseurs d'une future panique. J'ai rencontré une troupe de gardes nationaux qui descendaient la rue presque en courant. Ils m'ont crié ces mots : « Le bombardement est commencé. » Très surp-ris,je leur ai demandé si les coups de canon que nous entendions étaient tirés par les canons des forts. « Vous reconnaî¬ trez bien vite votre erreur, me dit l'un d'eux, si vous allez un peu plus loin. C'est le fameux canon Krupp qui travaille. Je viens de voir, à la porte de Vanves, la lête BOMBARDEMENT. 299 d'une vieille femme emportée par un obus. » Suivant son conseil, j'ai remonté la rue jusqu'aux remparts et j'ai trouvé environ deux ou trois cents personnes de¬ bout sur les talus du chemin de fer de Versailles. Elles étaient venues pour voir et elles ne voyaient rien. Elles couraient de tous les côtés, elles grimpaient sur les murs et sur les haies des jardins; elles escaladaient les pentes des talus, riaient, se bousculaient et prenaient vraiment du plaisir. Dans leurs efforts pour prendre les meilleures places, beaucoup d'entre elles tombaient par terre. On forçait la consigne des sentinelles, qui étaient chargées de défendre l'abord des bastions. En somme, toute cette foule se comportait comme la foule au Cristal Palace un jour de fête. J'ai été bientôt fatigué de me trouver au milieu de ce tohu-bohu et je suis allé à la station de Vanves prendre un billet pour Auteuil. On a répondu à ma demande que le service était interrompu sur cette par¬ tie de la ligne, parce que les Prussiens tiraient sur les trains. J'ai dû faire le chemin à pied, à travers le quar¬ tier de Vaugirard, en suivant le talus du chemin de fpr de ceinture ou métropolitain de Paris pour me mettre le plus possible à l'abri des obus. Je suis arrivé ainsi au viaduc d'Auteuil. La foule y était si grande que c'est à peine si j'ai pu apercevoir la lumière de l'une des batteries prussiennes, placées sur la terrasse de Meudon. Le vent s'est mis à souffler du sud-ouest et a renvoyé sur nous, des hauteurs de Meudon, toute la fumée des canons. C'est au travers de cette fumée qu'on voyait briller, toutes les secondes, la vive lu¬ mière des canons Krupp. Les remparts, à une cin¬ quantaine de pas devant nous, étaient complètement déserts. Les gros canons de la marine étaient pointés sur Meudon. De temps en temps, un artilleur s'élançait l'e long des bastions pour aller tirer une pièce. 11 ne 300 A PARIS PENDANT LE SIEUE. m'a pas sembla répondant qu'il dût arriver à éteindre le feu des batteries prussiennes qui, quoique je fusse placé trop loin pour bien voir, me paraissaient con¬ centrer leurs efforts sur le fort d'Issy. Cependant elles envoyèrent plusieurs obus sur le Point-du-Jour. Un de ces obus, en éclatant, a emporté, sur la route de Ver¬ sailles, la devanture d'une boutique de marchand de vin et a cassé la cuisse d'un ouvrier. 11 a été' immédia¬ tement emporté sur une civière. Cette vue n'a nulle¬ ment troublé les curieux venus pour voir ce qui se passait. Ils se tenaient en masse avec une incroyable curiosité devant chaque baie du viaduc. Une forte vo¬ lée de mitraille nous a enfin forcés à nous retirer. Elle a éteint en partie la canonnade. Je suis alors re¬ tourné à la maison, sans être bien certain d'avoir été témoin du bombardement ; mais tout le monde disait : « Le bombardement est commencé. » J'espérais trou¬ ver dans les journaux du soir tous les événements qui pouvaient s'y rapporter. Vendredi mutin 6 janvier. — Oui, c'est bien le « bombardement1 ». Il y avait à peu près une heure- 1. Journal officiel du 6 janvier. Bombardement de Paris. (Première journée.) Jeudi soir, 8 janvier. Le bombardement est commencé. L'ennemi ne se contente pas de tirer sur nos forts, il lance ses projec¬ tiles sur nos maisons, il menace nos foyers et nos familles. Sa violence redoublera la résolution de la cité qui veut combattre et vaincre. Les défenseurs des forts, couverts de feux incessants, ne perdent rien de leur calme et sauront infliger à l'assaillant de terribles représailles. La population de Paris accepte vaillamment cette nouvelle épreuve. L'ennemi croit l'intimider, il ne fera que rendre son élan plus vigoureux. Elle se montrera digne de l'année de la Loire, qui a fait reculer l'en¬ nemi, de l'armée du Nord qui marche à notre secours. Vive la France! Vive la République! GÉNÉRAL TROCHU, JULES FAVRE, EMMANUEL ARAGO, JULES FERRY, GARN1ER-PAGÈS, EUG. PELLETAN, ERNEST PICARD, JULES SIMON. BOMBARDEMENT. 301 que j'étais couché, quand j'ai entendu en môme temps le bruit d'un énorme craquement, qui se produisait derrière la maison, et relui d'une grande foule de per¬ sonnes, qui s'empressaient de venir se mettre à l'abri sous mes fenêtres. Un charretier jurait après son cheval. Ma première pensée fut que cela pouvait bien être un obus. Dans le moment où je faisais cette ré¬ flexion, un sifflement s'est fait entendre; mais il n'a pas été suivi d'explosion. Notre servante anglaise, qui revenait de chez le boulanger, a remonté rapidement l'escalier. Les premiers mots qu'elle a dits à ma mère ont été ceux-ci : « Madame, ne vous en déplaise, j'ai vu la première bombe qui est tombée à Paris. » Elle était évidemment très fière d'avoir été un témoin ocu¬ laire de ce fait historique. L'obus s'était enfoncé dans la terre près de la nouvelle église Saint-François-Xavier, à cent mètres de notre maison. La direction du trou semble indiquer que le coup a été tiré sur les Inva¬ lides bien que l'obus soit tombé à quelque trois cents mètres avant le but. Nous n'en avons pas reçu d'autres. On pourrait croire que les Prussiens ont voulu seulement essayer leur tir. Le dôme des In¬ valides est un excellent point de mire et nous devons nous attendre à voir notre avenue criblée de pro¬ jectiles. La maison, que nous habitons, fait le coin de l'avenue de Villars et de la rue D'Estrécs. Elle est protégée sur sa gauche par les maisons de l'avenue de Breteuil, mais sa façade est exposée à tous les dan¬ gers. L'église Saint-François-Xavier n'est pas pour elle un abri suffisant. Vendredi soir. — Nous avons eu une magnifique journée de dégel; le soleil resplendissait. C'était un temps convenable pour faire une promenade. J'ai emmené ma mère et ma sœur voir le bombarde¬ ment. Nous avons tout d'abord été près de l'église 302 A PARIS. PENDANT LE SIÈGE. rendre nos devoirs respectueux au visiteur du matin. Nous avons vu le fameux trou; il avait un mètre en largeur et aussi un mètre en profondeur. Des ga¬ mins s'étaient emparés des éclats de l'obus; ils les vendaient cinq sous pièce. Après avoir traversé le Champ de Mars, nous avons assisté du haut du Troca- déroyau duel d'artillerie que se livraient entre eux les forts de Vanves et d'Issy d'un côté, et de l'autre Ghâ- tillon, que des masses flottantes de fumée blanche cachaient à notre vue. Puis nous avons continué notre promenade en prenant par Passy jusqu'à la porte de la Muette. Une des promenades les plus agréables et les plus belles, qu'on puisse faire du côté ouest de Paris, est de suivre les remparts en dedans depuis cette porte jusqu'au viaduc du chemin de fer d'Auteuil : on ne voit sur son chemin que des villas, des châteaux Pompadour, des parcs, des jardins, qui forment une masse continue de verdure coupée, çà et là, par les lignes blanches et délicates de jolies maisons con¬ struites avec goût et chacune dans un style différent. En suivant cette route, vous passez devant la villa de Rossini; puis, tout à coup, vous apercevez les plaines qui sont en contre-bas de la station d'Auteuil et les hauteurs qui vont de Meudon à Saint-Cloud ; le tout vu d'ensemble fait l'effet d'un joli tableau. Cette vallée est labourée par les obus des batteries prussiennes, établies à moitié chemin entre la colline sur laquelle est placé le château de Meudon, résidence du prince Napoléon, et le parc de Saint-Cloud. Nous avons d'abord entendu un bruit lointain pareil au sifflement d'une fusée ; ce bruit augmentait à mesure que nous nous rapprochions de la Seine. Nous nous sommes mis à l'abri sous le talus pour nous garantir des pro¬ jectiles, qui passaient continuellement au-dessus de BOMBARDEMENT. 303 nos têtes. 11 en passait à peu près une douzaine par minute. Le pont, qui traverse la Seine, est lui-même désert; les obus sifflent au-dessus des arches et ils font de grands trous dans les murs en brique, con¬ struits pour remplir les vides qu'elles forment. En passant dans les rues d'Auteuil, nous guettons les obus et nous cherchons un abri en marchant le long des maisons jusqu'à ce que nous ayons atteint la rivière; elle se trouve à moitié chemin entre le viaduc d'Au¬ teuil et le pont de Grenelle. Une grande foule a envahi les bords de la Seine ; elle est venue pour voir les effets des obus sur le viaduc. De temps en temps, un de ces obus dépasse le parapet et vient plonger dans les blocs de glace, qui flottent à nos pieds, en sifflant comme un fer rouge quand on le plonge dans l'eau. Une flottille de canonnières, abritées en partie contre le feu de l'ennemi par les piles du pont, parcourt le fleuve pour trouver un abri plus sûr. Je suis désolé de n'avoir à raconter rien de bien terrible. Nous n'avons entendu que des sifflements et nous n'avons vu que des nuages de fumée, des pierres et de la terre voler en éclats, quand accidentellement un obus venait frapper le parapet du pont. Le pont de Grenelle était plein de curieux; chacun voulait, moyennant ses cinq sous, voir, avec une lorgnette qu'on leur louait, les Prus¬ siens et leurs canons. Nous sommes restés en cet endroit jusqu'au coucher du soleil; nous nous amu¬ sions à regarder tout ce monde et à écouter les obser¬ vations qu'on faisait. J'avais de la peine, en entendant tout ce qui se disait, à me figurer que le moment psychologique fût véritablement arrivé. Le soleil s'est couché derrière Sèvres; les crêtes des hauteurs furent alors frangées de couleur orange vif, et-les versants boisés de la colline devinrent violet foncé. Ils étaient voilés par . la fumée blanche des canons dont le 304 A PARIS PENDANT LE SIEGE. bruit de tonnerre était moins violent. Il y avait là, pour l'imagination, un idéal de musique et une har¬ monie de couleurs mourantes qui se confondaient délicatement avec l'image de la mort. Une foule in¬ souciante circulait en tenue du dimanche tout le long des quais ; elle était sans doute attirée dans cet endroit par la douceur de la température et par la beauté du spectacle. Samedi 7 janvier. — Quelques bombes ont troublé mon sommeil pendant la nuit dernière; il est vrai que je ne suis pas encore accoutumé au bruit qu'elles font. Il a plu pendant toute la nuit, les rues sont sales et désertes. Sur les boulevards on s'aperçoit que la population n'est pas sans avoir quelques inquiétudes. Des femmes sont sur les portes; elles causent avec vivacité et animation; les cafés sont vides. Le bom¬ bardement a évidemment surpris les Parisiens; il a ébranlé la confiance qu'ils avaient dans l'efficacité de leur système de défense. La position des assiégeants et des assiégés est toute changée. C'est un grand coup qui trouble le moral du peuple dont le caractère, tout particulier, le rend plus qu'un autre sensible à ses effets. Ils bombardent, c'est donc qu'ils ont gagné la partie : telle est la conclusion qui s'impose d'elle- même à l'esprit des Parisiens. Le général Trochu a pensé qu'il était nécessaire de nous assurer « que le Gouverneur de Paris ne capitulera pas ». Cette assu¬ rance n'a servi qu'à trahir le fond de sa pensée qui est toute à la capitulation. Je ne serais pas étonné que Trochu, en sa qualité de catholique, eût, en écri¬ vant sa proclamation, une arrière-pensée de casuiste et que ses paroles, lues avec leur sens propre, ne voulussent dire : « Le Gouvernement pourra capitu¬ ler, mais non pas le Gouverneur. » Paris murmure, il est à moitié satisfait de cette déclaration sibyl- BOMBARDEMENT. 30o line'. Cependan til fait encore la sourde oreille aux pro¬ positions d'un groupe d'hommes énergiques, qui ont, jeudi dernier, apposé sur les murs des affiches dans les¬ quelles ils somment leurs concitoyens de nommer une Commune. La population est tombée dans une pro¬ fonde prostration; elle est la conséquence de son état de grand épuisement et de ses souffrances physiques. Cette prostration est aussi la résultante du système énervant de mensonges à l'aide desquels les hommes du 1 Septembre ont cherché à faire illusion sur leur propre incapacité. Le peuple, lui, n'est pas en état de prendre unp résolution qui puisse soit le sauver à la onzième heure, soit, si, comme je le crois, il n'y a plus aucun espoir de salut, lui redonner quelque énergie pour faire une fin plus noble que celle d'une capitulation, patiemment attendue par le gouverne¬ ment et acceptée par l'armée. Dimanche 8 janvier. — Dans nos parages le bombar¬ dement a redoublé de violence pendant la nuit. A trois heures et demie, ce matin, un obus est tombé sur notre maison. Son explosion a tout naturellement porté la confusion chez tousles locataires qui n'avaient pas quitté leurs appartements. Mon père s'e^t préci¬ pité dans ma chambre; il m'a trouvé à moitié éveillé, inconscient de ce qui était arrivé. J'avais entendu un bruit très grand, très effrayant, semblable à celui 1. Proclamation adressée aux habitants de Paris par le gou¬ verneur : Au moment où l'ennemi redouble ses efforts d'intimidation, on cherche à égarer les citoyens de Paris par la tromperie et la calomnie. On exploite contre la défense nos souffrances et nos sacrifices. Rien ne fora tomber les armes de nos mains. Courage, confiance, patriotisme ! Le gouverneur de Paris ne capitulera pas. /> gouverneur de Paris, GÉNÉRAL TROCHU. Paris, fi janvier 1STI. 30(! A PARIS PENDANT LE SIÈGE. d'une tempête; mais je l'avais entendu pendant que je dormais et c'est tout ce que je me rappelais. Je me suis habillé, j'ai fait un paquet de quelques objets précieux et après avoir rassuré mon chat, qui était terrifié, je suis allé rejoindre le reste de ma famille, dans le salon que je trouvai encore plein de fumée de poudre. Un monceau de terre,de suie et de gravas, bouchait le foyer de la cheminée ; le tapis et les meubles étaient couverts de poussière. Ma mère et ma sœur avaient déjà recouvré leur sang-froid; mais le chat l'avait complètement perdu en sentant l'odeur de la poudre et il courait comme un fou dans toute la pièce. Il était évident que pour lui le moment psychologique était arrivé. Notre servante anglaise, tout d'abord étourdie et stupéfiée par l'explosion, s'est remise promptement. Elle a allumé du feu dans le salon avec des allumettes et des fagots et a préparé le café de la famille. J'ai accompagné mon père aux étages supérieurs pour constater l'étendue des dégâts. En arrivant au cin¬ quième, nous avons trouvé M. L..., architecte; il était, avec sa femme et son fils, occupé à regarder avec soin et en silence la pièce qui, hier encore son salon, était maintenant pleine de gravas et de plâtre. L'obus avait ouvert une grande brèche dans le plafond au-dessus de la glace de la cheminée. Les poutres brisées pendaient tout autour de la brèche, faite par l'obus;le parquet était troué dans une demi-douzaine d'endroits et des éclats d'obus étaient enfoncés dans les murs. Un de ces éclats, du poids de deux livres en¬ viron, avait brisé le panneau de la porte de la chambre à coucher de sa jeune fille; et, passant au travers en rasant les murs de la chambre, il était allé se loger sous le lit dans lequel reposait, la pauvre enfant ma¬ lade et à la dernière période d'une fièvre typhoïde. La BOMBARDEME-NT. 307 mère, après s'être occupée de la petite malade et s'être assurée que les autres personnes de sa famille n'a¬ vaient rien, retirait avec tristesse du milieu des dé¬ combres les débris de ses vases de Chine, de ses pots de fleurs, de ses albums et de ses bibelots favoris tout cassés; dans son chagrin, elle se tordait les mains et demandait vengeance contre le roi Guillaume. Elle s'écriait : « Ah! mon salon! mon pauvre salon! les barbares t'ont tout détruit! » Nous avons essayé de consoler la pauvre dame en lui rappelant que sa tille avait été miraculeusement sauvée. Il a été, pendant quelque temps, impossible de détourner son atten¬ tion de l'objet de ses chagrins. Cette famille a fait ensuite ses préparatifs pour descendre au troisième étage de la maison, que les locataires avaient aban¬ donné dans les premiers jours du bombardement. Nous les avons quittés et nous sommes rentrés chez nous. Nous avons passé le reste de la muit, autour de la cheminée, à prendre du café et à écouter les obus qui sifflaient tout autour de la maison. Le chat, couché sur les genoux de ma sœur, sautait à chaque nouvelle explosion; à la fin,prise d'un accès de folie, la pauvre bête s'est jetée avec fureur sur les carreaux de la fenêtre. Après avoir couru dans toute la pièce, elle est allée se cacher sous le lit et y est restée jusque vers le milieu de la journée du lendemain, refusant de prendre toute nourriture et se méfiant des bonnes attentions que nous avions pour elle. A la pointe du jour, le commissaire de police, accompagné de deux personnages officiels, est venu inspecter les lieux et un zélé chevalier de la « croix rouge » a demandé à notre porte s'il y avait des personnes tuées ou blessées. La maison a été bientôt envahie par des étrangers dési¬ reux d'avoir des éclats de la bombe. Les locataires 308 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ont ainsi été dépouillés sans pitié de la meilleure part de ceux qu'ils avaient. M. L... a pu, cependant, con¬ server le culot do l'obus qui était resté entier. 11 me¬ surait 15 centimètres de hauteur sur 6 pouces de diamètre. Le bombardement a cessé au lever du so¬ leil; mais dans le moment présent (3 heures de l'après- midi), il fait rage à Yaugirard et à Grenelle. Je viens de voir, du haut dos toits de notre maison, des co¬ lonnes épaisses de fumée noire éclairée par des jets de flammes rouges. L'usine de M. Cail a déjà été at¬ teinte par plusieurs obus. Un d'eux a . tué et blessé dans les écuries quatorze chevaux. J'entends dire que le quartier Latin est très endommagé. Mais la curiosité ne me pousse pas à sortir pour voir ce que je puis contempler de mes fenêtres. Lundi 9 janvier. — Le bombardement devient plus fort, nous finissons cependant par nous y accoutu¬ mer. Les obus commencent à couvrir tous les quar¬ tiers du sud depuis Grenelle jusqu'au Jardin des Plantes. Ils menaceront bientôt les R...is, auxquels ma sœur fait une visite tous les lundis. MUe R...is est une charmante révolutionnaire dans le cœur de laquelle Gambetla a fait de grands ravages. Elle a avoué à ma sœur que nous ne pouvions pas désirer une fin plus héroïque que celle d'être réduits en poussière dans nos lits par les bombes prussiennes. Tout le monde est heureux des nouvelles reçues de la province ou affecte de le paraître. Ce sont des télégrammes de l'Agence Havas ou des extraits des dépêches de Gam- betta que le gouvernement a fait afficher sur les murs de la ville Mon ami A... pense que c'est tout simple¬ ment un moyen employé par nos gouvernants pour calmer le peuple et pour le préparer aux préliminaires 1. Voir note XVIII les dépêches publiées par le gouvernement et affichées sur les murs de Paris. BOMBARDEMENT. 309 de la capitulation. Pariss comme lin malade qui n'a plus assez de force pour réagir contre le mal, se repose encore sur de vaines espérances de salut et il ne veut pas écouter la voix de ceux qui le poussent à adopter la politique du désespoir. Nulla salus viclis nisi desperare salutem. Mardi soir 10 janvier. — Contrairement à nos prévi¬ sions, la nuit dernière s'est passée assez tranquille¬ ment; mais en ce moment, Châtilion recommence à tirer sur nous, il se rattrape. Les obus arrivent par volées de quatre à la fois et par intervalles de cinq mi¬ nutes. A l'instant même, j'en entends un qui vient frapper le mur d'une remise, juste en face de mes fe¬ nêtres. Mon chat, effrayé, renverse l'encrier sur ma couverture. J'enveloppe la pauvre bête dedans pour qu'elle entende moins le bruit, et je continue à écrire, convaincu que chaque projectile, que j'entends siffler au-dessus de ma tête, est pour mon voisin. J'ai cepen¬ dant quelques tristes pensées; je me dis que je pour¬ rais bien ne pas finir la phrase commencée. Mercredi matin 11 janvier. — Mon père m'a fait lover pendant la nuit pour aller dans sa chambre. Nous y sommes restés pendant deux ou trois heures, passant le temps à fumer et à compter les obus. Il n'était nullement question de dormir; de temps en temps, nous faisions une visite à ma mère, que ma sœur s'efforçait courageusement de remonter. Ma mère avait montré un grand sang-froid dimanche matin, quand l'obus, en tombant sur notre maison, a éclaté au cinquième étage. Elle croyait que les bombes tom¬ baient perpendiculairement sur les toits, et elle s'ima¬ ginait que notre second étage était relativement à l'abri. Aujourd'hui, elle pense autrement. Ce qu'elle' a vu rue Vaneau, avant-hier dans l'après-midi, lui a 310 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ôté sos illusions. C'était une grande brèche, faite dans une maison par un obus qui l'avait traversée, en tuant une vieille femme dans son lit. Toutes les idées qu'elle avait sur la perpendiculaire, que les obus doivent suivre en tombant, ont dès lors été changées. Elle n'oubliait pas que notre maison, comme je l'ai dit, fait l'angle de l'avenue de Villars, et qu'elle présente, de ce côté, aux batteries prussiennes un mur sans dé¬ fense. Elle a été un peu rassurée en entendant dire ce matin par M. L..., qui habite maintenant le troisième étage, que pondant la nuit, il était tombé près de notre maison, dans l'avenue, quatre ou cinq cents bombes; que perspnne n'avait été tué. et qu'il n'y avait eu aucun nouveau dégât causé à notre maison. Devons- nous nous réfugier dans un quartier moins exposé aux bombes? En le faisant, nous fuirions, il est vrai, les dangers du bombardement, mais nous nous expo¬ serions à un danger plus grand, à la famine. Notre petit stock de provisions est tellement épuisé que nous ne pouvons plus compter pour notre nourriture que sur nos rations1. Il y a déjà un si grand nombre de familles, qui ont quitté le quartier pour aller habiter le centre de la ville, et l'attribution des vivres est si exactement faite à chaque arrondissement, en propor¬ tion du nombre de ses habitants, que les fugitifs, en changeant de quartier, courent le risque de perdre leurs rations. Le maire de notre arrondissement in¬ vite ses concitoyens « à rester à leur poste ». Il indique 1. L'avis suivant a été affiché dans Paris : AVIS. Il est interdit aux boulangers de vendre du pain aux personnes qui n'appartiennent pas à leur clientèle ordinaire, ^ou qui ne sont pas munies d'une carte d'alimentation, attestant qu'elles habitent le quartier. Le membre du gouvernement maire de Paris, JULES FERRY. Paris, 13 janvier 1871. BOMBARDEMENT. 311 les difficultés que le bombardement crée à l'adminis¬ tration municipale, et il appelle l'émigration une dé¬ sertion. En fait, je suis porté à croire, d'après ce que je vois, que les effets directs du bombardement ne sont pas bien terribles. Si le bombardement s'étendait au nord et à l'est; s'il atteignait la population si dense de Montmartre, de la Chapelle, de la Villette et de Belleville, il désorganiserait tout à fait l'administra¬ tion municipale, et il porterait la mort et la famine dans le cœur de la ville; et cela, pendant que de grandes quantités de nourriture, dont on ne pourrait pas profiter, se perdraient et se gâteraient dans les faubourgs. D'un autre côté, la population si malheu¬ reuse des quartiers Mouffetard et de Montrouge a dû se réfugier dans les caves; l'existence qu'elle y mène multiplie au centuple pour elle les misères du siège, la dégrade et l'abrutit à ce point, que toute énergie morale est annihilée chez elle, et qu'elle n'a plus que l'instinct animal. C'est « le moment psycholo¬ gique » où un peuple brave et fier consent à se rendre, comme un bœuf, quand il tombe sous le couteau du bouclier. Samedi li janvier. — « Cela va mal » : telle est la phrase que chacun répèle de ce côté-ci de la Seine De l'autre côté de l'eau, on se soucie autant de ce qui se passe sur la rive gauche que de ce qui se passe à Pékin. Le vrai Parisien des boulevards continue à se 1. On lit dans le Journal officiel : Bombardement. (10" journée.) Le bombardement de la ville s'est étendu dans les quartiers de la rue Monge, Saint-Sulpice et de la rue de Varenne pendant la journée du 14. Il a été beaucoup moins vif contre les torts du sud et les avancées. Les mesures de surveillance les plus rigoureuses ont été ordonnées pour repousser toute attaque de l'ennemi pendant la nuit. Paris. 14 janvier 1871. 312 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. promener fièrement entre le Nouvel Opéra et la Made¬ leine; il écoute volontiers le bruit lointain du canon et il est évident que ce bombardement, dont d'autres que lui ont à souffrir, ne lui déplaît pas. Il a été très brave pendant le siège, il s'est opposé à la capitulation en di¬ sant comme tout le monde avec force ; « Que voulez- vous! » 11 a eu la bouche fermée par les enragés des faubourgs et se trouvant lui-même au milieu des loups, il a hurlé, comme dit le proverbe français, avec les loups. 11 peut maintenant réclamer l'honneur d'avoir eu à supporter le bombardement. A l'entendre parler des obus qui tombent loin de lui, à plus de trois kilomètres, vous pourriez croire que vous êtes en présence d'un héros. Dans le fond de son cœur il se réjouit du bombardement qui donne, comme le fait une égratignure reçue dans un duel, un brevet de bravoure môme au plus grand poltron qui se soit ja¬ mais promené sur le boulevard. « L'honneur est satis¬ fait. » Cette pensée, chacun la traduit en partie-par la façon dont il donne nne poignée de main, par un mouvement de tète, par une expression délicate et en- lin par toutes les réticences, qu'une société raffinée et corrompue a pu inventer pour se cacher à elle- même ses sentiments vils et lâches et en couvrir la bassesse et la lâcheté aux yeux d'un observateur superficiel. La capitulation rétablira bientôt l'ordre avec toutes ses tromperies et ses hypocrisies. Cela veut dire qu'elle donnera naissance à un despotisme qui laissera le champ libre aux vices des classes ri¬ ches, les débarrassera des gens de Belleville par le chassepot, et des Prussiens par leur propre humilia¬ tion. Mlle rétablira, pour une nouvelle période d'une vingtaine d'années, la vie d'égoïsme et de sybaritisme qui est en France le prélude d'un ébranlement social, dans lequel toute la nation peut, un jour ou l'autre, être BOMBARDEMENT. 313 engloutie et disparaître de la face de l'Europe, comme Sodome et Gomorrhe. Je dois dire que les classes ou¬ vrières, contre lesquelles j'étais prévenu au commen¬ cement du siège, se sont peu à peu relevées dans mon estime pendant ces deux derniers mois de souffrances qu'elles ont supportées avec une si grande bonne hu¬ meur. Il est possible que leurs vices soient plus grands que ceux de la bourgeoisie; mais si elles les ont pous¬ sés à l'extrême, cela n'est dù qu'aux misères qu'elles ont eues à supporter et au désir tout naturel qu'elles avaient de défendre leur ville. Elles ont l'esprit parti¬ culièrement léger, sans suite et impétueux. Depuis la grande Révolution, elles ont été soumises à un tel charlatanisme que leur cause est presque perdue sans espoir. Je m'imagine, cependant, qu'on peut encore trouver en elles quelques principes de vie que la for¬ tune développera pour le salut de la France; l'autre partie de la société française n'est plus, au contraire, qu'un cadavre pour lequel il n'y a d'autre remède que l'embaumement, afin d'en arrêter la putréfaction. La fin approche. La famine fait son œuvre. 11 y a des queues -iux portes des boulangers; le pain a été en partie rationné 1 : il en est résulté une panique. La mortalité est très grande parmi les enfants et à chaque pas, dansMes rues, on rencontre un croque- mort qui porte plusieurs cercueils; les adultes, eux, sont portés dans des voitures à bras. D'après un dé¬ cret du Gouvernement, on ne peut atteler qu'un seul 1. Arrêté du 12 janvier : Il est interdit aux boulangers de fabriquer ou de mettre en vente du pain dit pain de luxe. Il leur est interdit de bluter ou trier par un procédé quelconque les farines qui leur sont livrées par la caisse de la boulangerie. Les boulangers contrevenants seront passibles des peines édictées par les lois; leurs boulangeries pourront être fermées par mesure adminis¬ trative. 18 un A PARIS PENDANT LE SIÈGE. cheval aux corbillards, même pour les plus beaux en¬ terrements. Les chevaux des pompes funèbres ont été réquisitionnés pour les boucheries en même temps que les chevaux des cuirassiers. Lundi. 16 janvier. — Je me suis fatigué à raconter les événements qui se sont passés pendant ces der¬ niers jours et ces dernières nuits. 11 en est de même aujourd'hui dans Paris, à ce moment du siège, qu'au théâtre, lorsqu'on joue la dernière scène d'une tra¬ gédie ; un certain bourdonnement général annonce que, l'intérêt du drame étant épuisé, les acteurs de¬ vront dire leurs dernières tirades devant une salle vide. Je donne peut-être, sous l'influence de mes im¬ pressions personnelles, à l'aspect extérieur des évé¬ nements une couleur qui ne leur appartient pas. Les Parisiens, en effet, ne seraient pas fidèles à leur caractère, s'ils ne se rattachaient pas encore à l'es¬ poir d'une délivrance miraculeuse. Il faut aussi re¬ connaître que j'ai vu très peu de choses dans ces der¬ niers temps. Le bombardement m'a forcé à passer mes soirées à la maison avec ma famille. 11 com¬ mence régulièrement sur les sept ou huit heures du soir, pendant que nous sommes assis autour des restes d'un feu mourant ; nous allons ensuite nous cou¬ cher pour dormir, si nous le pouvons : pendant ce temps, un certain nombre de maisons sont atteintes par les obus, et un tout petit nombre de personnes sont tuées. Le résultat général est une certaine lan¬ gueur, une certaine lassitude que nous ressentons le matin en nous levant. C'est la conséquence d'une nuit passée sans sommeil. La nuit dernière, beaucoup d'obus ont éclaté dans notre avenue ou dans les envi¬ rons. Deux maisons de l'avenue ont été endommagées. 11 y a eu dans la boutique d'un marbrier, à côté de notre porte, pour 10 000 francs de dégâts et d'objets BOMBARDEMENT. en marbre détruits. La perspective, que l'on a de mourir de faim, inspire une terreur telle que l'on de¬ vient tout à fait indifférent aux dangers du bombarde¬ ment. Toutefois, en dépit d'une raison meilleure, nous sommes fatalement convaincus qu'un péril, quel qu'il soit, quand il est envisagé sur toutes ses faces, doit tranquilliser sur les éventualités futures d'un autre danger qui aurait le même caractère. C'est là l'ori¬ gine de tout courage militaire. Jeudi 19 janvier. — (Dernière sortie; bataille de Buzenval.) Ce matin nous sommes consternés en ap¬ prenant que notre misérable pain noir vient d'être rationné, et que la ration est de 300 grammes ou 10 onces par jour pour chaque personne. Je suis sorti pour aller chez le boulanger, j'ai trouvé les portes et les volets de la boulique inexorablement fermés. Je suis cependant parvenu à entrer par une porte de côté, placée.au coin de la maison. Dois-je l'avouer? J'ai obtenu, par subornation, une livre de farine. « Courage, me dit la femme du boulanger, on est en train de faire de grandes choses, Chanzy esta une douzaine de lieues de nous. Nous avons pris Meudon et Montretout à la pointe de la baïonnette. Résistons encore pendant quelque temps et nous se¬ rons ravitaillés. » J'ai parcouru les rues et j'ai jeté un coup d'œil sur les proclamations du gouvernement. Elles parlent d'une vieille rengaine, de faire.ee qu'on appelle un héroïque effort1. L'armée et la garde na¬ tionale sont invitées à s'unir et à le Lenter. Le bombardement a subitement cessé ce matin, à partir de neuf heures. J'en conclus que la bataille est commencée. Nous allons au Trocadéro pour en voir ce que nous pourrons. Un brouillard épais couvre la I. Voir note XIX, proclamation et rapports militaires sur l'af¬ faire de Buzenval. 31G A PARIS PENDANT LE SIÈGE. vallée entre le Mont-Valérien du côté des Français, et les hauteurs de MontrÊtoul du côté des Prussiens. Tout ce que nous pouvons distinguer, c'est un roule¬ ment continuel delà canonnadeet de la mousqueterie '. Sur les quatre heures, le feu a redoublé d'énergie. Ce redoublement de canonnade des batteries du Mont- Valérien m'a donné à penser que, selon la coutume, on étaiten train de faire une « retraite en bon ordre » sous la protection de l'artillerie des forts. Paris est cependant disposé à croire à un succès, et le peuple a de nouveau repris courage. Le lendemain, on a publié une dépêche du général Trocbu. Elle était pleine de tristesse et annonçait un revers. Un peu plus tard, on a publié une seconde dé¬ pêche, encore plus triste. Le général Trochu y parle d'un armistice de quarante-huit heures nécessaire pour enterrer les morts et transporter les blessés-. Cette dernière dépêche, j'ai de bonnes raisons pour le croire, n'était pas destinée à la publicité. C'est un employé qui, par étourderie, l'a communiquée aux maires. Paris est alors tombé dans un état de complète prostra¬ tion. La nouvelle de ce revers était accompagnée d'un télégramme du comte de Chaudordy, le sous-secré¬ taire d'Etat aux Affaires étrangères. Il nous annonçait la désastreuse défaite des armées du général Chanzy. Quelle est notre situation? Trochu vient virtuellement d'abdiquer le pouvoir en désignant un général pour le remplacer au Louvre et en s'enfermant lui-même dans la forteresse du Mont-Valérien, et Jules Favre s'est compromis aux yeux du peuple en lui apprenant, petit petit, les nouvelles d'un désastre irréparable. Il dé¬ molissait, en procédant ainsi, l'édifice d'illusions qu'il 1. Voir note XIX, proclamation et rapports militaires sur l'af¬ faire de Buzenval. 2. Voir note XX. B 0 M B A R D E M E N T. 317 avait élevé de ses propres mains. Le peuple s'est ré¬ volté trop tard contre la vérité ; le soulèvement du 22 janvier a été la dernière et impuissante convulsion de son agonie. Il est inutile que je récapitule, ici, les événements de cette journée. 11 faut, cependant, que j'avertisse le lecteur qu'il ne doit pas croire complète¬ ment le récit officiel du gouvernement sur les évé¬ nements qui se sont passés à l'Hôtel de Ville dimanche dans l'après-midi. Les généraux avaient fait répan¬ dre dans l'armée le bruit que des gardes nationaux révoltés étaient descendus, tout armés, des faubourgs pour demander la capitulation! Le gouvernement s'est facilement rendu maître de cette émeute etila profité de ces événements pour détourner l'attention du peu¬ ple des délicates questions, qu'il se préparait à traiter à Versailles. Des discussions longues et tumultueuses ont eu lieu enLre le Gouvernement et les maires, entre le Gouvernement et le grand Conseil de guerre. Jules Favre, à la suite de ces discussions, est parti le lundi, 23-janvicr, pour aller voir le comte de Bismarck. Le môme jour, il a écrit la lettre suivante il Gambetta 1. 1. Le 27 janvier 1871, le gouvernement a publié la note sui¬ vante, c'était le dénoùment : Tant que le gouvernement a pu compter sur l'arrivée d'une armée de secours, il était de. son devoir de ne rien négliger pour prolonger la dé. fense de Paris. En ce moment, quoique nos armées soient encore debout, les chances de la guerre les ont refoulées, l'une sous les murs de Lille, l'autre au delà de Laval ; la troisième opère sur la frontière do l'Est. Nous avons dès lors perdu tout, espoir qu'elles puissent se rapprocher de nous et l'état de nos subsistances ne nous permet plus d'attendre. Dans cette situation, le gouvernement avait le devoir absolu de négo¬ cier. Les négociations ont lieu en ce moment. Tout le monde comprendra que nous ne pouvons en indiquer les détails sans de graves inconvé¬ nients. Nous espérons pouvoir les publier demain. Nous pouvons, cepen¬ dant, dire dès aujourd'hui que le principe de la souveraineté nationale sera sauvegardé par la réunion immédiate d'une assemblée ; que l'armi¬ stice a pour but la convocation de cette assemblée; que, pendant cet ar¬ mistice. l'armée allemande occupera les forts, mais n'entrera pas dans 18. A PARIS PENDANT LK SIÈGE. Cette lettre fait une lumière nouvelle sur les désaccords intérieurs qui existaient entre les membres du gou¬ vernement. Elle renie la proclamation que le général Trochu a faite le 30 décembre et elle trahit, chez Jules Favre, la crainte secrète que le dictateur de Bordeaux ne dénonce au pays la trahison de ses collègues de Paris, tout comme il a dénoncé la félonie de Bazaine à Metz. Elle montre aussi la pusillanimité d'âme avec laquelle Jules Favre voyait approcher la crise suprême de l'agonie de sa patrie. ■Iules b'uryr ù (hunbettu. Le grand draine, mon cher ami, est fini; rien ne peut empêcher sa triste lin. Nous n'avons reçu aucune nouvelle depuis votre dépêche du 1 G, mais Paris refuse d'accepter la cruelle vérité Après la triste journée du l'J, il a cru à une revanche prochaine, et a en même temps manifesté, avec une irrita¬ tion d'heure en heure croissante, sa colère contre M. le général Trochu. Je vous ai dit que j'avais plusieurs fois insisté sur son remplacement et que la résistance de la majorité du conseil seule m'avait arrêté dans l'exécution de ce dessein. Je n'avais pour moi que Picard, mais après l'affaire du 10, la persistance de M. Trochu à garder le commandement devenait un véritable danger. J'ai vainement essayé d'amener mes amis à un acte un peu vigoureux, et le général à une résolution nécessaire. La journée du vendredi 20 s'est passée dans ces tiraille¬ ments; le samedi 21, les symptômes sont devenus plus menaçants, el Je soir, les maires, réunis au Gouvernement, ont nettement dit à M. Trochu qu'il ne pouvait conserver le commandement en chef. J'oubliais de dire que la veille, vendredi 20, je les avais réunis, et que dans une séance de cinq heures, on avait posé et discuté la question de la dé¬ fense. M. Trochu déclarait qu'elle était désormais impossible, et l'enceinte de Paris ; que nous conserverons notre garde nationale in¬ tacte et une division de l'armée et qu'aucun de nos soldats ne sera em¬ mené hors du territoire. BOMBARDEMENT. 319 qu'il était prêt h céder le commandement à l'officier qui serait d'une opinion contraire Le samedi,nous avons réuni les généraux qui nous semblaient les plus audacieux, nous leur avons posé les mêmes questions, et nous avons reçu les mêmes réponses. Le soir, j'ai fait connaître cette situa- lion aux maires, et c'est alors que presque tous, deux ou trois exceptés, ont exprimé cette opinion que M. Trocku devait se retirer en gardant le gouvernement de Paris et la présidence Après leur départ à minuit et demi, la délibération a commencé. M. Trocliu avait supporté les duretés qui lui avaient été dites, il avait montré un grand calme; avec nous il n'a pas été moins ferme à nous dire qu'il ne se démettrait pas, qu'il engageait le Gouvernement à le remplacer, mais qu'il ne conserverait aucune de ses fonctions, hors celle de membre du Gouvernement et en déclinant la présidence. La discussion a été longue, confuse, orageuse. Il fallait d'abord savoir si on le remplacerait, et par qui. Il y a un mois je proposais le général Vinoy. A la suite de bien des tergiversations il a été accepté, et nous /'avons nommé d'urgence sans le consulter'. Il était trois heures du malin. Au moment même, on vient nous apprendre que Mazas a été forcé par une bande qui a délivré Flourens et t. Lettre écrite par Jules Favre au général Vinoy pour lui an¬ noncer sa nomination au commandement en chef : Paris, 22 janvier 1871. Monsieur le General. Le gouvernement de la Défense nationale, ayant décidé ce soir que le commandement en chef serait désormais distinct des fonctions de Prési¬ dent du Gouvernement, vous a nommé au commandement eu chef de l'armée de Paris en remplacement de M. le général Trochu. Le gouvernement aurait voulu vous prévenir avant de disposer ainsi de vous, mais l'extrême urgence et les circonstances particulières, que j'aurai l'honneur de vous expliquer, l'ont obligé à prendre ses resolutions sur l'heure. D'ailleurs il connaît depuis longtemps Votre patriotisme et votre dévoue¬ ment : il y compte, et sait qu'en vous appelant à la commander en chef, il ne peut confier it de meilleures mains les intérêts de notre brave armée. Veuillez agréer, monsieur le général, l'assurance de ma haute consi¬ dération. L>- vicc-prrsident. Signé : jules favre. 320 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. d'autres détenus politiques. Ce n'était que le prélude de désordres malheureusement graves. Hier l'animation de Paris était immense. Quelques fac¬ tieux de Paris ont essayé de l'exploiter pour se jeter sur l'Hôtel de Ville, qu'ils ont attaqué à main armée. Cette agression criminelle était le résultat d'une conspiration, car les fenêtres des maisons de la place avaient été occupées, et de là les insurgés tiraient sur l'Hôtel de Ville. La fusillade a duré une demi-heure environ. La garde nationale et la troupe onl balayé l'émeute, occupé la place, et la journée s'est passée dans un calme relatif. Mais le danger est con¬ sidérable, imminent... Je n'ai pas à donner le détail tie nos résolutions; nous n'en avons pris aucune. Mais il y a certainement quelque chose à faire. J'insiste sur ce point. Trois jours plus tard le voyage de Jules Favre Versailles n'était plus un secret pour personne, et le Journal off ciel publiait beaucoup de détails sur la dé¬ faite de Chanzy. Tout était fini'; Paris poussait un profond soupir de soulagement.il y a bien eu quel¬ ques petits troubles, mais tout à fait superficiels. La violence môme de la tempête qui les avait produits empêchait de les remarquer. C'était de la colère et de 1. Le 29 janvier, en donnant le texte de la convention d'armis - tice signée par M. Jules Favre et Bismarck, le Gouvernement l'a lait précéder des quelques lignes suivantes : C'est le cœur brisé de douleur que nous déposons les armes. Ni les souffrances, ni la mort dans le combat n'aurait pu contraindre Paris à ce cruel .sacrifice. Il ne cède qu'à la faim. Il s'arrête quand il n'a plus de paiu. Dans cette cruelle situation, le gouvernement a fait tous ses efforts pour adoucir l'amertume d'un sacrilice imposé par la nécessité. Depuis lundi soir il négocie: ce soir a été signé un traité qui garantit à la garde nationale tout entière son organisation et ses armes; l'armée, dé¬ clarée prisonnière de guerre, ne quittera pas Paris. Les officiers garde¬ ront leur épée. Une assemblée nationale est convoquée. La France est malheureuse, mais elle n'est pas abattue. Elle a fait son devoir; elle reste maîtresse d'elle-même. Voici le texte de la convention signée ce soir à huit heures et rap¬ porté par le ministre des affaires étrangères. Le gouvernement s'est immédiatement occupé de régler toutes les conditions du ravitaillement et d'expédier les agents qui partiront dès demain matin. BOMBARDEMENT 321 la fureur. La crainte de la famine avait fait son œuvre et pendant les quinze jours qui ont suivi la capitula¬ tion, Paris est resté dans un état de torpeur impuis¬ sante. 11 en est un peu sorti on faisant les élections rouges du 12 février. Le pays tout entier en a éprouvé un frisson d'horreur, comme il aurait pu le ressentir en entendant éclater une torpille. Ce jour-là le rideau s'est levé pour laisser jouer le second drame de la trilogie de Paris et de la France, laissant entrevoir, comme dans les éclaircies d'un nuage orageux, toutes sortes de choses dont on soupçonnait l'existence, bien qu'on ne les ait pas vues. Le cercle d'investissement, que les Prussiens avaient si rigoureusement formé au¬ tour de Paris, les avait cachées à l'attention de ceux qui avaient été tenus éloignés de la capitale pendant ces cinq longs mois. Pendant que j'écris, le second drame vient juste¬ ment de finir dans le feu et dans le sang : M. Thiers a réalisé le rêve de sa vie : une campagne victorieuse. 11 l'a racontée avec plus d'éloquence qu'il n'en a mis dans le récit des triomphes d'Austerlilz et d'Iéna. L'Assemblée nationale a légué à la France le chaos et une ruine générale; aux générations futures, un sujet de discorde mortelle, qui cette fois bouleversera dans son centre l'édifice du monde européen. C'est alors que le vieux cri enlendu pendant le siège de Paris se fera de nouveau entendre : Lu Communo ou In mort ! DE L ' O R G A M S A T10 \ DU PARTI RÉPUBLICAIN DE L'ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN DE SEP¬ TEMBRE 1870 A MARS 1871 — (OU LES RÉPUBLI¬ CAINS JUGÉS PAR UN RÉPUBLICAIN). — Travail adressé par M. Jli.es Axuriel ' à l'auteur anglais du livre : Inside Paris during the. siege (.1 Paris /icndaiil le Siège . Lettre (le M. Andrirn à l'auteur anglais, en lui adressant son trarail... Mon cher ami-, Quoique très fatigué et envahi par le spleen, je me suis mis à l'œuvre. J'ai pensé que voire œuvre gagnerait de la valeur morale, et que votre besogne serait diminuée, si, 1. M.Jules Andrieu était un ancien comptable devenu professeur libre. Il a collaboré k plusieurs journaux du quartier Latin et écrit un livre remarquable sur l'histoire du moyen tige. Il était borgne. Sous l'Empire et sous le gouvernement du 1 Septembre, il a été employé à l'Hôtel de Ville. Devenu membre de l'Internationale, il acquit une grande influence sur ses collègues et fut nommé membre de la Commune par le Ier arrondissement. 11 signa la protestation formulée par plusieurs membres de la Commune contre le comité de Salut public et se distingua, dans toutes les occasions, comme un des membres les plus modérés de l'Assemblée. j. clèrk. I.rs Hunîmes ilIn Conillllliir. ) M. Jules Andrieu est mort en mars 1881, consul de Franco dans l'ile de Jersey. 2. Avant de quitter Paris au commencement de février, j'ai prié mon ami Andrieu de me donner quelques notes sur l'organisation du parti républicain- avec lequel il avait des relations toutes personnelles. Bien 32'. A PARIS PENDANT LE SIÈGE. sous forme île témoignage, vous publiiez telles quelles mes élucubratioiis surles sujets convenus. Ainsi, sans prendre la responsabilité de mes idées, mais en disant qjje, voulant être iippartial, vous n'avez trouvé rien de mieux que de de¬ mander à un républicain de Paris son avis général sur le Parti, et ses opinions personnelles sur le 31 octobre et le 22 janvier, vous procéderiez, à mon avis, politiquement et loyalement, et même très anglaisement; car les témoignages sont très prisés de l'autre côté de la Manche. Encore trois feuillets et l'article sur l'organisation (lisez désorganisation) du parLi est achevé. Les autres seront beaucoup plus courts ; mais vous reconnaîtrez, comme des amis d'opinions diverses à qui je les ai montrées, la largeur et l'impartialité de ces pages très calmes, très précises. Dites-moi bien franchement si cette combinaison vous con¬ vient, afin que j'aie à l'ouvrage le cœur nécessaire. Je vous serre la main. JULES ANDRIEU. Paris, ce 15 mars 1871. De l'organisation du parti républicain de septembre à mars 1871. Un a priori pour commencer. Par quoi commencerait-on en effet? Depuis que le parlementarisme existe, le parti opposant ne peut jamais être organisé. Car les forces vives de ce parti sont absorbées par l'opposition parlementaire. Les députés de Paris,depuis Jules Pavre jusqu'à Rochefort, étaient aussi nécessaires à l'Empire que la résistance est nécessaire en mé¬ canique à l'a 'lion. L'Empire tombant de lui-même par la qu'éprouvé par de graudes fatigues morales ot physiques et eucore souffrant, il n'épargna ni son temps ni sa peine et il m'envoya le travail très étudié que je transcris ici. J'y ai puisé en toute liberté pour faire mon livre. Le lecteur trouvera dans ce récit, portraiturés par un de ceux qui prirent une part importante à la révolution de la Commune, les principaux personnages parus dans ces derniers temps sur la scène poli¬ tique française. J'aurais bien essayé de traduire ces esquisses, écrites par mon ami; mais j'ai craint dene pouvoir, dans ma traduction, repro¬ duire exactement la verve et l'originalité de son style. (Xote ilf l'auteur^) ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN. 323 force îles choses, l'opinion s'est tournée vers les députés de Paris; et ceux-ci, gâtés par les tournois du parlementarisme, imperialisms par leur mode même de combattre l'Empire, jusque et y compris les faux serments, ceux-ci n'ont pas pu sauver la République et la l'ranee civilement plus que ne l'a pu faire militairement l'armée française gâtée par la conquête de l'Algérie, par l'indiscipline africaine, par la sauvagerie de la guerre des rues et par l'indiscipline plus grande encore de la paix impériale qui est la conséquence de la victoire des rues. L'alfaire de la Villette a prouvé, avant la chute de l'Em¬ pire, deux choses : 1° Que le parti républicain n'était pas organisé, puisqu'à la suite des premiers désastres, il n'a pas, en faisant tom¬ ber l'Empire, prévu Sedan, Metz et Paris. 2° Que les députés de Paris, qui avaient rêvé un commen¬ cement d'action, ont reculé devant l'acte. Camille Pelletai) m'annonçait un mouvement insurrectionnel général pour l'avant-veille. Les députés de Paris ont donné un contre- ordre que le parti blanquisle n'a pas reçu, ou mieux, voulu recevoir. Gambetla, en reniant à la tribune la légitimité de celte révolte, en doublant Palikao, Gambetta reniait tout simplement une complicité et mentait, mais il n'en est pas chiche, de mensonges. Le 4 Septembre, en dehors des faits connus, il y a eu toute une collection de paroles, de silences, de compromis, d'actes, de trahisons qui, moins répandus, éclairent l'his¬ toire de ce jour fameux et non grand, par la raisor. que l'histoire véritable ne se trouve jamais dans les manuels à l'usage de ce Dauphin ridicule qu'on appelle le Vulgaire, et qu'on divinise sous le nom de Peuple, quitte à le salir et à l'égorger ensuite sous le nom de Populace, quand le tour est joué. (ii). Une réunion, dont Grévy faisait partie avec les députés de Paris, fait voir clair dans la bêtise vaniteuse de ces his¬ trions. Tous étaient d'accord que la résistance était impos¬ sible. Grévy dit que les républicains ne devaient pas endos¬ ser la responsabilité de la faillite impériale. Ges messieurs de Paris pensèrent avoir la dextérité, la souplesse néces¬ saires pour faire la faillite, et obtenir le concordat qu'on appelle le Pouvoir. Grévy pensa comme un sceptique, mais, 19 320 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. conformant ses actes à sa pensée, agit Lien en se tenant coi. Mais eux, les hommes de la gauche, qu'en penser? (h). Ces messieurs de la gauche 11e voulaient pas proclamer la République avec Vésinier, qui occupait la tribune du Corps législatif. La République a été proclamée sur la place de la Concorde. Cambetta proposa d'aller à l'Hôtel de Ville, pour être plus à l'aise pour délibérer. C'est lui, lui tout seul avec ses amis, dans une pièce à part, qui a nommé Étienne Arago maire de Paris, eL Kéralry préfet de police. (e). Rochefort, en ce moment délivré de Sainte-Pélagie, entouré, comme toujours, d'amis maladroits, reçoit de ces messieurs le baiser et l'accolade Lamourette. Il remit à de¬ main la chose sérieuse, l'organisation municipale appelée la Commune. Cette Commune fut promise pur tous ces messieurs. Ce fut là le sous-entendu de la journée, le pacte tacite par suite duquel les républicains qui firent le Quatre Septembre laissèrent au pouvoir ceux qui en devaient profiter. Ce de¬ main n'arriva pas, et ne pouvait pas arriver. id). Le à Septembre au soir, place de la Corderie, au siège de l'Association Internationale et des fédérations ouvrières, Leverdav parla d'affiches à apposer pour convoquer les électeurs à la nomination de cette Commune, de cette mu¬ nicipalité. On ne l'entendit pas. On remit à plus tard. Le lendemain, il revint à la charge. Ce jour-là, par son refus d'entendre et de comprendre, l'Association Interna¬ tionale perdit la République. O11 parla de faire un mani¬ feste; — des paroles toujours! Tolain, qui présidait le A au soir, place de la Corderie, me dit : Mon cher ami, nous voici sur le chemin de In Répu¬ blique universelle ou de Guyenne! (('). Tiochu fit garder le Louvre et les Tuileries par la gendarmerie. On dit alors que les d'Orléans y étaient ca¬ chés. lit, tout dernièrement, d'Angleterre venait l'affirma¬ tion positive que, le 4, il jouait à la fois l'Empire le matin, la République l'après-midi, avec les d'Orléans présents et consentants. Je reprends mon a priori : Voici les phases par lesquelles passe, dans les fausses révolutions de 48 ou de 70, en France ou ailleurs, le parti dit révolutionnaire. 1° Il n'est pas organisé, et ne l'étant pas, il ne sait pas, il ne peut pas s'imposer : il laisse ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN. 327 donc perdre ses premières journées si précieuses qui, per¬ dues, s'écoulent comme des minutes, et dont les minutes bien employées auraient l'importance de semaines, de mois et d'années. —- 2° La Réaction, toujours unie, — car elle repose sur l'intérêt brut, sur l'acquis, sur le passé, sur tout ce qu'il y a d'inertie dans l'homme, — la Réaction s'agite dans l'ombre, puis au grand jour, et enfin réussit une ou plusieurs contre-journées. — 3° La défaite orga¬ nise un peu le parti. On se tasse un peu les uns sur les autres; en se voyant unis, on se croit organisés. Immense erreur! — 4° Le parti agit par des manifestes, quand la force pourrait encore tout sauver. — 3° Car c'est un drame en cinq actes. Ses illusions et sa rage grandissent ensemble; il tente une ou plusieurs actions jusqu'à désastre complet, quand tout est perdu, quand les hommes sages sont rentrés chez eux, quand il ne reste plus, pour guider la tourbe qu'il y a toujours dans les causes saintes, aussi bien celle de Jésus que celle de Saint-Just, quand il ne reste plus que des fous, des fourbes et des Iscarioles. L'a priori exposé, voyons les faits. Quels étaient, au 4 Septembre, les éléments du parti ? Je les énumère d'abord : (A). Les Avocats dits ou se disant républicains. (B). Le Journalisme Républicain Formaliste. (C). Le Journalisme Républicain Radical. (D). Les restes des Comités électoraux, d'où la députation de Paris était sortie. (E). Les Clubs Radicaux. (F). L'Association Internationale. (G). Les Clubs Départementaux. Si nous avons oublié quelque chose, nous le verrons bien. Au reste, il y a des oublis volontaires. Ainsi, c'est à dessein que je laisse de côté les maires de Paris, car on ne peut en parler qu'après l'analyse des éléments du parti, dont les maires eux-mêmes sont issus. (A). Aimez-vous l'avocat? On en a mis partout. Le journal le Rt'veil publie la liste des avocats, membres du gouver¬ nement, ministres, préfets, sous-préfets, administrateurs. Jules Ferry et Gambetta avaient placé tout leur monde. On ne se figure pas, en Angleterre, ce que c'est que l'Avocat; et on ne se fait peut-être pas une idée exacte du Libéral, du Républicain formaliste, et du Radical. L'avocat français n'est pas même un jurisconsulte. Tout est spécialisé. Le juris¬ consulte a un cabinet où il attend le consultant. L'avocat A PARIS PENDANT LE SIÈGE. est un parleur. Jules Favre et Picard sont connus au Palais pour leur ignorance des lois. Le premier plaide les divorces ; le second récite et habille des affaires que d'autres que lui ont étudiées. J'ai connu et même éduqué beaucoup de jeunes avocats : ils sont aussi forts en philosophie queJules Favre, leur grand maître, dont le discours à l'Académie est resté un modèle de ridicule et de coq-à-1'ùne. Ils sont inca¬ pables d'obtenir de l'accusé qu'ils défendent, du client qu'ils protègent, un exposé net des faits, ils ne plaident jamais au fond; ils sont les victimes des incidents d'audience en attendant qu'ils en jouent; ils apprennent à la bâte, verbalement, une question quelconque, technique, embrouil¬ lée, comme celle d'une prise de brevet, mais jamais, au grand jamais, ils n'en garderont une notion juste de ce brevet, de cette invention, de ce fait scientifique. Quelques- uns acquièrent une sorte de célébrité par le fail de pouvoir tout apprendre et de savoir tout oublier. L'avocat est et reste avocat : il ne redevient jamais homme. Il ne faut pas oublier que le Leblond, qui a été le complice du gouvernement dans la longue ef inégale détention des accusés du 31 octobre (maintenant acquittés par un conseil de guerre), est le même Leblond que le farouche défenseur de Delescluze. Delescluze s'est fort étonné de ce change¬ ment; mais, comme tant d'autres, ce vieillard est un naïf. Les devoirs professionnels, n'est-ce pas le contraire du devoir? Entre la magislrature, qui rend des arrêts et des services au pouvoir, et le Barreau, pépinière d'hommes politiques, n'existe-t-il pas le même pacte qu'entre tout gouvernement représentatif et toute opposition? Gambetta partit en ballon avec le fidèle Spuller, exemple choisi entre mille des nullités du Barreau fatalement appe¬ lées à figurer en seconde ligne au pouvoir. Car quel avocat spécialiste ayant une étude — car les cabinets des avocats sont maintenant des Etudes — quel avocat achalandé se serait conlenté du second rôle? On a donc des proportions de ce genre : Gambetta : Spuller :: Ferry : Etienne Béquet. Ainsi, on a beaucoup blagué Gambetta d'avoir transporté en province, comme demi ou quart de secrétaire d'État, Georges Cavalier, plus et trop connu sous le nom de « Pipe- en-Bois » que lui donna Jules Vallès à la première représenta- Lion de Henriette Maréchal. Eh bien! sur l'honneur, je l'af- ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN. 329 firme, Georges Cavalier, dont personne plus que moi ne connaît les ridicules, est un génie près des myrmidons Spol¬ ier et Béquet. Mais il n'a pas l'obésité « Plon-Plonienne » du premier, et l'irréprochable faux-col du second. L'avocat politique est plus libéral que républicain; et s'il est ou se croit républicain, fatalement il se trouve être plus forma¬ liste que radical. D'abord, définissons le Libéral : c'est un avorton issu du liane bourgeois de la Révolution de 89, qui entend par liberté le privilège de jouir du statu quo social, du collège, des diplômes, des immunités de sa caste, des bénéfices réels cachés sous les illusions démocratiques du régime repré¬ sentatif : gauche qui se ferme aux coups d'État, mais qui, après les avoir laissés faire, se rouvre quand les coups d'État promettent les libertés de janvier 1809. C'est Emile Olli- vier avant, c'est Ernest Picard après. C'est l'esprit voltairien dans tout son empâtement bourgeois, et c'est le perpé- tuement de ce cri de toutes les causes qui vont mourir : Apres moi, la fin du monde. Le Républicain Formaliste veut la République, et croit à la puissance magique des proclamations, des exergues gra¬ vés sur les murailles. La République d'abord, on changera les rouages après. Les anciens rouages de la centralisation impériale ou monarchique n'étant pas changés ramènent l'ancien état de choses. Sur la fin de leurs jours, les Répu¬ blicains Formalistes font comme M. Grévy : ils deviennent superstitieux en fait de puissance du changement d'éti¬ quettes, jusqu'à jouer pour rien le rôle des Dupin. Les Républicains Radicaux, concevant une réorganisation politique conjointement à une réorganisation sociale? 11 n'en existe encore, il faut le dire, qu'à l'état de fœtus, que sous forme d'aspirations et de besoins. V pensez-vous? 11 faut science et conscience pour réaliser le programme, or la France a appris à haïr les savants et à blaguer les hommes de devoir. (D). Le Journalisme Républicain formaliste était repré¬ senté par le Siècle et l'Avenir national. Quelques personnes songeraient, avec le gros et niais public, à y joindre le Temps. Or il y a longtemps que de source sûre on sait que l'argent orléaniste, par le canal d Hébrard, alimente la feuille de Netftzer, qui n'est du reste pas si simple qu'il est 330 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. gros, et dont, par un paradoxe physiologique, la formule psychologique est celle-ci : « Modérément de vertu, de sa¬ voir, de sincérité exprimé en langage froid et lourd. » Après un nombre suffisant de réfrigérations internes par la bière, dans une brasserie plus germanique qu'alsacienne, on arrive à comprendre la valeur nénuphardesque dudit Nelftzer. Le Siècle avait eu, avant septembre 1870, dès l'aube de cette illustre année, sa petite convulsion interne. Lui élément soi-disant jeune, représenté par le vieux et grave jeune homme Tenot, par le beau diseur de sonnets d'autrefois, par l'apôtre de l'Évangile artistique, selon Courbet, par l'ami intime de Gambetta, par Castagnary, pour tout dire, avait, en gardant toujours le jeune Louis Jourdan, évincé l'ancienne et Havinique rédaction. Quand l'investissement arriva, le Siècle, boutiquièreinent pour servir les abonnés de province, politiquement pour prôner Gambetta, laissa le menu fretin rédiger la feuille de Paris, et l'état-major gambettisii en province. Mais tout cela pas¬ sait au nez et à la barbe du conseil de famille du journal des hommes du Quatre-Septembre : des banquiers de l'af¬ faire. Or, pour tout remettre en bon ordre, se trouvait là l'ostentateur italien, libre-échangiste, économiste de l'école de J.-B. Say, Henri Cernuschi, qui sait donner deux fois 100 000 francs au comité antiplébiscitaire du 8 mai, et qui refuse 200 francs à la veuve de son premier prêteur de fonds, parce que tout le monde saura le premier fait et ignorera le second : Henri Cernuschi, dont le secrétaire était ce Gustave Chaudey, ancien exécuteur testamentaire de P.-J. Prudhon, trônait à l'Hôtel de Ville. C'était l'homme fort, salué par Francisque Sarcey, embrassé par Jules Ferry. I.e Siècle de Paris fut donc bien vite remis à la raison par la foule des actionnaires, maniés par Cernuschi qui n'a pas son pareil dans ces sortes d'assemblées. Le Siècle de province gambetlisait ; la République et la France ne s'en por taient que plus mal. Celui de Paris avait beau recevoir les critiques militaires de Jean Brunet, et inscrire en tête de chaque numéro les frères paroles de Jules Favre : « Pierre... Pouce... » 11 n'en subissait pas moins cette loi, qu'un journal qui a fourni au pouvoir ses bailleurs de fonds et son conseil de surveillance, est surveillé et mâté par ce pouvoir. Aujourd'hui, la jeune rédaction, dont Girardin se ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN. 331 moquait tant à l'origine, n'est plus, et a mérité par sa naïveté les ironiques mercuriales de cet antique et toujours vert proxénète de la plume. L'Avenir national avait placé à l'Hôtel de Ville tout son personnel depuis Floquet et Brisson, premiers ténors du puritanisme républicain dont il lit les adjoints au Maire de Paris, — qui était encore un de ces rédacteurs, le trop vaude¬ villiste Etienne Arago, —jusqu'au cuisinier du journal, Jules Mahias, qui devint secrétaire général de la mairie de Paris. Peyrat, rédacteur en chef, ne voulut rien être. C'était le moyen, sans autre droit a la popularité, d'être un jour député, et, se souvenant des leçons de son premier maître, de pouvoir girardiniser le parti. L'Avenir national fut donc une bouche close, pendant toute cette gabegie des hommes de l'Hôtel de Ville. S'il faisait quelque critique, c'était pour pouvoir absoudre de leur déloyauté, maintenant juridiquement constatée, Favre, Ferry, Dorian et Sclnelcher, qui mentirent si bien au 31 octobre. Mais les rédacteurs de l'Avenir national, Flo¬ quet, Brisson, donnèrent cependant leur démission : la rédaction de M. Peyrat ne peut, pas plus que la femme de César, être suspectée. Etienne Arago ne donna pas sa démission, mais comme compensation, reçut de la République une mission près du pape, pour lui offrir l'asile de la Corse. Le Siècle et l'Avenir national auraient pu éclairer l'opinion : mais qu'attendre de formalistes? (Cj. Le Journalisme Républicain Radical était, au 4 Sep¬ tembre, représenté par le Réveil, auquel, dès le o, se joignait la Patrie en danger, organe de Blanqui, et quelques jours plus tard le Combat, journal de Félix Pyat. La Marseillaise fit une sortie maladroite dans la forme, car le signataire était Cluseret, juste au fond. Et le propriétaire du journal, M. Henri Rochefort, alors au pouvoir, étrangla lui-même son enfant. Les bourgeois pardonnèrent beaucoup à Ro¬ chefort, à cause de ce sacrifice, digne de l'antiquité la plus juive ou la plus romaine. Ils comprirent bien que M. de Rochefort avait les convenances et le bon ton de l'homme bien élevé. « A tout seigneur tout honneur. » Delescluze est le pon¬ tife du dogmatisme radical. Jadis, il fut le souffleur de 332 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. cello outre qui s'appela Ledru-Rollin; quand cette outre, démesurément gonflée, se fendit pour être plus à l'aise, Delescluze cessa d'y souffler. Au Réveil, Delescluze avait trois apôtres, Razoua, F. Courue! et Ch. Quentin. Au plé¬ biscite de novembre, Delescluze commença par conseiller l'abstention, puis abandonna cette théorie trop haute pour lui, puis après le vote regretta de ne pas avoir con¬ seillé sa pratique. Quelques jours avant, Félix Pyat an¬ nonça les pourparlers d'un officier supérieur de Bazaine pour livrer Metz; quand Pyat déclara tenir la nouvelle de Flourens, et que celui-ci affirma l'avoir apprise de la bouche même de Rochefort, et enfin que ce dernier nia son propos et crut se laver en salissant Pyat, Delescluze déclara ne pas vouloir «tremper dans cette saleté ». Par je ne sais quelle envie d'accaparer toute initiative, et par une jalousie qui le porte à ne pas soutenir celle qui vient d'autrui, Delescluze laissa le Combat seul aux prises avec la Réaction. On faillit assommer Pyat, qui devait, au 31 octobre, être porté en triomphe : or Pyat esquiva les gémonies et l'apothéose. De même, lors du bruit qui courut que le bataillon de marche dit « tirailleurs de Belleville » avait lâché pied, calomnie qui court encore, le journal de Pyat publia les procès-ver¬ baux de l'enquête provoquée par les tirailleurs eux-mêmes, et Delescluze se tint coi. Ce n'est pas tout : Delescluze, en¬ vahi par un optimisme qui est dans la nature des hommes qui datent de 1830, parut soutenir Troehu jusqu'à l'avant- dernier moment. Quand tout fut perdu ou livré, Delescluze comprit l'inutilité du sacrifice qu'il avait fait de son opinion intime. Il aurait rendu plus de services en affirmant le ert'tinisme, maintenant populaire, de Trochu, qui avait été prouvé par des hommes compétents, qui avait été écrit en toutes lettres, après preuves par Blanqui. Soyons juste même el surtout pour Blanqui. Son journal, paru au lendemain du 4 Septembre, débuta par cinq ar¬ ticles du maître, exposant la défense de Paris. Cette série d'articles, quoique émanés d'un homme conspué très injustement, frappa des militaires, et entre autres un ofli- cier supérieur d'état-major, qui proposa ce plan à Trochu. Mais celui-ci, qui taxait Garibaldi de « fou », ne devait tenir compte de pareille communication. Ce plan se résume ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN. 333 ainsi : expulsion des bouches inutiles; remuer lu terre, c'est-à-dire guerre de pelles autant que de canons; relier et défendre la ligne de forts par l'occupation des hauteurs; utiliser toutes les forces en faisant de Paris non seulement une garnison et un camp, mais un atelier d'armement et d'habillement, mais une vaste contrée fortifiée, à la fois se défendant et se nourrissant elle-même, tant par la libre entrée de toutes provisions que par la défense de tout le périmètre, si cultivé et si productif de toute sa banlieue. Blanqui, déjà calomnié par celte ganache chauvine, hé¬ roïque, je ne le nie pas, appelée Barbés, Blanqui était, par dessus le marché, mal entouré : les Blanquistes étant fort inférieurs à Blanqui. Mais quand on connaît un peu son histoire, ne sait-on pas que toute époque révolutionnaire a son bouc émissaire, que la Réaction charge de toutes les ini¬ quités, vraies ou supposées, d'Israël ? si ce n'est pas Blanqui, c'est Pyat. Et, en le supposant plus réellement vigilant et moins hargneux, c'est-à-dire moins imposant, ç'eût été Delescluze lui-même. A Rome, si le cri des oies n'eût pas été entendu, on eût égorgé les oies en les accusant de conni¬ vence avec l'ennemi. Le seul défaut de Félix Pyat, qu'il reconnaîtrait lui- même, c'est qu'il est vieux, c'est qu'il prêche avec le style démodé de 1830, qu'il est un homme de plume, un artiste arrivé à concevoir l'action, incapable de l'exécuter, qu'il ne peut avoir d'autorité qu'après que ce qu'il a prédit, sans avoir puissance de l'empêcher, est arrivé. C'est un rétro¬ spectif, ayant les visées de l'avenir et n'en pouvant construire la route. Cependant, quel progrès accompli depuis ses hui¬ leuses élucubrations du Rappel! Mais il a encore plus de nerfs que de nerf. Il a les impuissances de l'époque : c'est là son infériorité. 11 le sait : c'est là sa supériorité. (D). Les élections de 1869 avaient été, d'après les idées par¬ lementaires, un réveil de l'opinion, et, en réalité, Paris venait dénommer ceux qui devaient logiquement le gouverner dès que l'Empire tomberait, et qui devaient, tout aussi logique¬ ment, recommencer en l'empirant 1818. Quoi qu'il en soit, à la ligue Bonapartiste-cléricale-libérale on avait dû opposer une organisation quelconque. 11 s'était donc formé îles comités. Il ne faut pas oublier que, d'adversaires du gouvernement qu'ils étaient en 1863, Jules Favre, Carnot et Garnier-Pagès 19. 334 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. s'étaient trouvés, en 1809, véritablement patronnés par ledit gouvernement, par le fait même que, dans les circon¬ scriptions électorales où se présentaient ces pâles combat¬ tants, le ministre de l'intérieur d'alors crut inutile de sou¬ tenir des candidatures officielles.» On comprend que les comités électoraux de 09 avaient inventé autant de nuances de rouge que cette robuste couleur peut en supporter. On comprend encore que les seuls comités, dont le candidat avait réussi en 1809, se trouvaient avoir de l'inlluence au 4 Septembre 1870, quand ce candidat venait à passer dé¬ puté, gouvernant. Les autres comités étaient sans pouvoir, soit comme n'ayant pu faire réussir leur candidat, soit ayant été lâchés par le candidat devenu député et passé gouvernant. Les comités de Rellevi 1 le avaient, en effet, très peu de confiance en Gambetta, depuis qu'il avait fait sa palinodie de Marseille en 1809. Et ce n'est pas l'attitude ambiguë de Gambetta gouvernant qui pouvait amener l'en¬ tente entre l'ami de M. Laurier et ses anciens commettants. De même, malgré ses « sous-sols », la conscience de Henri Rocbefort olfrait peu de garanties de solidité aux comités qui l'avaient soutenu contre Favre au quartier des Écoles, et à ceux qui l'avaient fait élire au second tour de scrutin dans la circonscription de Montmartre. Ces messieurs de l'Hôtel de Ville mirent d'ailleurs très vite le marché à la main aux comités qui naguère recevaient d'eux tant de pro¬ messes et d'accolades. Donnant, donnant : soutenez-nous, nous vous écouterons; sinon, non. L'Hôtel de Ville se hé¬ rissa de consignes et d'huissiers dès le quatrième ou cin¬ quième jour d'occupation, pour que ces messieurs travail¬ lassent en paix, c'est-à-dire fussent débarrassés de leurs anciens bienfaiteurs. 1869 a donc légué à 1870 des comités impuissants et désorganisés. En histoire, c'est pis que la fable : c'est le soliveau lui-même qui devient grue. La sur¬ prise n'en est que plus grande pour ces pauvres grenouilles qui se feront toujours croquer. Soliveau sous l'Empire, AI. Ernest Picard s'apprête, en mars 1871, la paix conclue, à être grue pour toutes les rainettes républicaines qui coas¬ seront trop haut. Et c'est justice. Pourquoi donner, en 1870, la dictature à des soliveaux?Pourquoi, en 1869, avoir revêtu, par le vote, des fantômes de puissance? (E). Les comités mécontents fondèrent des clubs. Les clubs ORGANISATION DU PARTI REPUBLICAIN. 333 qui, vers la fin de l'Empire, avaient commencé la résis¬ tance se rouvrirent. La Réaction n'eut que deux réunions publiques, celle de Valentino et celle des Folies-Bergère, plus un club académique, celui de la Porte Saint-Martin. Le club de la Porte Saint-Martin, malgré Ratisbonne et Francisque Sarcey, ferma ainsi que Valentino. Les Folies- Bergère, à la fin transportées au Casino, expirèrent litté¬ ralement dans la fange policière et dans le fumier des filles du quartier. Les réunions publiques et les clubs républi¬ cains, radicaux ou exagérés, eurent toujours plus de tenue, et essayèrent de se centraliser. Mais à cette centralisation se présenta un double obstacle. La critique étant toujours plus facile que la création, les orateurs qui, sous l'Empire, suffisaient à la tâche, épuisèrent facilement leur répertoire sous la République, quand au Dcstruam il fallait faire suivre V.Edificabo de la Bible. Et puis, le mort saisit toujours le vif. En ce temps de népotisme, qui nous a fait payer Gode- l'roy Cavaignac par Eugène Cavaignar, le premier Garnier- Pagès par le second, si ridiculement entêté de ses 4.ï cen¬ times, etc., dans ce pays classique par excellence, qui veut des titres quand même, la première place fut aux anciens exilés, aux ex-proscrits et déportés, à tous ceux qui avaient fait leurs preuves, et hélas! leur temps. Ce qui empêcha la centralisation fut donc la disette de jeunes et la pléthore de vieux; ce fut le faux centre appelé Comité Central. Le parti fut perdu à l'avance, non pas seulement parce qu'il n'avait pas de tète, mais parce qu'il s'en crut une. « En France, on croit toujours que sou voisin fail double beso¬ gne : » les niais simples se reposent sur le Gouvernement, les niais plus compliqués attendent tout d'hommes qui iront en prison pour eux, qui risqueront leur peau pour eux et qui recevront la récompense de passer pour des pillards et des ambitieux. On allait au club comme au spectacle, comme au café, pour passer sa soirée. On votait dix résolutions par soir, et le lendemain, il ne restait de tous ces beaux projets que quelques lignes de procès-verbal et le souvenir bur¬ lesque d'une levée confuse de bras. Cependant, il faut le dire, ce qui devait être fait pour sauver Paris a été dit à temps, dès le a, dès le 0 septembre. Mais ce n'a été que dit. C'est si simple de sortir d'une situation désespérée, il suffit d'aller tout droit. Nulla salua... celaa été dit en latin. Avec 330 A PARIS PENDANT LE SIEGE le pouvoir dont il disposait, le Comité Central aurait pu l'aire beaucoup; mais il a toujours caressé l'espérance ridicule que le public se rendrait à l'évidence d'exposés de principes et que le Gouvernement recourrait finalement à lui, pour sortir de la situation. Mais que diable ! sortir de la situation, c'était pour MM. Favre, Ferry et consorts, descendre du pouvoir. On ne peut pas plus attendre d'abnégations de parlementaires impériaux que d'héroïsme d'une l'oule agio¬ teuse, mercantile et bavarde. Le Comité Central a laissé passer la première semaine, celte semaine pendant laquelle ces messieurs de l'Hôtel de Ville s'attendaient à être flanqués à la porte par Piélri ou par son spectre — la première quinzaine, quand il fallait déjà en venir à de gros mots — le premier mois, quand les bourgeois étaient revenus de l'exaltation, mêlée de crainte, à l'intérêt sordide, doublé d'insolence vis-à-vis de ces gens qui ne savaient profiter de la victoire. A l'instigation de ce Comité Central, le parti républicain, qui seul voulait et pou¬ vait la défense, faisait des affiches rouges, dans lesquelles on indiquait ces moyens connus de toutes les villes assié¬ gées qui ne veulent pas se rendre. On déclarait les affiches, en disant que c'était le pillage qu'on demandait. Ce parti bête faisait des démonstrations pacifiques comme celle du 8 Octobre; et la Réaction comptait ses baïonnettes et celles des mobiles bretons. Cependant le désastre du Buurget et la nouvelle, officielle enfin, de la reddition de Metz amenaient le 3 I Octobre. Môme à cette date si éloignée du 4 Septembre, en ces temps de minutes-siècles, le parti fut encore plus surpris que la Réaction, et la journée, gagnée à deux heures du soir, était perdue à cinq heures. (F). Les fautes commises vis-à-vis du parti républicain en¬ tier par le Comité Central ont été faites d'une manière plus spéciale, et par suite plus dommageable, par l'Association Internationale vis-à-vis de la fraction la pllis importante du parti, la fraction ouvrière. L'Internationale cl les Fédérations issues d'elle ont certes, sous l'Empire, combattu un bon combat. C'étaient de solides débuts que ces procès successifs, que les mem¬ bres en vue soutenaient, et que des inconnus, venant prendre la place des emprisonnés, continuaient avec un courage et une connaissance approfondie des droits ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN. 337 d'homme et de citoyen, jusqu'ici nominalement accordés, mais en réalité refusés à l'ouvrier. Mais, il faut le dire, le temps n'est pas le seul facteur de la vie. « Tous les petits poissons ne deviennent pas grands », et ils ne font pas tous également bonne mine dans la fri¬ ture. Philosophiquement, le temps est la plus creuse de toutes les formules, quand il n'est pas la plus concrète. Peut-être, à coup sûr même, l'Association Internationale avait besoin de quelques années de plus d'élaboration pour pouvoir diriger la classe ouvrière au milieu des périls in¬ ternes et externes, que nous avait faits l'invasion. Les ouvriers sont encore mineurs. De la confiance, ou mieux de l'indifférence béate, ils sont passés, sans transition, à la defiance et à l'agitation, plus stérile que réellement active. La plupart d'entre ceux qui ont émergé de la stagnation impé¬ riale, onL hérité des défauts de leurs adversaires, avocats et patrons : formalisme et exclusivisme. A cheval, pendant une période, sur la légalité, chatouilleux sur le point de droit, ils se cabrent aux résistances, et enfourchent le dada des grands mots et des résolutions extrêmes, — quitte, au 31 Octobre, à s'en aller quand rien n'est fait, — au 22 Jan¬ vier, à être cinq cents au lieu de cinquante mille. Et de cela, quand on a le temps devant soi, il ne faut ni s'étonner ni se plaindre. Ils m'ont toujours semblé ridicules, autant qu'impuissants, ces anli-esclavagistes de cabinet, qui, débar¬ qués à la Nouvelle-Orleans, faisaient « Pouah ! » en face du nègre. Mais, si les classes opprimées étaient intéressantes par elles-mêmes, il n'y aurait ni mérite ni nécessité à s'in¬ téresser à elles. Attend-on que l'enfant bégaie pour lui parler, et que l'ouvrier soit un sage et un docteur en blouse, pour déclarer qu'il faut l'instruire et le décharger du bât féodal. En France, à Paris, on a semblé compter sur ce prodige. Eh bien! l'ouvrier essaie de se sauver lui- même ; tantôt il change une servitude pour une autre, tantôt il rue à se casser les jambes. A cela rien d'étonnant, rien d'alarmant même — quand on a le temps devant soi ; mais, quand la Fatalité vient poser brutalement son dilemme shakespearien : Être ou bien n'être pas, la philosophie est moins facile. En étant moins sectaire, moins dogmatique, plus pratique et plus radicale à la fois, l'Association Inter¬ nationale pouvait, en ce temps de suffrage universel, im- 338 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. poser la loi du nombre qui, dans une ville assiégée, était tout simplement l'intérét de la généralité et l'honneur de tous. Pas plus que les autres éléments du parti, l'Interna¬ tionale n'a compris le joint de la situation qui est celui-ci et que je vais dire. Il fallait, « sans mettre en avant aucune question sociale, en se gardant bien de commettre une pa¬ reille faute », mettre à l'étude, soumettre à l'opinion publique, proposer, ordonner toutes les mesures radicales que l'état de siège comportait, et tout cela au nom exclusif du salut commun; il fallait la Commune, la municipalité élue, sans la dire révolutionnaire, puisque toute ville as¬ siégée, qui veut résister jusqu'au bout, est révolutionnaire par nécessité. 11 fallait s'aboucher avec tous patriotes de quelque opinion que ce fût; il fallait abdiquer toute pré¬ tention d'imposer à la province le gouvernement de la muni¬ cipalité de Paris*. Et voilà : car le reste est compris dans celte vue d'ensemble. Mais l'Empire nous a appris à tirer chacun la couverture, à mentir aux autres et à nous- mêmes, à grossir notre effectif, nos ressources, notre force, en un mot à railler et à imiter le style de ses dépêches et bulletins : l'Association Internationale ne tenait pas dans sa main, comme elle le donnait à entendre, toute la popu¬ lation ouvrière de Paris. Elle était de plus divisée en elle- même — qu'on juge des autres éléments du parti : c'était et c'est le plus actif et le plus sincère. (G). Les clubs départementaux se fondèrent après l'inves¬ tissement. Toute communication entre Paris et la province étant impossible, c'est-à-dire se bornant ridiculement à l'envoi du Journal officiel de Paris à la province et à quel¬ ques émissaires postaux ou militaires de la province à Paris, les ballons ne servant qu'à masquer une des clauses du plan notarié de Trochu, celle-ci — « que Gamhetta ne devait pas être tenu au courant de ce qui se passait à Paris, et que non seulement Paris, mais les autres membres du gouvernement, excepté lui et Picard, ignoreraient les plus importantes dépêches de Gambetta » : pour cela, Trochu les gardait en poche. Bref, Paris isolé de la province, on comprend que des républicains de province, ou en relation 1. Le lecteur reconnaîtra dans cette dernière clause l'énonciation du point principal du programme du gouvernement révolutionnaire de la Commune, établie le 18 mars. ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN. 339 ordinaire avec la province, durent penser à se grouper par expressions géographiques, pour pouvoir, une fois le dé- bloquement opéré, répandre et diffuser le verbe républicain dans ces départements restés monarchiques par torpeur et par éducation cléricale. L'idée des Clubs Départementaux était donc excellente; elle n'a pu donner aucun résultat appréciable, par la raison fort simple que les meilleurs docteurs n'arrivent jamais en consultation que pour con¬ stater Vin articulo mortis du malade. Or la province fran¬ çaise était, de par l'Empire et toutes les monarchies précé¬ dentes, plus malade que Paris. Le sentiment maternel est le dernier instinct qui reste aux femmes non encore tout à fait déchues. Il en est de même du sentiment patriotique pour les nations qui se décomposent. La province n'a pas même eu le sentiment patriotique; elle voulait non par tactique, mais par inertie vitale, elle voulait la paix; c'est pour cela qu'elle a envoyé à l'Assemblée de Bordeaux les crânes les plus chenus, les poitrines les plus catarrheuses ; elle a voté, contre ses sympathies, pour les nobles et les légitimistes ; c'est qu'elle a demandé seulement à ses can¬ didats une chose bien simple : voter la paix quand même, la paix à tout prix. On recommence 48 : au lieu de faire les élections au lendemain du mouvement, on les fait quand le mouvement expire, et qu'une réaction le recouvre comme uu contre-Ilot et le dépasse. Les « habiles » font ; les « niais » laissent faire. Maintenant qu'est épuisée l'analyse de ces éléments du parti : (A). Avocats dits ou se disant républicains; (B). Jour¬ nalisme Républicain Formaliste; (C). Journalisme Républicain Radical ; (D). Restes des Comités Électoraux de 1869 ; (E). Clubs Radicaux; (F). Association Internationale; (G). Clubs Dépar¬ tementaux, — il nous faut les voir à l'œuvre dans leur en¬ tente, dans leurs conflits, dans leurs efforts de « montagne accouchant de la souris Thiers ». On ne prend que là où il y a : c'est un axiome financier, vrai dans les époques critiques pour les questions politiques et sur¬ tout nationales. Les hommes du Quatre Septembre qui ac¬ cordaient les municipalités élues un moment, pour les refuser l'heure d'après, et qui gagnèrent à ce petit manège le temps de se concilier l'épaisse bourgeoisie, enfin remise de ses alarmes— les Hommes du Quatre Septembre ne pouvaient, 340 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. tout impérialistes qu'ils fussent, conserver les maires bona¬ partistes de Paris. Ils en nommèrent d'office. Où les prirent- ils? —• Forcément, dans ce qui était, dansce qui vivait encore, dans les éléments énoncés plus haut. M. Tenaille-Saligny, maire du Ier arrondissement, avocat, et même avocat à la Cour de cassation (catégorie A); Floquet et Brisson qu'on adjoignit au maire de Paris, rédacteurs de \'Avenir national ; Henri Martin, du Siècle, nommé maire de Passy, c'est la ca¬ tégorie B. François Favre, maire de Batignolles, ce jour¬ naliste signant au Réveil : Catégorie D, fort édulcorée, il est vrai, — car Fr. Favre a été administrateur plus que médiocre, et plus médiocre encore a été son attitude poli¬ tique en face d'un gouvernement, cachant toutes ses opé¬ rations, pour tout révéler la veille d'un inévitable désastre, d'une faillite déjà escomptée. Hibeaucourt, maire du VIIe ar¬ rondissement, Robinet, maire du VIe, Bertillon, maire du Ve, appartenaient à la catégorie D. — L'Association Interna¬ tionale régnait avec Mottu au II0, et avec Bonvalet au IIIe, catégorie F. — Les Clubs Radicaux (catégorie E) étaient, par les comités de vigilance ou de défense ou d'armement, qu'ils avaient formés dans chaque arrondissement, en relation di¬ recte, étroite, et le plus souvent amicale avec les maires respectifs. « Chaque mairie, du 4 Septembre au 8 — ou tout au plus — au la octobre, était une république en miniature, » et quelques-unes ont fonctionné très bien, à la satisfaction môme des réactionnaires qui, en tant qu'administrés, aiment la promptitude et la justice qu'ils réprouvent dans le gou¬ vernement. Si les hommes de l'Hôtel de Ville avaient, au point de vue politique, reçu les suggestions des maires, au point de vue militaire, les avis des comités scientifiques fonctionnant aux mairies; si, en reprenant une assiette qu'ils devaient aux maires des arrondissements, les hommes du Quatre Septembre n'avaient pas, au fur et à mesure, resserré, limité, contrarié, contrecarré l'action des maires; si, d'un autre côté, ceux-ci avaient pressé dès fin septembre pour avoir des élections municipales, ou s'ils avaient compris l'esprit révolutionnaire, c'est-à-dire s'ils s'étaient imposés, eux et leurs projets de réforme républicaine et de défense otfensive, au faible maire de Paris, Éticnne Arago; si beau¬ coup de ces honorables mais peu énergiques fonctionnaires n'avaient pas espéré soit dans le puritanisme étriqué de Brisson, ORGANISATION DU PARTI RÉPUBLICAIN. 341 soitdans 1'ogrerie — fort peu dangereuse au fond — de Floquet, les adjoints d'Arago, si les maires de Paris avaient sommé le gouvernement de se borner au zéro représentant les affaires générales (ballons et dépêches) et s'ils avaient pris leur dû, la gestion de Paris, qu'ils devaient nourrir et qu'ils devaient défendre, tout se fût évidemment passé autrement, sans dé¬ sordre, sansTrenteet un Octobre. Un maire disait à l'auteur de ces lignes : « Vous verrez ce que je ferai quand j'aurai la force, quand je serai élu; »— et celui qui écrit maintenant après les événements, mais non sans avoir déjà dit et redit tout ce qu'il écrit maintenant, répondit à ce maire : « Quand ou veut être élu, il faut agir comme si on avait la force et la force vient. Citoyen maire, vous ne serez pas élu. » En dehors de la hiérarchie telle que l'Empire l'avait établie, on ne concevait encore après le 4 Septembre que désordre, parce que l'ordre véritable, la vraie division et organisation des pouvoirs, tout cela est inconnu de tous ceux qui se sont gâté la main, l'esprit et le cœur à faire la petite guerre, la guerre parlementaire à l'Empire, que l'on laissait ainsi légitimer son crime et qu'ainsi on ne pouvait renverser que par d'autres faux serments. Les vingt maires, leur quarante adjoints se laissaient diriger à rebours par Etienne Arago et ses lieutenants Floquet et Brisson. Et les maires sentaient bien aux mille petits faits de la vie administrative, aux longues conférences de l'Hôtel de Ville, qu'on ne con¬ duisait pas Paris à la victoire. Mais impérialisés, confondant le plébiscite captieux avec l'appel au peuple — simple et carré sur des questions nettes et vitales, — ils n'avaient pas l'audace d'accomplir le devoir de crier liant ce que leur conscience leur murmurait : « Peuple, on te trompe » En cédant même aux premiers jours qui permettaient de s'imposer, en acceptant le terrain impérialiste, ces maires, simples agents administratifs du gouvernement de l'Hôtel de Ville, encoururent la disgrâce de la population qui, n'en¬ tendant pas malice aux rouages de l'administration, accusait les maires d'être la cause du peu de quantité de nourriture distribuée, de la mauvaise étoffe des vareuses, de l'enterre¬ ment des projets de défense, de la lenteur de l'armement, que sais-je? — de tout; et les malheureux maires n'étaient que des commis, et des commis 11011 payés; mais où va se nicher le dévoftment? 342 A PARIS PENDANT LE SIE^E. A force d'appeler les membres du Gouvernement de la Défense nationale tanlôtHommes du Quatre Septembre, tan¬ tôt Messieurs de l'Hôtel de Ville, il convient de dire comment le public si nerveux de Paris a expliqué la première appel¬ lation qu'ils se sont donnée, et pourquoi ce même public leur a donné les seconde et troisième. NOTES ET DOCUMENTS DIVERS NOTES NOTE I PROCLAMATION ADRESSÉE AUX FRANÇAIS, CE 22 SEP¬ TEMBRE 1870, PAR VICTOR IIUGO. Aux Français. Nous avons fraternellement averti l'Allemagne. L'Allemagne a continué sa marche sur Paris. Elle est aux portes. L'Empire a attaqué l'Allemagne, comme il avait attaqué la République, à l'improviste, en traître; et aujourd'hui l'Allemagne, de cette guerre que l'Empire lui a faite, se venge sur la République. Soit. L'histoire jugera. Ce que l'Allemagne fera maintenant, cela la regarde; mais nous, France, nous avons des devoirs envers les na¬ tions et envers le genre humain. Remplissons-les. Le premier des devoirs est l'exemple. Le moment où nous sommes est une grande heure pour les peuples. Chacun va donner sa mesure. La France ace privilège qu'a eu jadis Rome, qu'a eu jadis la Grèce, que son péril va marquer l'étiage de la civilisation. Où en est le monde'? Nous allons le voir. S'il arrivait, ce qui est impossible, que la France suc¬ combât, la quantité de submersion, qu'elle subirait, indi¬ querait la baisse de niveau du genre humain. 316 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Mais la France ne succombera pas. Par une raison bien simple, et nous venons de la dire, (l'est qu'elle fera son devoir. La France doit à tous les peuples et à tous les hommes de sauver Paris; non pour Paris, mais pour le monde. (le devoir, la France l'accomplira. Que toutes les communes se lèvent! Que toutes les cam¬ pagnes prennent feu! Que toutes les forêts s'emplissent de voix tonnantes! Tocsin! Tocsin! Que de chaque maison il sorte un soldat; que le faubourg devienne régiment; que la ville se fasse armée. Les Prussiens sont huit cent mille, vous êtes quarante millions d'hommes. Dressez-vous et soufflez sur eux! Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orléans, Dijon, Toulouse, Rayonne, ceignez vos reins. En marche! Lyon, prends ton fusil; Bordeaux, prends ta carabine ; Rouen, tire ton épée, et toi, Marseille, chante la chanson et viens terrible. Cités, cités, cités, faites des forêts de piques, épaississez vos baïonnettes, attelez vos canons, et toi, village, prends ta fourche. On n'a pas de poudre, on n'a pas de munitions, on n'a pas d'artillerie? Erreur. On en a. D'ailleurs, les paysans suisses n'avaient que des co¬ gnées, les paysans polonais n'avaient que des faux, les paysans bretons n'avaient que des bâtons. Et tout s'éva¬ nouissait devant eux! Tout est secourable à qui fait bien. Nous sommes chez nous. La saison sera pour nous, la bise sera pour nous, la pluie sera pour nous. Guerre ou honte! Qui veut, peut. Un mauvais fusil est excellent quand le cu.'ur est bon ; un vieux tronçon de sabre est invincible quand le bras est vaillant. C'est aux paysans d'Espagne que s'est brisé Napoléon. Tout de suite, en hâte, sans perdre une heure, que chacun, riche, pauvre, ouvrier, bourgeois, laboureur, prenne chez lui ou ramasse à terre tout ce qui ressemble à une arme ou â un projectile. Roulez des ro¬ chers, entassez des pavés, changez les socs en haches, changez les sillons en fosses, combattez avec tout ce qui vous tombe sous la main, prenez les pierres de notre terre sacrée, lapidez les envahisseurs avec les ossements de notre mère la France. Oh! citoyens, dans les cailloux du chemin, ce que vous lui jetez à la face, c'est la patrie. Que tout homme soit Camille Desmoulins, que toute femme soit Théroigne, que tout adolescent soit Barra! NOTES. 347 Faites comme Konhonnel, le chasseur de panthères, qui, avec quinze hommes, a tué vingt Prussiens et fait trente prisonniers. Que les rues des villes dévorent l'ennemi, que la fenêtre s'ouvre furieuse, que le logis jette ses meubles, que le toit jette ses tuiles, que les vieilles mères indignées attestent leurs cheveux blancs! Que les tombeaux crient, que derrière toute muraille on sente le peuple et Dieu; qu'une llamme sorte partout de terre, que toute muraille soit un buisson ardent! Harcelez ici, foudroyez là, inter¬ ceptez les convois, coupez les prolonges, brisez les ponts, rompez les routes, etfondrez le sol, et que la France sous la Prusse devienne abime ! Ah! peuple! te voilà acculé dans l'antre. Déploie ta sta¬ ture inattendue. Montre au monde le formidable prodige de ton réveil. Que le lion de 92 se dresse, se hérisse, et qu'on voie l'immense volée noire des vautours à deux tètes s'en¬ fuir à la secousse de cette crinière! Faisons la guerre de jour et de nuit, la guerre des mon¬ tagnes, la guerre des plaines, la guerre des bois. Levez- vous! Levez-vous! Pas de trêve, pas de repos, pas de som¬ meil. Le despotisme attaque la liberté, l'Allemagne attente à la France. Qu'à la sombre chaleur de notre sol cette co¬ lossale armée fonde comme la neige. Que pas un point du territoire ne se dérobe au devoir. Organisons l'effrayante bataille de la patrie. Oh! francs-tireurs, allez, traversez les halliers, passez les torrents, profitez de l'ombre et du cré¬ puscule, serpentez dans les ravins, glissez-vous, rampez, ajustez, tirez, exterminez l'invasion. Défendez la France avec héroïsme, avec désespoir, avec tendresse. Soyez terribles, oh patriotes! Arrêtez-vous seulement quand vous passerez devant une chaumière, pour baiser au front un petit enfant endormi. Car l'enfant c'est l'avenir. Car l'avenir c'est la Répu¬ blique. Faisons cela, Français. Quant à l'Europe, que nous importe l'Europe! Qu'elle regarde, si elle a des yeux. On vient à nous si l'on veut. Nous ne quêtons pas d'auxiliaire. Si l'Europe a peur, qu'elle ait peur. Nous rendons service à l'Europe, voilà tout. Qu'elle reste chez elle, si bon lui semble. Pour le formidable dénouement que la France accepte, si l'Alle¬ magne l'y contraint, la France suffit à la France, et Paris 348 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. suffit, ii Paris. Paris a toujours donné plus qu'il n'a reçu. S'il engage des nations à l'aider, c'est dans leur intérêt plus que dans le sien. Qu'elles fassent comme elles voudront. Paris ne prie personne. Un si grand suppliant que lui étonnerait l'histoire. Sois grande ou sois petite, Europe, c'est ton affaire. Incendiez Paris, Allemands, comme vous avez incendié Strasbourg. Vous allumerez les colères plus encore que les maisons. Paris a des forteresses, des remparts, des fossés, des canons, des casemates, des barricades, des égouts qui sont des sapes; il a de la poudre, du pétrole, de la nilro-glycé- rine; il a trois cent mille citoyens armés; l'honneur, la justice, le droit, la civilisation indignée fermentent en lui; la fournaise vermeille de la République s'enlle dans son cratère; déjà sur ses pentes se répandent et s'allongent des coulées de lave, et il est plein, ce puissant Paris, de toutes les explosions de l'âme humaine. Tranquille et ter¬ rible, il attend l'invasion et il sent monter le bouillonne¬ ment. Un volcan n'a pas besoin d'être secouru. Français, vous combattrez. Vous vous dévouerez à la cause universelle, parce qu'il faut que la France soit grande, afin que la terre soit affranchie; parce qu'il ne faut pas que tant de sang ait coulé et que tant d'ossements aient blanchi sans qu'il en sorte la liberté ; parce que toutes les ombres illustres, Léonidas, Brutus, Arminius, Dante, Rienzi, Washington, Danton, ltiego, Manin, sont là, sou¬ riantes et fières, autour de vous; parce qu'il est temps de montrer à l'univers que la vertu existe, que le devoir existe, et que la patrie existe; et vous ne faiblirez pas, et vous irez jusqu'au bout, et le monde saura par vous que si la diplomatie est lâche, le citoyen est brave, que s'il y a des rois, il y a aussi des peuples, que si le continent mo¬ narchique s'éclipse, la République rayonne, et que si, pour l'instant, il n'y a plus d'Europe, il y aura toujours une France. VICTOR HUGO. NOTES. 349 NOTE II PROCLAMATION ADRESSÉE Al X PARISIENS, PAR VICTOR 1IUGO, LE 2 OCTOBRE 1870. Aiu- Parisiens. Il parait que les Prussiens ont dérrété que la France serait Allemagne et que l'Allemagne serait Prusse; que moi, qui parle, né Lorrain, je suis Allemand ; qu'il faisait nuit en plein midi ; que l'Eurotas, le Nil, le Tibre et la Seine étaient des affluents du la Sprée; que la ville qui depuis quatre siècles éclaire le globe n'avait plus de raison d'être; que Berlin suffisait; que Montaigne, Rabelais, d'Aubigné, Pascal, Cor¬ neille, Molière, Montesquieu, Diderot, Jean-Jacques, Mira¬ beau, Danton et la Révolution française n'ont jamais existé ; qu'on n'avait plus besoin de Voltaire, puisqu'on avait M. de Bismarck ; que l'univers appartient aux vaincus de Napoléon le Grand et aux vainqueurs de Napoléon le Petit ; que doré¬ navant la pensée, la conscience, la poésie, l'art, le progrès, l'intelligence commanderaient à Potsdam et finiraient à Spandau; qu'il n'y aurait plus du civilisation: qu'il n'y au¬ rait plus d'Europe, qu'il n'y aurait plus de Paris; qu'il n'é¬ tait pas démontré que le soleil fût nécessaire ; que d'ailleurs nous donnions le mauvais exemple ; que nous sommes Go- morrhe, et qu'ils sont, eux Prussiens, le feu du ciel ; qu'il est temps d'en finir, et que désormais le genre humain ne sera plus qu'une puissance de second ordre. Ce décret, Parisiens, on l'exécute sur vous. En supprimant Paris, on mutile le monde. L'attaque s'adresse urbi etorbi. Paris éteint, et la Prusse ayant seule la fonction de briller, l'Europe sera dans les ténèbres. Cet avenir est-il possible? Ne nous donnons pas la peine de dire non. Répondons simplement par un sourire. Deux adversaires sont en présence en ce moment. D'un côté la Prusse, toute la Prusse avec neuf cent mille soldats; de l'autre, Paris avec quatre cent mille citoyens. D'un côté la force, du l'autre la volonté. D'un côté une armée, de l'autre un peuple. D'un côté la nuit, de l'autre la lumière. 20 35« A PARIS PENDANT LE SIEGE. C'est le vieux combat de l'Archange et du Dragon qui recommence. Il aura aujourd'hui la fin qu'il a eue autrefois. La Prusse sera précipitée. Celte guerre, si épouvantable qu'elle soit, n'a encore été que petite. Elle va devenir grande. J'en suis fâché pour vous, Prussiens, mais il va falloir changer votre façon de faire. Cela va être moins commode. Vous sere/ toujours deux ou trois contre un, je le sais ; mais il faut aborder Paris de front. Plus de forêts, plus de broussailles, plus de ravins, plus de tactique tortueuse, plus de glissement dans l'obscurité. La stratégie des chats ne sert pas à grand'ehose devant le lion. Plus de surprises. On va vous entendre venir. Vous aurez beau marcher doucement, la Mort écoute. Elle a l'o¬ reille fine, cette guetteuse terrible. Vous espionnez, mais nous épions. Paris, le tonnerre en main et le doigt sur la dé¬ tente, veille et regarde l'horizon. Allons, attaquez. Sortez de l'ombre. Montrez-vous. C'en est fini des succès faciles. Le corps à corps commence. On va se colleter. Prenez-en votre parti. La victoire, maintenant, exigera un peu d'imprudence. Il faut renoncer à celte guerre d'invisibles, à cette guerre à distance, à cette guerre à cache-cache, où vous nous tuez sans que nous ayons l'honneur de vous connaître. Nous allons voir enfin la vraie bataille. Les massacres tombant sur un seul côté sont finis. L'imbécillité ne nous commande plus. Vous allez avoir affaire au grand soldat qui s'appelait la Caule du temps que vous étiez les Rorusses et qui s'appelle la France aujourd'hui que vous êtes les Van¬ dales. La France, miles magnus, disait César; soldat de Dieu, disait Shakespeare. Donc, guerre, et guerre franche, guerre loyale, guerre terrible. Nous vous la demandons et nous vous la promet¬ tons. Nous allons juger vos généraux. La glorieuse France grandit volontiers ses ennemis. Mais il se pourrait bien après tout que ce que nous avons appelé l'habileté de Moltke ne fût autre chose que l'ineptie de Le Bœuf. Nous allons voir. Vous hésitez. Cela se comprend. Sauter à la gorge de Paris est difficile. Notre collier est garni de pointes. Vous avez deux ressources qui ne feront pas précisément l'admiration de l'Europe. Affamer Paris. NOTES. 351 Bombarder Paris. Faites. Nous attendons vos projectiles. Et tenez, si une de vos bombes, roi de Prusse, tombe sur ma maison, cela prouvera une chose, c'est que je ne suis pas Pindare, mais, que vous n'êtes pas Alexandre ! On vous prête, Prussiens, un autre projet. Ce serait de cerner Paris sans l'attaquer et de réserver toute votre bra¬ voure contre nos villes sans défense, contre nos bourgades, contre nos hameaux. Vous enfonceriez héroïquement ces portes ouvertes et vous vous installeriez là, rançonnant vos captifs, l'arquebuse au poing. Cela s'est vu au moyen âge. Cela se voit encore dans les cavernes. La civilisation stupé¬ faite assisterait à un banditisme gigantesque. On verrait cette chose: un peuple détroussant un autre peuple. Nous n'aurions plus affaire à Arminius, mais à Schinderbannes. Non ! nous ne croyons pas cela. La Prusse attaquera Paris, mais l'Allemagne ne pillera pas les villages. Le meurtre, soit. Le vol, non. Nous croyons à l'honneur des peuples. Attaquez Paris, Prussiens. Bloquez, cernez, bombardez. Essayez. Pendant ce temps-là, l'hiver viendra. Et la France. L'hiver, c'est-à dire la neige, la pluie, la gelée, le verglas, le givre, la glace. La France, c'est-à-dire la flamme. Paris se défendra, soyez tranquilles. Paris se défendra frénétiquement; Tous au feu, citoyens ! Il n'y a plus désormais que la France ici et la Prusse là. Rien n'existe que cette urgence. Quelle est la question d'aujourd'hui ? Combattre. Quelle est la question de demain ? Vaincre. Quelle est la question de tous les jours ? Mourir. Ne vous tournez pas d'un autre côté. Le souvenir que tu dois au devoir se compose de ton propre oubli. Union et unité. Les griefs, les ressentiments, les rancunes, les haines, jetons cela au vent. Que ces ténèbres s'en aillent dans la fumée des canons. Aimons-nous pour lutter ensemble. Nous avons tous les mêmes mérites. Est-ce qu'il y a eu des proscrits ? je n'en sais rien. Quelqu'un a- t-il été en exil ? je l'ignore. Il n'y a plus de personnalités, il n'y a plus d'ambitions, il n'y a plus rien dans les mémoires que ce mot: salut public. Nous ne sommes qu'un seul Fran¬ çais, qu'un seul Parisien, qu'un seul cœur, il n'y a plus 352 A. PARIS PENDANT LE SIÈGE. qu'un soul citoyen, qui est vous, qui est moi, qui est nous tous. Où sera la brèche seront nos poitrines. Résistance aujourd'hui ; délivrance demain, tout est là. Nous ne sommes plus de chair, mais de pierre. Je ne sais plus mon nom, je m'appelle Patrie. Face à l'ennemi! Nous nous appelons tous France, Paris, muraille ! Comme elle va être belle, notre cité ! Une l'Europe s'attende à un spectacle impossible; qu'elle s'attende à voir grandir Paris; qu'elle s'attende à voir flamboyer la ville extraor¬ dinaire. Paris qui amusait le monde va le terrifier. Dans ce charmeur il y a un héros. Cette ville d'esprit a du génie. (Juand elle tourne le dos à Tabarin, elle est digne d'Homère. On va voir comment Paris sait mourir. Sous le soleil cou¬ chant Notre-Dame à l'agonie est d'une gaité superbe. Le Panthéon se demande comment il fera pour recevoir sous sa voûte tout ce peuple qui va avoir droit à son dôme. La garde sédentaire est vaillante; la garde mobile est intrépide ; jeunes hommes par le visage, vieux soldats par l'allure ; les enfants chantent mêlés aux bataillons. Et dès à présent chaque fois que la Prusse attaque pendant le rugissement de la mitraille, que voit-on dans les rues ? Les femmes sourire. Oh ! Paris, tu as couronné de lleurs la statue de Strasbourg; l'histoire te couronnera d'étoiles ! VICTOR HUGO. 2 octobre 1870. NOTE III ARTICLE l)E M. ÉDOUARD PORTALIS, PARU DANS LA « VÉRITÉ », LE 10 OCTOBRE 1870. LA VÉRITÉ. Notre premier devoir est de connaître la Vérité; notre second devoir, non moins rigoureux que le premier, est de dire la Vérité. Le gouvernement a reçu de graves nouvelles de la pro¬ vince. A l'heure où nous sommes, ces nouvelles sont con- NOTES. 353 nues, appréciées, commentées par le monde entier. Paris seul les ignore. Nous en demandons la publication. Les Parisiens sont des hommes. Ils l'ont prouvé et ils le prouvent chaque jour. Le gouvernement voudrait-il les trai¬ ter en enfants? Si de nouvelles calamités ont frappé la France, nous voulons le savoir, estimant que la certitude du malheur est cent fois préférable à l'incertitude et aux illu¬ sions qu'elle engendre. Trois parlementaires ont été successivement envoyés à Paris par M. de Bismarck. Le premier à l'occasion de la ca¬ pitulation de Strasbourg et de Toul, le second à la suite de la défaite de Bazaine sous les murs de Melz. Quel événe¬ ment funeste a précédé l'arrivée du colonel Lindsay à Paris? Des propositions d'armistice et des propositions de paix ont été apportées au gouvernement par des personnages dignes de toute notre conliance. Nous demandons à con¬ naître ces propositions, le gouvernement n'ayant pas plus le droit de les accepter que de les repousser sans avoir con¬ sulté l'opinion publique. « LE STANDARD ». Est-il vrai qu'un journal anglais, le Standard, daté du a octobre, a été remis il M. Jules Favre et que le contenu de ce journal, connu du monde entier, a été caché aux Parisiens? LA RÉ PUBLIQUE ROUGE A LYON. Est-il vrai que ce qu'on appelle la République rouge ait été proclamée à Lyon? C'est-à-dire que le gouvernement de la ville de Lyon soit tombé aux mains d'une minorité fac¬ tieuse, voulant renouveler les errements de la Commune de 1793? LE GÉNÉRAL CLUSKRET. Est-il vrai que le général Cluseret, ce perturbateur con¬ stant, même aux États-Unis, soit investi à Lyon du comman¬ dement supérieur de toutes les forces militaires? LA COMMUNE DE LYON [reconnue pur M. Crémieux). Est-il vrai que M. Crémieux, ce vieil avocat dont la cadu¬ cité étonne le monde, ail eu la faiblesse de reconnaître le 20. A PARIS PENDANT LE SIÈGE. gouvernement irrégulier de la Commune de Lyon, au nom du Gouvernement de la Défense nationale? démission dk l'amiral fourichon. Est-il vrai que l'amiral Fouriclion ait donné sa démission à la suite de la reconnaissance de la Commune de Lyon? Et, dans ce cas, qui l'a remplacé? un nouveau gouvernement dans louest. Est-il vrai qu'un nouveau Gouvernement ait été constitué dans l'Ouest, et qu'il fonctionne en dehors de la délégation de Tours? la mission de burnside. Est-il vrai que, contrairement à l'assertion du Siècle, de l'Avenir national, et, ce qui est plus grave, de l'Électeur libre, dont un membre du Gouvernement est le directeur politique, M. Burnside soil venu à Paris chargé d'une mis¬ sion de conciliation ? l'armistice. Est-il vrai qu'un armistice ait été proposé au Gouverne¬ ment dans des conditions acceptables, et que le Gouverne¬ ment l'ait refusé? la constituante. Est-il vrai que la Prusse ait proposé à la France de con¬ clure un armistice de deux semaines, à l'effet d'élire une assemblée constituante? refus du gouvernement. Est-il vrai que l'occasion de se retremper dans le suffrage universel ayant été offerte au Gouvernement, le Gouverne¬ ment l'ait refusée? lettre de m. de bismarck a m. j. favre. Est-il vrai que M. Jules Favre ait reçu hier une lettre de M. de Bismarck relative aux conditions de l'armistice? l'armée de lyon. Est-il vrai qu'une armée prussienne ait rencontré l'armée de Lyon et ait forcé cette dernière à battre en retraite? NOTES. discussion orageuse dans le gouvernement. Est-il vrai iju'une discussion orageuse ait eu lieu hier à ce sujet dans le sein du Gouvernement ? tout ou rien. Enlin est-il vrai que le Gouvernement sache tout et ne dise rien ? NOTE IV LES ÉTRANGERS S'EN VONT. — Article paru dans le Siècle, le 27 octobre 1870. Les étrangers nous quittent. Anglais et Américains ont demandé et obtenu l'autorisation de sortir de Paris. La viande se l'ait rare; l'heure des privations est proche. On comprend que, non directement intéressés daus la lutte, ils émigrent et aillent chercher ailleurs une cuisine moins avare. Partez donc, vous qui, depuis quarante jours, avez été témoins de l'attitude du peuple parisien, qui avez vu élever 1111 à un les gigantesques travaux de défense improvisés par le patriotisme. Il est bon que vous alliez semer dans toute l'Europe la bonne nouvelle de notre résurrection. Vous direz que Paris, qu'on représentait comme énervé par les jouissances du luxe, comme abêti par l'imbécillité et la corruption du régime impérial, comme prêt à toutes les servitudes, a retrouvé, dès qu'il a été maître de lui-même, toutes les mâles vertus de ses pères. Cette ville, dont l'Empire avait rêvé de faire la cité des riches, le caravansérail des millionnaires des deux mondes, cette ville naguère pleine de théâtres, de salles de bal, de restaurants, île bruits et de cliquetis joyeux, est aujour¬ d'hui un camp austère. Plus de plaisirs, tout, le monde au devoir. A dix heures du soir les boulevards, où se pressait une foule oisive, sont déserts; les rues sont vides. Les ha¬ bitants, devenus soldats, ont pris avec l'uniforme les sévères habitudes de la discipline militaire. Dans la journée, l'exer¬ cice; le soir, le repos quand on n'est pas de service au 356 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. bastion. Paris soldat a non seulement le courage, mais aussi l'abnégation du soldat. Préparé aux plus durs sacri¬ fices, il regarde en l'ace d'un œil serein et d'un cœur ferme les jours de privation et de misère qu'il va traverser. Prêt pour le combat et prêt pour la souffrance. Ah! ce terrible désastre de Sedan, cette épouvantable trahison d'une nation par un homme, ce l'ait jusqu'alors inouï dans l'histoire, qui sait s'il n'est pas plus providen¬ tiel que. fatal? Qui sait s'il ne fallait pas un aussi grand malheur pour retremper l'âme de tout un peuple? I.es Américains et les Anglais, en quittant Paris, nous rendront un immense service. Spectateurs impartiaux, ils diront ce qu'ils ont vu. Ils démentirontles fausses nouvelles perfidement répandues par la Prusse; les odieux mensonges fabriqués dans l'officine de M. Bismarck et publiés dans cette feuille allemande qui porte le titre dérisoire de Nouvelliste de Versailles. A ceux qui pourraient croire, sur la foi des plumitifs tudesques que l'armée prussienne traîne dans ses bagages, à l'anar¬ chie des esprits et à ces combats de rues que ces messieurs de la Prusse prétendent avoir vus du haut de la terrasse de Meudon, ils raconteront les élans de notre patriotisme, notre résolution de vaincre, notre indissoluble union en face de l'ennemi. Ils diront que Paris n'a qu'une âme et qu'un cœur. Ils réduiront à néant les allégations slupides de ces chapelains royaux, prédicateurs prud'hommes qui arrondissent la bouche en appliquant â Paris, transformé en couvent mi¬ litaire, le stupide sobriquet de Babylone. Ces niais berlinois croient que Paris est encore aux flonflons d'Olïenbach, aux petits lundis de l'Impératrice, aux défilés mythologiques du ministère de la Marine, à toutes ces excroissances spon¬ tanées, sorties, comme des champignons vénéneux, du fu¬ mier de l'Empire. Ils feront mieux encore, ils annonceront à tous ces lâches gouvernements de l'Europe, qui tremblent aujourd'hui de¬ vant la Prusse, comme ils avaient tremblé pendant dix ans devant celui qui avait pris le nom de Napoléon 111, que tout n'est pas encore fini entre la France et la Prusse; que Paris vit, que la France vit, et que ni l'un ni l'autre ne veulent mourir. NOTES. L'Autriche, qui, si nous étions vaincus, n'existerait plus dans six mois; l'Angleterre, qui aurait à lutter conlre l'am¬ bition maritime de la Prusse, mettant la main sur la Hol¬ lande; la Kussie, qui se verrait enlever ses provinces polo¬ naises, n'apprendront peut-être pas sans un secret contentement que cette France qu'elles auraient laissée par peur n'attend rien que d'elle-même et que c'est pour cela qu'elle espère tout. Petit bonhomme vit encore, lâches chancelleries de l'Europe ; et si par malheur il venait à succomber, ce seraient les peuples, que vous représentez si mal, qui payeraient les plus gros frais de la guerre. Allez donc, vous qui avez vécu avec nous depuis le com¬ mencement du siège; allez dire à l'Europe ce que vous avez vu depuis quarante jours! Nous ne vous demandons ni indulgence, ni complaisance; dites la vérité. Soyez nos messagers auprès des nations. Racontez simplement les fails, c'est la meilleure manière de nous venger des men¬ songes des Prussiens. EDMOND TEXIER. NOTE Y DOCUMENTS DIVERS CONCERNANT L'ÉLECTION DU 31 OCTOBRE. Affiche parue dans la soirée du 31 octobre, et convoquant les habitants de Paris pour l'élection d'une nouvelle municipalité. MAIRIE DE PARIS Citoyens, Aujourd'hui, à une heure, les maires provisoires des vingt arrondissements réunis à l'Hôtel de Ville de Paris ont déclaré à l'unanimité que dans les circonstances actuelles, et dans l'intérêt du salut national, il est indispensable de procéder immédiatement aux élections municipales. Les événements de la journée rendent tout à fait urgente la constitution d'un pouvoir municipal autour duquel tous les républicains puissent se rallier. 3!i8 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Kn conséquence, les électeurs sonl convoqués pour de¬ main mardi 1er novembre dans leur section électorale, à midi. Chaque arrondissement nommera, au scrutin de liste, quatre représentants. Les maires de Paris sont chargés de l'exécution du pré¬ sent arrêté. La garde nationale est chargée de veiller à la liberté de l'élection. Vive la République ! Le President de la commission des élections. DORIAN. Le maire de Paris, ETIENNE ARAGO. Fait à l'Hôtel de Ville, le 31 octobre 1870. Le 1" novembre 1870, le Journal officiel fit paraître la note suivante : Le Gouvernement doit mettre en garde les électeurs con¬ tre toutes convocations hâtives de quelque nature qu'elles soient. Les mesures discutées hier en Conseil du Gouverne¬ ment doivent être soumises ce matin même à une nouvelle délibération. Lettre de M. tlreppo adressée au journal le Siècle le novembre, au sujet des élections du 31 octobre. Vous me faites dire dans 1111 article de votre numéro de ce jour que <1 quelques membres du Gouvernement ont pro¬ mis, pendant l'envahissement de l'Hôtel de Ville, de faire procéder immédiatement à l'élection d'une municipalité pa¬ risienne ». Voici ce que j'ai dit et ce que j'affirme de nouveau : C'est que l'élection de la Commune de Paris a été votée à l'unanimité le 31 octobre par les maires de Paris, réunis à l'Hôtel de Ville, et que cette décision a été adoptée par le Gouvernement de la Défense avant l'envahissement de l'Hô¬ tel de Ville. NOTES. 350 Je vous prie d'insérer celte lettre dans voire prochain nu¬ méro. Salut fraternel. g kioto. Lettre de M. Henri Martin adressée au Siècle. Mon cher Jouhdan, Je lis dans une lettre de M. Greppo, insérée dans le Siècle de ce matin, que l'élection de la Commune de Paris a été vo¬ tée à l'unanimité le 31 octobre par les maires de Paris. Les maires de Paris ont voté à l'unanimité l'urgence d'élections municipales et ont envoyé demander au Gouverne¬ ment d'autoriser ces élections. C'est pendant qu'ils attendaient la réponse du Gouverne¬ ment que la salle où les maires délibéraient a été envahie. Le terme de Commune n'a pas été employé dans le vote des maires et cette observation importe à cause des idées que beaucoup attachent à ce nom de Commune de Paris. A vous cordialement. HENRI MARTIN. Décret du 1er novembre pour l'appel au peuple. Le Gouvernement de la Défense Nationale, Considérant qu'il importe à la dignité du Gouvernement et au libre exercice de sa mission de défense de savoir s'il a conservé la confiance de la population parisienne; Considérant d'autre part que, d'une délibération des maires des vingt arrondissements municipaux de la ville de Paris légalement convoqués à l'Hôtel de Ville, dans la ma¬ tinée du 31 octobre, il résulte qu'il est opportun de consti¬ tuer régulièrement par l'élection les municipalités des vingt arrondissements ; Décrète : Article premier. — Le scrutin sera ouvert le jeudi 3 no- 3G0 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. vemhre de huit heures du malin à six heures du soir sur la question suivante : « La population de Paris maintient-elle, oui ou non, les pouvoirs du Gouvernement de la Défense nationale? » Aut. 2. — Le vole aura lieu dans les sections accoutumées de chaque arrondissement ; ces sections seront indiquées par les soins des maires. Aut. 3. — Prendront part au vote tous les électeurs de Paris cl des communes réfugiées à Paris, qui justifieront de leurs droits électoranx. Art. i. — Il sera procédé le samedi o novembre à l'élec¬ tion d'un maire et de trois adjoints pour chacun des arron¬ dissements municipaux de la ville de Paris. Les électeurs inscrits sur les listes électorales à Paris prendront seuls part à ce vote. Le vote aura lieu au scrutin de liste pour chaque arron¬ dissement et à la majorité absolue des suffrages. En cas de second tour, le scrutin aura lieu le 7 novembre. Art. o. — Le ministre de l'Intérieur, le maire de Paris, les maires actuellement en fonction dans les arrondisse¬ ments et le membre du Gouvernement délégué près l'ad¬ ministration du département de la Seine, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret. Fait k l'IIôtel de Ville, le 1er novembre 1870. L'appel au peuple. — Proclamation du Gouvernement du 2 novembre. Le gouvernement désire que le décret rendu par lui, hier, soit bien compris par la population et qu'elle connaisse la portée des deux votes qu'elle est appelée à exprimer jeudi et samedi prochains. Demain jeudi, elle votera sur la question de savoir si elle maintient le Gouvernement de la Défense nationale. Ceux qui veulent le maintenir voteront oui. Samedi, elle votera pour l'élection des maires et adjoints des vingt arrondissements. NOTES. 361 Getle éleclion ne ressemble en rien à celle de la Com¬ mune. Elle en est la négation. Le Gouvernement persiste à se prononcer contre la con¬ stitution de la Commune, qui ne peut que créer des conllils et des rivalités de pouvoirs. Quelques-uns de MM. les maires ayant donné leur démis¬ sion, il fallait pourvoir à leur remplacement. Le gouvernement a cru sage de donner aux magistrats municipaux la consécration de l'élection populaire. Les maires et adjoints conservent leurs caractères d'agents du pouvoir exécutif qui leur est attribué par la loi. C'est aux citoyens qu'il appartient de choisir les meilleurs administrateurs, les plus dévoués aux intérêts de la cité et de la défense. Le ministre des Affaires cirant/ères chart/é par intérim du département de VIntérieur. JULES FAVRE. Fait à Paris, le 2 novembre 1870. Gardes nationales de la Seine. — Ordre. Le commandant supérieur met à l'ordre de la garde nationale qu'en vertu d'un décret du gouvernement de la Défense nationale, les électeurs de Paris, inscrits sur. les listes électorales, auront à voler dans leur seclion dans chaque arrondissement, demain jeudi 3 novembre, sur la question suivante : « La population de Paris maintient-elle, oui ou non, les pouvoirs du Gouvernement de la Défense nationale? » En conséquence, les électeurs de la garde nationale, qui veulent continuer les pouvoirs du Gouvernement acclamé le 4 Septembre et présidé par le général Trochu, devront déposer dans l'urne un bulletin portant le mot oui. Ceux au contraire, qui désireraient confier le gouverne¬ ment à d'autres chefs, devront déposer un bulletin portant le mot : non. Le f/ënéral commandant supérieur, TAMISIER. Paris, 2 novembre 1870. 21 362 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Élections du 3 novembre 1870. Le résultat du vole du 3 novembre a été proclamé dans la salle Saint-Jean à l'Hôtel de Ville : Vote de l'armée de terre et de mer et de la garde mobile : Oui 236 623 Non 9 053 Vote des sections de Paris et des populations réfugiées dans les villes : Oui 321 379 Non 53 585 TOTAL Oui 557 996 Non 62 638 Proclamation du Gouvernement de la Défense nationale. Citoyens, Nous avons fait appel à vos suffrages. Vous nous répondez par une éclatante majorité. Vous nous ordonnez de rester au posle de péril que nous avait assigné la révolution du 4 Septembre. Nous y restons avec la force qui vient de vous, avec le sentiment des grands devoirs que votre confiance nous im¬ pose. Le premier est celui de la défense. Elle a été, elle conti¬ nuera d'être l'objet de notre préoccupation exclusive. Tous nous serons réunis dans le grand effort qu'elle exige ; à notre brave armée, à notre vaillante mobile, se joindront les bataillons de la garde nationale frémissant d'une géné¬ reuse impatience. Que le vote d'aujourd'hui consacre notre union. Désor¬ mais, c'est l'autorité de votre suffrage que nous avons à faire respecter, et nous sommes résolus à y mettre toute notre énergie. Donnant au monde le spectacle nouveau d'une ville as¬ siégée dans laquelle règne la liberté la plus illimitée, nous NOTES. 363 ne souffrirons pas qu'une minorité porte atteinte aux droits de la majorité, brave les lois et devienne, par la sédition, l'auxiliaire de la Prusse. La garde nationale ne peut incessamment être arrachée aux remparts pour contenir ces mouvements criminels. Nous mettrons notre honneur à les prévenir par la sévère exécu¬ tion des lois. Habitants et défenseurs de Paris, votre sort est entre vos mains. Votre attitude depuis le commencement du siège a montré ce que valent des citoyens dignes de la liberté; Achevez votre œuvre ; pour nous, nous ne demandons d'autre récompense que d'être les premiers au danger et de mériter par notre dévoûment d'y avoir été maintenus par votre vo¬ lonté. Vive la République! Vive la France! TROCQU, JULES FAVRE, ETC. Proclamation de M. Jules Favre à la population parisienne. Mes ciiers Concitoyens, Je vous remercie, au nom de notre amour commun de la patrie, du calme avec lequel vous avez procédé au vote que le Gouvernement vous demandait. Ce calme est l'œuvre de votre patriotisme et de votre bon sens. II prouve que vous comprenez toute la valeur du suffrage universel et que vous êtes dignes de le pratiquer dans toute sa liberté. Ce suffrage substitue la raison à la violence, et, montrant où est le droit, il enseigne le devoir. Il réduit au silence ceux qui, en méconnaissant son auto¬ rité, deviendraient des ennemis publics. Que ce jour solennel marque donc la fin des divisions qui ont désolé la cité. N'ayons tous qu'un cœur et qu'une pensée : la délivrance de la patrie. Cette délivrance n'est possible que par l'obéissance aux chefs militaires et par le respect des lois; chargé du soin de maintenir leur exécution, je fais appel à votre intelligent 3G4 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. concours ut je vous promets en échange tout mon dévoue¬ ment, toute ma fermeté. Vive la République! Vive la France! •leudi 3 novembre 1870. NOTE VI ARTICLE PUBLIÉ LE 8 NOVEMBRE 1870, PAR M. ABOUT [DAN'S LE JOURNAL « LE SOIR ». La France et la Phrase. Hier malin tout Paris attendait avec anxiété quelques détails sur le refus d'armistice, sur les prétentions de la Prusse, sur la rupture ou la suite des négociations. Le Journal officiel resta muet. Aujourd'hui, c'est bien différent. L'Officiel parle beau¬ coup, il parle bien, il parle éloquemment pour ne rien dire. Après avoir lu et relu la circulaire de M. Jules Favre, je n'en ai pu tirer qu'une conclusion, c'est que M. Jules Favre est, le seul homme qui ne puisse nous servir utilement dans ces tristes circonstances, le seul qui ne puisse en aucun cas signer la paix. La France veut la paix, la Prusse veut la paix, toutes les nations la désirent, car la paix est l'état normal des sociétés humaines et l'on ne fait jamais la guerre que pour aboutir à la paix. En tout pays, dans tous les temps, on s'est battu, c'est-à- dire on a fait d'énormes sacrifices de sang et d'argent, dans l'espoir de vaincre, d'assurer par traité le fruit de la victoire et d'en jouir paisiblement, la gloire et le profit res¬ tant acquis au vainqueur pour un certain nombre d'années. A ce jeu, les Français ont toujours été beaux joueurs, seulement ils se leurrent volontiers, ils s'exagèrent leurs avantages, ils s'avouent difficilement leurs échecs et, lors¬ qu'ils ont perdu la partie, ils n'aiment pas à payer. Nul n'y peut rien; nous sommes ainsi faits, et comme nous ne NOTES. 365 sommes pas une jeune nation, il est trop tard pour nous refaire. M. Jules Favre est Français, très Français. Dans un jour d'émotion patriotique, il a publié une phrase éminemment française et qui a fait battre tous les cœurs. Nous étions déjà bien malades, nous avions essu}'é des défaites terribles et perdu des armées entières. M. Jules Favre, qui désirait la paix et qui était allé la chercher au quartier général de l'ennemi, rebondit fièrement sous l'affront de M. de Bismarck. Il déclare à la face de l'Europe que, vainqueurs ou vaincus, nous ne céderions ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses. Bien de plus beau, rien de plus noble et rien de moins logique. Parler comme il l'a fait, c'était nier la règle du jeu. Au vainqueur appartient la paix lucrative et glorieuse ; au vaincu, la paix douloureuse. Il est vrai que M. Jules Favre, lorsqu'il lançait cette dé¬ claration, pouvait encore espérer la victoire. Il comptait sur la défense héroïque d'un grand peuple acculé, mis au pied du mur; il s'exagérait l'élasticité de la nature fran¬ çaise; il espérait que quarante millions d'hommes allaient rebondir comme lui sous la violence d'un tel coup. L'événement a déjoué ce fier calcul. La défense s'est loca¬ lisée. Toul est tombée après une lutte héroïque, parce que la France n'a pas pu ou n'a pas voulu se porter à son secours. Strasbourg a péri de même, et par la môme raison. Metz a subi la même destinée pour les mêmes causes. Paris est aussi incapable de se sauver tout seul que Metz, Toul et Strasbourg. Souvenez-vous que Metz était une ville imprenable, autrement forte que Paris, défendue par cent mille soldats, les meilleurs de la France et par Buzaine, notre meilleur officier général. Les Prussiens n'ont pas pris Metz, ils ne l'ont pas même assiégé, ils n'ont pas logé un boulet de canon dans ses remparts, ils ont bloqué la ville et l'ont réduite par famine. Et c'est ainsi qu'ils finiront par s'emparer de Paris. Que pouvons-nous contre une telle fatalité? Nous pou¬ vons faire des sorties; il en a fait d'admirables, avec line énergie et un talent militaire qui manque aux généraux de Paris, et à la tête d'une armée autrement solide que la A PARIS PENDANT LE SIÈGE. nôtre. Plusieurs fois il a forcé les premières lignes de Fré¬ déric-Charles; mais le nombre des ennemis et la supério¬ rité de l'artillerie prussienne l'ont toujours refoulé dans ses retranchements. Je suppose qu'un Bazaine éclose du jour au lendemain parmi nous; j'admets que nos 230 000 soldats et gardes mobiles, renforcés de 100000 gardes nationaux volontaires, se jettent un matin sur les lignes prussiennes et y fassent une énorme trouée : l'ennemi plus nombreux, plus exercé, plus discipliné et mieux armé, les refoulera inévitablement s'ils ne préfèrent mourir sur place. Il n'y a pas un militaire assez aveuglé par l'orgueil na¬ tional pour dire que Paris peut sauver la France si la France n'accourt pas en masse au-devant de Paris. Deux cent mille hommes de bonnes troupes sur les derrières de l'ennemi rendraient la victoire possible, sinon facile, mais ces deux cent mille hommes n'existent pas chez nous et toute la bonne volonté du monde ne saurait les improviser en un mois. Dans un mois, Paris manquera de bien des choses. Il aura quelques canons de plus qu'aujourd'hui; il aura beau¬ coup moins de pain; je ne parle pas de la viande. Nous nous priverons, soit; mais les Prussiens peuvent attendre et nous placer dans cette alternative ou de capi¬ tuler ou de nous faire tuer pour l'honneur. C'est pourquoi M. de Bismarck considère Paris comme une place virtuellement prise. Ce n'est plus qu'un calcul d'ingénieur, comme il disait lui-même en parlant de Metz et de Strasbourg. M. Jules Favre est du même avis, M. Thiers est du même avis et cette trisle conviction les pousse à négocier un traité de paix au plus vile. Seulement M. Jules Favre comprend que la Prusse ne donnera pas la paix pour rien, et il s'est interdit, par une belle mais imprudente parole, de rien céder à la Prusse. Il sent que l'heure des négociations a sonné, et que le seul homme qui n'ait pas le droit de négocier, c'est lui. 11 lui tarde de passer la parole à d'autres hommes d'État moins engagés que lui et ses collègues dans la voie des refus catégoriques et de la négation obstinée. Il croit savoir que la majorité des Français accepterait, sans trop de ré¬ pugnance une paix douloureuse, sauf à recommencer la NOTES. 367 lutte, au bout de quelques années, dans d'autres condi¬ tions de nombre et d'outillage guerrier. Tout le gouvernement de Paris partage les mêmes senti¬ ments; il n'y a pas un de nos chefs provisoires qui ne rêve d'abdiquer le plus tôt possible entre les mains d'une assem¬ blée nationale. C'est dans cet esprit que M. Jules Favre et ses collègues ont fait proposer par la diplomatie un armistice de vingt- cinq jours. Cet armistice serait un acheminement vers la paix, nul n'en doute. Pourquoi le roi Guillaume a-t-il repoussé l'armistice, lui qui désire la paix aussi sincèrement que nous? Je dis qu'il désire la paix, parce qu'il est intéressé à mettre en sûreté le fruit de ses victoires, et parce que la prolonga¬ tion de la guerre dans cette saison épuiserait son armée et son peuple sans grand profit, la supériorité militaire de la Prusse étant suffisamment établie pour justifier toutes les exigences. Le roi Guillaume a repoussé l'armistice parce qu'il com¬ portait en logique un ravitaillement de Paris et parce que Paris ravitaillé pouvait continuer, par point d'honneur, une résistance inutile. Si la diplomatie européenne nous veut sincèrement un peu de bien, elle ne reviendra pas à la charge sur ce terrain. Il est absurde de compter qu'un homme habile agira contre ses intérêts sans y être forcé. Plus nous désirons l'armistice, plus il était probable et même certain que la Prusse n'y souscrirait pas. Le maître de M. de Bismarck ne nous accordera rien qui ne lui soit au moins aussi avantageux qu'à nous-mêmes. Les intermédiaires qui travaillent pour nous feront sagement de régler leur condnile là-dessus. Or, il n'est pas indifférent au roi de Prusse de négocier les conditions de la paix avec un gouvernement régulier, soli¬ dement établi sur la volonté nationale. 11 sent fort bien que la prise de Paris ne terminerait rien, que le gouvernement de MM. Jules Favre et Trochu ferait un plongeon le lende¬ main de la catastrophe, sans rien céder ni rien promettre, et que le plus glorieux des conquérants serait fort empêché de consolider sa victoire s'il lui fallait traiter avec le néant. Donc il importe au roi Guillaume de favoriser l'élection 168 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. et la convocation d'une assemblée, et c'est sur ce point seu¬ lement que ses désirs concordent avec les nôtres. Il est en lui de procurer ce résultat sans empirer la condition de son armée et sans compromettre aucun des avantages qu'il s'est acquis. Que faut-il pour cela? Peu de chose. Autoriser pendant vingt jours les communications de Paris avec les départe¬ ments sans interrompre les opérations du siège et sans faci¬ liter le ravitaillement de la place. Rétablir sur un point de l'enceinte et pendant quelques heures, chaque jour, la circulation des journaux et des cor¬ respondances ; promettre aux candidats d'aller cl de venir librement entre Paris et les provinces : les nécessités spé¬ ciales de l'élection ne comportent rien de moins, rien de plus. Et l'élection d'une assemblée est le seul chemin qui puisse nous conduire à la paix; le roi Guillaume et M. de lîismarck n'en doutenl pas plus que nous-mêmes. EDMOND ABOUT. NOTE VII PROCLAMATION DU GÉNÉRAL TROCHU, ADRESSÉE AUX HABITANTS DE PARIS, LE 14 NOVEMBRE. Aux citoyens de Paris, à lu garde nationale, à l'armée et à la garde nationale mobile. Pendant que s'accomplissaient loin de nous les doulou¬ reuses destinées de notre pays, nous avons fait ensemble à Paris les efforts qui ont honoré nos malheurs aux yeux du monde. L'Europe a été frappée du spectacle imprévu que nous lui avons olfert, de l'étroite union du riche et du pau¬ vre dans le dévouement et le sacrifice, de notre ferme vo¬ lonté dans la résistance, et enfin des immenses travaux que cette volonté a créés. L'ennemi, étonné d'avoir été retenu près de deux mois devant Paris dont il ne jugeait pas la population capable NOTES. de celle virile attitude, atteint, bien plus que nous ne le croyons nous-mêmes, dans des intérêts considérables, cédait à l'entraînement général. Il semblait renoncer à son impla¬ cable résolution de désorganiser, au grand péril de l'Europe et de la civilisation, la nation française, qu'on ne saurait, sans la plus criante injustice, rendre responsable de celte guerre et des maux qu'elle a produits. 11 est aujourd'hui de notoriété que la Prusse avait accepté les conditions du Gou¬ vernement de la Défense nationale pour l'armistice proposé par les puissances neutres, quand la fatale journée du 31 oc¬ tobre est venue compromettre une situation qui était hono¬ rable et digne, en rendant à la politique prussienne ses espérances et ses exigences. A présent que depuis de longs jours nos rapports avec les départements sont interrompus, l'ennemi cherche à affai¬ blir nos courages et à semer la division parmi nous par des avis exclusivement originaires des avant-postes prussiens et des journaux allemands qui s'échangent sur plusieurs points de nos lignes si étendues. Vous saurez vous soustraire aux effets de cette propa¬ gande dissolvante, qui seraient la ruine des chers intérêts dont nous avons la tutelle. Vos cœurs seront fermes et vous resterez unis dans l'esprit qui a été depuis deux mois le caractère de la défense de Paris. Pendant que nos travaux fermaient la ville, nous avons conçu la pensée, dans l'incertitude où nous étions de l'appui que pourraient nous fournir les armées formées au dehors, d'en former une en dedans. Je n'ai pas à énumérer ici les éléments constitutifs, qui nous manquaient pour résoudre ce nouveau problème, plus difficile peut-être que le premier. En quelques semaines, nous avons réuni en groupes ré¬ guliers, habillé, équipé, ariné, exercé autant que nous l'avons pu et conduit plusieurs fois à l'ennemi les masses pleines de patriotisme, mais confuses et inexpérimentées dont nous disposions. Nous avons cherché avec le concours désintéressé et dévoué du génie civil, de l'industrie pari¬ sienne, des chemins de fer, à compléter par la fabrication de canons modernes, dont les premiers vont nous être li¬ vrés, l'artillerie de bataille que le service spécial de l'artil¬ lerie de l'armée formait avec la plus louable activité. La garde nationale, de son côté, après avoir plus que quintu- 21. 370 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. plt5 ses elleclifs et bien qu'absorbée par les travaux et par la garde des remparts, s'organisait, s'exerçait tous les jours et par tous les temps sur nos places publiques, montrant 1111 zèle incomparable auquel elle devra d'être prochainement en mesure d'entrer en ligne avec ses bataillons de guerre. Je m'arrête, ne pouvant tout dire; mais je doute qu'en aucun temps, et dans l'histoire d'aucun peuple envahi, après la destruction de ses armées, aucune grande cité in¬ vestie, et privée de communications avec le reste du terri¬ toire, ait opposé il un désastre en apparence irréparable de plus vigoureux efforts de résistance morale et matérielle. L'honneur ne m'en appartient pas, et je n'en ai énuméré la succession que pour éclairer ceux qui, avec une entière bonne foi, j'en suis sur, croient qu'après la préparation de la dé¬ fense, l'offensive à fond était possible avec des masses dont l'organisation et l'armement étaient suffisants. Nous n'avons pas fait ce que nous avons voulu, nous avons fait ce que nous avons pu, dans une suite d'improvi¬ sations dont les objets avaient des proportions énormes, au milieu des impressions les plus douloureuses, qui puissent affliger le patriotisme d'une grande nation. Eh bien! l'ave¬ nir exige encore de nous un plus grand effort, car le temps nous presse. Mais le temps presse aussi l'ennemi, et ses intérêts et le sentiment public de l'Allemagne, et la con¬ science publique européenne le pressent encore plus. Il ne serait pas digne de la France et le monde ne comprendrait pas que la population et l'armée de Paris, après s'être si énergiquement préparées à tous les sacrifices, ne sussent pas aller plus loin, c'est-à-dire souffrir et combattre jus¬ qu'à ce qu'elles ne puissent plus ni souffrir ni combattre. Ainsi serrons nos rangs autour de la République et élevons nos cœurs. Je vous ai dit la vérité telle que je la vois. J'ai voulu mon¬ trer que notre devoir était de regarder en face nos difficul¬ tés et nos périls, de les aborder sans trouble, de nous cram¬ ponner à toutes les formes de la résistance et de la lutte. Si nous triomphons, nous aurons bien mérité de la patrie en donnant un grand exemple. Si nous succombons, nous aurons légué à la Prusse, qui aura remplacé le premier Empire dans les fastes sanglants de la conquête et de la violence, avec une œuvre impossible à réaliser, un héritage NOTES. 371 de malédiction et de haine sous lequel elle succombera à son tour. Le gouverneur de Paris, GÉNÉRAL TROGÏIU. Paris, le 11 novembre 1870. NOTE VIII DÉCRET DU GOUVERNEMENT ORGANISANT LES BATAILLONS DE MARCHE. Le Gouvernement de la Défense Nationale, Pour satisfaire, par des dispositions nouvelles, aux néces¬ sités des opérations militaires et répondre aux vœux una¬ nimement exprimés par la garde nationale, Décrète : Article premier. — Chaque bataillon de la garde nationale sera composé, suivant son eifectif de huit à dix compagnies. Art. 2. — Les quatre premières compagnies dites compa¬ gnies de guerre auront chacune un effectif de 100 hommes, cadre compris, dans les bataillons dont l'effectif est de 1 200 hommes et au-dessous, et de 123 hommes, cadre com¬ pris, dans les bataillons ayant plus de 1 200 hommes. Ces compagnies seront fournies par les hommes valides des catégories ci-dessous, en suivant l'ordre des catégories, et en ne prenant dans l'une d'elles que lorsque la catégorie précédente aura été épuisée. 1° Volontaires de tout âge; 2° Célibataires ou veufs sans enfants de 20 à 35 ans; 3° Célibataires ou veufs sans enfants de 33 à 45 ans ; 4° Hommes mariés ou pères de famille de 20 à 35 ans; 5° Hommes mariés ou pères de famille de 33 à 45 ans. Art. 3. — Les autres compagnies, destinées au service de la défense, ayant autant que possible un effectif uniforme, comprendront le reste du bataillon. Elles constitueront le dépôt et fourniront les hommes nécessaires pour combler les vides faits dans les compagnies de guerre. 372 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Art. 4. — Chacun des bataillons armés de fusils il tir rapide conservera un nombre de ces fusils égal à son effec¬ tif de guerre, et il en tiendra l'excédent à la disposition du commandant supérieur de la garde nationale, qui lui fera remettre en échange des fusils à percussion. Art. h. — Chacun des bataillons pourvus d'armes à per¬ cussion recevra un nombre de fusils à tir rapide égal à son ell'ectif de guerre, et il remettra, sur l'ordre du comman¬ dant supérieur de la garde nationale, l'équivalent en fusils à percussion, pour remplacer les armes à tir rapide déli¬ vrées par d'autres bataillons. Art. 0. — Dans chaque bataillon, chacune des quatre compagnies de guerre nommera son cadre, soit dans les cadres existant du bataillon, soit parmi les gardes qui la composent. L'elfectif de ce cadre sera de : Un capitaine, un lieutenant, un sous-lieutenant, un ser¬ gent-major, un sergent fourrier, quatre sergents, huit capo¬ raux, un tambour et un clairon. Art. 7. — Lorsque les quatre compagnies de guerre recevront l'ordre de participer aux opérations militaires, le commandement sera pris par le chef de bataillon ou, à son défaut, par le plus âgé des capitaines de ces compagnies. Art. 8. — Chaque chef de bataillon devra avoir remis à l'État-major général avant le 11 novembre au soir : 10 L'état, du personnel de ces quatre compagnies de guerre ; 2° Les procès-verbaux des cadres de ces compagnies; 3° Le tableau exact de l'armement de son bataillon. Art. 9. —Tout garde national, qui se serasoustraitàl'exé- cutiou du présent décret, sera considéré comme réfractaire et poursuivi comme tel. Art. 10. — L'arrêté du 23 octobre 1870 sur la solde des bataillons de volontaires est applicable aux compagnies de guerre qui font l'objet du présent décret. Art. II. — Les dispositions du décret du 1G octobre 1870 et de l'arrêté du 19 octobre sont rapportées en ce qu'elles ont de contraire au présent décret. Fait à Paris, le 8 novembre 1870. NOTES. 373 NOTE IX EXTRAIT l)U « MONITEUR OFFICIER PRUSSIEN », DU 8 NOVEMBRE 1870. — Cet extrait du Moniteur officiel prus¬ sien est parvenu à Paris pendant le siège et a été imprimé tout entier par le Journal officiel de Paris, le 21 novembre 1870. Circulaire adressée par M. de Bismarck aux ambassadeurs de la Confédération de l'Allemagne du Nord, à la suite de ses entretiens avec M. Thiers, à Versailles, au sujet de l'armistice. Versailles, 8 novembre 1870. Il est à votre connaissance que M. Thiers avait exprimé le désir de pouvoir se rendre, pour négocier, au quartier général, après qu'il se serait mis en communication avec les différents membres du Gouvernement de la Défense na¬ tionale à Tours et à Paris. Sur Tordre de Sa Majesté le Hoi, je me suis déclaré prêt à avoir cet entretien, et M. Thiers a obtenu de se rendre d'abord, le 30 dn mois dernier, à Paris, d'où il est revenu le 31, au quartier général. Le fait qu'un homme d'État de l'importance de M. Thiers et ayant son expérience des affaires eût accepté les pleins pouvoirs du gouvernement parisien, me faisait espérer que des propositions nous seraient faites dont l'acceptation nous fût possible et aidât au rétablissement de la paix. J'accueillis M. Thiers avec les égards et la déférence aux¬ quels sa personnalité éminente, abstraction faite même de nos relations antérieures, lui donnait pleinement droit de prétendre. M. Thiers déclara que la France, suivant le désir des puissances neutres, était prête à conclure un armistice. Sa Majesté le Roi, en présence de cette déclaration, avait à considérer qu'un armistice entraine nécessairement pour l'Allemagne tous les désavantages qui résultent d'une prolongation de la campagne pour une armée dont l'en¬ tretien repose sur des centres de ressources fort éloignés. En outre, avec l'armistice, nous prenions l'obligation de faire rester stationnaires dans les positions, qu'elles auraient eues au jour de la signature, les masses de troupes alle¬ mandes rendues disponibles par la capitulation de Metz et 374 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. do renoncer ainsi à occuper de nouvelles positions du ter¬ ritoire ennemi, dont nous pouvons actuellement nous rendre maîtres sans coup férir ou du moins en n'ayant à vaincre qu'une résistance peu sérieuse. Les armées allemandes n'ont pas à attendre dans les prochaines semaines un ac¬ croissement essentiel de leurs forces; au contraire, la France, grâce à l'armistice, se serait assuré la possibilité de développer ses propres ressources, de compléter l'organi¬ sation des troupes déjà en formation et, — si les hostilités devaient recommencer à l'expiration de l'armistice, — de nous opposer des corps de troupes capables de résistance, qui aujourd'hui encore n'existent pas. Malgré ces considérations, le désir de faire le premier pas pour la paix prévalut chez Sa Majesté le Roi et je fus autorisé à aller immédiatement au-devant de ce que sou¬ haitait M. Thiers, en consentant à un armistice de vingt- cinq ou même, comme il le désira plus tard, de vingt-huit jours, sur le pied du statu quo militaire pur et simple, à partir du jour de la signature. Je lui proposai qu'une ligne de démarcation à tracer arrêtât la situation des troupes allemandes et françaises, telle que de part et d'autre, elle serait au jour de la signature ; que, durant quatre semaines, les hostilités restassent suspendues; que pendant ce temps fut élue et constituée une représentation nationale. Poul¬ ies Français, de cette suspension d'armes il ne devait résulter militairement, pendant la durée de l'armistice, que l'obligation de renoncer à de faibles sorties, toujours mal¬ heureuses, et à un gaspillage inutile et incompréhensible des munitions d'artillerie par le tir des forts. Relativement aux élections en Alsace, je pus déclarer que nous n'insisterions sur aucune stipulation qui dut, avant la conclusion de la paix, mettre en question que les dé¬ partements allemands lissent partie de la France — et que nous ne demanderions pas compte à un de leurs habitants de ce qu'il eût liguré, comme représentant de ses compa¬ triotes, dans une assemblée nationale française. Je fus étonné lorsque le négociateur rejeta ces proposi¬ tions, qui étaient tout à l'avantage de la France, et déclara ne pouvoir accepter un armistice que si l'on y comprenait la faculté pour Paris de s'approvisionner sur une grande échelle. Je lui répondis que cette faculté contiendrait une NOTES. 375 concession militaire excédant à tel point le statu quo et toute exigence raisonnable, que je devais lui demander s'il était en situation de m'offrir un équivalent, et lequel? M. Thiers répondit qu'il n'avait pas pouvoir de faire aucune contre-proposition militaire, et qu'il devait poser la con¬ dition de ravitaillement de Paris, sans pouvoir offrir en compensation rien autre chose que le bon vouloir du gou¬ vernement parisien pour mettre à même la nation française d'élire une représentation d'où vraisemblablement sortirait une autorité avec laquelle il nous serait possible de négo¬ cier la paix. Dans cette situation, j'eus à soumettre au Roi et à ses conseillers militaires le résultat de nos négociations. Sa Majesté le Roi fut justement surpris des demandes militaires si excessives et déçu dans ce qu'il avait attendu des négociations avec M. Thiers. L'incroyable exigence d'après laquelle nous aurions dû renoncer au fruit de tous les efforts faits depuis deux mois, à tous les avantages ac¬ quis par nous et remettre les choses au point où elles étaient lorsque nous commençâmes à investir Paris, ne pouvait fournir qu'une nouvelle preuve qu'il Paris on cher¬ chait les prétextes pour refuser à la France des élections, mais non pas une occasion de les faire sans empêchement. D'après le désir'que j'exprimai d'essayer encore, avant la continuation des hostilités, de s'entendre sur d'autres bases, M.Thiers eut, le ii de ce mois, un nouvel entretien avec les membres du Gouvernement de Paris, pour leur proposer ou un court armistice sur la base du statu quo, ou la simple convocation des électeurs, sans armistice conclu par une convention, — auquel je pouvais promettre que nous ac¬ corderions toute liberté et toute facilité compatibles avec la sûreté militaire. M. Thiers ne m'a pas donné de détails sur son dernier entretien avec MM. Favre et Trocliu; il n'a pu que me com¬ muniquer, comme résultat de cette conférence, l'instruction qu'il avait reçue de rompre les négociations et de quitter Versailles, puisqu'un armistice avec ravitaillement ne pouvait être obtenu. Il est reparti pour Tours le 7 au matin. Le cours des négociations n'a fait que me convaincre d'une chose, c'est que les membres du gouvernement actuel 37G A PARIS PENDANT LE SIÈGE. en France, dès leur avènement au pouvoir, n'ont pas voulu sérieusement laisser l'opinion du peuple français s'exprimer par la libre élection d'une représentation nationale, — qu'ils avaient tout aussi peu l'intention d'arriver à conclure un armistice, et qu'ils n'ont posé une condition dont l'inad¬ missibilité ne pouvait être mise un doute par eux que pour ne pas répondre par un refus aux puissances neutres, dont ils espèrent l'appui. Je vous prie de vouloir bien vous exprimer conformé¬ ment au contenu de celte dépêche, dont vous êtes autorisé à donner lecture. DE BISMARCK. NOTE X PROCLAMATION DU GÉNÉRAL DUCROT A L'ARMÉE DE PARIS, LA VEILLE DE LA BATAILLE DE CHAMPIGNY. Soldats de la 2e Armée de Paris, Le moment est venu de rompre le cercle de fer qui nous enserre depuis trop longtemps et menace de nous étouffer dans une lente et douloureuse agonie ! A vous est dévolu l'honneur de tenter cette grande entreprise : vous vous en montrerez dignes,j'en ai Incertitude. Sans doute vos débuts seront difficiles, nous aurons à surmonter de sérieux obstacles, il faut les envisager avec calme et résolution, sans exagération comme sans fai¬ blesse. La vérité, la voici : Dès nos premiers pas, touchant nos avant-postes, nous trouverons d'implacables ennemis, ren¬ dus audacieux et confiants par de trop nombreux succès. Il y aura donc là à faire un vigoureux effort, mais il n'est pas au-dessus de vos forces; pour préparer votre action, la prévoyance de celui qui nous commande en chef a accu mulé plus de 400 bouches à feu, dont deux tiers au moins du plus gros calibre; aucun obstacle matériel ne saurait y résister et pour vous élancer dans cette trouée vous serez 130000 tous bien armés, bien équipés, abondamment pour- NOTES. 377 vus de munitions, et, j'en ai l'espoir, tous animés d'une ar¬ deur irrésistible. Vainqueurs dans cette première période de la lutte, votre succès est assuré, car l'ennemi a envoyé sur les bords de la Loire ses plus .nombreux et ses meilleurs soldats ; les efforts héroïques et heureux de nos frères les y retiennent Courage donc et confiance! Songez que dans celte lutte suprême nous combattrons pour notre honneur, pour notre liberté, pour le salut de notre chère et malheureuse patrie, et si ce mobile n'est pas suffisant pour enflammer vos cœurs, pensez à vos champs dévastés, à vos familles ruinées, à vos sœurs, à vos femmes, à vos mères désolées. Puisse cette pensée vous faire partager la soif de ven¬ geance, la sourde rage qui m'animent et vous inspirer le mé¬ pris du danger! Pour moi, j'y suis bien résolu, j'en fais le serment devant vous, devant la nation tout entière : je ne rentrerai dans Paris que mort ou victorieux ; vous pourrez me voir tomber, mais vous ne me verrez pas reculer. Alors ne vous arrêtez pas, mais vengez-moi. En avant donc! en avant! Et que Dieu nous protège! Le f/énéral en chef de lu 2e armée de Paris, A. DUCROT. Paris, 28 novembre 1870. NOTE XI GOUVERNEUR VU GÉNÉRAL SCHMITZ. 2 décembre 1870 1 h. 15 inin. du soir. Plateau entre Champigny et Villiers, 1 h. 1/4. Attaqué ce matin par des forces énormes à la pointe du jour, nous sommes au combat depuis plus de sept heures. Au moment où je vous écris, l'ennemi, placé sur toute ia ligne, nous cède encore une fois les hauteurs. Parcourant nos lignes de tirailleurs de Champigny jusqu'à Brie, j'ai recueilli l'honneur et l'indicible joie des acclamations des troupes soumises au feu le plus violent. Nous aurons sans 378 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. doute des retours offensifs,et oetto seconde bataille durera, comme la première, toute une journée. Je ne sais quel avenir est réservé à ces généreux efforts des troupes de la République, mais je leur dois celte justice qu'au milieu des épreuves de toutes sortes, elles ont bien mérité du pays. J'ajoute que c'est au général Ducrot qu'appartient l'hon¬ neur de ces deux journées. GÉNÉRAL TROCIIU. Gouverneur à général Schmitz pour le gouvernement. Paris, de Nogent, 5 h. 30 min. du soir. Je reviens il mon logis du fort à o heures, très fatigué et très content. Cette deuxième grande bataille est beaucoup plus décisive que la précédente. L'ennemi nous a attaqués au réveil avec des réserves et des troupes fraîches; nous ne pouvions lui offrir que les adversaires de l'avant-veille, fa¬ tigués avec un matériel incomplet et glacés par des nuits d'hiver qu'ils ont passées sans couvertures; car pour nous alléger, nous avions dû les laisser à Paris. Mais l'étonnante ardeur des troupes a suppléé à tout; nous avons combattu trois heures pour conserver nos positions et cinq heures pour enlever celles de l'ennemi où nous couchons. Voilà le bilan de cette dure et belle journée. Beaucoup ne reverront pas leurs foyers; mais ces morts regrettés ont fait à la jeune République de 1870 une page glorieuse dans l'histoire mili¬ taire du pays. GÉNÉRAL TROCnU. A 3 heures et demie le gouvernement a fait afficher la proclamation suivante : Vendredi 2 décembre 3 h. 10 min. minutes. Dés ce matin, à l'aube,l'ennemi a attaqué les positions de l'armée du général Ducrot avec la plus grande violence. Nos troupes étaient prêtes à recevoir le combat. NOTES. 379 Un développpement considérable d'artillerie, appuyé par les positions d'Avron, les forts de Nogent, de la Faisande¬ rie, de Gravelles, des redoutes de Saint-Maur et du fort de Charenton, a empêché l'ennemi de gagner du terrain. Les dernières nouvelles du champ de bataille sont de t heure 45 minutes. L'infanterie prussienne se repliait dans les bois et jusqu'à présent nous avons l'avantage. Aussitôt la nouvelle de l'attaque, le chef d'étal-major général a de¬ mandé des troupes au général Vinoy, au général Clément Thomas, qui avait déjà conduit lui-même sur les lieux trente-trois bataillons de la garde nationale. Les généraux de Beaufort et deLignères ont été prévenus de tenir leurs troupes prêtes et nos positions du sud, sous les ordres du général Vinoy, appuient la bataille par une vi¬ goureuse diversion. Le combat continue. Le ministre de l'intérieur par intérim, JULES FAVRE. NOTE XII ORDRE 1)U JOUR DU GÉNÉRAL DUCROT. Vincennes. 4 décembre 1870. Soldats, Après deux journées de glorieux combats, je vous ai fait repasser la Marne, parce que j'étais convaincu que de nou¬ veaux efforts, dans une direction où l'ennemi avait eu le temps de concentrer toutes ses forces et de préparer tous ses moyens d'action, seraient stériles. En nous obstinant dans cette voie je sacrifiais inutilement des milliers de braves, et loin de servir l'œuvre de la déli¬ vrance, je la compromettais sérieusement, je pouvais même vous conduire à un désastre irréparable. Mais, vous l'avez compris, la lutte n'est suspendue que pour un instant; nous allons la reprendre avec résolution : soyez donc prêts, complétez en toute hâte vos munitions, vos vivres, et surtout élevez vos cœurs à la hauteur des 380 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. sacrifices qu'exige la sainle cause pour laquelle nous ne de¬ vons pas hésiter à donner notre vie. Le. général en chef de la 2° aimée, A. DUCROT. Rapport militaire du 4 décembre 1870. Les pertes de l'ennemi ont été tellement considérables pendant les glorieuses journées du 29, 30 novembre et 2 décembre, que pour la première fois, depuis le commen¬ cement de la campagne, frappé dans sa puissance et dans son orgueil, il a laissé passer une rivière en sa présence, en plein jour, à une armée qu'il avait attaquée la veille avec tant de violence. On ne saurait trop insister sur ce fait unique dans la guerre de 1870, car il consacre les elforts faits par une armée, qui n'existait pas il y a deux mois. Il faut en chercher la cause dans le patriotisme des éléments qui la composent et dans la force que la population de Paris a, par son attitude, inspirée à tous les défenseurs de la capi¬ tale. L'armée, réunie en ce moment à l'abri de toute atteinte, puise de nouvelles forces dans un court repos qu'elle était en droit d'attendre de ses chefs après de si rudes combats. Il y a des cadres à remplacer, et c'est avec la plus grande activité que l'on procède au remaniement de certaines par¬ ties de son organisation. Le Gouverneur est resté à la tête des troupes et il pour¬ voit lui-même à tous les besoins signalés. Ces documents ont été affichés sur les murs de la ville. NOTES. 381 NOTE XIII RAPPORT DU GÉNÉRAL CLÉMENT THOMAS SUR LA CONDUITE DES TIRAILLEURS DE BELLEVILLE. 6 décembre 1870. Désirant satisfaire aux demandes réitérées du bataillon dit : des tirailleurs de Belleville, d'être employé aux opéra¬ tions extérieures et de se mesurer avec l'ennemi, le com¬ mandant supérieur avait donné l'ordre de faire équiper ce bataillon un des premiers, et il l'a envoyé, le 2o novem¬ bre, occuper, à côté d'autres troupes, un poste d'honneur en avant de Créteil, à cent et quelques mèlres des lignes prussiennes. Ce poste avait été occupé jusque-là avec le calme le plus parfait par une compagnie de ligne. Des rumeurs fâcheuses sur la conduite des tirailleurs de Belleville étaient parvenues, dans l'intervalle, au comman¬ dant supérieur; il a demandé sur les faits des rapports au¬ thentiques. Dans un premier rapport en date du 28 novembre, le chef de bataillon Lampérière déclare qu'étant sorti le soir à huit heures et demie, accompagné de l'adjudant-major Lal- lemant, il a fait une ronde dans la tranchée et recommandé à ses hommes de ne pas tirailler inutilement. La ronde ter¬ minée, il se retirait dans la direction de la ferme des Mèches, lorsqu'il entendit une vive fusillade et aperçut bientôt, fuyant à la débandade, une grande partie des lrc et 2e compagnies de son bataillon, de service à la tranchée. Ce ne fut qu'à grand'peine et à force d'énergie qu'il arrêta ses hommes et parvint à les ramener en partie à leur poste. Cette honteuse échautlourée, provoquée d'après certains rapports par la fusillade intempestive des tirailleurs, coûta la vie à trois d'entre eux, plus trois blessés. Les hommes rejetèrent la cause de leur panique sur le capitaine Ballan- dier, qui aurait fui le premier en criant qu'ils étaient tournés. Le lendemain les tirailleurs de Belleville ont été ramenés en arrière des avant-postes et cantonnés sous le fort de Charenton. Ordre leur ayant été donné plus tard de reprendre leur 382 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. poste à la tranchée, ils s'y sont refusés et ne se sont décidés à s'y rendre postérieurement que sur de nouvelles injonc¬ tions. Le 5, le colonel d'infanterie Le Mains, commandant la brigade, a adressé au Commandant supérieur le rapport suivant : Mon Général, J'ai l'honneur de vous demander d'urgence le rappel à Paris dos tirailleurs de Belleville. Non seulement leur présence ici n'est d'aucune utilité, mais elle pourrait occasionner un grave conflit avec les gardes nationaux du 147° bataillon (bataillon de la Villette) placé à côté d'eux. La haine entre ces deux bataillons est telle, qu'ils ont établi dans la tranchée une espèce de barricade qu'ils s'interdisent mu¬ tuellement de franchir. La présence de M. Flourens dans ce ba¬ taillon a amené de nouvelles difficultés, les officiers ne voulant pas le reconnaître pour chef. Ce matin, le rapport du commandant de l'aile droite m'informe qu'il a dû faire occuper et surveiller particulièrement la tranchée de droite, /es tirailleurs de Belleville ayant abandonne leur poste. Dans les circonstances où nous nous trouvons, un conflit entre nos troupes serait désastreux. D'un autre côté, le mauvais exemple que donnent, à tous moments, les tirailleurs de Belleville, est des plus fâcheux. Tels sont les motifs, mon général, qui me font vous demander leur rappel immédiat à Paris. Dans un rapport du 4 décembre, le commandant Lam- pèrière déclare que, parti avec un effectif de 457 hommes, son bataillon est réduit aujourd'hui de 61 gardes, rentrés à Paris avec armes et bagages, sans permission. « Ce bataillon, ajoute le commandant, par son indisci¬ pline et les éléments qui le composent, est devenu complè¬ tement impossible. Indiscipline et incapacité dans une partie des officiers et des sous-officiers: voilà, mon général, les principales causes de notre désorganisation. « Formé en dehors de toutes les lois qui régissent la garde nationale, ce bataillon s'est montré indigne des pri¬ vilèges qu'il a obtenus et n'est qu'un mauvais exemple pour les troupes qui l'environnent. Ces hommes, pour la plupart, se sont refusés à prendre le service de la défense. Je demande donc que ce bataillon soit rappelé à Paris et dissous. NOTES. 383 « De plus, j'ai l'honneur de vous adresser ma démission de chef de ce bataillon, ne pouvant, honnête homme, ancien sous-officier de l'armée, rester plus longtemps à la tête d'une troupe pareille. Je reprendrai mon fusil et je ren¬ trerai dans les rangs de la garde nationale pour me purifier du trop long séjour que j'ai fait dans les tirailleurs de Belle- ville. « Une prompte résolution de votre part est nécessaire, mon général, car la moitié des hommes refusent de faire tout service. » D'autres rapports qu'il serait trop long de reproduire ici, établissent que le citoyen Flourens, révoqué du grade de Commandant qu'il occupait dans le bataillon des tirailleurs de Belleville, de service dans les tranchées, est allé rejoindre ce bataillon dans ses cantonnements, a repris les insignes du grade qui lui a été retiré et a tenté de reprendre ainsi le commandement. Il résulte des documents qui précèdent : que deux com¬ pagnies du bataillon des tirailleurs de Belleville, de service dans les tranchées, ont pris lâchement la fuite devant le feu de l'ennemi; que le bataillon a refusé de se rendre à son poste sur l'ordre qui lui a été donné, et que, s'y étant rendu plus tard, il l'a abandonné au milieu de la nuit. Il résulte, de plus, que le citoyen Flourens s'est rendu coupable d'une usurpation d'insignes et de commandement militaires. En présence de pareils faits, que la garde nationale tout entière répudie, le Commandant supérieur propose : 1° La dissolution des tirailleurs de Belleville. 2° Les 61 gardes nationaux de ce corps, qui ont disparu, seront traduits devant les conseils de guerre pour désertion en présence de l'ennemi, ainsi que l'aide-major Lemray (Alexis), parti le 28 pour conduire des blessés à l'ambulance, et qui n'a plus reparu. 3° Une enquête sera faite sur la conduite du capitaine Ballandier, pour apprécier si la même mesure ne lui sera pas appliquée. 4° Le citoyen Flourens sera immédiatement arrêté et tra¬ duit en conseil de guerre pour les faits imputés à sa charge. Un certain nombre d'hommes du bataillon ayant mérité, par leur conduite, de ne pas être confondus avec ceux que A PARIS PENDANT LE SIÈGE. frappe cet ordre du jour, ils formeront le noyau d'organisa¬ tion d'un nouveau bataillon. Le general commandant supérieur des gardes nationales de la Seine, CLÉMENT THOMAS. Paris, 6 décembre 1870. 6 décembre, 8 heures du soir. P.-S. — Le Commandant supérieur reçoit, à l'instant même, du commandant Lampérière, un rapport lui décla¬ rant que le S au soir il n'a pu réunir ses hommes pour le service de l'avancée, la plupart étant absents et le reste ayant refusé d'obéir. Parmi ceux-ci, quelques-uns donnent pour motifs, et ceux-là n'ont pas tort, dit le commandant, qu'ils ne peuvent aller il la tranchée avec des hommes dont les mœurs et l'honnêteté leur sont suspectes, et qu'ils de¬ mandent l'épuration du bataillon. Le commandant ajoute que lui et le lieutenant Launay ont été menacés de coups de fusil; que les actes d'insubordina¬ tion envers les officiers et sous-officiers se renouvellent con¬ stamment, et que, malgré la plus grande surveillance, les vols de vivres se commettent d'homme il homme. Ce rapport est visé et transmis par le lieutenant-colonel Le Mains, commandant supérieur de Créteil. NOTE XIY PROCLAMATION RELATIVE AU RATIONNEMENT DE PARIS. Le Gouvernement, aux habitants de Paris. L'avis publié, il y a deux jours, par le gouvernement pa¬ rait avoir dissipé les inquiétudes de la population relative¬ ment au pain, il importe qu'il n'en reste aucune trace. Il est clair que s'il y a quatre pains pour quatre consom¬ mateurs et que l'un d'eiyc en achète trois, il condamne tous les autres à se contenter d'un tiers de ration. Voilà les effets de la peur. NOTES. 38.j Nous répétons qu'il n'y a aucun sujet de préoccupation, et que le pain ne sera pas rationné. Assurément, s'il fallait se résigner à des privations, dans un moment comme celui-ci, Paris n'hésiterait pas. Il n'est aucun sacrifice qu'il ne soit prêt il faire pour l'honneur et pour la patrie. Mais les approvisionnements existants per¬ mettent de lui épargner celte nécessité. La quantité de pain vendue quotidiennement n'a pas varié depuis le com¬ mencement du siège, et rien ne fait prévoir qu'elle doive être diminuée. Il n'y aura de différence que pour la qualité. Le plus grand intérêt de la défense étant de prolonger autant que possible la résistance de Paris, le Gouvernement, sûr en cela de répondre à la volonté de tous les citoyens, a résolu qu'aussitôt après le délai nécessaire pour écouler les quantités existantes, il ne serait plus vendu ni distribué, dans la ville, que du pain bis. Ce pain est nourrissant, agréable au goût, et sans inconvénient pour la santé. Nos paysans n'en mangent pas d'autre, même dans les départe¬ ments les plus favorisés. Il va sans dire que le pain sera de qualité uniforme pour tous les consommateurs, et qu'au¬ cune exception ne sera tolérée. La viande ne nous manque pas. Il en sera distribué tous les jours dans les boucheries municipales, sans réduction d'aucune sorte sur les quantités actuellement distribuées. On a eu d'abord quelques difficultés pour organiser le ser¬ vice; maintenant tout est en ordre. Le pain et la viande, c'est-à-dire la double base de l'alimentation, sont assurés. La situation est donc satisfaisante. On peut dire qu'elle est inespérée, après trois mois de siège. Ces résultats sont dus, en majeure partie, à la sagesse et au patriotisme de la population, aussi résignée devant les privations qu'elle est héroïque devant le péril. Nous avons tous juré que rien ne nous coûterait pour sauver notre pays, et nous y parviendrons à force de calme, de vigilance et de courage. GÉNÉRAL TROCRU, JULES FAVRE, EMM. ARAGO, JULES FERRY, GARNIER-l'AGÈS, EUGÈNE l'ELLETAN, ERNEST PICARD, JULES SIMON. Paris, le 14 décembre 1870. 22 380 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. NOTE XV DÉCRET DU 15 DÉCEMBRE 1870 QUI ORDONNE LA RÉQUISITION DES CHEVAUX, ANES ET MULETS. Vu la loi du 19 brumaire an III; Vu le décret du Ier octobre 1870, Décrète : Article premier. — Réquisition est faite, au nom du Gouver¬ nement de la Défense nationale, de tous les chevaux, ânes et mulets existant à Paris et dans le territoire en deçà de la ligne d'investissement. 4rt.2. — Parl'effetde cette réquisition, tous les détenteurs deviennent de simples gardiens, tenus de représenter les animaux à eux confiés. Ils n'ont pas le droit de les vendre, de les échanger, de les faire abattre, ni même de les transférer dans un local autre que celui indiqué par la déclaration de recense¬ ment. Art. 3. — Sur les injonctions qui seront adressées à chaque détenteur par le ministre de la Guerre conjointement avec le ministre de l'Agriculture et du Commerce, les animaux dé¬ signés devront être immédiatement conduits aux lieux qui seront indiqués. Art. i. — Les animaux seront pesés vivants et payés comp¬ tant. Art. 5. — Pour les chevaux amenés après injonction et qui seront en bon état, le prix sera de : 1 fr. 75 le kilogramme, au maximum. 1 l'r. 23 par kilogramme, au minimum; Les animaux inférieurs seront payés au prix qui sera fixé. Art. 0. — Tout propriétaire de cheval, âne et mulet, qui voudra devancer l'injonction de livrer, a la faculté de faire conduire tous les jours ces animaux au marché aux chevaux, boulevard d'Enfer, n° 6. Les prix de faveur suivants seront appliqués aux animaux spontanément amenés : 2 francs le kilogramme, au maximum ; 1 fr. 50 le kilogramme, au minimum. NOTES. 387 En outre, il sera alloué une commission d'amenage de 10 francs par tête. Ces avantages ne pourront être accordés aux animaux in¬ férieurs. Art. 7. —Par suite de la réquisition générale de tous les chevaux, ânes et mulets, tous propriétaires de ces animaux qui ne se seraient pas conformés au décret du 2b novembre 1870, sont tenus de faire dans les quarante-huit heures, c'est- à-dire d'ici à samedi 17 décembre inclusivement, les décla¬ rations prescrites par ledit décret. Art. 8. — Tout animal non déclaré sera confisqué au profit de l'État sans aucune indemnité. Art. 9. — Tout animal non représenté, ou dont la cession régulière à l'État ne serait pas justifiée, donnera lieu à une amende égale à la valeur de l'animal détourné et qui, dans aucun cas, ne sera inférieure à mille francs par tête. JULES FAVRE, EMM. ARAGO, EUG. PELLETAN, JULES FERRY, ETC. Fait à Paris le 15 décembre 1870. NOTE XVI ARTICLE DE LA PRESSE DE VIENNE, QUI EST PAR¬ VENU AU GOUVERNEMENT, ET A ÉTÉ INSÉRÉ DANS LE « JOURNAL OFFICIEL » DU 25 DÉCEMURE (EXTRAITS DE LA PRESSE DE VIENNE DU 15 DÉCEMBRE). La Guerre franco-allemande. La Gazette de Silésie nous apporte sur le bombarde- mentde Paris un très remarquable article auquel nous donnons la place suivante : Lorsque notre armée se mit en marche depuis le champ de victoire de Sedan contre la capitale ennemie, il n'y avait pas encore de plan fermement arrêté pour les opérations projetées envers la capitale. Il va de soi que les plus différentes opinions et manières de 388 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. voir devaient être exprimées dans le quartier général, quand 011 se trouvait tout à coup en présence de ce problème : avoir à assiéger la plus grande forteresse du monde avec une armée dont la force équivalait seulement à la moitié de la garnison. Aucun corps d'observation ne tenant en rase cam¬ pagne pour la seconder, l'armée d'investissement disposait à peine des forces de secours les plus nécessaires pour cou¬ vrir sa ligne de communication, longue de plus de 00 milles à travers le pays ennemi; elle n'amenait aucune artillerie de siège et ne commandait pas même une ligne ferrée de communication directe avec la patrie. Que cette entreprise hardie dût être exécutée, cela ne sou¬ levait pas une hésitation (objection), toute la situation de la guerre l'imposait; qu'elle puisse être conduite sans de grands risques et avec perspective de réussite, il n'y avait aucun doute non plus là-dessus. A cet égard influait aussi la croyance régnante à celte époque qu'à l'intérieurde lacapitale, qu'une révolution venait d'agiter, de nouveaux mouvements révolutionnaires se pro¬ duiraient, empêcheraient l'établissement d'une autorité forte et rendraient impossible une défense soutenue. Sauf de très rares exceptions, qui provenaient peut-être moins des con¬ victions que d'esprit de parti politique, toute l'Europe élait disposée à un jugement analogue. On doutaitaussi beaucoup que Paris ait pu s'approvisionner de tout le nécessaire pour des mois pendant les trois ou quatre semaines de répit, qui lui étaient restées après les événements de Metz et de Sedan, quoique ce doute ne fût pas partagé par ceux qui étaient au courant des conditions (situations) du commerce, des trafics et des lois sur les transactions commerciales et industrielles à Paris. Les opinions n'étaient partagées au sujet de l'investisse¬ ment que sur cette question : « Comment? » Quelques-uns croyaient qu'il serait eflicace et salutaire pour le succès, si l'on concentrait le gros de l'armée contre Paris sur deux ou trois points en eonliant à la nombreuse cavalerie le soin de couper (d'intercepter) les communica¬ tions. D'après ce que nous savons, contre cette idée prévalut, celle du général Blumenthal de cerner étroitement pour le siège. Quand celte opération fut accomplie après le victo¬ rieux combat du 19 septembre, de la plus heureuse façon, NOTES. on croyait généralement que la chute de la capitale serait bientôt décidée, et tout Je reste devait être attendu dans un temps peu éloigné. Seulement, au commencement de la semaine, l'idée d'une attaque avec de la grosse artillerie commença à mûrir : la possibilité de son exécution ne fut donnée qu'après la reddition de Toul. Les préparatifs pour amener des masses d'artillerie et de munitions, complète¬ ment soustraites à la vue des profanes, étaient presque ter¬ minés, lorsque les difficultés pour l'entretien du corps d'armée se firent sentir avec tant d'aulorilé que l'intendance militaire dut avoir provisoirement la priorité dans les trans¬ ports par chemin de fer. Le retard ainsi apporté et la reconnaissance de plus en plus claire (l'évidence) de la prodigieuse difficulté des transports, qui devaient être effectués par chariots pendant 8 ou 10 milles il la suite de l'explosion du tunnel de Nanteuil, augmentaient les espérances de ceux qui vivaient dans l'idée que la famine ouvrirait les portes de Paris plutôt que le fer et le feu. Ce¬ pendant le plan du bombardement n'était pas encore délini- tivement abandonné. Les forts d'Issy, de Vanves et de Mont- rouge étaient choisis pour les attaques spéciales d'artillerie; les batteries à cet effet construites, les parcs d'artillerie de l'angle sud-ouest des fortifications se remplissaient conti¬ nuellement. Les munitions pour les besoins de plusieurs jours étaient arrivées, mais la plus grande partie gisait encore aux environs de Nanteuil. Plus de mille voitures, que le transport des masses de fer nécessaires pour un bombar¬ dement soutenu exigeait, furent enfin amenées sur le lieu d'entrepôt et finalement on rendit possible, vu le manque d'attelages ordinaires, l'emploi d'une partie au moins des attelages de la nombreuse artillerie de campagne. Les choses en étaient à peu près là après que la dernière grande sortie du 2 décembre eut été victorieusement re¬ poussée. Dans les huit semaines précédentes, cependant, plusieurs personnalités de poids, qui attendaient exclusi¬ vement du blocus au commencement l'assujettissement (la défaite) du géant de l'Ouest, avaient changé d'opinion et d'autre part, la décision du bombardement était d'autant plus difficile à prendre que le temps écoulé avait rapproché davantage le terme de la famine. Dans l'intervalle, on avait acquis aussi la conviction que 22. 390 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. certaines attentes qu'on était auparavant autorisé à fonder sur l'influence de l'artillerie, avait successivement perdu du terrain. Dans Paris s'était développé un esprit belliqueux contre lequel une simple épouvante promettait peu d'effet; sur les divisions politiques il y avait encore à peine à compter ; mais en outre Trocliu avait réussi à discipliner el à ins¬ truire militairement ses forces de combat. Ainsi de très concluantes considérations psychologiques parlaient pour que le bombardement ne soit commencé qu'après que nos victoires en pleine campagne auraient détruit les espérances que les Parisiens élevaient sur les armées de secours. Le moment psychologique devait surtout, d'après toutes les considérations, jouer un rôle saillant, car sans son con¬ cours il y avait peu à espérer du travail de l'artillerie. LTn siège formel (en règle) ne pouvait pas être considéré comme opportun avec une résistance énergique: cela ne nous au¬ rait conduits au but que dans un temps assurément plus éloigné que celui où la faim promet d'ouvrir les portes. 11 ne pouvait donc s'agir que d'opérations accélérantes. Nous avons démontré dans nos précédents articles que le bombardement de Paris, sans la prise de forts détachés, ne pourrait être que partiel; quelques parties seulement, et toutefois les plus riches, peuvent être atteintes par les po¬ sitions que nous avons conquises et même celles-là ne pourraient aucunement être bombardées sur une échelle qui produirait un effet réel, comme celui qui a été atteint à Strasbourg, a Toul ou à Thionville. Pendant les quatre premières semaines, il y aurait eu dans tous les cas une influence morale à attendre d'une telle opération, mais avec l'esprit, qui s'est développé dans Paris après les pre¬ miers jours de novembre, il n'y avait décidément plus à compter là-dessus. Le plan d'attaque doit désormais être étendu à la prise d'au moins deux ou trois forts, pour prendre dans ces ouvrages des positions d'où l'on pourra projeter les coups incendiaires sur une plus vaste étendue de l'océan de maisons de Paris. Mais, même alors se trouveront certaines parties, entre autres celles de l'est, où sont situés les faubourgs, impor¬ tants pour la décision, de Belleville et de la Villette, encore hors d'atteinte. Pour bombarder efficacement ces parties, la NOTES. 391 prise des fortifications de Saint-Denis ou de celles des hau¬ teurs de Romainville et de Montreuil, ainsi justement les plus fortes, et presque les plus imprenables parties des fortifications de Paris, serait indispensable : aussi ne se livre-t-on à aucune illusion sur l'elfet réel du feu qui serait dirigé contre Paris de deux forts élevés. Paris a pour le moins trente-six fois les bases de Strasbourg, et même là le bombardement n'avait pas de résultat direct; mais une masse d'artillerie comme celle qui a été employée contre Strasbourg ne pourrait être que difficilement établie dans deux ou trois forts. L'elfet immédiat du bombardement ne pourrait être, proportionnellement, que médiocre. Ces rai¬ sons contre le commencement de l'attaque de l'artillerie avaient certainement leurautorité présentement, mais cepen¬ dant toutes les circonstances devaient parler pour celles-ci. C'est maintenant le moment où une prompte, ferme déci¬ sion doit donner un autre tour aux choses, et ce moment ne doit pas être perdu, sur la supposition incertaine qu'un acte de force n'est plus nécessaire. Jusqu'au 7 décembre il n'y avait, comme on nous l'a assuré de source digne de foi, encore aucune décision définitive de prise. Espérons qu'elle est venue depuis ! NOTE XYII ARTICLE PARU DANS LE JOURNAL « LE TEMPS », LE 20 DÉCEMBRE 1870. Sans prendre sur nous de conseiller aucune opération militaire, nous croyons donc que dès à présent une question doit s'imposer au Gouvernement de la Défense nationale; comment, môme dans le cas où Paris n'aurait plus de vivres et serait obligé d'ouvrir ses portes, comment conserver à la défense nationale l'armée formée dans ses murs? 11 ne nous semble pas que cette question, la seule grave, la seule importante, la plus digne de préoccuper des patriotes, ait suffisamment attiré jusqu'à présent l'attention du Gou¬ vernement de l'Hôtel de Ville. Nous avons bien entendu parler, en vue de ces éventualités malheureuses, de résolu¬ tions plus ou moins héroïques consistant à ne point signer •■392 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. de capitulation, à se réfugier dans 1111 fort, etc., etc. Ces ré¬ solutions peuvent être inspirées sans doute par les mobiles les plus honorables; mais sans vouloir ici diminuer la valeur réelle de la plupart des membres du gouvernement, nous ne pensons pas que l'importante question du moment soit de savoir si ces messieurs mettraient ou ne mettraient pas leurs noms au bas d'une capitulation, s'ils se déchargeraient sur la municipalité des pénibles embarras de la dernière heure; ni s'ils iraient tenir les derniers, dans un fort, le drapeau de la résistance après qu'il serait abattu dans Paris. Les satisfactions personnelles, secondaires en tout temps, ne doivent en ce moment peser de rien. Le plus important à nos yeux n'est pas de savoir ce que deviendraient, après une reddition, les membres du Gouvernement, mais bien de sa¬ voir ce que deviendraient les 200 000 hommes armés, qui défendent Paris et qui sont en état de tenir la campagne. Or, si on attend l'épuisement des vivres, qui aura lieu, nous ne savons quand, mais qui aura lieu fatalement dans l'hypo¬ thèse où nous nous plaçons, c'est-à-dire si aucune armée de secours n'a pu venir nous débloquer ou nous ravitailler, il est clair que ces 200 000 hommes seront prisonniers. Mais se figure-t-on bien ce que 200 000 hommes peuvent peser dans la balance de la guerre ? Veut-on se laisser acculer ou, forcément, inévitablement il faudra livrer à l'ennemi cette armée, qui vaincrait peut-être réunie à l'armée de la Loire. Une telle question est résolue en même temps qu'elle est posée et c'est pour cela que sans entrer dans aucun détail, sans faire ici de la stratégie, mais au nom simplement du bon sens et du salut public, nous disons : Il faut, il faut ab¬ solument, il faut atout prix que dans un délai dont le Gouver¬ nement peut se rendre compte par le stock des subsistances, l'armée de Paris ait fait une trouée et tienne la campagne. Qu'on n'objecte pas l'impossibilité : elle n'existe pas ici, et dans tous les cas ce ne sont pas les deux ou trois etrorts partiels, que l'on a tentés, qui auraient pu démontrer l'uni- tililé de ces tentatives. Personne ne comprendrait qu'une armée égale en nombre à l'armée assiégeante, ayant sur celle-ci l'avantage énorme des surprises possibles et la cer¬ titude d'une plus grande rapidité de concentration, ne par¬ vint pas à la forcer quelque part. Ce serait, nous n'hésitons pas à le dire, un fait inouï dans l'histoire militaire. NOTES. 393 Nous ne pensons pas que les membres du Gouvernement veuillent voir s'accomplir une nouvelle capitulation de Metz ; nous sommes convaincus, dans tous les cas, que les généraux, qui ont ici des commandements importants, sont décidés à tout plutôt que desubirune telle h'umiliation. C'est doncavec plaisir que nous les voyons appelés au conseil; ils y feronl sans doute prévaloir les résolutions énergiques, et peut-être l'un d'eux trouvera-t-il le point faible qu'on n'a pas su dé¬ couvrir encore. Ce qui est certain, c'est qu'il faut aviser avant le dernier moment, alors qu'on peut, en cas d'insuccès, recommencer encore; et ce qui est également certain, c'est que le succès est dans les vraisemblances. « Si la direction et la nature des routes, dit le général Dufour dans son ouvrage sur la tactique, vous permettent de suivre, par des lignes droites intérieures, les mouvements de l'ennemi qui manœuvre sur la circonfé¬ rence, vous aurez tous les avantages de la mobilité, et il vous sera toujours possible d'arriver avant lui sur un point donné.» L'armée de Paris est essentiellement dans ces conditions favorables, et alin que ses chefs n'hésitent pas plus long¬ temps à les mettre à profit, nous leur rappelons encore ces lignes du même auteur : « Aucun motif ne peut engager un général, qui se trouve à la tête d'une garnison nombreuse, à ne faire au dehors qu'une molle résistance, dans l'intention ou sous le prétexte de conserver ses ressources, pour en faire une plus forte derrière les remparts. Il doil agir comme si les remparts n'existaient pas. » NOTE XY11I DÉPÊCHES PUBLIÉES PAR LE GOUVERNEMENT, ET AFFICHÉES SUR LES MURS HE PARIS, LE !) JAN¬ VIER 1871. lrc dépêche. I.yon, 23 décembre. G a mbctt a à Trochu. J'ai reçu le 22 décembre au matin par M. d'Almeda votre dépêche écrite le 10 décembre. L'appréciation que vous avez 304 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. faite de l'armée de la Loire et des éléments qui la composent est parfaitement juste, et trouve dans les faits qui s'accom¬ plissent tous les jours une nouvelle confirmation. Les Prussiens, sans avoir éprouvé rien qui ressemble à une défaite, paraissent cependant démoralisés. Ils commencent à éprouver une grande lassitude, et on leur tue beaucoup de monde de tous les côtés; sur divers points du cercle qu'ils oc¬ cupent, ils rencontrent de vigoureuses résistances. Belfortest approvisionné pour buit mois. Toute la ligne, de Montbéliard à Uôle, est bien gardée par les forces de Besançon; de Dôle à Autun, par les forces de Garibaldi et du général Bressolles. Il en est de même du Morvan et du Nivernais jusqu'à Bourges. D'un autre côté, l'armée de Bourbaki est dans une excel¬ lente situation. Elle effectue en ce moment une manœuvre dont on attend les meilleurs résultats. Chanzy, grâce à son admirable ténacité, a fait lâcher prise aux Prussiens, et, depuis le 19, il s'occupe à refaire ses troupes fatiguées par tant et de si honorables combats. Aussitôt re¬ mises, ce qui ne demande que quelques jours, rééquipées et munitionnées, vous pouvez être assuré que Chanzy reprendra l'offensive. Le Havre est tout à fait dégagé. Les Prussiens ont même abandonné Rouen, après l'avoir pillé et dirigé leur butin sur Amiens, direction que paraissent avoir prise les forces de Manteuffel pour barrer le passage aux troupes de Faidherbe. Nous augmentons tous les jours notre effectif. A mesure que les forces s'accroissent, les gardes nationaux mobilisés, qui ont déjà vu le feu, s'en tirent à merveille et en peu de temps ce seront d'excellents soldats. Le pays est comme nous résolu à la lutte à outrance. Il sent tous les jours davantage que les Prussiens s'épui¬ sent par leur occupation même et qu'en résistant jusqu'au bout la France sortira plus grande el plus glorieuse de cette guerre maudite. Salut fraternel. LKO\ GAMBETTA. NOTES. 395 2e dépêche. Lu général Faidherbe au ministre de la Guerre. Aujourd'hui3janvier, bataille sous Bapaume, de huit heures du matin à six heures du soir. Nous avons chassé les Prussiens de toutes les positions et de tous les villages. Ils ont fait des pertes énormes et nous des pertes sérieuses. J. FAIDHERBE. Avesne-Bapaume, 3 janvier. NOTE XIX PROCLAMATION OU GOUVERNEMENT DE LA DÉPENSE NATIONALE AU PEUPLE DE PARIS, AVANT LE DÉPART DES TROUPES POUR LA DERNIÈRE SORTIE. — COM¬ BAT DE BUZENVAL. Citoyens, L'ennemi tue nos femmes et nos enfants; il nous bom¬ barde jour et nuit; il couvre d'obus nos hôpitaux. Un cri : Aux armes! est sorti de toutes les poitrines. Ceux d'entre nous qui peuvent donner leur vie sur-le- cliainp de bataille marcheront à l'ennemi; ceux qui restent jaloux de se montrer dignes de l'héroïsme de leurs frères, accepteront au besoin les plus durs sacrifices comme un autre moyen de se dévouer pour la patrie. Souffrir et mourir, s'il le faut; mais vaincre. Vive la République! Les membres du gouvernement, JULES FAVBE, JULES FERRY, JULES SIMON, EMM. ARAGO, ERNEST PICARD, GARNIER- PAGÈS, EUGÈNE l'ELLETAN. Les ministres, GÉNÉRAL LE FLO, DORIAN, MAGNAN. Les secrétaires du gouvernement, 1IÉROLD, LAVERTUJON, DURIER, DRÉO. 300 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. RAI'l'OIlTS MILITAIRES. •— AFFAIRES DE BUZEN VAL. -Mont-Valcrieii. 19 janvier, 10 heures du matin. Gouverneur au ministre de la guerre cl au général Schmitz. Concentration très difficile et laborieuse pendant une nuit obscure. Retard de deux heures de la colonne de droite. Sa tète arrive en ligne en ce moment. Maisons Béarn, Armen- gaud et Pozzo di Borgo immédiatement occupées. Long et vif combat autour de la redoute de Montretout. Nous en sommes maîtres. La colonne Bellemare a occupé la mai¬ son du curé et pénétré par la brèche dans le parc de Buzen- val. Elle tient le point 112, le plateau Rio, le château et les hauteurs de Buzenval. Elle va attaquer la maison Craon. La colonne de droite (général Ducrot) soutient vers les hau¬ teurs de la Jonchère un vif combat de mousqueterie. Tout va bien jusqu'à présent. Gouverneur au ministre de la guerre et au général Schmitz. Mout-Valérieu, 10 h. 50 min. matin. Un épais brouillard me dérobe absolument les phases de la bataille. Les officiers porteurs d'ordre ont de la peine à trouver les troupes. C'est très regrettable et il me devient difficile de centra¬ liser l'action, commeje l'avais fait jusqu'ici. Nous combattons dans la nuit. A ffiche placardée sur les murs de Paris. G heures du soir. La bataille engagée en avant du Mont-Valérien dure de¬ puis ce malin. L'action s'étend depuis Montretout à gauche jusqu'au ravin de la Celle-Sainl-Cloud, à droite. Trois corps d'armée, formant plus de cent mille hommes et pourvus d'une puissante artillerie, sont aux prises avec l'ennemi. Le général Vinoy, à gauche, tient Montretout et NOTES. 397 se bat à Garches. Le général de Bellemare et le général Ducrot ont attaqué le plateau de la Bergerie et se battent depuis plusieurs heures au château de Buzenval. Les troupes ont déployé la plus brillante bravoure et la garde nationale mobilisée a montré autant de solidité que de patriotique ardeur. Le Gouverneur commandant en chef n'a pu faire con¬ naître encore les résultats définitifs de la journée. Aussitôt que le gouvernement les aura reçus, il les communiquera à la population de Paris. NOTE XX NOTE DU GÉNÉRAL TROCIIU AFFICHÉE DANS PARIS, PAR ORDRE DU GOUVERNEMENT. 19 janvier 1871. Notre journée heureusement commencée n'a pas l'issue que nous pouvions espérer. L'ennemi que nous avons surpris le matin par la soudaineté de l'entreprise a, vers la fin du jour, fait converger sur nous des masses d'artillerie énormes avec ses réserves d'infanterie. Nos pertes sont sérieuses; mais, d'après le récit des pri¬ sonniers prussiens, l'ennemi en a subi de considérables. Il ne pouvait en être autrement après une lutte acharnée qui, commencée au point du jour, n'était pas encore terminée à la nuit close. C'est la première fois que l'on a pu voir, réunis sur un même champ de bataille, en rase campagne, des groupes de citoyens unis à des troupes de ligue, marchant contre un ennemi retranché dans des positions aussi difficiles ; la garde nationale de Paris partage avec l'armée l'honneur de les avoir abordées avec courage, au prix de sacrifices dont le pays leur sera profondément reconnaissant. Si la bataille du 19 janvier n'a pas donné les résultats que Paris pouvait en attendre, elle est l'un des événements les plus considérables du siège, l'un de ceux qui témoignent le plus hautement de la virilité des défenseurs de la capitale. 23 A PARIS PENDANT LE SIEGE. Dépêche du général Tror hit, 20 janvier; elle a été affichée à Paria. Il fatil à présent parlementer d'urgence à. Sèvres, pour un armistice de deux jours qui permettra l'enlèvement des blessés et l'enterrement des morts. Il faudra pour cela du temps, des elForts, des voitures très solidement attelées et beaucoup de brancardiers. Ne perde/, pas de temps pour agir dans ce sens. Extrait d'une dépêche de M. de Chaudordy au ministre des Affaires étrangères. Bordeaux, 11 janvier 1871. Le général Chanzy, après deux jours de brillantes batailles près du Mans, a dù se replier derrière la Mayenne. Il croit qu'il a eu alfaire à 180 000 combattants commandés par Frédéric-Charles et Mecklembourg en personne. Il n'est pas découragé, ni la France non plus, et le général annonce que sous peu de jours il reprendra ses opérations offen¬ sives. Il a perdu une don/aine de canons et environ 10 000 prisonniers, mais les ennemis ont eu de leur côté de grandes pertes. Le général Bourbaki est tout près de Bel- fort. 11 a gagné une première bataille à Villersexel, et une seconde avant-hier. Vesoul et Lure sont évacuées. Il a grande confiance et se loue beaucoup des troupes et des officiers. Le général Faidherbe a eu encore quelques succès. Tour copie conforme : l.e ministre de l'intérieur par intérim, JULES FAVRE. Note affichée le 21 janvier dans tout Paris. Démission du gouverneur de Paris. Le Gouvernement de la Défense nationale a décidé que le commandement en chef de l'armée de Paris serait désor¬ mais séparé de la Présidence du Gouvernement. NOTES. 399 M. le général de division Vinoy est nommé Commandant en chef de l'armée de Paris. Le titre et les fonctions de Couverneur de Paris sont supprimés. M. le général Trochu conserve la Présidence du Gouver¬ nement. Proclamation du Gouvernement. 22 janvier. Citoyens, Un crime odieux vient d'être commis contre la Patrie et contre la République. Il est l'œuvre d'un petit nombre d'hommes qui servent la cause de l'étranger. Pendant que l'ennemi nous bombarde, ils ont fait couler le sang de la garde nationale et de l'armée sur lesquelles ils ont tiré. Que ce sang retombe sur eux, qui le répandent pour satisfaire leurs criminelles passions. Le Gouvernement a le mandat de maintenir l'ordre, l'une de nos principales forces en face de la Prusse. C'est la cité tout entière qui réclame la répression sévère de cet attentat audacieux et la ferme exécution des lois. Le Gouvernement ne faillira pas à son devoir. Les membres du f/ouvernement de la Défense nationale, Los ministres, Los secret aims du f/ouvernement. Paris, le 22 janvier 1871. Voir dans les notes les pièces relatives à cette triste journée du "22 janvier. DOCUMENTS DIVERS LE :t 1 OCTOBRE RACONTÉ PAR M. J. FAYRE, VICE- PRÉSIDENT DC GOUVERNEMENT DE EA DÉFENSE NATIONALE. — EXTRAIT DE : « SIMPLE RÉCIT. » M. Etienne Arago sortit en nous promettant de reporter nos paroles à l'assemblée des maires; niais quelques mi¬ nutes après il revint pâle, défait, frémissant de colère; il s'écria en jetant son écliarpe sur la table : « Ils l'ont souillée par leurs insultes! Je la dépose et je ne la reprendrai que lorsque l'honneur du magistrat sera vengé. Du reste, tout est perdu. Les portes de l'Hôtel de Ville ont été ouvertes, le palais est envahi : vous allez voir ces furieux! » En effet, un tumulte effroyable éclata dans les pièces voi¬ sines, et bientôt un flot de gardes nationaux en armes, d'hommes du peuple, de volontaires de tous les uniformes, se précipita dans la salle avec des cris sauvages. Nous res¬ tâmes assis autour de la table des délibérations. J'avais à ma droite le général Trocliu, à ma gauche Carnier-Pagès, en face de moi M. Jules Simon et M. Picard. Le général et successivement les autres membres du gouvernement es¬ sayèrent, mais en vain, de se faire entendre. Les vociféra¬ tions,les lazzis, les imprécations rendaient tout discours im¬ possible. Le Ilot grossissait toujours et menaçait de s'écraser lui-même. Les chefs de l'émeute s'épuisaient en efforts su¬ perflus pour dominer le vacarme; ils n'étaient pas plus écoutés que nous. Debout sur la table du Conseil, piétinant les papiers, les sabliers et les écritoires, ils jetaient dans ce chaos les notes les plus vibrantes sans pouvoir obtenir un DOCUMENTS DIVERS. 40) moment de silence. Flourens et Millière, qui paraissaient les plus importants, couraient d'un bout de la table à l'autre, réclamant une obéissance que nul n'était tenté de leur ac¬ corder. Cette foule en délire jouissait de son triomphe. Elle témoignait de sa joie par le tapage; elle était heureuse de nous humilier. Derrière nous quelques énergumènes nous accablaient d'injures. Ce premier acte dura près de deux heures, sans qu'il fût possible d'établir un peu d'ordre dans cet indescriptible désordre. L'obscurité commençait : rien ne pouvait faire présager la lin de cette orgie. On demanda des lampes, et, grâce à cet incident, Flourens put prononcer quelques paroles. Je n'avais vu qu'une fois ce malheureux jeune homme, que la nature avait brillamment doué et qui, né dans les condi¬ tions les plus heureuses, paraissait appelé à un avenir digne du nom illustre qu'il portait. 11 m'avait fait l'honneur de venir me voir avec deux chefs de l'insurrection candiote, à laquelle il avait pris une part glorieuse; j'avais été frappé de sa bonne mine et de sa distinction, bien qu'il y eût en lui une mobilité fébrile qui pouvait inspirer quelques inquié¬ tudes. Je ne prévoyais pas que je le retrouverais à la tète d'une sédition insensée, noyé dans une écume impure qui avait altéré en lui de nobles et grandes qualités. Trépignant sur le singulier tréteau, qui lui servait de pavois populaire, il suppliait, gourmandait, menaçait tour à tour; enfin l'apport des lampes ayant amené une demi-discipline, on put en¬ tendre ces mots sortir de sa bouche sur un ton glapissant : « Citoyens, « Vous avez renversé un gouvernement qui vous trahissait (acclamations unanimes), il faut en constituer un autre (Oui ! oui!). Je vous propose de nommer de suite les citoyens : Flourens (réclamations nombreuses), Millière, Delcscluze, Rochefort (non! non! pas de Rochefort. Si! si! nous vou¬ lons Rocheforl), Dorian (applaudissements dans toute la sal le), Rlanqui, Félix Pyat. » Ici la voix de l'orateur fut couverte par le tumulte; il put cependant faire comprendre qu'il était nécessaire d'écrire ces listes pour les répandre dans le peuple et les afficher; il demanda aussi qu'on préparât une salle pour le nouveau gouvernement. L'assistance murmura très K12 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. fori, à C(>lte proposition el quelques gardes nationaux s'écrièrent que lout devait se passer devant le peuple. « Eli bien! répliqua Flourens, qu'on nous laisse un peu de place et qu'on ne nous étouffe pas. J'ordonne au peuple de s'éloi¬ gner. Les gardes nationaux resteront dans la salle. Quant aux membres du gouvernement déchu, nous les retenons comme otages (voix nombreuses : Il faut les faire prison¬ niers !) jusqu'à ce qu'ils nous aient donné leur démission de bonne grâce, sinon... (Applaudissements répétés.) » Pendant cette scène burlesque, nous n'avions pas bougé de nos sièges. Le général Trochu détacha doucement ses épaulettes et les lit passer au commandant Bibesco, qui se tenait près de lui avec le capitaine Brunet pour le protéger. Il me dit ensuite qu'il avait voulu mettre le signe de son autorité militaire à l'abri d'une souillure, etqu'il s'était senti plus à l'aise après celte précaution. Il avait, en effet, un vi¬ sage impassible et fumait paisiblement son cigare. Du reste, tous ces inconnus, qui se pressaient sur nous, n'étaient pas tous nos ennemis : quelques-uns même me saisirent la main à la dérobée et me dirent de prendre courage. J'avais près de moi un de mes secrétaires, M. Hendlé, qui ne me quitta que sur mon ordre exprès et pour aller donner des nou¬ velles à ma famille, que je supposais avec raison dans une mortelle angoisse. Un jeune confrère, dont j'ai le tort d'avoir oublié le nom, refusa avec une obstination généreuse de m'abandonner, et se tint à mes côtés jusqu'à la dernière minute de ce long supplice. A tous ceux qui m'approchaient en me demandant ma démission, je répondais qu'ils per¬ daient leur temps et qu'ils n'obtiendraient rien de moi. Vers huit heures un grand bruit se fit entendre au dehors; la porte de la salle s'ouvrit avec fracas, sous la pression d'un groupe d'hommes résolus. C'était le 100° bataillon, conduit par son commandant M. Ibos, qui avait pu pénétrer dans l'Hôtel de Ville. Les volontaires de Belleville apprêtèrent et abaissèrent leurs armes; mais ils les relevèrent aussitôt, in¬ timidés par la vigueur et la rapidité du mouvement des nôtres. Je vis au milieu de la foule le noble et lier regard de .M. Charles Ferry, alors chef du cabinet au ministère de l'intérieur, se diriger sur moi en m'invitanl à profiter de ce secours. Mais il ne pouvait pas plus venir à moi, que moi aller à lui, séparés que nous étions par la table du conseil DOCUMENTS DIVERS. 403 couverte d'insurgés et par une foule compacte qui garnissait tout l'espace intermédiaire. Cependant quelques gardes na¬ tionaux intrépides se glissèrent jusqu'au général Trochu et l'enlevèrent. Ce fut un moment d'indicible confusion; je vis le général presque couché dans ce flot humain, roulé par lui vers la porte et faisant ainsi une trouée par laquelle Emmanuel Arago, Ferry, Pelletan se frayèrent, un passage. Quant à M. Picard, il avait pu sortir à l'instant même où nous étions envahis; et ce fut, grâce à son énergie, à sa présence d'esprit, à son autorité, que nous dûmes plus tard notre délivrance. J'essayai de suivre mes collègues : violemment repoussé par la vague refermée derrière eux, je retournai à ma place; M. Jules Simon,M. Garnier-Pagès,le général Le Flô, le général Tamisier, étaient retenus comme moi. M. Dorian était aussi dans la salle, mais dans d'autres conditions que nous. Alors commencèrent des discussions tumultueuses qu'il me serait impossible de reproduire. Je me rappelle, ce¬ pendant, que M. Dorian, auquel on donnait la présidence et le portefeuille de la guerre, monta sur la table pour haran¬ guer l'auditoire et refuser le double honneur qu'on voulait lui faire. « Je ne suis, dit-il, qu'un modeste travailleur, je me mets tout entier et sans réserve au service de la Répu¬ blique, mais je ne puis accepter le rôle d'un homme poli¬ tique. Laissez-moi à ma spécialité; je m'occupe sans trêve de l'armement. Je continuerai. Je vous prie en grâce d'éviter toute violence, toute émeute; nous devons faire appel au suffrage et ne pas déshonorer la défense par la guerre ci¬ vile. » L'assemblée applaudit ces paroles si pleines de modestie et de patriotisme; mais elle n'entendit pas faire descendre son élu du rang élevé qu'elle lui avait assigné. J'aurais désiré, pour ma part, entendre sortir de sa bouche un lan¬ gage différent, et je ne doutais pas un instant qu'il ne cédât imprudemment, mais avec de généreuses intentions, à l'espérance de désarmer l'insurrection et de prévenir une déplorable collision. La foule étant un peu moins nombreuse, nos mouvements étaient moins gênés, et dès lors il fallait, ou nous laisser sortir, ou nous faire prisonniers. J'avais à plusieurs reprises 404 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. protesté contre la violence, qui nous était faite, et réclamé la faculté de me retirer. Mes collègues n'étaient pas moins insistants, et quand nous parvenions à nous faire entendre, nous usions des paroles les plus fortes pour revendiquer notre droit. Fatiguée de nos remontrances, l'assemblée dé rida que nous étions ses prisonniers. Nous nous plaçâmes dans l'embrasure d'une croisée. Flourens établit autour de nous un triple cercle de volontaires de Belleville, lesquels reçurent l'ordre, à la première alerte et au moindre signe de résistance, de faire feu sur nous. L'un d'eux même ne put retenir un coup de fusil, dont la décharge passa au-dessus de la tête de M. Jules Simon et de la mienne sans atteindre personne. Ce n'était qu'une maladresse. M. Millière, qui commandait un bataillon de garde natio¬ nale, s'approcha de moi avec courtoisie et m'expliqua à quelles conditions nous pouvions obtenir notre liberté. « Vous n'avez, me dit-il, qu'à signer votre démission. Elle n'est plus que la constatation d'un fait, puisque, en nous ac¬ clamant, le peuple vous a destitué. Mais nous n'entendons pas usurper le pouvoir. Demain nous réunirons les élec¬ teurs; ils se prononceront, et vous remettrez votre porte¬ feuille au nouveau gouvernement. Jusque-là vous conserverez vos fonctions. » J'admirai une audace aussi ingénue, mais il ne me con¬ venait en aucune manière d'entrer en discussion avec mon interlocuteur : « Je ne veux pas vous répondre, lui dis-je, je ne le peux même pas; car, par le fait de la violence que vous exercez sur ma personne, je ne suis plus qu'une chose; ma volonté est liée à ma liberté. En me privant de l'une, vous m'empêchez d'user de l'autre. Laissez-moi sor¬ tir et je ferai tout ce qui sera en moi pour que cette insur¬ rection se termine sans effusion de sang; nous avons un tel intérêt à éviter la guerre civile, qu'aucun sacrilice fait dans ce but ne doit nous coûter. Etant retenu par vous contre tout droit, par un crime que rien n'excuse, je ne puis entrer en pourparlers avec vous; faites de moi ce que vous vou¬ drez et ne vous fatiguez pas à me demander ce que je suis résolu à vous refuser. » M. Millière parut ébranlé par ces raisons. Il monta sur la table, réclama le silence et dit à peu près ce qui suit : « Citoyens, vous voulez que les membres du gouvernement DOCUMENTS DIVERS. 405 déchu donnent leurs démissions. (Oui! oui!) Cela est tout à fait inutile, puisque vous les avez révoqués. Ils ne sont plus rien; en leur demandant de signer leurs démissions, vous exigez d'eux une lâcheté! » De violents murmures, mêlés de signes d'approbation, accueillirent ces paroles, et il y eut dans cette tumultueuse assemblée ce que les sténographes de la Chambre traduisent par ces mots : Mouvements divers. M. Millière voulut en profiter. Il essaya de nous faire sortir; mais, malgré ses ordres et ses objurgations, ses soldats croi¬ sèrent la baïonnette sur lui et sur nous. Flourens, qui fit la même tentative, ne fut pas plus heureux et nous revînmes reprendre notre place dans notre embrasure au milieu de nos gardes, qui ne se privaient pas du plaisir de nous insulter. Un fort bel homme, revêtu des insignes de capitaine et se balançant sur sa chaise, les réprimait paternellement. Et quand l'un disait ; « Je voudrais bien qu'on me permit de les descendre, » il lui faisait comprendre qu'il ne perdrait rien à avoir un peu de patience. Je n'en finirais pas, si je voulais raconter tous les incidents de cette nuit étrange et terrible, pendant laquelle notre plus grande souffrance était la douloureuse pensée de l'hu¬ miliation de la France et du triste sort que lui réservait cette révoltante saturnale. Je songeais avec anxiété à l'armistice, que j'avais préparé avec tant de sollicitude, et surtout à mon cher négociateur sur le sort duquel j'avais les plus grandes craintes. J'ignorais comment son départ s'était effectué. J'aurais donné une partie de mon sang pour le savoir à l'abri. Un officier de la garde nationale, qui était près de moi, parut me deviner et certain de me causer une vive peine, il me dit que M. Thiers avait été arrêté avant d'atteindre le pont de Sèvres. — « En êtes-vous bien sûr?» lui répondis-je en le regardant fixement. Il se troubla, et sans être rassuré, je fus peu ému de sa méchante action. Vers dix heures, j'eus le chagrin de voir M. Dorian s'ap¬ procher de moi. Il me tint les propos les plus alfeclueux, me [triant de passer avec lui dans une salle voisine où nous pourrions causer et nous entendre. Son visage respirait la tristesse et la bonté. Il se baissa familièrement près de la chaise où j'étais assis et s'efforça de me convaincre. Je fus profondément touché de le voir ainsi : « Vous me peinez, lui dis-je, beaucoup plus que vous ne pouvez le croire. Je 23. 106 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. vous conjure de me laisser ici. Je m'y trouve fort bien, et je ne veux converser avec qui que ce soit. Pour que j'aie le courage de vous refuser, il faut que ma résolution soit bien inébranlable : n'essayez pas de m'en faire changer. » Il s'éloigna en m'exprimant ses regrets et m'envoya M. De- lescluze, lequel me tourna le dos avec dédain, lorsque je le sommai de me faire mettre en liberté. L'un des personnages les plus grotesques de ces scènes vulgaires et lamentables était certainement un nommé Alix, qui eut, il y a vingt-cinq ans, un instant de célébrité avec les escargots sympathiques. Je l'avais vu, à cette époque, sans lui parler. C'était un jeune homme blond, d'une figure fine et distinguée. Je ne l'aurais pas reconnu sous le masque d'un petit vieillard remuant et bavard, qui, revêtu d'un uni¬ forme de garde national et un parapluie sous le bras, faisait la police autour des prisonniers; il fallait voir sa gravité comique, son affectation d'importance et le sérieux avec lequel il s'acquittait de sa tâche de geôlier improvisé. Il accompagnait son office de sentences philosophiques débi¬ tées avec emphase, et semblait croire que, le lendemain, il serait l'un des chefs de la République ; il protégeaitle général Le Flô et le général Tamisier, et disait avec une dignité in¬ comparable : « On n'obtiendra rien de moi qui puisse com¬ promettre ma responsabilité. » Il crut cependant pouvoir, sans trop s'exposer, permettre à un de ses hommes de nous apporter à manger. Il était dix heures et demie; je mourais de faim. J'acceptai avec reconnaissance un morceau de pain grossier et une tranche de cheval à moitié cuit; puis je m'appuyai contre la mu¬ raille de l'embrasure et je m'endormis. La chaleur, qui était devenue suffocante, me réveilla ; je voulus ouvrir la croisée pour respirer, à l'instant deux coups de feu retentirent; je fermai la croisée après avoir vu le quai garni de gardes nationaux. Mon mouvement les avait effrayés, ils avaient cru à une attaque et s'étaient trop hâtés de la prévenir. Tout ceci avait été l'affaire d'une seconde et le tumulte qui se faisait dans la salle avait couvert le bruit du dehors. A ce moment, M. Jules Simon était violemment insulté, frappé même par un de nos gardiens. Il protestait avec énergie. Heureusement le misérable, qui avait porté la main DOCUMENTS DIVERS. 407 sur lai, fut emmené et le prévôt Alix cria d'une voix stri¬ dente : « Que personne ne touche plus à cette croisée, je le défends! » Mais une demi-heure après, vers une heure du matin, une clameur croissante vint jusqu'à nous. Elle venait du dehors et se rapprochait. Un frisson courut dans toute la salle, chacun se mit à son poste et le capitaine des volontaires de Belle- ville se retourna vers ses carabiniers en leur criant : ((Atten¬ tion! » Ils se dressèrent et apprêtèrent leurs armes. Quelques minutes s'écoulèrent, puis nous entendîmes de violents coups de crosse ou de hache aux portes d'une salle voisine; nos volontaires nous couchèrent en joue. Je crus que tout était fini pour nous, niais ce ne fut qu'un éclair. 11 me sembla tout aussitôt deviner que nos gardiens man¬ quaient de la résolution nécessaire à l'exécution d'un crime. Les chefs se disputaient enlre eux; les uns voulaient engager la bataille, les autres parlaient avec véhémence pour l'empêcher. Je compris qu'ils hésitaient et qu'ils n'o¬ seraient pas nous frapper. D'ailleurs le bruit extérieur s'éloigna, les armes se relevèrent, le capitaine reprit son siège, et nous notre poste dans notre embrasure. C'était bien, cependant, le secours qui nous arrivait et nous touchions au terme de cette longue épreuve. Ce secours, nous le devions surtout à M. Picard. A peine avait-il fran¬ chi le seuil de l'Hôtel de Ville, il se fit conduire à l'état- major du Gouverneur : aucun ordre n'en était parti, 011 at¬ tendait sans prendre de résolution, personne n'en voulait accepter la responsabilité. M. Picard ne s'arrêta pas un instant à ce vain formalisme; il ordonna de battre le rappel, de convoquer les légions et de les diriger immédiatement sur l'Hôtel de Ville. M. Jules Ferry et son frère Charles se mirent immédiatement à sa disposition'et montrèrent au¬ tant de sang-froid que d'intrépidité. A mesure que les gar¬ des nationaux se réunissaient, les commandants se mas¬ saient, occupaient les avenues et entouraient l'Hôtel de Ville. Lorsque le général Trochu fut délivré, il trouva l'at¬ taque organisée et n'eut qu'à en compléter les détails. Il voulut toutefois ne rien précipiter, et en cela il agit avec sagesse. Quelque pénible que fût notre situation, je souhai¬ tais, quant à moi, qu'elle se prolongeât jusqu'au jour. La veille et la fatigue amenaient un abattement graduel qui, 408 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. en dépit de leur surexcitation, atfaiblissait les factieux. J'en observais les progrès, et sachant par la rapide inspection que j'avais fuite de ma croisée que le palais était investi, j'au¬ rais voulu que les lueurs du matin achevassent de décon¬ certer nos ennemis et de les livrer à la répression. Mais, au dehors, nos amis ignoraient cet état de choses; les bruits les plus sinistres les faisaient trembler sur notre sort. Tem¬ poriser davantage leur semblait un coupable abandon. Ce fut alors qu'on donna ordre au bataillon des mobiles de l>Indre, qui tenait la caserne Napoléon, de s'engager dans un souterrain communiquant avec l'Hôtel de Ville. Ces braves gens s'élancèrent courageusement dans cet étroit et obscur boyau. L'issue n'en était pas connue des insurgés; en moins d'une demi-heure, le bataillon avait gagné une cour intérieure, il était maître de la place. Prévenue au dehors, la garde nationale s'ébranla, prête à commencer une attaque de front. Nous ignorions ces mouve¬ ments, mais il nous était facile de deviner au trouble crois¬ sant des insurgés que l'heure décisive était proche. « Nous allons être attaqués, » s'écria l'un d'eux. « Que les jeunes citoyens fumistes des bataillons se désignent, fit un troi¬ sième, nous les placerons sur les toits. » L'agitation était ex¬ trême, les ordres contradictoires s'entre-croisaient. Flourens, remonté sur la table, essayait de nouveau de haranguer ses volontaires. Cette fois il était radouci : « Ne donnons pas à l'étranger, disait-il, le spectacle d'une lutte fratricide. Évitons l'effusion du sang; mais faisons respecter notre droit. » Tout à coup un grand tumulte éclate au dehors. Il reten¬ tit dans les escaliers, sous les péristyles, soit près de la porte de notre salle. « Aux armes! aux armes ! # crie d'une voix de stentor un chef insurgé en brandissant son sabre et en se jetant en avant. Les volontaires de Belleville saisissent leurs fusils, les abaissent sur nous. Ce fut une minute solennelle et grandiose, et je me demande encore par quel hasard aucun de ces hommes, dont plusieurs chan¬ celaient d'ivresse, n'a lâché sa détente. Mais déjà la partie était gagnée, la garde nationale entraiten fouleauxcris de : « Vive la République ! » Les volontaires étaient honteuse¬ ment chassés à coups de crosse et désarmés. Mille mains pressaient nos mains, chacun se disputait l'honneur de nous DOCUMENTS DIVERS. accompagner. Je 11e pourrais citer tous ceux dont j'ai reçu des témoignages de sympathie. Charles Ferry et M. de Choi- seul voulurent me donner le bras; nous descendîmes au mi" lieu d'acclamations frénétiques, et quoiqu'il fût trois heures du matin, je passai devant le front des bataillons rangés autour de l'Hôtel de Ville. L'11 beau jeune homme m'offrit le cheval qu'il montait et j'eus la prudence de le refuser. Ce jeune homme, que je voyais pour la première fois et qui, un mois après, devait tomber sous un obus prussien, était le commandant Franchetli. vrai chevalier, modèle de grâce et de vaillance, qui avait renoncé aux délices d'une vie élé¬ gante et facile pour équiper et commander une compagnie d'éclaireurs à cheval qui pendant toute la campagne se dis¬ tingua par la plus brillante bravoure. Avant d'aller chercher un peu de repos auquel nous avions quelque droit, nous nous rendîmes, mes collègues et moi, chez le Gouverneur. Nous arrêtâmes ensemble toutes les mesures que commandait la situation, et nous nous donnâmes rendez-vous pour le matin même,à sept heures, au ministère des Affaires étrangères. LETTRE ADRESSÉE LE 1" NOVEMBRE PAR M. .IULES EERRY AU JOURNAL « LE GAULOIS ... Monsieur le Rédacteur, Je lis dans un article du Tribun, reproduit par le Réveil, le Combat et par d'autres journaux, un récit de la nuit du 31 octobre au 1er novembre, que je déclare, en ce qui me concerne, parfaitement inexact. Il vest dit que j'aurais adhéré à une sorte de transaction, rédigée par les personnes qui occupaient l'Hôtel de Ville, et dont il m'aurait été donné communication. Je n'ai reçu communication d'aucun écrit de ce genre, et par conséquent je n'y ai pas souscrit. Voici ce qui s'est passé : Arrivé devant l'Hôtel de Ville avec une colonne de garde nationale plus que suffisante pour l'enlever, j'ai fait cer¬ ner l'édifice occupé par l'insurrection, sommé le poste qui gardait la por te du côté de Saint-Gervais et essuyé avec la 410 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. garde nationale deux coups de l'eu partis des fenêtres en guise de réponse. l'eu après M. Delescluze est descendu venant en parle¬ mentaire. J'ai consenti sur sa demande, pour éviter un con¬ flit qui paraissait lui répugner autant qu'à moi, et dont le dénoûment d'ailleurs iie lui semblait pas plus douteux qu'à moi-même, à laisser sortir de l'Hôtel de Ville les per¬ sonnes, qui l'occupaient, au cri unique de: « Vive la Répu¬ blique! » sous ceLle réserve expresse que le Gouvernement resterait en possession de l'Hôtel de Ville et que le général Tamisier, sortant le premier, présiderait au défilé. J'ai bien voulu attendre, deux heures durant, la réponse que M. Delescluze avait promis de me rapporter immédia¬ tement. Pendant ce temps, les tirailleurs de M. Flourens tentèrent de pratiquer sur ma personne, en vertu d'ordres venus du dedans, une arrestation qui n'est pas ici l'incident le moins ridicule de celte journée, où le grotesque se mêle à l'odieux à chaque pas. C'est ainsi que certaines gens entendent le respect des suspensions d'armes. Cette fois, perdant patience, je suis monté avec des détachements du 10tiu bataillon, des 14e et 4°, avec les carabiniers du capitaine "de Vres.se, et nous avons mis à la porte tous ces messieurs. Mais ce fut de ma part, monsieur le Rédacteur, un acte de pure mansuétude, et, maître absolu de l'Hôtel de Ville depuis plusieurs heures, n'ayant qu'un souci, celui de conte¬ nir l'ardeur des cinquante mille gardes nationaux qui m'en¬ touraient, je ne laisserai dire par personne que lesfactieux, assiégés dans l'Hôtel de Ville, avaient capitulé avec moi. Ils n'ont ni respecté, ni exposé les motions apportées en leur nom ; j'ai fait grâce au grand nombre et voilà tout. Veuillez agréer, monsieur le Rédacteur, mes cordiales salutations. JULES FERRY. LE 31 OCTOBRE 1870 RACONTÉ l'Ait ELOURENS. Le Gouvernement, obligé par la révélation que j'en avais faite à ne pas tenir plus longtemps cachée l'odieuse nouvelle de la trahison de Bazaine, l'avait fait placarder sur les murs. DOCUMENTS DIVERS. ill En même temps il annonçait, par une autre affiche, que la mission de M. Thiers aboutissait à une proposition d'ar¬ mistice. Cet armistice nous a semblé et nous semble encore un moyen déguisé de reddition do Paris, trahison aussi in¬ fâme que celle de Sedan et de Metz. Donc la colère nous bouillonna au cœur. Les chefs des cinq bataillons, que j'ai formés à Belleville et commandés jusqu'à ma démission du â octobre, me demandèrent à dé¬ libérer sous ma présence. A neuf heures et demie du matin, nous nous réunîmes dans les bureaux de l'un d'eux. Là, je fus d'avis de marcher de suite. Cet avis fut partagé par deux des citoyens; les trois autres jugèrent plus convenable, afin que Belleville ne parût pas s'arroger le privilège du patriotisme, de connaître l'avis de nos collègues. Vingt-trois chefs de bataillons, connus de nous comme ayant des sentiments vraiment démocratiques, furent convo¬ qués au café de la Garde nationale, place de l'Hôtel-de-Ville, pour quatre heures.Le point était central,et il était difficile de les convoquer plus lût, vu l'éloignement de leurs habitations. Quant à moi, je ne voulus pas descendre seul à cette réu¬ nion, et afin de pouvoir, au moins en partie, exécuter ses décisions aussitôt prises, je donnai ordre de rassembler immédiatement nies tirailleurs restés sous mon comman¬ dement direct, et qui forment, au nombre de liOO, le premier bataillon de marche de Paris. Bien que les moments fussent pressants, je préférais donner aux hommes le temps de manger et de se bien ar¬ mer, afin de pouvoir marcher en bon ordre et d'agir sérieu¬ sement. A tout risque et contre tout danger, je fis distribuer des cartouches. Vers trois heures un quart, nous commençâmes à marcher. Sur la route, nous rencontrâmes des citoyens qui nous di¬ rent que la levée en masse et l'élection de la Commune avaient été décrétées; que Dorian et Schœlcher avaient été chargés de présider les élections, de gouverner dans l'in¬ térim entre les deux pouvoirs. Nous ne pouvions nous en tenir à ces affirmations. Arrivé à l'Hôtel de Ville vers quatre heures, je vis une foule com¬ pacte de citoyens sur la place ; j'avançai avec mes tirailleurs jusqu'à la grille. A PARIS PENDANT LE SIÈGE. L'ayant franchie, je vis venir à moi le commandant de place, qui monta sur la croupe de mon cheval pour annon¬ cer les nouvelles ci-dessus, et qui me demanda, après cette annonce, a m'emhrasser en signe de bon accord. Je n'ai à m'occuper ici que des faits que j'ai vus et aux¬ quels j'ai pris part. Les citoyens, qni étaient arrivés à l'Hô¬ tel de Ville avant moi, raconteront de leur côté ce qui s'y est passé en leur présence. Je lis former sur le quai mes tirailleurs et entrai seul à l'Hôtel de Ville. Là, je trouvai toutes les salles combles de citoyens pres¬ que tous sans armes et discutant en désordre. De toutes les discussions résultait cependant ceci : C'est qu'on ne pouvait se lier à un gouvernement aussi faux de l'exécution de ses promesses, qu'il fallait remettre à un co¬ mité de salut public, composé de citoyens en qui le peuple ail pleine confiance, l'intérim du pouvoir. On fit silence. On me demanda de parler, de mettre aux voix les noms les plus acclamés. Ces noms fuient les suivants : Dorian, Flourens, Félix Pyat, Moltu, Avrial, Ranvier, Millière, Blanqui, Delescluze, Louis Blanc, Raspail, Rochefort, Victor Hugo, Ledru-Rollin. Je donnai lecture de celte liste successivement dans deux grandes salles pleines de citoyens, puis sur le perron inté¬ rieur au-dessus du péristyle garni d'une foule compacte. Partout elle fut acclamée avec enthousiasme. On me demandait avec instance de me rendre dans la salle où était le Gouvernement déchu par suite de cette élection nouvelle, bien plus valable que celle du 4 Septembre, car nous n'avions pas été nommés, comme eux, pour avoir prêté serment à l'Empire, mais parce que le peuple a pleine con¬ fiance en nous. Dans cette salle, je trouvai assis derrière une table Garnier- Pagès, Trochu, Jules Ferry, Jules Simon, Jules Favre, et le général Tamisier. Les citoyens, qui les entouraient, me de¬ mandèrent de monter sur la table et de procéder à l'arres¬ tation immédiate de ces messieurs. Je donnai lecture de la liste du comité de salut public, qui fut unanimement acclamée.Quant à l'arrestation, elle était impossible pour le moment. Je ne pouvais la faire à moi seul ; le bon vouloir des citoyens qui m'entouraient et qui n'é- DOCUMENTS DIVERS. 413 taient pas armés ne suffisait pas. Il est évident que, devant la première irruption d'un bataillon ou même d'une compagnie réactionnaire, ces citoyens se seraient dispersés et m'auraient laissé seul avec nos prisonniers. Je me bornai à décider que j'allais garder à vue ces mes¬ sieurs. C'est ce que je fis, restant debout sur la table. J'en¬ voyai de suite l'ordre à mes tirailleurs de venir me joindre. Mais avant que cet ordre ait pu leur parvenir à travers l'Hôtel de Ville encombré de foules immenses, avant qu'ils aient pu se frayer un chemin à travers ces foules, une bonne demi-heure s'est écoulée. Pendant re temps je fis prier mes collègues du nouveau gouvernement de venir me joindre; je dictai à quelques citoyens de bonne volonté la notification officielle de l'exis¬ tence du comité de salut public, que j'envoyai ensuite à l'Imprimerie nationale, avec ordre de la faire placarder dans tout Paris et dont je fis parvenir vingt copies aux vingt mairies. Enfui mes tirailleurs arrivèrent. Je leur lis évacuer un peu la salle, autant que cela était possible, et garder à vue l'ex- gouvernement; j'en pris une soixantaine avec moi et envoyai le reste s'emparer des issues de l'Hôtel de Ville. Millière vint et Ranvier. Milliôre me proposa de signer un ordre d'arrestation du gouverneur déchu. Signer était facile, exécuter ne l'était pas. Millière n'avait pas encore son ba¬ taillon, ou du moins ne m'a pas prévenu qu'il l'eût. Ce ba¬ taillon n'est venu qu'ensuite, et a été renvoyé par son chef, qui ne voulait point l'exposer plus longtemps à nos dangers. Excepté deux compagnies d'un autre bataillon, qui sont restées avec nous jusqu'à minuit, je n'ai eu à ma disposition immédiate, dans toute cette soirée et dans toute celte nuit, que mes cinq cents braves tirailleurs. C'est avec ces jeunes gensquej'ai tenu le vaste Hôtel de Ville jusqu'à quatre heures du matin. Des bataillons dévoués à la démocratie sont bien venus en nombre par la place et y sont restés quelque temps, mais isolément et sans venir prendre nos ordres pour la défense. Si le bataillon de Millière ou les bataillons de Belleville, qui sont arrivés plus tard, avaient été là pour soutenir mes ti¬ railleurs, 011 ne nous aurait pas enlevé nos prisonniers. Je 11e pouvais détacher deux cents de mes hommes pour i 14 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. conduire à Mazas l'ex-gouvernement. Ce faible détachement n'aurait pas suffi et avec les trois cents je n'aurais pu oc¬ cuper I'llAtel de Ville. Le mieux était donc, tout en délibérant, de continuer à garder à vue mes prisonniers. Tout à coup fait irruption dans la salle le commandant Ibos, du 106e bataillon, avec seshommes armés. Ces marguil- liersfurieux, me voyant debout, sur la table, me menacent de mort. Leur chef grimpe à son tour sur la même table, et pendant qu'il occupe mon attention en gesticulant, on m'en¬ lève Ferry et Trochu. Je descends de la table à temps pour m'assurer des autres prisonniers. Une collision a lieu dans la salle, qui précède, entre mes tirailleurs et les marguilliers d'Ibos. Ceux-ci sont repoussés, la porte est fermée. Mais Blanqui, qui venait de me joindre, nous a été violemment arraché par les gens d'Ibos. Heu¬ reusement mes tirailleurs le délivrent. Du reste, une partie du 106e bataillon vient de protester contre les fureurs réactionnaires et prussiennes de son com¬ mandant. Nous nous réunissons alors avec Millière, Blanqui, Ranvier, Uelescluze et Mottu, dans une salle, d'où nous expédions des ordres aux maires et des convocations urgentes à tous les chefs de bataillons vraiment démocrates. Delescluze est allô trouver Dorian pour l'engager à venir siéger parmi nous. On m'apporte tout à coup cette nouvelle : par le souterrain, qui fait communiquer l'Hôtel de Ville avec la caserne Napoléon et dont j'ignorais l'existence, viennent de pénétrer deux bataillons de mobiles bretons, fusils chargés et baïonnettes en avant. Une collision entre eux et mes ti¬ railleurs, qui occupent les portes de l'Hôtel de Ville et vien¬ nent d'être ainsi tournés, grâce au souterrain, est immi¬ nente. Je consulte Blanqui, Ranvier, Millière, sur le projet d'une convention entre nous et Dorian. Puisque Dorian a été ac¬ clamé par le peuple, nous pouvons traiter avec lui; puisque, d'autre part, avec 500 tirailleurs nous ne pouvons tenir contre deux bataillons de mobiles, entrés dans l'Hôtel de Ville par le souterrain, contre tous ceux qui passeront par la même voie, contre ceux qui nous assiègent à l'extérieur, il est inutile de nous faire tuer, cela serait même funeste au succès de notre DOCUMENTS DIVERS. ilS cause, en amenant de nouvelles journées de juin dont pro¬ fiterait tout de suite la réaction. D'ailleurs il n'y a qu'un paquet de six cartouches dans les cartouchières de mes tirailleurs. Nous allons trouver Dorian et nous convenons avec lui, librement, de l'accord suivant : « Les élections pour la Com¬ mune seront faites ce jour môme, mardi à midi, selon les affiches déjà envoyées aux mairies et sous la direction de Dorian et de Schœlcherseuls; les élections pour un gouver- inent nouveau seront faites le lendemain mercredi, à la même heure; afin d'éviter l'effusion inutile du sang, de montrer à nos amis et aux partisans du gouvernement qu'il y a accord entre nous, nous sortirons ensemble de l'Hôtel de Ville au milieu de mes tirailleurs ralliés sur moi. » Cet accord rapidement conclu est ratifié par les membres du gouvernement, et aussitôt, inquiet de mes braves tirail¬ leurs, je descends dans la cour avec Dorian. Nous laissons derrière nous les hommes armés et marchons seuls en par¬ lementaires. Les mobiles bretons, baïonnettes croisées, fusils chargés, figures menaçantes, étaient massés au fond de la cour. Je leur crie de toute la force de mes poumons : « Appelez votre officier; voici un ministre qui a des ordres à lui donner. Baïonnettes au fourreau ! » Enfin l'officier se décide à venir. Dorian le calme, lui or¬ donne de calmer ses hommes, d'éviter ainsi la guerre civile. Car, égorgés dans l'Hôtel de Ville, nous aurions été vengés par nos braves amis des faubourgs. Je dois dire que Dorian, dans toute cette soirée, s'est montré brave, honnête et intelligent citoyen. Je conçois que le peuple ait eu confiance en lui; je ne puis concevoir qu'il ait manqué à l'engagement contracté eu toute liberté par lui et qui nous paraissait si fort puisqu'il était garanti par l'honneur de Dorian et de Schœlcher. Quant à mes tirailleurs, ils sont au-dessus de tout éloge. Leur affection pour moi, le soin touchant qu'ils ont mis constamment à écarter de moi le danger, autant qu'ils le pouvaient, m'ont rempli de reconnaissance. Pas un d'eux n'a songé à me quitter, quand ils ont su que l'Hôtel de Ville était complètement investi par les Bretons de Trochu. Et pourtant ce général avait su trouver dix mille fois plus de 410 A PARIS PENDANT LE SIEGE. ces Prêtons pour écraser cinq cents citoyens français qu'il n'en a trouvé pour soutenir nos tirailleurs au Bourget! Notre convention étant conclue avec Dorian, il ne nous restait plus qu'à l'exécuter en nous retirant de l'Hôtel de Ville avec les membres du gouvernement. Malheureusement beaucoup de citoyens restés avec nous, animés par le danger de la situation et 11e la comprenant pas bien, s'obstinaient à ne pas quitter l'Hôtel de Ville, à ne pas le laisser quitter aux membres du gouvernement. Malgré l'appui de mes tirailleurs, lasurexcitationélaittelle, que je ne pouvais, sans une collision, emmener ces mes¬ sieurs. El une collision aurait pu me séparer de l'un d'eux, lui faire courir tel danger qui aurait amené une répres¬ sion sanglante, la guerre civile, le triomphe de la réaction. Je dus me borner à calmer autant que possible les esprits, et à attendre un peu pour exécuter la convention. Tout à coup, l'Hôtel de Ville étant suffisamment investi par les mo¬ biles de Trochu, Jules Ferry y pénètre à la tête de gardes nationaux à lui. « Nous avons làoOOOO hommes, me dit-il; toute résistance est impossible. Rendez-vous avec les hon¬ neurs de la guerre et quittez l'Hôtel de Ville. » — « Je n'ai pas attendu votre sommation, lui répondis-je, pour capituler. La convention est déjà conclue avec Dorian, et nous allons l'exécuter. » Comme d'autres gardes nationaux arrivaient menaçants, baïonnette au fusil, et que je craignais une collision entre eux et mes tirailleurs, je priai le général Tamisier de venir avec moi les calmer. Cela fut fait. Alors je ralliai mes tirailleurs; Garnier-Pagès, Jules Favre, Jules Simon quittèrent l'Hôtel de Ville par d'autres issues. Hlanqui, qui avait retrouvé dans cette nuit toute son admirable énergie patriotique, toute son audace et sa fer¬ meté juvéniles, donnant le bras au général Tamisier, passa devant, puis Millière, Ranvier et moi à la tête de tues tirailleurs. Je les fis former sur la place au milieu des flots de Bre¬ tons à Trochu, et nous remontâmes à Belleville, fiers et heureux d'avoir, sans guerre civile, sans etfusion de sang français obtenu tout ce que nous voulions : des élections libres sous la garantie de deux honnêtes gens, Dorian et Schcelrher. DOCUMENTS DIVERS. 417 Hélas! combien au matin le réveil a été affreux! Toutes ces saintes promesses violées, les élections de la Commune remises en doute jeudi, plus de levée en masse! Et les Prussiens sont à nos portes, et la famine est dans nos murs ! Et vous violez ainsi vos promesses, et vous perdez le temps ! Voulez-vous donc la guerre civile, afin de recommencer plus aisément, à Paris : Sedan et Metz! GUSTAVE FLOUBENS. LETTRE D'EDGAR QUINET A Mme REYILLIOD DE SEL- LON, A GENÈVE. — IL DEMANDE QUE LE PIGEON VOYAGEUR SOIT PLACÉ DANS LES ARMES DE LA VILLE DE PARIS. 21 novembre 1870. Chère Madame et Amie, Vous savez bien que nous pensons à vous, à nos amis de Genève, je n'ai pas besoin de vous le dire. Mais vous rece¬ vrez certainement avec intérêt de nos nouvelles. Nous sommes très bien, ma femme et moi. Rien ne nous manque. Nous ne perdons pas un seul coup de canon ni jour ni nuit. On s'accoutume très vite à ce bruit-là, et nous nous en trouvons à merveille. Jamais je n'ai eu l'esprit plus tran¬ quille, et j'en dirai autant de ma femme. L'admirable attitude de ce Paris fortifierait les plus faibles. Ne croyez pas un mot de ce que l'on pourrait vous dire des discus¬ sions intérieures de cet admirable Paris. Jamais on ne le louera assez. Nous mangeons du clieval, il est vrai, mais le cheval est chose excellente, et je vous plains de ne pas en avoir sur votre lable. Ne nous plaignez donc pas. Nous n'avons pas eu un instant de malaise. Nous sommes là où nous devions être. Ce sentiment est bien doux. Dans les premiers jours, nous nous attendions à être bombardés d'un moment à l'autre, Cela nous semblait tout naturel. Aujourd'hui nous croyons à la victoire : elle nous est due, elle nous viendra. J'ai écrit huit appels aux départements 418 A PARIS PENDANT LI4 SIEGE. pour la formation dos armées de secours. Le « pigeon » nous apporte la nouvelle que nos armées se forment, qu'elles sont en marche. « J'espère que l'on mettra ce « pigeon » messager sur la nef îles armoiries de Paris. » Il le mérite, n'est-ce pas? Et M. de Bismarck qui espère nous faire mourir de faim par centaines de mille personnes! Je ne vois rien au-dessus de la sérénité des Parisiens dans une telle situation, en face d'ennemis sauvages; la civilisation est avec nous, et quoi qu'il arrive, nous vaincrons, morts ou vivants. Répondez- nous quelques mots, chère Madame. Votre dévoué e. quinet. Dans son manifeste intitulé : Et) Avant! et publié le 2 janvier, Edgar Quinet demande que le pigeon qui a ap¬ porté les nouvelles de la province soit placé dans les armoi¬ ries de Paris. EXTRAIT DU MANIFESTE. Au bruit des bombes, au seuil de cette année 1871 qui s'appel¬ lera, si nous le voulons, l'année de la victoire, calculons nos chances. La Franco entre avec la République dans la liberté, l'Allemagne s'enfonce dans le césarisme... Ce que j'ai tant demandé s'est exécuté; nos forces augmentent par le recrutement. Que le pigeon qui a apporté cette nouvelle soit placé dans les armoiries de Paris. La France se couvre de bataillons ; ils fourmillent de toutes parts. Il ne s'agit plus seulement de délivrer la France, il s'agit de faire que l'ennemi n'en sorte pas. En avant! en avant! Il n'est pas un hameau français où ce cri ne retentisse. Le froid, le gel, ne nous arrêtent pas. C'est la tem¬ pérature d'Eylau. Il faisait plus froid à Ansterlitz quand son lac était gelé ; plus froid en Hollande quand nous avons pris la flotte enfermée dans les glaces. Comprenez ce qui arrivera le jour où les armées allemandes, prises dans les neiges, feront un pas en arrière. Ce jour, le vengeur se trouvera partout! partout! par¬ tout! DOCUMENTS DIVERS. 419 DÉCRF.T ORDONNANT L'ADOPTION PAR LA FRANCE DES ENFANTS DES CITOYENS MORTS POUR LA Dɬ FENSE DE LA PATRIE. I.e Gouvernement de la Dépense nationale. Considérant que, dans la crise suprême que traverse la France, tous les citoyens doivent se lever et, s'il le faut, mourir pour chasser l'étranger; Considérant qu'en retour de leurs sacrifices, ils ont droit d'attendre pour leurs familles l'appui de la patrie, Décrète : Article unique. — La France adopte les enfants des ci¬ toyens morts pour sa défense. Elle pourvoira aux besoins de leurs veuves et de leurs familles qui réclameront le secours de l'État. GÉNÉRAL TROCHU, J. FAVRE, JULES SIMON, EMMAN. ARAGO, ERNEST RICARD, EUGÈNE l'ELLETAN, JULES FERRY, GARNIER-PAGÈS. SO octobre 1870. DALLONS EXPÉDIÉS DE PARIS EN PROVINCE PENDANT LE SIÈGE. M. Dupuy de I.ôme, célèbre inventeur et constructeur des bâtiments cuirassés, est le seul savant auquel l'Académie des sciences ait consenti à confier le soin de chercher un système qui permit d'utiliser les ballons en les dirigeant. Il entreprit la construction d'un nouveau ballon en s'in- spirant du système déjà inventé par M. Henri Gitfard, mais en y apportant quelques améliorations. Les travaux prépa¬ ratoires furent difliciles à régler et à exécuter. La con¬ struction du ballon traîna en longueur et la tin du siège arriva avant qu'elle ne fût terminée. On se servit de ballons construits d'après l'ancien sys¬ tème. En partant de Paris, ces ballons emportaient des pigeons voyageurs qui, en revenant de la province dans leurs pigeonniers, rapportaient des dépêches et des nouvelles •420 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. de l'extérieur. Ce moyen de correspondance fut le seul dont Paris pût se servir, pendant toute la durée du siège, pour communiquer avec les départements. Le premier ballon partit de Paris le 23 septembre 1870. Depuis ce jour jusqu'au 28 janvier 1871, M. Rampon, direc¬ teur des Postes à Paris, fit partir cinquante-quatre ballons, qui emportèrent environ 3 millions de lettres sous forme de dépêches microscopiques sur membrane de collodion. La liste suivante est prise dans l'ouvrage de M. Saint- Edme, la Science pendant le siège : Le 7 octobre : départ de l'Armand-Barbes. Il emporte M. Gam- betta et les premiers pigeons de l'administration. Parti à 14 h. 15m. de la place Saint-Pierre, il est arrivé à Épineuse, à 3 h. 30 min. On se rappelle les circonstances critiques de la descente de ce ballon, qui faillirent livrer M. Gambetta aux Prussiens. Le même jour partait le George-Sand. 12 octobre : départ de deux ballons, Washington et Louis-Blanc avec des lettres et M. Trachet, propriétaire de pigeons. 14 octobre : le Godefroy -Cavaignac, conduit par M. Godard père, emmenant M. de Kératry et ses deux secrétaires. Il atterrit à Brillon, près Bar-le-Duc. Le même jour le Guillaume-Tell emmenait M. Ranc. 1G octobre : départ du Jules-Favre. 18 octobre : départ du Victor-Hugo. 19 octobre : départ du Lafayette, emmenant M. A. Dubost. 23 octobre : départ du Montgolficr. 27 octobre : départ du Vauhan, qui tomba près de Verdun, dans les lignes prussiennes; les aéronautes purent fuir. 29 octobre ; départ du Général-Charras. 2 novembre ; départ du Fulton. 4 novembre : départ du Flocon et du Galilée, lequel fut cap¬ turé; les aéronautes furent conduits dans une forteresse alle¬ mande. 6 novembre : départ du Châteaudun. 8 novembre : départ de la Gironde. 12 novembre : départ du LJaguerre. Ce ballon fut, comme le précédent, capturé par les assiégeants. (Us avaient tiré dessus avec un mousquet, dit mousquet à ballon de l'invention de M. Krupp. Les voyageurs furent faits prisonniers.) Le Nie/tce parti le même jour eut un sort plus heureux. 18 novembre : départ du Général-Urich. 21 novembre : départ de YArchimède, dont la descente s'effectua en Hollande. 23 novembre : départ de la Ville-d'Orléans, qui atterrit en DOCUMENTS DIVERS. 421 Norvège; chacun a dù s'intéresser au récit si émouvant de cette course aérienne si fantastique. 28 novembre : départ du Jacquard. 30 novembre : départ du Jules-Favre, deuxième du nom, tombé à Belle-Isle-en-Mer et apportant la nouvelle de la sortie de Du- crot. 5 décembre : départ du Franklin. 7 décembre : départ du Denis-Papin. 15 décembre : départ de la Ville-de-Paris. Ce ballon, monté par M. Delamarre, est tombé dans le Nassau. L'aéronaute a public le récit de son voyage chez les Allemands. 17 décembre : départ du Parmentier et du Gutenberg. 18 décembre : départ du Davy. 20 décembre ; départ du Général-Chanzy. 22 décembre : départ du Lavoisier. 23 décembre : départ de la Délivrance. 27 décembre : départ du Tourville. 29 décembre : départ du Bayard. 31 décembre : départ de l'Armée-de-la-Loire. 4 janvier 1871 : départ du Newton. 9 janvier : départ du Duquesne. 10 janvier : départ du Gambetta. 11 janvier : départ du Képler. 13 janvier : départ du Faidherbe. 15 janvier : départ du Vuucanson. 18 janvier : départ de la Poste-de-Paris. 20 janvier : départ du Bourbaki. 22 janvier ; départ du Daumesnil. 24 janvier : départ du Torricelli. 27 janvier : départ du Richard-Wallace. 28 janvier : départ du Général-Cambronne. En tenant compte des lieux de départ de ces ballons, qui se sont suivis si régulièrement, on trouve que : 20 départs ont eu lieu de la gare d'Orléans. 16 — de la gare du Nord. 3 — de la place Saint-Pierre à Montmartre. 2 — des Tuileries. 2 — de la barrière d'Italie. 1 — de l'usine de Vaugirard. 1 — de la Villette. 24 422 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ELECTIONS DES MAIIIES DES 20 ARRONDISSEMENTS DE PARIS, FAITES EN VERTU DU DÉCRET DU GOU¬ VERNEMENT DE LA DÉFENSE NATIONALE, RENDU LE 1" NOVEMBRE 1870. l''r Arrondissement. — Votants : 10537. Tenaille-Saliony 1 ' Voix. 10 100 Duiîoy. Voix. 121 2e Arrondissement. — Votants : 12324. Tirard *. Voix. 7 143 Ronvalet *. 3° Arrondissement. Voix. . . . 12031 Morel - Votants : 15 398. Vautrain Greppo. . 4P Arrondissement. Voix. .... 9811 .... 4 5311 E. Goldchaux. . . — Votants : 14804. Garant. Vacijerot . Bertjllon * Vl.mont . . Voix. 5 366 3 992 1 470 Maurin . . Treillard. Voix. 5 082 Voix. 2 747 Voix. 347 (Ballottage). — 5e Arrondissement. — Votants : 12 091. Voix. 501 551 6P Arrondissement. — Votants : 13 708. Hérisson (élu). Voix. 6 885 7e Arrondissement. Arnaud (de l'Ariège). Voix. 0 257 Masson - Votants : 13 708. Riheaucoi rt " . . 8e Arrondissement. — Votants : 7180. Carnot*. . . . Denormandie. . Voix. 0 099 49.3 Bethmont Auury. . Voix. 5 6S1 Voix. 2 559 Voix. 405 36 1. L'astérisque (*), placé après le nom, désigne les maires qui étaient en fonctions à l'époque des élections. DOCUMENTS DIVERS. 423 (Ballottage). — 9" Arrondissement. — Votants : 12016. Voix. Voix. Desmarets 5 643 Massol 998 Chaudey* 3154 Arlès-Dufour. . . . 819 U. Parent 1 33a 10e Arrondissement. — Votants : 15 471. Dubail 7 538 Murât 3 499 Alfred Olive .... 1 720 H. Brisson 1 409 11" Arrondissement. Voix. Il Mottu 14 251 I Voix. Cassius Boyeii*. . . . 2137 Asseline 2 037 Janet 1 109 Deiserle 618 15° Arrondissement. Voix. Cordon*, élu .... 6386 Hugo (V.) 4 029 Voix. Favre (François)*,élu 5730 Roussellk. ...... 2617 Voix. Victor Thiéiiaut. . . 494 Brelay 264 O'Reilly 210 — Votants : 23 930. Voix. A. de Fonvielle* . . 9 399 i1x . 138 149 Voix. Petit 547 Deluost 435 L. Blanc 316 Ducoudray 275 — Votants : 10 671. Voix. Aubert 26 Voix. 4 506 Voix. Dr Villeneuve .... 565 Goudonnècbe 157 (Ballottage). — 12° Arrondissement. — Votants : 10199 Voix. Grivot* 4 727 Millière 2 118 Denizot 1 180 Vo Carré 10 Soudé 9 13° Arrondissement. — Votants : 4478. Voix. I Voi Pernolet, élu 2 930 | Passedouet 13 (Ballottage). — 14° Arrondissement. — Votants : 7 835. 16e Arrondissement. — Votants : 4 633. Martin (Henri^ *, élu 17° Arrondissement. — Votants : 9 370. 424 A PARIS PENDANT LE SIEGE. 18° Arrondissement. — Votants : 14 544. Clemenceau, élu. Voix. 9 409 Avrault*. (Ballottage). — 19° Arrondissement. — Votants Voix. Delescluze 2 922 Richard* 1178 Voix. . 4 730 6543. Voix. Gargan I 242 Vallès (J.) 330 (Ballottage). — 20° Arrondissement. Voix. Hralhret *...... 4 893 Ranvier 3 058 Flourens 2 453 Votants : 13 259. Voix Millière 1 000 Garnikr 400 Landoi.i'He 119 ÉLECTIONS FAITES DANS LES ARRONDISSEMENTS OU IL Y AVAIT EU DES BALLOTTAGES. 5e Arrondissement. — Votants : 9 578 Voix. I Voix. Vacherot, élu 5 069 | Bertillon 4 417 9° Arrondissement. — Votants : 8 295. Voix. Desmarest, élu .... 0 272 Parent (U.) 990 Voix. Massol 710 Voix perdues 323 10° Arrondissement. ■— Votants : 13 000. Voix. i Voix. Derail, élu 0 221 I Olive (Alfred) 5 768 12e Arrondissement. — Votants : 9 261 Voix. Grivot", élu 5 028 Millière 3 599 Voix. Soudé - 491 Divers 143 14e Arrondissement. — Votants : 5 923. Voix. I Voix. Asseline, élu 4 007 | CassiusBoyer 1698 19° Arrondissement. — Votants : 6548. Voix. I Voix. Dei.escluze, élu. . . . 4 054 | Richard ........ 2 403 DOCUMENTS DIVERS. 425 20e Arrondissement. Voix. Ranvier,61u 7 533 Braleret 4 367 Landolphe 102 — Votants : 13 259. Voix. mill1ère 60 Divers et nuls 20 LISTE DES ADJOINTS AUX MAIRES DES ARRONDISSE MENTS DE PARIS ÉLUS EN NOVEMBRE. 1er Arrondissement. Meurizkt. — Adam (Adolphe). — Méline (Jules). 2° Arrondissement. Brelay. — Loiseau-Pinson. — CllERON. 3e Arrondissement. Cleray. — Murât. — Mousse¬ ron. 4e Arrondissement. ClIATJLLON. — CALLON. — Dr Loîseau. 5e Arrondissement. Çoi.i.in. — Thomas. — Jourdan. 6e Arrondissement. Jozon. — Le Roy. — Lautii. 7e Arrondissement. IIoRTUS. — D argent. — BeL- laioue. 8e Arrondissement. Denormandie. — Beluiard. — Auiiry. 9e Arrondissement. Ferry (Emile). —• André (Al¬ fred). — Nast (Gustave). 10" Arrondissement. Brelay. — Murât. 11e Arrondissement. Blanciion. — Poirier. — To- la1n. 12" Arrondissement. Denizot. — Dumas. — Turil- lon. 13e Arrondissement. Combes. — Bouyery. — Mel- liet. 14" Arrondissement. Heligon. — Nègre. — Perrin. 15" Arrondissement. Jobbé-Duval.—Deck.—Michel. 10e Arrondissement. Marmottan. — Chaudet. — Seveste. 17e Arrondissement. Dr Villeneuve. — Cacheux. — Malon. 18e Arrondissement. J.-A. Lafont. — Dereure. — Jaclard. 19e Arrondissement. Miot. — Quentin. — Oudet. 20e Arrondissement. Millière. — Fi.ourens. — Le- français. 24. 426 A PARIS PENDANT LE SIEGE. ÉTAT EFFECTIF DE LA GARNISON DE PARIS PENDANT LE SIÈGE DE 1870. Officiers. Hommes. Officiers sans troupe 1 595 Infanterie. — 32 régiments; 2 dépôts; 3 batail¬ lons chasseurs; 3 dépôts; 1 dépôt isolé; sa¬ peurs-pompiers 2 243 84 038 Cavalerie. — 9 régiments; 1 dépôt de remonte. 257 4 056 Gendarmerie. — 2 régiments à pied ; 2 régi¬ ments à cheval; 2 régiments de garde répu¬ blicaine ; gardes forestiers ; douaniers. . . . 280 6811 Artillerie 817 17 678 Génie 284 2 101 Train 96 8 436 Infirmiers, secrétairesy troupes d'administra¬ tion 2 1 668 Total des troupes de ligne. . . 4 342 123 178 Troupes de marine. Infanterie.— 5 bataillons 149 4 772 Artillerie 60 2 336 Équipâmes de la flotte 157 6 537 Total des troupes de marine. . . 366 13 663 Garde mobile. Infanterie. — 90 bataillons fournis par 25 dé¬ partements 2 548 102 843 RÉCAPITULATION Troupes de ligne 4 342 123 178 Troupes de marine 366 13 663 Garde mobile 2 348 102 843 Total. ... 7456 241 686 Officiers. Hommes. 1 et 2. Ecole polytechnique 70 Intendance, administration 308 6 912 État-major des places 69 41 État-major des divisions 148 105 Total. ... 595 7 058 DOCUMENTS DIVERS. 127 90 BATAILLONS DE LA GARDE MOBILE DES DÉPAR¬ TEMENTS ONT ÉTÉ RÉUNIS A PARIS AVANT LA FER¬ METURE DES PORTES DE LA VILLE ET L'ONT Dɬ FENDUE PENDANT LE SIÈGE. NOMS UKS DÉPARTEMENTS. Bataillons. Officiers. Hommes. Effectifs. Ain 3 79 3 497 1 j Aisne 1 31 1 633 Aube 3 90 3 511 Côte-d'Or 3 115 4 457 Officiers, Côtes-du-Nord 3 105 4 462 606. — 1 25 1 131 Hommes, Drôme •1 26 1248 , 25411. Finistère, 1er 1 26 1 140 — 4c 1 26 1 141 — 2», 3», 5c ... . 3 83 3 191 Hérault 3 70 2 887 Ille-et-Vilaine, 1", 2°, 4°. . 3 77 3 309 — 3c 1 26 1 235 — 5» 1 26 1148 Officiers, Indre 1 28 1 177 1 492. Loire-Inl'érieure 3 50 2 277 Hommes, Loiret, 2e, 3e, 4e. . . . 3 78 2216 1 19 993. — 3c 1 26 1 042 Marne 1 31 1 204 Morbihan, 1", 2e, 3c. . . 3 80 3 098 Puy-de-Dôme 1 32 1 500 Saône-et-Loire, 1er, 2e, 3c, 3 77 3 537 Seine, 1", 2e, 3° 3 140 3 822 — 4c, 5c, Ge 3 87 2718 — 7° et 8e 2 53 2 346 9c 1 30 1 021 (Voir l'ef- — 10° et 11° 2 48 2 493 tectif, page suiva nte.) — 12° 1 28 1 266 — 13°, 14°, 15°. . . . 3 82 3 706 — 16°, 17°, 18°. . . . Seiue-et-Marne, 1er, 2°, 4°. 3 81 4 010 \ 3 86 3 833 — 3°. . . . 1 28 1 172 A reporter. . . 66 1 850 77 46U 428 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. N o M S V K S H i 1' A K T E M B N T !.. Bataillons. Officiers. Hommes. lie port. . . 66 I 850 77 460 Seine-et-Oise, l°r, 2e, 3e . 3 88 3 300 — 4e et 0e. . . 9 49 1 705 — 5e 1 30 1 356 Ofllciors, Seine-Inférieure, 1er, 4«, 3°. 3 79 2 549 516. — 3e. . . . 1 28 1 255 Homines. Somme, 1er, 2e, 3e, 3e. . . 4 101 3 609 19.905 — 6e 1 27 1 126 Tarn, 1", 2e, 3e 3 90 3 527 Vendée, 1er, 2e, 3e. . . . 3 71 2 155 Officiers. — 4e 1 45 1 087 276. Vienne 1 82 3 503 Hommes, Vonne 1 8 811 11 803. 90 2 548 102 843 Ainsi : Total de la Mobile, 90 bataillons ; 2 548 olficiers ; 102 843 soldats. CORPS DE TROUPES, AYANT PRIS PART A LA DÉFENSE DE PARIS, 1870-1871. Infanterie '. 35e régiment d'infanterie de ligne. 42e — — — 105° — — au 126e inclusivement. 128e — — — 134° — — au 139e inclusivement. Dépôts des 29° et 39e de ligne. 21e, 22e et 23° bataillons de chasseurs à pied. 4e régiment de zouaves. Régiment de sapeurs-pompiers de Paris. Garde républicaine à pied. 1. Les 35e et 42® régiments seuls sont de formation antérieure à la guerre. Ils sont venus de Rome. DOCUMENTS DIVERS. Régiment de gendarmerie à pied. I"-' légion de gendarmerie. Gendarmerie de l'Est. — Forestiers-douaniers. Cavalerie. 1er et 2e régiments de marche de dragons. 1er et 9° régiments de chasseurs. 1er régiment de gendarmerie à cheval. 2° régiment de cuirassiers de marche. 13°, 14e et 10e régiments de dragons. 9e lanciers. 1er régiment de cavalerie mixte. 1", 2e et 3° spahis. 6® escadron des chasseurs de l'ex-garde. Artillerie. 2e régiment. ... 3U, 4e, 13e, loe 10e, 17e batteries. 4e — .... 2e, 13e, 14°, 15e à 24e batteries. 6e — . . . . lre, 4e, 16e batteries. 7° — .... t>'e bis, 2e principale, 13e à 17e, 22. batteries. 8e — .... 16e batterie. 9e — .... 3e, oe, 16e batteries. 12e — .... 4e batterie. 13e — .... 3e, 4°, 16e, 17e batteries. 14e — .... 3° batterie montée, 4e batterie mon¬ tée, 13e, lo°, 16e à pied, 17emontée. 15e — .... 16e et 17e batteries. 16e (pontonniers). . 3e et 10e compagnies. 19e — . . 13e batterie. 21e — . . 7e et 10e batteries. 22e — . . Ve, IIe et 13e batteries. 1er régiment du train d'artillerie .... 9e et 16° compagnies. 2e régiment du train d'artillerie .... 14e compagnie (détachement). Garde mobile. Ain 1er, 2e, 3e, 4e bataillons. Aisne 1er bataillon. Aude 1er, 2e, 3e bataillons. 430 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Côte-ii'Or lur, 2°, 3°, 4° bataillons. Côtes-du-Nord . . l"r, 2°, 3e, 4" et 3" bataillons. Drôme . 2" bataillon. Finistère 1er, 2°, 3e, 4e et 3e bataillons. Hérault 1er, 2e, 3e bataillons. Ille-et-Vilaine . . 1er, 2e, 3e, 4e et 3e bataillons. Indre 1er bataillon. Loire-Inkérieure . Ier, 2e et 3" bataillons. Loiret . 2", 3e', 4e et 3" bataillons. Marne 1er bataillon. Morbihan .... l"r et 2e bataillons. Puy-de-Dôme. . . . 3" bataillon. Saô.ne-et-Loire . . 1er, 3e et 3" bataillons. Seine Les 18 bataillons. Seine-Inkérieure . l"r, 3e, 4e et 3e bataillons. Seine-et-Oise. . . Du 1er au 0e bataillon inclusivement. Seine-et-Marne. . 1er, 2e, 3e et 4e bataillons. Somme Du 1er au G" bataillon inclusivement. 1er, 2e, 3e bataillons. Vendée 1er, 2e, 3e, 4e bataillons. Vienne 1er, 2, 3° bataillons. Yonne . 3° bataillon. GÉNÉRAUX ET COLONELS DE L'ARMÉE DE TERRE AYANT PRIS PART A LA DÉFENSE DE PARIS (1870- 1871). Généraux de division. Tnocuu. Ducrot. Blanchard (13" corps, 3e div.) De Susteau de Malroy. De Maud'huy (13"corps, 2"di- vision). Faron. susuielle. Bertha ut (commandant des mobiles de province). De Maussion (14ecorps,3"div.) D'Exéa (13" corps, lr" divi¬ sion). De Bellemare. Mattat (13" corps, irc divi¬ sion, 3e et 6° de marche). De Cuamperon. Vinoy (commandant en chef du 13e corps). soumain. De Liniers (commandant les mobiles de province). DOCUMENTS DIVERS. m Cokréard (commandant les mobiles de province). D'Hugues (14" corps, 2e divi¬ sion). De Beaufort d'Hautpoul (commandant les mobiles de province). Bertin de Vaux. Généraux Guilhkm (13e corps, 3° divi¬ sion; 33e et 42e de ligne). Appert. Df. Cha.nal. D'Uhf.xi. Valentin. Du Pou et. Martenot. Paturel (14e corps, 2e divi¬ sion; 21e et 22e de marche). Blaise (13e corps, 2e division ; 11c et 12e de marche). De la Mariouse. Ferri-Pisani. Boissonnet. Lecomte (14e corps, lre divi¬ sion ; 17e et 18e de marche). Bocheii (14e corps, 2e divi¬ sion ; 19e et 20e de marche). Courty (14° corps, 3e divi¬ sion ; 23e et 20e de marche). AvniL de l'Enclos (14e corps, 3e division; 23e et 24' de marche). Daudel (13e corps, irc divi¬ sion; 7e et 8e de marche). Colonels (Arn Guiod. De Chabaud-Eatour. Princeteau. Tripier. Renault (commandant en chef du 14e corps). Caussade (14e corps, lrc divi¬ sion). brigade. De Gehbrois (lre brigade de la division de cavalerie). Cousin (2e brigade de la di¬ vision de cavalerie). De Valdan. Dargentolle. schmitz. Du Moulin (13e corps, 2e di¬ vision ; 9eet 10e de marche). Ladreit de la Ciiarrière (14e corps, lrc division; 13e et 16e de marche). De Bernis (brigade de cava¬ lerie). Lavoignet. favé. Javain. Ragon. Fournès. Bonnet. Riiiourt. No'él. FOY. De Chamberet. Susbiel (13e corps, 3e divi¬ sion; 13e et 14e de marche). 3 régulière). Garde Républicaine, Valentin. 42° de ligne, Comte. 432 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. 121'' Je ligne, Maupoint de Vandeul (lieutenant-colonel). 122e — Barre (lieulenanl-colonel). 109e —- Miquel de Riu (lieutenant-colonel). 110° — Mimerel (lieutenant-colonel). IIIe — Choller (lieutenant-colonel). 112e — Lf.spiau (lieutenant-colonel). 113" — Pottier (lieutenant-colonel). 114" — Vanciie (lieutenant-colonel). 33" — Martinaud (lieutenant-colonel). 42° — Charpentier (lieutenant-colonel). 2e régiment du génie à cheval, Boutier. 113" de ligne, Benedetti (lieutenant-colonel). 110" — Panier des Touches (lieutenant-colonel). 117" — Montaru (lieutenant-colonel). 118" — De Beaufort (lieutenant-colonel). 119" — Cholleton (lieutenant-colonel). 120" — Hecquet (lieutenant-colonel). 123" — Jourdain (lieutenant-colonel). 126" — Neltner (lieutenant-colonel). Artillerie, De Miribel. 136" de ligne, Colonieu. 4" zouaves, Méric (lieutenant-colonel). 138" de ligne, Allard (lieutenant-colonel). 103" — Galland (lieutenant-colonel). 100" — dit Gui.ny (lieutenant-colonel). 107" — Tarayre (lieutenant-colonel). 108" — Coiffé (lieutenant-colonel). 1er régiment de gendarmerie à cheval, Alla.vk.ne. Colonel d'infanterie II. C., Pistouley. 128" de ligne, Le Mains (lieutenant-colonel). Gendarmerie, Blondel (lieutenant-colonel). 10a" de ligne, Hanrion. Génie, Corbin. Colonel d'infanterie H. C. Layoignet. 111" de ligne, Née-Devaux (lieutenant-colonel). N'aurait pas paru. — Prisonnier à Metz. 112" — Truchy (lieutenant-colonel). N'aurait pas paru. — Prisonnier à Metz. 113" — Morin (lieutenant-colonel). Prisonnier à Metz. 114" — Boulanger (lieutenant-colonel). 123" — Dupuy de Podio (lieutenant-colonel). DOCUMENTS DIVERS. 124e — Sanguinettj (lieutenant-colonel). 134e — Schobert (lieutenant-colonel). 133e — de Boisdenemetz (lieutenant-colonel). 137° — Deffis (lieutenant-colonel). 139e — Landrut (lieutenant-colonel). État-major, Filippi. — Urépy. — de Belgaric. — Sautereau. 117e de ligne, Montaru. Colonels (Garde mobile). 26° régiment, de Vigneral. 23° — de Villesbret. 33e — Aubry (lieutenant-colonel). 37e — de Montbrison. Colonel H. C., de Balette. 38° régiment, Franceschf.tti. 31e — Filhol de Camas. 20° — Cholet. 43e — Fabre de Montvaillant. 60e — Richeval (lieutenant-colonel). 31e — Abraham (lieutenant-colonel). 39e — Favreaux (lieutenant-colonel). 13e — Denat (lieutenant-colonel). 40e — Dortu (lieutenant-colonel). 36° — Mahieu (lieutenant-colonel). — Porion, hors cadre. 28° — Baschers (lieutenant-colonel). 84e — d'Auvergne (lieutenant-colonel). 52° — Boucher (lieutenant-colonel). 61e — Auzel d'Aumont (lieutenant-colonel). 62e — Samson (lieutenant-colonel). Colonel H. C., Champion (lieutenant-colonel). 7e régiment, Reille. 3e — Valette. 31e — Tillet (lieutenant-colonel). 3e — Roussan (lieutenant-colonel). 434 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Garde nationale. Colonel : QUICLET, i ., . , , . ■ • ». i legion de cavalerie. Lieulenant-colonel : BOUTET, j ° Colonel : SCHŒLCHER, légion d'artillerie. OFFICIERS GÉNÉRAUX ET SUPÉRIEURS DE L'ARMÉE l)E MER AYANT PRIS PART A LA DÉFENSE DE PARIS (1870-1871). Hugueteau de Challié (contre-amiral). La Roncière le Noury (vice-amiral). Saisset (vice-amiral). Bosse (vice-amiral). Pothuau (contre-amiral). Lecodriault du Quilio (contre-amiral). Fleuriot de Langle (contre-amiral). De Montaignac de Chauvence (contre-amiral). Cosnier (contre-amiral). Méquet (contre-amiral). Salmon (capitaine de vaisseau). D'André (capitaine de frégate). De Bray (capitaine de frégate). Lamothe-Thenet (capitaine de frégate). Baroilhet de Puligny (général de division). Caillier (général de division). Frébault (général d'artillerie). GARDE NATIONALE DE PARIS PENDANT LE SIÈGE DE 1870. généraux ayant commandé en chef Le général d'AUTEMARRE. Le général de LAMOTTE-ROUGE. Le général TAMISIER. Le général CLÉMENT THOMAS. état-major Chef d'état-major général : colonel MONTAGUT. DOCUMENTS DIVERS. 43a ORGANISATION DE LA GARDE NATIONALE DIVISEE EN 254 HATAILLONS PENDANT LE SIÈGE Premier Arrondissement. — Major : M. Dubost 1er bataillon. 5e — 12e — 13e — 14° — 70e — 112e — 113e — 171e — (bataillon du minis¬ tère des finances). 130e bataillon. Noms des chefs de bataillons. Général Bertin. Vasseur. MoSNERON-Dl'pin. Prestat. Boursier. Thierry. Goubaud. Phelippon. Douradou. Roger d'Épinay. Noms des capitaines adjudants-majors. Pascal. Bailly. Marchioni. Geyler. Grandjean. Geyler. Fhadin. Girardi.n. Lé y y. Petit. 2o Arrondissement. — Major : Baldim 8e 10e 1 Ie 112e 100" 148e 149e 181e 227e bataillon. Noms des chefs de bataillons. Jacob. Thorel. Van Hoorick. Roux (Philippe). Poisson. De La Cour. Quevauvillers. Noirot. wlmphen. Noms des capitaines ad j ud an ts-i naj or s. Guy. Rigaud. Laussat. Guérin. Charpentier. Le Bourgeois. Cadet. Dubois. Petitjean. 3e Arrondissement. — Major : Lambert Noms des chefs Noms des capitaines de bataillons. adjudants-majors. 94e bataillon. Mimin (Eugène). Arachequesne. 33e — Durand. Blum. 80" — Clays. Fenet. 87e — Renoult. Dolot. 88e — Franky-Magn iadas. Barrère. 89e — Dopfeld. Janicot. -436 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Noms des chefs de bataillons. 144e bataillon. Chatenoud. 143° — Marchand. 203e — De Condamy. 239e — Noms des capitaines adjudants-majors. Boisson. Vergues. Sauteron. 4e Arrondissement. — Major : Boucherai 22e bataillon. 53e — 94e — 93e — 96e — 150° — 162c — 182e — 183e — 212e - 234e — Noms des chefs de bataillons. Néel. Laforest. poinat. Huber. De CHoisEUL(Horace). Desforges. Chevé-Arson. Saint-Raymond. Couturier. Pjlhes. Cellier. Noms des capitaines adjudants-majors. Quinel. Desnouyeaux. Parard. Df. Vernois. Bacigaloup. Moureau. Hélenne. Horé. Merceron. Poudrât. Claise. 5e Arrondissement. — Major : M. Maillard. Noms des chefs île bataillons. 21e bataillon. Rousseau. Noms des capitaines adj u d an t s-maj o rs. Demoussent. 39e — Chapert. Martin. 60e — Galle. Loizeleur. 118e — 119e — Marie (Maximilien). CoMAIRAS. 151e — Barbieux. L. Brugière. 160e — Janote. Buval. 161e — Denax. F. Brugière. 163e -— Robert. Blondel. 248e — Noe. Regère. 6e Arrondissement. — Major : M. Baudoin. 18e bataillon. 19e — 83e — Noms des chefs de bataillons. Richard-Béranger. Germa. Audbourg. Noms des capitaines adjudants-majors. jahykr. Conté. Patasson. DOCUMENTS DIVERS. 84e bataillon. 85e — 115e — 193e — 249e — 250e — (bataillon des Petites Voitures). Noms des chefs de bataillons. Bixio (Maurice). Colfavru. Bertrand. De Strada. De Guntz. Noms des capitaines adjudants-majors. Regnard. Piazza. Bontront. Houet. 7e Arrondissement. — Major : M. Avocat. 4e bataillon. 15e — 10e — 17e — 20e — 105e — 106- — 187e — Noms des chefs de bataillons. D'Avril. De Narcillac. De Carneville. De Crisenoy. Cottu. Rossf.l. Ibos. Corbet. Noms des capitaines adjudants-majors. Fontaine. Guy de Chabot. Beau. De Souris. Mercadier. Tonne. Lafage. Rigault. 8e Arrondissement. — Major : M. Duval. Noms des chefs de bataillons. 2e bataillon. Roller. 3e — De Saint-Geniès. 09e — 71e — Monduit. 221e — Sassary. 260e — Pacini. Noms des capitaines adjudants-majors. Venturini. Englinger. Chiffe. Dupont. Vallée. 9e Arrondissement. — Major : M. Dupetit. Noms des chefs de bataillons. 6e bataillon. Jannin. 7e 116e 117e 204e 216e Martin (du Nord). Langlois. Grangeon. — Léo. (bataillon du Gaz). Noms des capitaines adjudants-majors. plétri. Barbier. Frère. Frigério. 4.J8 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. 228° bataillon. Bayard. Verdier. 229" — Nicollf. df. Pauville. Mayer. 247e -— de Sornay. 252e — Letoulat. (bataillon de 1"Ile-do- 233» — LIsse. Blache. 10" Arrondissement. — Major : M. Lonc.efaix. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. 9° bataillon. Saunier. Pillion. 24" — Stuber. Legié. t07" — Brunel. Ulrich. 108° — vlllemot. Cormier. 109" Moret. pottier. 110" — Gautier de Villers. Dardenne. 128» — Artault. Bordet. 137" — Bar al. Delacroix. 143» — Dubois. Lassimonne. 133" — Hevin. Myrtil May. 107" — 170» — Bra yard. 173e — Prodhomme. Cordier. 180» — journault. Mailhébiau. 188» — Crave. Kegnaud. 203» — Janvier. Bretheau. 238» — Dumont. Oltz. 240» — Lacroix. Bououet. 11" Arrondissement. — Major : M. Fontaine. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. 37» bataillon. clianudf.t. Bourgonnier. 38» — Bondonneau. Lamory. 03" — Ruinet. Larivière. 00» — Avrial. Danguy. 67» — Lacambre. Favre. 123» — Sassetti. Dudach. 130» — Gorin. Bavouzet. DOCUMENTS DIVERS. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. 138e bataillon. Masse. 140e — Rochehrune. Malechane. 141e — Maincent. 180e —- Fonte. Marchant. 190e —- Nicolas. 192e — Louchkt-Kkhyen. Gabalda. 194e — Far. Clouet. 19oe — Godin. Jacquemart. 206" — Bailly. Girard. 209e — Collet. Lévy. 211e —• Roiiicho.n. Gérardin. 213e — Lambert. Buissonnf.t. 214e — Persi.n. Brécy. 219e — Didier. Honoré. 232e — Marguin. IIacquard . 236e — Leff.bvre. Mauguin-Lesur. 237e — Louvain-Lenoir. Gosse. 241e — Branche. Dormael. 12e Arrondissement. — Major : M. Sanchez. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. 32° bataillon. De Raincy. D'Armenonville 36e — Billiottf.. Thomas. 73e — De Rotii. Demigueux . 93e — Éon. Laurent. 121e — Verneaux. Azema. 122e — Montegut. Caille. 126e — De Bru.net. Mittaine. 198e — Mathieu. Bouvier. 199e — Latelize. Ff.rron. 200" — Lf.blois. Cravoisier. 13e Arrondissement. — Major : M. Congas. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-major». 42e bataillon. Garnif.r. Ruellau. 101e • — Baronnet. Moine. 102» — Jacquelin. Veilquez. 120e — Leprince. Leeèvre. 410 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. 133e bataillon. 134° — 176e — 177e — 184e — 183e — 231e — (bataillon du chemin de fer d'Orléans). Noms des chefs de bataillons. Chrétien. Charreau. Vezin. Gaillard. Bionne. Charlier. Solacroui'. Noms des capitaines adjudants-majors. Donzel. pothke. Adriot. Nourisson. Delage. Beaugard. 14e Arrondissement. — Major : M. Bourdet. 40e bataillon. 103e — 104e — 130e — 146e — 202e — 243e — (bataillon du chemin de fer de 1 Ouest). Noms des chefs de bataillons. Letellikr. Laurent. Cassius Boyer. Brun. Jourdan. Massot. Chatelais. Noms des capitaines adjudants-majors. Alet. Landais. Jacoi.ot. Ledrux. Duchè.ne. Laporte. Arnault. 15e Arrondissement. —Major : M. Thomas. bataillon. 47 e 81e 82e 127e 131e 136e 103e 178e 217e Noms des chefs de bataillons. Jonte-Dumoulin. Malrec. Durré. Faltot. Martin. Leclero. Joubert. Bernier. Robert. Noms des capitaines adjudants-majors. Fugier. Lepeintre. Mordant. Lucas. Morin. Bessin. Paturel. de Chauyigny. Bétencourt. juzezyk. 16e Arrondissement. — Major : M. Demazy. 38e bataillon. 72e — Noms des chefs de bataillons. Lavigne. De Brancion. Noms des capitaines adjudants-majors. Gtœndjean. Lacomme. DOCUMENTS DIVERS. 441 17° Arrondissement. — Major : M. Corbon. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. 33e bataillon. Anner. Dupuy. 90e — Pasturin. Mathieu. 91e 153° — Van-Ten ac (cap. Raullot. coin.). ClOLINA. 168e — Epardeaux. pommelet. 207e — Dulau. Chevalier. 222° — Catois. Leclerc de Bussy 223e — Flotte. Paganelle. 244e — Surdun. Brindeau. 237e — Montarlot. Mougès. 239e — Fremeny. vlzet. 18e Arrondissement. — Major : M. Maurice. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. 32e bataillon. Dheu. Venturini. 61° — Gros. 64e — plat. Oggé. 77e — Langlois. De Mesmay. 78e — Cormier (cap. com.). 79e — Dutriaux. 124e — Le Maître. Caloir. 123e — Yauthier. Favier. 129e — 142e — Gandy. Jardin. 132e — Bourgeois. Bongard. 134e — Hervé. Thibault. 138e — VVoivré. 166e — Vincent. Vareille. 169e — Brûlez. Robert. 189e — Michenaux. Weil. 213e — Bachelery. 220e — Rattier. 223° — Pecouet. Montenat. (Vétérans). 233e — Foubert. Deryeaux. 245° — Leblond. (Pompiers). 258° — Perrier. Louis. 25. 442 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. 19'" Arrondissement. — Major : M. Clément. Noms dos chefs de biitnillons. 29° bataillon. Dubourg. — de Fonvielle (Ulrich). — Noir (Louis). 114° — 147e — 157e — 194e — 179e — 191e — 197e — 224e — 230e — 2 i2e (Pompiers\. 20° Arrondissement. Jacquot. Designolle. Advenant. CoURNET. De Chastenet. Monter. Noms dos capitaines adjudants-majors. Poirot de Valcourt. Rohmer. SOURNIN. CuiLLIÈRE. Moyse. Chevrey. Delair. Rohard. CllRUL. Delaporte. Major : M. Ponsard. Noms des chefs de bataillons. Noms dos capitaines adjudants-majors. 27 e bataillon. Hourdequin. Lefebvre. 30e —- Lardier. Caruel. 03e — Durand. Fays. 74e — Gié. 70e — Latappy. Murât. 80e — Landolphe. Dada y. 139e — Grangey. Raillet. 172e — Abelous. 173e — Vallat. Perreau. 174e — Rlooin. Ohuenwall. 201e — De Post el. Jénard. 208e — Tisserant. 218» — Koely. Rénier. 233e — Ragonneau. Marcaillou. 234» — Richard. 240e — Cornemuse. Richard. 21e Arrondissement. (Ces arrondissements ont été fo réfugiés. ) Noms des chefs de bataillons. 40e bataillon. Chatain. 41e — Jametel. Major : M. rmés aver la banlieue et les Noms dos capitaines adjudants-inajors. Clergf.t. Romeï. DOCUMENTS DIVERS. 443 Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. 43e bataillon. Huillier. Robaglia. 44e — Bayvet. Korbach. 48e — Leclaire. Fernagu. 49e — De Folly. Maridonneau. 30e — Dupertuis. Schwartz. 31e — Guyot. Quais. 97e — Gaudet. Monte. 98e — Raynaud. Lefèvre. 99e — Charlet. Lorrin. 210e — Sidoux. Renaud. 22e Arrondissement. — Major : M. Noms des chefs de bataillons. Noms des capitaines adjudants-majors. '23e bataillon. Brunet. Noizet. 23e — Demars. Debray. 20e — Jazerand. Chenaud. 28e — Baille. Maurin. 31e — Baker. Fourn. 34e — Vabre. Lamy. 33e — Dusire. Goele. 36e — Pommier. Boutaire. 37e — Francillon. Flour. 39e — Girod. Lambert. 62° — Boijeol. Robin. 68e — Escargueil. Lefèvre. RÉGIMENTS DE MARCHE FORMÉS AVEC LES BATAIL¬ LONS DE GUERRE DE LA GARDE NATIONALE. Colonel : M. Lardier, ancien colonel d'infanterie, clief du 30e bataillon. Lieutenants-colonels : MM. Jannin Chef du 6* bataillon. Jacob Chef du 8e bataillon. Saunier Chef du 9e bataillon. Van Hoorick Chef du 11e bataillon. 444 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. MM. Mosneron-Dupin Chef du 12° bataillon. Boursier Chef du 14e bataillon. de Narcillac Chef du 15° bataillon. de Crisenoy Chef du 17e bataillon. Germa Chef du 13° bataillon. Duval Chef du 24° bataillon. Lambert Chef du 35e bataillon. Jamf.tel Chef du 41e bataillon. de Rancy Chef du 32e bataillon. Galle Chef du 60° bataillon. de Brancion Chef du 72e bataillon. Ibos Chef du 106* bataillon. Laxglois Chef du 116e bataillon. de Fonvielle (Arthur). . . . Chef du 118e bataillon. Rochebrune Chef du 140e bataillon. Quevauvilliers Chef du 149e bataillon. Regnaud Chef du 186e bataillon. de Condamy Chef du 203e bataillon. Catois Chef du 222e bataillon. Flotte Chef du 223e bataillon. Charpentier Chef du 228e bataillon. de Chastenet Chef du 230e bataillon. MM. Jacob et Van Hoorick, ayant donné leur démission, ont été remplacés par M. Dessignoles, chef du 179e bataillon, et par M. Bondonneau, chef du 38e bataillon. LÉGION DE CAVALERIE (Garde nationale à cheval). Colonel : M. Quiclet. Lieutenant-colonel : M. Boutet. Chef du 1er et du 2e escadrons : M. Durouchoux. Chef du 3e et du 4e escadrons : M. Moreau (Sosthènes). Major: VI.Roger,lieutenant-colonel de cavalerie en retraite. Capitainesadjudunts-majors, 1eret 2e escadrons : M. Verrat, ancien capitaine de cavalerie. Capitaines adjudants-majors, 3eet4e escadrons : M. Gouges, ancien officier de cavalerie. Capitaine adjudant-major instructeur : M. Picard de Montégut, ancien officier de cavalerie. DOCUMENTS DIVERS. 445 Capitaine trésorier : M. Paul Boca. Sous-lieutenant porte-étendard, : M. Chevalier. conseil de discipline. Capitaine rapporteur : M. Comartin, juge de paix sup¬ pléant. — Lieutenant rapporteur : M. Faiseau-Lavanne, notaire honoraire. — Lieutenant secrétaire : M. Car roches, avoué de première instance. — Sous-lieutenant secrétaire : M. Moreac, notaire. Chirurgien-major : Al. Carteacx. — Chirurgiens aides- majors : ier escadron, M. Moreac; 2° escadron,M. Lalliot; 3e M. Legrol'x; 4e M. Berthet. Vétérinaire en chef : M. Percheron. — Vétérinaires ad¬ joints : M. We be it ; M. Delperier; M. Menjauze ; M. Robellet. 4 escadrons et environ G30 gardes à cheval. DIVISION DES REMPARTS EN 9 SECTEURS. 1er SECTEUR : Bercy, du bastion 1 à 11 (de la Seine à la rue de Montreuil). Quartier général : rue Michel-Bizot, n° 26. Commandant du secteur : Général FARON. état-major. MM. D'Orgeval, chef d'escadron d'état-major de la garde nationale, chef d'état-major. Moreau, chef de bataillon, major de place. Challard,capitaine d'infanterie de marine,aide de cam p. Disnematin, capitaine d'infanterie de marine. Philastre, lieutenant de vaisseau. d'Hautpodl, capitaine d'état-major de la garde natio- tionale. de Barheyrac de Saint-Maurice, lieutenant de la garde mobile. Roguet, lieutenant d'état-major de la garde nationale. Fournier, sous-lieutenant d'état-major. Protchf., sous-lieutenant d'état-major. Bratiano, officier roumain. Jagnf.aux, sous-lieutenant d'état-major de la garde nationale. 446 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. MM. Jules Perrin, capitaine d'état-major de la garde na¬ tionale, délégué du conseil de guerre. Saurin, sous-commissaire de la marine. Dupuy, chirurgien-major. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire (le la République : M. le commandant Mar- raud. — Capitaine rapporteur : M. Barry. — Capitaine ad¬ joint : M. Masse. — Greffier : M. Dorlet. Prison disciplinaire ; rue Nicolaï, n° 13. 27bataillonsdelagarde nationale;37123 gardes nationaux. 2° SECTEUR : Belleville, du bastion 12 à 24 (de la rue de Mon- treuil à la route de Pantin). Quartier général : rue Hnxo, n° 79. Commandant du secteur : Général CA1LLIER. ÉTAT-MAJOR. MM. de Richemont, chef d'escadron d'état-major de la garde nationale, chef d'état-major. Vincent, chef de bataillon d'infanterie. Besaucelle, chef d'escadron d'état-major. Delamarre, capitaine d'état-major de la garde natio¬ nale, sous-chef d'état-major. Castel, capitaine de gendarmerie. d'Heursel,capitaine d'état-major de la garde nationale. Dali,et, capitaine de garde mobile. Dijverger, sous-lieutenant d'état-major. Prater, sous-lieutenant d'état-major. Schlossmacher, lieutenant de garde nationale. de Banneville, lieutenant de garde mobile. Piton, sous-lieutenant d'état-inajor de la garde natio¬ nale. Patinot, capitaine d'élat-major de la garde nationale, délégué du conseil de guerre. Petit, sous-commissaire de la marine. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire de la République : M. le commandant Clausel de Coussergues. — Capitaine rapporteur : Philbert. — Capi- tuine adjoint : Mouilleearine. — Greffier : Poisson. DOCUMENTS DIVERS. 447 Prison disciplinaire : rue Felport, n° 43, rue des Francs- Bourgeois, n° 26. 34 bataillons de la garde nationale ; 60 722 gardes na¬ tionaux. 3* SECTEUR : La Villette, du bastion 25 à 33 (de la route de Pantin à la grande rue de la Chapelle). Quartier général : Marché aux bestiaux, rue d'Allemagne. Commandant du secteur : Amiral BOSSE. ÉTAT-MAJOR. MM. Saint-Aure d'ÉTREiLLis; chef d'escadron d'état-major de la garde nationale, chef d'état-major du secteur. Denys, capitaine d'élat-major de la garde nationale, aide de camp. de Breignol', capitaine d'état-major de la garde natio¬ nale. de Jacquelot, sous-lieutenant d'état-major. Deskers, porte-drapeau au 20e bataillon. Descombes, sous-lieutenant d'infanterie. de Romfort, sous-lieutenant d'état-major. Edmond Lefranc, capitaine d'état-major de la garde na¬ tionale, délégué du conseil de guerre. CiEstin, commissaire de la marine. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire de la République : M. le commandant Dela- courtie. — Capitaine rapporteur : M. Sorel. — Capitaine ad¬ joint : M. Devin. — Greffier : M. Moncharville. Prison disciplinaire : rue de Cambrai, n° 2. 34bataillons de lagarde nationale; 31 866 gardes nationaux. 4° SECTEUR : Montmartre, du bastion 34 à 45 (de la grande rue de la Chapelle à la route d'Asnières). Quartier général : avenue de Saint-Ouen, n° 11)5. Commandant du secteur : Amiral COSNIER. ÉTAT-MAJOR. MM. Champion, lieutenant-colonel d'état-major. Rispal, chef de bataillon de zouaves. 448 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. MM. Pajeaut, capitaine de garde mobile. Trf.ymuller, sous-lieutenant d'état-major, officier d'or¬ donnance. Colonna de Giovellina, sous-lieutenant d'état-major, officier d'ordonnance. Dukfié, chef d'escadron d'état-major de la garde natio¬ nale, chef d'état-major du secteur. Cheylus, capitaine d'état-major de la garde nationale. Hussenot, lieutenant de la garde nationale. Thélier, capitaine d'état-major. Beauvoir, lieutenant de vaisseau, aide de camp. Lan.nes de Montbello, aide de camp. Peyrot, sous-lieutenant de garde mobile, officier d'or¬ donnance. Piunon, capitaine d'état-major de la garde nationale, délégué du conseil de guerre. Guès, sous-commissaire de la marine. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire de la République : M. le commandant Massu. •— Capitaine rapporteur : M. Delepouve. — Capitaine adjoint : M. Cheramy. — Greffier : M. Lortat-Jacob. Prison disciplinaire : rue des Épinettes, n° 16. 37 bataillons de la garde nationale; 52953 gardes natio¬ naux. 5e SECTEUR : les Ternes, du bastion 46 à 54 (de la route d'As- nières à l'avenue Urich). Quartier général : avenue Mac- Mahon, n° 74. Commandant du secteur : Amiral DU QUILIO. ÉTAT-MAJOR. MM. Delchet, chef d'escadron d'état-major de la garde na¬ tionale, chef d'état-major du secteur. Lesterp, capitaine d'état-major de la garde nationale, sous-chef d'état-major. de Murai, chef d'état-major de la garde nationale, aide de camp. Bellier de Villiers, capitaine d'état-major de la garde nationale. DOCUMENTS DIVERS. 449 MM. Godekroy, capitaine de la garde nationale. Aubernon, lieutenant d'élat-rnajor de la garde natio¬ nale. Claye, capitaine de la garde nationale. de Torcy, capitaine de frégate. Deslandes, lieutenant de vaisseau. Laff.rté, lieutenant de vaisseau. Delaporte, lieutenant de vaisseau. de la Landelle, enseigne de vaisseau. Bellet, enseigne de vaisseau. d'Aubier, chef de bataillon (service de la place). de Kerret, chef de bataillon de garde mobile (service de place). Choiselat, capitaine de garde nationale, officier d'ordon¬ nance. de Solmlnihac, capitaine de garde mobile. de Salvert, capitaine de garde mobile. Lassis, capitaine d'état-major de la garde nationale. de la Pérouse, officier d'administration de la marine. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire de la République : M. le commandant Frk- mard. — Capitaine rapporteur : M. Armand. — Capitaine ad¬ joint : M. Pochet. — Greffier : M. Harlé. Prison disciplinaire : rue Pergolèse, n° 46. 33 bataillons de la garde nationale; 42 363 gardes natio¬ naux. 6= SECTEUR : Passy, du bastion 33 à 67 (de l'avenue Uricli à la Seine). Quartier général : château de la Muette. Commandant du secteur : Amiral FLEURIOT DE LANGLE. ÉTAT-MAJOR. MM. Denuc, capitaine de frégate, chef d'état-major. Bremard, chef d'escadron d'état-major de la garde na¬ tionale, sous-chef d'état-major. Brossard de Corbigny, lieutenant de vaisseau, sous- clief d'état-major. Sapieha, lieutenant de vaisseau, aide de camp. Labrousse, lieutenant de vaisseau, aide de camp. 450 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. MM. Esnault-Peltrie, capitaine d'état-major de la garde na¬ tionale, officier d'ordonnance. Dkschahs, capitaine d'état-major de la garde nationale, officier d'ordonnance. des Roys, capitaine d'état-major de la garde nationale, officier d'ordonnance. de Treveneuc, capitaine d'état-major de la garde na¬ tionale, officier d'ordonnance. de Stahl, capitaine de cavalerie, officier d'ordonnance. d'Auhhé, officier d'ordonnance. de Girardin, lieutenant de cavalerie, officier d'ordon¬ nance. de Torciac, lieutenant de garde mobile, officier d'or¬ donnance. de Vanssay, lieutenant d'état-major, officier d'ordon¬ nance. Grandi ea.n, officier d'ordonnance. de Tromelin, sous-licutenant de garde mobile, officier d'ordonnance. Protêt, capitaine de vaisseau. Houzé de l'Aelnois, lieutenant de vaisseau. Philippe, capitaine de frégate. Saly, capitaine de frégate. Mollet, capitaine d'état-major de la garde nationale, délégué du conseil de guerre. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire de la République : MM. le commandant Renault. — Capitaine rapporteur : M. Lenté. — Capitaine adjoint : M. Dumas. — Greffier : M. I.ecointe. Prison disciplinaire : rue Mozart, n° 23. 14 bataillons de la garde nationale; 17 922 gardes natio¬ naux (il faut y ajouter l'elfectif des bataillons de Sèvres et de Saint-Cloud qu'on ne connaît pas exactement). T SECTEUR : Vauqirard, du bastion G8 à 76 (de la Seine à la route de Vanves). Quartier général : gare de ceinture de Vaugirard. Commandant du secteur : Amiral de MONTAIGNAC. DOCUMENTS DIVERS. 451 ÉTAT-MAJOR. MM. de Longueville, capitaine de frégate, chef d'état-major du secteur. Delchkt, chef d'escadron à l'état-major de la garde nationale. de Chambray, capitaine à l'état-major de la garde nationale. Danet, colonel, commandant de place. de Grandval, chef d'état-major, sous-intendant. Lambert, commandant. Costa, lieutenant de vaisseau. de Fraguier, lieutenant de mobile. Bailly, lieutenant de vaisseau. Rajiot, lieutenant de vaisseau. de Coriolis, lieutenant de hussards. de Rorthays, capitaine d'état-major de la garde nationale. Colin de Verdières, capitaine d'élat-major de la garde nationale, délégué du conseil de guerre. Foucaud, commissaire de la marine. Maret, capitaine d'infanterie, sous-major de place. de Coriolis, lieutenant de vaisseau. Caron, capitaine d'artillerie. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire de la République : M. le commandant Demon- •iay. — Capitaine rapporteur : M. Beaupré. — Capitaine ad¬ joint : M. Bethemont. — Greffier : M. Lesage. Prison disciplinaire : grande rue de Vaugirard, collège des Jésuites. 8° SECTEUR : Montparnasse, du bastion 77 à 86 (de la route de Vanves à la Bièvrel. Quartier général : avenue d'Orléans, n° 93. Commandant du secteur : Amiral MÉQUET. ÉTAT-MAJOR. MM- Lunel, chef d'escadron d'état-major de la garde natio¬ nale, chef d'état-major. Dumoulin, capitaine d'état-major de la garde nationale. Nigotte, capitaine d'état-major de la garde nationale. 452 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. MM. Gravret, capitaine de vaisseau. Morand, capitaine de frégate. de Laplanche, capiLaine de vaisseau. df. Tiirknne, lieutenant de vaisseau. Vimont, lieutenant de vaisseau. de Montbrison, lieutenant de vaisseau. Éveillard, lieutenant de vaisseau. Garnier, lieutenant de vaisseau. Chevrier, capitaine d'infanterie de marine. Loszustsky, sous-lieutenant d'état-major. df. Bellegarde, sous-lieutenant d'état-major. Fromagf.ot, capitained'état-majorde la garde nationale, délégué du conseil de guerre. Brigoyr, commissaire de la marine. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire de la République : M. le commandant Albert M. Martin. — Capitaine rapporteur : M. Ern. Chaude. — Ca¬ pitaine adjoint : M. Brugnon. — Greffier : M. Delepouve. Prison disciplinaire : caserne de l'octroi (bastion 79). 20 bataillons de la garde nationale; 26 040 gardes natio¬ naux. 9e SECTEUR : les Gobelins, du bastion 87 à 94 (de la Bièvre à la Seine). Quartier général : avenue d'Italie, n° 75. Commandant du secteur : Amiral de CHALLIË. ÉTAT-MAJOR. MM. d'Harcourt, capitaine de vaisseau, chef d'état-major. Salicis, capitaine de frégate, aide de camp. Eggly, chef d'escadron d'état-major de la garde na¬ tionale. Corbin, capitaine d'état-major de la garde nationale. Chabault-Arnault, lieutenant de vaisseau. Thomassin, lieutenant de vaisseau. Coste, lieutenant de vaisseau. de Paris, lieutenant de vaisseau. Massienne, lieutenant de vaisseau. de la Combe, lieutenant de vaisseau. DOCUMENTS DIVERS. 453 MM. Gardoni, lieutenant de vaisseau. Second, capitaine d'artillerie de marine. de Bâche, capitaine d'infantere, commandant de place. Roquemaur, capitaine de cavalerie. Sirot, lieutenant d'infanterie. Dennery, lieutenant d'état-major. Chevaline, sous-lieutenant d'état-major. Bachelu, sous-lieutenant d'état-major. Rambaud, sous-lieutenant d'état-major de la garde nationale. Barbier, capitaine d'état-major de la garde nationale, délégué du conseil de guerre. de Lafaye, aide-commissaire de la marine. CONSEIL DE GUERRE. Commissaire de la République : M. le commandant Salle. — Capitaine rapporteur : M. Tambour. — Capitaine-adjoint : M. Saint-Omer. — Greffier : M. Mignot. Prison disciplinaire : avenue d'Italie, n° 38. 24 bataillons de la garde nationale; 33 460 gardes natio¬ naux. NOMS DES DÉFENSEURS DE PARIS AYANT BIEN MÉRITÉ DE LA PATRIE ET MIS A L'ORDRE DU JOUR lr0 mise à l'ordre du jour, le 19 novembre 1870. Ordre du jour. Le Gouverneur met à l'ordre du jour les noms des défen¬ seurs de Paris appartenant à la garde nationale, à l'armée de terre et de mer, à la garde mobile, et aux corps francs qui ont bien mérité du pays depuis le commencement du siège. Plusieurs ont payé de leur vie les services qu'ils ont rendus. Tous ont fait plus que leur devoir. Les témoignages de la gratitude publique seront la haute récompense de leurs sacrifices et de leurs efforts. Cet ordre inséré au Journal officiel et au Journal militaire tiendra lieu de notification aux divers corps pour l'inscrip- 454 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. lion des présentes citations sur les états de service des ayants droit. Général Trochl1. Paris, 19 uovombre 1879. GARDE NATIONALE DE LA SEINE 4 8' BATAILLON, CARABINIERS Prous (Désiré-Charles-Francois), capitaine. — S'est fait remar¬ quer dans la reconnaissance du 21, par son courage et l'intelli¬ gente initiative avec laquelle il a conduit sa troupe. Thibaudier (Pierre), carabinier. — Blessé à la reconnaissance du 21 octobre, où la compagnie des carabiniers du 48* bataillon a vaillamment combattu. Pachot (Charles), carabinier. — Blessé à la reconnaissance du 21 octobre, où la compagnie des carabiniers du 48e bataillon a vaillamment combattu. ÉCLAIREURS DE LA GARDE NATIONALE Prodhomme (Léon). — S'est fait remarquer par son courage au combat de la Malmaison, où il a été grièvement blessé. ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL Guilhem, général de brigade.— Tué à l'ennemi en donnant d'écla¬ tantes preuves de bravoure. Montbrison (de), capitaine de cavalerie auxiliaire, officier d'or¬ donnance du général Ducrot. — A constamment marché à la tête des colonnes d'attaque : s'est fait hisser sur un mur de parc au milieu d'une grêle de balles pour reconnaître la position de l'ennemi au combat de la Malmaison, 21 octobre. INTENDANCE Parmentier (Marie-Ottobal-Léonce), sous-intendant de lrc classe. — S'est fait remarquer à l'affaire du 19 septembre, allant au plus fort du combat relever les blessés sous le feu ; a montré le même dévouement le 21 octobre, où il est resté le dernier sur le champ de bataille et a été fait prisonnier. DIVISION DES MARINS DÉTACHÉS A PARIS Désaëgher (Louis-Laurenti, matelot-charpentier.— Est allé cher¬ cher résolument sous le feu de l'ennemi un de ses camarades blessé, l'a rapporté et a été lui-même atteint grièvement d'un coup de feu le 15 octobre, dans la plaine de Bondy. Cherrot, soldat au 4e régiment d'infanterie de marine. — N'a pas hésité à prendre sur son dos un blessé, qu'il a rapporté sous le feu meurtrier de l'artillerie ennemie, lorsque nos troupes évacuaient Drancy, le 30 octobre. DOCUMENTS DIVERS. 455 ARTILLERIE 10° RÉGIMENT Bouvet, brigadier. — A eu le bras traversé par une balle, au combat du 30 septembre, a voulu rester au feu malgré les in¬ stances de son commandant et n'a quitté son poste qu'à la fin de l'action. 18° RÉGIMENT Bocquenet (Nicolas), capitaine en premier, commandant la 13e bat¬ terie. — A eu deux chevaux tués sous lui au combat de Châ- tillon le 30 septembre. Pendant toute l'action il a donné le plus bel exemple à ses hommes qui se sont admirablement conduits. 19° RÉGIMENT Oulhon (Jean), canonnier-servant. — Les chevaux de sa pièce étant tués et les conducteurs et servants hors de combat, il a réuni ses efforts à ceux de son lieutenant pour continuer le feu jusqu'à l'arrivée d'attelages qui ont ramené la pièce. Combat de Châtillon le 19 septembre. 2° RÉGIMENT DU TRAIN D'ARTILLERIE Sirday (Pierre), maréchal des logis. — Est allé au milieu du feu chercher un caisson que des chevaux emportés entraînaient avec leur conducteur dans la direction de l'ennemi, au combat de Châtillon le 19 septembre. Bouquier, cavalier de lro classe. — Est revenu résolument re¬ prendre une pièce sans avant-train qui allait tomber aux mains de l'ennemi. Combat de Châtillon le 19 septembre. ARTILLERIE DE MARINE Charton (François-Alfred), canonnier. — A montré un grand courage; a été blessé d'une balle à la jambe et amputé. 3 5° DE LIGNE Guerroz, sergent-major. — A vaillamment rallié par deux fois sa compagnie à Chevilly, ses officiers ayant été mis hors de combat. Ducros (Pierre), sergent.—Vigoureux soldat; a été grièvement blessé au combat de Chevilly, en portant en avant les tirailleurs de sa section. Orichioni (Dominique), sergent. — A conduit ses hommes au feu avec une rare vigueur, blessé au combat de Chevilly. Thepaut (Jean-François), caporal. — Plein d'énergie ; a reçu une blessure grave au combat de Chevilly. Beau (Olivier), tambour. — Au premier rang pendant le combat de Chevilly où il battait la charge sous le feu de l'ennemi. Belley (Isidore-Nicolas), soldat. — S'est distingué par sa belle conduite au combat de Chevilly. 456 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Dieudonné (Christophe), soldat. — Blessé d'un coup de feu à Chevillv, n'en a pas moins continué à combattre. Gletty (Michel), soldat. — S'est avancé contre trois Prussiens, qui le tenaient en joue, et par la fermeté de son attitude les a forcés à se rendre prisonniers au combat de Bagneux, le 13 octobre. Le Gouille (Nicolas), soldat. — S'est bravement battu au combat de Bagneux, le 13 octobre, a fait avec ses camarades plusieurs prisonniers. Kydenou (Marie), soldat. — Est entré le premier à Chevilly, le 30 septembre, a fait preuve d'une grande bravoure, en tirant à bout portant à travers les créneaux de l'ennemi. 12' DE LIGNE Lecca (Charles), lieutenant. — Officier d'une rare bravoure ; a franchi le premier une barricade au combat de Châtillon et a entraîné ses hommes par son exemple. Ardit (Victor), caporal. — A eu les deux poignets emportés au combat de Chevilly, le 30 septembre, et ne s'est retiré qu'après en avoir demandé l'autorisation à son capitaine. Félipon (Félix), soldat. — A abordé avec élan une des barricades de Châtillon, le 13 octobre, est entré le premier dans une mai¬ son occupée par des Prussiens qui ont été faits prisonniers. Candebout (Eugène), soldat. — Blessé grièvement au bras le 30 septembre, est resté dans les rangs jusqu'à la lin du combat. Hadamard (Jean),soldat. — Blessé deux fois au combat du 30 sep¬ tembre, s'est fait panser par un de ses camarades et a com¬ battu jusqu'à la fin. 6 7' DE LIGNE (l,c compagnie de dépôt). Mégrot (Charles), caporal. — A eu la poitrine traversée de part en part en se portant bravement à l'ennemi, dans la reconnais¬ sance du 30 septembre en avant du fort de Charenton, mort des suites de sa blessure. 10 7' DE LIGNE Hoff (Ignace), sergent. — A tué, le 29 septembre, trois sentinelles ennemies : le 1er octobre, un officier prussien; le 5, en embus¬ cade avec 15 hommes, a mis en déroute une troupe d'infanterie et de cavalerie; le 13 octobre, a tué deux cavaliers ennemis. Enfin, dans divers combats individuels, il a tué vingt-sept Prus¬ siens. 109' DE LIGNE Miquel de Riu, lieutenant-colonel commandant le régiment. — A vaillamment conduit ses troupes au combat du 30 septembre. — Très grièvement blessé. Chamblant (Ernest-Joseph). — A montré la plus grande bravoure DOCUMENTS DIVERS. 457 au combat du 30 septembre, où il a eu la cuisse brisée. — Mort le 9 octobre des suites de sa blessure. David (Heuri), sergent-major. — S'est fait remarquer par son intrépidité au combat de l'Hay, le 30 septembre, où il a enlevé par son exemple toute sa compagnie. Portais (Ernest-René), soldat. — Est entré le premier dans le village de l'Hay, en escaladant le mur d'une maison où il s'est barricadé : a donné des preuves de courage qui l'ont fait re¬ marquer de tous ses camarades. I I 0' DE LIGNE Graciot (Pierre-Gustave), caporal. — Blessé à la main droite au moment où son sous-lieutenant, qu'il emportait, était tué dans ses bras. Il a continué à combattre jusqu'à épuisement de ses forces. Moreau (Eugène), soldat. — A électrisé ses camarades par son exemple à l'attaque d'une redoute où il est tombé mortellement blessé. — Combat du 30 septembre. 111° DE LIGNE Weich (Charles-Marie-Amédée), sous-lieutenant. — Sa vigueur et son élan l'ont fait remarquer de tout le régiment à l'affaire du 30 septembre. — Blessé à l'attaque de Chevilly. 112° DE LIGNE Geriodas (Augustin), tambour. — A eu sa caisse brisée par un éclat d'obus, au moment où il battait la charge au combat de Chevilly, le 30 septembre; saisissant le fusil d'un homme tué à ses côtés, il s'est porté en avant, a été blessé et ne s'est retiré qu'à la fin de l'action. I 13° DE LIGNE Aubé (Albert-Étienne). — Embusqué à quinze pas d'une barri¬ cade ennemie, il a tiré avec le plus grand sang-froid pendant plus d'une demi-heure, et a fait plusieurs prisonniers au combat de Châtillon, le 13 octobre. Audin, soldat. — D'une bravoure à toute épreuve; a eu les deux cuisses traversées par une balle, au moment où il escaladait une barricade au combat du Bas-Meudon. I 14° DE LIGNE Thiébault (Louis), soldat. — Blessé au commencement du combat de Châtillon, le 13 octobre, a néanmoins marché à l'ennemi et n'a cessé de combattre que sur l'ordre de son chef. Roudier (Pierre), soldat. — Toujours en téte de sa compagnie à l'attaque des barricades de Châtillon, le 13 octobre, a donné aux jeunes soldats l'exemple de la bravoure et du sang-froid. 26 458 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. 119' DE LIGNE Scheer (Michel), sergent. — Déjà remarqué pour son énergie au combat (1e Châtillon, s'est distingué à l'affaire de la Malmaison, oii il a désarmé un soldat prussien qu'il a ramené prisonnier. 121' DE LIGNE Goudmant (Achille), lieutenant. — Officier d'une grande énergie, grièvement blessé, le 21 octobre. Deschamps (Jacques-Louis-Mathurin), soldat. — A donné à tous l'exemple du mépris du danger, et a refusé de se retirer du combat, bien qu'il eût le bras traversé par une balle. — Combat de la Malmaison, 21 octobre. 12 2' DE LIGNE Charlier (Alfred), soldat. — S'est avancé seul au-devant des Prus¬ siens, établis dans les jardins de Pierrelitte, et a tué un soldat ennemi presque à bout portant. Giraud (Antoine), soldat. — A l'affaire du 23 septembre (combat de Pierrefitte), a reçu deux blessures, dont une grave. — Soldat plein d'entrain et d'élan. RÉGIMENT DES ZOUAVES Jacquot (Charles), chef de bataillon, — A tourné une batterie ennemie à la tète de la 6e compagnie de son bataillon, a pénétré par une brèche dans le parc de la Malmaison, et enlevé sa troupe en se portant en avant, le képi sur la pointe de son épée. Obligé de rétrograder devant dos forces considérables, il a soutenu vigou¬ reusement la retraite, et est resté blessé aux mains de l'ennemi. Colonna d'Istria (Guillaume), capitaine adjudant-major. — A toujours été en tète de colonne à l'attaque de la Malmaison, et, chargé d'une mission par le général, a réussi à l'accomplir sous une vive fusillade. Petit de Granville, sergent-major. — A franchi le premier la brèche du mur de la Malmaison, est resté le dernier auprès du commandant Jacquot, et a été blessé en cherchant à l'emporter. CAVALERIE RÉGIMENT DE MARCHE DE CAVALERIE MIXTE Nugent (Richard de), chasseur. — Ex-lieutenant dans l'armée autrichienne, engagé volontaire, s'est signalé dans tous les en¬ gagements par son intrépidité. — A été tué au combat de Ch⬠tillon, le 19 septembre. 9' RÉGIMENT DE LANCIERS Buisson (Benoit-Ferdinand), capitaine-commandant. — S'est em¬ paré sous le feu de l'ennemi, et après une longue poursuite d'un DOCUMENTS DIVERS. 459 cavalier ennemi qu'il a ramené avec ses armes et son cheval, le 16 septembre, en avant de Rosny. GARDE MOBILE DE LA SEINE I I» BATAILLON Pasquier (Alexandre), caporal. — A montré une grande bravoure à l'affaire du 19 octobre, en allant, à vingt pas de l'ennemi, enlever un de ses camarades grièvement blessé. 14' BATAILLON Comté (Gustave), sergent. — A montré le plus grand courage, le 29 octobre, à l'attaque nocturne du Bourget, où il a entraîné ses hommes. 15' BATAILLON Lefranc (Victor), garde. — S'est offert bravement pour aller re¬ connaître les travaux de l'ennemi, au pont de Bry-sur-Marne; a été grièvement blessé à la cuisse. 7' BATAILLON Tailhan, aumônier volontaire. — Blessé à la tétc en remplissant son ministère avec un admirable dévouement, au combat de la Malmaison, le 21 octobre. SEINE-ET-MARNE Franceschetti, lieutenant-colonel. — Par son attitude pleine d'énergie, il a su enlever et conduire résolument à l'ennemi ses troupes, qui voyaient le feu pour la première fois; a eu un che¬ val tué sous lui. Combat de la Malmaison, 21 octobre. MORBIHAN Fouquet (Auguste), médecin aide-major. — Très calme en pan¬ sant les blessés sous le feu de l'ennemi ; très dévoué, plein de zèle; a quitté la Malmaison le dernier. Le Mohec, sergent. — Blessé à la joue, est resté toute la journée à sa compagnie, qu'il a enlevé par son entrain et sa bravoure. LOIRE-INFÉRIEU RE Montaigu (de), sous-lieutenant. — S'est fait remarquer par sa bravoure, son sang-froid et la bonne direction qu'il a donné aux francs-tireurs sous ses ordres. COTE-D'OR Guilleminot (Pierre-François), sous-lieutenant. — Blessé deux fois au combat de Chevilly, oii il a entraîné ses troupes avec une vigueur peu commune ; resté aux mains de l'ennemi. Narvault (Louis-Hippolyte), garde, 1er bataillon. — Très solide au 460 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. l'eu, n'a quitté le champ de bataille qu'après des ordres réitérés; combat de Bagneux, le 13 octobre. Japiot, sergent, 2e bataillon.— S'est fait remarquer par son énergie à l'attaque do la principale barricade de Bagneuz, le 13 octobre. Leautey, garde. — Plein de vigueur à l'affaire de Bagneux, le 13 octobre, où il a fait plusieurs prisonniers. Crucerey, capitaine, 3e bataillon. — Entré le premier à Bagneux, où, seul, il a fait neuf prisonniers. Terreaux (François), garde, 3e bataillon. — A désarmé un porte- fanion dans la mêlée, l'a fait prisonnier et s'est emparé du fa¬ nion. Combat de Bagneux, 13 octobre. AUBE Périer (Casimir-Jean-Paul-Pierre), capitaine au 1er bataillon. — A enlevé sa compagnie avec un entrain remarquable à l'assaut du village de Bagneux, où il combattait aux côtés du comman¬ dant de Dampierre. Rougé (Henri de), lieutenant au 1er bataillon. — A fait preuve d'une grande bravoure et d'un sang-froid remarquable au combat de Bagneux en accomplissant une mission périlleuse. Dampierre (de), chef du 2e bataillon. -— Tué à l'ennemi en don¬ nant d'éclatantes preuves de bravoure. Donge (Louis-Jean-Baptiste), sergent au 2e bataillon. — A com¬ battu avec intrépidité à l'affaire de Bagneux. CORPS FR_ANCS TIRAILLEURS DE LA SEINE Vannier, tirailleur. — S'est porté au feu avec une audace remar¬ quable; grièvement blessé aux reins au combat de la Mal¬ maison, le 21 octobre. Turquet, sergent-major. — A donné à tous le plus bel exemple de sang-froid et de courage; blessé à la cuisse. Combat de la Malmaison, le 21 octobre. Blaize, caporal. — Toujours le premier au danger, a entraîné ses camarades ; blessé au pied, portait le fanion de la com¬ pagnie au combat de la Malmaison. Demay, tirailleur. — S'est distingué par une énergie et une bra¬ voure dignes des plus grands éloges ; blessure au pied au combat de la Malmaison. FRANCS-TIREURS DE LA PRESSE Roulot, capitaine. — Brillante conduite à la tète de sa compa¬ gnie, le 28 octobre, à la barricade enlevée par l'ennemi à l'en¬ trée du Bourget. GÉNÉRAL TROCHU. Paris, le 19 novembre 1870. DOCUMENTS DIVERS. 46) 2e mise à l'ordre du jour des défenseurs de la pairie. Le 22 novembre 1870. Ordre du jour. Aux noms des défenseurs de la patrie à qui leur belle con¬ duite devant l'ennemi a mérité l'honneur d'une citation à l'ordre du 19 novembre, il faut ajouter les suivants, omis par suite de l'insuffisance des renseignements officiels : GARDE NATIONALE DE LA SEINE 14' BATAILLON, CARABINIERS Vresse (de), capitaine. — A vaillamment conduit sa compagnie au combat, dans la journée du 21 octobre, où il a refoulé l'en¬ nemi de Joinville-le-Pont sur Champigny. Prulière, sous-lieutenant. — Blessé. Est toujours resté à la tête de ses hommes, qu'il enlevait par son exemple. Mallère, caporal. -— Blessé bravement au premier rang. GARDE MOBILE DE LA SEINE I 2 c BATAILLON Baroche, chef de bataillon. — Probablement tué à la tête de sa troupe le 30 octobre. On n'a pu recueillir d'information certaine au sujet de la mort du commandant Baroche ; mais les avant- postes prussiens l'ont annoncée, en rendant témoignage de la vaillance de cet officier supérieur. Le gouverneur de Paris, général trochu. Paris, le 22 novembre 1870. IIe mise à l'ordre du jour des défenseurs de la pairie. Ordre du jour. Officiers, Sous-Officiers, Soldats, Nous avons fait en commun, pour le pays, des efforts qui ont bien servi notre sainte cause- Nos frères de l'armée de la Loire que le patriotisme des départements a improvisée comme le patriotisme de Paris a improvisé l'armée de Paris, nous donnent d'admirables exemples. Ils se renouvellent, comme nous, sous le feu, au prix d'héroïques sacrifices, dans une lutte qui étonne l'ennemi troublé par la grandeur de ses pertes et par l'indomptable énergie de la résistance. Que ces nobles encouragements vous fortifient; que le 26. A PARIS PENDANT LE SIÈGE. spectacle saisissant des citoyens de Paris, devenus soldats comme vous et combattant avec vous dans l'étroite solida¬ rité du devoir et du péril, vous élôve à la hauteur de tous les devoirs et de tous les périls. EL puisse votre général faire pénétrer dans vos âmes les sentiments, les espérances, les fermes résolutions dont son âme est remplie! GÉNÉRAL TROCHU. Paris, 18 décembre 1870. PREMIÈRE ARMÉE GARDE NATIONALE DE LA SEINE Roger (du Nord), lieutenant-colonel d'état-major de la garde nationale. — A donné dans les journées du 29 et du 30 no¬ vembre, les plus beaux exemples d'activité et de dévoùment. I 16» BATAILLON Langlois, chef de bataillon. — A fait preuve de courage et de résolution dans la mise en état de défense de la Gare-aux- Bo'ufs, enlevée à l'ennemi le 29 novembre en avant de Choisy- le-Roi. Suzainnecourt (de), capitaine de la 2e compagnie. — Remarqué pour son intrépidité à la prise de la Gare-aux-Bieufs, le 29 no¬ vembre, en avant de Choisy-le-Roi. COMPAGNIE DES TIRAILLEURS ÉCLAIREURS Bayart de la Vingtrie, éclaireur. — Mortellement blessé dans une reconnaissance à Saint-Cloud, pendant laquelle il avait fait preuve d'une ardeur et d'un dévouement remarquables. DEUXIÈME ARMÉE ÉTAT-MAJOR Renault (baron), général de division, commandant le 2e corps de la 211 armée. — Blessé mortellement le 30 novembre en con¬ duisant ses troupes à l'attaque du plateau de Villiers. Doyen des divisionnaires de l'armée française, le général Renault, dans une carrière marquée par des actes d'une éclatante bra¬ voure, avait conquis la plus haute et la plus légitime réputation. Charrière (de la), général de brigade, commandant de la 1" bri¬ gade de la lr0 division du 21' corps. — Blessé mortellement à l'attaque de Montmesly, à la téte de sa brigade. Le général de la Charrière, appelé par son âge dans le cadre de la réserve, après une carrière aussi laborieuse qu'honorable, avait sollicité avec l'insistance la plus patriotique un rôle actif devant l'ennemi. Mariouse (de la), général de brigade, commandant la 2e brigade DOCUMENTS DIVERS. 463 de la division de réserve. — A donné une excellente impulsion à sa brigade, qui a fait vaillamment son devoir. Toujours au au plus fort de l'action pendant les journées du 30 novembre et du 2 décembre. Boudet (Pierre-Antoine-Bruno), lieutenant-colonel d'état-major; chef d'état-major de la division de réserve. — Mérite les plus grands éloges pour le calme, la vigueur et la haute intelligence dont il a donné de nouvelles preuves sous le feu nourri de l'ennemi dans les journées du 30 novembre et 2 décembre. Vosseur, chef d'escadron d'état-major à l'état-major général. — A chargé en tète des tirailleurs, les entraînant par son exem¬ ple contre les Prussiens, qui débouchaient du parc de Villiers. Franchetti, commandant l'escadron des éclaireurs à cheval du quartier général. — Blessé mortellement à l'attaque du pla¬ teau de Villiers. Le commandant Franchetti, organisateur du corps des éclaireurs à cheval, avait rendu depuis l'investisse¬ ment des services de premier ordre; il laisse à sa troupe, avec son nom, des traditions d'honneur et de dévouement. Neverlée (de), capitaine de cavalerie, officier d'ordonnance du général Ducrot, commandant la compagnie des francs-tireurs du quartier général. — Tué à la tête de sa compagnie au moment où il l'entraînait à l'attaque du parc de Villiers; avait pris part à tous les combats du 1er corps de l'armée du Rhin, n'avait cessé depuis le commencement du siège de donner des preuves d'une activité et d'une intrépidité remarquables. ÉTAT-MAJOR DE L'ARTILLERIE Viel, capitaine de l'état-major de l'artillerie du 2e corps.— A donné le plus bel exemple d'énergie et de sang-froid en restant au feu,quoi¬ que blessé grièvement. ARTILLERIE Torterue de Sazilly, capitaine, commandant la 13e batterie du 3° régiment. — Blessé mortellement en avant de Champigny à la tète de sa batterie qu'il maintenait par son énergie sous un feu des plus meurtriers. Trémoulet, capitaine; Chevalier, lieutenant en2c,etMathis, sous- lieutenant de la 17e batterie du 11e régiment, se sont sacrifiés héroïquement et sont tombés en soutenant l'attaque des positions ennemies. Renouard de Bussières, lieutenant en 2e à la 8e batterie du 21e ré¬ giment. — Blessé mortellement en conduisant sa section au feu avec intrépidité. Bureau (Allyre), sous-lieutenant auxiliaire à la 5e batterie du 10e ré¬ giment. — S'est fait remarquer de toute sa batterie par son sang- froid et son énergie ; a aidé les servants à enlever à bras une pièce sans avant-train. 464 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. Langlois, adjudant à la 16° batterie du 8e régiment.— A soutenu le courage de ses hommes en chargeant lui-même une de ses pièces dans un moment des plus critiques. Chastagnèdes, artificier à la 5e batterie du 21e régiment. — Blessé à la main d'un éclat d'obus, est allé se faire panser à l'ambu¬ lance pour revenir immédiatement après reprendre son poste au feu. Thurel, 2° conducteur à la 5e batterie du 22° régiment. — Quoique blessé gravement a ramené sa pièce avec un seul cheval, les trois autres étant tués. GÉNIE De Bussy (Augustin-Pierre), chef de bataillon du génie. — Officier supérieur d'une grande valeur. Toujours maître de lui, ne son¬ geant au danger que pour les autres; a dirigé d'une manière remarquable l'organisation de la défense de Champigny. Delataille, capitaine commandant la 15e compagnie du 3e régiment du génie. — Le 30, à la téte de ses sapeurs, a bravement frayé les'rampes pourdéboucher de Champigny. Le 2 décembre, blessé grièvement en cheminant à travers les maisons de Champigny pour tourner l'ennemi qui avait envahi le village. Perseval, lieutenant en 2e de la lr<" compagnie du 2e régiment. — Blessé, le 2, a continué son service et le lendemain 3 a été tué dans le clocher de Champigny qu'il était en train de créneler. Kleine, maitre-ouvrier à la 171' compagnie du 3° régiment, sous-chef de bureau au ministère de l'instruction publique ; chevalier de la Légion d'honneur, 45 ans. — S'est engagé dans le génie militaire avec son fils âgé de 17 ans et a toujours avec lui recherché les positions périlleuses. 3 5e DE LIGNE Schultz, caporal. — Très brave au feu; s'est distingué à Cham¬ pigny par son calme et sa persistance à ne quitter la barricade qu'après des ordres plusieurs fois réitérés. Remarqué déjà au combat de Chevilly le 30 septembre où il fit plusieurs prisonniers. A 2' DE LIGNE Prévault, lieutenant-colonel. — Jeune officier supérieur qui don¬ nait à l'armée les plus légitimes espérances. Il devait à sa bril¬ lante conduite, comme chef d'un bataillon de zouaves, le grade auquel il venait d'être promu et c'est en combattant vaillamment à la tète du 42e régiment qu'il a été frappé à mort. Cahen, chef de bataillon. — S'est signalé le 30 novembre sur le plateau de Chennevières par sa vigueur et son entrain. Contu¬ sionné le 2 décembre par un éclat d'obus à la poitrine, il est venu reprendre le commandement de son bataillon après avoir été pansé. Blessé le 30 septembre au combat de Chevilly. Girouin, capitaine adjudant-major. — A dirigé pendant 7 heures DOCUMENTS DIVERS. 465 le 2 décembre la défense d'un jardin entouré par l'ennemi. Forcé à battre en retraite, il a fait sortir tous les hommes par une brèche et a été frappé mortellement au moment où, ayant as¬ suré la retraite du dernier de ses soldats, il quittait le jardin pour aller les rejoindre. Arrighi, soldat. — Le 2 décembre est resté pendant 7 heures sur un mur exposé au feu de l'ennemi dont il observait les mouvements. Marchant, soldat. — Blessé deux fois,n'a pas voulu se retirer; ne s'est laissé enlever du champ de bataille qu'après un troisième coup de feu qui lui a cassé la jambe. 55" DE LIGNE Proal, capitaine adjudant-major. — S'est fait remarquer par son énergie et sa bravoure en chargeant l'ennemi, à la tète de son bataillon, au combat du 30 novembre où il a été blessé mortel¬ lement. 10 5' DE LIGNE Faure, soldat de D0 classe. —Le2, décembre au parc de Petit-Bry, a tué ou blessé trois soldats prussiens ; s'étant avancé pour prendreleurs armes, il s'est trouve en face de quatreautres Prus¬ siens qu'il a sommés de se rendre et qu'il a ramenés prisonniers. 10 7' DE LIGNE Parisot, capitaine. — A porté avec la plus grande énergie sa com¬ pagnie au secours des compagnies de gauche compromises; a été tué à bout portant après avoir abattu deux ennemis avec son revolver. Martel, lieutenant. — A été blessé grièvement; a été magnifique pendant tout le combat du 2 décembre ; a ramené plusieurs fois ses hommes qui faiblissaient sous l'effort considérable des Prus¬ siens. Dognat, soldat de 2e classe. — Au combat du 2 décembre, au mo¬ ment où, sur la gauche, les Prussiens cherchaient à gravir le plateau, a entraîné plusieurs de ses camarades, a construit avec eux une barricade ; a arrêté les progrès de l'ennemi qu'il a at¬ taqué à la baïonnette. Léonville, soldat de 2e classe. — Blessé d'un coup d'épée par un officier prussien au combat du 2 décembre, a désarmé cet offi¬ cier et l'a tué en le traversant de part en part avec l'épée qu'il lui avait arraché. 113" DE LIGNE Subilton, sergent. — A passé la Marne dans une barque avec cinq hommes résolus ; s'est jeté dans les vergers et derrière les haies sur les flancs de l'ennemi qui occupait une tranchée, l'en a chassé en lui tuant plusieurs hommes. Roques, soldat. — Blessé à la tête et à la main, n'est allé à l'am- 4 66 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. bulance que sur les ordres réitérés de son capitaine, est revenu au combat après avoir été pansé. 114° DE LIGNE Mowat dit Bedfort, chef de bataillon. — A commandé son ba¬ taillon de la façon la plus brillante, le 30 novembre, jusqu'au moment où il a reçu une blessure à laquelle il a succombé le surlendemain. Paltu, capitaine. — A fait l'admiration du régiment en entraînant sa compagnie et en l'électrisant par son exemple ; a été tué raide. Baron, soldat. — Cité pour sa bravoure et son sang-froid. Tou¬ jours le premier à l'attaque et le dernier à la retraite. Luzscha, soldat. — D'une bravoure et d'un élan remarquables; blessé le 30 novembre; avait déjà été blessé le 13 octobre au combat de Châtillon. 122° DE LIGNE Monneraye (de la), lieutenant-colonel. — Blessé mortellement le 2 décembre à la tête de son régiment en lui donnant l'exemple d'une bravoure au-dessus de tout éloge. 12 3° DE LIGNE Dupuy de Podio, lieutenant-colonel. — S'est fait particulièrement remarquer le 30 novembre par son élan et sa vigueur; a entraîné plusieurs fois son régiment dans les charges à la baïonnette où il a été frappé à mort. 124° DE LIGNE Sanguinetti, lieutenant-colonel.— A eu son cheval tué sous lui en se portant bravement, à la tête des 2® et 3e bataillons de son ré¬ giment, à l'assaut de Villiers; a été tué dans cette charge. 4° ZOUAVES Podenas (de), capitaine. — A entraîné sa compagnie avec la plus remarquable vigueur; a eu un cheval tué sous lui et a été blessé mortellement au moment où il culbutait l'ennemi. Primat, lieutenant. — A résisté à un retour oflfensifavec un sang¬ froid au-dessus de tout éloge. Incomplètement guéri d'une bles¬ sure reçue à Metz, il avait demandé à reprendre du service et a trouvé une mort glorieuse en repoussant avec sa compagnie un ennemi très supérieur en nombre. Leroux, lieutenant..— Attaqué vigoureusement par l'ennemi, s'est maintenu avec énergie dans sa position et s'y est fait tuer sans reculer. GARDE MOBILE Grancey (de), colonel commandant le régiment de la garde mobile de la Côte-d'Or. — Tué à la tête de son régiment qu'il entraî¬ nait par son exemple. Oflicier supérieur d'une bravoure hors DOCUMENTS DIVERS. 467 ligne, dont il avait déjà donné des preuves éclatantes à l'at¬ taque du village de Bagneux le 13 octobre. 3 7' RÉGIMENT DE LA GARDE MOBILE (Loiret) Cambefort (de), capitaine. — A fait preuve dans toutes les cir¬ constances de courage et de sang-froid. Lambert de Cambray (Henri), sous-lieutenant. — Atteint le 30 no¬ vembre par un éclat d'obus en marchant en avant de son pelo¬ ton; amputé d'un bras et d'une jambe. Botard (Joseph), soldat. — Est resté pendant a heures sous le feu, dans un lieu découvert, pour surveiller les mouvements de l'en¬ nemi et ne pas laisser surprendre les tirailleurs de sa compagnie. 3 1' RÉGIMENT DE LA GARDE MOBILE (Morbihan) Tillet, lieutenant-colonel. — Le 30 novembre, à la tète de 40 hommes de son régiment, a pris et gardé une position dont tous les efforts de l'ennemi n'ont pu le déloger. 5 0' RÉGIMENT DE LA GARDE NATIONALE (Seine-Inférieure) Sauvan d'Aramont, soldat. — Toujours en avant de ses cama¬ rades qu'il a entraînés par son exemple. T II 0 I S I È M E ARMÉE DIVISION DES MARINS Salmon, capitaine de vaisseau. — A dirigé les deux opérations du 29 et du 30 novembre en avant de Choisy-le-Roi, avec un entrain et une vigueur remarquables. Desprez, capitaine de frégate. — Ofticier supérieur du plus grand mérite qui avait conquis dans l'armée de mer une haute noto¬ riété. — Mortellement blessé, le 3U novembre, en opérant une audacieuse reconnaissance sur Choisy-le-Roi, après avoir puis¬ samment contribué à la prise de la Gare-aux-Bœufs. Gervais, lieutenant de vaisseau. — A montré autant d'énergie que de calme à l'attaque de la Gare-aux-Bœufs en avant de Choisy-le-Roi. Lelièvre, caporal d'armes. — Est allé relever, sous une grêle de balles, son commandant mortellement blessé. Bazzy, sergent d'armes.-—S'est montré très énergique en entrant un des premiers dans la Gare-aux-Bœufs, en avant de Choisy-le-Roi. Chicot, matelot fusilier. — Bravoure et énergie remarquables. Soulié, caporal d'infanterie de marine. — Grièvement blessé à l'attaque de la Gare-aux-Bœufs, le 30 novembre, en avant de Choisy-le-Roi, après s'être fait remarquer par son courage. ARTILLERIE Carlavan, maréchal des logis à la 3e batterie du 2e régiment. — A montré au combat de l'Hay, le 27 novembre, un sang-froid et 468 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. une intrépidité remarquables; s'était déjà distingué le 30 sep¬ tembre au combat de Chevilly. Tourenne, brigadier à la 18° batterie du 11e régiment. — A rem¬ placé, dans un mouvement eu avant, par l'avant-train de son caisson, celui d'une pièce démontée par un obus, et a apporté, pendant toute l'action, le plus grand zèle au renouvellement des munitions. GÉNIE Charalet (Joseph-Scipion), sapeur à la 13e compagnie du 2e ré¬ giment.— Blessé de deux coups de feu à l'attaque de l'Hay, où il a fait preuve d'une grande intrépidité. 110' OE LIGNE Davrigny, sergent. — D une vigueur et d'une bravoure remarqua¬ bles, s'était déjà distingué au combat du 30 septembre à Chcvilly. Furon, sergent fourrier. — A fait preuve d'une grande énergie en conduisant ses hommes au feu. 112' DE LIGNE Boutellier, sous-lieutenant. — Blessé grièvement en enlevant brillamment une tranchée à la téte de sa compagnie. Jacquel, sergent. — A vigoureusement chargé, à la tète do quel¬ ques hommes, un groupe ennemi qui tentait de s'emparer du sous-lieutenant Boutellier, gravement blessé, et l'a tenu long¬ temps en respect. GARDE MOBILE Champion, lieutenant-colonel d'infanterie commandant une bri¬ gade de garde mobile. — A vaillamment enlevé, à la tète de sa brigade, sous un feu plongeant et meurtrier, la maison crénelée de la route de Choisy. GARDE MOBILE DU FINISTÈRE L'abbé de Marhallach, aumônier du régiment du Finistère. — S'est toujours porté aux postes les plus périlleux sur la ligne la plus avancée des tirailleurs, où, avec un calme et un sang-froid admirables, il a prodigué ses soins comme prêtre et comme médecin aux nombreux blessés de l'attaque de l'Hay. De Kermoysan, capitaine au 4e bataillon. — A enlevé ses troupes avec une intrépidité digne des plus grands éloges. GARDE MOBILE DE L'INDRE Lejeune, chef de bataillon. — A bravement conduit sa troupe à l'attaque de la maison crénelée de la route de Choisy. Chambert, sergent. — S'est distingué par son courage et son sang-froid à l'attaque de la maison crénelée. Grenon, garde. — A montré autant de courage que de sang-froid à l'attaque de la maison crénelée. DOCUMENTS DIVERS. 469 CORPS D'ARMÉE DE SAINT-DENIS MARINE Joachim (Louis), capitaine d'armes servant comme sous-lieute¬ nant à la 2e compagnie de marins fusiliers de Saint-Denis. — A fait l'admiration de tous par son intrépidité au combat d'Epinay. I 3 5e DE LIGNE Perrier (Louis-Cyprien), capitaine. — Conduite héroïque à l'at¬ taque d'Epinay. — A eu ses deux officiers tués à côté de lui ; est entré le premier par un trou laissant passage à un seul homme dans le grand parc d'Epinay, énergiquement défendu. — A été acclamé par ses hommes. Roux (Louis), sergent. — Signalé une première fois à l'affaire du Bourget. — S'est emparé avec dix hommes, dont cinq ont été mis hors de combat, d'une maison vigoureusement défendue par onze Prussiens qu'il a fait prisonniers. Thenaysi (Théophile), soldat de 2e classe. — Brillant soldat, d'un très grand courage, a abordé à la baïonnette la sentinelle d'un poste prussien, l'a tuée et est entré dans le poste qui s'est rendu. I" BATAILLON DE LA GARDE MOBILE (Seine) Saillard (Édouard-Ernest), chef de bataillon.— Conduite héroïque à l'affaire d'Epinay où il n'a quitté le village qu'après une troi¬ sième blessure qui devait être mortelle. Durand (Victor), mobile. — A fait preuve d'une grande intrépi¬ dité, blessé mortellement. 2e BATAILLON DE LA GARDE MOBILE (Seine) Graux (Jules), mobile. — Au milieu d'une grêle de balles s'est élancé le premier sur une barricade. I0« BATAILLON DE LA GARDE MOBILE (Seine) Ory, médecin aide-major. — A pansé les blessés au milieu de la fusillade. — A eu son caporal blessé à côté de lui. 18 décembre 1870. ATTITUDE DE LA GARDE NATIONALE PENDANT LE SIÈGE DE PARIS. Ordre du jour. Le Commandant supérieur est heureux de porter à la 27 470 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. connaissance de ses camarades les deux lettres suivantes qu'il vient de recevoir : Premiere Lettre. « Vitry, le 29 novembre 1870. « Monsieur le Commandant supérieur, « Les huitbataillons de la garde nationale sous mes ordres rentrent aujourd'hui daus Paris. « Je ne veux pas les laisser s'éloigner sans vous faire con¬ naître combien j'ai eu à me louerde leur attitude énergique et de leur bon esprit. « Ils ont occupé nos postes avancés avec autant de soli¬ dité que de sang-froid; et j'ai l'honneur de vous demander, si les exigences de votre commandement le permettent, de me renvoyer ces mêmes bataillons à Vitry, quand leur tour de marche sera revenu. « Ce serait donner à la défense de nos lignes des troupes connaissant déjà le terrain et disposées, je l'ai vu,"à les dé¬ fendre vigoureusement. « Je dois aussi ajouter que les officiers supérieurs, placés à la tète de ces deux régiments, ont exercé ici leur commande¬ ment avec un tact et une fermeté qui ont puissamment contri¬ bué à la régularité du service et éviter toute espèce de conflit. '« Veuillez agréer, etc. « Le contre-amiral commandant la 3e division du corps de la rire gauche (3"armée), « POTIIUAU. » 2P Lettre. « Quartier général, à Neuillv-sur-Seine. » 29 décembre 1870. « Mon Général, « Au moment où vous rappelez à Paris les 8'' et 18° régi¬ ments de la garde nationale mobilisée qui avaient été misa ma disposition et qui out été, je me fais un devoir de le dire, parfaitement commandés, je tiens à vous répéter que j'ai été on ne peut plus satisfait pendant les douze jours qu'ils sont restés sous mes ordres. « Lors des opérations que nous avons faites le 21 de ce mois en avant du Mont-Valérien, ces régiments ont montré une très bonne attitude: dans leurs cantonnements, ils ont été DOCUMENTS DIVERS. 471 patients, disciplinés comme de vieilles troupes, et je suis certain qu'en toutes circonstances j'aurais pu compter sur leur courage et leur dévouement. « Si tous les bataillons mobilisés de Paris sont animés du même esprit que ceux-ci, nous pouvons nous rassurer et at¬ tendre avec calme le résultat du bombardement qui com¬ mence et les attaques de vive force que l'ennemi oserait tenter. « Recevez, mon général, etc. « Le général commandant la 3r division (rive droite), BEAUFORT. De pareils témoignages, émanant déjugés aussi compétents que les deux officiers généraux qui ont bien voulu les trans¬ mettre, sont assurément des plus flatteurs pour les troupes qui les ont mérités. Le Commandant supérieur ajoute que les renseignements, les rapports qu'il a reçus et reçoit chaque jour sur les nom¬ breux bataillons employés à l'extérieur, lui permettent d'af¬ firmer que ces éloges donnés à quatre régiments peuvent s'appliquer à tous les autres. M. le général Ribourt, commandant supérieur h Yin- cennes; M. le colonel Le Mains, commandant supérieur ;i Créteil, parlent dans les mêmes termes des troupes qu'ils ont eues sous leurs ordres. Ce dernier officier signale le 200° bataillon comme ayant ell'acé par sa bonne conduite le souvenir fâcheux de la tenue dans laquelle il était arrivé la première fois aux avant-postes. Le Commandant supérieur n'a jamais douté des disposi¬ tions de ses compagnons d'armes. Ils apprécieront bientôt, par la grandeur des efforts qu'il réclamera d'eux, quelle confiance il met dans leur abnéga¬ tion, leur patriotisme et leur courage. Le général commandant supérieur de la garde nationale de la Seine, CLÉMENT THOMAS. Paris, le 30 décembre 1870. GARDE NATIONALE. Ordre du jour. Les vingt bataillons de la garde nationale mobilisée, pla¬ cés sous mon commandement, rentrent dans Paris selon les m A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ordres de M. le Gouverneur, pour se remettre des nuits pas¬ sées dans les tranchées de l'est. En attendant de nous revoir pour une prochaine action, je regarde comme un grand honneur pour moi d'avoir le devoir et le plaisir de remercier ces bataillons de leur active coopération, de leur bon esprit et de la fermeté de carac¬ tère qu'ils ont constamment déployée au milieu dé nos épreuves. Le vice-amiral, SAISSET. Noisy, le 31 décembre 1870. GARDE NATIONALE. Ordre du jour. C'est avec fierté que le Commandant supérieur de la garde nationale rend hommage, par la voie de l'ordre, au courage dont ont fait preuve les régiments de Paris engagés dans la bataille du 19 janvier. Il a eu la satisfaction de l'entendre louer, sur le terrain même, par les divers chefs de l'armée sous les ordres desquels ces régiments ont combattu. Engagés dès le point du jour, ils ont soutenu avec ardeur une lutte que l'étal de l'atmosphère rendait plus difficile jusqu'à une heure avancée de la nuit, qui seule a mis fin au combat. N'ayant pas encore reçu des chefs de corps les renseigne¬ ments nécessaires, le Commandant supérieur ne peut faire connaître aujourd'hui les noms des officiers, sous-officiers et gardes qui ont succombé, ou de ceux qui se sont particu¬ lièrement distingués. Mais dès aujourd'hui, il ne craint pas de dire ce mot qui sera répété par la France entière : « Dans la journée du 19 janvier, la garde nationale de Paris, comme l'armée et comme la mobile, a fait dignement son devoir. » (Allaire de Biuenval.) Le général commandant supérieur, CLÉMENT THOMAS. Malgré toutes les recherches les plus minutieuses, il n'a pas été possible de retrouver la liste des noms des défen¬ seurs de Paris, qui ont dé être mis à l'ordre du jour à la suite de la bataille de Ruzenval. Les noms suivants sont ceux des gardes nationaux, qui se DOCUMENTS DIVERS. 473 sont distingués dans cette affaire et que les journaux de l'époque ont désignés à la reconnaissance et à l'admiration de leurs concitoyens : MM. Regnault (Henri), tué au mur de Buzenval; grand prix de Rome I8GG, avait obtenu la grande médaille à l'exposition de 1870. Bethmont (Paul), ancien député. Lomon, fils de M. Lomon du journal le Pays; blessé grièvement. Seveste, artiste de la Comédie-Française; blessé. Gennaro Perelli, commandant des carabiniers parisiens; grièvement blessé. Ferdinand de Lessees fils.officier d'ordonnance du général Ducrot; blessé. De Rochehrune, colonel d'un régiment de la garde na¬ tionale mobilisée; tué. Coriolis d'Espinouze (le marquis de), enrôlé dans le loc régiment de marche malgré ses 67 ans; tué. Supe (Albert), blessé. Paulet, blessé. Lanclois, commandant du I iGe bataillon; Monicaut, commandant du G0 bataillon; De Crisenoy, commandant d'un régiment de marche; Mosneron-Dcpin, commandant le 13e bataillon; O'Estourmel, lieutenant de la 2° compagnie du 17e ba¬ taillon ; Adolphe Ghérardt, architecte, grand prix de Rome, sol¬ dat du 116° bataillon ; a reçu deux blessures. La légion de cavalerie de la garde nationale a rendu pendant toute la durée du siège de grands services. Des détachements de ses cavaliers étaient, chaque jour, envoyés aux avant-postes, aux secteurs et aux forts. Ils prirent ainsi part à presque toutes les reconnaissances, que le Gouverneur ordonnait de faire, et ;ï toutes les batailles qui ont été livrées sous les murs de Paris. Après la guerre, la légion a reçu, eu récompense de son courage et de son dévouement, trois croix et trois médailles militaires. M. Quiclet, colonel de la légion, déjà chevalier de la Légion d'honneur, a été fait officier. M. Boutet, lieutenant- 27. 474 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. colonel, a reçu la croix de chevalier de la Légion d'honneur, ainsi i[iie M. Lecorbellier, maréchal des logis chef. Les trois médailles militaires ont été données à MM. Vieillard, Paul Aubry et Arthur Rocher. EXTRAIT D'UN ARTICUE DU « GAULOIS » PARU EN DÉCEMBRE 1870 PENDANT LE SIÈGE DE PARIS. La légion de cavalerie a pour commandant M. le colonel Quiclet. C'est un des plus anciens membres de la légion dont il a successivement parcouru tous les grades. Il serait difficile de porter avec plus de distinction l'ai¬ grette blanche et les ornements de ce brillant uniforme. Le colonel est d'une haute et élégante taille, avec une très belle tôte, une barbe blonde, de grands yeux bleus et doux, une affabilité sans égale et de grandes manières : un pur gentleman. II ne connaît qu'une chose, les intérêts de sa légion, et ne reçoit aucune réclamation sans en contrôler lui-même la justesse. M. Quiclet est ensuite parfaitement secondé par le lieu¬ tenant-colonel de la légion, M. Boutet. La garde à cheval a deux chefs d'escadron. M. Durou- clioux, qui commande le lor et le 2e escadrons, est une figure toute militaire, vive, franche, énergique, des moustaches rudes et grises, un regard fixe et une voix faite pour com¬ mander. De la rondeur, mais de la discipline. Son collègue du 3e et du 4e escadrons est un parfait homme du monde, à la moustache et aux favoris blonds, à la physionomie bienveillante, mais cachant sous cette douceur et ces façons charmantes une énergie peu com¬ mune. Immédiatement après viennent les capitaines-adjudants: MM. Picard et Verrat, anciens officiers de cavalerie; puis huit capitaines : M. de Monnecove et M. de Sauges, monté sur un magnifique cheval égyptien; M.Laffitteet M. Faroux, qui semblent être entrés dans la garde il cheval pour se trouver plus vite en face de l'ennemi; MM. Feliker et Démonts; M. Démonts, le plus beau des notaires et qui marie agréa¬ blement la cravate blanche au brandebourg; enfin M. Gof- DOCUMENTS DIVERS. fînonet M. Durcnne, le grand fondeur, dont l'usine fabrique des canons tandis qu'il commande ses cavaliers. Chaque jour, un ou deux escadrons de la garde natio¬ nale à cheval sont de service et à la disposition du gouver¬ neur de Paris. Tantôt on les répartit dans les différents secteurs et les forts; tantôt on les détache au dehors, par groupes de qua¬ rante chevaux, sur les points où des attaques et des recon¬ naissances peuvent rendre nécessaire un service supplé¬ mentaire de cavaliers. C'est dans une reconnaissance qu'au début du siège de Paris M. le brigadier Vieillard, accompagnant un officier d'état-niajor, eut un cheval tué sous lui et fut lui-même atteint d'une balle qui lui traversa le bras. Tout dernièrement, au milieu de nos glorieuses sorties, M. Lalanne, le sympathique chef de manège, fut envoyé de Vincennes à Champigny et disparut sans qu'on pût savoir s'il avait été tué, blessé ou fait prisonnier. Un journal de ce matin nous annonce que M. Lalanne a donné de ses nouvelles. Il a été fait prisonnier par les Prussiens. D'autres gardes ont été affectés à divers services. Je ne saurais oublier que lorsque j'allai visiter le fi° secteur, j'y rencontrai trois jeunes gens bien connus, qui ont, de la meilleure grâce, complété mes renseignements. Ce sont : M. Brodin-Collet, un vrai Breton doublé d'un économiste et d'1111 administrateur distingué; M. de Bonneville de Mar- sangy, qui a su se faire un nom dans la presse et au barreau (le Gaulois doit trop au talent de l'avocat et de l'écrivain pour se permettre son éloge); M. le comte Grégoire de Po- toki, de grande race polonaise, vrai type de gentilhomme, aussi charitable que modeste. Il ne lui a pas suffi d'ouvrir l'ambulance de son riche hôtel à de nombreux blessés, il a voulu concourir de sa personne à la défense de Paris. Depuis trois mois, ces jeunes et élégants cavaliers sont attachés au secteur de l'amiral Fleuriot de Langle,et riva¬ lisent de zèle pour transmettre les ordres de l'État-major au quartier général et du quartier général aux avant- postes, etc., etc. 176 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. ÉTAT DES VIVRES A PARIS TE 28 JANVIER 1871, AU MOMENT OÙ TES NÉGOCIATIONS SONT ENTAMÉES PAR M.JULES FAVRE POUR LA CONCLUSION DE L'AR¬ MISTICE. Note du tjouvernement parue dans le « Journal officiel » le 29 janvier 1871. Le Gouvernement a annoncé qu'il donnerait la preuve irré¬ fragable que Paris a poussé la résistance jusqu'aux extrêmes limites du possible. Hier encore il y avait inconvénient grave à publier des informations de ce genre. Aujourd'hui que la convention relative à l'armistice est signée, le Gouvernement peut remplir sa promesse. 11 faut d'abord se remettre en mémoire ce que trop de per sonnes semblent avoir oublié : c'est qu'au début de l'inves¬ tissement les plus optimistes n'osaient pas croire à un siège de plus de six ou sept semaines. Lorsque le 8 septembre, le Journal officiel, répétant une déclaration affichée sur les murailles par M. Magnin, ministre du Commerce, affirmait « que les approvisionnements en viandes, liquides et objets alimentaires de toute espèce, se¬ raient largement suffisants pour assurer l'alimentation d'une population de deux millions d'âmes pendant deux mois », cette assertion était généralement accueillie par un sourire d'incrédulité. Or quatre mois et vingt jours se sont écoulés depuis le 8 septembre. Au milieu des plus dures privations, devenues, pendant ces dernières semaines, de cruelles souffrances, Paris a ré¬ sisté aussi longtemps qu'il a pu raisonnablement espérer le secours des armées extérieures, aussi longtemps qu'un mor¬ ceau de pain lui est resté pour nourrir ses habitants et ses défenseurs. Il ne s'est arrêté que lorsque les nouvelles venues de province lui ont arraché tout espoir ; en même temps que l'état de ses subsistances lui montrait la famine imminente et inévitable. Le 27 janvier, c'est-à-dire huit jours après la dernière ba¬ taille livrée sous nos murs et jusqu'au moment où nous ap¬ prenions les insuccès de Chanzy et de Faidherbe— il restait en magasin 42 000 quintaux métriques de blé, orge, seigle, riz et avoine, ce qui, réduit en farine, représente, à cause du faible rendement de l'avoine, 3d 000 quintaux métriques DOCUMENTS DIVERS. 477 de farine panifiable. Dans cette quantité sont compris H 000 quintaux de blé et 6 000 quintaux de riz, cédés par l'administration delà guerre, laquelle ne possède plus que dix jours de vivres pour les troupes, si on les traite comme des troupes en campagne, savoir : 12 000 quintaux de riz, blé et farine, et 20 000 quintaux d'avoine. Telle était la si¬ tuation de nos approvisionnements en céréales à l'heure de l'ouverture des négociations. En temps ordinaire, Paris emploie à sa subsistance 8 000 quintaux de farine par jour, c'est-à-dire 2 millions de livres de pain; mais du 22 septembre au 18 janvier sa consommation a été réduite à une moyenne de 6 360 quin¬ taux de farine par.jour, et depuis le 18 janvier, c'est-à-dire depuis le rationnement, cette consommation est descendue à 5 300 quintaux, soit un sixième de moins environ que la quantité habituelle, nous pourrions dire nécessaire. En partant de ce chilfre de 5 300 quintaux, le total de nos approvisionnements représente une durée de sept jours. A ces sept jours on peut ajouter un jour d'alimentation fournie par la farine actuellement distribuée aux boulangers ; trois ou quatre jours auxquels subviendront les quantités de blés enlevés aux détenteurs par tous les moyens qu'il a été possible d'imaginer et l'on arrive ainsi à reconnaître que nous avons du pain pour huit jours au moins, pour douze jours au plus. Il n'est pas inutile de dire que, depuis trois semaines, il n'existe plus de provisions en farine. Nos moulins ne fournis¬ sent, chaque jour, que la farine nécessaire au lendemain.il eût suffi de quelques obus tombant sur l'usine Cail, pour mettre instantanément en danger l'alimentation de toute la ville. En ce qui concerne la viande, la situation peut se carac¬ tériser par un seul mot. Depuis l'épuisement de nos ré¬ serves de boucherie, nous avons vécu en mangeant du cheval. Il y avait 100 000 chevaux à Paris. Il n'en reste plus que 33 000, en comprenant dans ce chiffre les chevaux de la guerre. Ces 33 000 chevaux,d'ailleurs, ne sauraient être tous abattus sans les plus graves inconvénients. Plusieurs services, indis¬ pensables à la vie, seraient suspendus : ambulances, trans¬ port des grains, des farines et des combustibles ; service de l'éclairage et des vidanges, pompes funèbres, etc. Il nous faudra, d'autre part, beaucoup de chevaux pour le camion- 478 A PARIS PENDANT LE SIÈGE. nage i|iiaii(l le ravitaillement commencera. En réalité, une lois ces diverses nécessités satisfaites, le nombre des animaux disponibles pour la boucherie ne dépassera pas22 000 environ. En ce moment nous consommons, avec l'année, 650 che¬ vaux par jour, soit 25 à 30 grammes par habitant, après le prélèvement des hôpitaux, des ambulances et des fourneaux; 2o grammes de viande de cheval, 300 grammes de pain, voilà la nourriture dont Paris se contente à l'heure qu'il est. Dans dix jours, quand nous n'aurons plus de pain, nous aurons consommé 6 500 chevaux de plus, et il ne nous en restera que 26 500. Nous pouvons, il est vrai, y joindre 3 000 vaches, réservées pour le dernier moment, parce qu'elles fournissent du lait aux malades et aux nouveau-nés. Mais alors, connue il faudra remplacer le pain absent, la ration de viande devra être quadruplée et nous serons obligés de tuer 3 000 chevaux par jour. Nous vivrions ainsi pendant une semaine environ. Mais nous n'en viendrons pas à cette extrémité, précisé¬ ment parce que le Gouvernement de la Défense nationale s'est décidé à négocier. On dira peut-être : « Pourquoi avoir tant tardé? Pourquoi n'avoir pas révélé plutôt ces terribles vérités? » A cett e question il y a à répondre que le devoir était de prolonger la résistance jusqu'aux dernières limites, et que la révélation de semblables détails eût été la fin de toute résistance. Mais le ravitaillement marchera assez vite pour que nous ne restions pas un seul jour sans pain. Toutes les mesures, que la prudence pouvait suggérer, ont été prises; et pourvu que chacun comprenne son devoir, pourvu que les agita¬ tions intérieures ne viennent pas troubler la reprise de l'ac¬ tivité industrielle et commerciale, de nouveaux approvi¬ sionnements nous arriverontjusteau moment oh nousaurons épuisé ceux qui nous restent. Nous avons le ferme espoir, nous avons la certitude que la famine sera épargnée à deux millions d'hommes, de femmes, de vieillards et d'enfants. Le devoir sacré de pousser la résistance aussi loin que les forces humaines le com¬ portent nous a obligés de tenir tant que nous avons eu un reste de pain. Nous avons cédé, non pas à l'avant-derniére heure, mais à la dernière. DOCUMENTS DIVERS. 479 1'ltIX DE DIFFÉRENTS OBJETS D'ALIMENTATION PENDANT LE SIÈGE DE PARIS. Les carottes valent : 2 fr. 40; les salsifis : t franc. Un lapin, de 13 à 10 francs. Prix du 10 novembre. Viande de cheval : le filet, 4 et 3 francs la livre. Viande d'âne : 3 fr. 30 la livre. Chats : 3 et 0 francs la pièce. Porc salé, environ 2 fr. 20 la livre. Graisse alimentaire, 3 francs la livre. En décembre on a livré à la consommation les bisons, les yacks, les kangouroos, les mouflons, les antilopes et autres animaux du Jardin des Plantes et du Jardin d'Acclimatation. Une carpe, 3 francs ; les bassins des jar dins publics ont été péchés et le produit de la pèche a été vendu à la Halle. On lit dairs le journal le Gaulois, k la date du 28 janvier, jour où l'armistice venait d'être signé : Jamais aux halles, de l'aveu des plus vieux habitués, on n'avait vu plus grande animation qu'aujourd'hui. Beaucoup de gens y sont venus de tousles quartiers pour se ravitailler; un plus grand nombre encore, par pure curiosité. Voici quelques-uns des prix pratiqués aujourd'hui : Un beau poulet, 23 à 28 francs ; il y a quarante-huit heures, il fallait parler de 3b à 63 francs. Un lapin assez fort : 20 et 23 francs, au lieu de 40 et 50 francs. Un couple de petits poulets : 30 francs; une Vielle poule : 20 francs, Un pigeon : 5 francs. Les pois secs : 2 francs au lieu de 4. Les pommes de terre : 2 francs la livre ou 2 fr. 25 le litre. (Ces deux prix ne sont pas en rapport.) Les jeunes carottes : 2 fr. 23 au lieu de 3 francs. 6 petits poireaux : ciuq sous. La pomme d'api : trois sous. Les légumes frais sont ceux qui conservent le mieux leur prix. ce qui s'explique par la saison où nous nous trouvons : un pied de céleri se cote 1 fr. 50 pièce ; même prix pour le demi-kilo de salsifis. Les œufs se tiennent à 1 fr. 50 pièce. Les pommes de terre : 12 ou 14 francs le boisseau, au lieu de 30 francs. Quelques tas de treize pommes de terre ont été vendus 3 francs. A PARIS PENDANT LE SIÈGE. MENU D'UN REPAS PENDANT LE SIÈGE. Politic de cheval au millet. Entrée : émincés de rabies de chat, sauce mayonnaise. Itrooheltes de foies de chiens, sauce tomate. C.i'itclettcs de chien aux petits pois. Salmis de rats, sauce Robert. (iigot de chien, flanqué de ratons, garniture de queues. Plum-pudding il l'anglaise, moelle de cheval. FIN l'aris. — Typogr. G. Chain .'rot, 19, rue des Saints-Pères. — LIBRAIRIE PAUL OLLENDORFF 28 fyitty Rue d@ Richelieu, Pans Collection grand in~l€ ALLARD (Léon). — Les Vies muettes. (.Ouvrage cour. par l'Académie française.) BAUQUKNMC (Alaiu). — L'Écuyère. — A inours coeasses.— La Belle Madame Le Vassart. BLACHE (Noël). — Césarin Audoly. — Au Pays du Mistral. — Clairs de So¬ leil. — Meley. — M. Peymarlier. BLAVET (Kmile) (Parisis). — La Vie. Pari¬ sienne (1885).— LaVie Parisienne (1886). BENTJAMÏN (Ernest). — La Sainte. CAHU(Théodore). — Chez les Allemands. — Petits Potins militaires. CATULLE MKNDÈS. — Les Boudoirs de Verre. — Pour les "belles per¬ sonnes. — L'Envers des Feuilles. CLAVEAU (A.). — Contre le Ilot. (Ou¬ vrage couronné par V Académie française). COQUKLIN CADET. — Le Rire. DELAIR (Paul). — Louchon. — Les Contes d'à présent. DARCEY (Marie). — Le Crime de la 5e Avenue, DARIMON (Alfred). — Notes pour servir à l'histoire de la Guerre de 1870. DEL PIT (Albert). — Le Fils de Coralie. — La^arquise. — Le Père de Mar¬ tial. — Les Amours cruelles.—Solange de Croisaint-Luc. — MIle de Bressier. — ThcEésine. — Disparu. DESPLAfS (Ph.). — Dans la Tourmente. DUCRET^Edouard). — Chignon d'or. — Amoureuse. GANDI^rl^T (Léon). — Les filles de Jean GAUI^W(raul). — M11' de Ponciu. — Le Mariage de Jules Lavernat. — L'Illustre Oasaubon. GOUDEAU (Emile). —' Le Froc. HERISSON (C" d'). — Le Journal d'un Officier d'ordonnance. — Le Journal d'un Interprète en Chine. — Le Cabi¬ net noir. — La Légende de Metz. Il ERR ÈRE (Jean).— Une Eve nouvelle. JANKA WO11 L. — François Liszt. (Sou- veuirs d'une Compatriote.) JOLIVARD (Léon). — Nolly Webster. KÉRATRY (Comte E. do). — A travers le passé. LAUNAY (de). — Les Demoiselles Sé- vellec.— Discipline. (Ouvrage couronné par L'Académie française.) LEGOUX (Jules).— Les Propos d'un Bour¬ geois de Paris. — Hommes et Femmes. — Les Reflets. Ll-ONNET (Les frères). — Souvenirs et Anecdotes. à. 3 fr. 50 le volume. LOCKROY (Ed.). — Ahmed le Boucher. MaIZKROY (René). — Bébé million. MARC DE CKANDPLAIX. — Louloute MARNI (J.). — l a Femme de Silva." MAUPASSANT (Guy de). — Les sœur Rondoli. — M. tarent. — Le Horla — Pierre et Jean. — Clair de Lune. MIRBEaU 'Octaveb — Le Calvaire. MORAND (Eugène). — Le Roinan de Paris. NARRE Y (Charles). — Le Prince Paul. NISARD (Charles), de l'Institut. —Guil¬ laume du Tillot : Un Valet ministre et Secrétaire d'Etat. NORMAND (Jacques). — La Madone. OH NET (Georges). — Serge Panme. (O/.- vrage couronnépar V Académie française.) — Le Maître de Forges. — La Com¬ tesse Sarah. — Lise Fleuron. — La Grande Marnière. — Les Dames de Croix-Mort. — Noir et Rose. —Volonté. OSWALD (Fr.). — Le Trésor des Bae- quancourt. — Jeu mortel. PENE (Henry de). — Trop belle. (Ouvrage couronné par l Académie française.) Née Michon. PERRET (Paul). —Sœur Sainte-Agnès, PERRIN (Jules). — Le Canon. PORaDOWSKA (Marguerite). —Yaga. PRADKL (G.1. — La Faute de Madame Bucières. — Les Baisers du Monstre. ROOSEVELT. — La Reine du Cuivre. SAINT-CÈRE (J.). — L'Allemagne telle qu'elle est. SARCKY. — Le Mot et la Chose. — Souvenirs de jeunesse. SÈMEZIKS (Marcel). — L'Étoile éteinte. — L'Impasse. SILVESTRE (Armand). — Les farces de mon ami Jacques. — Les malheurs du commandant Laripète.— Les Veillées de Saint-Pantaléon. STKNGER (Gilbert). — L'Amant légitime. THKUR1ET (Andre). — La Maison des deux Barbeaux. — Les Mauvais Mé¬ nages.—Sauvageonne.—Michel Ver- neuil. — Eusèbe Lombard. — Au Pa¬ radis des Enfants. VALLADY (Mat.). — Filles d'Allema¬ gne. — France et Allemagne : Les deux VAST-RICOUARD. — Claire Aubertiu — Séraphin et Cie.— La Vieille Garde. — La Jeune Garde. — Madame Laver- non. VIENNE (Romain). — La Vérité sur la Dame aux Camélias. Paria. — Typ. G. Chamerot, 19, rue des Saints-Pères. — 23036