p/i o a ms et foci s COUP D'ŒIL PHILOSOPHIQUE SUR LA SITUATION MORALE, POLITIQUE: ET SOCIALE DE LA FRANCE PAR LE Dr M.-J. LE MENANT DES CHENAIS DIRECTEUR-MÉDECIN DE 1" CLASSE DE L ASILE DES'ALIÉNÉS DE CHALONS-SUR-MARNE Ex -directeur-médecin des Asiles d'Ile-et-Vilaine et de la Charente-Inférieure; ex-médecin du ministère de l'intérieur, de l'assistance publique de Paris, des écoles communales et des salles d'asiles de l'ancien 10* arrondissement, Médaille d'arpent du ministre de l'agriculture et du commerce (1865) pour services rendus. Médaille d'argent et lau éat correspondant de la société nationale d»médecine de Marseille, etc. OPUSCULE AU PROFIT DES VICTIMES FRANÇAISES DE LA GUERRE CMA.r,01SrS-StJFL-IvIAJFLNE 1871 >V0Ti OA* OO- -HA <âû *<»*à -ît r o>- -//fr»uw|" -Ta-' a" &JliA PRO A RIS ET FOCIS 4)f~" COUP D'ŒIL PHILOSOPHIQUE SUR LA SITUATION MORALE, POLITIQUE ET SOCIALE DE LA FRANCE PAR LE Dr M.-J. LE MENANT DES CHENAIS DIRECTEUR-MÉDECIN DE 1" CLASSE DE L'ASILE DES ALIÉNÉS DE CHALONS-SUR-MARNE Ex-directeur-médecin des Asiles d'ile-et-Vilaine et de la Charente-Inférieure; ex-médecin du ministère de l'intérieur, de l'assistance publique de Paris, des écoles communales et des salles d'asiles de l'ancien 10* arrondissement. Médaille d'argent du ministre de l'agriculture et du commerce (1865) pour services rendus. Médaille d'argent et lautéal correspondant de la société nationale de médecine de Marseille, etc. OPUSCULE AU PROFIT DES VICTIMES FRANÇAISES DE LA GUERRE GHAX-03SrS-SXJR.-lvrA.R.3SrE 1871 COUP D'ŒIL PHILOSOPHIQUE SUR LA SITUATION MORALE, POLITIQUE ET SOCIALE DE LA FRANCE Cher lecteur ! Après un siècle de révolutions successives et de désastres qui ont livré la France, envahie par les Prussiens, aux plus amères déceptions, je me suis demandé s'il ne convenait pas, enfin, de faire un retour sérieux sur nous-mêmes et de rechercher les véritables causes de nos malheurs ; puis le mal étant connu, s'il était possible de trouver un moyen propre à cicatriser les plaies profondes de notre malheureuse Patrie ? On m'objectera, je le sais, que de ma part il y a peut-être une impar¬ donnable présomption, d'oser aborder un tel sujet. N'a-t-il pas été déjà étudié, discuté cent et cent fois par les hommes les plus compétents ? et si leur expérience, l'habitude des affaires, les hautes fonctions qu'ils ont remplies, n'ont pu leur assurer un crédit suffisant pour être écoutés, sur quoi pourrai-je me fonder pour espérer un meilleur sort, et pour penser que les quelques réflexions que je soumets pourront peser en quelque chose sur les destinées de mon malheureux pays ? A cela je répondrai : Puisse, le lecteur, oublier la personne qui lui transmet ses idées; et ne voir que le sujet qu'elle traite et comment elle le traite: Si meliora vides, doceas parebo monenti Si mea vera vides, utere non doleas. Je ne prétends m'imposer à personne : comme médecin, comme admi¬ nistrateur; après une vie de labeurs et de luttes pénibles, soutenues pendant plus d'un demi-siècle, ne puis-je raconter ce que j'ai vu, et com- — 4 — muniquer aux autres le fruit de mes propres réflexions, quand il s'agit de mon pays, et de tout ce que l'homme a de plus cher? Permettez-moi, cher et bien-aimé lecteur, de vous ouvrir mon cœur et mon âme, en échangeant avec votre cœur et votre âme aussi, des pen¬ sées que la prospérité, les délices de la vie et l'égoïsme ne m'ont point inspirées. Pour l'immense majorité de ceux qui vivent, je suis un frère ainé qui tient à prémunir les plus jeunes contre de nouveaux dangers ; pour un nombre qui se restreint chaque jour, je suis un vieux contemporain de collège qui raconte l'histoire de son temps et qu'on peut démentir si je cesse d'être véridique. Enfin, pour quelques privilégiés, dont la tête blanchie par les années est respectée encore par le temps, je veux être l'écho de leurs sentiments, dans tout ce qu'ils ont de plus sacré et de plus droit, en reproduisant de mon mieux leurs regrets, leurs désirs, pour y substituer l'espérance. Puisse ma plume bien dirigée, ne tracer que des lignes bien reçues et dictées uniquement par cette abnégation personnelle au nom de laquelle je viens réclamer, auprès de tous, l'indulgence dont j'ai besoin en com¬ mençant ce travail. Châlons-sur-Marne, le 19 décembre 1870. D- LE MENANT DES GHESNAIS. PREMIÈRE PARTIE L Ne voulant écrire que dans un esprit de conciliation et non de parti, je veux m'abstenir de toute dissertation oiseuse ou irritante; un auteur en substituant sa personnalité au but qu'il annonce et qu'il prétend atteindre, n'y recherche trop souvent que les moyens de faire ressortir son éloquence et son savoir. Je m'appliquerai donc à être concis, simple autant que possible, sans toutefois rien déguiser de ma pensée ni de la vérité. Aussi commencerai-je par dire tout d'abord : Qu'à mon avis, nos malheurs remontent au siècle de Louis XIV. Je les attribue 1° A la Centralisation. 2° Aux doctrines voltairiennes et anti¬ catholiques. 3° A l'égoïsme matérialisé qu'elles ont enfanté. 4° A la conscription. II. DE LA CENTRALISATION. Louis XIV, personne ne le contestera, malgré ses mérites et les brillantes qualités qui le distinguèrent, doit être considéré comme le premier auteur des maux que nous souffrons, parce que c'est lui qui posa les premières assises de la centralisation à qui nous devons en réalité toutes les humiliations du présent. Je passe sous silence le règne de Louis XV, le martyre de Louis XVI, les excès de 93, pour examiner l'influence de la centralisation depuis le premier empire et surtout dans ces derniers temps.— Il est un fait reconnu par tous aujourd'hui, c'est que le pouvoir de quelque forme qu'il soit revêtu, qu'il s'appelle République, Empire ou Royauté, le pouvoir, dis-je, quel que bien intentionné, quel qu'habile qu'il puisse — 6 — se montrer, ne saurait avoir de sécurité ni de durée et, par suite assurer la prospérité du pays; parce que s'il tient tout en main pour diriger, il suffit de lui lier les mains pour l'abattre. Aussi, depuis 89, sommes-nous le jouet du premier ambitieux venu ; et il en sera toujours ainsi, autant de fois que quelques émeutiers pourront s'imposer à Paris et par suite à la France, pour remettre toutes nos destinées en question. III. Qui plura intentus, minores ad singula sensus ; a dit le poète. En effet, si le pouvoir qui gouverne avec la centralisation doit tout avoir entre les mains, il lui est impossible de suffire à la tâche surhumaine qui lui incombe. Ce fait est de la plus haute évidence. Or, pour suppléer à cette insuffisance, il faut qu'il se crée des aides dévoués à son existence, et qu'il en ait assez pour tenir le pays tout entier sous sa domination, je dirais presque, dans ses filets. De là, ces nécessités impérieuses qui l'obligent à promettre sans cesse et à donner plus qu'il ne peut et ne doit le faire, pour trouver ces phalanges d'aides et de sous-aides qui constituent l'administration. Dans ce système de concentration, depuis le Ministre jus¬ qu'au dernier cantonnier, jusqu'au dernier garde champêtre, tout doit subir l'unique influence du chef. Cette condition exige donc une abnégation universelle, difficile à rencontrer, qui doit avoir sa compensation ailleurs — Mais, contenter tout le monde, n'est pas chose facile, et quelles que largesses que répande un tel gouvernement, la foule est si nombreuse, de ceux dont il doit assouvir l'appétit, qu'il n'y pourra suffire longtemps, sans recourir à des impôts qui ne peuvent que grandir en proportion du nombre des fonctionnaires, d'une part, et de l'ambition que l'on doit trouver et encourager dans chacun d'eux. Cet état de choses est donc mauvais en soi, puisqu'il n'est, propre qu'à asservir. _ 7 — IV. De mauvais qu'il est tout d'abord dans ces premiers effets, on le trouvera bien autrement détestable, quand on reconnaîtra que cet asservissement va jusqu'à étouffer de plus en plus dans l'homme le sentiment de sa dignité, pour substituer en lui l'amour des honneurs à l'honneur. Aussi, tel qui parle avec force aujourd'hui de ses droits, igno-e trop souvent ses devoirs, ou du moins semble ne s'en préoccuper que fort peu. Cependant, on devrait toujours se rappeler qu'une fois lancé dans une mauvaise voie, la persistance vous égare de plus en plus, jusqu'à ce qu'elle ait amené une ruine complète et fatale. C'est ce qui est arrivé par la centralisation constituée et affermie. En effet, pour assurer autant que possible le jeu régulier des armées administratives, il a fallu au pouvoir, créer phalanges sur pha¬ langes de fonctionnaires et d'employés ayant pour mission de se contrôler mutuellement. Telle a été l'origine du Fonctionarisme universel, qui a fait de chaque Français un employé salarié, dont le principal mérite n'est hél .s ! le plus souvent que de compli¬ quer les choses les plus simples, de recevoir le public avec un dédaigneux mépris et, avant tout, de capter la bienveillance d'un protecteur qui facilite son avancement, en se donnant le moins de peine possible. De là ces nombreuses formalités administratives qu'on a imaginées pour faire du zèle, pour se faire considérer comme important et qui obligent à dépenser quatre francs, pour avoir le droit de toucher quarante centimes; de là la défiance réci¬ proque entre les membres d'un même pays; de là enfin ce mépris de l'autorité, cet abaissement successif du sens moral qui se traduit, ici, par les convulsions de 93, là, par la reddition de Sedan et l'invasion de la France par l'Allemagne. La centralisation est donc à mes yeux le plus tyrannique, le plus despotique et le plus avilissant des pouvoirs; nous le verrons bien mieux encore, en examinant les autres causes de nos malheurs, à mesure que nous avancerons daps cette étude. - 8 - V. Nous venons de voir comment la centralisation opérait l'as¬ servissement des hommes, en les transformant en machines uniquement occupées d'elles-mêmes, sans souci de leur dignité personnelle, de leur honneur et de leurs devoirs. Mais son in¬ fluence, si féconde déjà en conséquences funestes, devait agir d'une manière bien autrement désastreuse, lorsque l'hypocrisie voltairienne, l'athéisme, l'impiété sous toutes ses formes et le matérialisme vinrent tenter d'effacer dans le cœur de l'homme jusqu'au dernier vestige du respect et de l'amour que l'on doit à Dieu. L'homme dégagé des craintes que sa conscience et la justice divine lui inspiraient, ne pouvait que mépriser ce qui en était la représentation dans le monde ; c'est pourquoi l'on proclama les droits de l'homme en principe, et qu'en pratique on les anéantit. C'est ainsi que le mépris de toute hiérarchie sociale, de toute autorité légitime, fut mis à l'ordre du jour et que, par une ironie cruelle, en affichant sur les murs les trois grands mots de liberté, égalité, fraternité, on éleva lechafaud et que l'on tortura de mille manières quiconque osa conserver du respect pour ce qui n'était pas le culte païen de la ridicule déesse raison. C'était déjà au nom de l'humanité que Voltaire voulait étrangler le dernier des rois avec les boyaux du dernier des prêtres, et qu'il voulait écraser l'infâme continuateur de cette charité divine qui, pour affranchir l'homme des servitudes hon¬ teuses du paganisme comme du despotisme des républiques de Sparte et de Rome, était mort sur la croix. — Ah ! si de nos jours, nos jeunes utopistes étaient obligés de supporter le joug d'un sénateur romain et de vivre sous un régime où le père avait droit de vie et de mort sur tous les siens, où l'homme n'était pas, dans la grande majorité des cas, une personne, mais une chose aliénable en tous points, ils seraient sans doute plus circonspects dans leurs déclamations et dans leurs désirs. Je me crois donc bien autorisé à dire que, par ses doctrines, le xviii6 siècle surtout, a été pour la France une source de té¬ nèbres autant que de lumières. L'obscurité qu'il a répandue a été d'autant plus dangereuse, que les rayons lumineux, qui lui ont servi d'auréole, ont été comme des rayons de soleil qui brûlent et dessèchent ce qu'ils éclairent, parce qu'ils n'arrivent sur le sol qu'en traversant une nuée orageuse qui les concentre à la manière d'une lentille convergente. La philosophie sceptique de cette époque a engendré la phi¬ losophie matérialiste de la nôtre, et l'homme, perdant de plus en plus le sentiment de sa véritable* noblesse et de sa propre di¬ gnité, en est venu jusqu'à vouloir se considérer comme un singe transformé. Le développement des doctrines simianes combinées avec celles d'une certaine école d'économie politique et sociale favo¬ riseraient trop les plus mauvaises passions de l'homme, pour ne pas trouver des échos faciles dans les cœurs faibles ou cor¬ rompus. C'est donc à elles qu'il faut en grande partie rattacher la dépopulation de la France, l'abâtardissement de notre race, que l'on me pardonne l'expression. Le mal, grandissant toujours, a dû attirer l'attention du gouvernement et des académies à ce point, qu'ordre a été donné pour étudier les causes de la grande mortalité des nourrissons, pour abaisser le niveau de la taille des soldats et diminuer le nombre des cas de réforme. Comme on le voit, la centralisation unie aux doctrines de Voltaire et de ses adeptes ont réellement affaibli en nous nos forces physiques et morales, en détruisant les nobles s itiments qui font le dévouement, le patriotisme, pour n'y subs tuer que l'égoïsme matériel le plus mesquin et le plus bject. VI. Comme un malheur en attire un autre, la conscription, cette école pratique de l'immoralité et du far niente, se prêtait trop bien à l'accomplissement des besoins de la centralisation, pour — to — n'être pas mise en pratique : et c'est elle qui en a couronné l'œuvre. Par elle, l'élite de la jeunesse se trouva réduite à la plus dégradante servitude; et l'horreur qu'elle inspira dès le principe dut être tempérée par un moyen plus déplorable en¬ core : le remplacement militaire. En face de ce trafic honteux qui rappelait l'immoralité des plus mauvais temps de l'antique servitude païenne, quel père de famille honnête n'aurait pas sacrifié jusqu'à son dernier de¬ nier pour préserver son fils du contact impur de la marchan¬ dise humaine, qui pouvait lui être imposée comme instruc¬ teur, ou avec laquelle il devait nécessairement vivre en cama¬ rade et en frère ? Aussi, Dieu a-t-il châtié la France d'une manière terrible en l'obligeant d'enterrer dans Sedan cette ignoble et infernale ins¬ titution. Espérons qu'elle ne se relèvera jamais ; et le lecteur me saura gré d'arrêter ici mes tristes, mais trop justes réflexions, par respect pour l'armée réellement française que l'on me permettra de 11e pas confondre avec les phalanges fournies par les mar¬ chands d'hommes. Je veux me taire encore sur les trahisons si profondément humiliantes et désastreuses dont nous avons été les malheureux témoins, parce que mon but est de verser un baume sur les plaies trop vives de mon pays, et non de les irriter. Mais on reconnaîtra que l'organisation militaire de la France avait contre elle : 1° de n'offrir en temps de paix que trop d'officiers dont la vie se partageait entre les cafés, les jeux et les intrigues immo¬ rales, et 2° de donner comme soldats un nombre considérable de ces hommes qui se vendaient pour dépenser le prix de leur marché de la manière la plus révoltante pour les mœurs, même avant leur entrée au service. Ah ! je le demande : quel patriotisme et quel dévouement pouvait-on espérer avec de tels éléments ? Comment le Dieu des combats, le Dieu des armées aurait-il pu les bénir? Ce n'est point ainsi que doit être représentée et — 11 — défendue cette France chevaleresque et noble qui a mérité le titre glorieux de fille aînée de l'Eglise. VII. S'il me fallait démontrer par les faits les plus authentiques, la réalité de ce qui précède, mon seul souci serait causé par l'embarras du choix, et je pourrais trop facilement rassembler en ce sens, les matériaux de plusieurs gros volumes. L'avidité d'un certain public pour les choses scandaleuses assurerait, à n'en pas douter, leur succès: mais ils se prêteraient mal à l'œuvre de conciliation que je poursuis. C'est pourquoi j'aime¬ rais mieux voir mon travail voué à l'oubli le plus complet que de conquérir une réputation peut-être brillante, mais qui pourrait me laisser des regrets. Pour l'instant, je résumerai donc tout ce que j'ai dit, pour en faire ressortir que c'est bien l'excès de la centralisation qui a réduit la France à la plus dure des servitudes ; que c'est elle qui l'a démoralisée par la facilité avec laquelle elle a autorisé la propagation des doctrines subversives, immorales et impies; que c'est elle qui a établi la conscription et le remplacement militaire, au moyen desquels notre armée mal composée a été ensuite confiée à des chefs indignes dont, en temps de paix, la vie est plutôt celle des sybarites que des gens de guerre; et, comme conclusion, j'ajouterai que dans l'état actuel des choses, aucune forme de gouvernement, République, Empire ou Royauté, ne peut être assurée du lendemain, et encore moins assurer la prospérité de la France. Voilà donc le mal établi en peu de mots. Quel pourrait en être le remède, c'est maintenant ce que je me propose de re¬ chercher et d'étudier avec le lecteur. DEUXIÈME PARTIE Lorsqu'on veut être médecin, il faut commencer par l'étude de l'organisation humaine au triple point de vue de l'anatomie, de la physiologie et de ia pathologie, avant de se livrer à la thérapeutique. Or, une nation est un tout complexe comme l'in¬ dividu et, pour la comprendre, il n'est que trop juste d'en con¬ naître aussi l'anatomie, la physiologie et la pathologie. Entrons en matière. II. La famille est la pierre fondamentale de la commune. — La commune doit s'administrer elle-même. — C'est un droit inaliénable et imprescriptible. Une nation commence tout naturellement par la famille. Celle-ci a un chef qui n'est point le résultat de l'élection de la part des membres dont elle le compose, mais qui est imposé par la nature, si vous le voulez, et moi je dirai par Dieu. N'allez pas, cher lecteur, vous effaroucher trop vite et penser que je ne vais que reprendre la théorie du droit divin. Ce que je veux, c'est l'ordre, la prospérité et le bonheur de mon pays, tels que je les crois possibles et facilement réalisables par tous les moyens honnêtes. C'est donc aux honnêtes gens que je m'adresse, c'est à leur bonne foi, à leur coeur, à leur âme, au nom de tout ce qu'il y a de plus sacré sur la terre, c'est-à-dire au nom de la Patrie. Dieu et Patrie, disaient nos pères; ne crai¬ gnons pas de le répéter avec eux et après eux. Reprenons l'étude de la famille. — Dans le principe, deux membres seuls la représentent : le père et la mère ; et le père en est le chef, la mère, le ministre. Des enfants lui sont succes¬ sivement ajoutés ; ils grandissent et, qui plus tôt qui plus tard, - 14 — deviennent chefs ou ministres d'autres familles selon leur sexe. Ces familles nouvelles ont entr'elles des communautés d'intérêts et des intérêts privés, et c'est dans cet ensemble que se forme la commune. III. Nous remarquerons d'abord que tant que la famille est une, il n'y a en réalité qu'une seule nature d'intérêts, qui tous sont confiés à la garde du père et de la mère, celle-ci placée elle-même sous l'autorité de son mari. Dans ce milieu, le père règne, commande et gouverne en roi, et il n'est permis à aucune intervention étrangère de s'immiscer dans le gouvernement in¬ térieur d'une famille, sans commettre un crime. Le mariage des enfants n'enlève rien à l'autorité primitive du père et de la mère ; seulement, il s'établit entre les membres des familles nouvelles des intérêts nouveaux, des relations nouvelles qui, dans l'ordre naturel, ressortissent tous de la juridiction du père. Toute dérogation à ces principes accuserait déjà un désordre et l'oubli des devoirs les plus sacrés, des droits les plus imprescrip¬ tibles. Ces familles naturellement placées dans une communauté d'intérêts, sont à mes yeux l'origine et la photographie la plus vraie de la commune. La commune n'a donc, naturellement parlant, besoin d'aucune intervention étrangère pour connaître, discuter et régler ses propres affaires. Tant que le maire et l'adjoint, qui ne sont autres que le père et la mère, existent, ils peuvent exercer leurs droits légitimes et inaliénables. Mais il arrive un moment où le chef meurt ; la communauté qui lui était soumise, se réunit alors, et dans un conseil qu'elle forme, elle nomme celui d'entre ses membres qui lui paraît le plus propre à régler et à défendre les intérêts communs. Cette tâche incombait presque toujours à l'aîné par plusieurs raisons. La première, c'est qu'il était le plus souvent désigné par le — 15 — père, comme son successeur légitime et comme le continuateur naturel d'une autorité à laquelle il l'avait souvent associé de son vivant; la seconde parce que, plus âgé que les autres, son expérience, sa sagesse devaient offrir plus de garanties et par suite inspirer à tous plus de respect et de soumission. Ici, la commune est complète; que le maire soit élu du con¬ sentement libre de tous, qu'il continue à exercer l'autorité que lui a léguée son père par testament, on reconnaîtra que sous tous les rapports, cette autorité est la plus sacrée, la plus légitime que l'on puisse imaginer, et que ce serait un véritable sacrilège que d'y porter atteinte. De ce qui précède, je dois conclure naturellement que la com¬ mune a le droit inaliénable et imprescriptible de régler ses propres affaires par elle-même, en tant qu'elle ne s'occupe que d'elle-même et qu'il ne s'agit que d'elle. A. Donc je dirai : La liberté communale est la première règle d'une bonne organisation sociale. Intervenir, c'est la troubler, c'est la désorganiser, c'est semer l'anarchie dans son sein, et attirer sur elle tous les malheurs. IV. DE LA PROVINCE. La province est l'extension de la commune. Elle est le moyen de régler les intérêts intercommunaux qui sont dans sa circons¬ cription. Elle est, comme la commune, libre naturellement, et ses droits ne sont ni moins inaliénables, ni moins imprescriptibles que ceux de la commune. Ce que j'ai dit de la commune est très-suffisant pour faire comprendre comment les familles, en se multipliant et n'ayant que des rapports d'intérêts de plus en plus rares, il a dû s'établir des communes distinctes les unes des autres, mais voisines. Plus tard enfin, par suite de cet accroisse¬ ment progressif des populations, les relations et les intérêts de¬ vinrent de moins en moins directs, sans toutefois cesser d'exister, — 16 — et c'est ainsi que se forma la contrée ou province, qui unissait entr'elles des communes ayant une même origine et des rela¬ tions de voisinage, de parenté, d'alliance et de commerce plus ou moins étroites. Or, l'ordre et les besoins flrent sentir tout naturellement la né¬ cessité de maintenir l'union entre les diverses communes d'une province, et l'on dut procéder pour en maintenir l'harmonie comme on l'avait fait pour la maintenir dans les communes. L'élection d'un conseil et d'un chef fut une nécessité à laquelle on dut se soumettre. Et dès lors que ce chef une fois élu eut été établi régulièrement, son autorité était de la plus évidente légitimité. C'eût été commettre un crime que de ne pas la respecter et d'y porter atteinte. Un conseil attaché au chef de la province devint en outre pour tous une garantie contre ses égarements ou son inexpé¬ rience. Dans cet ordre d'idées, la province, comme la commune, doit être sacrée, c'est-à-dire libre de connaître et de régler ses propres affaires, en tant qu'elle ne s'occupe que des intérêts entre les communes de sa circonscription et qu'il ne s'agit que d'eux. Intervenir dans la province, en ce sens, serait à mes yeux un crime plus grand encore que pour la commune, parce qu'avec les mêmes droits et la même autorité que celle-ci, elle a des intérêts plus complexes et qui exigent une grande somme d'in¬ dépendance. D. Donc, dirai-je encore, la liberté provinciale est la seconde règle d'une bonne organisation sociale. Intervenir, c'est la trou¬ bler, c'est la désorganiser, c'est semer l'anarchie dans son sein, et attirer sur elle toutes sortes de malheurs. -17 — V. DE LA NATION. La nation est l'extension de la province. Elle est le moyen de régler les intérêts interprovinciaux. Elle doit, comme la com¬ mune, comme la province, rester libre. Ses droits, comme ceux de la commune et de la province, ne sont ni moins imprescrip¬ tibles, ni moins inaliénables. En poursuivant l'ordre d'idées dans lequel je vous sers de guide, mon cher lecteur, vous remarquerez, tout aussi bien que moi, que l'augmentation de la population a dû produire sur la province les mômes effets que sur la commune, c'est-à-dire que des rapports plus fréquents et plus directs unirent certaines régions entr'elles et furent l'origine des différentes provinces, qui se séparèrent ainsi insensiblement des provinces avec les¬ quelles les relations devenaient de plus en plus rares. Cependant il en existait encore, et les provinces durent s'en¬ tendre entr'elles pour connaître, défendre et régler les intérêts qui leur étaient communs. Il fallut donc de nouveau élire un conseil supérieur dans ce but, lui donner un chef qui étendît sa juridiction sur toutes les provinces, ce qui fut pour la nation une chose aussi naturelle que pour la province et la com¬ mune. Ce chef, ainsi établi, fut donc réellement investi d'une autorité aussi légitime et aussi respectable que celle du père de famille qu'il représentait et dont il tenait la place pour tout un pays, auquel nous donnons le nom de nation. Je laisse pour l'instant de côté le titre dont il vous plaira d'honorer ce personnage éminent, mais ce que j'affirme, c'est qu'il a droit à un respect exceptionnel, et que méconnaître son autorité est un crime de la plus grande gravité. Le parlement national, à la tête duquel il est placé, doit, comme le parlement provincial et communal, être également sacré, c'est-à-dire libre de connaître et de régler ses propres — 18 — affaires, en tant qu'il ne s'occupe que des intérêts entre les diffé¬ rentes provinces dont se compose la nation, et qu'il ne s'agit que d'eux. Intervenir dans ce sens dans le parlement national est un crime, qui est proportionnel à l'autorité qu'il attaque et à la grandeur des intérêts qu'il compromet. C. Donc, la liberté nationale est la troisième règle d'une bonne organisation sociale. Intervenir, c'est la troubler, la dé¬ sorganiser, c'est semer l'anarchie dans son sein et attirer sur elle toutes sortes de malheurs. VI. Pour résumer ce qui précède je dirai : 1° La commune règle les rapports entre les familles. 2° La province règle les rapports entre les communes. 3° Le parlement national règle les rapports entre les provinces. Telle est, à mon avis, la première réforme à établir en France pour faire revivre la liberté par le respect de l'autorité et le respect de l'autorité par la liberté. VII. Vous me direz sans doute, cher lecteur, qu'en théorie je parle comme un livre, mais que dans la pratique les choses sont loin d'avoir la simplicité avec laquelle je les présente. Oui, vous ré- pondrai-je, la pratique a ses âifBcultés, et ce serait faire preuve d'une grande inexpérience que de ne pas en tenir compte. Mais, j'ajouterai, qu'à mon avis, on est souvent trop porté à s'exagérer les obstacles. Ainsi, il est parfaitement vrai que la commune, la province et la nation ne sont pas constituées avec les seuls élé¬ ments dont j'ai parlé. Les relations commerciales, industrielles, les sciences, les arts, les révolutions et mille autres causes sont venues et viennent encore apporter leur contingent plus ou moins important d'éléments hétérogènes. Par conséquent, les ca¬ ractères, les habitudes et les mœurs en subissent l'influence et — 19 — tendent à se modifier de plus en plus. Soit ; mais cela ne chan¬ gera rien au fond de la question, parce que, si l'étranger qui s'implante dans notre pays nous transmet quelques-uns de ses usages, il a beaucoup plus de tendance à se conformer aux nôtres, et avant d'obtenir ses lettres de naturalisation, il a fallu qu'il s'identifiât avec nos coutumes et nos lois , qu'il consentît à être un des nôtres, et ce n'est pas nous qui nous sommes con¬ vertis pour lui ressembler, mais bien lui, au contraire, pour nous faire oublier son hétérogénéité. Donc, après tout, je puis maintenir et étudier la commune, la province et la nation absolument comme si elles s'étaient for¬ mées telles que je les ai décrites plus haut. Et cela est d'autant plus vrai que c'est en Bretagne que vous trouverez les usages, les goûts et le langage bretons, de même que l'Auvergne est en¬ core le pays où l'on pourra le mieux reconnaître le caractère auvergnat. Vous trouverez encore, sans sortir de France, des dif¬ férences qui sont plus que séculaires et qui ne vous permettront jamais de confondre le Flamand avec le Marseillais et le Pro¬ vençal. Dans toute nation d'une certaine étendue, il y a des lignes naturelles de démarcation entre les habitants du nord et du sud, de l'est et de l'ouest. Plusieurs causes expliquent les différences que l'on remarque. D'abord, chaque province particulière a pour elle un type originel qu'elle aime à conserver; le Normand, le Breton, le Marseillais et le Gascon en sont des exemples. En se¬ cond lieu, les alliances, les liens de parenté, la communauté des intérêts, etc., rendent presque tous les habitants d'une région limitée, solidaires les uns des autres. 11 faut ensuite tenir compte de la position géographique, des produits du sol, des industries spéciales, des relations naturelles de voisinage, etc., qui sont autant de motifs pour respecter les limites naturelles d'une pro¬ vince. Aussi, je ne craindrai pas de dire que la division de la France en départements, telle qu'elle existe aujourd'hui, a été un con¬ tre-sens et un malheur qui ne pouvaient profiter qu'à la centra¬ lisation, cause principale de nos revers. — 20 — Or, je le demande, où serait la grande difficulté pour rendre aux provinces anciennes de France leur autonomie ? Il me semble qu'il devait être bien plus scabreux de les en dépouiller, pour les morceler arbitrairement et leur ravir jusqu'aux souve¬ nirs de leurs ancêtres. Il n'a fallu rien moins que le désir brû¬ lant de la France d'avoir la paix et d'arrêter l'activité infernale de l'échafaud de 93, pour accepter un tel bouleversement. Cette dissection de la France a été pour elle, comme cela arrive pour le pain que l'on émiette : elle a détruit la cohésion qui en faisait la belle France, la France noble, chevaleresque, l'illustre fille aînée de l'Eglise. Elle a ravi chaque enfant à sa mère, et celui-ci, ne retrouvant plus les traces de ses aïeux, s'est trouvé comme un étranger sur sa terre natale qu'il ne reconnaissait plus. La désertion du sol natal donne l'esprit d'aventure, et le patrio¬ tisme, pourquoi ne le dirai-je pas, s'évapore, comme le parfum d'une fleur que l'on a détachée de sa tige. J'affirme donc, dans ma conviction la plus profonde, que la division actuelle de la France en départements a beaucoup affaibli en nous les senti¬ ments patriotiques. Pro aris et Focis, disaient nos pères. Rétablissons donc le clocher du village et le foyer de nos pères, et nous retrouverons comme eux cet amour sacré de la patrie qui ne permettra plus le retour de cette profanation des tombeaux de nos ancêtres, que nous fait subir l'invasion alle¬ mande. Oui, cher lecteur, je voudrais pouvoir du fond de mon âme le dire à tous les enfants de ma patrie, afin qu'il n'y ait plus en France qu'un cri : Soyons Français et non cosmopolites... VIII. Je vous crois, bien aimé lecteur, assez convaincu, dans votre for intérieur des vérités que je viens de vous rappeler ; mais sur votre front rembruni je remarque quelques rides verticales qui - 21 — trahissent une crainte chimérique. Le croque-mitaine fantasma¬ gorique de la féodalité viendrait-il, sans motif, causer le trouble subit que je remarque en vous? Permettez-moi de vous rassurer, en vous disant que je ne crois guère aux revenants, et sans me donner comme un esprit fort, je veux que vous soyez convaincu que si j'ai pris la plume pour combattre les abus du présent, ce n'est point pour faire revivre les abus du passé. Soyez indulgent jusqu'au bout, cher et bien aimé lecteur; et vous me rendrez cette justice que, s'il y a erreur dans ce que je dis, l'erreur est d'autant plus pardonnable que j'ai pris pour devise ces mots que vous connaissez déjà : Rétablir la liberté par le respect de l'autorité, et le respect de l'autorité par la liberté. Donc, rendre l'autonomie aux provinces et aux communes ne devra pas avoir sous ma plume d'autre signification que le sens même, et le sens le plus naturel des mots dont je me sers. Or, afin que votre conscience soit aussi bien éclairée que mes forces me permettent de le faire, je vais commencer avec vous l'étude des moyens pratiques pour le système dont je viens de tracer l'ébauche théorique. IX. DE LA COMMUNE. Dans la commune il y a deux choses à considérer: 1° les intérêts particuliers de la commune, qui n'intéressent que ses habitants; 2° les intérêts qui lui sont communs, soit avec les voisins, soit avec toute la province, soit enfin avec la nation. De là, deux sortes de rapports qu'il faut rigoureusement séparer : Dans la première catégorie sont les élections du Conseil muni¬ cipal, du Maire et de ses adjoints, autrement dit, du Parlement communal. Le vote universel ayant pour bases : 1° d'être réellement un — 22 — habitant de la commune, c'est-à-dire, y avoir acquis le droit-de domicile, 2° de savoir lire et écrire, 3° de n'avoir pas d'antécé¬ dents judiciaires, sera affecté à l'élection du Conseil municipal. Dans une commune chacun se connaît; tous les habitants, à peu de chose près, sont ou parents ou alliés, et ont, dans tous les cas, des intérêts similaires qui les rendent en quelque sorte solidaires les uns des autres. S'ils se connaissent tous, ils sauront naturellement mieux que personne choisir les plus dignes et les plus capables d'entr'eux pour veiller à leurs intérêts communs. Ce choix sera d'autant plus sincère, que nulle influence étian- gère n'aura intérêt, et encore moins le droit de les troubler par une intervention inopportune et dangereuse. A.. — Donc l'élection du Conseil municipal doit être absolu¬ ment libre de la part de la commune. Ainsi sorti de l'élection, le Conseil est tout naturellement l'élite de la commune. Cette considération me fait dire que, pour rester logique et ne pas être injuste, il appartient nécessairement au Conseil municipal de choisir son bureau, c'est-à-dire : le Maire, les adjoints, qui seront en quelque sorte l'élite de l'élite de la commune. Jamais, on en conviendra, les intérêts d'une commune ne seront mieux connus, mieux appréciés, mieux défendus que par une magistrature honoraire ainsi constituée; jamais autorité n'aura été ni plus légitime ni plus naturelle. Intervenir par une voie étrangère, pour y substituer l'arbitraire, nomination du Maire et des adjoints par un Préfet, ou par le chef de l'Etat, est un crime et un abus de pouvoir impardonnables. Aussi, le crime que je flétris est-il un des innombrables abus de la centralisation que je combats. La seule chose nécessaire pour les intérêts de la Province et de la Nation, c'est d'être informées du résultat des élections, afin d'en connaître les membres, pour pouvoir traiter des affaires mixtes de la Province et de l'Etat. Dans cet d'ordre idées, la commune est une personne civile et majeure, c'est-à-dire s'administrant complètement, c'est-à-dire — 23 - encore, pouvant recevoir, acquérir, aliéner sans entrave tout ce qui est sa chose, sans avoir besoin ni d'autorisation, ni de contrôles étrangers. S'il y a des abus, c'est aux tribunaux ordinaires d'en juger, c'est à eux que l'on doit recourir, de la même manière et dans les mêmes formes que deux personnes civiles peuvent procéder entr'elles. De là, il résulte que la commune élève son clocher, bâtit sa mairie, sa maison d'école, choisit son personnel comme il lui plaît, sans que oncque au monde puisse y trouver mal. En un mot, elle est maîtresse chez elle, en tout ce qui ne regarde qu'elle-même, et tant que ses intérêts n'ont rien de commun soit avec les communes voisines, soit avec la province, soit avec l'état. Ceci est pratique par excellence, ce me semble, ce n'est ni moins simple, ni moins juste, puisque la commune tout entière rentre dans le droit commun. X. DE LA COMMUNE DANS SES RAPPORTS AVEC SES VOISINS, AVEC LA PROVINCE ET AVEC L'ÉTAT. Si la commune doit être majeure, et, comme telle, si elle a le droit de se gouverner par elle-même, et de défendre ses intérêts particuliers, de même que le simple citoyen, elle cesse d'être omnipotente lorsque ses intérêts se trouvent mêlés soit avec ceux de la Province, soit avec ceux de l'Etat. 1° Dans ses rapports de voisinage, par exemple, comme dans toutes les questions d'intérêts analogues, où il faudrait savoir quelle part lui revient dans les produits d'un terrain commun avec une autre, ou d'un bois, ou enfin d'établir leurs limites respectives, les tribunaux ordinaires seuls ont le droit d'inter¬ venir et de décider de la même manière et dans les mêmes formes que pour les simples particuliers; mais on comprend déjà qu'alors, ni l'une ni l'autre de deux ou même de plusieurs - 24 — communes, qui seraient en contestation ne peut être juge dans sa propre cause. La règle pour elles est donc simplement la règle du droit commun. Dans ces circonstances le Maire, assisté du Conseil muni¬ cipal ou autorisé par lui, agit au nom de la commune et la re¬ présente. 2° En dehors de ces circonstances, il y a des intérêts d'un autre ordre, tels que l'établissement et l'entretien des chemins vicinaux de grande communication et autres, l'établissement des impôts de la province et de l'Etat, et en général pour toutes les questions qui comprennent la province ou l'Etat, dans les¬ quelles la commune a le droit d'intervenir comme partie inté¬ ressée. On conçoit dès lors la nécessité d'établir des règles nou¬ velles appropriées à toutes ces circonstances. Dans ce cas, la commune a, comme le simple citoyen, encore des droits à exercer et des devoirs à remplir, dont il faut faire la part. Voici maintenant comment je comprends les uns et les autres. Nous avons déjà vu que la province était par rapport aux communes, ce que celles-ci sont par rapport aux familles. Or, les familles ont élu un conseil qui les représente et qui doit être considéré comme ce qu'elles ont de plus honorable et de plus capable parmi elles; ce conseil est chargé de tous leurs intérêts. Ce conseil, à son tour, s'est choisi dans son sein des hommes spé¬ ciaux pour défendre constamment les intérêts journaliers delà commune. Le Maire veille au bon ordre, à la police, à la sûreté de la commune dont il est le père adoptif. L'adjoint ou les adjoints sont ses aides naturels et de tous les instants ; ils sont pour lui ce qu'est la mère de famille auprès du père, et enfin ils sont secondés les uns et les autres dans les questions les plus graves par le conseil tout entier qui se réunit périodiquement. Mais on comprend qu'une tâche semblable demande beaucoup de temps, nécessite continuellement la présence du Maire dans le sein même de la commune. Or, celle-ci a au dehors des inté- - 25 - rêts à défendre qui exigent un déplacement plus ou moins long et onéreux ; il faut donc aviser aux moyens propres à ré¬ pondre à ces conditions nouvelles de son existence. Et bien, c'est par l'élection encore qu'un ou plusieurs délégués de la commune seront chargés de la représenter auprès du con¬ seil provincial. Faut-il dans celte élection faire intervenir toute la commune, ou bien le conseil municipal choisira-t-il dans son sein les délégués pour représenter la commune au parlement provin¬ cial ? L'un et l'autre de ces deux modes, de prime abord, paraissent bons. Cependant, je dirai franchement que je préférerais le se¬ cond, et voici pourquoi : Nous avons vu que le conseil formait l'élite de la commune, que c'était lui qui connaissait le mieux ses besoins et qui était le plus apte à les défendre ; or, quel inconvénient verrait-on à le charger de prendre dans son sein des délégués pour le repré¬ senter au conseil provincial ? Pourquoi dérangerait-on inutile¬ ment les familles pour élire elles-mêmes ces délégués ? Indé¬ pendamment du mouvement insolite que produisent toujours des élections, j'y vois plus de dommages que de profits, et j'a¬ joute que l'on commet une inconséquence grave. En effet, si le conseil a la confiance de la commune pour défendre ses intérêts les plus chers et les plus directs, pourquoi ne la mériterait-il plus pour des intérêts moins directs et plus étrangers aux familles ? Donc, je voudrais que le conseil provincial ou le parlement provincial, fût nommé par les conseils municipaux, et ses mem¬ bres pris dans le sein même de ces conseils. Les représentants seraient élus en nombre proportionnel à la population et à l'im¬ portance des communes, dont plusieurs pourraient être réunies pour former une circonscription électorale. Ainsi, par exemple, admettons que dans les parlements pro¬ vinciaux il y ait un membre à élire par 10,000 habitants; et voici trois petites communes dont l'une compte 3,000 habitants, — 26 - la seconde 2,000 et la troisième 5,000. Ces communes, qui sont voisines, et qui ont des intérêts à peu près identiques, réuni¬ raient ensemble leurs conseils municipaux, et dans cette réunion commune sortirait du scrutin, à une majorité absolue, le membre chargé de les représenter toutes les trois au parlement provin¬ cial. Par contre, une commune de 20,000 âmes aurait à elle seule deux membres à élire, ou plutôt son conseil muni¬ cipal aurait à choisir dans son sein deux représentants de ce conseil. Par ce système, l'agitation et les moyens de corruption si faciles auprès de la foule, souvent trop crédule, seraient d'autant moins à craindre que les membres nommés auraient à rendre compte de leurs actes directement à ceux qui les auraient en¬ voyés avec pleine connaissance de cause. On verrait ainsi cesser cette mendicité publique et scandaleuse de suffrages extorqués au moyen de promesses mensongères, de libations honteuses. De plus, parce que toutes ces fonctions devraient être gra¬ tuites, les élus gagneraient considérablement en dignité et en indépendance. Ils seraient donc plus respectés, ce qui serait un pas déplus vers l'ordre. XI. DU PARLEMENT PROVINCIAL. Son organisation et son fonctionnement. Le parlement provincial étant, comme nous l'avons vu, com¬ posé des délégués des conseils municipaux ou parlements muni¬ cipaux, devrait en suivre les errements et se constituer de la même manière. C'est ainsi qu'il élirait lui-même librement son bureau, qui serait composé d'un maire provincial et d'adjoints. De plus, à cause de l'importance et de la spécialité des intérêts à sauve¬ garder. afin d'éviter les lenteurs et les attermoiements, une — 27 — commission permanente, prise toujours dans le sein même du parlement et par la voie de l'élection, leur serait annexée ; enfin, comme pour les parlements municipaux, il y aurait à la pro¬ vince des réunions périodiques et régulières de tout le con¬ seil. Le maire provincial serait donc le gouverneur naturel de la province, sorti ainsi du suffrage universel échelonné; il offrirait donc aux populations de chaque province toutes les garanties d'indépendance, d'honorabilité et de capacité désirables. Dans ce système, vous reconnaîtrez, cher et bien-aimé lecteur, que tout est simple et pratique, que le gouvernement n'est pas intervenu, et que je lui refuse de la manière la plus absolue le droit d'intervention. La corruption, n'ayant pas de raison d'être, ne serait donc ni facile ni heureuse. D'ailleurs, il convient de remarquer que les membres du gouvernement provincial, ayant à rendre compte aux parlements municipaux de tous leurs actes, cesseraient bientôt d'être maintenus par ces derniers, s'il arrivait qu'ils oubliassent de remplir honorablement leurs mandats, et l'élec¬ tion la plus prochaine en ferait justice. 11 en serait de même des membres des parlements communaux vis-à-vis des familles. Celles-ci seraient donc, en réalité, les juges suprêmes et en dernier ressort de toute la représentation administrative de leur pays. Dans ses attributions le parlement provincial connaîtrait natu¬ rellement de tous les intérêts de la province. Il jugerait souverai¬ nement et en dernier ressort toutes les questions restreintes à la province elle-même ou aux communes, en dehors et à l'exclu¬ sion, bien entendu, de celles qui seraient réservées au parle¬ ment de la nation, dont nous allons étudier bientôt les attribu¬ tions. Vous aurez sans doute compris, cher et bien aimé lecteur, qu'en abolissant les départements pour y substituer l'organisation provinciale, j'ai supprimé d'un seul trait de plume une dépense budgétaire dont il imporle que. vous sachiez à peu près la valeur. - 28 — Le traitement, Préfectures et Sous-Préfectures dont le chiffre peut au minimum être porté de 15 à 20,000,000 serait une économie annuelle, dont les circonstances présentes permet¬ traient d'apprécier l'opportunité. Sur le chapitre des économies, je pourrais aller loin ; mais d'autres plus compétens et mieux en mesure que moi de se procurer les documents nécessaires pour ce travail, ne manque¬ ront pas de le faire. XII. DU PARLEMENT NATIONAL. De même que chaque parlement provincial est issu de l'élite des parlements communaux, le parlement national sera lui même l'élite des parlements provinciaux. Ceux-ci devront donc procéder de la même manière que les parlements communaux, pour l'élection du parlement national, c'est-à-dire que le scrutin désignera dans chaque parlement provincial les membres qui parmi eux devront les représenter au parlement national et le constituer : cela par des motifs qu'il semble inutile de redire. Admettons par exemple 32 parle¬ ments provinciaux devant chacun envoyer quatre députés au parlement national, nous aurons alors 128 membres pour le composer. Ces 128 membres, qui seront l'élite de la nation Française, seront par conséquent chargés de traiter toutes les grandes questions intéressant la nation tout entière, les lois générales, les traités de paix et de guerre, les impôts généraux pour l'armée, en temps de guerre comme en temps de paix, la justice, la marine, les affaires étrangères, les questions de stratégie militaire, etc., etc... Mais ils devront se borner là, c'est-à-dire respecter la liberté provinciale et communale, et ne jamais s'immiscer à l'intérieur de leur ménage, si je puis parler ce langage. — 29 — Par une exception dont vous comprendrez facilement la raison, mon cher et bien aimé lecteur, je voudrais, dans l'intérêt de la nation, que le président ou le maire du parlement national ne fut pas soumis aux éventualités des élections; voici pourquoi: les extrêmes se touchent, dit avec raison un vieux proverbe. Or, dans le principe, le père de famille qui est la première et la plus véridique représentation du maire de la commune, se trouve par les lois de la nature, et moi je vous dirai, par la volonté de Dieu, être un maire non éligible. Or, le chef d'une nation doit en être le père adoptif, s'il n'en est le père naturel, et comme tel, il doit être entouré, de l'amour du respect et de toute la vénération que l'on porte à un véritable père. Des enfants bien nés et chez lesquels on rencontre des cœurs droits, aimants et jaloux de l'accomplissement de leurs devoirs, sauront fermer les yeux sur les défauts de leur père et sembla¬ bles aux deux meilleurs des fils de Noé, ils iront à reculons jeter un manteau pour couvrir la nudité dans laquelle une imprudence a pu un instant le laisser exposé. S'il n'est pas bon de flatter les grands, il est encore pire de les faire mépriser et de les livrer à l'insulte de Cham. La bénédiction de Dieu, récom¬ pense la générosité charitable et respectueuse de Sem et de Japhet, et une malédiction terrible poursuit l'irrévérence de Cham. D'ailleurs, cher et bien aimé lecteur, ne craignez point trop les écarts d'un monarque même indigne ; si, comme j'espère vous le prouver, il est facile de lui permettre tout le bien qu'il voudra, il l'est autant de le prémunir contre ses propres égare¬ ments, en sachant l'entourer de garanties respectueuses. Vous avez dans le parlement national, qui est choisi parmi l'élite de la nation, un moyen efficace d'atteindre le double but que je vous propose. Le parlement national élira un président annuel ou triennal, ou pour le temps que vous voudrez, qui sera le premier adjoint du roi, du président de la république ou de votre gouvernement décoré de tel ou tel nom qui aura l'agrément de la majorité. Avec lui et avec.le bureau que vous choisirez, vous aurez toute - 30 - facilité pour dicter, imposer votre volonté, parce que le chef de l'Etat n'est ici que le représentant suprême de la famille na¬ tionale, dont les membres du parlement sont la plus haute ex¬ pression. Vous laissez au chef de l'Etat le choix de ses ministres, mais chacun d'eux sera directement et toujours responsable de la manière dont il exécute les volontés du parlement national, des conseils dont il entoure le chef de l'Etat, des actes qui en seront la conséquence. Les ministres seront donc justiciables du conseil ou parlement national en tout, partout et toujours. Si je couvre d'un privilège exceptionnel le chef de l'Etat, c'est que j'en fais un père, et qu'il n'est jamais permis à des enfants de traduire leur père à la barre. Les grands, croyez-le bien, cher lecteur, sont plus à plaindre qu'à condamner. Il est plus commode de les tromper en les flattant, que de les éclairer en leur montrant la vérité. Aussi, ne l'oubliez pas, car j'insiste avec raison sur ce point, c'est pour cela que je ne donne point au chef de l'Etat l'omnipotence du père, si ce n'est pour lui aplanir les voies du bien, et que je l'entoure de toute espèce de protection lorsque sa responsabilité semble vouloir s'engager. C'est pour cela qu'il n'ordonne pas les impôts, mais bien le parlement national, qu'il ne déclare pas la guerre sans l'assen¬ timent du parlement national, qu'il n'est en tout, partout et toujours que le représentant du parlement national, et qu'il n'agit qu'en son nom, parce qu'il en est la plus haute expres¬ sion comme ce parlement lui-même est la haute expression de la nation tout entière. C'est pour cela que les ministres et non le chef de l'Etat sont justiciables du parlement national, comme le parlement national à son tour est justiciable des parlements provinciaux. Chacun de ces parlements, en effet, demandera compte de sa conduite à celui qu'il aura député pour le repré¬ senter devant la nation, comme chaque membre d'un parlement provincial sera lui-même justiciable du parlement municipal — 31 — qui l'a délégué membre d'un parlement. De même enfin, chaque membre du parlement municipal sera justiciable des familles qui l'auront nommé et qui ont le droit de l'interpeller sur l'usage qu'il aura fait de son mandat. C'est pour cela qne j'ai dit qu'en dernier ressort, c'était la famille qui jugeait, approuvait ou con¬ damnait. XIII. Comme vous pouvez en juger, cher et bien-aimé lecteur, je ne vous ai soumis qu'un système libéral, et le plus libéral possible, en analysant la nation depuis la famille la plus modeste jusqu'à cette population répandue sur toute la surface de ce sol privi¬ légié que l'on appelle la France. Cette France aujourd'hui humiliée est notre mère ! Ne soyons pas des fils dénaturés, essuyons ses larmes par notre dévoue¬ ment et par le retour aux antiques vertus de nos aïeux. Ces vertus l'ont faite grande, belle et honorée, n'allons pas ajouter nous-mêmes la flétrissure à ses douleurs par des querelles intes¬ tines et par un esprit de parti qui déchire son sein, en lui impo¬ sant le plus sanglant des outrages. Que chacun parle et veuille entendre sincèrement le langage de la vérité. Là, est le salut de la France. Là, se trouve encore la tige de Jessé qui, plus verte et plus fertile que jamais, nous permettra enfin de goûter, sous son ombre, le bonheur de la vie de famille, si rare aujourd'hui et si mal apprécié. J'ai évité, vous avez pu vous en convaincre, cher lecteur, de dire un mot qui dévoilât un parti pris d'imposer une opinion à une autre. Je me suis efforcé de rappeler platoniquement et phi¬ losophiquement, comment il me semblait possible de régénérer la France de Clovis, de Charlemagne et des Croisés ; la France de saint Louis et de Henri IV. Assez de deuil, assez de troubles et de divisions intestines dont l'étranger profite seul après s'être moqué de nous. - 32 - CONCLUSION. 1° Liberté de la commune, liberté de la province, liberté de la nation, sous un chef héréditaire, voilà à mon sens le sbul moyen de nous relever. 2° Plus de conscription, tout Français est né soldat pour dé¬ fendre sa patrie. L'âge, les conditions sociales, seules, règlent la part de chacun, et que chacun doit être heureux et jaloux d'ac¬ complir loyalement, pleinement et sans restriction, mais sans quitter sa commune en temps de paix. 3° La liberté d'instruction pleine et entière, sans intervention de l'Etat. Chaque province ayant le droit de maintenir l'ordre et la moralité, son parlement devra suffire pour réprimer ce qui serait contraire aux mœurs et aux lois générales, sans jamais pouvoir intervenir pour troubler le père de famille dans le choix et la direction des études qu'il a seul le droit et le devoir de donner à ses enfants. Puisse, cher et bien-aimé lecteur, cet opuscule, dont la vente est entièrement réservée au soulagement de nos frères victimes de la guerre, trouver un écho sympathique dans vos cœurs. Puissent ces lignes, tracées dans un but de conciliation, arrêter quelques égarements, et dissiper des préjugés que la malveil¬ lance des partis se plaît trop souvent à faire naître et à entre¬ tenir dans un but que doit toujours éviter une âme honnête, un Français. * 4011 — Châlons, imprimerie Le Roï. f ¥■