露 ​- UNIVERSITY OF MICHIGAN SI QURRISPRUDENAM .J/ 3; 3,1 ss. 1812 Yorumun ARTES SCIENTIA LIBRARY VERITAS OF THE Inmn froLUKITUS mount TCEROR CIRCUMSPICES HIIDIIIII! : THE GIFT OF C.M.Burton, Esq. TINANININ Minul DO /55 ,017 DE Charling Whentarer L' Ε Τ Α T Τ.. 34121 DE LA Estonka F. R. Á Á N CE, PRÉSENT & À VENIR. Par M. DE CA L O N N E, co MINISTRE D'État. :. + Statuo efle optimè conftitutam rempublicam, quæ ex tribus generibus illis, Regali, Optimo, & Populari, confufa modicè..... Cic. Frag. de Republicâ, lib. 2. LONDRES: De l'Imprimerie de T. SPILS BURY & FILS. OCTOBRE 1790. P R É F A C E. UN Ouvrage qui traite tout ce qu'a fait d'important l'Aſſemblée des Repréſentans de la Nation, juſqu'au commencement d'Octo- bre, & qui paroît dans les quinze premiers jours du même mois, ſemble mériter le re- proche d'une compoſition trop rapide, & de n'avoir pas été autant médité que la grandeur du ſujet l'exige. Lorſqu'on me fit pareil reproche en 1787, ſur la précipitation avec laquelle des circonſtances inconnues du Public me forcèrent de rédiger les Mémoires que je donnai ſucceſſivement aux Notables affem- blés, je répondis: Liſez, & voyez ſi ce que je vous préſente ne porte pas l'empreinte de beaucoup de travail, de beaucoup de réflexions, de beaucoup de recherches antérieures. Je puis faire encore la même réponſe; & j'eſpère qu'on croira aiſément que l'étrange révolution qui s'eſt opérée dans ma Patrie, m'a trop vive- ment intéreſſé pour que je n'aie pour que je n'aie pas lu avec la plus grande attention tout ce qu'à la diſtance où je me trouve, j'ai pu recueillir ſur ce qui A [ii] s'eſt paſſé depuis dix-ſept mois į pour que je n'aie pas approfondi'avec ſoin les queſtions ma- jeures qui pendant cet eſpace ont été agitées, & tranchées d'une manière bien étonnante. Quand je n'aurois pas un grand motif perſonnel de prendre part à des événemens dont peut- ; être je ſerai réputé la cauſe première, comme ayant attiré le retour des Affemblées natio-' nales, il ſuffit d'être né François pour en être profondément ému, & continuellement oc- cupé. . A chaque circonſtance nouvelle, les penſées qu'elle me faiſoit naître, tomboient de ma plume en même tems qu'elles péné- troient mon ame; & lorſqu'à la fin j'ai pris la réſolution de les mettre au jour, je n'ai eu qu'à les rapprocher, & à y joindre ce que les plus récentés opérations de l'Aſſemblée, les états produits par ſon Comité des finances, & particulièrement ſes décrets de la fin de Sep- tembre, m'ont donné lieu d'obſerver. (*) 1 1 (*) On peut voir, par le redoublement des numéros de pluſieurs pages depuis la g6eme, que j'ai eu des arti- cles à intercaler pendant qu'on imprimoit cet ouvrage. Dans le même tems on m'en attribuoit un autre, por- tant pour titre Obſervations ſur les Finances, à l'Aſemblée, par M. de Calonne. Je crois n'avoir pas beſoin de pro- teſter que ce pamphlet n'eſt aucunement de moi. Les fontimens qui y ſont exprimés ne reſſemblent en rien t + A į iii ] On ne peut pas dire que j'aie trop d'em- preſſement à rompre le ſilence que je m'étois preſcrit depuis ma Lettre au Roi malheureuſe- ment trop prophétique. Je l'ai gardé, ce ſilence, pendant un an & demi : mais, je l'avoue, dans ces derniers momers, depuis que l'auvre indéfiniſſable qu'on appelle la nouvelle Conſtitution, eſt à-peu-près confom- mée, & auſſi depuis que je ſuis informé, comme l'eſt le Public, que dans toutes les parties du royaume le mécontentement & la fermentation, s'accroiſſant de jour en jour, peuvent éclater d'un inſtant à l'autre, & occa- fionner par la violence exceſſive de leur inévi- table exploſion, les plus funeſtes effets, j'ai cru très-preſſant d'offrir des idées qui s'éloi- gnent également des deux extrêmes, & qui me ſemblent propres à prévenir les divers écarts & les dangereux entre-chocs que pro- duiroit l'aveuglement du déſeſpoir, & la dé- route des eſprits, s'ils n'étoient point ralliés à un même point de vue, & dirigés vers un but raiſonnable. & en à ceux dont je fais profeffion: les vues ſur les finances ne s'accordent pas non plus avec les miennes; tous points la comparaiſon des deux écrits me ſervira, j'eſpère, de défaveu du premier. A 2 [ iv ] . Le mouvement que cette conſidération m'a donne s'eſt encore accéléré, lorſque j'ai appris que; loin de vouloir rendre enfin au Roi & à la Reine la liberté dont on les a indignement privés depuis un an entier, on ſembloit vouloir refferrer encore leur ſcandaleuſe & trop réelle captivité. (*) Doit-on s'étonner que j'aie conſervé un inviolable & fidèle attachement pour cét infortuné Monarque, victime de l'intention qu'il a eue de rendre ſes peuples plus heureux ; & qui, hélas ! n'a que trop de ſujet de regretter d'avoir cédé aux inftigations qui l'ont porté à me facrifier ſans me laiſſer le tems de mettre à fin une entrepriſe dont, avant de la commencer, je lui avois bien dit, & ſouvent répété, que les conſéquences dépen- dantes de la fermeté, décideroient du bonheur ou du malheur de ſon Royaume! 2 Mes yeux ſe rempliſſent de larmes chaque fois que je me retrace tout ce qu'il a ſouffert (*) Il a été écrit de Paris que ſur le bruit imagi- naire & perfidement répandu que Leurs Majeftés vou- loient ſe rendre en Normandie, on avoit oſé leur déclarer qu'il falloit qu'elles renoncaſſent au ſéjour de St. Cloud, & qu'elles revinffènt ſe renfermer dans la capitale. Elles y font revenues en effet. [ v ] à dater' de cette époque qui changea tout pour lui, & pour l'Etat entier.---La farouche & facrilège démagogie rira peut-être avec dédain impie, d'un ſentiment qui n'eſt pour- tant que celui qu'ont toujours eu les Fran- çóis . ... & qu'ils auront encore. Mais les ames honnêtes y applaudiront; & fût-il gé- néralement déſapprouvé, il ne s'éteindra en moi que par ma mort. 1 Je ne crains pas qu'on puiſſe en conclure que j'aie. une façon de penſer rampante, ou. un cæur pufillanime. J'ai toujours dit fi ou- verteinent mon avis ; j'ai affronté ſi hardi- ment, . quand il l'a fallu, les obſtacles les plus redoutés ; j'ai heurté fi directement, en plus d'une occaſion, les opinions prédominantes ; & j'ai fi conſtamment perſévéré dans ines principes depuis que j'exiſte, qu'on ne ſauroit me ſoupçonner de foibleſſe. Ceux même qui ſe glorifient d'avoir attaqué l'autorité avec vi- gueur, & foutenu la cauſe de ļa Nation ayec fermeté, ne peuvent nier qu'il n'y ait plus de courage à s'expoſer à l'animofité du peuple en combattant ſes erreurs, qu'à rechercher fa faveur en flattant les paſſions. " On ne peut pas croire non plus que je fois excité par aucun genre d'ambition ou de cu- A 3 1 [vi] A pidité. L'épreuve que j'ai faite des grandes places m'en a dégoûté pour jamais ; & la tranquillité de ma' retraite m'eſt devenue une jouiſſance fi précieuſe, que je n'aurois qu'à perdre en la compromettant. D'ailleurs, ſi fi j'avois conſulté mon intérêt propre, ne m'eût- il pas conſeillé de me détacher de ſentimens mal-récompenſés, & d'embraſſer ceux qui pouvoient me valoir, comme à tant d'autres, de la célébrité, de la popularité, des applau- diſſemens, & par-là, le dédommagement de ce que j'ai ſouffert ? Certainement, à confi- dérer les avantages que je pouvois obtenir en prenant le parti oppoſé à celui auquel j'ai tenu ſans eſpoir, & même fans poſſibilité d'aucune utilité perſonnelle, je dois paroître dupe, plutôt qu'intéreſſé. Seroit-ce donc un goût particulier pour le deſpotiſme qui dirigeroit ma plume ? Je doute que perſonne ait un pareil goût, quand il ne peut être d'aucun profit. Et comment imaginer que, du fond de l'aſile qu’un Peuple libre m'accorde, & où je ſuis réſolu de finir mes jours, puiffe ſortir le veu de voir ma Patrie dans l'eſclavage ? On ne m'en ſoupçonnera pas, quand on aura lų cet écrit en entier, [ vii]. S'il n'y a dans de pareilles interprétations de mes vues qu'invraiſemblance & abſurdité, fi ma conduite n'annonce aucune intention malhonnête, s'il eſt impoſſible de m'en ſup- poſer aucune dont j'aie à rougir, on doit croire ſans peine, ce que je proteſte avec vérité, que l'intérêt de 26 millions d'hommes qu'on précipite dans le malheur, & une loyale fidé- lité à mon Roi qu'on ne ceſſe d'outrager, font mes ſeuls mobiles. En eſt-il de plus déciſifs ? Sachant, plus que perſonne peut- être, jouir & me faire heureux, je n'expoſerois pas la certitude d'une vie douce & paiſible, pour autre motif que celui auquel nulle ame . généreuſe ne peut reſiſter, l'espoir de faire un grand bien. Je pourrois m'en flatter, fi, en préſentant des vues dignes d'être adoptées par tout être raiſonnable, je parvenois à coa- liſer les opinions des gens ſenſés; à ramener à des idées praticables, ceux qui s'égarent dans des impoſſibilités ; & à rapprocher, au- tant que faire ſe peut, ceux que l'eſprit de parti diviſe ſous tous les rapports. L Oui, fi mes efforts pouvoient être aufli efficaces que mon zèle eſt mon zèle eſt pur, ſi ma yoix pouvoit ſe faire entendre du peuple, à travers les cris fougueux qui troublent la raiſon, les Ą 4 + > 1 [ viii] plaies de la France pourroient encore ſe fer- mer ;, la tranquillité pourroit renaître ; peut-être un jour pourrois-je dire, J'ai “ contribué à ſauver mon Pays."-Pour un tel bonheur, que ne riſqueroit-on pas ! ; .& -- Nation ſpirituelle, aimable, généreuſe, à qui il ne manque que de réfléchir davan- tage! juſques à quand vous laiſſerez-vous, aveugler? Juſques à quand ſerez-vous le jouet d'une aſſociation d'intrigans, d'enthou- ſiaſtes & de dupes, qui agiſſent comme ſi, en les déléguant, vous leur aviez dit: “ Allez $& renverſez tout; faites la guerre au Roi, au Clergé, à la Nobleſſe, à la Magiſtra- “ ture, à tous les propriétaires de fonds ; ne ménagez que les capitaliſtes de Paris & « les agioteurs : du reſte, détruiſez tout fans s réſerve ; aboliſſez tous les corps & tous les engagemens contractés avec eux, tous les “ pactes des particuliers, toutes les chartres “ des provinces ; achevez d'abymer les finan- srces, & réſervez-vous de faire tomber ſur «les terres le poids d'une impoſition inſup- « portable : mais que du milieu de ces dé- 56 combres s'élève une conſtitution tellement neuve, qu'elle ne reſſemble abſolument à $. rien. Sans doute, ſongeant à ce que vous 6 [ ix ] 1 ** étiez, & à ce que vous avez fait toute votre «s vie, vous n'avez pas dû vous attendre à “ devenir en un inſtant, des légiſlateurs ſu- prêmes, des adminiſtrateurs univerſels, des “ politiques ſupérieurs à l'expérience de tous “ les âges, & des ſouverains tout-puiffans : ".eh bien ! rêvez que vous êtes tout cela ; " & que votre rêve produiſe un gouverne- ment qui n'ait aucun modèle, & ne puiſſe “ avoir aucun imitateur." Si un tel diſcours doit paroître le comble de l'extravagance, François, faut-il vous con- duire comme ſi vous l'aviez tenu? faut-il ſubir les maux qui en ſeroient les conſéquences ? faut-il périr plutôt que d'abandonner une chi-- mère, & vous laiſſer entraîner juſqu'au fond de l'abyme que des têtes exaltées ont ouvert ſous vos pas ? N'êtes-vous pas encore aſſez éclairés par le ſentiment des maux qui vous oppreſlent, pour prévoir & prévenir le fort affreux que l'anarchie vous prépare ? Peuple doux & ſenſible par caractère, mais capable par moment, de tous les excès, vous ne pou- vez pas vous reconnoître vous-mêmes dans les cruautés féroces dont les inſtigateurs d'une multitude frénétique par crédulité, ont fouillé 1 [ X ] 1 votre caractère & votre hiſtoire. Ouvrez enfin les yeux ſur vos propres intérêts, & abjurez des ſentimens qui répugnent à votre huma- nité, qui déshonorent le nom François, & qui en même tems attirent ſur vous une ſuite inépuiſable, & toujours croiſſante, de cala- mités. Reprenez les meurs qui faiſoient trouver un charme irréſiſtible à vivre au milieu de vous; reprenez votre ancienne & honora- ble fidélité pour vos Rois ; reprenez les jours ſereins & tranquilles dont vous jouiſſiez ; & ne regrettez pas les avantages qu'on fait briller à vos yeux, lorſqu'il eſt certain que tout ce qu'ils ont de réel, vous pouvez l'obtenir fans violences, fans troubles, ſans bouleverſement; &t que ce qu'on vous promet au-delà, n'eſt qu'illuſion & tromperie. Qu'il eſt funeſte l'art de tromper le peuple! & quel exécrable uſage les perturbateurs de la France n'en ont-ils, pas fait depuis un an ! 1 Ils ont d'abord déréglé toutes les têtes, par l'idée d'une égalité abſolue entre tous les hommes, qui a produit une frénéſie générale. L'Aſſemblée, en faiſant une loi de cette chi- mère philoſophique, n'a-t-elle pas à ſe repro- is 1 [ xi ] cher d'avoir mis entre les mains du peuple la coupe dangereuſe d'un breuvage inflammatoire dont elle devoit prévoir l'abus ? 1 Que de moyens coupables n'a-t-on pas enſuite employés pour alimenter & accroître la fermentation populaire ! On s'eſt ſervi de la crainte d'une diſette, tantôt réellement menaçante, tantôt factice, pour exciter, à volonté, les alarmes & le déſeſpoir. En préſentant ſans ceſſe à la multitude, deş peintures du deſpotiſme, exaggérées en elles- mêmes, & inapplicables au préſent règne, on dérobe à ſes regards; un tableau bien plus rapproché de la ſituation actuelle, celui des terribles effets de l'anarchie. pour l'étour- Pour animer le peuple contre ceux de qui le luxe même l'aidoit à vivre, & dir ſur le coup fatal que leur émigration porte aux principes de fa ſubſiſtance, on l'entretient continuellement de conſpirations imaginaires, attribuées aux premiers Ordres de l'Etat; on lui fait enviſager comme autant d'oppreſſeurs 1 1 1 1 { xii ] acharnés à la ruine, les Grands du royaume, les Miniſtres de l'Egliſe, les Magiſtrats, tous ceux enfin qui, étant encore attachés au Roi, ſont déſignés par le nom d'Ariſtocrates ; & l'abſurdité de la calomnieva, juſqu'à leur imputer les forfaits même que l'on commet contre eux. Ce malheureux peuple, charmé de n’en- tendre parler que de ſes droits, que de fa ſouveraineté, que des trophées de fa liberté reconquiſe, nomme ſes défenſeurs, ceux qui ſe jouent de ſa crédulité; eſt plus touché de leurs magnifiques promeſſes que de ſes ſouf- frances journalières, & ſe laiſſe aiſément per- ſuader qu'avec encore un peu de tems il verra ſes maux ſe convertir en des biens infinis, 8 la proſpérité publique ſortir rayonnante des ruines de la Monarchie. On lui fait attendre que c'eſt pour aſſurer le règne de la Liberté, qu'il a fallu établir le règne de l'Inquiſition ; que le décret qui porte que tout citoyen peut parler, écrire, & imprimer librement, ne doit pas mettre à l'abri des pourſuites les plus vexatoires, quiconque agit, parle, ou écrit autrement que le parti 1 [ xiii) démagogue ; que la libre communication des penſées ne doit pas empêcher qu'on ne viole, plus qu'on n'avoit jamais fait, le ſecret des lettres ; & pour faire jouir les Fran- çois de leur liberté, qu'après avoir forgé le délit arbitraire de lèſe-nation, on a créé un Comité pour en faire la recherche, & une Commiflion pour le juger. que c'eſt } pour la liberté 1 C'eſt en parlant ſans ceſſe de liberté qu'on a fait revivre de nos jours, les profcriptions des Marius & des Scylla, les délations des Nérons & des Tibères, les abominations des ſiècles les plus barbares ! c'eſt que le Roi & la Reine, arrachés de leur palais à travers les corps ſanglans de leurs gardes maſſacrés ſous leurs yeux, font retenus priſonniers dans leur capitale ! c'eſt pour la liberté que le plus grand nombre des Princes du Sang Royal, les familles les plus illuſtres du Royaume, & plus de deux cents mille citoyens, ont été contraints de s'expatrier ! enfin, des aſſaſſinats innombrables & impunis, des dévaſtations renouvelées à chaque inſtant d'un bout du Royaume à l'autre, l'effroi con- tinuel qu'inſpire la licence d'un brigandage effréné, & tous les excès que produit la tyran- ! G : [ xiv ] 1 nie populaire, ce ſont les prémices, ce ſont les appuis de cette liberté renaiſſante qui exalte toutes les têtes ! N'a-t-on pas vu dans tous les ſiècles, ces grands mots de LIBERTÉ, de PATRIOTISME, & d’INTÉRÊT NATIONAL, ſervir de prétexte & de voile aux crimes les plus atroces ? Tou- jours inſcrits en gros caractères ſur les éten- darts des révolutions les plus ſéditieuſes, ils faſcinent pendant un tems les yeux de la mul- titude : mais bientôt la misère qui marche après eux, détruit le preſtige. A l'attrait que les premiers momens du déſordre ont ordinairement pour le peuple, ſuccèdent des retours amers de réflexion'; & les cruautés qu’un délire brûlant fait conimettre, laiſſent à leur ſuite, des friffonnemens d'horreur, des ſentimens de honte, & des remords. Les moteurs du trouble, qui favent ce qu'ils au- roient à craindre de ce même peuple, s'il venoit à ſe refroidir, à penſer, à regarder autour de lui, ont ſoin de raffermir ſa fureur & d'épaiſſir ſon aveuglement, tantôt en ſup- poſant la découverte d'un nouveau complot de contre-révolution, tantôt en rejetant ſur la né- ceffité de ſubir une grande régénération, cette [ Xv ] foule d'atrocités qu'ils traitent de malheurs politiques, & qu'ils ofent excuſer en deman- dant froidement fi la quantité de ſang qu'il a fallu répandre, égali la meſure des avantages qu'on doit eſpérer. I Queſtion atroce! J'y réponds par cet écrit. Il eſt tems, il eſt plus que tems de détromper le peuple : je lui démontrerai que l'avenir qu'on lui prépare eſt plus affreux encore que le préſent; je lui ferai voir que la conſtitution qu'on lui promet eſt contraire à fon veu, à ſon intérêt, à la raiſon ; & que c'eſt d'ailleurs une chimère impraticable : je n'aurai pas de peine à faire reconnoître qu'il eſt impoſſible que les François, pour être ſans Roi & fans gouvernement, en deviennent plus heureux; je dévoilerai l'accablement d'impôt que la perſévérance dans les ſyſtèmes qu'on a ſuivis, entraîneroit inévitablement: enfin je prouve- rai, aſſez clairement pour être entendu de tout le monde, que la diſſolution entière de la Mo- narchie eſt la conſéquence de tout ce qu'on a fait, & que ſi l'on ne ſe hâte d'y mettre ordre, le Royaume périra. Mais je ne me bornerai pas à préſenter un tableau auſſi effrayant ; & loin d'en conclure [xvi ] que le mal ſoit ſans remède, ou que le remède doive être auſſi cruel que le mal, j'eſpère montrer qu'il ne faut que rentrer dans l'ordre légitime pour retrouver le chemin du bonheur, & qu'écartant tout ce qui eſt auſſi nuiſible que vicieux, on peut conſerver, par l'exécu- tion des cahiers concordante avec les intentions du Roi, tout ce que la révolution peut avoir d'avantageux pour le peuple. t Tel eſt le but de cet ouvrage. + TABLE. TAB L E. C I 4 Page Mories & but de l'Ouvrage Maux qu'ont produits les actes de l'Aſſemblée Pire avenir inévitable dans le ſyſtème actuel 7 Vices eſſentiels de ce Syſtême dans les points principaux. 1. LES FINANCES 24 36 38 43 51 3 Comparaiſon du déficit ancien, tel qu'il étoit avant l'ouverture de l'Aſemblée, & du déficit nouveau tel qu'il ejt devenu poſté- rieurement Diminution du revenu public Augmentation de la dépenſe Valeur des réductions économiques Réſumé faiſant voir que le déficit qui étoit de 56 millions il y a 18 mois, eſt à préſent de 255 millions Il feroit même de 290 millions, en y ajoutant ce qu'il faudroit appliquer pendant 20 ans aux rembourſemens à époques Preuve que depuis trois ans on a emprunté 785 millions : Et qile la dette nationale s'eſt accrue de 1255 millions 56 58 64 73 3 [ xviii] 1 75 Impoffibilité de remédier au délabrement des finances, ſoit par des créations d'alignats- muonnoie, ſoit par la vente des biens du Clergé, ſoit par une refonte générale des contributions. Diſſertation ſur les aſſignats-monnoie Diſcuſſion ſur les biens du Clergé Examen de ce que peut produire la refonte des contributions Excès de l'impoſition néceſſaire Concluſion, que le rétabliſſement des finances ſeroit impoſſible, en laiſſant ſubſifier le syf- tême de l'Aſſemblée, lequel ejt également inſoutenable ſous tous les autres rapports 91 Ιοο IIS II8 20. LES DÉCRETS CONSTITUTIONNELS, 1 PREMIÈRE CLASSE. Décrets ſur Objets NON DÉTERMINÉS par les CAHIERS. 1 I 20 ! 122 La permanence de l'Aſſemblée Nationale L'établiſement de la Loi Martiale L'inſtitution des Jurés La nouvelle diviſion du Royaume La réduction des Évêchés, & les élections 123 I 24 I 20 bis [ xix ] 1 SECONDE CLASSE. 1 1 Décrets CONTRAIRES aux Cahiers ſur les Objets les plus eſſentiels. Sur la forme du gouvernement Sur la liberté des individus ibid. Sur la propriété des biens ibid. Sur l'adminiſtration de la juſtice ibid. I 22 bis I 1 SUR LA FORME DU GOUVERNEMENT. Volonté nationale exprimée dans tous les cchiers pour le maintien du Gouvernement Monar- chique Infraction de cette volonté dans les décrets de l’Aſemblée, I 23 bis Iº. A l'égard de la SANCTION ROYALE - 127 r Uranimité des cahiers ſur la néceſſité du con- cours du Roi aux actes légiſlatifs 128 Défaut de pouvoir de l’Afjernblée pour an- nuller ce concours, réduire le Monarque à l'illuſion d'un veto ſuſpenſif limité 131 Réfutation de tout ce qui a été dit au foutien de ce veto 133 Preuve que la queſtion a été mal-entendue 138 Démonſtration que le Monarque eſt néceſſaire- ment partie intégrante de la légiſlation Liaiſon de ce principe à la liberté publique - 145 I 40 1 2. 2 [ XX. ] 1 Contradi&tion entre les décrets portant qu'il n'y aura pas de loi ſans le conſentement du Roi, & ceux qui détruiſent la liberté, & la néceſſité de ce conſentement 148 2. A l'égard des Ordres & des RANGS INTER- MÉDIAIRES. [ Væu des cahiers pour la conſervation des Ordres 157 Combien leur fuppreſion eſt contraire à la conſtitution d'une monarchie tempérée 162 Comment elle l'eſt aula à l'eſſence de la repréſentation nationale 168 170 171 3º. A l'égard du Droit de faire la GUERRE & la Paix Décrets qui ont privé le Roi de ce droit, con- traires aux cabiers Contraires auſſi aux principes poſés par l'Aſſemblée Contraires à eux-mêrnes, & incohérens dans leurs diſpoſitions Réfutation des vains motifs allégués pour ces décrets Opinions très-juſtes de ceux qui les ont com- battus 172 175 190 19I SUR LA LIBERTÉ 200 Énumération des décrets deſtructifs de la liberté Détails qui prouvent qu'elle n'exiſte plus 201 nulle part 209 1 [ xxi ] SUR LA PROPRIÉTÉ 212 215 216 219 223 232 L'Aſſemblée auſſi contraire à elle - même qu'aux mandats de ſes commettans, dans tout ce qu'elle a fait d'attentatoire aux propriétés Violation de la propriété des Provinces Violation de la propriété du Clergé Violation de la propriété de la Nobleſe Notamment par les décrets portant abo- lition de la Nobleſſe elle-même Que ces décrets font oppoſés aux veux de la Nation Qu'ils le font également à ſes intérêts Qu'ils sont impoſſibles en exécution Qu'ils anéantiſſent le gouvernement mo- narchique Violation des propriétés de la Magiſtra- ture Violation des propriétés des Citoyens de toutes claſſes Diſcuſſion ſur les penſions Réfutation des fauſſes allégations de M. Camus Détails & calculs qui démontrent que les penſions & gråces pécuniaires qu'il a ſuppoſées monter à 80 millions, ne vont qu'à 32 234 237 242 245 250 254 255 261 286 ) [ xxii) Sur l'ADMINISTRATION de la Justice, ! 290 294 297 300 302 [ Væu des cahiers pour le maintien des Cours Souveraines, avec quelques réforinations Le ſuppreſſion de tous Corps de Magiſtrature, nuiſible à la juſtice, à la fureté publique, & à la liberté nationale Les Comités de recherches & les attributions extraordinaires, incompatibles avec ce qui a été préfcrit par les cahiers Inſtitution des Jurés mal à propos étendue aux délits militaires Établiſſement des Juges-de-paix dénaturé Les décrets de l'Aſſemblée principalement contraires aux cabiers, ſur [La nomination des Juges L'indépendance de leurs fon£tions, & l’iñamovibilité de leurs offices Réſultat définitif; une déſorganiſation générale, au lieu d'une fage confiitutión, telle que les cabiers l'avoient demandée & tracée Grande Queſtion, ſi l'Aſſemblée a pu s'arroger le pouvoir de contredire les cahiers & d'éta- blir une nouvelle forme de gouvernement, eiz prenant le titre de Convention Nationale 304 308 312 3.13 1 EXAMEN de cette importante QUESTION 314 Comment & à quelle époque l'Aſſemblée prétendu ſe transformer en Convention nationale 317 Syſtèmes de l'Abbé Sieyes & du Cointe de Mirabeau à ce ſujet 321 Réfutation vittorieuſe de l'Abbé Maury 324 1 -- 328 [ xxiii ] Fauſe application des Conventions An- gloiſes & Écofroiſes Confuſion d'idées, & sophiſmes pour s'ériger en pouvoir conſtituant, au lieu de pou- voir conſtitué 331 Uſurpation du droit inaliénable réſervé à la Nation 332 Fauſſe ſuppoſition d'un conſentement tacite de sa part *3.37 Que la ſouveraineté de la Nation ne peut jamais être repréſentée -340 Abus du mot régénérer pour s'autoriſer à iout anéantir 342 Réfutation de la principalè objection fondée ſur ce que l'Aſſemblée auroit été chargée par la Nation de lui faire une conſtitution 343 Explication des différences qui exiſtent réelle- ment entre la première Aſſemblée, chargée de rédiger le code confiitutionnel, & les autres aſſemblées, qu'on a appelées Legif- latures 345 Effets de cette différence par rapport à la ſta- bilité des décrets conſtitutionnels, & liaiſon de la néceſſité de les rendre invariables, avec la néceſſité de leur ratification par la Nation entière Réponse à l'allégation que les adhéſions mil- nicipales, le ferment civique, & les actes de fédération, forment l'équivalent d'une ratification nationale 350 Autre moyen, ſeul légitime, pour que le Na- tion puiſſe faire connoître fa volonté ſur la nouvelle conſtitution 353 Inaptitude des aſſemblées de départernens polis ſuppléer à ce moyen 355 348 .. [ xxiv 1 358 360 361 362 OBSERVATIONS importantes ſur les Assem- BLÉES ÉLECTORALES Formation de ces aſſemblées, ſuivant les décrets Réſumé du nombre de citoyens qui, ſuivant la nouvelle conſtitution, participeroient aux fonetions adminiſtratives Organiſation monſtrueuſe qui en réſulte, & danger d'y joindre encore 83 afſem- blées, virtuellement continuelles, de 600 perſonnes chacune, formant un total de 50 mille électeurs exerçant la première fonetion de la ſouveraineté, par la no- mination de tous ſes délégués, & prin- cipaux agens RE'CAPITULATION des raiſons qui prouvent que toutes les diſpoſitions qu'on a diſcutées, tendent evidemment au renverſement de la Monarchie; qu'elles n'y ſubſtituent rien qui puiſſe s'appeler Gouvernement; qu'on n'y voſt que confuſion de pouvoirs & de principes, que déſordre, que fource de diſentions inteſtines, qu'anarchie & chaos Que même le délire des auteurs de ce bizarre aſſemblage, qu'on a nommé Démocratie royale faute de pouvoir lui trouver une dénomina- tion raiſonnable, le porte juſqu'à vouloir étendre & propager leur fanatiſme anti-mo- narchique dans toute l'Europe; qu'ils mena- cent toutes les courones, conjurent contre toutes les fouverainetés, & attaquent la tran- quillité de tous les pays 369 374 1 XXV 376 378 : 1 379 380 APPERÇU de ce QUI EST A DÉSIRER L'accompliſſement du væu national par l'exécu- tion des cahiers; Ce qui conſiſte A maintenir les diſpoſitions qui y ſont conformes A revoir ce qui eſt additionnel, & en debors A reconnoître pour nul tout ce qui les con- tredit en matière conſtitutionnelle TABLE AU faiſant appercevoir d'un coup-d'æil ce que les cahiers vouloient, confronté à ce qu'a fait l'Aſſemblée Douloureux contraſte du bien qu'on auroit pu faire en ſuivant les cahiers, & du mal qu'on a fait en les contrariant Seul adouciſſement des regrets tiré tont de l'imposſibilité abſolue de faire ſubſiſter ce qui eft, que de l'eſpoir du retour à ce qui auroit dú exiſter Inſignifiance du ferment civique prouvée par L'examen analytique de toutes ſes expreffons ; explication du ſeul ſens qu'il puiſe avoir, pour être obligatoire, & ſusceptible d'exécu- tion De ce qu'on doit entendre par le mot Contre- révolution, en l'appliquant à ce qu'on pro- pofe 392 395. 397 408 ! 410 CON C L U S I O N. Conduite à tenir ſur les trois fortes de décrets Quels ſont ceux à maintenir, Quels sont ceux à revoir, Quels ſont ceux à déclarer nuls. b [ xxvi. ] Vieu pour que l'Aſſemblée défère à la récla- mation nationale, exprimée par les pro- teftations des Corps, & per les déclarations : individuelles 414 Ce qui, au cas contraire, deviendroit indiſpen- ſable pour prévenir le ruine de l'Êtat, afſurer la liberté publique, & rendre au peu- ple le repos, la fubfiftance, & le bonheur 145 Ce qu'on doit attendre d'un Prince fort éloigné de vouloir opprimer fa Patrie, & qui ne veut que la ſecourir ibid. Que l'accuſation de complot ne peut tomber que ſur ceux qui s'oppoſeroient au projet de faire rentrer le Nation dans ſes droits, & d'en- tendre ſa réclamation ſur ce qui s'eſt fait contre ſa volonté Qu'eux ſeuls ſeroient reſponſables & coupables des violences qui n'auroient lieu qu'au cas qu'elles ſeroient provoquées par celles qu'ils commettroient 417 Qu'd 'on eſt fort éloigné de tout ce qui tendroit à allumer une guerre civile; qu'on ne veut au contraire que la prévenir en éclairant toute la Nation; que chaque bon citoyen doit y tra- vailler de toutes ſes forces; & qu'il eſt des momens où l’inačtion emporté, ſuivant la loi de Solon, une note d'infamie 419-42! 416 FAUTES A CORRIGER. LU Page 23, dernière ligne, n'admettroit, lifez n'admettroient. 38, 1.5 & 6, qu'il ſeroit le double, liſez qu'il ſeroit preſque double 58, 1. 6, préſentement de 250 millions, lifez préſente- ment de 255 millions. 118; 1. 10, que je dénonce, liſez que j'en dénonce. 143, 1. 19, Newton, lifez Milton. 199, 1. 16, vers d'Horace, liſez vers d'Ovide. 374, I. 3,' 25 millions d'individus, lifez 26 millions d'individus. [r] DE L · É T A T DE LA F R A N G E PRÉSENT ET À VENIR. DEPUIS le jour mémorable où s'ouvrit l'Affem- blée qui fut deſtinée à vivifier le Royaume, j'ai ſuivi attentivement toutes ſes délibérations, & mes veux n'ont ceſſé de conſpirer à leur ſuccès, que lorſqu'il eſt devenu impoſſible d'en attendre une heureuſe fin. Mon premier ſentiment fut celui de l'effroi, quand je vis qu'au lieu de remplir la fage intention de réformer & de perfectionner, les mandataires de la Nation ſe croyoient appelés à tout détruire, & à tout créer; qu'ils renverſoient l'édifice dont ils de- voient raffermir les baſes ; & que chargés de re- trancher ſeulement les parties altérées, ils abattoient le corps entier. Je me ſuis dit, Comment eſt-on aſſez inconſidéré pour vouloir changer de fond en B > 1 [ 2 ] comble la Conſtitution ſous laquelle un empire a vieilli avec gloire? Comment eſt-on aſſez peu verſé dans la ſcience politique, pour ignorer que les gouvernemens ſe font avec le tems, mais qu'on ne les fait pas ? Ai-je pu enſuite me défendre de l'indignation qui de jour en jour a rempli mon ame à meſure que les progrès de cette manie deſtructive ont manifefté que ce qui devoit faire le bonheur de mon pays, deve- noit la cauſe de la ruine; qu'on ouvroit la porte à tous les crimes & à tous les fléaux ; qu’on oppri- moit des milliers de citoyens ſans ſoulager le peu- ple; & que les bienfaits du Roi, tournés contre lui, étoient payés par un excès d'ingratitude, tel que de lui arracher ignominieuſement la couronne? 7 Long-tems j'ai voulu me perſuader que ceux qui s'étoient laiſſés emporter au-delà du but; par l'impétuoſité d'un enthouſiaſme de liberté, aban- donné à toute ſa fougue, verroient bientôt la nécef- fité de revenir ſur leurs pas, comme le lion retourne fur ſa proie, qu’un premier élan lui fait toujours dépaſſer. Mais depuis qu'on a pris un effor qui n'admet aucune retenue, qu'on a franchi fuccef- fivement toutes les digues, & qu'on eſt parvenú au dernier excès d'un ſyſtême trop eſſentiellement vi- cieux, pour qu'on puiſſe en eſpérer le redreſſement, j'ai ſenti vivement la néceſſité d'un prompt remède ; j'ai cherché celui qui occaſionneroit le moins de convulſions; & le ſentiment qui m'a fait déſirer de 1 [ 3 ] le trouver, më fait un devoir de communiquër mes idées. Je ne me diſſimule ni le danger de l'entre- priſe, ni la difficulté du ſuccès: mais quand la Pa- trie périt, chacun lui doit tout le ſervice dont il eſt capable; & alors toutes les prudences de la crainte, toutes les modeſties de l'amour-propre doiveñt cé- der à l'obligation de faire tout ce qu'on peut pour être utile, Je dirai donc comment l'horreur de ce qui eſt arrivé, la certitude de ce qui eſt à prévoir, & la recherche de ce qui ſeroit à déſirer, m'ont conduit à penſer que le ſeul moyen de raffermir la Révolu- tion en la rectifiant, conſiſte daris l'exécution des cahiers nationaux qui devoient diriger l'Aſſemblée; je dirai comment, par cela feul & fans violence, on pourroic rendre à l'Étať toute ſon aſſiette; au Roi, tout ce qui lui appartient; aux Peuples, tout ce qu'ils ont droit d'eſpérer. Vous qui, ne reconnoiffant plus notre malheu- reuſe Patrie fous les traits enſanglantés qui la dé- figurent, l'aimez encore de ſouvenir, & qui vous fentez également pénétrés de douleur & de regrets en fongeant à ce qu'elle étoit, &à ce qu'elle pouvoit devenir, vous ne ſauriez me refuſer votre attention; & vous qu'une trop funeſte erreur égare, vous qui perdez le Royaume en croyant le régénérer; vous auſſi qu'on effraie par des phantômes, ou qu'on féduit par des illuſions, foulevez un moment le bandeau qu'on a mis ſur vos yeux, & liſez fans. : B 2 1 [ 4 ] prévention. Que la ſcélérateſſe réfléchie qui fait le malheur public pour en profiter, s'irrite de cet écrit; que le fanatiſme aveugle le déchire avec fureur....je m'y attends, & ne m'en inquiète pas ! je mets ma défenſe entre les mains de ceux qui en- tendent encore la voix de la raiſon & de l'humanité. 1 Tableau de Quelque opinion qu'on ait embraſſée, à quelque l'état préſent parti qu'on ſe ſoit voué, il eſt un point de fait ſur lequel tout le monde eſt malheureuſement forcé de s'accorder : c'eſt que l'état de la France, au moment actuel, est infiniment déplorable, & qu'au- cune ame honnête ne peut l'enviſager ſans frémir. Vainement s'efforce-t-on d'en détourner nos yeux, & de les faſciner par d'éblouiſſantes promeſſes : toute la puiſſance de l'art oratoire, & le vain reten tiſſement de mots emphatiques, ne ſauroient effacer l'affreuſe image de ce qu'on voit, ni étouffer le fen- timent de ce qu'on éprouve. Le Roi retenu captif par ſes ſujets, le royaume en proie au brigandage, la force publique anéantie, la juſtice muette & tremblante, les crimes les plus atroces 'mpunis, & ce qui eſt le comble de l'abomination, l'inno- cence juridiquement ſuppliciée, ce ſont des faits dont l'impreſſion a été trop profonde, pour que rien puiſie en affoiblir l'horreur. N'eſt-il pas no- toire que dans ces triſtes jours, qu'on oſe appeler l'aurore de la proſpérité, il n'eſt plus de droits qu’on reſpecte, plus d'anciennes maximes qu'on ne dédaigne, plus d'engagemens qu'on ne briſe, plus de propriétés qu'on laiſſe intactes, plus de de 3 [ 5 ] voirs qu'on ne foule aux pieds ? Et tandis que nos modernes légiſlateurs ſemblent ſe pavaner ſur des trophées de décombres; tandis que leurs fanatiques adhérens, & leurs ſuppots intéreſſés, s'entreféli- citent, ſe coaliſent, & s'électriſent mutuellement, quel' ſpectacle offre à l'univers la France écraſée ſous ſes propres ruines ! De toute part ce ne ſont que maſſacres, qu'incendies, qu'attroupemens tumultueux, terminés par des ſcènes barbares : par-tout règne une ſombre terreur, une diſcorde inhumaine, & la plus noire défiance: les délations calomnieuſes, qu'un faux zèle encourage, ſont ſuf- pendues ſur toutes les têtes : l’eſpionage, que l'in- trigue ſoudoie, environne tous les citoyens: il n'en eſt aucun qui ſoit aſſuré de ſes poſſeſſions, de fa vie, de ſon honneur. 1 Tels ont été, juſqu'à préſent, les fruits de la révolution; tels font les effets viſibles de cette régénération fi poinpeuſement annoncée, & dont l'objet a été ſi mal rempli. On s'eſt jetté dans les routes les plus oppoſées à celles qui avoient été indiquées. On devoit aſſurer une liberté raiſon- nable ; on a introduit une licence effrénée : on devoit protéger les propriétés; on les a violées toutes : on devoit limiter les différens pouvoirs ; on les a tous confondus : on devoit réparer le délabrement des finances; on l'a empiré. Au lieu de pourvoir au déficit annuel, on l'a infiniment augmenté; au lieu de rendre inviolables les en- gagemens de l'État, on les a laiſſé enfreindre plus B3 1 [ 6 1 que jamais ; au lieu de féconder les fources de la richeſſe publique, on les a toutes deſſéchées. A l'emploi ſalutaire d'un crédit ſagement ménagé, on a préféré l'uſage paſſagèrement utile & éternelle- ment dangereux d'un papier-monnoie forcé. De grands ſacrifices offerts par le Clergé préſentoient une puiſſante reſſource; on a mieux aimé avoir moins par une expoliation injuſte. La Nobleſſe avoit conſenti à l'abolition de ſes privilèges pécu- niaires ; on l'a abolie elle-même. Enfin, le ſou- lagement du peuple étoit l'objet principal, diſons rnieux, l’unique objet de la convocation de l’Af- ſemblée; & depuis le règne de cette Aſſemblée, la misère du peuple n'a fait que s'accroître ; ſes moyens de ſubſiſtance ſe ſont appauvris, & une fuite d'opérations mal combinées lui a préparé une aggravation de charges, devenue inévitable. Ai-je rien exaggéré ? Combien au contraire n'aurois-je pas encore à ajouter, en ne faiſant que retracer ce que tout le monde ſait, ce que tout le monde éprouve ? Chacun a obſervé qu'en voulant réaliſer l'impraticable théorie des droits primitifs de l'homme, on a ſappé les baſes de la ſociété ; que le même fyftême qui a nivelé tous les rangs, a briſé tous les liens de l'obéiſſance ; qu'il a diffous tous les élémens de la force publique ; qu'il a privé l'État de tous ſes ſoutiens. La Religion, qui doit en être le premier appui, eft attaquée dans ſes miniſtres, & ébranlée dans ſes fondemens. La No. bleffe, dont la valeur en tout tems fervit fi bien la 1 [ 7 ] 5 trône & la patrie, n'a plus que fon défeſpoir à op- poſer à la deſtruction.' La Magiſtrature; qui tant de fois a défendu les droits de la Nation, eſt anéan- tie. L'Armée, corrompue par argent, affoiblie par déſertion, ne connoît plus ſes chefs. Il n'exifte plus dans le royaume ni crédit, ni circulation d'ef- pèce, ni apparence de numéraire. Le commerce & l'induſtrie font frappées d'une inertié mortélle. La Capitale, dont le ſéjour eſt devenu auſi redou- ?: table qu'il étoit attrayant, a vu, dans moins d'un an; toute ſa fplendeur changée en misère, ſa pó- pulation diminuée d'un tiers, & le tiers de ce qui reſte réduit à l'aumône. Les Provinces ont perdu & les reſſources qui les vivifioienit, & les droits que des capitulations ſolemnelles leur aſſuroient. A l'extérieur; la conſidération dont la France avoit joui fi long-tems, s'eſt évanouie en un inſtant; fon exiſtence politique a diſparu tout à coup; & comme l'a dit un des plus beaux génies de l'Angleterre, la place que notre monarchie occupoit ſur la carte, n'eſt aujourd'hui qu'un grand vuide. 1 Ce qu'il y Autant la vérité de ce tableau défaſtreux eſt connue, autant le défir du changement doit être a lieu de pré- voir. général, & il l'eſt en effet. Chacuri.gémit de l'état préſent; chacun aſpire à un meilleur avenir ; il n'y a de différence qu'en ce que les uns attendent ce meilleur avenir de l'entière exécution des opéra- tions de l’Affemblée, & fe perfuadent que leur der- nier réſultat fera fuccéder une proſpérité durable તે à une criſe momentanée; tandis que les autres ne В 4. [ 8 ] voient dans les futurs effets des nouveaux dogmes, qu'une progreſſion toujours croiſſante de déſordres, & une multiplication ſans terme des maux qu'en- traîne l'anarchie : ceux-là diſent qu'il n'eſt point de révolution ſans trouble, comme il n'eſt point de grand bouillonnement ſans écume, point de refonte ſans ſcories : mais que de même qu'on obtient les cryſtalliſations les plus pures par les fermentations les plus vives, de même la violence de l'orage actuel promet à la France des jours ſereins & fortunés. Ceux-ci ſoutiennent au contraire que la perſévérance dans des principes pernicieux, ne peut qu'en ag- graver les ſuites ; que ce qui eſt radicalement vicié, ne ſe rectifie pas avec le tems'; qu'une diffolution générale de toutes les parties du corps politique ne ſauroit produire ſa reſtauration; & que, s'il eſt per- mis d'eſpérer qu'un mauvais gouvernement ſe ré- forme, il n'y a pas d'eſpoir de voir réſulter aucun bien d'une nullité abſolue de gouverneinent, Pour ſe décider entre ces deux opinions, & juger ſainement ce qu'on doit prévoir, il faut examiner ce qu'on peut attendre de l'Aſſemblée actuelle; ce qu'on peut eſpérer des aſſemblées qui lui ſuccé- deront; & ce qui réſulteroit du maintien de la tota- lité des décrets, ſur leſquels on fait réſider ce qu'on nomme la Conſtitution. Il eſt clair d'abord que l'Aſſemblée actuelle n'a point envie de s'écarter en rien du plan qu'elle s'eſt tracé, ni de rétrograder en aucune ſorte ; puiſque, [ 9 ] loin qu'elle ait témoigné le plus petit regret d'avoir outré toutes les meſures, elle a toujours été en en- chériſſant ſur elle-même ; & que le dernier terme d'une progreſſion d'excès ne fauroit être un retour à la modération. Engouée de ſes ſyftêmés, l'Al- ſemblée ne veut ni ne peut les changer : ſa propre conduite lui a fait une obligation de les ſoutenir juſqu'au bout: ils ſont même inhérens à ſon exiſ- tence. Car, compoſée & conduite comme elle l'eft, elle a dû faire ce qu'elle a fait, & on ne peut s'at- tendre qu'elle faſſe autrement. Peut-être même ceux qui l'entraînent croient-ils trouver leur ſureté perſonnelle dans la ruine entière de l'Etat, dont il ſemble que la deſtinée leur ſoit abandonnée, Il n'y a pas plus à eſpérer des aſſemblées futures; & celle-ci mêine a pris foin de ne laiſſer aucun doute à cet égard, en s'arrogeant, excluſivement à toute autre, le pouvoir conſtituant; en telle forte, que les aſſemblées qui viendroient après elle ſous le titre de légiſlatures, ne pourroient changer, ni corriger ce qui auroit été réglé par elle conſtitution- nellement. Il ne faut pas s'étonner que ceux qui ont cru pouvoir s'inveſtir eux-mêmes du droit de créer un gouvernement n'admettent pas que ce droit ſoit communicable; il eſt même certain qu'il n'y auroit pas de conſtitution, ſi elle étoit ſujette à des variations continuelles. Mais la néceſſité de pré- ſeryer la conſtitution d'une inſtabilité funeſte, ne peut-elle pas ſe concilier avec les droits inaliénables de la Nation, qui ne permettent pas qu'une afſem- 1 : 2 1 [ 10 ] . N blée de ſes mandataires limite les pouvoirs qu'elle voudroit donner aux affemblées ſucceſſives ? C'eſt ce que je me réſerve d'examiner ; & je ferai voir que les loix fondamentales de l'Etat peuvent être ren. dues invariables, ſans que ceux qui font chargés d'en rédiger le code, puiſſent ſe prétendre infaillibles. Quant à préſent je ne m'arrête à cette prétention que pour en conclure que ſuivant les principes de l'Affemblée; quelque vicieux que fuffent ſes décrets conftitutionnels, ils ne pourfoient être rectifiés par les légiſlatures fuivantes: fes oracles font irrévocables. On peut remarquer à cette occaſion la marche des uſurpations progreſſives de nos Repréſentans. Ils étoient arrivés ſous le titre de Députés des Aſſem- blées de Bailliages aux Etats-généraux: bientôt après; il leur a paru convenable de ſe qualifier Af- Semblée Nationale; puis, dépoſitaires excluſifs du Pouvoir conſtituant : de la fonction primitive de Réformateurs d'abus, ils ſe font élevés à celle de Régénérateurs de l'Etat; enſuite, à celle de fouve- tains Légiſlateurs ſans coopération quelconque. Non contens de ces attributs, ils n'ont pas tardé à enva- hir ceux du pouvoir exécutif, ceux du pouvoir admi- niſtratif, ceux du pouvoir judiciaire ; & ils ont cou- vert toutes ces invaſions par celle du pouvoir illimité; qui eſt cenſé appartenir à une Convention nationale. Leur intolérance politique a eu auſſi fes progrès : montrer un avis différent du leur, n'expofoit d'abord qu'au danger d'être injurié, hué, calomnié; aujour- d'hui c'eſt ſous peine de mort qu'il faut les admirer, [11] & penſer comme eux. Depuis qu'ils ont déclaré que la révolution étoit achevée, n'en être pas en- chanté, témoigner l'improuver eſt une trahiſon, un crime de lèſe-nation, & le dernier ſupplice n'a pas été trouvé trop rigoureux pour l'expier. Ils ont été plus loin encore, en interdiſant l'eſpoir du change- ment, & ne permettant pas de croire que leurs ſucceſſeurs puſſent penſer autrement qu'eux. Ce n'eſt plus aſſez de s'être engagé par le ferment ci- vique à maintenir la conſtitution, il faut promettre à Dieu & aux hommes, de la maintenir intacte, telle qu'elle ſera émanée de leurs mains toute-puiſſantes; il faut mourir, ou jurer que cette conſtitution inter- minée, indéfiniſſable, & dont perſonne ne peut ſe vanter de connoître l'enſemble, ſera éternellement reſpectée. ? Le principe de nos maux eſt donc incurable dans le ſyſteme de ceux qui les cauſent, & il n'y a d'amendemens à eſpérer ni des légiſlatures par qui l'Affemblée, dite nationale, ſe fera remplacer quand il lui plaira, ni de ſa propre réſipiſcence. Après qu'elle aura completcé la volumineuſe collection de ſes décrets conſtitutionnels, les aſſenzblées futures n'y pourront rien changer; quand elles le pour- roient, compoſées comme elles le ſéront, (*) elles ne le voudroient pas; & quand elles le voudroient, elles ne l'oferoient pas. (*) La compoſition des aſſemblées d'électeurs fait juger ce que fera celle de la première légiſlature, & on doit en frémir. 1 [ 12 ] } Qu'on ne cherche donc plus à endormir le ſenti- ment de nos malheurs préfens, en nous berçant de l'eſpoir d'un heureux avenir. Ce qui exiſte eſt horrible; on ne peut le nier: ce qui arrivera, fi l'ordre des choſes n'eſt pas changé, eſt plus ſiniſ-. tre encore; on eſt forcé de le prévoir, & les évé- nemens font parvenus à un tel point de maturité, qu'on peut y lire diſtinctement tous ceux que leur fatal enchaînement nous deſtine. Ils font inſépa- rables d'une conſtitution établie ſur des fondemens ruineux, incohérente dans toutes ſes parties, & impraticable en exécution. Ainſi, à meſure que je démontrerai, dans le cours de cet ouvrage, le vice de la conſtitution décrétée par l'Aſſemblée, on découvrira l'effrayante perſpective de ſes conſé- quences. Mais avant d'en venir à ce développen ment je ne conſidère encore que l'ordre des faits, & la liaiſon de ce qui eſt arrivé, avec ce qui doit : fuivre, Il y a déjà neuf mois que l'Aſſemblée proféra folemnellement, & exigea de tout le royaume le ferment de maintenir la Conſtitution décrétée par elle, & fanctionnée par le Roi (1); ce qui la ſuppoſoit dès-lors exiſtante. Elle déclara néanmoins, trois mois après, que l'élection de nouveaux députés à l’Ajemblée Nationale, ne pourroit avoir lieu qu'au moment où la Conſtitu- (1) Séance du 4 Février 1790. : 1 [ 13 ] 1 1 tion feroit près d'être achevée, & qu'à cette époque, très-rapprochée, eſt-il dit, le Roi feroit ſupplié de faire proclamer le jour où les aſſemblées électorales ſe formeroient pour élire la première légiſlature.(2) On doit donc croire, n'étant pas encore queſtion de cette proclamation, que la Conſtitution n'eſt pas près d’étre achevée, ni l'Aſſemblée près de fe diffoudre; il y a d'autant plus de ſujet d'en être perſuadé, qu'elle n'a pas même encore abordé la grande affaire du rétabliſſement de l'équilibre entre les recettes & les dépenſes de l'État, objet primor- dial de la convocation, qu'elle eût pu terminer facilement il y a un an(*), ce qui eût prévenu bien des déſordres ; mais ſur lequel elle a, dans cet intervalle, accumulé des difficultés inextricables. Il faut encore obſerver que ſuivant les diſpofi- tions du décret rendu le 22 Mai dernier ſur le droit de la guerre & de la paix, il y a lieu de penſer que fi la guerre ſurvenoit ou paroiſſoit imminente, le Corps légiſlatif, qui devroit alors ſe raſſembler fur- (2) Séance du 19 Avril 1790. (*) Je dis un an, plutôt que 18 mois, pour écarter le pré. texte d'alléguer que les cahiers exigeoient que les points fon- damentaux de la conſtitution fuſſent réglés avant les ſubſides. On conviendra qu'au moins, depuis le mois d'Octobre 1789, l'Aſſemblée auroit eu mauvaiſe grâce d'affecter encore une défiance qu'elle ne pouvoit plus avoir, pour s'autoriſer à laiffer en arrière l'objet le moins ſuſceptible de retard, ! [ 14 ] le-champ, en cas qu'il fût en vacance, ne manqueroit pas de prolonger ſa ſeſſion afin de pouvoir, ſuivant l'intention exprimée dans le décret, juger les cauſes des hoftilités, les motifs de les continuer ou de les faire ceffer, & le moment de requérir la négocia- tion de la paix. Or il n'eſt que trop à craindre que cette fatale conjoncture qui attireroit ſur la France un nouveau fléau avec la continuation du premier, ne ſe réaliſe bientôt par l'effet du décrer auſſi impolitique qu'inconſéquent d'après lequel il a été donné ordre de mettre en commiſſion 45 vaiſſeaux de ligne, avec un nombre proportionné de moindres bâtimens. (*) (*) Puiffent mes pronoſtiques être aufli dépourvus de réalité que le font les conſidérations ſur leſquelles eſt intervenu le décret du 26 Août dernier, que je traite d'impolitique & d'in- conſéquent, parce qu'il l'eſt en effet à tous égards, & que je fuis déſeſpéré qu'une verbofité éblouiſſante ait empêché d'en appercevoir les dangers ! Un Orateur qui eût été moins homme d'eſprit; & plus homme d'Etat, ou même meilleur logicien, n'auroit pas, après avoir étalé. hyperboliquement les principes pacifiques de notre philoſophie nationale, con- ſeillé ce qui ſeul pouvoit allumer la guerre au ſein de la tran- quillité; après avoir rendu hommage aux ſentimens de juſtice & de loyauté que l'Angleterre manifefte à notre égard, après avoịr repouſſé l'idée qu'ils veuillent profiter de nos troubles paſagers, après avoir dit que ce feroit pour nous zın jucrilège de le croire, il n'auroit pas conclu qu'il falloit agir comme ſi la Nation Angloiſe nous avoit donné lieu de concevoir će ſoupçon i facrilège, comme ſi elle étoit dans les diſpoſitions que nous ne devons pas lui imputer. Dût-on admettre pour théorême que la politique doit raiſonner ſur des ſuppoſitions auxquelles elle 3 [ 15 ] Rien n'eſt donc plus incertain que l'époque & laquelle l'Aſſemblée régnante voudra clorre ſes ne croit pas, le corollaire eſt-il que la politique doive non- ſeulement raiſonner, mais même agir ſur des ſuppoſitions dé- nuées d'apparence, & s'expoſer par d'inutiles préparatifs de guerre, à un danger qui, ſans eux, n'exifteroit pas ? Par quelle foule de paralogiſmes on s'eſt efforcé d'établir que ſi les Anglois ne veulent pas la guerre, ils doivent trouver bon que nous les forcions de faire autant de dépenſes que s'ils la vou- loient; qu'ils doivent trouver très-fimple & très-juſte qu'at- tendu que l'armement des Eſpagnols, avec qui ils avoient une diſcuſſion, les a obligés de faire un armement équivalent, nous qui n'avons de démêlé avec perſonne, nous armions 45 yaiſſeaux de ligne, au moment où tout ſembloit préſager un prochain accord ſur leur différent avec l'Eſpagne, & quand tout concouroit à nous détourner de cette violente intruſion, inutilement ruineuſe ſi elle eſt fans ſuite, & exceſſivement dan- gereuſe' fi elle en a; qu'ils doivent enfin ſouffrir fort' trana quillement que nous les menacions d'une jonction formidable, & étant prêts avant nous, attendre que nous le ſoyons de for- mer, par la réunion de nos eſcadres, une force ſupérieure à la leur! Voilà ce que préſume habilement notre Comité Diplo- matique! Voilà comme il écoute l'intérêt preſſant qui nous crie d'éviter avec le plus grand ſoin tout ce qui, dans les cira conſtances actuelles, pourroit ajouter à tous nos embarras in- térieurs, celui d'une guerre extérieure ! Je ne veux infifter en ce moment, ni ſur l'épuiſement de nos finances, ni ſur la décompoſition de nos forces militaires, ni ſur le danger d'une diviſion inteſtine ; je voudrois que tout cela 'fût ſans réalité pour nous, & ſans notoriété pour l'Europe entière. Mais je flemande à nos Légiſlateurs philoſophes, & à nos rhéteurs pu- bliciſtes, pourquoi ils ont oublié ce que Rouſſeau, leur maître, leur a enſeigné en ces termes : Pour inſtituer un peuple, une condition qui ne pcut être ſuppléée, c'eſt qu'on jouille de l'abon- dauce &? de la paix ; le tems où s'ordonne un Etat étant, comme 1 ! [ 16 1 ſéances, mettre un terme à ſa toute-puiſſancé, & faire place à ce qu'elle appelle une première légir- lature. Mais 1 celui où le forme un bataillon, l'inſtant où le corps eſt le moins ca. pable de réſiſtance, & le plus facile à détruire... qu'une guerre fur- vienne en ces tems de criſe, l'Etat eft infailliblement renverſé. Quelle eſt donc l'impérieuſe néceſſité qui leur a fait perdre de vue cet effrayant & judicieux avertiſſement? Quelle obli- gation indiſpenſable a pu les empêcher de conſidérer que fi l'in- diſcipline des troupes de terre' met le royaume dans une criſe très-alarmante, le danger feroit encore bien plus grand fi l'eſprit de révolte qui a gagné tous les états ſubalternes, venoit à éclater ſur des vaiſſeaux armés ; & que mettre les forces maritimes en mouvement lorſqu'on n'eſt pas ſûr de pouvoir contenir les équipages dans l'obéiſſance, c'eſt s'expoſer à perdre toute fa marine ? Quelle raiſon peut-on avoir d'en courir le riſque, & de ſe rendre d'autant plus entreprenant, qu'on eſt moins en état de l'être ? 1 On allègue uniquement la crainte (qu'on n'a cependant pas) que l'Angleterre ne prévoie avec une inquiétude (qu'elle n'a jamais montrée) l'accroiſement de nos forces, de notre commerce, de notre crédit (dont l'anéantiſſement lui eſt très-viſible), & que par une fauſe politique (qui n'eſt rien moins qu'indiquée par la conduite depuis 18 mois) elle ne veuille profiter des circonſtances (ce qu'il ſeroit facrilège de croire) pour rompre une alliance formidable, dont elle a fouvent fenti tout le poids, & dont en conſéquence nous voulons faire à ſes yeux le plus grand étalage (pour calmer ſon inquiétude). C'eſt-là l'unique motif préſenté dans le rapport du 25 Aoûts pour exciter à faire montre de nos dernières reſſources, en diſant néanmoins qu'il ne s'agit pas de faire cette périlleuſe montre, mais de prendre les moyens les plus propres d'aſſurer la paix. On ajoute que la Nation demande à ceux qu'elle a choiſis pour être les 1 [ 17 ] 1 Mais comme il faut cependant bien que cette époque arrive, ſuppoſons que vers la fin de cette année, l'Aſſemblée, effrayée peut-être du change- inftituteurs de ſes loix, la fureté de ſes podelions & de fon com- merce ; & c'eſt pour ſatisfaire à cette demande de la Nation que ces prudens inftituteurs lui ſuſcitent le ſeul ennemi qui pût attaquer ſes poſſeſſions & ſon commerce ; c'eſt afin que nos rivaux, malgré toutes leurs proteſtations, ne nous faſſent pas une guerre imprévue, dont le premier coup frapperoit la fortune des bons citoyens, qu'on juge à propos de leur fournir un motif d'en faire une très-aiſément prévue, & très-évidemment provoquéè par un armement ſans lequel ils n'avoient pas le moindre prétexte de rupture ! Mais, dit-on, l'intérêt nous oblige de confirmer notre alliance avec l'Espagne ; & le ſeul moyen de la conſerver, c'eſt de remplir fidellement nos traités. Sans doute : mais par une double inconſéquence, vous nous mettez tout à la fois au-delà & en-deça de nos obligations:- jº. Nos traités n'exigeoient pas que nous' fiſſións armer .45 vaiſſeaux pour ſecourir l'Efpagne quand elle n'eſt pas en guerre, & ſans qu'elle nous les eût demandés : fous ce point de vue, nous faiſons trop, & c'eſt gratuitement que nous riſquons de nous faire un ennemi.-20. Nos traités confiftoient dans un pacte offenfif & défenſif; nous le réduiſons à n'être que dé- fenſif: ſous ce' rapport, nous faiſons trop peu, nous ne remplif- fons pas fidellement nos traités; nous oublions que c'eſt le ſeul moyen de conſerver notre alliance avec l'Eſpagne : en ſorte que, balancés entre la crainte de nous attirer ſur les bras un ennemi puiffant, & celle de perdre un allié auſſi généreux qu'utile, nous trouvons moyen d'offenſer l'un, ſans contenter l'autre. Il étoit cependant un moyen fort fimple d'éviter tout embar. Au lieu d'annoncer, très-extraordinairement, à l'univers, que tous les traités précédemment conclus par le Roi des François, doivent être obſervés par la Nation Françoiſe, juſqu'à ce qu'elle C ras. [ 18 ] inent qui s'opère de jour en jour dans l'opinion pum, blique à ſon égard, ſe décide à faire nommer enfin 1 i les ait annullés, changés, ou modifiés (+), comme s'ils n'étoient obligatoires pour elle qu'autant qu'il lui plaira; il étoit bien plus naturel de dire à l'Eſpagne, “ La France fait profeſſion d'être fidélle à tous ſes engagemens, & vous n'avez acucun ſujet de craindre qu'elle manque à ce qu'exigent ſes traités avec vous ; mais hâtez-vous de terminer à l'amiable vos différens avec l'Angleterre. Votre poſition ne demande pas la guerre ; la nôtre y répugne : l'objet en queſtion ne la mérite pas. Vous avez accordé la ſatisfaction qui étoit défirée ; ce qu'il reſte à diſcuter par correſpondance de cabinets, ou par voie d'arbitrage Comme vous l'avez propoſé, n'exige pas qu'on demeure armé de part & d'autre. Le Gouvernement Britannique eſt trop fage pour vouloir mettre toute l'Europe en feu au ſujet de quelques pêcheries qui ne peuvent être à ſes yeux, ni aux vôtres, que d'une médiocre importance."- Ainſi auroient parlé de vrais amis de l'humanité & de la raiſon, La Cour de Madrid, qui ne demandoit à la France que la dé- claracion de ſes intentions par rapport au Pacte de Famille, n'auroit pu ſe plaindre d'une réponſe qui n'eût annoncé au- cune dérogation à ce pacte, & qui cependant n'auroit pas em- pêché qu'on ne pût à l'avenir y apporter, d'un commun accord, les reſtrictions dont il eſt ſuſceptible. La Cour de Londres, fortifiée. dans ſes diſpoſitions pacifiques, par celles que notre conduite auroit manifeſtées, ne fe feroit pas laiſſé ſurpaſſer en eſprit d'équité & de conciliation ; elle n'auroit eu alors au- cun motif d'exiger de l'Efpagne une réponſe auſſi prompte & auffi définitive qu'elle peut aujourd'hui la demander ; & la négociation ſur le fond des queſtions à éclaircir, eût ſuivi ſon (+) Page 5 du Rapport fait à l'Aſemblée Nationale au nom du Comité Diplomatique, dans la ſéance du 5 Août 1790, ſur l'affaire d'Eſpagne, par M. Mirabeau l'aîné. C'eſt dans ce même rapport que ſe trouvent les Qutres paſſages que j'ai cités. 1 6 [ 19 ] Tes ſucceſſeurs, & à leur remettre le dépôt du pouvoir légiſlatif, quelle ſeroit alors la ſituation du royaume; & que pourroit-on en augurer pour l'avenir ? ! cours naturel, fans fecouſſe, fans aigreur, ſans ces inſtances preffantes qui, vis-à-vis d'une Nation fière, peuvent dégénérer bientôt en cauſes de ruptúre. Aujourd'hui, fi nous conſervons la paix, comme il faut encore l'eſpérer, nous la devrons à une extrême prudence de la Cour de Madrid, & à une grande modération de la Cour de Lon- dres: fi nous avons la guerre, elle ſera l'effet de cette fatalité qui a livré notre gouvernement politique à des hommes dépourvus des connoiſſances & des qualités néceſſaires pour en pouvoir di- riger les rênes. Raiſonneurs préſomptueux ſur les objets qui leur font le moins familiers, ils ſe figurent que fans être, & fans pou- voir être inftruits de l'eſprit des Cours étrangères, ni de ce qui s'y eſt fait, ils peuvent régler à leur gré les intérêts des Puif- fances, en les peſant dans leur balance philoſophique. De grandes phraſes ſur la fraternité des peuples, ſur la fédération du genre humain, ſur la bienveillance univerſelle que prépare la reconnoiſance des droits des nations, & ſur notre diſpoſition à détruire nos fortereſſes, à diſſoudre notre armée, à brûler nos flottes, s'il en falloit donner l'exemple, pour étouffer à jamais le gerine des combats, toutes ces battologies leur paroiffent ſuffire pour préſerver la France des ſuites de leur fauſſe démarche ; & déjà leur imagination exaltée voit s'approcher le moment où la Libérté régnant ſans rivale ſur les deux mondes, abfoudra l'eſpèce humaine du crime de la guerre, & proclamera la paix univerſelle ; déjà ils fe voient conquérant l'univers entier à la vérité, à la modération, à la juſtice; déjà ils s'écrient, L'Europe eura-t-elle beſoin de politique, lorſqu'il n'y aura plus ni de potes ni eſclaves? La France aura-t-elle beſoin d'alliés, lorſqu'elle n'aura plus d'ennemis? Tel eſt le fingulier idiome de notre Comité. Diplomatique ; Lelles font les rêveries que ſon rapporteur préſente à la Nation, A C 2 + i [ 20 20 ] 2 Pour réſoudre cette queſtion, il faudroit ſavoir quelle meſure de pouvoir ſeroit abandonnée à la nou- en même tems qu'il la précipite dans le danger d'une guerre dé- faftreule. Il ne la veut pas, & il en veut l'appareil qui ſeul peut 'attirer ; & il le veut fans la moindre apparence de néceſſité. Qu'avoit-on à craindre ?-Qu'on attaquát nos poſelfrons loin- taines, parſemées dans les deux mondes? Eh! pourquoi, lorſque nous exigeons qu'on ait foi à nos principes, quoique déinentis par nos actions, ſoupçonnerions-nous de perfidie les proteſta- tions d'une Nation que nous appelons nous-mêmes notre aînée en eſprit public, & qui, loin d'abuſer de nos agitations, ne s'oc- cupe, depuis qu'elles exiftent, que du ſoin de pacifier l'Europe A-t-on vu le Cabinet de St. James attiſer la diſcorde entre les Puiſſances qui font en guerre, pour profiter un jour de leur épuiſement? L'a-t-on vu convoiter cette belle contrée Bel. gique, & vouloir l'acquérir par des ſervices dont elle eût pu devenir le prix ? L'a-t-on vu fomenter les inſurrections de nos colonies, & s'efforcer de les détacher de nous, pour y trou. ver un dédommagement de la perte de l'Amérique ? Eft-il enfin le moindre indice qui autoriſe à lui imputer d'avoir fait répandre en France l'argent employé à exciter le déſordre, tandis qu'il eſt très-facile à l'Aſſemblée Nationale de connoître les auteurs de cette corruption, & les fonds qui y ont ſervi ? Si nos très-nouveaux publiciſtes étoient mieux informés, je ne dis pas ſeulement des ſentimens généreux du Monarque dont l'Angleterre bénit le gouvernement, & des principes du ſage Miniſtre qui ſeconde ſes vues, mais même de ce qui convient, & à ce royaume, & à ceux qui le régiſſent, ils auroient été bien éloignés de lui oppoſer des intentions hoſtiles, auxquelles ſon intérêt bien entendu eſt entièrement contraire. Pourquoi l'An. gleterre voudroit-elle bouleverſer le gouvernement de la France, ou attaquer ſes pofleffions : Seroit-ce pour s'emparer de quelqu'une de ſes provinces, & ſe fonder une domination ſur le continent ? Eſt-elle donc fi pcu aviſée que de ne pas ſentir qu'il y auroit dans le ſuccès 4 1 } i 1 21 ] velle Affemblée; ſi elle hériteroit de toutes les uſur- pations de l'Aſſemblée actuelle; ſi elle s'empareroit même de cette chimère, plus de malheur pour elle que d'avan- tage, & que ce ſeroit acheter chèrement un foyer de guerre éternelle Seroit-ce pour conquérir l'une ou l'autre de nos pollellionis lointaines ? Les fiennes lui ſuffiſent : elle éprouve qu'elle n'a rien perdu par la diminution de leur étendue; comment vou- droit-elle les augmenter par une injuſtice? Ses grandes ri- cheſſes coloniales viennent de l'Inde, où elle n'a rien à déſirer en accroiſſement, ni rien à craindre en déperdition, ſur-tout depuis que notre mal-adreſſe a fait échapper de nos mains le lien qui pouvoit nous faire redevenir formidables dans cette partie. Seroit-ce pour aggrandir ſon commerce des débris de celui de la France ? Mais le fien eſt au plus haut période ; & pour achever la ruine du nôtre, elle n'a qu'à laiſſer faire l'Affem- blée: le ſeul danger pour les manufactures Angloiſes eft de manquer d'acheteurs. Les Anglois doivent donc craindre plutôt que déſirer la ruine du royaume où ils vendent le plus. Seroit-ce enfin, par ſuite d'une haine ancienne, ou par reſfen- timent d'une bleſſure encore faignante, qu par jalouſie de nos proſpérités à venir, que l'Angleterre voudroit ſaiſir l'occaſion de nous accabler?La haine? --Devons-nous croire encore aux effets de ces haines nationales qui peut-être n'influèrent jamais dans les combinaiſons politiques ? Si des rivaux haïffent, c'eſt quand ils redoutent : les nôtres n'ont que ſujet de nous plaindre. Le reſſentiment? --Il ſeroit très-poſſible ; mais fi l'on devoit ſe décider par lui, on ſe fût décidé plus tôt; & le fait proizve qu'il eſt étouffé par des ſentimens plus nobles, ou ſurmonté par un plus grand intérêt. On gagne plus fans doute à vendre à la France qu'à la combattre. La jalouſie ?--Je ne puis prononcer ce mot fans craindre d'exciter encore un de ſes ſourires, aneres e mon cœur, que j'ai vu naître lorſqu'a paru le clécret de notre C3 [ 22 ] comme elle du gouvernail de l'État ; ou, ce qu'il deviendroit alors, s'il rentreroit dans la main du Roi, & fice Monarque, auſſi malheureux que chéri, reprendroit enfin l'exercice de ſes droits, & l'uſage de fa liberté ? En s'arrêtant aux principes de l'Aſſemblée, on doit croire que celle qui la remplacera, ſera réduite aux ſeules fonctions légiſlatives, & que les prétextes dont t renonciation aux conquêtes. Mais quand on admettroit que l'Angleterre eût dès-à-preſent ſujet de prendre ombrage du furcroît d'énergie & de puiſſance qu'une conſtitution libre & patriotique pourroit nous procurer dans l'avenir, s'enfuit-il que les convulſions qui accompagnent le douloureux enfantement de cette conſtitution, doivent l'exciter à s'armer de toutes ſes forces pour aggraver notre détreſſe, & nous arracher à l'eſpoir du bonheur? Peut-il, ce barbare projet, s'allier avec la loyauté de fon caractère national ? peut-il s'accorder avec les lumières d'un peuple habitué à réfléchir? Ignore-t-il qu'allumer les flam- beaux d'une guerre extérieure, c'eſt éteindre les torches de la diſcorde inteſtine? Ne fait-il pas que Rome dut ſa force à ſes rivaux, que le tems de l'exiſtence de Carthage fut celui de fa plus grande vigueur, que fa décadence, commença quand le coloffe de fa puiſſance eut écraſé tous ſes ennemis, & qu'en général un grand empire a beſoin qu'il y ait à côté de lui un autre grand empire, pour entretenir la vigilance & fon patrio- tiſine? Toutes ces réflexions m'ont convaincu dès les premiers ino- mens de notre révolution, qu'il n'y avoit aucun ſujet de s'in- quiéter des diſpoſitions de l'Angleterre ; & je n'ai pu en douter lorſque les perſonnes les plus capables d'y influer m'ont paru penſer de même. Comment ne les croirois-je pas fincères ? Il y a trois ans que je vis en Angleterre, & je n'ai pas été trompé par un feul Anglois. 1 [ 23 ] , 1 celle-ci s'eſt autoriſée pour confondre en elle tous les pouvoirs, diſparoîtront avec le titre de Conven- tion nationale, qu'elle n'entend pas tranſmettre à ſes ſucceſſeurs. Mais c'eſt alors même, c'eſt lorf- que chacun des Pouvoirs ſera dans le cas de ren- trer dans ſes droits, & de ſe renfermer dans ſes li- mites, qu'on appercevra à quel point ces droits & ces limites ont été méconnus & intervertis; les difficultés comprimées momentanément par une violence tyrannique, s'éleveront en foule dès qu'elle ceffera, & embarraſſeront tous les mouvemens du corps politique ; le Pouvoir exécutif entravé dans toutes ſes fonctions, & privé de tous ſes reſſorts, ne pourra ſe rétablir ſans faire révoquer les diſpo- ſitions qui le rendent nul; le Pouvoir judiciaire ſe verra, par défaut de conſiſtance & de conſidéra- tion, dans l'impoſſibilité de remplir fon objet; & le Corps légiſlatif, vainement aſtreint à l'obligation impoſſible d'exécuter des décrets contradictoires '' entre eux, en même tems qu'incompatibles avec toute eſpèce de gouvernement, ſe trouvera forcé de s'en affranchir, & voudra reprendre ſous ceuvre l'édifice qu'il verra s'écrouler de toute part. Mais comme par ſon inſtitution il n'en auroit pas le pou- voir, il ne l'entreprendroit pas fans accroiſſement de trouble; & ſes efforts même, pour réparer les torts antérieurs, ne pourroient que replonger la France dans un nouveau genre de chaos. 1 Sans doute les aſſemblées de cette nouvelle dy- naſtie légiſlative n’admettroit pas long-tems d'être 4 C 4 1 [ 24 ] dans un 1 nationales dans un ſens, & de ne l'être pas Marchant ſur les mêmes traces que celle qui veut être unique dans ſon eſpèce, il eſt bien difficile qu'elles ne veuillent pas faire le même chemin ; que déléguées comme elle, & même, ſui- vant elle, plus conſtitutionnellement, elles ſe croient moins accréditées par la Nation; & qu'un jour ou l'autre, inſtruites par un grand exemple, qu'il ne faut que croire entendre un tocfin de néceſſité, ou voir luire des baïonnettes, pour avoir droit de s'é- riger en Convention nationale, elles n'en prennent aufli la fantaiſie (*). Que deviendroit en ce cas l'inamovibilité de la Conſtitution? Que devien- droit le royaume balotté de plus en plus en ſens contraires, par des légiſlatures diſcordantes? C'en eſt aſſez pour faire preſſentir que le dél- ordre actuel ne peut conduire à un meilleur avenir: mais ce qui va le démontrer plus poſitivement, c'eſt le développement des vices eſſentiels qui ren- dent les principales opérations de l'Aſſemblée en- tièrement infoutenables. Je les diſcuterai l'une après l'autre, en commen- çant par l'article des finances publiques, qui auroit dû fixer plus particulièrement l'attention des re- préſentans de la Nation, comme étant celui qui in- (*) Voyez le diſcours de M. de Mirabeau l'aîné, du 19 Avril: j'y reviendrai ci-après. A 25. ] [ téreſſe davantage le ſort du peuple, & dont les ramia fications ont le plus d'expanſion dans le corps poli- tique. Quelque peu avancé qu'on ſoit encore dans le travail commencé ſur cette matière, il eſt aiſé d'en voir dès-à-préſent l'iſſue, & de juger en quel état ſeront les finances, quand l'Aſſemblée actuelle en abandonnera le ſoin à la première légiſlature, & ce qu'on peut attendre de celle-ci à leur égardi L'état des Finances eſt tellement empiré en FINANCES conſéquence des Dogmes & des Operations de l'Aſſemblée, qu'il eſt impoſible qu'il y ſoit remédié par elle, ni par celle qủi lui ſuccédera, en donnant ſuite aux mêmes opérations, & laiſſant ſubſiſter les mêmes dogmes. 1 L'ASSEMBLÉE, qui juſqu'à préſent ne s'eſt occupée que de pourvoir aux beſoins les plus preſ- fans, en y employant des meſures extraordinaires, dont l'effet, quel qu'il puiſſe être, ne ſauroit's'éten- dre juſqu'au principe du déſordre habituel, vou- dra ſans doute, avant de ſe ſéparer, paroître avoir enfin porté ſes vues ſur un objet ſi important; & il faut eſpérer que des travaux réunis de ſes différens Comités, il fortira un règlement quelconque, ten- dant au rétabliffement du niveau entre les revenus ordinaires & les dépenſes ordinaires. [ 26 ] Mais comment l'Affemblée remplira-t-elle cette tâche indiſpenſable? Dira-t-elle à la Nation, « Pour ſatisfaire à vos intentions, nous avons d'a- “ bord liquidé toutes les dettes exigibles, & nous « en avons aſſuré l'acquittement par des moyens « légitimes, les ſeuls qui ſoient certains. « Nous avons enſuite fixé l'état des dépenſes “ ordinaires, conſéquemment à toutes les réduc- « tions poſſibles, & en ne conſidérant comme “ telles que les retranchemens conſtamment pro- « ductifs d'une économie réelle. Cet état s'élève " à la ſomme de } « Enfin, nous avons réglé l'état des revenus or- « dinaires, en proportion de celui des dépenſes, & “ de manière qu'il reſte un excédent convenable pour maintenir l'ordre, & former le fonds d'un « amortiſſement fucceffif. Ce ſecond état doit monter à la ſomme de « Pour ſubvenir à cette ſomme, l'impoſition réelle e ou territoriale, répartie proportionnellement fur < tous les fonds, à raiſon de tel tantième ſur leurs “ produits reſpectifs, montera à « L'impoſition perſonnelle & facultative, diſtribuée par les adminiſtrations, fuivant telle règle exclu- « five d'arbitraire, montera à « Les impoſitions indirectes ou droits tarifiés, per- "ceptibles ſur tels objets, & par tel mode de recouvrement, monteront à 1 [ 27 ] Si nous voyons paroître un pareil réſultat avec tous les détails & des calculs exacts, le public lui- même fera en état de juger de la poſſibilité, ou plu- tôt de l'impoſſibilité de l'exécution. on n'a pas 1 Mais il ne faut pas s'attendre que les traváux de l'Affemblée ſe terminent par une concluſion auſſi. préciſe. Voici ce qui eſt beaucoup plus vraiſem- blable: dans la crainte de découvrir trop clairement à ce malheureux peuple enivré d'eſpérance, l'énorme ſurcroît de charges qu'il devra ſupporter en impo- ſitions du genre le plus onéreux, on ne voudra pas manifefter l'immenſité du yuide qui depuis un an s'eſt creuſé de plus en plus, & dont juſqu'à préſent ineſuré la profondeur avec exactitude. D'un côté, on ſe contentera de préſenter un apperçu de la dépenſe annuelle, d'après des retranchemens décrétés fans une juſte appréciation de leurs effets, & ſans certitude qu'ils ne ſeront pas en grande partie illuſoires ; d'un autre côté, on déterminera vague- ment les différens genres d'impoſitions & leur mon- tant en maſſe, ſans fixer les quotités de chaque eſpèce, ni les proportions de leurs recouvremens, rejetant ſur les adminiſtrations des départemens, le ſoin d'en effectuer comme elles pourront, la ré- partition & la perception. 1 Cela fait, l'Aſſemblée annoncera que le grand æuvre de la régénération de l'État eſt achevé, & laiſſant le royaume dans un bouleverſement épou- vantable, elle prétendra des droits à la reconnoif- fance publique. Que. feront ſes ſucceſſeurs dé- [ 28 ] pourvus du pouvoir de rétablir ce qu'elle aura dé- truit, & chargés de l'impraticable exécution de ce qu'elle aura preſcrit? Parviendra-t-on de long- tems à rendre effectifs & complets dans tout le royaume, des recouvremens dont la combinaiſon n'eſt point éprouvée, dont le mode n'a pas reçu le ſceau de l'expérience, & qui fourmilleront de diffi- cultés imprévues ? Renverra-t-on au Pouvoir exé- cutif, énervé comme il eſt, & dénué d'agens im- médiats, l'impoſſible devoir de faire lever par force ſur des contribuables armés & enhardis à l'indés pendance, des impôts directs, exceſſivement aug- mentés, & qui, quand on pourroit démontrer par des calculs comparatifs qu'ils ne font pas payer au peuple plus qu'il ne payoit autrefois, lui paroîtroient encore plus peſans que les anciennes contributions, ne fût-ce que parce qu'ils ſeront nouveaux & inuſités ? D'un autre côté, cominent réſoudre toutes les queſtions, réfuter toutes les objections, & ap- planir tous les obſtacles que la nouvelle diviſion du royaume occaſionnera ? Comment trouver moyen de ſuppléer à la pénurie du numéraire, & d'obvier à la furabondance des valeurs fictives qui écraſe- ront la circulation ? Enfin, ſi malheureuſement la guerre venoit mettre le comble à tant, d'embarras, quelles reſſources extraordinaires pourroit-on fe procurer dans un royaume ſans argent, ſans com- merce, ſans crédit, & où toutes les cordes feroient déjà tendues au-delà de toute meſure ? Sous tous les points de vue, la tâche que L'AL ſemblée actuelle laiſſeroit à la légiſlature ſubſé- > i I [ 29 ] quente, ſeroit au-deſſus de toutes les forces de l'eſprit humain ; elle feroit tiſſue d'impoſſibilités qu'il ſemble qu'on n'ait ſeulement pas ſoupçonnées; on ne tarderoit pas à les appercevoir ; & à chaque pas qu'on feroit dans le nouveau régime, on rencon- treroit des difficultés inſurmontables, dont aucune n'auroit été prévue. L'inexpérience ne doute de rien. Les projets ſimples, tranchans, & abſolus, lui paroiſſent toujours merveilleux. Leurs avantages calculés ſur le papier, ſemblent être clairement démontrés, & les inconvéniens échappent à qui- conque n'a pas l'ail accoutumé à les découvrir. . Il ne ſuffit même pas pour les apprécier, de con- ſulter ce qu'on appelle les gens de la chofe. Outre qu'ils peuvent avoir intérêt à perpétuer les abus, la plupart ne voient bien que le côté ſur lequel ils opèrent; & ce n'eſt qu'en enviſageant à la fois toutes les faces & tous les rapports qu'on peut juger de l'effet général. Cette ſcience d'adminiſtration ſupérieure, qui ne s'acquiert que par habitude, & qui ne devient complette que dans les poſtes d'où l'on peut planer ſur tous les objets, & ſe faire aider de toutes les lumières, a ſans doute paru peu im- portante à l'Aſſemblée chargée de rétablir l'ordre dans les finances, ainſi qu'à ceux qui l'ont com- polée, puiſque ne s'y trouvant aucun homme qui ait paſſé par les grades de l'adminiſtration, ni qui en ait fait quelque forte d'apprentiſſage, on n'a eu recours, pour y ſuppléer, à aucune conſultation capable d'éclairer, on n'a cherché à établir aucune diſcuſſion contradictoire, entre des hommes qu'on er [ 30 ] puiffe appeler émérites en financés, ce qui n'eſt pas fynonyme à banquier, ni à commis de bureaux, ni à économiſtes. N'eſt-il pas étrange à l'excès, que dans une Aſſemblée qui ſe dit chargée de refon- dre le régime de l'adminiſtration dans toutes ſes branches, il y ait prodigieuſement de curés, pro- digieuſement d'avocats & de praticiens, beaucoup de militaires, beaucoup de gens de lettres, d'aca- démiciens, & de médecins, quelques magiſtrats, quelques banquiers, quelques commerçans; quel- ques fermiers ; & pas un ſeul adminiſtrateur, pas un des membres du Conſeil qui ont exercé les fonc- tions d'intendant de provinces, pas un de ceux qui ont été à la tête de quelques départemens de finance? Les étrangers qui liront cet ouvrage auront peine à le croire : ils ne concevront pas qu'une nation ſpiri- tuelle, & qui ſe pique de vouloir inſtruire l'univers, foit aſſez inconſidérée pour confier ſa deſtinée à des hommes qui n'ont pas été un ſeul inſtant de leur vie exercés dans l'art de gouverner un État'; què ces hommes reconnoiſſant eux-mêmes à tout inſtant, que les finances du royaume font devenues un dédale obſcur, où ils ne peuvent marcher qu'à tâtons, n'aient pas cherché quelques guides parmi ceux qui ont la connoiffance locale de ce labyrinthe ; enfin, que tandis qu'il ſe trouve en France beau- coup d'hommes éxercés à prononcer ſur les matières d'iinpôts, & formés par leur état à la ſcience pra- tique de l'adminiſtration, parmi leſquels il y en a certainement de très-habiles, l’Affemblée qui a entrepris de régler toute l'adminiſtration ſur un 1 1 1 ( 31 ) plan nouveau, loin d'en avoir affocié aucun à ſes travaux, les ait tout réformés, écartés, & réduits au ſilence. C'eſt cependant un fait certain ; & il étoit néceſſaire que je le fiſſe remarquer avant d'en- trer ſur la ſituation préſente & future des finances, dans des détails que cette obſervation préliminaire peut ſeule rendre croyables. 1 Ce n'eſt qu'en conſidérant comment la grande majorité du Corps légiſlatif eſt compoſée, qu'on peut concevoir que quoiqu'au nombre des 8 à 900 votans qu'elle renferme encore, il y ait 8 ou 9 per- ſonnes qui, avec beaucoup d'eſprit, font depuis un an tout ce qu'ils peuvent pour s'initier dans des matières étrangères à leurs études antérieures & à leur genre de vie, on ait cependant fait, ou laiſſé faire, tout ce qui tendoit évidemment à l'accroiſſe- ment du déſordre; qu'on ait flotté ſans ceſſe d'er- reurs en erreurs ; qu'à dater du premier diſcours prononcé par M. Necker le jour de l'ouverture folemnelle, les comptes les moins exacts, les ap- perçus les plus illuſoires, les propoſitions les plus ruineuſes pour l'État, aient obtenu-l'acquieſcement de l'Aſſemblée; que des projets vingt fois rebutés par les Miniſtres à qui ils ont été préſentés, aient pu la ſéduire ; & qu'elle ait pris pour baſes de ſes premières ſpéculations, des eſpérances qui, fi elles ne ſont pas abſolument chimériques, le font au moins pour l'époque à laquelle on ſe flatte de les réaliſer, & par les moyens qu'on y emploie. 1 [ 32 ] 1 De ce dernier genre eſt le projet, très-bon en lui-même, mais très-difficile à exécuter & très- précoce au moment préſent, de partager la maſſe entière des contributions entre tous les départemens du Royaume, par quotités exactement proportion- nées à leurs forces contribuables. Quand l'État étoit tranquille, quand la force publique avoit toute fon énergie, quand les ordres ſouverains émanés d'un ſeul principe & dirigés vers le même but, opéroient d'accord & avec enſemble, enfin quand il exiſtoit encore de la ſubordination en France, on a fait d'impuiſſans efforts pour balancer avec exactitude les contributions territoriales des diffé- rentes provinces, & pour en faire entre elles une juſte diſtribution, en raiſon de leurs productions & de leurs richeſſes reſpectives, dont on n'a jamais eu qu'une connoiffance très-imparfaite. Un ſeul moyen fembloit pouvoir y conduire promptement & efficacement; je l'ai propoſé aux Notables ; il anéantiſſoit les priviléges : il a été rejeté. Au- jourd'hui, ſans bouſſole, ſans lumière, ſans énergie dans l'autorité, ſans coopération d'agens directs, fans diſpoſition à l'obéiffance de la part des con- tribuables, fera-t-on ce qu'avec tout cela on n'a pu faire ? Le fera-t-on au milieu d'une efferveſcence qui trouble toutes les têtes, & renverſe toutes les idées ? Le fera-t-on au moment que la maſſe des impoſitions les plus ſenſibles et les plus difficiles à répartir, celles qui portent ſur les terres, va être infiniment augmentée pour ſufire à tous les rem- placemens indiſpenſables, tandis que les peuples 3 s'attendent --- .. [ 33 ] s’attendent à n'éprouver qu'allégement & dimi- nution d'impôts ? + Il eſt vrai que les adminiſtrations de départemens & autres adminiſtrations locales, qui leur ſeront graduellement ſubordonnées, donneront, fi elles font bien compoſées, & lorſqu'elles ſeront en plein exercice, de grandes facilités pour aſſeoir & faire lever les contributions générales. Mais avant tout, il faut qu'elles exiſtent ſolidement, & fans litige fur leur étendue reſpective; il faut que le délire d'éga- lité, & l'eſprit d'indépendance, qui règnent aujour- d'hui d'un bout du royaume à l'autre ſous le beau nom de liberté, n'altèrent pas le régime intérieur de ces aſſemblées, ne troublent pas leurs relations réciproques, ne les mettent pas ſans ceſſe aux priſes les unes avec les autres ; il faut en outre qu'il y ait harmonie & concorde entre les 83 départemens géométriquement établis qui partagent aujourd'hui le royaume; que ces 83 départemens, à peine for- més, à peine inſtruits de leurs nouvelles limitations, oubliant tout d'un coup leur ancienne conſiſtance, les uſages qui leur étoient chers, les avantages parti- culiers dont ils jouiſſoient, le droit public qui étoit propre à chaque province, & dans lequel pluſieurs s'enorgueilliſſoient d'avoir ſu ſe maintenir depuis des ſiècles, ne faſſent déſormais aucune difficulté de ſe plier au ſyſtêine d'une uniformité abſolue qui ne laiffe fubfifter aucune diſtinction ; & que ni l'op- poſition d'intérêt, ni la diſparité d'opinion & même de langage, ni les autres différences, foit phyſiques, D . 1 . [ 34 ] ! : foit morales, qui les déſuniffent naturellement, n'oc- caſionnent pas entre eux des ſciſſions funeſtes, ca- pables de tout bouleverſer. Le danger en eſt d'au- tant plus redoutable, que les diviſions ſubſtituées aux provinces, formant aujourd'hui des peuplades armées qui ſe commandent elles-mêmes, & ſur qui l'impreſſion d'une autorité générale n'a plus d'ef- fet coercitif, il eſt à craindre que chacune d'elles ne : veuille ſe faire juſtice à elle-même, qu'elles ne ſe combattent l'une l'autre toutes les fois qu'elles ne pourront s'accorder, & qu'un ſeul exemple de ces guerres inteſtines étant capable d'allumer le feu par- tout, ce beau royaume-dont la maſſe indiviſe ſous la loi d'un feul chef étoit ſi impoſante, bientôt ne ſoit plus qu'un foible amas de petites républiques diffidentes & inſubordonnées. ! Rien n'étoit mieux vu, ni plus ſuſceptible d'une grande utilité, que l'établiſſement des admi. niſtrations provinciales tel qu'il avoit été conçu & adopté par le Roi : mais les meilleures inſtitutions peuvent donner ouverture aux abus les plus perni- cieux, lorfqu'elles ſont détachées de l'enſemble au- quel elles doivent appartenir, & placées ſur une baſe vicieufe ; de même que dans l'organifation animale, les parties le mieux conformées périſſent & fe putréfient, fi elles perdent leur liaifon avec le tout, & qu'elles foient privées du principe vital qui doit animer le corps entier. C'eſt ainſi que l'Aſſemblée, même en décrétant des diſpoſitions re- connues déſirables depuis long-tems, a produit un A [ 35 ] déſordre général dans toute la machine. Le bien, quand il eſt mal fait, dégénère, & tourne à la dé- pravation, 1 ! 1 Achevons d'ouvrir le livre de nos deſtinées; & conſidérons plus en détail, ce que dès-à-préſent on peut appercevoir dans l'avenir, en nous arrêtant d'abord à l'objet des finances publiques ; & pour juger s'il ſera poſſible de lever, en ſus des impo- ſitions ſubſiſtantes, une contribution générale équi- valente à tout ce qui ſe trouvera manqueray revenu fixe comparé aux dépenſes fixes, examinons quelle doit être la hauteur de cette contribution, en pro- portion du vuide à remplir. 1 Le déficit annuel, qu'on devroit croire comblé & au-delà, par l'effet des retranchemens de tous les genres que l'Affemblée a ordonnés, eſt au con- traire devenu, depuis qu'elle gouverne, d'une gran- deur qui doit paroître incommenſurable, ſi l'on conſidère les différences énormes, les contradictions fréquentes, & les variations continuelles qui ſe trou, vent dans les évaluations qui en ont été données à pluſieurs repriſes, foit par M. Necker, foit par le Comité des Finances. L'Affemblée, au lieu de commencer par en déterminer le montant, & ſe faire donner tous les renſeignemens néceſſaires pour le conſtater, a ſouffert que par une complication incompréhenſible de comptes incomplets, & de ré- ſultats hypothétiques, on ait embrouillé de plus en plus les notions qu'on pouvoit en avoir ; & elle : D 2 [ 36 ] les a rendues elle-même de plus en plus fluctuantes par des opérations qui ont altéré toutes les ſources du revenu public, & jeté de l'incertitude ſur toutes : les parties de la dépenſe. Le ſeul moyen de démêler cette fuſée, & de connoître enfin le véritable état des finances, c'eſt de vérifier, 1°. ce qu'étoit le déficit ancien, c'eſt-à- dire celui qui exiſtoit avant l'ouverture de l'Aſſem- bļée ; -2°. ce qu'eſt le déficit nouveau, compoſé des pertes ſur le revenu, & des augmentations de dépenſe, moins les réductions économiques ; 3º. ce qu'on peut augurer des vues de l'Aſſemblée pour remédier au déſordre. La diſcuſſion approfondię de tous ces objets fera voir à quel point l'on s'eſt écarté du but auquel on devoit tendre. i Déficit ancien. 1 Suivant le réſultat du compte remis aux No- tables en Avril 1787, le déficit étoit de 115 mil- lions : mais c'étoit en comprenant dans la dépenſe annuelle, 58 millions de rembourſemens, dont 53 étoient à termes fixes.-Dans le compte rendu par le Gouvernement en Mars 1788, ce déficit a été. conſidéré comme n'étant que d'environ 55 mil- lions : mais c'étoit en faiſant abſtraction de ces mêmes rembourſemens, ce qui n'offroit qu'une diminution idéale.--En Mai 1789, lorſque M. Necker, à l'ouverture des Etats-généraux, a pré- [ 37 ] ſenté un nouveau compte, il a déclaré que le déficit ordinaire ſe trouvoit réduit en ce moment à 56 mil- lions : & ce mot de réduit a fait ſur le public mal-inftruit, l'effet qu'il en attendoit : on ne s'eſt pas ſouvenu que ſon prédéceſſeur, en diftrayant de la dépenſe, les rembourſemens à époques, avoit déjà ſu faire tomber le calcul du déficit à 55 mil- lions ; on n'a pas fait attention que le porter l'an- née ſuivante à 56, en uſant de la même méthode, c'étoit l'avoir augmenté plutôt que réduit. Trompé par la tournure captieuſe des phraſes de M. Necker, le public a rapporté à la ſévère exactitude avec la- quelle il s'eſt vanté d'avoir gouverné le Tréſor Royal, ce qui n'étoit que le ſimple effet d'une manière différente de claſſer les objets; & l'on eſt ſorti de l'Aſſemblée, perſuadé que le déficit étoit réelle- ment diminué, parce qu'il l'avoit dit; tandis qu'avec plus d'attention & moins de crédulité, on eût facilement apperçu qự'il s'étoit au contraire accru de 1,250,000 livres, depuis le compte rendu l'année précédente par M. de Brienne ; accroiſſement qui doit ſurprendre, ſi l'on conſidère combien de re- tranchemens de dépenſe avoient été effectués pen- dant cet intervalle.* * On ne comprend rien aux calculs de ces Meſſieurs. Sui- vant M. de Brienne, les diminutions de dépenſe, & les augmen- tations de recette opérées à l'époque de ſon compte, s'élevoient déjà à frente-fix millions : ſuivant le diſcours de M. Necker à l'ouverture des Etats-généraux, il s'en étoit fait encore pour environ 20 millions depuis la rentrée dans le miniſtère : il y D 3 [ 38 ] Quoi qu'il en ſoit, en s'arrêtant au compte du déficit, tel qu'il a été préſenté à l'époque de l'ouverture de l'Aſſemblée, il doit être conſidéré comme n'étant alors que de 56,230,000 Il faut ſeulement ne pas perdre de vue qu'il ſeroit le double de cette fomine, fi les rembourſemens à époque fixe, qui feront dus encore pendant 10 ans, étoient compris dans la dépenſe annuelle, comme ils le ſeroient ſi l'on n'avoit pas violé l'en- gagement de les acquittér à leurs échéances. Déficit nouveau, compoſé des diminutions de recette & des augmentations de dépenſe, ſurvenues depuis l'ouverture de l'Aſſemblée, moins le produit des réduftions économiques. LA ſuppreſſion de la gabelle, qui avec les ſols pour livre acceſſoires, rapportoit 60 millions, a fait dans le revenu un vuide de pareille fomme. Je parlerai ci-après du moyen de remplacement: il n'eſt pas encore effectué. Mais d'ailleurs, en ce 1 avoit donc, à les en croire tous deux, 56 millions de bonifica- tions effectuées depuis le mois de Mai 1787 juſqu'au mois de Mai 1789. Or, fi à ces 56 millions de bonifications, on joint le montant des rembourſemens qu'ils ont ſuſpendus & mis à l'écart, on trouve un total équivalent à l'ancien déficit. Par conſéquent, au moment où M: Necker ſe faiſoit un mérite de l'avoir réduit à 56 millions, il devoit être abſolument an- Bulle. + 1 [ 39 ] moment-ci, je ne conſidère que la perte qui eſt d'environ 60,000,000 1 Toutes les autres parties de recou- vremens ſont dépéries; & ſuivant l'é- valuation qu'en a donnée M. Necker, dans ſes Obſervations de la fin de Mars 1790, La perte ſur le produit des ventes de tabac, eſt de 800,000 livres par mois; ainſi par an* 9,600,000 La perte ſur les entrées de Paris, eſt par mois de 700,000 livres ; c'eſt par an - 8,400,000 - V La perte ſur le produit des aides eft de 7,200,000 ; & il faut y joindre la perte entière du produit des droits ſur les cuirs, de ceux ſur les huiles & ſa- vons, de ceux ſur la marque des fers, & autres dernièrement ſupprimés, 78,000,000 * La perte fera infiniment plus conſidérable fila propofition faite par le Comité de l'impofition, de rendre libre la culture, la fabrication, & le débit du tabac, eſt adoptée. La perte feroit alors de plus de 20 millions. D4 [ 40 ] 1 De l'autre part 78,000,000 leſquels vont enſemble à 9,000,000 : : c'eſt pour le tout 16,200,000 La perte du droit de franc-fief, & pluſieurs autres pertes de même genre, ſurvenues depuis les calculs de M. Necker, telle que celle des pro- fits féodaux, des droits de bannali- tés, de péages, de nouveaux acquêts, & amortiſſemens, &c. du droit de tiers denier en Lorraine, des droits de 14 deniers ou de 6 deniers pour liv. ſur les ventes des bois ecclé- ſiaſtiques, & gens de main-morte, en diverſes parties du royaume, & autres droits domaniaux, comme auſſi la perte du recouvrement de ceux des frais de juſtice qui étoient à la charge des Seigneurs ; toutes ces pertes faiſant enſemble par an, au moins mo 3,000,000 M. Necker avoit réuni au précé- dent article, la perte qu'il y avoit alors fur le marc d'or, & ſur les parties caſuelles: mais cette perre eſt devenue a-peu-près totale par la ſuppreſſion de 97,200,000 ! 1 [ 41 ] De l'autre part 97,200,000 - la vénalité des charges, qui entraîne celle de tous droits de mutation, cen- tième denier, & par l'abolition des droits de maîtriſe, du point d'hon- neur, &c. Il en réſulte que deux portions de revenu, dont l'une étoit ci-devant de 4,000,000, l'autre de 1,800,000, ſont réduites à ne valoir qu'environ 500,000, & qu'il y a de perte annuelle, ſur le total 5,300,000 L'anéantiſſement des cours de juſ- tice, & de toutes leurs dépendances, occaſionne encore pluſieurs autres genres de pertes ſur les produits de la régie des domaines : comme, ſur les droits de greffe & de ſceau; ſur le droit de timbre. & la formule des actes judiciaires, qui étoit un objet de plus de cinq millions ; fur le contrôle des exploits, qui en pro- duiſoit trois & demi; ſur la recette des gages intermédiaires de tous of- fices vacans par mort ou autrement: on peut bien eſtimer le tout 5,000,000 La perte ſur la régie des poudres, et celle ſur les monnoies, ſont éva- 107,500,000 C [ 42 ] De l'autre part 107,500,000 luées par M. Necker, enſemble un million pour dix mois, par conſé- quent par an 1,200,000 Celle ſur les iniſes de la Loterie Royale* 4,000,000 Il faut ajouter la diminution ſur le produit des traitest, laquelle eſt pour le moins de 6,500,000 Total des diminutions de revenu comptées au plus bas 119,200,000 Je ne fais ici aucune mention du dépériſſement des impoſio tions directes, ce qu'elles ſeront à l'avenir étant l'objet examiner. Il faut préſentement ajouter à cette ſomme de 119 millions toutes les dépenſes nouvelles occa- * L'Aſſemblée ayant accueilli le projet de facrifier un jour ce revenu très-immoral, il ſemble que je pourrois dès-à-préſent le retrancher du revenu ordinaire, & compter en conſéquence la diminution ſur le pied de 14 millions. + Les décrets fanctionnés le 30 Mars 1790 déclarent, Art. 3, que les droits de traite ſur le tranſport des fels, pour les provinces franches & rédimées, rapportoient au tréſor public fix millions. Ainſi, je ne compte en addition à cette perte que 500 mille livres, pour le dépériffement du ſurplus des droits de traite ; & 'c'eſt pour que toutes mes évaluations ſoient plutôt ca deffous qu'au-deſſus de la réalité, 1 1 [ 43 ] Gonnées par l'Aſſemblée Nationale, ou réſultantes de ſes opérations, ſauf à en défalquer enſuite le produit de ſes réductions économiques. i penſe. I'. On trouve dans le Mémoire de M. Necker, Augmenta, lu à l'Aſſemblée le 6 Mars dernier*, que le mon- tions de dé- tant des intérêts & des fonds de rembourſement attribués à l'emprunt de 89 millions fait au mois d'Août 1789, & les annuités données à la Caiſle d'Eſcompte, ont augmenté les charges annuelles de ſommes faiſant enſemble celle de 12,100,000 (C'eſt ce qui lui a fait dire que le déficit s'étoit élevé, en conſéquence, de 56 millions à 68,100,000.) A 1 2°. Les frais de l'Affemblée Natio- nale forment une dépenſe nouvelle, que je compterai beaucoup au-del- ſous de ce qu'elle eſt préſentement. Quand l'AlTemblée étoit de 1200 dé- putés, leurs honoraires fixés à 18 liv. montoient à 22 mille liv. par jour : comme elle eſt aujourd'hui diminuée d'un tiers, cette dépenſe eſt réduite à environ 15 inille liv. chaque jour ; mais comme dans la ſuite il n'y aura que quatre mois de ſéance, & 7 à 8 cents députés ſeulement, je ne porte cet Page 32 de l'édition in-4 1 [ 44 ] 1 De l'autre part 12,100,000 article, en y joignant toutes les dé- penfes relatives à la promulgation des décrets, aux impreſſions, aux meſſages, &c. qu'à la ſomme de* 2,500,000 . 30. Il ſeroit difficile de fixer ce que doit coûter annuellement la garde nationale dans tout le royaume. On affure que la ſeule garde de Paris coûtera, pour cette première année, huit millions; mais je ſuppoſe que cette dépenſe fera diminuée. Celle des gardes nationales dans les pro- vinces eſt un objet plus conſidérable qu'on ne l'imagineroit ſi l'on ne s'attachoit qu'à l'obſervation qu'elle n'eſt pas ſoldée. foldée. Ce que les gardes bourgeoiſes de chaque endroit re- çoivent & conſomment lorſqu'elles font de ſervice; ce qu'il en coûte pour leurs armes & l'entretien; ce qu'il faut 14,600,000 J'ai vu dans le dernier Mémoire de M. Necker, envoyé à l'inſtant de ſon départ, qu'il compte 6 millions par an pour frais de l'Aſſemblée & de Cours Suprêmes : mais comme je n'ai pas une idée nette de ce qu'il entend par Cours Suprêmes, au mo- ment préſent je ne me prévaudrai pas de ce calcul de 6 millions, ne voulant faire entrer dans les miens rien qui puiſſe paroître douteux. [ 15 ] De l'autre part 14,600,000 A leur diſtribuer de poudre, 'balles, ou autres munitions, & tous les faux frais acceſſoires, forment, par une énorme inultiplication de très-petites ſommes, un total qui, eſtiné à 10 millions, ne ſeroit pas exaggéré *. Ce ſeroit donc au premier apperçu 18 mil- lions pour le tout; & je ſerois fondé à ſoutenir, qu'il n'y a point à défal- quer ſur cette ſomme la partie des frais de garde nationale dans les pro- vinces qui ſera payée par les muni- cipalités, puiſque toute dépenſe nou- velle qui néceſſairement retombe ſur le peuple doit être compriſe dans le calcul des charges publiques. Je ré- duirai cependant cet article à moitié, & il ne ſera porté ici que pour 9,000,000 40. M. Necker, au même endroit de ſon mémoire que je viens de ci- 23,600,000 * Je ſuppoſe, d'après les calculs faits par les Membres de l'Aſſemblée, environ goo mille hommes de gardes nationales. armés & en uniformes : en ne comptant pour chacun que 8 de- niers par jour, ou 12 liv. par an, ce ſeroit près de 11 millions. [ 46 ] De l'autre part 23,600,000 ! tert, compte 25 millions mis à la charge des peuples pour ſatisfaire aux frais de l'ordre judiciaire, aux dépenſes des aſſemblées adminiſtratives, & à quelques autres encore. Comme il a donné cet évaluation, non dans un des momens où il vouloit exaggérer les embarras, mais dans un de ceux où il eſt viſible qu'il a voulu en affoiblir l'idée, & perſuader, en partant, qu'il y avoit du remède à tout, même aux grandes fautes, on doit croire qu'il n'a point enflé l'eſtimation, & j'en fais einploi, ci 25,000,000 48,600,000 + Page 21 du dernier Rapport de M. Necker, poſtérieur à ſa démiſſion. En citant cet article je n'ai garde de reconnoître l'exactitude de tous les autres. Ce feroit induire le public en erreur. Il n'eſt pas étonnant que dans un moment de trouble, il ait fait plus d'une mépriſe ; qu'il ait mis à 32 millions & demi les intérêts des offices, & cautionnemens à rembourſer, tandis que, ſuivant le travail du Comité des finances, ces intérêts vont à 37 millions & demi; qu'il ait réduit à 2 millions l'article men- tionné ci-deſſus, qui, dans ſes propres comptes, eſt de 12 millions 100 mille liv.; & enfin, qu'il ait omis dans les apperçus de notre ſituation plus d'une centaine de millions de perte ſur les reve- nus qu'il fait n'éire pas remplacés, afin de préſenter dans ca dernier moment une perſpective favorable. Sa manie des ex- códens eſt comme une maladie intermittente, 1 1 1 [ 47 ) De l'autre part 48,600,000 5º. Suivant les calculs que le Co- mité des Finances a faits avec ſoina & qui ont été publiés par ordre de l'Aſſemblée, les intérêts des offices de judicature, charges de finances, & cautionnemens ſupprimés, montent à 37 millions & demi. Quelque parti qu'on veuille prendre pour leur rem- bourſement, & quelque deſſein qu'on puiſſe avoir d'y employer le produit de la vente de ce qu'on appelle au- jourd'hui les biens nationaux, il faut toujours commencer par en compter l'intérêt en dépenſe: car une dette n'en eſt pas moins dette, parce qu'en vendant ſon bien, on eſpère l'acquit- ter ; à plus forte raiſon, quand on ne l'eſpère qu'en vendant le bien d'au- trui: c'eſt donc un article de nouvelle dépenſe (*) de 37,500,000 69. Il en eſt de même du rembour- fement des charges de la maiſon du Roi, des emplois militaires, & des gouvernemens ; ces trois articles fai- 1 86,100,000 (*) Page 8 de l'Etat de la Dette publique, imprimé au nom de Comité des finances, feconde partic. + [ 48 ] De l'autre part 86;100,000 ſant enſemble, ſuivant l'état du Co- mité, un capital de 90 mille livres, millions 905 Et pour l'intérêt 4,445,000 7º. Les dettes du Clergé, dont l'Etat ſe trouve chargé depuis qu'il s'en eſt approprié les biens, font li- quidées, par le Comité des finances, à 149 millions 400 & quelques mille livres; & l'intérêt, d'après de juftes appréciations de capitaux, ſe trouve être de 5,833,000 livres. La ré- flexion que j'ai faite(*) à l'article pré- cédent, par rapport aux charges à rembourſer, fe rapporte également à celui-ci, & il eſt juſte de comp- ter, ci 5,833,000 8º. La partie échue des rembour- femens à terme fixe, étant, ſuivant le même état du Comité des finances, de 107,835,000 liv. je dois en comp- ter l'intérêt comme dépenſe nouvelle, 96,378,000 } () Page première de l'état ci-deſſus cité. } 1 ( 49 1 De l'autre part 96,378,000 puiſque, li l'on eût continué d'acquit- ter annuellement ces rembourſemens à leur échéance, comme pendant mon miniſtère, le tréſor public ne ſeroit pas chargé de cet intérêt repréſentatif des capitaux, qu'il faudra y employer tôt ou tard, ci 5,392,000 $ gº. L'Aſſemblée ayant décrété le 14 Avril 1790, qu'il ſeroit accordé ſur le tréſor public, une indemnité aux pro- priétaires des dimes inféodées, ce décret charge l'Etat d'un rembourſement qu'on a compté au plus bas prix, en l'eſtimant 100 millions, & pour intérêt 4,000,000 + 10°. Les frais du culte; tel qu'on vient d'e les régler, ſeront; à ce qu'on prétend, compenſés par le produit des biens eccléſiaſtiques, s'ils ne ſont pas vendus (*). Ainſi, n'ayant pas eu A 105,770,000 (*) Il feroit aiſé de prouver que les biens eccléfiaſtiques régis par les municipalités, ne produiront pas, à beaucoup près, 70 millions, comme le Comité l'a ſuppoſé; les frais de recette & la perte ſur les droits ſeigneuriaux, feront une diminution de plus de 10 millions. E } ; ( 50 ) De l'autre part 105,770,000 } égard à la ſuppoſition éventuelle de cette vente, dans les calculs ci-deſſus, je ne compterai rien ici pour cet article. Mais comme le Comité des finances a reconnu qu'en dehors de ces frais, & par-deſſus le montant du produit des biens, l'Etat auroit à payer les penſions des titulaires & des reli- gieux, évalués à 50 millions, cette fomme doit être portée en augmenta- tions de dépenſe, ci : 1 50,000,000 Je ne parle pas de l'intérêt de l'ar- riéré des départemens, & de quelques autres parties de la dette exigible, que je regarde comme compenſés par la réduction ſur les anticipations ; j'exa- minerai même ci-après la différence qu'il peut y avoir à l'avantage de cette réduction. Total des dépenſes nouvellement ajoutées à la dépenſe ordinaire 155,770,000 C'eſt en comparant ce ſurcroît de dépenſes an- nuelles dont l'Afſemblée Nationale a chargé l'État, avec la valeur réelle des retranchemens économiques faits ou annoncés; qu'on pourra juger de ce qui doit en réſulter, par rapport au montant du déficit actuel. 19 [ 31 ] Il n'eſt pas aiſé de fixer à une fomme déterminée Réduction: le montant des réductions économiques, dont le économiques, Comité des finances n'a donné que des apperçus variables. 1 Tantôt, par un mémoire accompagné de ta- bleaux juſtificatifs & explicatifs, on a montré une réduktion des dépenſes & dettes publiques, qui de- voit monter à 119 millions. (1) . Tantôt, en corrigeant quelques erreurs de cet apperçu, on n'a plus fait eſpérer qu'une économie de 96 millions ſous un point de vue, & de 75 à 80 ſous un autre. (2) Enſuite l'Aſſemblée, reconnoiſſant que le rejet de 35 millions & demi ſur les adminiſtrations des provinces, n'étoit qu'un revirement de dépenſes, qui n'allégeroit en rien le fardeau des peuples, les a retranchés de la réduction qu'elle n'a comptée & décrétée que ſur le pied de 60 millions. (3) M. Necker a obſervé alors, qu'il n'entendoit pas bien l'engagement final de former, d'une manière ou (1) Rapport de M. de Monteſquiou, du 18 Novembre 1790, N° des Pièces juſtificatives. (2) Apperçu des réductions ſur la dépenſe publique, du 29 Janvier 1790, p. 5 & 9. (3) Décret du 26 Février 1790. E 2 1 -- 1 [ 52 ] 3 d'autre, une rédution de 60 millions ; & il a relevé d'ailleurs dans ce calcul de 60 millions, une erreur de 4,889,000, qui n'a pas été conteſtée. (4) Il eſt ſurvenu depuis une autre repriſe à faire ſur cette ſomme, la dépenſe de la Maiſon du Roi, qui n'y étoit compté qu'à 20 millions, ayant été remiſe à 25: 1 Ces deux articles font enſemble une ſomme de 9 millions 889 mille livres, qui, retranchée de celle de 60 millions, la réduit à 50,111,000 1 gages & Je dois joindre à ces réductions économiques le montant des des intérêts, qui ceſſeront par les rem- bourſemens des charges, offices & cautionnemens, puiſque j'ai compris dans les augmentations de dépenſes, la ſomme entière qui devra être payée annuellement pour l'intérêt du capital de ces rembourſemens. Il n'y a que la différence entre cet intérêt & ce qui ſe payoit autrefois, qui foit dé- penſe nouvelle. Ainſi, les finances des charges de magiſtrature, & autres .. t (4) Mémoire du premier Miniſtre des finances, la dans la ſéance du 6 Mars 1790, page 34 ; & Rapport de M. de Mon- teſquiou, du 15 du même mois, page 26. A 1 mange I 5 [ 53 j De l'autre part 50,111,000 1 / offices acceſſoires, tels que ceux des : chancelleries, des huiffiers, procu- reurs, &c. formant enſemble un capi- tal de 450 millions, l'intérêt que j'ai compté en dépenſe ſur le pied de 22 millions 500 mille livres, ne coûte en augmentation que 13 millions 147 mille livres, parce qu'il coûtoit auparavant 9 millions 353 mille liv. en gages repréſentatifs de l'intérêt des finances : il eſt donc juſte de compter ici en réduction, ces gages ſuppri- més, ſur le pied de > 9,353,000 1 1 + 1 Je dois porter également en réduc- tion les intérêts ſupprimés des charges de finances & de cautionnemens, ayant porté en dépenſe l'intérêt des ſommes deſtinées à leur rembourſe- ment, dans les états joints au premier rapport de M. de Monteſquiou du 18 Novembre 1789. Ce retranchement étoit compris dans la ſomme des ré- ductions, ce qui a penſé m'induire en erreur ; mais j'ai obſervé qu'ils n'étoient pas repris dans l'état des ré- ductions décrétées proviſoirement le 59,464,000 1 E 3 1 1 [ 54 1 De l'autre part 59,464,000 26 Février 1790; & en conſéquence je les ajoute ici pour leur montant to- tal de 16,012,000 Il n'en eſt pas de même des appoin- temens & émolumens qui étoient at- tachés aux charges de la Maiſon du Roi, de la Reine & des Princes, ou aux emplois militaires, & aux gou- vernemens. Comme ils étoient payés foit ſur les fonds affignés pour la Maiſon du Roi, &c. foit ſur ceux du département de la guerre, & qu'ils ne formoient pas d'articles particuliers dans les anciens états de dépenſe, leur fuppreſſion eſt englobée dans les ré- ductions de la liſte civile, & des fonds de la guerre, leſquelles font partie de celles que j'ai rappelées ci-deſſus comme décrétées proviſoirement le 26 Février. Il y auroit donc double emploi, ſi je les comptois de nouveau, mémoire. ci pour Reſte l'article des anticipations, dont l'anéantiſſement ſemble pro- mettre une économie d'environ 15 753476,000 1 75,476,000 1 1 1 : [ 55 ] De l'autre part millions par an; mais que je ne puis porter ici en réduction, 1°. parce qu'il n'eſt pas certain que la réfo- lution de ne plus anticiper s'effectue conformémentaux décrets de l'Aſſem- blée, & qu'au contraire, depuis qu'elle a été priſe, il s'eſt fait de nouvelles anticipations ſur l'année prochaine ; 2°. parce que les anticipations qui ſubſiſtent au moment où j'écris, c'eſt- à-dire celles dont les échéances ſont poftérieures au préſent mois d'octo- bre 1790, & qui s'étendent juſqu'au mois de Mai 1791, montent encore, fuivant le dépouillement que j'en ai fait dans le compte préſenté à l'Af- femblée par M. Necker le 21 Juillet dernier, à une ſomme de ilt millions 800 mille livres, de laquelle il eſt in- diſpenſable de continuer à payer l'in- térêt juſqu'à leur extinction; 3º. parce que les moyens qu'on a employés, pour ſe libérer des frais que coûtoient les anticipations, font preſque auſi onéreux que ces frais eux-mêmes, comme je me réſerve de le faire voir: ci 1 I mémoire. Total des Réductions 75,476,000 E E 4 1 [ 56 ) } RÉSUMÉ. Les augmentations de dépenſes montent à 155,770,000 1 Les réductions économiques, qu'il faut en ſouſtraire, montent à 75,476,000 Reſte en augmentation de dépenſe, 80,294,000 D'un autre côté, les diminutions de revenu vont à 119,200,000 Le déficit additionnel, compoſé de ces deux ſommes, eſt donc de 199,494,000 ! Le précédent étoit de our 56,230,000 t } 1 Total du déficit actuel '1 • 255,724,000 Dans ce calcul il n'eſt aucunement queſtion des rembourſemens à époques. On les a entièrement perdus de vue depuis ma rétraite, J'ai déjà ob- ſervé que fi.je les avois pareillement retranchés du compte que je donnai en 1787, le déficit n'eût été de 57 millions. Quelles clameurs n'ex- cira-t-il pas contre moi, quand je pris la ſalutaire réſolution de le révéler! Aujourdhui il eſt plus que quadruple, & il ne fait pas de ſenſation, alors que 1 + [ 57 ] Mais fans revenir à ce qui me regarde, peut-on n'être pas frappé ſi l'on compare le déficit réſultant du compte remis par M. Necker, il y a 17 mois, au déficit actuel, de voir qu'en ſi peu de tems il ſe ſoit accru de 199 millions ? 1 1 1 . Me reprochera-t-on de n'avoir pas compté en compenſation des diminutions de revenu, le pro- duit des impoſitions décrétées pour remplacement ? Mais d'abord, ce produit, qui ne ſeroit même qu'un remplacement très-inégal, puiſque, pour tenir lieu de 60 millions que valoit la gabelle, on n'a décrété qu'une impoſition de 40, n'exiſte pas encore ; ſon recouvrement ne s'eſt pas fait, & ne ſe fera qu'après que l'état général des contributions, la forme de leur aſſiette, & le mode de leur perception, ſeront définitivement réglés. J'examinerai ci-après com- ment ils peuvent l'être. De plus, j'ai dû commen- cer par faire voir à quelle hauteur ces contributions devront s'élever, pour ſuppléer à tous les vuides: j'ai donc dû meſurer ces vuides en eux-mêmes, & tels qu'ils ſont au moinent préſent, abſtraction faite des moyens qui pourront être employés pour les remplir, Je l'ai dû d'autant plus, que c'eſt la mar- che qu'a ſuivie l'Aſſemblée; elle a détruit le revenu avant d'avoir pris aucune meſure pour le rempla- cer, & ſans ſe mettre en peine des maux irréparables qu'une lacune de plus d'une année occaſionneroit. C'eſt ſans doute de la part l'inverſe de ce qu'il eût fallu faire ; mais de la mienne, il eſt conſéquent, & 1 [ 58 ] i dans l'ordre d'une diſcuſſion méthodique, d'établir l'importance du déficit en totalité, avant de con- ſidérer ce qui pourra dans la ſuite le faire diſpa- roître. . Au reſte, loin d'avoir exaggéré ce déficit, en eſtimant qu'il eſt préſentement de 250 millions, je crois indiſpenſable de le porter à un taux encore plus conſidérable, eu égard à la néceſſité de prendre enfin un parti quelconque ſur ces rembourſemens à époque, que depuis quelques années l'on ſemble avoir mis entièrement à l'écart, quoique l'honneur de la nation ſoit engagé à les acquitter. Le Comité des finances paroît être convaincu de cette néceſ- ſité, puiſque dans ſon rapport du 27 Août dernier il a propoſé l'alternative, ou d'acquitter tout d'un coup ſur le produit de la vente des biens doma- niaus, la mafle entière des rembourſemens ainſi dus à différens termes non échus, ou de former un fond d'amortiſſement de 23 millions 700 mille livres, pour ſervir, en y joignant l'accumulation des intérêts éteints, à fe libérer ſucceſſivement, dans un eſpace de 32 ans, de cette maſſe, qui eſt, ſuivant ſon calcul, de 562 millions 600 mille livres, 1 Mais de ces deux moyens le premier a encouru le reproche d'ajouter au poids déjà exceſſif de la dette actuellement exigible, des parties de dettes qui ne le font pas encore ; & ce moyen mérite un autre reproche encore plus juſte, ſuivant ma façon 1 [ 59 ] de penſer, celui d'affecter à ce paiement anticipé, des biens que je ſoutiens & que je prouverai. être illégitimement uſurpés. I 1 Le ſecond moyen ſe rapproche de ce que j'avois moi-même propoſé à l'Aſſemblée des Notables ; mais c'eſt avec une combinaiſon différente que je ne ſaurois trouver ni juſte, ni raiſonnable. 1°. Il ne ſeroit pas juſte de répartir en 32 ans, des rem- bourſemens dont la majeure partie écherra dans l'eſpace de 10 années, à dater de celle-ci, & dont aucun, ſi l'on en excepte quelques rembourſe- mens de peu d'importance, ſur les. 'emprunts de la ville de Paris, ne ſe porte au-delà de 20 ans. 2°. Il ne ſeroit pas raiſonnable de deſtiner à l'ac- quittement ſucceſſif d'une maſſe de dettes rapide- ment décroiſſante, & dont il n'y a que les 8 à 10) premières années qui ſoient fort onéreuſes, un fond d'amortiſſement toujours croiſſant, & qui, après avoir été inſuffiſant pour ſon objet pendant les premières années, l'excéderoit infiniment pendant les 12 dernières. Ce feroit le renverſement de ce qui eſt indiqué par les dates des échéances : car, étant naturel de proportionner la marche des fonds à celle des rembourſemens, il faudroit y employer un fond dégradatif plutôt qu'un fond progreſſif; & c'eſt ce qui m'avoit empêché d'y deſtiner la ſérie des extinctions d'intérêts, plus naturellement appli- cable aux amortiſſemens volontaires. J'avois en même tems eu en vue, pour alléger la charge des rembourſemens à époques, par rapport au tréſor 1 1 [ 60 ] royal, ſans changer les termes de leur acquittement à l'égard des créanciers, un autre expédient, qui étoit bon du tems qu'il y avoit du crédit en France, & qui auroit, s'il avoit été adopté en '1787, épar- gné au Gouvernement la honte de manquer à cette partie des engagemens de l'Etat que j'avois cru ne devoir pas ſéparer de la dépenſe annuelle, mais qui, depuis qu'on l'en a retranchée, a été comptéę ' pour rien. Aujourd'hui, ſans prévoir ce qu'on voudra déter- miner à l'égard de ces engagemens qui doivent être compris dans ceux que l'Aſſemblée a déclarés être Sous la ſauvegarde de la Nation; il me paroît que, fil'on veut évaluer en idée, ce que coûteroit l'année commune des vingt, entre leſquelles la maſſe des rembourſemens à termes, montant à 562 millions 600 mille liv. ſeroit cenſée être répartie, on trou- vera qu'en joignant aux acquittemens à écheoir, les intérêts des parties non échues, la ſomme moyenne ſeroit au moins de 35 millions. (*) 130 (*) La ſomme de 562 millions 600 mille liv. eſt celle à laquelle la totalité des rembourſemens à époques eſt portée par le Comité des finances, page 7 de ſon rapport du 27 Août.- Cette ſomme, diviſée en 20 ans, donne 28 millions mille livres par année. L'intérêt dégradatif, pris à fa moyenne proportionnelle, devroit être de 14 millions; mais je ne l'ai compté qu'à 7, les premiers rembourſemens étant fi confide- rables, qu'ils doublent la rapidité du décroiſſement: ce qui donne en tout 35 millions par an. 1 [61] Il paroît juſte d'ajouter cette ſomme au déficit annuel, que j'ai montré être de 255 millions, abi- traction faite de tout arrangement à prendre pour l'acquittement des rembourſemens à époques ; & en conſéquence ce déficit doit être conſidéré comme étant de · 290 millions. L'Aſſemblée ſe trouve donc au moment pré- ſent dans le cas de pourvoir à un déficit de 290 millions dans le revenu, nonobſtant, une réduction. de 60 millions ſur la dépenſe. Cette concluſion fait frémir. Mais eſt-elle vraie, ou ne l'eſt-elle pas ? Je m'en rapporte au jugement de l'Aſſemblée elle- même, ſi elle veut faire diſcuter en la préſence chaque article, & prononcer. Je prie, & même au nom de l'intérêt public, je crois pouvoir former le Comité des finances, de déclarer ſi, dans l'ex- poſé que je viens de faire, je me ſuis trompé, & en quoi. C'eſt une queſtion trop importante pour demeurer ſans réponſe. Si j'ai tort, je m'empreſ- ferai de rétracter ma propoſition ; mais je ſaurai la défendre, ſi on ne lui oppoſoit que des ſubterfuges. Le ſilence ſur une telle interpellation ſeroic un aveu ; & je dois être cru, ſi je ne ſuis pas réfuté. Le public ne pardonneroit pas un faux dédain, quand il s'agit d'un éclairciſſement qui l'intéreſſe eſſentiellement, que chaque citoyen a droit de demander, & qui eſt demandé de bonne foi. : 1 Au ſurplus, ſi, malgré tous mes ſoins pour être exact, il s'étoit gliſſé quelque erreur dans mes cal- $ N [ 62 ] culs, ou s'il y avoit du doute ſur la manière d'en- viſager quelques-uns des objets que j'ai comptés en accroiſſement de dépenſe, la différence qui en réſulteroit dans le total, ne pourroit être plus que d'une quarantaine de millions ; & dans ce cas, le déficit ſeroit encore de 250 millions. C'eſt ſur ce pied ſeulement que je l'enviſagerai dans tout ce qui me reſte à dire, afin que toutes mes conſé- quences foient inconteſtables. On voudra donc bien ſe ſouvenir que 40 millions d'erreurs n'en dé- truiroient pas la vérité. Je n'ai parlé juſqu'ici que du déficit annuel, & de ſon prodigieux accroiſſeinent depuis ma retraite. Maintenant, pour faire connoître le déſordre ſous toutes ſes différentes faces, je vais faire voir de combien le capital de la dette nationale s'eſt accrue pendant le inêine intervalle. Accroiſſement du Capital de la Dette Publique depuis Trois Ans. L'Afemblée des Notables convoquée en 1787 avoit pour principal objet de trouver un moyen efficace de mettre fin aux emprunts. Je crus alors, étant parvenu à l'entier acquittement des dettes de la guerre, qu'il étoit poſſible de ne plus recourir à cette funeſte reſſource; & c'étoit pour en rendre. l'abjuration immuable, par un aſſentiment national le plus ſolemnel qu'on pût eſpérer à cette époque, [ 63 ] ic + que je me déterminai non-ſeulement à déchirer tous les voiles, & à montrer la plaie dans toute fa profondeur, mais même à y réunir les acceſſoires aggravans que j'aurois bien, pu en détacher, comme ont fait mes ſucceſſeurs. Mon but, & je l'exprimai clairement dans mon diſcours aux Notables, mon unique but étoit d'amener à de grands. retranchemens ſur la dépenſe, de forcer à réformer d'injuſtes priviléges, d'arriver par ce'dou- ble moyen au niveau entre la recette & la dépenſe, & de délivrer l'État du fyftême emprunteur, prin- cipe de tous les maux. Mais qu'eſt-il arrivé? J'ai été facrifié, & l'on a emprunté plus qu'on n'avoit jamais fait, & l'on emprunte encore tous les jours, & toujours emprunter ſemble être devenu le ſeul ſecret de l'adminiſtration pour remédier ou déſor- dre cauſé par les emprunts! (*), ! Quels cris j'euffe excités en 1787, fi, après avoir démontré combien avoit nui à l'État cette vaniteuſe erreur de préférer, pendant la guerre, des emprunts ruineux, à une augmentation d'impôts, tôt ou tard inévitable, j'avois annoncé que quoique les an- ciennes dettes exigibles fuſſent ſoldées, il faudroit emprunter encore, emprunter plus qu'auparavant, emprunter en trois ans près de 800 millions! Les cheveux en'auroient dreſſé à la tête, & on m'au- (*) Il eſt clair qu'une création d'aſſignats rembourſables, eſ un emprunt. 1 [ 64 ] + roit cru en démence : c'eſt cependant ce qu'on a fait. 1 En voici la preuve. 1°. La ſérie des emprunts directs depuis Mai 1787 juſqu'en Août 1789 (*), monte à 28.7 millions. 1 (*) Emprunt par Edit de Mai 1787 60,000,000 Emprunt des Etats de Languedoc, fin de la même année 12,000,000 Item pour un rachat 3,000,000 Emprunt des Etats de Bourgogne 1,500,000 Loterie d'Octobre 1787 12,000,000 Prêt des Fermiers-généraux 10,100,000 Item des Receveurs-généraux; mais il doit être rembourſé, & n'eſt ici mentionné que pour mémoire. Emprunt du mois de Novembre 1787 . 120,000,000 Trois nouveaux emprunts des Etats de Lan. guedoc en 1788, leſquels n'étant pas remplis en totalité, on ne compte ici que ce qui a été levé juſqu'à préſent, ſavoir 9,300,000 Emprunt des Etats de Provence en la même année 3,000,000 Prêt fait en Mars 1788 par la Compagnie d'Aſſurance 5,000,000 Prêt fait en Octobre 1788 par la Compagnie des Notaires 7,000,000 Echéances d'anciens emprunts depuis 1787. 4,100,000 Emprunt d'Août 1789 de 80 millions, & en effectif de 40,000,000 1 1 287,000,000 1 [.65 ) La ſomme des avances faites au Gouvernement par la Caiſſe d'Eſcompte, ou, ce qui revient au même, la portion des aſſignats-monnoie qui l'a remplacée, auroit pu être comptée parmi les em- prunts directs ci-deſus énumérés : mais au moins celles de ces avances qui ont été faites depuis deux ans, & qui ont abſorbé en grande partie la ref- ſource que les aſſignats devoient procurer, doivent être réputées emprunts indirects; & pour ne rien hafarder ſur leur montant que la transfufion réci- proque des billets de la Caiſſe d'Eſcompte & des affignats-monnoie 'rend difficile de fixer avec pré- ciſion, je m'arrête au dernier compte général pré- ſenté par M. Necker le 21 Juillet de cette année, dans lequel on trouve, à l'article 41 des recettes faites au tréſor royal depuis le 1er Mai 1789 uſques & compris le 30 Avril 1790, pour avancès reçues de la Caiſſe d'Eſcompte (*) ز 190 millionsa (*) Ce qui concerne les avances de la Caiſſe d'Eſcompte, l'emploi des affignats-monnoie, & le reſtant des anticipations, font des objets que le Comité des Finances n'a pas ſuffiſam- ment éclaircis, du moins dans les différens rapports ; & l'on peut dire qu'ils ſont encore dans le nuage dont on a eu ſoin de les couvrir, en les entremêlant artificieuſement. Les affignats ont ſervi à rembourſer la Caiſſe d'Eſcompte, & les billets de la Caiſſe d'Eſcompte ont tenu lieu des aſſignats pendant qu'on les fabriquoit; ces valeurs fictifs ſe font confondues. Les affignats ont dû ſervir auſſi à achever d'éteindre les anti- cipations : inais l'ont-ils fait complettement, à quelle con- currence, & comment l'ont-ils fait? C'eſt encore avec les 400 millions d'aſſignats-monnoie qu'on a rapproché les arré. F, : [ : 66 ] 3º. La ſuſpenſion des rembourſemens échus eſt un emprunt forcé. Le Comité des finances n'a compté rages des rentes': mais ſuffiront-ils pour completter, comme on l'a promis, le paiement de l'année 1789, outre le dernier ſemeſtre de 1788 ? N'en peut-on pas douter, lorſque l'Ad- miniſtration fait entendre, que pour achever le ſervice de la préſente année, & commencer celui de l'année prochaine, on auroit encore beſoin de 200 millions d'aſſignats nouveaux ? C'eſt en marchant dans cette obſcurité, & en ne prenant pour guides que les réſultats qui peuvent paroître authentiques aux yeux de l'Aſſemblée, que j'ai tâché de diſcerner ce qui doit être regardé comme dette additionnelle aux anciennes, d'avec ce qui a ſervi à rembourſer celles qui exiſtoient de mon tems. Je vois clairement, par le compte de M. Necker, 190 millions prêtés au Tréſor Royal par la Caiſſe d'Eſcompte dans l'eſpace d'un an (ce qui eſt le plus grand abus). Je ſup- poſe ce prêt rembourſé en aſſignats. Ce n'eſt qu'un change- ment de dénomination, qui n'empêche pas qu'il n'y ait eu un emprunt de 190 millions, & même qu'il ne ſubſiſte encore; puiſqu'un emprunt, pour être rembourſable ſur des fonds dé- fignés, n'en eſt pas moins un emprunt, & qu'on ne peut pas dire qu'on ne doit plus, parce qu'on a pris la réſolution de vendre ſon bien pour payer ſes dettes. Il paroît que le cautionnement de 70 millions, que j'avois fait fournir aux actionnaires de la Caiſſe d'Eſcompte en Février 1787, &. qui eſt d'une nature bien différente de ce déſordonné mélange des fonds du Tréſor Royal avec ceux de la Caiſſe d'El- compte que je ne me ſuis jamais permis pour la plus petite ſomme, a été pareillement rembourſé en aſſignats-monnoic. En ce cas, ſur les 400 millions il n'en ſeroit reſté que 140, tant pour le rapprochement d'un ſemeſtre des rentes qui en emporte 80, que pour l'extinction des anticipations ; & je ne ſuis pas étonné que les 400 millions n'aient pas ſuffi aux beſoins de l'année. Mais quels beſoins ! & quelle dépenſe que celle qui s'eſt faite depuis 13 mois ! Le compte général remis par [ 67 ) ce qui en eſt dû au moment préſent, qu'à 107 millions 856 mille livres, parce qu'il en a retranché M. Necker le 21 Juillet dernier en préſente une de 731 mil- lions pour 12 mois, finiſſant au dernier Avril ; celle depuis cette date juſqu'à la fin de l'année fera peut-être en proportion plus conſidérable, parce qu'on peut y avoir rejeté tout ce qu'on aura voulu faire diſparoître du compte antérieur. Peut-être y trouvera-t-on encore quelque article de la nature de celui qui eft le 55me du chapitre de la dépenſe, portant 39 millions 871 mille livres pour frais relatifs aux ſubſiſtances, déduction faite des recouvremens qui ont eu lieu. C'eſt-à-dire, que la dif- férence entre le prix de vente au public & le prix d'achat par le gouvernement, ſeroit d'environ 40 millions ; ce qui, en ad- mettant que la perte eût été du tiers, ſuppoſeroit une dépenſe de 120 millions en achat de grains. Or, ſuivant un mémoire inf- tructif remis par M. Necker au Comité des Subſiſtances, les grains que le Gouvernement avoit fait arriver en France juf- qu'au jer Juillet 1789, ceux qui étoient attendus, & même ceux qui étoient eſpérés, ne compofoient tous enſemble qu'un total de 1,404,000 quintaux, faiſant 585 mille feptiers, du poids de 240 livres, meſure de Paris; dont l'achat, ſur le pied de 40 liv. le ſeptier (prix très-haut, ſur-tout ne faiſant pas de différence pour les ſeigles & orges y compris), n'auroit coûté que 23 à 24 millions, quoiqu'on ait ſoutenu à l'AF- femblée auffi effrontément qu'impunément, que l'Etat (qui n'avoit acheté des grains que pour 24 millions), avoit perdu 24 millions à les vendre, Quand il auroit acheté ces grains 30 millions (ſur le pied de 45 le ſeptier), la prétendue perte de 25 millions à la revente eût encore dû paroître une abſurdité révoltante : mais celle qui l'eſt bien plus, c'eſt d'avoir enſuite porté le compte de cette perte à 40 millions ; puiſque c'eſt fuppoſer que depuis le mois de Juillet 1789, époque à laquelle. je veux bien admettre que les achats montaſſent à 30 millions, le Gouvernement en auroit encore employé go en nouveaux achats, pour faire le total des 120 millions, ſur leſquels il y F 2 1 1 1 1 1 [ 68 ) ! trois articles qu'il a jugé à propos de claſſer diffé- remment, quoique ces articles n'en fatient pas moins partie de la dette : nous nous tenons cepen- dant aux calculs du Comité, en ne portant cet objet qu'à 108 millions. 4". L'arriéré du paiement des rentes eſt pareille- ment un emprunt forcé, & qui pis eft, un em- prunt ſans intérêts, par conſéquent le plus injuſte de tous. Comme il a été annoncé qu'on payeroit dans le cours de la préſente année 1790, l'année entière 1789, outre le dernier ſemeſtre de 17.88, il ne reſtera, ſi l'on tient parole, qu’un ſemeſtre en arrière; & ce ſemeſtre eſt un objet de 80 millions. 5º. Les autres arriérés en tout genre qui ont augmenté la dette nationale, ceux des traitemens, appointemens, gages, & de la plus grande partie des penſions qu'on ne paie pas depuis deux ans, ceux de la dépenſe des bâtimens & du garde-meu. ble, enfin, toutes les dettes exigibles non dénom- mées ci-deſſus, & qui ne pourront pas être ac- quittées cette année, forment enſemble un total qui, ſuivant des calculs que j'ai vus, 'iroit à plus auroit perte du tiers. Cette fuppofition, placée entre deux récoltes favorables, eſt le comble de l'extravagance. Il y auroit de l'imbécillité à croire que la moitié inême de cette dépenſe ait: été employée à la ſubſiſtance du peuple; & tout ce qu'on en peut conclure, c'eſt qu'une révolution eſt une chore fort chère. .. * 2 1 . [ 69 ] de 140 millions : mais le Comité des finances ne l'ayant porté qu'à 120, je le compterai ſur le même pied, ci 120 millions. 1 Total des cinq articles d'accroiſſemens à la dette nationale, poſtérieurs au mois Avril 1787, 785 millions. La dénomination d'emprunts peut s'appliquer à toutes les parties de cette fomine. Car ne pas payer ce qu'on doit, & ce qui eſt échu, c'eſt l'em- prunter, ſi ce n'eſt pas le voler; & c'eſt même le genre d'emprunt le plus deſtructif du crédit. D'ail- leurs, quelque différence qu'on voulût mettre entre l'argent levé & l'argent retenu, il n'y en a aucune par rapport à l'emploi ; & de toute manière ceux qui ont adminiſtré les finances depuis trois ans, doivent compte à la Nation de ces 735 millions de reffources extraordinaires dont ils ont augmenté la dette nationale, ainſi que de celles provenues des dons patriotiques verſés au tréſor public, de la vaiſſelle portée à la monnoie, de tout ce qu'a produit la contribution du quart du revenu, &c. La réunion de ces différens fear cours aux 785 millions ci-deſſus, doit élever le total beaucoup au-deſſus de 800 millions (*): mais (*) J'aurois cru que le produit de la vaiſſelle portée aux hôtels dės monnoies, étant de 14 a 15 millions, les dons pa- triotiques, & ſur-tout la contribution du quart des revenus, -- F 3 [ 70 ] n'y eût-il que cette ſomme à compter en extraordi- naires, quel a pu en être l'emploi ? Qu'en ont-ils fait ces Miniſtres fi prôneurs de leur économie, fi dénigrans de toute autre adminiſtration que la leur ? (+) formeroient un ſurcroît de ſecours infiniment plus conſidérable; d'autant plus, qu'il a été affirmé publiquement que la ſeule con- tribution de la ville de Paris iroit à plus de 30 millions.- Comme on ſe repaît d'illuſions ! Le compte remis par M. Necker en Juillet dernier, ne porte en recette que 361 mille livres pour les dons patriotiques, & 9 millions 721 mille livres pour la contribution du quart des revenus dans tout le royaume. Que de belles phraſes on a prodiguées pour fi peu d'effet! (+) Ne peut-on pas faire ici quelques réflexions morales ſur la frivolité, l'inconſéquence, & l'injustice de l'opinion popu- laire, que l'on confond trop ſouvent avec l'opinion publique ? C'eſt en faiſant abſtraction de moi-même, que je ſuis frappé d'un contraſte ſur lequel je voudrois attirer un regard de mes lec- teurs. D'un côtê on a vu qu'un adminiſtrateur victime d'une intrigue de Cour, & du courage qu'il eut le premier, d'attaquer les pri- vilèges du Clergé & de la Nobleſſe, a été livré à la plus cruelle perſécucion, & déchiré par les imputations les plus horribles ; on a vu l'aveugle multitude s'obſtiner à lui attribuer le déſordre qu'il n'avoit pas craint de révéler à la Nation. Sur la ſeule foi de calomnies ſuggérées & accréditées par un adverſaire qui, après l'avoir ſupplanté, étoit intéreſſé à le perdre, on l'a cru coupable du plus affreux gaſpillage; on s'eſt déchaîné avec fureur contre lui. Il a eu beau défier ſes ennemis de prouver, ou même d'articuler une ſeule des déprédations vaguement ſup- poſées ; il a eu beau ſolliciter le plus ſévère examen de toute fon adminiſtration ; on ne l'a point écouté, on n'a voulu rien 1 [ 71 ] Il eſt une autre ſource d'accroiffement de la dette nationale, qu'il ne ſeroit pas juſte de confondre 1 ! : voir, on n'a rien jugé; & aujourd'hui même, lorſque ſes dé- tracteurs ſont réduits au filence, l'impreſſion que leurs noirceurs ont faite ſur le peuple, ſubſiſte encore ; les gens raiſonnables font détrompés ſur ſon compte ; mais il n'a obtenu aucune répa- ration, & il reſte expoſé aux morſures venimeuſes des plus viles reptiles.-Cependant on eſt forcé de convenir que ſi, dans l'eſpace de trois ans & demi, il a emprunté quatre à cinq cents millions, on en trouve l'emploi dans l'acquittement des dettes de la guerre, & de l'arriéré : tout le monde avoue qu'il a toujours payé très-exactement; que les rentes, & tous les engagemens de l'Etat, étoient, ſous fon miniſtère, acquittés avec une ponctualité juſqu'alors fans exemple ; qu'il avoit rétabli le crédit, vivifié le commerce, prévenu toute diſette, encouragé tous les arts : enfin, il eſt conſtant qu'il n'a mis aucun impôt, qu'il a au contraire foulagé le peuple de pluſieurs droits onéreux ; que c'eſt pendant fon adminiſtration qu'a ceſſé le troiſième vingtième ; & que le déficit qu'on lui reproche, n'étoit, en le comptant ſuivant la méthode adoptée, que de 57 millions quand il a quitté le miniſtère: voilà ce que perſonne ne nie, mais que perſonne ne conſidère. D'un autre côté, on a vu auſſitôt après la retraite, l'exac- titude des paiemens ceffer, les engagemens publics être continuellement violés, des emprunts multipliés concourir avec des ſurſéances déshonorantes, le déficit s'accroître, la dette nationale s'aggraver, & le crédit s'anéantir ; le commerce dépérir, l'induſtrie perdre ſon activité, la misère du peuple devenir extrême ; on a vu le trouble ſuccéder par- tout à la tranquillité, la conſidération politique de la France s'évanouir comme un ſonge, le royaume entier s'affaiſſer & tomber en ruine. On croiroit qu'en conſéquence les plaintes, les reproches, les accuſations, ont éclaté avec un redouble- ment de violence contre les Miniſtres ſucceſſeurs de celui qu'on a tant maltraité ; mais non ; le compte de leur geſtion 1 n a vu F I [ 72.] * avec les emprunts, ni avec les fonds conſommés, mais qui n'eſt pas moins un ſurcroît de fardeau pour l'Etat: c'eſt le rembourſement des offices, charges, emplois militaires, gouvernemens, & cau-. tionnemens ſupprimés. Le total des capitaux que leur fupprefion oblige de rembourſer, monte, fui- vant le rapport du Comité des finances, à 862 millions 450 mille livres ; & quoique l'Etat fût déjà débiteur de ces .capitaux qu'il avoit reçus originairement, comme ils étoient aliénés à perpé- tuité, la néceffité de les rembourſer eſt devenue urie charge nouvelle pour le tréſor public. Cepen- dant je ne conſidérerai comme telle que le capital de l'intérêt qui excède celui qu'on payoit ci-devant pour gages d'offices & intérêts des finances. J'ai déjà fait voir que cet excédent étoit de plus de 13 millions pour ce qui eſt relatif aux offices de judicature; il y a auſſi du ſurcroît pour pluſieurs charges de la maiſon du Roi & emplois mili- taires: le tout enſemble va au-dela de 15 millions, faiſant un capital de 300 millions ; & c'eſt cette .. n'a point été diſcuté; on n'a fait que peu ou point d'attention aux soo millions éclipſés, on ne ſait comment, ſous leur régie; après s'être épuiſé en déclamations contre une dilapidation imaginaire, on eſt devenu fioid & muet ſur les déſordres les plus crians; celui qui le premier a mis la Nation en meſure de remédier aux maux anciens eſt proſcrit, & le véritable auteur des maux préfens a-joui de toute la faveur populaire, a été déifié pendant quelques momens, & le ſeroit encore s'il avoit été aſſez aviſé pour ne plus compromettre la célébrité qu'il emportoit dans fa retraite. Oh! jugemens humains ! [ 73 ] , ſomme ſeulement que je compterái en augmenta- tion de la dette nationale: ci - 300 millions. Il faut y joindre le prix du rachat des dîmes inféodés, qui eft encore une dette nouvelle pour l'Etat, évaluée par le Comité des finances à 100 millions. 1 Les aſſignats-monnoie portant 3 pour cent d'in- térêt forment encore un accroiſſement de dette nationale, & auroient pu être placés ſur la ligne des emprunts, puiſque créer du papier-monnoie, c'eſt emprunter du public la valeur de ce papier qui eft dû par l'Etat. Mais comme j'ai compté ci-deſſus les avances faites par la Caiſſe d'Eſcompte qui ont été rembourſés par ce papier, & qu'il a ſervi auſſi à éteindre une grande partie des anticipations, je ne dois regarder comme dette nouvelle que l'excédent de ces deux objets. Ils ont dû abſorber enſemble 445 millions. Si donc, pour en completter l'ac- quittement, & fatisfaire aux beſoins de l'année, il eſt néceſſaire d'ajouter 100 millions au moins de nouveaux aflignats aux 400 de la première émiſ- fion, il n'y auroit ſur le total porté alors à 500 millions que 55 millions de dette nouvelle: il eſt vraiſemblable que le ſupplément ſera beaucoup plus fort ; mais je me borne à ne porter en compte que ces 55 inillions. . Et joignant les 3 ſommes ci-deffüs aux 800 mil- lions d'emprunt, c'eſt au total - 1255 millions. . [ 74 ] ) I 2 Le croira-t-on ? Et peut-on concevoir que la dette nationale, qui ne s'étoit élevée qu'à trois milliards dans le cours d'un ſiècle (*), ſe ſoit aug- mentée de 1255 millions depuis trois ans ?-Je n'exaggère cependant pas. Il eſt aiſé de s'en con- vaincre, ſi l'on veut faire attention qué ce réſultat s'accorde, à très-peu de choſes près, avec celui des états publiés dernièrement par ordre de l'Aſſemblée, leſquels font monter le compte de la dette exigible à un milliard 902 millions, & les capitaux, tant des rentes conſtituées que des rentes via gères, à deux milliards 339 millions; par conſéquent le tout à 4 milliards 241 millions. i A qui s'en prendre ? Sur qui doit frapper la reſponſabilité du tort cruel que fait à la choſe publique la cauſe, telle qu'elle puiſſe être, d'un ac- croiſſement de dettes qui, d'après l'opinion de l'Af- femblée elle-même, ſurpaffe 1200 millions, & d'un / (*) L'Etat devoit, au commencement de l'année 1787, rº, En rentes viagères, 92 millions, faiſant un capital de 920,000,000 2°, En rentes perpétuelles, 55 millions, faiſant un capital de 1,100,000,000 3°, En divers intérêts, gages, 50 mil- Lions, faiſant un capital de 1,000,000,000 Total des capitaux 3,020,000,000, Suivant le Comité il eit à préſent de 4,241,000,000 1 1 Différence 1: 1,239,000,000 [ 75 ] i accroiſſement de déficit annuel qui, comme je viens de le montrer, le porte au-delà de deux cents cin- quante millions ? Voyons maintenant ce que l'Aſſemblée peut faire, ou ce que pourra faire après elle la légiſlature qui lui ſuccédera, pour réparer un auſſi affreux déſordre. V On paroît avoir en vue deux moyens : l'un, de créer de nouveaux aſſignats-monnoie pour folder en tout, ou en partie, la dette exigible, & faciliter la vente des domaines nationaux; l'autre, de faire une refonte générale de toutes les contributions, & de régler les produits de leurs différens genres, de manière que leur réunion puiſſe atteindre le niveau des dépenſes néceſſaires. Examinons quel ſuccès on peut eſpérer de l'un & de l'autre de ces projets, Nouvelle Création d'Aſignats-Monnoie. Depuis qu'une partie des Membres de l'Aſſem blée lui a perſuadé que pour ſauver l'Etat, il falloit s'emparer des biens du Clergé & des domaines du Roi, une autre partie veut lui perſuader que pour rendre cette invaſion utile & promptement falu- taire, il faut rembourſer les créanciers de l'Etat en papiers qui, étant reçus en paiement des biens ſurnommés nationaux, en accéléreront la vente. On [76 1 . ) n'a pas héſité à propoſer de faire deux milliards d'affignats forcés, outre les 400 millions de même genre qui font déjà en circulation; & celui qui diſoit, il y a un an, que le papier-monnoie eſt un vol, un impôt ſur le peuple.... qu'il attente à la liberté nationale.... que c'eſt la peſte circulante, foutient au- jourd'hui avec chaleur, qu'il faut ſe hâter d'en ré- pandre pour deux milliards, & que s'y oppoſer, c'eſt être ennemi de l'Erar!.(*) Voudroit-il donc. faire croire qu'un papier qu'on eſt forcé de prendre en paiement, 8c qu'on ne peut pas convertir en argent à volonté, n'eſt pas papier- monnoie ; & que ce qu'on appeloit jedis, ce qu'on appelle encore ailleurs de ce noin, eſt bien diffé- rent du papier territorial ? Autant vaudroit-il nier l'exiſtence de la lumière quand le ſoleil luit ; c'eſt cependant ce qu'on s'eſt efforcé d'établir. Ne confondez pas, diſoit-on dès la première émiſſion, des aſignats portant délégation, avec le papier-monnoie proprement dit, qui eſt abſolument étranger à celui dont il s'agit aujourd'hui : ne con- fondez pas les lignes repréſentatifs d'une créance Spécialement hypothéquée ſur des immeubles, avec ces dangereuſes illuſions de nos pères dont les funeſtes effets sont encore gravés dens la mémoire de leurs defcendans (t); ! (*) Un autre Membre a dit qu'il n'y avoit qu'un être mal- veillant qui pût être ennemi des aſſignats. (t) Rapport du Comité des Finances du 9 Avril 1790. [ 77 ) Pourquoi donc n'affimileroit-on pas les choſes qui ont effentiellement le même caractère ? Touc papier auquel le Gouvernement imprime une valeur monétaire, dont le cours eſt forcé, & qui n'eſt pas toujours convertible en efpèces, eſt papier-monnoie proprement dit. Or cette définition, qui n'a jamais été conteſtée, convient parfaitement aux aſſignats : ils font papier circulant, ayant cours de monnoie dans tout le royaume ; on eft forcé de les recevoir comme eſpèce fonnante, & ils ne peuvent ſe changer en argent à volonté ; ils ſont donc papier-monnoie. A Mais ils ont deux qualités acceſſoires qui, fans leur donner une autre nature, les mettent dans une claſſe particulière : L'une, c'eſt qu'au lieu que les autres papiers orit feulement une hypothèque générale ſur la maſſe entière des revenus de l'Etat, ceux-ci ont une hypothèque ſpéciale ſur les biens envahis au nom de la Nation. 1 L'autre qualité, qui les différencie des papiers- monnoie ordinaires, & généralement de tout pa- pier n'ayant pour ſoutien que la foi publique, & pour appas que la commodité, c'eſt qu'on a cru néceſſaire de leur donner l'attrait d'un intérêt de trois pour cent, ce qui les fait participer à l'incon- yénient des emprunts. Je laiſſe à juger fi, d'après ces rapports de genre, & ces différences de mode, on fait injure aux + -- ! 1 A ! S [ 78 ) aſſignats en les appelant papier-monnoie. S'il falo loit ajouter une épithète à ce nom, vu la perte qu'ils ſubiſſent, malgré l'avantage qui leur eſt attribué, celle qui conviendroit ne ſeroit pas en leur faveur. Quelque éloigné que j'aie toujours été d'ap- prouver, dans aucun cas, l'introduction d'un pa- pier forcément acceptable, je ne me ſerois permis aucune réflexion capable d'affoiblir la reſſource que la détreſſe où l'on s'eſt plongé a obligé de cher- cher dans l'émiſſion de 400 millions d'aſſignats, & je n'en parlerois pas encore, ſi l'abus qu'il étoit à craindre qu'on ne fît de ce dangereux expédient, ne ſe manifeſtoit pas déjà fans aucune pudeur, & avec un tel excès qu'il n'eſt pas de bon citoyen, ni d'homme ſenſé, qui ne doive en frémir. De tout tems, & dans tous les pays du monde, le recours au papier-monnoie a été regardé comme un ſigne de détreſſe, comme une extrémité fâcheuſe, toujours enviſagée avec effroi, & à peine excuſable lorſque la fatalité des circonſtances y réduit.--Au- jourd'hui, c'eſt avec l'audacieuſe confiance d'homme inſpiré en adminiſtration, c'eſt en ſe congratulant ſoi- même comme d'une conception merveilleuſe, c'eſt en repouſſant tyranniquement toute diſcuſion, qu'on prodigue à ce funeſte fléau les noms de grand moyen, de moyen juſte & falutaire, ... de mine féconde que la Providence nous a fait découvrir au milieu des ruines de l'ancien régime, pour combler l'abyme im- menſe de la dette publique ( *). (*) Expreſſions de MM. de Mirabeau l'aîné & de Beaumetz, [79] ,Déjà des expreſſions auſſi emphatiques avoient été employées dans l'adreſſe aux François imprimée par ordre de l'Aſſemblée au mois d'Avril dernier. Déjà on affirmoit que l'émiſſion des aſſignats-mon- noie, qu'on bornoit alors à 400 millions, étoit le ſalut de l'Etat; que par cette reſſource nouvelle & immenſe on étoit délivré de toute incertitude ; & que la Nation n'avoit plus beſoin que d'union, de conſtance, de fermeté, que d'elle-même, pour que ce grand moyen ramenát dans le tréſor public, dans le commerce, & dans toutes les branches de l'induſtrie épuiſée, la force, l'abondance, & la proſpérité. Six mois ſe font à peine écoulés, & voilà qu'on ſe dit forcé de recourir de nouveau à cette empi- rique recette ; qu'on l'exalte avec un redoublement de charlatanerie, en même tems qu'on en quadruple la doſe; & qu'on veut enfin perſuader au peuple que plus il y aura de papier-monnoie, plus il fera heureux ! 1 On ſe prévaut du ſuccès de la première émiſſion: mais d'abord quel fuccès! Un papier qui, malgré l'hypothèque foncière & l'intérêt journalier qui lui ont été attribués, n'a pu obtenir la même faveur qu'avoit celui auquel il a été fubrogé; un papier dont la circulation ne s'eſt établie 'que par con- trainte, & qui n'a point tardé à perdre 5 à 6 pour cent; un papier dont l'Adminiſtration a déclaré que la ſurabondance avoit augmenté ſes embarras, & qui a encore aggravé le déſavantage de nos traites extérieures, en même tems qu'il a occaſionné 1 [80 plus de rareté d'argent, plus de reſſerrement deſ pèces; eſt-ce donc là un papier dont il y ait ſujec de vanter fi fort l'influence ? Quand d'ailleurs if ſeroit auſſi proſpère qu'on le ſuppoſe, ſeroit-ce une raiſon pour le multiplier au-delà de toute propor- tion? &t, comme l'a fort bien obſervé un des Mem- bres de l'Aſſemblée, de ce que quatre grains d'émé- tique ne tuent pas, peut-on conclure que vingt, pris à la fois, ne feroient pas mortels ? 1 Il y a une meſure de ce qu'il faut de numéraire en circulation pour les beſoins de la vie, & pour ceux du commerce; cette meſure eſt beaucoup plus bornée que ne le penſent ceux qui n'ont fait aucunes recherches ſur cet objet. La circulation ordinaire de Paris roule ſur 80 à 100 millions d'eſpèces; c'eſt-là ce qui eſt en mouvement: ſe ſurplus eft ftagnant, ou ne ſert que pour les négociations con- fidérables, &, pour ainſi dire, excentriques à ce courant journalier qui ſeul intéreſſe le peuple, & qui doit fixer principalement l'attention du Gouverne- ment. Que le volume des ſignes repréſentatifs de l'argent s'accroiſſe par la multiplication de billets dont la moindre valeur foit de 200 liv, & dont le cours ne ſoit pas forcé, ce ne peut pas être un inconvénient, parce que leur uſage, quoiqu'il en filtre une partie dans les marchés d'une certaine valeur, ne fauroit abſorber la quantité d'eſpèces réelles qui s'emploient aux achats les plus néceſ- faires, & au paiement du ſalaire des ouvriers. Plus 1 3 1 } [.81 ] Plus ſont fortes les ſommes dénommées par les billets, moins il eſt à craindre qu'ils fortent de l'atmoſphère ſupérieure des grands échanges, & qu'ils troublent le cours de la circulation intérieure; fur-tout s'ils n'ont point de caractère coactif, ſi leur tranſmiſſion eſt ab. ſolument volontaire, & fi d'un moment à l'autre ils peuvent être convertis en argent. Voilà pourquoi les billets de la Caiſſe d'Eſcompte, lorſqu'ils étoient payés à bureaux ouverts, & que la ſéparation de cette caiſſe d'avec celle du Tréſor Royal étoit main- tenue inviolablement, ſecouroient utilement le com- merce, & vivifioient dans Paris la circulation, fans en exclure la quantité d'eſpèces qui eit toujours né- ceſſaire. Voilà auſli pourquoi, fi la funeſte impé. ritie qui gâte & corrompe tout ce qu'elle touche, n'avoit pas altéré & dénaturé cette excellente inſti- tution, elle eût pudevenir beaucoup plus utile encore en étendant l'uſage de ſes billets dans les provinces, comme je l'avois eu en vue en exigeant des action- naires un nouveau cautionnement. Voilà enfin ce qui fait qu'en Angleterre, quelque conſidérable que puiſſe être la quantité des billets de banque quiy circulent, il n'en réſulte qu'une grande augmen- tation de richeſſe, ſans inconvénient, & fans reffer- rement du numéraire, Mais fi, au lieu d'une monnoie fictive qui ſoit rendue équivalente à la réalité, par la certitude de la réaliſer quand on veut, qui, étant volontaire, ne puiffe jamais être nuiſible, & qui, n'étant pas trop ſubdiviſée, ne faſſe aucun tort au cours des eſpèces, on introduit un papier-monnoie forcé; fi on le rés G .. j h A ( 82 ) pand avec une telle profuſion, qu'il couvre tous les marchés; îi l'on en fait des découpures fort au-def- fous de 200 livres, & juſqu'à la valeur d'un louis ; fi enfin ces parcelles de papier-monnoie, deſtinées par leur ténuicé à pénétrer dans tous les rameaux de la circulation intérieure, ſont multipliées à un point qui excède la meſure ordinaire de cette même cir- culation ; il eſt alors évident & indubitable que ce tyrannique papier inettra en fuite le numéraire dont il eſt l'ennemi; que ne pouvant pas le remplacer à tous égards, il ne pourra le ramener qu'en s'avilifant lui- même; qu'il perdra ſur ſa valeur primitive, en rai- ſon combinée de la ſurabondance & de la rareté de l'argent; que par conféquent il perdra exceſſivement; Si l'on en fait pour deux milliards, ou même pour moitié; que cette perte ne fera pas Teulement fup- portée par les créanciers de l'Etat, mais qu'elle re- tombera de débiteur à débiteur, juſqu'au peuple, juſ- qu'au bas peuple ; qu'il en réſultera pour le manu- facturier l'impoſſibilité de payer le ſalaire des ou- vriers ; pour l'ouvrier, l'impoſſibilité de trouver du travail ; pour tous ceux qui ne vivent que de leurs profits journaliers, l'impoflibilité d'acheter, leur ſub- liſtance. Et de-là, le débordement de tous les maux, l'exploſion de toutes les violences qu'enfante le dé- fefpoir. Tout cela a été vivement fenti par le plus grand nombre des villes de commerce (*), & par- (*). Sur 34 adreſſes des principales villes de commerce, dont il a été fait rapport à l'Aſſemblée le 28 du mois dernier, 7 feya lement ont voté pour les aſſignats, 3 1 [ 83 ] faitement développé par pluſieurs membres des plus éclairés de l’Affemblée. Je puis en juger par les opinions imprimées qui font parvenues juſqu'à moi, 1 M. l'Evêque d'Autun a excité l'attention des délibérans ſur les maux que les aſſignats forcés & ſubdiviſés feroient à l'agriculture & à l'induſtrie, ſur l'appauvriſſement que leur abondance feroit ſouf. frir aux gens de la campagne, & aux manouvriers de tous genres, en rompant toute proportion entre le prix des denrées. & le prix du travail, en renché- riſfant ce qui ſe conſomme, & reſtreignant les con- ſommations. Il a fait les réflexions les plus judi- cieuſes ſur les mouvemens convulſifs que l'apparition ou diſparition ſubites d'une énorme quantité de pa- piers circulans cauſeroient néceſſairement dans la balance journalière des échanges, & dans toutes les parties de l'économie politique : il a ſcruté & ana- liſé avec fagacité tous les rapports exiſtans entre la valeur idéale de l'aſſignat-monnoie, & la valeur in- trinsèque du métal qui eſt en même tems monnoie & marchandiſe; il a fait ſentir la néceſſité de cal- culer leur proporcion, ou plutôt les effets de leur diſproportion inévitable, relativement au change, & à toutes les combinaiſons du commerce extérieur. L'opinion de M. de Landine n'a pas dû faire moins d'impreſſion. A des notions inconteftables & très-bien déduites ſur les motifs qui, chez toutes les nations, ont déterminé la préférence accordée aux G 2 A 1 [ 84 ] métaux ſur tout autre ſigne repréſentatif de la valeur des choſes, il a joint une expoſition auſſi vraie qu'é- loquente des ſuites funeftes qu'auroit ce déborde- ment d'aflignats, qui refluant des créanciers de la nation ſur les propriétaires, véritables familles de l'Etat, & ſur la claſſe indigente qu'ils font ſubliſter, entraîneroit, comme un torrent dévafiateur, & les. comptoirs des villes, & les cabanes des laboureurs, bouleverſeroit toutes les fortunes, ruineroit tous les atteliers, porteroit au loin nos richeſjes réelles, ne laiſ- Jant dans nos foyers que des richeſſes imaginaires, qu’un ſtérile papier, incapable de fertiliſer nos plaines, & mille domaines, mais pas un écu pour les faire cul- tiver. . Je ne doute pas que M. l'Abbé Maury, MM. de Montlauzier, Dupont, Bergaſſe, Deſmeuniers, Ma- louet, & tous les bons eſprits, n'aient pareillement employé leurs talens & leurs efforts pour deſfiller les yeux de ceux qui entendent trop peu à ces matières, , & démaſquer les vues de ceux qui y entendent trop, 3 Faiſant des citations, j'aurois tort de ne faire au- cune mention des derniers mémoires que M. Nec- ker ait adreſſés à l'Aſſemblée... Il a proteſté qu'il ne donnoit aucun aſſentiment à la propoſition de créer des milliards d'aſſignats-monnoie, & qu'il la regar- doit comme infiniment dangereuſe. Quoiqu'il ait paru, depuis quelque tems, que ſa voix avoit perdu tout crédit, on a dû le croire lorſqu'il a lui-mêine déclaré à quel point il étoit journellement embarraſſé pour ( 85 ) raſſembler la portion de numéraire indiſpenſable aux paiemens les plus urgens, & pour aider les chefs des manufa&tures, les marchands, & les particuliers de tous les états à trouver l'argent dont ils ne peuvent fe paſſer; on a dû le croire, lorſqu'atteſtant l'é- puiſement du tréſor public, il a fait obſerver qu'il en coûte déjà infiniment pour les achats d'eſpèces, les extractions de matières 'monnoyables... & qu'eu milieu d'une pareille ſituation des affaires, quand il y déjà une trop grande somme de papier-monnoie, en introduire encore beaucoup plus, c'eſt mettre en cauſe dans les mécontentemens, les plaintes & les réclame- tions, non pas une partie quelconque de la ſociété, mais l'univerſalité des citoyens ; c'eſt les mettre en cauſe, 1012 pas, d'une manière paſagère, mais chaque jour, chaque heure, & à tous les inſtans...... c'eſt mettre en riſque le ſubſiſtance des villes, au moment où l'affluence illimitée des billets-monnoie les feroit refuſer dans tous les marchés libres.... c'eſt rendre incertain le paiement des troupes, celui des travaux publics, celui des atteliers de charité, celui de toutes les dépenſes dont le retardement deviendroit un ſujet de commotion &id'efferveſcence. Que penſer de l’Affemblée qui prétend gouverner la France, fi tant de raiſons palpables, tant de dan- gers imminens, tant d'intérêts nationaux, & tant de témoignages de l'opinion de tout le royaume, ne l'arrêtent pas; s'ils ne lui inſpirent pas au moins des doutes qui; lorſqu'il s'agit de la deſtinée de l'Etat, doivent ſuffire pour empêcher de rien haſara , G3 1 [ 86 ] der? Que penſer ſi, dans une occaſion auſſi impor- tante, & d'une conſéquence auſſi irréparable, elle ſe laiſſe ſubjuguer par les paroles audacieuſes de ceux pour qui la ruine publique n'eſt rien en compa- raiſon de leur intérêt perſonnel, ou par les clameurs forcenées d'une populace qui heureuſement ne ſera jamais cenſée repréſenter le Peuple François ? Pourroit-on croire que ce peuple, quelque léger, quelque crédule qu’on le ſuppoſe, eût tellement oublié l'affreuſe cataſtrophe que produiſit, au com- mencement de ce ſiècle, l'abus du fyflêine de Law, pour qu'il pût voir ſans alarme une opération qui fembleroit prendre la même marche ? Quand il en auroit perdu l'ineffaçable ſouvenir, ne lui auroit- il pas été retracé par l'exemple très-récent de ce qui eſt arrivé ſous les yeux de pluſieurs milliers de François, à l’egard du papier-monnoie créé par les Etats-Unis de l'Amérique ? Ne fait-on pas que ce papier, territorial comme le nôtre, a perdu juſqu'à 95 pour 100, & a conduit, comme M. Payne l'avoit prédit; à une banqueroute ; qu'antérieurement le pa- pier de la Penſilvanie, hypothéqué ſur les plus beaux biens de cette province, n'avoit pas eu un meilleur fort; que celui de la Suède a eu auſſi de funcſtes effets ; que celui de la Ruffie perd actuellement 35 pour 100; & que celui dont j'ai fait' ceffer l'abus dans les Illes de France & de Bourbon, ruinoit l'Etat, en favoriſant les plus grands déſordres ? Comment donc eſpérer que ce qui n'a réuffi nulle part, au milieu même de la plus grande tranquilo ! [ 87 ] lité, réuſſiroit en France à travers la criſe la plus orageuſe, & qu'avec des phraſes & des adreſſes ora- toires on pourroit établir miraculeuſement la con- fiance & la ſécurité, malgré l'inquiétude & l'effroi déjà répandus dans tout le royaume par la ſeule an- nonce du projet, & par la publicité des opinions qui en ont dévoilé tous les dangers ? Non, je ne faurois craindre qu'on voulît, qu'on osât franchir toutes ces conſidérations : mais ce qui ſera reconnu infaiſable dans ſa totalité, ne le trou- vera-t-on pas admiſſible pour une partie? Necroira- t-on pas ſe préſerver d'un abyme de malheurs, en ne s'y plongeant qu'à moitié? Et l'Aſſemblée, prefice entre l'eńbarras du moment, & la frayeur de l'a- venir, ne fera-t-elle pas ce qui arrive preſque tou-, jours dans des aſſemblées nombreuſes, après de longs débats, ne ſe livrera-t-elle pas trop facilement à la fauſſe apparence de trouver la ſolution de toutes les difficultés dans un milieu qui réuniroit au con- traire les inconvéniens ses deux partis ? Les.appa- rences que préſente le progrès de la diſcuſſion dont je ne ſais pas encore quelle fera l'iſſue, le font appré- hender ; & fans ſavoir ſi mes obſervations au ſujet du mezzo-terminé qui ſe prépare, ſeront tardives, ou ſi un ſage délai, que la diverſité d'opinions ſemble devoir amener, me donnera le tems de les faire pa- roître avant la déciſion de cette grande affaire, je vais les jetter à la hâte ſur le papier, réſolu, dans le cas inême où cette déciſion ſeroit bruſquée, de les laiffer ſubfifter avec toutes celles que je prends le 1 G A [ 88 ] parti de mettre au jour, ſur les opérations de l’AL femblée, dans l'eſpérance qu'elles pourront ſervir à la réviſion générale, dont je me perſuade qu'on ne tardera pas à reconnoître la néceſſité. A Ce n'eſt donc plus ſur une émillion de deux mil- liards de nouveaux aſſignats qu'il faut raiſonner, c'eſt ſeulement ſur celle de 800 millions qui, ajoutés aux 400 déjà émis, porteroit le total à douze cens millions. On paroît s'y déterminer par deux motifs: 1°. Parce qu'on voudroit accélérer la vente des biens nationaux ; 2°. parce qu'on croit que cette émiſſion rétablira les finances, & fruvera l'Etat. Je vais prouver que pour l'un l'un & l'autre but, le moyen ſeroit tout à la fois impuiſſant & injuſte; qu'il atti- reroit les maux qu'on doit craindre, ſans procurer les avantages qu'on eſpère. Dans ce total de 1200 millions, que je ſuppoſe devoir être déſormais le montant des affignats-mon- noie, il me ferible qu'il n'y a guères que la moitié qu'on puiſſe conſidérer comme applicable à des achats de domaines, parce que dans l'autre moitié il faut trouver, 1°. ce qu'on diviſera en petits aſſignats au-deffous de 200 liv. leſquels reſteront dans la cir- culation mercantille; 2°. ce qui ſera ſans ceſſe em- ployé au paiement des impoſitions, où l'on en fera entrer le plus qu'on pourra ; 3º. ce qui ſera donné à des créanciers affaillis de débiteurs ou de beſoins, & hors d'état d'acheter. On ne peut donc pas comp- 1 1 1 [ 89 89 ] ter plus de 600 millions qui ſoient naturellement deſtinés à être échangés contre les biens réputés nationaux. / Mais 600 millions ne ſont pas le tiers de ce qu'il faudroit pour l'acquiſition de la totalité de ces biens; & d'ailleurs, rien n'eſt moins certain, ni même moins apparent, que de trouver dans ceux entre qui ces 600 millions d'affignats feront diſtri- bués, la diſpoſition d'acheter des propriétés fon- cières dont, quoi qu'on en diſe, l'aliénation ne peut pas paroître inconteſtable, & ne l'eſt ſurement pas aux yeux de ceux qui penſent que quand il ſeroit vrai que la Nation pût, par la loi du plus fort plu- tôt que par celle de la juſtice, s'emparer des biens qu'elle a reconnu plus d'une fois appartenir à l'é- gliſe, il faudroit au moins qu'elle eût déclaré elle- même le vouloir ainſi, & qu'elle eût ratifié l'invaſion faite en ſon nom, pour qu'elle dût être regardée comme une propriété conſtante & tranſmiſſible. Une telle façon de penſer étant conforme à toutes les maximes du droit & de la raiſon, il eſt très-poſ. fible qu'elle donne au moins des doutes, & qu'en conſéquence de ces doutes, on préfère des billets dont, avec quelque perte, on pourroit trouver le débit, à des domaines qu’on riſqueroit de perdre entièrement. Ainſi, la nouvelle émiſſion d'aſſignats qui, dans tous les cas, ne pourroit remplir qu'une foible partie de fon objet, n'aura pas même cet effet, ſi, ſoit par f [ 90 ] beſoin, ſoit par inquiérude, on aime mieux donner les affignats en paiement, ou les vendre, que de les employer à des acquiſitions ſuſpectes. La ſeule choſe qui puiſſe faire préſumer que la portion de la dette publique qui ſera convertie en af- fignats, ſe convertira en domaines nationaux, c'eſt la dégradation probable du prix de ces papiers, parce qu'en effet, plus ils perdront ſur la place, plus on fera tenté de leur donner une autre iffue ; & fi cette monnoie fictive ſe diſcrédite à l'excès par fa furabondance, comme il eſt vraiſemblable, elle ſe portera forcément vers des achats qui en ſeront le que li ſeul refuge. 3 Ici ſe dévoile l'injuſtice la plus criante, & en même temps la plus indigne d'un grand Etat, qui par elle feroit transformé en joueur à la baiſe, comme l'a dit M. Necker. Il eſt vrai qu'ailleurs il appelle une idée vaſte cette manière de con- traindre à acheter, par l'aviliſſement des moyens de paiement ; tandis que ce n'eſt au contraire qu'une {péculation très étroite, imprégnée du plus inique eſprit d'agiotage, & qui prouve que ſes auteurs ont eru pouvoir ravaler le Gouvernement à leur niveau. Mais s'il eſt injuſte & vil de mal payer ce qu'on doit, pour forcer d'acheter ce qu'on veut vendre, il eſt bien plus injuſte encore de vendre le bien d'au- trui, & de s'acquitter par une uſurpation. Cette dernière conſidération, la plus déciſive de toutes, t [ gi ] } n'a pu être préſentée par aucun des membres de l'Aſſemblée, parce que tous étant réputés avoir coopéré à ſes décrets, aucun ne doit, en continuant d'être une partie d'elle-même, lui en diſputer la validité. · Les réclamations & les proteſtations des membres d'un corps délibérant contre des décrets portés avec eux, font déplacées & incongrues, fi elles ne ſont pas accompagnées de leur démiſſion. Mais tout autre citoyen, tout membre du corps collectif de qui les pouvoirs du corps repréſentatif ſont émanés, a droit de fe plaindre d'un abus mani- feſte de ces mêmes pouvoirs ; il a droit de dénoncer des contraventions aux mandats dans l'émiſſion der quels il a participé immédiatement ou médiatement; il a droit de provoquer l'examen & le jugement de la Nation entière ſur les points qui ſont en contra- diction avec ce qu'elle avoit preſcrit; il a droit d'ap- peler à ſes 25 millions de collègues, de la tranfgref-.. ſion des pouvoirs donnés par eux. J'ufe de ce droit ; & me ſuppoſant tranſporté au milieu d'une Convention nationale où il me ſeroit permis d'interpeller, en préſence du peuple, ceux qui, tandis que le Clergé offroit à l'Etat un ſecours de 400 millions, lequel, fạns aucune violence, & ſans aucun dérangement de l'ordre public, auroit été d'une grande utilité, ont préféré de l'expolier ty, ranniquement, ſcandaleuſenient, & ſans aucun pro- fit, de la totalité de ſes biens, devenue, par la ſup- preſſion des dîmes, inégale aux charges qui y ſont inhérentes, je leur dirois, En vertu de quoi, & ſous quel précexte vous êtes-vous permis de violer la loi c [ 32 ] 1 1 1 tutélaire des propriétés, ſur laquelle repoſe tout l'ordre civil, & qui eſt le premier des biens publics ? Qui peut vous avoir induit à commettre fans utilité quelconque, une iſfraction qu'aucune utilité poli- tique' ne pourroit excuſer? Il n'y avoit, répondez-vous, Qucull autre moyen de Fauver l'Etat. Il eſt prouvé au contraire, par l'aveu même de vos Comités, que fouſtraction faite de la dîme que vous avez abolie, ce qui reſte des revenus eccléfial- tiques ne peut ſuffire, à beaucoup près, pour les frais du culte, pour le traitement des miniſtres de la religion, les penſions des religieux & religieuſes, les entretiens des ſéminaires, fabriques d'égliſes, &c. que ce qu'il y aura de ſupplément à fournir par le tréſor public excédera 50 millions, & même 56, en y joignant les dettes du Clergé. Eft-ce donc fau- ver l'Etat, que de l'obérer de ce ſurcroît de charges, qui retombe néceſſairement ſur le peuple ? Mais d'ailleurs, oſe-t-on bien dire que le falut de l'Etat exige le renverſement des principes qui en ſont les ſoutiens ? Ce qui eſt injuſte eſt-il utile? Peut-il être jamais ſalutaire, n'eſt-il pas toujours funeſte, de tranſgreſſer la loi qui garantit à chacun ce qui lui appartient ? Les biens de l'Egliſe ne lui appartiennent pas. Etrange paradoxe ! Par quels ſophiſmes croyez- vous pouvoir détruire les idées reçues dans toutes les nations ? 1 [ 93 ] } Les eccléſiaſtiques ne font qu'uſufruitiers Oui, ſans doute : ce que le Clergé collective- ment poſsède en propre, ſes membres individuelle- ment ne le tiennent qu'en uſufruit; mais l'uſufruit n'eſt-il pas au rang des poffeffions inviolables ? Nous ne ſommes qu’uſufruitiers de la vie : feroit- ce une raiſon pour nous l'ôter ? 1 Le Clergé lui-même n'a point de propriétés, Que voulez-vous dire par-là ! Une poſſeſſion légitime, perpétuée ſans trouble pendant une longue ſuite de ſiècles, diffère-t-elle en droit, d'une véri- table propriété? Etes-vous de bonne foi, quand vous ſoutenez que des biens qui ont été donnés & tranſmis légalement au Clergé par ceux à qui ils appartenoient, qui ont été par lui défrichés, améliorés, portés à une valeur cent fois ſupérieure à ce qu'ils étoient originairement, & dans leſquels il a été confirmé par tous les Souverains du royaume, il ne les ait pas poſſédés propriétairement ? Sur qui donc réſidoit le titre de propriété pendant cette immémoriale poffeffion? 1 Sur la Nation . . C'eſt-à-dire ſur perſonne ; car ce qui appartiene à tous, n'appartient à perſonne. Les fondateurs & dotateurs des égliſes ont donné leurs' fonds en vue du bien public, mais ils ne les orit pas donnés au public; ils les ont affectés au ſervice de la eligion & au ſoulagement des pauvres. Le public 1 [ 94 1 n'a droit qu'au maintien de cette deſtination ; & fi les actes tranſlatifs des propriétés, après avoir été jugés inviolables par des milliers de générations, pouvoient devenir nuls tout d'un coup par votre feule volonté, pouvez-vous nier qu'alors les pro- priétés ne duffent retourner à leurs ſources, & rentrer dans les mains des donateurs ou de leurs héritiers ? Qu'oppoſeriez-vous à leurs réclamations, s'ils les revendiquoient? Theme L'Etat ſe chargeant de l'acquittement des deſtine- - tions, c'eſt à l'Etat que les biens font dévolus. Telle n'a pas été la volonté des fondateurs. Ils n'ont pas penſé, comine vous, que livrer leurs fonds au tréſor public, fe fût en aſſurer autant la pieuſe deſtination qu'en les donnant à l'égliſe; & ils l'auroient penſé bien moins encore, s'ils avoient pu preſſentir les ſyftêmes & les novations que vous voudriez ſubſtituer aux principes & à la croyance de nos pères. Quoi qu'il en ſoit, il ſuffit qu'ils aient mis une autre condition à leur diſpoſition pour qu'elle ne puiſſe être changée ſans que le droit de leurs fuccefleurs revive excluſivement à tout autre. Confiſquer, après avoir dépoffédé, c'eſt ajouter l'injuſtice à l'injuſtice; c'eſt être plus deſpote qu'on ne l'a jamais été. Quelle inconſé- quence d'ailleurs de dépouiller le Clergé de ſes biens, ſous prétexte qu'une corporation n'eſt pas fuſceptible d'avoir des propriétés, & d'en revêtir enſuite l'Etat, comme ſi l'Etat n'étoit pas auſſi un corps collectif ! [ 95 ] Il répugne aux principes que nous nous sommies formés d'une bonne conftitution, qu'il exiſte dans l'Etat une corporation eccléſiaſtique poſſédant une maſe de biens très-conſiderable. La lui laiſſer, ce feroit s'expoſer à retomber ſous le joug du deſpotiſme. Le voilà donc. enfin le vrai motif de toutes vos uſurpations, de toutes vos deſtructions. Ne cher- chez plus à le déguiſer ſous l'enveloppe trop dia- phane de vos vaines ſubtilités. Ecartez des ſub- terfuges auxquels perſonne ne peut plus ſe mé- prendre; écartez auſſi ce mot de Deſpotiſyne, qui ne vous ſert que de cri de ralliement, & qui ne fue jamais moins applicable à la France que ſous le règne de Louis XVI. Suivant vous, Deſpotiſme & Royauté font ſynonymes; & c'eſt à la royauté que vous en voulez : ce que vous trouvez incom- patible avec la conſtitution, c'eſt tout ce qui ſero d'appui à la royauté : c'eſt afin qu'il ne reſte au- cune force capable de la défendre, que vous jugez néceſſaire d'anéantir toutes les grandes corpora- tions, & qu'après les avoir dépouillées de leurs biens, vous n'héſitez pas aujourd'hui à riſquer de perdre l'Etat, pour que ces biens ſoient vendus promptement, & que leur éparpillement entre beaucoup d'acquéreurs, en affermiſſe l'uſurpation. Ce n'eſt point à l'Aſſemblée entière que je m'a- dreſſe ici; je ne parle qu'à ceux qui l'égarent, en lui cachant fous des gazes féduiſantes le but où ils l'entraînent. C'eſt à eux que je dis : Votre objet, vous n'en diſconviendrez pas, c'eſt d'ôter tous ! i ( 96 ) eſpoir au Clergé, & de conſommer ſa ruine; c'eſt- là, en ne vous foupçonnant d'aucune combinaiſon de cupidité, d'aucun regard ſur le jeu des effets publics, c'eſt-là ce qu'on doit croire que vous avez en vue dans la terrible opération que vous propoſez; c'eſt ce qui doit en être le fruit. Mais le peuple que vous y intéreſſez, quel avantage peut-il y trouver ? En vous ſervant ſans ceſſe de lui, que faites-vous pour lui? Rien, abſolument rien; &, au contraire, vous faites ce qui ne con- duit qu'à l'accabler de nouvelles charges. Vous avez rejeté, à fon préjudice, une offre de 400 mil- lions, dont l'acceptation pouvoir devenir un moyen de ſoulagement en la faveur; & à cette reſſource auſſi profitable que légitime, vous avez fubftitué une injuſtice ruineuſe, qui, de votre propre aveu(*), charge (*) Le Comité des Finances ſuppoſe que le revenu des biens du Clergé, qu'il appelle domaines nationaux, y compris les domaines du Roi, pourra ſuffire pour les frais du culte, réduits comme ils l'ont été; & il avoue qu'il en coûtera en outre à l'Etat, so millions par an pour les penſions des ecclefiaftiques, des religieux, &c. Il avoue auſſi la néceſſité de rembourſer la dette du Clergé, qui eſt de 149 millions 434 mille livres. Le rapport fait par le Comité des Dîmes de 9 Avril dernier, portoit l'évaluation des frais du culte à un taux plus élevé; & M.l'Evêque de Nanci fit voir dans le tems qu'on avoit omis dans cette évaluation pluſieurs articles indiſpenſables. Quoiqu'on ait réduit exceſſivement, & on pourroit dire juſqu'à l'indécence, les traitemens' des Prélats & Miniſtres de l'égliſe, il n'eſt pas moins certain qu'on ne trouvera pas dans le produit annuel des biens du Clergé, déduction faite des pertes qu'ils ont fouf- fertes, & des frais de régie, qui ſeront énormes, de quoi fatis. faire aux frais de culte. } ! -- [ 8.1 bis ] charge le tréſor public, & par conſéquent le peu- ple, d'un ſurcroît de dépenſe annuelle de-50 mil- lions au moins, & d'un rembourſement de 150 millions. Malheureux peuple, voilà ce que vous vaut en dernier réſultat l'expropriation de l'égliſe, & la dureté des décrets taxateurs du traitement des mi- niſtres de l'autel ! Ils vous aidoient, ces miniſtres d'une religion bienfaiſante; & déſormais ils ſeront à votre charge: leurs charités ſoulageoient les pauvres ; & vous allez être impoſés pour ſubvenir à leur entretien ! Je fais qu'en vous révélant cette vérité, dont il eſt juſte que vous ſoyez inſtruits, j'irrite ceux qui vous abuſent: mais que m'im- porte ? Parce que je vous éclaire, ils diront que je vous ſoulève:(*) mais eux, que font-ils en vous trompant ? Où vous ont-ils conduits, en abuſant de votre crédulité ? ... Vous êtes devenus perſécuteurs inhumains de ceux qui vous faiſoient 1 (*) Lorſqu'en 1787 je fis publier un court avertiſſement qui n'avoit pour but que d'apprendre au public trompé, ce qu'étoit mon projet, & ce que les moins aiſés gagneroient à la fuppreffion des privilèges, on m'accuſa amèrement de vouloir ſoulever le peuple contre les deux premiers Ordres de l'Etat : il ſeroit aſſez fingulier qu'à préſent on m'accusât de vouloir le foulever en leur faveur. Comme cet avertiſſement, qui a beaucoup contribué à ma diſgrace, & à qui l'on a reproché une dureté imprudente, eft ſurement très-oublié, je le ferai imprimer à la ſuite de cet ouvrage, pour qu'on juge de la différence des tems. H 1 ( 82 bis ] 1 1 vivre, & fectateurs aveugles de ceux qui vous facrifient. Que peuvent-ils nier, lorſque je n'ar- gumente que d'après leurs aveux, & en prenant pour baſes leurs propres calculs ? Avoir allégué l'excès de beſoins pour s'autoriſer à violer les pro- priétés, alléguer enſuite l'excès d'embarras pour inonder le royaume de papier-monnoie, n'est-ce pas avoir prononcé ſoi-même fa condamnation ? Achevons de prouver que ni cette violation de propriété, ni les aſſignats ſubſidiairement imaginés pour la conſolider, ne peuvent faire aucun bien à l'Etat; & montrons à celui qui, dans le début de fon opinion, a déclaré par un juſte retour ſur lui- même, qu'il ſeroit inconſolable ſi de la rigueur des décrets fir le Clergé il ne réſultoit pas le ſalut de la choſe publique, que malheureuſement il a tout ſujet d'être inconſolable. Il penſe avec raiſon, que d'admettre les cré- ances ſur l'Etat en paiement des biens mis en vente, en délivrant aux créanciers une quittance de finance, ou autres titres de liquidation, ſeroit préférable à une effufion immodérée de papier- monnoie. Mais ces titres, qui produiroient inté- rêt, n’apporteroient par eux-mêmes aucun ſou- lagement au tréſor public, ni aucun degré d'accé- lération aux ventes qu'on a fi fort à cæur. Juf- qu'à ce qu'ils fuffent convertis en domaine, la dette nationale continueroit d'être aufli onéreuſe, & rien n'exciteroit à échanger ces effets négocia- , [ 83 bis ] bles en même tems que productifs, contre des terres dont la poffeffion ne feroit pas plus affurée, & rapporteroit moins. Il ſeroit encore pire d'aſſocier les quittances de finance aux affignats, & de les mettre en con- currence, en donnant aux créanciers, à leur choix, l'une ou l'autre eſpèce de ces papiers, dont l'un qui ſeroit libre porteroit intérêt, & l'autre feroit dépourvu d'intérêt, mais auroit un cours forcé. Que réſulteroit-il de cette accumulation de papiers divers, ajoutés à la maſſe énorme de ceux qui exiſtent déjà? Ils s'entre-détruiroient par les marchés même qui s'établiroient entr'eux ; ils ex- citeroient le jeu d'agiotage le plus effréné; on n'y gagneroit rien pour la faveur des ventes ; & on doubleroit la ſomme des inconvéniens, en réuniſ- fant l'onéreux d'une des deux ſortes au dangereux de l'autre. 1 1 Toute la reffource eſt donc concentrée dans les aſſignats, & dans la portion de ces affignats qui peut paroître ſuſceptible de ſe porter aux ventes domaniales, mais qui ne s'y portera pas tant qu'il y aura une ombre de doute ſur la validité de ces ventes; & il y en aura tant qu'il reſtera une ombre de juſtice en France; & s'il y a le plus petit doute, la prudence conſeillera de ne pas ſe preſſer, & ce conſeil ſera d'autant plus ſuivi que l'intérêt n'en donnera pas de contraire, comme il eût pu le faire ſi la ſomme des aſſignats eût égalé ou ſurpaſſé la H2 I 1 [ 84 bis 1 valeur des biens à vendre, parce qu'alors la crainte d'arriver trop tard eût pu exciter l'empreſſement & l'affluence des acheteurs ; au lieu que l'émiſſion reſtreinte aſſure que, ſans ſe livrer à une précipi- tation inconſidérée, on trouvera toujours plus de la moitié de ces domaines invendue. 1 Si donc, comme l'a forteinent affirmé le grand avocat de la plus grande émiſſion des aſſignats- monnoie, appelés par lui le numéraire territorial, fi la vente effettive des biens dits nationaux eſt la baſe ſur laquelle repoſent toutes les eſpérances de l'Affemblée, . la pierre angulaire de l'édifice qu'elle élève, ... le fondement de tout le ſyſtéme de la reſtauration des finances, les eſpérancès, l'édifice, & la reſtauration, doivent paroître infiniment ha- ſardés. La conſtitution, ajoute-t-il, eſt renverſée, le déſaſtre inévitable, la France en diſolution, ſi la vente des biens nationaux ne s'effe£tue pas immanqua- blement. Je ne vois pas que la première partie de cette menace prophétique entraîne néceſſairement les deux autres; je ne vois pas que la France fût diſſoute, ſi elle redevenoit ce qu'elle étoit avant qu'elle fût en proie aux funeſtes ſyſtêmes qui l'ont réduite au point où elle eſt ; je ne vois rien qui reſſemble moins à un corps en diſſolution, que cette ſolide conſiſtance de forces.cohérentes qui depuis tant de liècles ſe faiſoit reſpecter de tout l'univers. Mais enfin, puiſque, ſuivant l'orateur prophète, fans conſtitution nouvelle point de ſalut, & fans vente des biens uſurpés point de conſtitua ! A [ 85 bis ] 1 tion, comment a-t-il fini par ſe rendre à une miti- gation de ſon ſyſtême, qui réduit la poſſibilité de cette vente au quart, ou, en admettant l'inpro- bable, à la moitié au plus ? Sans les aſſignats- monnoie (quoiqu'il y en eût déjà pour 400 mil- lions en diffufion), il n'y avoit, diſoit-il, aucun moyen d'acheter : vouloir ſans eux faire ſortir les efaires de leur ſtagnation, c'étoit ſembler ignorer qu'avec rien on ne fait rien. Comment donc s'eſt-il con- - tenté de ne nous relever, que d'un quart au-deſſus du rien ; fur-tout lorſque ce quart, rapproché du rien précédent, a une tendance très-naturelle à ſe confondre avec lui, comme on doit le croire fi l'on en juge par analogie ? Car fi 400 millions d'aſſignats ont été zéro par rapport aux ventes de domaines, on peut préſumer que deux fois autant de ces aſſignats ſeront deux autres zéros, fous le même rapport : or trois fois zéro n'eſt rien. } 1 Mais c'eſt trop m'arrêter à réfuter des phraſes. Je ferme donc l'opinion de M. de Mirabeau, pour n'y plus revenir ; & pour achever de prouver au Prélat dont je plains l'erreur, qu'il n'eſt que trop vrai qu'il a ſujet d'être inconſolable d'avoir fait dépendre le ſalut de la choſe publique d'une injuf- tice, je vais lui démontrer que quand, par les expédiens en queſtion, on parviendroit à vendre une partie des biens de l'égliſe (je dirai même enſuite quand ſucceſſivement on en vendroit la totalité), on ne ſauveroit point l'Etat par cet im- puiſſant moyen ; qu'il ne tireroit pas les finances H3 1 1 -- [ 86 bis ] de l’abyme dans lequel on les a précipitées ; qu'il ne feroit pas même ſortir de la criſe où l'on eft, ni de celle qui eſt imminente, Je demande à ce Prélat, digne d'être pris pour juge dans ſa propre cauſe, de vouloir bien ſuivre actențivement mą diſcuſſion. J'ai dit & montré qu'on ne pouvoit pas pré- ſumer qu'il y eût plus de 600 millions d'aſſignats- monnoie employés en acquiſition des domaines qu'on veut vendre: ces 600 millions éteindroient pour 30 millions de l'inté.êt de la dette exigible, & la dépenſe ſeroit diminuée d'autant. Mais le revenu des domaines vendus ſeroit à retrancher de la recette; & en le comptant ſur le pied du denier 30, prix moyen aſſez avantageux, du fort au foible, ce ſeroit 20 millions. Il ne reſte donc que lo millions de foulagement pour le tréſor public, écraſé par un déficit de plus de 250 millions. Eſt-ce là ce qui peut opérer le ſalut de l'Etat & la reſtauration des finances ? Mais je vais plus loin, & je ſuppoſe, contre toute vraiſemblance, qu'il y ait ſur-le-champ pour un milliard d'aſſignats-monnoie convertis en domaines; ce qui ne laiſſeroit que 200 millions de ces aflignațs en circulation, & ce ſeroit trop peu ſans doute pour ſuppléer à la diſparition du numéraire, ſatisfaire aux beſoins crians du commerce, & raviver toutes les parties languiſſantes. Mais n'importe ; ſur cela, comme ſur tout le reſte, je cède au-delà de ce qu'on 1 ! 1 [ 87 bis ] peut raiſonnablement exiger,.pour éviter juſqu'aux prétextes de la contradiction. Voilà donc, par l'ex- tinction des intérêts d'un milliard de dettes, 50 mil- lions d'épargnes ; mais en même tems il у auroit diminution de 30 millions ſur le revenu des biens. Ce ne'it donc encore qu'un avantage de 20 millions ſur les beſoins annuels. C'eſt la goutte d'eau pour une ſoif dévorante. ? Faut-il en fin, ſans s'arrêter aux limites qu'on vient de donner aux aſſignats (j'apprends à l'inſtant la déciſion), & en prévoyant qu'elles ſeront bientôt franchies, ce qui malheureuſement n'eſt que trop à craindre, ſuppoſer que malgré le règlement àcolyte de tous les papiers-monnoie, & toujours éludé, qui preſcrira de brûler ce qui en rentrera au tréſor public, pour prix des domaines aliénés, ces afli- gnats ſe reproduiſent ſans ceſſe, & pullulent de manière qu'il y en ait enfin une telle abondance, qu'elle ſe précipite à grands flots dans les ventes ouvertes, & qu'on ait le bonheur de l'y voir s'engouffrer fans retour ? C'eſt, je crois, la chance la plus favorable qu'on puiſſe imaginer pour combler les veux & de ceux qui attachent le ſalut de l'Etat à la vente des biens nationaux, & de ceux qui l'appelant un inſtrument sur & actif de la révolution, jugent très-eſſentiel que les corps dépouillés de leurs offices ou de leurs biens, ſoient dépouillés aulli du moindre rayon d'eſpérance.(*) (*) Diſcours de M. de Mirabeau., pages 13 & 16. H 4 1 [ 88 bis ] Eh bien ! dans cette hypothèſe même où j'admets que la totalité des biens attribués à la Nation fe trouveroit vendue à ſon profit, vous qui feriez in- conſolable que cette vente ne fauvật pas la choſe publique, vous ſeriez encore livré a tous vos regrets, à tous vos remords. Voyez vous-même ſi c'eſt à tort que je vous annonce cette dure vérité. Les biens dits nationaux font eſtimés deux mil- liards. On ne peut pas leur ſuppoſer une plus grande valeur, puiſque dans l'état actuel, à peine peuvent-ils rapporter foixante millions ; & certaine- ment, vendre pour deux milliards de biens-fonds au denier 30, c'eſt très bien vendre. ! Leur produit total pourroit donc amortir un capital équivalent, par conſéquent décharger l'Etat de cent millions d'intérêt, en lui faiſant perdre 60 millions de revenu; & cela paroît préſenter une réduction de dépenſe de 40 millions. Mais l'avantage d'une telle réduction fouffriroit bien des déchets par les fuites de l'opération même qui l'auroit produite. . 1°. Je n'entends pas comment l'Etat peut fe dégager auſſi leſtement que l'Aſſemblée l'annonce par ſon dernier décret, de l'intérêt de trois pour cent affecté aux aſſignats de la première émiſſion. Je fuis tenté de croire que la copie que j'ai vue de ce décret n'eſt pas exacte, & que quelque enneni de S 2 I [ 89 bis ] la révolution, quelque étre, malveillant aura voulu décrier d'avance le numéraire territorial en le douant d'infidélité le jour de ſa naiſſance. Comment croi- rois-je que l’Aſemblée, qui fait combien elle a beſoin qu'on ait foi à ſes paroles, & combien la fta- bilité de ſes décrets en finance eſt néceſſaire pour le ſoutien du crédit national qu'elle veut fonder, ne ſe feroit aucun fcrupule d'enfreindre déjà l'enga... gement quelle a pris, il y a ſix mois, avec les créan- ciers de l'Etat? infraction d'autant plus choquante, que ce ſeroit la ſeconde innovation depuis 9 mois, ſur le même objet; car on ne peut pas avoir ou- blié que les 400 millions d'aſſignats qui avoient été créés par les décrets des 19 & 21 Décembre 1789, devoient porter intérêt de cinq pour cent; mais que par le décret ſuivant il a é:é ſtatué qu'au lieu de cinq pour cent d'intérêt par chaque année qui leur étoient attribués, il ne leur ſercit plus alloué que trois pour cent, à compter du 15 Avril, & qu'à cette époque la Caiſe d'Eſcompte ceferoit de recevoir pour les aſignats cing four cent. Le même décret or- donne que les rembourſemens auront lieu ſucceſivement par la voie du fort, auf-tôt qu'il y aura une ſomme d'un million réaliſée en ARGENT, ſur les obligations données par les municipalités, pour les biens qu'elles auront acquis, & en proportion des rentrées de la con- tribution patriotique. Les autres articles du même décret confirment & corroborent l'obligation de faire valoir un intérêt de trois pour cent, jour par jour, à chaque aſſignat, en ſus du principal, & de n'en faire le rembourſement qu'en argent. Il eſt dit ſpé- { 1 1 [ 90 bis ) 1 cialement par l’Article 9, qu'en attendant que la vente des domaines nationaux foit effe&tuée, leurs revenus ſeront verſés fans délai dans la caiſſe de l'extraordi- naire, pour être employés aux paiemens des intérêts des alignats... & à meſure des rentrées des deniers par les ventes que feront les municipalités de ces biens, ces deniers y feront verſés ſans retard, leur produit, & celui des emprunts qu'elles devront faire, ne pouvant être employés, fous aucun prétexte, qu'à l'acquittement des intérêts des aſignats '& à leur mbourſement. N'eſt-ce pas là un engagement très- précis, très-abſolu, très-ſolemnel ?, rem Quel motif pourroit rendre excuſable d'y déroger aujourd'hui ? Seroit-ce parce qu'on fait des affignats nouveaux ?-II ſeroit ſingulier que ee fût une raiſon pour manquer à ce qui avoit été ftipulé pour les anciens, & que pour accréditer le futur papier- monnoie on fît banqueroute à l'égard du précédent ! --Banqueroute; je ſens tout ce que ce mot auroit d'injurieux pour l'Aſſemblée Nationale, & je ſuis bien sûr qu'elle eſt fort éloignée de vouloir jamais en mériter le reproche. Elle a très-dignement ma- nifeſté qu'elle l'avoit en horreur, & qu'elle tenoit pour inviolables, qu'elle mettoit ſous la ſauvegarde de la Nation, tous les engagements de l'Etat, fans vouloir retourner ſes regards ſur ce qu'ils pour- roient avoir de déſavantageux & d'exceſſif. Mais comment violeroit-elle pour ſes propres engagemens la fidélité dont elle a fait, en face de l'univers, l'ir- réiragable væu, même pour les engagemens aux- 1 [ 91 bis ] quels originairement elle n'avoit pas mis fon ſceau ? Et peut-on diſconvenir que rembourſer en papier- monnoie fans intérêt, un papier-monnoie avec in- térêt ftipulé n'être rembourſable qu'en argent, & dans un eſpace de 9 mois, réduire cinq pour cent à trois, & trois à zéro, ce ne ſoit, finon une banque- route abfolue, du moins ce qui y reſſemble le plus, & ce qui en a le vernis, cette odeur infecte dont la ſeule approche corrompt tout crédit? 1 í Dira-t-on qu'il étoit déraiſonnable d'attacher un intérêt à un papier-monnoie, que c'étoit une léſion pour l'Etat, & qu'il a droit d'en revenir ? C'eſt en fe couvrant de pareils prétextes que le Deſpotiſme défait un jour, ce qu'il a fait l'autre ; c'eſt avec de pareilles phraſes qu’on a tué le crédit de la France; mais ce n'eſt pas en les employant encore qu'on le fera revivre. Suffit-il, dans une ma- tière qui n'a de réalité que dans la confiance, d'a- youer qu'on a pris un engagement déraiſonnable, pour pouvoir y manquer impunément ? Et la perte de toute confiance ne feroit-elle pas la juſte puni- tion de quiconque ne rougiroit pas de dire, pour s'affranchir d'une obligation, qu'il s'eſt léſé lui- même en la contractant'? La bonne foi nacionale n'eſt pas moins indiſpenſable que la bonne foi individuelle ; & l'infraction de l'une eſt bien plus pernicieuſe pour un empire, que celle de l'au- tre ne peut l'être pour un particulier. Voudroit- on, pour gagner 12 millions d'intérêt, ſacrifier l'im- 1 1 [ 9.2 bis ] menfe reſſource du crédit, au moment même qu'on entreprend d'en faire l'uſagu le plus exorbitant? Ne feroit-ce pas le comble de l'inconſéquence ? 1 Le dernier ſubterfuge pour eſquiver le reproche d'infidélité, feroit de dire que les poffeffeurs des pre- miers affignats, qu'on dépouille du bénéfice qui leur étoit légitimement acquis, n'ont pas à ſe plain- dre, parce qu'ils ont la liberté de ſe rembourſer en échangeant ces aſſignats contre des domaines natio- naux. Mais s'ils en ont la liberté, ils n'y ſont donc pas forcés ; ils conſervent donc tout leur droit, en ne le faiſant pas; & leur droit étoit d'avoir un intérêt. La faculté de convertir les aſſignats en domaines, n'eſt pas une faveur nou- velle ; on l'avoit dès l'origine ; elle ne peut donc pas être alléguée comme une compenſation de l'intérêt qui avoit été conditionné conjointement avec elle. D'ailleurs, tout le monde n'eſt pas en état d'acquérir des fonds de terre; & ce ſont ceux à qui leur ſituation interdit ce qui ne convient qu'à l'aiſance, qu’une adminiſtration jufte & hu- maine doit ſur-tout ménager. Il ne feroit donc ni juſte ni humain de répondre à tous ceux qui ſe plaindroient d'être dépoffédés d'un intérêt qui leur appartient, qu'ils n'ont qu'à acheter des domaines. 1 Et fi cet intérêt a été juſqu'à préſent le véhicule de la circulation des aſſignats, & la baſe de leur négociation ; fi c'eſt dans l'eſpérance de le con- ſerver, ainſi que ſur la promeſle d'un rembourſe- 8 1 [ 93 bis 1 V ment en argent, que les affignats ont été reçus, achetés, tranſinis de mains en 'mains; n'eſt-ce pas manquer à la choſe publique, & bouleverſer une infinité' de conventions ſociales, que de changer tout d'un coup les conditions ſur leſquelles elles repofoient, en ordonnant & le rembourſement en papier, '& la ceſſation de l'intérêt ? Comment les affignats ne perdroient-ils pas exceſſivement, ſi en même tem's qu'on les triple en quantité, on les dégradoit en valeur ! I ! Je conviens qu'il a dû paroître dificile de met- tre'en concurrence deux ſortes de papier-monnoie, l'un productif & l'autre non-productif d'intérêt: mais cette difficulté eſt un des vices inhérens au plan de l'a nouvelle émiſſion ; &i on n'a pas dû en chercher la ſolution dans l'inconvénient beaucoup plus grand d'une injuſtice déshonorante pour la nation, & diſcréditante pour fon papier. Je ne dois donc pas croire que l’Affemblée, qui prétend que ce papier-monnoie mérite plus de confiance qu'aucun de ceux qui exiſte ou qui ait jamais exiſté, & qu'il eſt vraiment incomparable, ait commis, en le créant, une pareille inconſéquence. Il me paroît moins improbable qu'on a ou falſifié ou mal entendu ſon décret du 29 du mois de Septembre. 1 + En conſéquence, défalquant les 12 millions d'intérêt des 400 millions de premiers affignats, ſur les 40 millions auxquels ſe réduit le bénéfice i 1 A [ 94 bis i que l'Etat retireroit en vendant pour deux mil- liards la totalité des biens qu'il s'eſt appropriés, je ne devrois plus conſidérer ce bénéfice que comme un objet de 28 millions, Mais pour toujours donner plus que pleine meſure, & pour compenſer tout ce qu'il pourroit y avoir d'erreur ſur une etti- mation de fonds dont la valeur n'eſt pas connue, je laiſſe ces 12 millions à l'écart, & je reviens au compte des 40, , ſauf le rabais qui pourra parvître juſte, eu égard aux obſervations ſuivantes. La première, c'eſt que juſqu'à ce que la maſſe énorme d'affignats qu'il faudroit pour l'achat de la totalité des biens nationaux fût repompée par le tréſor public, & retirée de la circulation, il y auroit certainement beaucoup de hauffe dans le prix des denrées, dans celui des journées d'ou- vriers, dans celui de tous les marchés que le Gou- vernement eſt dans le cas de faire, & conſéquem- ment beaucoup d'auginentation de la dépenſe pu- blique. La ſeconde, c'eſt qu'on doit s'attendre que la preſque totalité des contributions & fubfides ſera payée en aſſignats, & que le tréſor royal, mari- quant de la portion de numéraire métallique qui eſt abſolument néceſſaire pour la folde des troupes, pour la paie des travaux journaliers, & pour les appoints des rentes, ſera obligé de perdre conſidé- rablement ſur ces aſſignats pour les convertir en argent; & fi les monnoies devenues marchandiſes, + 1 [ 95 bis 1 ſe raréfiant de plus en plus, ne ſe trouvent pas à vendre en quantité ſuffiſante pour fournir aux beſoins du tréſor public en même tems qu'à ceux du commerce & de la circulation journalière, il fau- dra extraire les matières d'or & d'argent de l'étran- ger ; ce qui ne ſera pas moins cher, & deviendra, par la baiffe exceffive du change, une troiſième cauſe de perte, i Il y en aura pluſieurs autres encore relatives à toutes les branches du commerce extérieur, à l'ex- portation du numéraire, & aux placemens d'ar- gent chez l'étranger: je ne fais que les indiquer . fans détail, parce que j'en ai déjà aſſez dit pour que quiconque eſt capable d'apprécier la force des contre-coups que le tréſor public reçoit de tout ce qui attaque les ſources de la richeſſe du royaume, apperçoive que, s'il y a 40 millions à épargner par les rembourſemens à faire ſur le prix des do- maines nationaux, ils ſeront abſorbés, & peut-être au-delà, par les ſurcroîts de dépenſe que les affi- gnats-monnoie émis en quantité proportionnée au prix de ces domaines, occaſionneroient. Un mot de plus achevera d'en convaincre. Que le tréſor royal, recevant preſque tout le revenu de l'Etat en aſſignats, comme on l'a déjà éprouvé, quoique la miſe dehors ne fût que de 400 millions, ſoit dans le cas de réaliſer en eſpèces fonnantes la moi- tié de ſa dépenſe, c'eſt-à-dire environ 300 millions, & qu'il y ait 10 pour cent de perte à convertir les aſignats en argent, ou, ce qui revient au même, i 1 [ - 86 bis 1 1 1 que les entrepreneurs fourniſſeurs & ouvriers ne les reçoivent qu'à un dixième au-deffous de l'ar- gent, voilà ſur le ſeul article des paiemens 30 millions de déchet à reprendre ſur les 40 de pré- tendu bénéfice:(*) les autres articles emporteroient bien les dix reftans; & cette grande opération, qui devoit fauver l'Etat, certe mine féconde que la Pro- vidence à découverte aux yeux de l'Aſſemblée, fe réduit abſolument à rien. Ce ne ſeroic Ce ne ſeroit pas même un beau rêve; car ce feroit une injuſtice auſſi funeſte dans ſes ſuites qu'impuiſſante dans ſes effets. $ Je ne l'ai peut-être que trop démontré; & fans craindre les anathêmes que l'aſſignat-manie a lancés d'avance contre ceux qui ne reſpecteroient pas le . papier-monnoie territorial, ou qui témoigneroient des doutes ſur la poſſibilité, la légitimité, l'utilité de la vente des biens attribués à la nation; qui cherche- roient à ébranler cette baſe facrée de tous les projets régénérateurs, & à faire chanceler ceux qui s'y con- fient ; je me reprocherois moi-même d'avoir riſqué d'affoiblir la confiance publique, s'il pouvoit y en avoir (*) La crainte de paroître avoir de trop ſiniſtres préſages ſur l'avenir, me fait ſupprimer le développement des conſidé- rations qui me ſemblent devoir faire appréhender que le ſervice de l'année prochaine ne ſoit abſolument infaiſable. Que feroit- ce, 'fi la guerre devenoit inévitable, au milieu de cette pénurie de numéraire, & de cette nullité de reſſources ! [ 97 ] pas in- avoir dans des opérations de ce genre, fi la plu- part des réflexions que j'ai réſumées, n'étoient pas répandues dans un grand nombre d'écrits imprimés par ordre de l'Aſſemblée ; fi ſes propres décrets dérogatoires à ſes engagemens, ne faiſoient finiment plus de tort au crédit des aſſignats-mon- noie que ce que j'en ai dit, & que toutes les cenſures qui ſe ſont élevées contre eux de toutes les parties du royaume; fi d'ailleurs mes obſerva- tions n'avoient pas principalement pour objet de prouver que ni le ſuccès des aſſignats plus ou moins multipliés, ni la vente de la totalité inême des biens nationaux, ne fauveroient ni les finances, ni l'Etat; & fi enfin aujourd'hui, que toutes les affaires ſe traitent à découvert & ſous les yeux de la Nation, il n'étoit pas utile & très-important pour elle de la déſabuſer de cette fauſſe opinion, qu'avec du papier-monnoie ajouté à du papier- monnoie on peut remédier à toutes les cauſes de ruine réſultantes de ce qu'on a fait depuis dix-huit mois, & la préſerver de l'accablement d'impôts dont elle eſt menacée. Се qui ſeroit bien plus utile, dira-t-on peut- être, ce qui ſeul eſt important, c'eſt de propoſer d'autres moyens, ſi l'on en connoît, mais de ſe taire ſur ceux qu'une criſe impérieuſe commande, & que la néceſſité abſout. Criſe impérieuſe...néceſſité....Mais d'abord qui l'a fait naître cette criſe ? D'où provient-elle cette I 1 + [98] f néceſſité ? Il faudroit s'en excuſer avant d'en faire ſon excuſe: mais le peut-on ? Le déficit, il y a dix-huit mois, n'étoit que de 56 millions : il eſt aujourd'hui, plus que de 250.-L'état des dettes exigibles monte à 1900 millions ; & par cet état même on voit qu'il y en a pour 1300 millions du fait de l'Aſſemblée. Les capitaux de toute la dette de l'Etat ne montoient il y a trois ans qu'à trois milliards : ils font à préſent à cinq mil- liards(*).-Quand j'ai quitté le miniſtère, le crédit floriſſoit, le commerce proſpéroit, l'induſtrie étoit active, la population nombreuſe, le numéraire abon- dant : aujourd'hui le crédit eft nul, le commerce aux abois, l'induſtrie languiſſante, la population affoiblie, le numéraire inviſible.--Et l'on m'ob- jecte la néceſſité ! & ceux que cette néceſſité ac- cuſe, l'invoquent ſans ceſſe pour leur défenſe ! Et ce mot, qui fut toujours le prétexte de la violence, & la reſſource de l'impéritie, eſt la réponſe favorite que les plus coupables auteurs des calamités pu- bliques, oppoſent à tous les reproches ! (*) Au premier coup-d'ail on pourroit croire que ce que je dis ici ne s'accorde pas avec ce que j'ai dit à la page 74, où je parois ne compter pour la dette totale que 4 milliards 239 millions : mais on verra qu'il n'y a pas de contradiction, fi l'on veut faire attention que dans les calculs comparatifs de la page 74, j'ai cru devoir ne faire entrer qu'une partie des. affignats. En les comprenant en totalité, & corrigeant quel- ques erreurs des comptes du Comité, la dette totale ſe trouve être effectivement de cinq milliards, comme M. Dufreſnoi l'a montré dans un écrit qu'il vient de publier. 1 [99] 1 Quant aux moyens de ſauver l'Etat, & de re- médier à la criſe des finances, il y en a ſans doute ; il y en a toujours dans un royaume tel qu'eſt la France, ſans que jamais il foit néceſſaire ni ucile de recourir à l'injuſtice, à la violation des engage- . mens, à l'invaſion des propriétés : mais ſi j'en propoſois aucun, ou ſi je diſois que j'en connois d'infaillibles, on m'imputeroit des vues perſon- nelles que je n'ai pas, & les partiſans de ce qui a tout perdu, ſouleveroient les eſprits contre ce qui pourroic tout fauver. Quand un membre de l'Aſſemblée a eu pour opinion, ſur le projet même des aſſignats, que le feul moyen de rétablir les finances étoit de com- mencer par rétablir le pouvoir exécutif, il a dic une grande vérité, & on ne l'a pas écouté. Quand un autre à fait entendre, mal-à-propos peut-être en fa qualité, ce qui au fond n'eſt que la confé- quence de cet axiome, Pour détruire l'effet il faut détruire la cauſe, on a cru lui faire grâce, de le juger en délire. La craince d'une condamnation ſemblable ne m'empêchera cependant pas de ré . pondre à quiconque me feroit l'honneur de me demander en ce moment-ci un plan de finances, qu'imaginer qu'il y en ait aucun de polible, lorſ- qu'il n'y a aucun gouvernement, ce ſeroit avoir l'imagination vraiment délirante ; & que pour fer- mer des plaies, il faut commencer par écarter le fer qui les à ouvertes. J'ajoute que, ſi l'on veut connoître mes idées ſur la reſtauration des finances A I 2 ; + [ 100 ] 1 inſéparable de celle de l'ordre général, il faut pren- dre la peine de lire l'ouvrage entier où je traiterai ſucceſſivement toutes les queſtions qui ont rapport à ce grand enſemble que l'on avoue être à préſent dans l'état le plus déplorable.(*) La concluſion de tout ce qui me reſte à dire eſt le premier & le principal chapitre de mon plan de finances, s'il m'eſt encore permis d'en avoir un; & ce que je propoſerai pour rétablir le calme dans le royaume, eſt à mes yeux le ſeul chemin qui puiſſe conduire au foulagement du peuple. Je vais donc, étant sûr de la pureté de mes intentions, continuer ma diſcuſſion critique. J'en ſuis à examiner ce que pourra être, & ce que pourra produire, la refonte générale des contributions, dont je préſume qu'on eſt ſur le point de s'occuper ſérieuſement. Refonte générale des Contributions. Rien n'eſt encore arrêté, & rien ne peut l'être, ſur les inspoſitions à établir pour égaler la recette ! (*). On peut voir, dans les différentes opinions imprimées de l'Aſſemblée, & dans les rapports de ſon Comité des finances, qu'on avoue aujourd'hui de toute part cet état déplorable. Non- ſeulement c'eſt l'expreſſion dont s’eſt ſervi M. de Mirabeau dans les diſcours ſur les affignats ; mais il y fait même apper- cevoir tout le danger des tems critiques, qui ſe préparent : Car, Meſſieurs, dit-il, il n'en faut pas douter, il off ouvert, bet abyme; il s'aggrandit devant nous. : [ 10 ] 1 à la dépenſe. On ne peut les mettre de niveau, qu'en fixant la hauteur de l'une relativement à la hauteur de l'autre: mais juſqu'à préſent on a opéré ſur toutes deux partiellement. La recette étoit reconnue inſuffiſante: on a commencé par la rendre plus inſuffiſante encore, en ſupprimant pluſieurs branches de revenu, & en énervant, à l'égard de toutes, les moyens de recouvrement. La dépenſe étoit jugée exceſſive : on a fait pluſieurs réductions févères, qui ont tranché juſques dans le vif: mais en même tems on a fait tomber ſur l'Etat tant de charges nouvelles, que la dépenſe ſe trouve, mal- gré les retranchemens, infiniment augmentée. On eſt forcé d'en convenir : la différence des opinions ne peut rouler que ſur le plus ou le moins. Mon évaluation du déficit eſt fondée ſur les calculs les plus modérés des changemens ſurvenus, depuis 18 mois, dans l'état des revenus & celui des dépenſes. On'a vu ci-deſſus que leur réſultat préſentoit un vuide de 290 millions, en y comprenant 35 mil- lions pour les rembourſemens à termes ; & qu'afin d'avoir une baſe de raiſonnement que quelques erreurs, s'il m'en étoit échappé, ne puſſent pas déranger, j'avois réduit mon eſtimation à 250 mil. lions, Si on la compare aux apperçus qui ſe trouvent dans le rapport fait au nom du Comité des finances le 27 Août dernier, on verra qu'il y a très-peu de I 3 1 1 1 [102] différence(*). On peut donc compter ſur cette eſti- mation comme fur l'approximation la plus juſte qu'il ſoit poſſible de faire, en attendant que l'état des dépenſes ſoit définitivement arrêté; & il s'enſuit qu'il faut trouver, dans la refonte générale des contributions, 250 millions de revenu nouveau; en addition à ce qui reſte de l'ancien. (*, Suivant le calcul qu'a donné le Comité de la dépenſe an- nuelle, dans le fyfême du rembourſement de la dette par les moyens ordinaires, le total'eſt de 583 millions. Mais, 1°. les rembour- ſemens indiſpenſables n'y ſont comptés que ſur le pied de 23 millions, parce qu'ils ſont diſtribués fur un eſpace de 32 ans : j'ai fait voir qu'on ne pouvoit pas les eſtimer moins que 35 millions. 2°. Les biens du Clergé ſont ſuppoſés donner par an 70 millions de produit net : les frais déduirs, ils n'iront ſure- ment pas à 60. 3º. Enfin la dépenſe publique eſt préfumée ne devoir moncer qu'à 240 millions : il ſeroit aiſé de prouver que, compris tous les frais d'adminiſtration, de garde nationale, & de recouvremens d'impôts, elle s'élevera à plus de 250. Il y auroit donc 27 millions à ajouter au total de 583, ce qui le porteroit à 610 millions. J'ai prouvé ci-deffüs que l'emploi de 600 millions d'allignats en acquiſition de biens nationaux ne produiroit par an que 10 millions d'épargne : & encore c'étoit fans avoir égard à ce que coûteroient au tréſor public les fuites de l'émiſſion de ces affignats. Il reſtera donc, ſuivant ce calcul, 600 millions de dépenſe annuelle. Or le revenu, qui étoit de 475 millions en Mars 1789, a ſouffert, comme je l'ai montré par détail, une diminution de 119 millions, qui le réduit à n'être, juſqu'à ce que les rem- placemens ſoient effectués, que de 356 millions. Le déficit ſeroit donc de 244 millions ; & la différence de ce réſultat à mon évaluation, n'eſt que de 6 millions. } [ 103 ] L'Afemblée a déjà réglé deux impoſitions de remplacement; l'une de 40 millions, au lieu de la gabelle, à répartir entre les provinces qui y étoient ſujettes ; l'autre de 10 millions pour tenir lieu de pluſieurs droits d'aides ſupprimés. Comme elles doivent entrer dans la combinaiſon générale de tou- tes les contributions, je n'ai pas dû les compter d'a- vance en diminution du vuide qu'il s'agit de rem- plir, & c'eſt en ce moment que j'avois réſervé d'en parler: , Il y a lieu de croire que l'on conſervera les trois genres d'impoſitions, ſavoir, L'impoſition réelle ou territoriale ; L'impoſition perſonnelle ou facultative; L'impoſition indirecte ou droits incorporels ſur les actes, ſur ce qui ce vend, & ſur ce qui ſe con- fomme. L'Aſſemblée aura à déterminer quelle portion de la maſſe totale appartiendra à chacun de ces trois genres. Juſqu'à préſent l'impôt réel, compoſé des deux vingtièmes, qui produiſoient, avec les ſols pour liv. 56 millions, & du brevet général de la taille, qui, tous acceſſoires compris, montoit à 106 millions, formoit un revenu de 162 millions. Mais cette conn. I 4 [ 104 ] tribution n'étoit pas territoriale dans la totalité ; :: y entroit de la taille perſonnelle, de la capitation fa- cultative, & des impoſitions mixtes. La capitation appelée taillable, étoit un objet de 35 millions ; & l'on peut regarder comme certain que de cette maffe de 162 millions, il n'y en avoit qu'environ 120 qui fuſſent ſupportés par la production territoriale. La ſuppreſſion des priviléges, & une répartition, la plus exacte poflible, ſur toutes les terres produc- tives ſans exception, procureroient une augmen- tation que j'eſtime, d'après le travail que j'avois fait en 1787, pouvoir être, en la portant au plus haut, de 50 millions. L'impôt réel, dans ſa pleine valeur, ſeroit donc de 170 millions. Qu'on y ajoute encore 80 mil- lions, dont 40 par contribution au marc la livre, pour remplacement de la gabelle & droits ſuppri- més, & 40 autres ſtrictement additionnels, on au- roit alors une impoſition territoriale de 250 mil- lions. Ce ſeroit dix fois la valeur d'un vingtième actuel, qui n'eſt que de 25 millions. On doit convenir qu'il eſt impoſſible de charger davantage les fonds; & il eſt inconteſtable que quand on ſuppoſeroit vrai que les 130 millions, dont le produit de l'impôt territorial ſe trouveroit ſurpaſſer ce qu'il a été juf- qu'à préſent, ne ſeroient que la compenſation de ce qu'on payoit autrefois pour la dîme & de ce qui étoit ſouſtrait par les priviléges, il n'en ſeroit pas 1 1 1 1 [ 105 ] moins certain que la refonte de toutes les parties en une ſeule maſſe, en rendroit le poids beaucoup plus ſenſible, & la levée infiniment plus difficile. 1 Cependant cet accroiſſement de 130 millions ſur l'impôt réel laiſſeroit ſubſiſter encore 120 millions de, déficit. Comment les trouver ? Quelle autre augmentation d'impôt imaginera-t-on pour y ſup- pléer . 1 Voudra-t-on doubler l'impoſition facultative que j'avois propoſée de diminuer par la ſuppreſſion des capitations en-deſſous de 3 livres, & que j'aurois voulu ſupprimer entièrement, parce qu'elle eſt né- ceſſairement ſoumiſe au régime arbitraire ?--Il ſe- roit bien étrange que l'Aſſemblée Nationale, qui, d'après ſes principes, doit proſcrire tout ce qui n'eſt pas réglé par la loi, tout ce qui foumettroit la for- tune des citoyens à des volontés particulières, voulût étendre, plutôt qu'abolir, ou du moins reſtreindre, un genre d'impôt dont la répartition ne peut échap- per à l'arbitraire, & dont le mode, quelque effort qu'on faſſe pour le rendre légal, ne pourra jamais être rangé ſous l'empire des règles fixes (*). Sup- poſons néanmoins ce doublement peu vraiſemblable 1 ! (*) J'ai vu, dans quelques écrits, qu'on croyoit éviter cet inconvénient en rendant la capitation proportionnelle aux prix des loyers ; mais on ne fait pas attention qu'alors elle feroit furajoutée à l'impôt ſur les maiſons, qui eſt compris dans l'impôt réel, & fait partie des vingtièmes. [ 106 ] & peu honorable pour nos légiſlateurs, de l'impoſia tion facuicative; fuppofons que la capitation ſoit élevée de 40 millions, fon produit total, à 80, ce qui ne ſe feroit pas ſans peine, & fans de tresa embarraſſantes réclamations, le déficit, par ce nou- veau décroiſſement de 40 millions, ne feroit plus que de 80: mais c'eſt ici que la difficulté d'y pour- voir me paroît inſoluble, dans l'ordre des choſes introduit par l'Aſſemblée, & en maintenant ſes opérations. + En effet, il ne reſte à ſpéculer que relativement au troiſième & dernier genre de contribution, qui eſt celui de l'impôt indirect ſur les objets de vente & de conſommation, ou droits ſur les actes; c'eſt ce qui, dans l'ancien régime, embraſfoit les recettes de la ferme générale, de l'adminiſtration des do- maines incorporels, & de la régie générale des aides. Or, tout cet enſemble compoſé de droits in- nombrables & multiformes, de perceptions diffi- ciles & diſpendieuſes, de formalités inquiétantes & ſouvent vexatoires, ayant toujours été regardé comme le champ dans lequel les réductions & les fuppreſſions avoient le plus à s'exercer, comment pourroit-il être enviſagé aujourd'hui comme ſuf- ceptible d'aucun nouveau genre de produits, ou d'aucun ſurcroît de preſſurage ſur les anciens ? Les intentions que l'Aſſemblée a manifeſtées juſqu'à préſent, & la conduite qu'elle a tenue, an- noncent au contraire le deſſein de diminuer de plus 1 1 ( 107 ) en plus le nombre & le poids de ces droits nuiſibles au commerce, à l'induſtrie, aux conſommations, ou à la liberté civile. On a parlé de la ſuppreſſion les aides ſur les boifforis ; fi on les conſerve, on voudra du moins adoucir la rigueur de leur percep- tion, & réformer les précautions tortionnaires qui l'acompagnent, dût-on par-là en affoiblir les pro- duits.-Si le projet que le Comité des impoſitions a propoſé pour rendre à tout le royaume la faculté de cultiver & fabriquer le tabac, eft admis, la ferme dont la vente excluſive eſt le ſoutien, ne vaudra plus la moitié de ce qu'elle rapporte aujourd'hui.- Aggraver les gênés du contrôle des actes, ce ſeroit une trop grande inconſéquence, & une atteinte trop criante aux principes de la liberté des conventions.- L'extenſion du centième denier y dérogeroit auffi, & il ſeroit barbare d’aggraver un impôt qui frappe juſ- ques ſur la misère, lorſqu'elle oblige, de vendre.- La fuppreſſion des barrières intérieures, & l'affran- chiffement de la circulation des marchandiſes, abaif- ſeront plutôt qu'elle n'éleveront le produit des droits de traites.--Celui des entrées de Faris décroi- tra de jour en jour autant que fa population & fön luxe. En général, l'offre des grandes réformes tend toujours à diminuer les conſommations, & par con- féquent, les droits auxquels elles ſont aſſujetties. Je ne prétends pas eftimer le dépériſſement que la réunion de ces différentes cauſes pourra occaſion- ner dans la recette des fermes & régies générales ; mais il y a lieu de croire qu'il ſera tel, qu'à peine . [ 108 ] pourra-t-il être compenſé par l'extenſion dont le droit de timbre eſt ſuſceptible ; car je ne crois pas, d'après les renſeignemens & les calculs qui me ſervirent de baſe quand j'en donnai le projet en 1787, qu'on puiſſe en tirer plus de 20 millions au-delà des ſix de ſon produit actuel. Il n'y a donc aucune poſſibilité d'obtenir, fur les impoſitions indirectes, une plus value quelconque, ni, à plus forte raiſon, les 80 millions qui, ſuivant les ſuppoſitions précédentes, reſteroient encore en déficit. Il n'y auroit exactement aucune manière de pourvoir à cette dernière portion de déficit, puiſ- que des trois genres d'impoſitions, les deux premiers ſeroient déjà ſurchargés du fardeau additional de , 170 millions, & que le troiſième, loin de prêter à aucune eſpèce d'accroiſſement, follicite encore de nouvelles réductions. Ainſi, après avoir attaqué toutes les fortunes & tous les Ordres, outré les réductions, rendu les ré- formes rétroactives, privé une infinité de citoyens de leur état, envahi les biens du Clergé & le patri- moine de la Couronne, on ſe fera vu forcé de recou- rir à une création de 1200 millions de papier-mon- noie ; on aura doublé l'impoſition ſur les terres ; dou- blé l'impoſition ſur les perſonnes ; quintuplé peut- être la taxe du timbre; & ce ne ſera pas encore affez Il reſtera toujours un déficit énorme pour l'extinc- tion duquel il faudra inventer un nouveau genre de contribution qui paroît inimaginable, mais qui, 1 1 [ 109 ] quel qu'il puiſſe être, ſera en addition à la misère publique. On aura donc fait beaucoup de mal à une infinité de citoyens, & aucun bien au peuple. On ne ſe tirera pas d'embarras en attaquant mes calculs;.car on doit ſe ſouvenir qu'après les avoir modérés ſur tous les articles, j'ai fini par laiſſer à l'écart une ſomme de 40 millions, qui certainement excède de beaucoup ce qu'il pourroit y avoir d'erroné, ou même de douteux dans mes éva- luations ; & fi elles ſont toutes, comme je le crois, très-exactes, ces 40 millions ajoutés aux 80, dont il me paroît impoſſible de remplir le vuide, porteroient à 120 millions la partie du déficit qui feroit vraiment indélébile dans l'état actuel. L'Aſſemblée voudra-t-elle, pour eſquiver la diffi- culté, rejeter ſur les départemens le ſoin de ſup- pléer à ce qui manquera, par l'établiſſement de quelques droits nouveaux, tel que chacun d'eux les croira s'affortir le mieux aux conſommations & aux reſſources du pays ? Mais indépendamment de la contradiction qu'il y auroit, d'une nouvelle introduction de droits locaux & diverſifiés ſur les marchandiſes, avec le ſyſtême de l'uniformité géné- rale, & avec la fuppreffion décrétée de toutes les barrières intérieures, il faudroit avoir bien peu de connoiffances adminiſtratives pour ſe figurer que les départemens puffent ou inventer de nouvelles contributions, ou ajouter aux droits & octrois, A [ 10 ] 1 dont tous les genres de conſommation font déjà grevés avec une ſérie incroyable de ſols pour livre acceſſoires. Ce ſera beaucoup, ſans doute, ſi en même tems qu'on augınentera l'impôt terri- torial & l'impôt facultatif, on parvient à faire acquitter en outre par les départemens, les 37 mil- lions de dépenſes réputées locales qu'on a repor- tées ſur les provinces (*), les frais du recouvre- ment d'impôt, d'adminiſtrations, & de garde na- tionale, dont elles ſeront auſſi chargées; l'impoſition en remplacement de la corvée, qui n'eſt compris dans aucun des .calculs du Comité des finances, ni dans les miens ; les ſecours de charité que l'aug- mentation de la misère, le défaut du travail, & la perte des, aumônes du Clergé & des Abbayes, ren- dront indiſpenſables ; l'intérêt des nouveaux em- prunts que l’Affemblée a permis aux villes & communautés avec la plus exceſſive facilité; & enfin, toutes les anciennes charges particulières que chaque province avoit déjà bien de la peine à fup- porter. Quiconque a été chargé de l'adminiſtration de quelques provinces, quiconque eſt en état d'ap- précier la valeur de chacun des objets que je viens (*) Ces 37 millions ſont compris dans les 240 auxquels le Comité des finances évalue la dépenſe ordinaire, & je ne les préſente pas ici comme y étant ſurajoutés; mais ils ſont, comme toutes les dépenſes anciennes, en dehors de mes calculs ſur le déficit. 1 1. [. III ] ! de faire appercevoir rapidement, quiconque vou. dra en conſidérer attentivement la maffe, fera fort éloigné de croire qu'on puiſſe y ajouter encore, ni un ſurcroîc de 80 millions, ni aucune nouvelle con- tribution locale, Si on l'entrepend, on verra ces mêmes départe- mens, quelque ſubordonnés qu'ils puiffent être à leurs fuprêmes créateurs, méconnoître fur ce point l'empire de leurs oracles. La crainte d'une banqueroute qu'on leur a déclarée impoſible, & dont les effets d'ailleurs font bien moins redoutables pour les provinces que pour la capitale, ne fauroit les toucher autant que la certitude de rencontrer dans les contribuables une réſiſtance invincible; tout l'art des adreſes, tous les appels au patriotiſme, ſeront fans effet quand on les employera contre la cauſe du peuple ; & le cri de l'intérêt particulier à qui les droits de l'homme donnent une force ſupé- rieure à tous les décrets, l'emportera, & ſur la voix de la perſuaſion, & ſur les juſſions de l'autorité. La contrainte réuſſiroit-elle mieux ? Y en a-t-il, quand la force publique n'exiſte plus; quand ceux qui doia vent payer ſont arinés, & que ceux qui exigent qu'on paie, ne le ſont pas; quand rien ne peut empêcher que les aſſemblées provinciales, faiſant dériver leurs droits de la même ſource où l'Aſſemblée Nationale a puiſé les ſiens, & étant ſoutenues d'un million de gardes intéreſés à leur réſiſtance, ne repouſſent avec ſuc- cès ce qu'elles croirone exigé avec injuſtice, ne i ! 1 [112] 1 faſſent la loi aux légiſlateurs, & ne prennent leurs uſurpations pour modèles ? 1 1 Le peuple, ſur lequel on a trop compté, & dont l'ivreſſe n'a qu'un tems; le peuple, déjà indigné de la manière dont on traite fon Roi, qui n'a voulu que le ſoulager ; le peuple, dont les murmures ſe gonflent à meſure que ſes eſpérances s'atténuent ; le peuple enfin, qui oublie tout excepté ce qui l'in- téreſſe, n'a ſurement pas oublié ce que l'Aſſemblée Nationale lui diſoit il y a huit mois, dans ſa pre- mière adreſſe, Vous étiez malheureux, vous l’étes encore, mais vous ne le ſerez pas long-tems : nous en faiſons le ferment.. Une recherche ſévère ſur les dépenſes nous a prouvé que la somme des anciens revenus ſeroit plus que ſuffiſante lorſqu'ils ceſſeroient d'étre prodigués. Cet examen a montré que le peuple pourra être fort foulagé ſans que le tréſor public fût appauvri. Le peuple devoit donc s'attendre que le ſeul retranchement des dépenſes ſuperflues, & de ces immenſes prodigalités dont on l'a tant entretenu, fuffiroit pour rétablir l'ordre dans les finances, & lui procurer en même tems beaucoup de foulage- ment. C'eût été de fa part imputer le parjure à l’Aſſemblée, que d'imaginer qu'au lieu de trouver plus que ſuffiſante la ſomme des anciens revenus qui n'a jamais paſſé 475 millions, on ne s'occuperoit que des moyens de la porter par de nouvelles contribu- tions 1 + [ 113 ) tions à la hauteur de 550, ou 600, ou 640 mil- lions. (*) 1 Par combien d'illuſions on a leurré le priblie depuis un an ! L'Afſemblée auroit trop à en rot- gir, ſi elle-même n'avoit pas été dans l'erreurs Sans doute fon Comité des finances étoit dans la bonne foi, lorſque dans fon rapport du 18. Novém- bre 1789; après avoir garanti la plus grande exac- titude des tableaux qu'il préſencoit, il difoits. Vous Voyez, d'après ces tableaux, que toutes les dépenses ont acquittées, & que l'intérêt de toutes les dettes fera peyé ſans qu'aucune nouvelle fource de revenu fait ouverte. Ele que le peuple n'aura plus qu'un seul impôt territorial à payer, & que det impôt ſera infié- rieur de 49 millions effectifs d ceux qu'il payait pré- cédeninent; enfin, que l'intérêt de la dette, & toutes Les dépenſes acquittées, le Nation auroit in excédent de revenu de plus de 33 millions .... Nous ne vous avons pas préſenté les rêves de l'imagination; nos éva- luations ne ſont pas problématiques ; c'eſt dans quelques mois que nous pourrons entrer en jouiſſance ; c'eſt dès aujourd'hui que vous pouvez en poſer les baſes. ز (*) Suivant le nouveau plan de finances & d'impoſitions, formé d'après les décrets de l'Aſemblée, & qui vient d'être imprimé par ſon ordre, le revenu' ſeroit porté à 552 millions. Suivant le rapport fait par M. de Monteſquiou le 27 Août der nier, il faudroit qu'il fût de 583 millions pour égaler la dépenſe, & même de 600 millions au moins, en corrigeant quelques cmif. fions. Enfin, ſuivant moi, il faudroit qu'il fût de 646 millions, pour combler le déficit de 290. K [ 114.] L'Affemblée Nationale ne croyoit pas cette jouif- fance fi prochaine ; mais dans la ſeconde adreſſe aux François du mois d'Avril dernier, elle s'expri- moit ainſi : L'Aſſemblée Nationale a irrévocablement fixé à l'année prochaine le terme où l'on jouira de fe's travaux. 1 Nous y touchons à ce terme, & le langage eſt bien changé. On ne parle plus que de moment critique, que de néceſſité preſſante, que de parti extrême & fâcheux; exigé par les circonſtances fous peine de diſolution de l'Etat ; ce n'eſt qu'à force. de papier-monnoie qu'on peut achever le ſervice de l'année, & commencer celle où l'on devoit entrer en pleine jouiſſance : rien encore de réglé par rapport aux impoſitions ; mais on ne diſfimule plus qu'elles ſeront augmentées; & cet équilibre, cet excédent même de recette, cet ordre immuable le Comité voyoit il y a un an comme ſi pro- chain qu'il diſoit avec confiance, Tel jour il ne ſera plus permis d'être inquiet, tout cela s'eſt évanoui comme un rêve de l'imagination, & a fait place à l'effroi du plus horrible déſordre, & à la détreſſe de l'einbarras le plus notoire. (*) que ! (*) Ce n'eſt pas qu'il n'y ait encore des gens aſſez igno- rans ou aflez hableurs pour reproduire, même à préſent le rêve de 40 millions d'excédent de nos revenus ſur nos dépenſes fixes, pour affirmer à l'Aſſemblée elle-même que cet excédent ſera in- failliblement triplé, & pour oſer ajouter que les peuples qui payoient ci-devant goo millions de toutes eſpèces de contributions, 1 [ 115 ] Quelle cruelle furpriſe, quel terrible réveil, quelle fureur peut-être n’exciteroit-on pas, fi, après tant de décevantes promeſſes, tant de fatteuſes eſpé- rances, le dénouement, ou plutôt la cataſtrophe, 1 y compris les frais de recouvrement, ſeront foulagés par une diminution effective de 378 millions. Je ne crois pas qu'on ait jamais proféré d'auſſi abſurdes fauffetés. Les gazetiers même s'en ſont mocqués ; & j'ai preſque honte de les relever dans un ouvrage ſérieux. Mais puiſque l'Aſſemblée n'a pas rougi d'en ordonner l'impreſſion, & que toutes ces inepties fervent non-ſeulement à égarer le peuple, mais auſſi à calomnier l'ancienne adminiſtration, & à faire paſſer tous ceux qui en ont tenu les rênes pour les plus ftupides & les plus mépriſables des hommes, je ne puis me diſpenſer d'oppoſer aux ridicules affertions de M. Vernier, la dénégation la plus formelle, & de lui apprendre, ainſi qu'à tous ceux qui ont lu ſon ouvrage, que le total des contributions levées ſur les peuples, y compris le total des frais de recouvremens, n'a jamais monté à 600 millions, & qu'ainfi fon mécompte affecté eſt de plus de 300 millions. Il eſt d'autant moins excuſable, qu'il pouvoit aiſément trouver dans le livre de l'adminiſtration des finances de M. Necker, le détail très-circonſtancié de tout ce qu'on peut comprendre ſous le titre de frais de recouvremens, & y voir que le total, y com- pris les frais des octrois des villes, ceux des pays d'états, ceux du clergé, & généralement tous ceux que les peuples payoient en ſus de tous les genres de contribution qu'ils ſupportoient, & pendant que le troiſième vingtième fubfiftoit encore, n'alloit qu'à 58 millions, & la maſſe des impôts, y compris tous ces frais, à 486. Ils font depuis lors diminués plutôt qu'augmentés; & je ſuis sûr de ne pas me tromper en affirmant qu'en y joignant même les frais de ſaiſie, de contrainte, & de procédure, la tota- lité iroit à peine à 600 millions. L'exaggeration eſt donc de moitié. Je demande à mes lecteurs fi, en pareille matière, elle n'eſt pas atroce. K a [ À 6 :] étoit de faire tomber ſur ce peuple..enfin déſabuſé, une maſſe d'impoſițions réelles & perſonnelles, plus écraſante" qu'aucune qui àit jamais exiſté ! A quels excès, ne ſe porteſoit pas le déſeſpoir d'une foule d'artiſans & de journaliers, qui, déjà réduits à la misère par le déſveuvrement, verroient encore le prix de toutes les denrées s'élever à une telle hau- teur, que leur indigence ne pourroit plus y atteindre? Et qui pourroit prévoir juſqu’où iroit l'irritation des habitans des campagnes, lorſqu'ils appren- droient que l'établiffement de dix vingtièmes, comptés comme autrefois, ou de fix à ſept rigou- reuſement perçus ſur les terres, ſeroit le fruit de ces opérations dont on leur diſoit que la mémoire devoit exciter à jamais leur reconnoiffance ? 1 On s'efforceroit yainement de faire croire que l'affranchiſſement de la dîme, l'abolition de la gabelle &: de tout ce qu'il y avoit d'odieux dans ſa perception; & la ſuppreffion des droits fur les huiles, les cuirs & les fers, procurent plus de ſou : lagement que, 250 milions de contributions nou- velles ne cauferoient de ſurcharges.: Le peuple ne feroit pas long-teinis dupe de cette propofition; on ne lui perſuadera pas qu'il ſoit poſſible que le revenu, public augmente, fans que les contributions publiques dont il eſt:compoſé augmentent en même tems. D'ailleurs, quand la Nation ne payeroit pas plus après la refonte des impofitions, qu'elle ne payoit avant, il n'en ſeroit pas moins vrai que le poids en maſſe de nouveaux impôts ſeroit infi- 1 1 ! [ 117 ] niment plus fènfible que në l'étoit. lè fardeau diviſé des anciens ; qu'en réuniſſant les parties, on ren- droit leur intenſité plus douloureuſe ; qué tel con tribuable qui paie cinquante livres de droits divers dans le cours d'une année, ſeroit hors d'état d'en Payer la moitié par une ſeule taxé & en un ſeul jour. : Qui ne fait que l'habitude de porter une charge quelconque, l'a fait trouver moins lourde qu'une charge équivalente, mais inufitée, & dont l'aſpect ſeul eſt plus effrayant ? N'eſt-ce donc rien que l'opinion ? & ne ſouffre-t-on pas pref- que autant du mal qu'on croit avoir, que de celui qu'on á $ On me reprochera, comine on a reproché der- nièrement à M. Necker, de femer la terreur, de Sonner la trompette de la défiance, d'affecter de peindre l'avenir fous les couleurs les plus fornbres, pour dé- éréditer les opérations de l'Aſſemblée.-Eh! quoi ? tandis qu'au bord de l’abyme on endort la Natiori au fon des proſpérités qu'on lui promet, il ne ſera pas permis d'éveiller ſon attention en lui montrant les maux qui la inenacent ? Eft-će uit crime que de diſcuter publiquement l'état de la förture publique? Eft - ce trahir la patrie que d'écarter d'elle des preſtiges qui, ſoit qu'ils trom- pent fes. conducteurs, ſoit qu'ils leur ſervent à tromper; amenéroient bientôt cette exécrable ex- trémité dont le nom infáine a été profcrit par les décrets nationaux, mais dont ils ont attiré le dan- 1 K 3 1 A 3 [ 118 ] : ger; qu'ils ont jugé avec raiſon criminelle, mais qu'ils rendroient inévitable en conſommant leur ouvrage ? Qu'on ne m'accuſe pas de voir de ſang-froid une telle calamité. C'eſt parce que je frémis de ſes effets, que je crie qu'on y prenne garde ; c'eſt parce que je fais ce qu'il y auroit à craindre du déſeſpoir où elle jetteroit une multitude innombra- ble de malheureux qu'elle priveroit de ſubſiſtance, que je dénonce les cauſes menaçantes à ceux qui en ſeroient les premières vietimes, à la Nation entière pour qui elle feroit auſſi funeſte quę flétriſ- fante, & aux ſucceſſeurs de l'Afſemblée à qui elle laiſſeroit ce ſanglant héritage, Qu'on ne croie pas non plus qu'en préſentant l'image de cet affreux avenir, je ſois perſuadé qu'il ſoit réſervé à la France d'en éprouver le féau ! Non, certes : j'augure mieux de ſon fort, Mais je penſe fermement, & c'eſt ainſi que je termine & conclus ce qui concerne les finances du royaume, que ce qui eſt à faire pour en réparer le délabre- ment, eſt impoſſible en laiſſant ſubſiſter ce qu'on a fait, & qu'il n'y a d'eſpoir que dans un grand changement. Ce changement, exigé par l'état des finances, ne l'eſt pas moins ſtrictement par la ſituation de toutes les autres parties du corps politique; lui 1 + 1 . ( 119 ) feul peut tout fauver; & il conſiſte, comme je l'ai annoncé dès le début de cet ouvrage, à revenir à l'exécution des cahiers, qui devoient ſervir de · baſe à la conſtitution du royaume, & de règle aux décrets de l'Aſſemblée, 1 Pluſieurs de ces décrets font conformes à ce qui avoit été voté ou preſcrit par les cahiers. Quelques-uns ſe rapportent à des points que les affemblées électrices n'avoient pas prévus, & ſur leſquels elles n'ont point émis leur vou, Le plus grand nombre, & les principaux, font diametralement contraires aux difpofitions una- nimes des cahiers, Ceux qui s'accordent avec les cahiers, avec les intentions des commettans, font ſans contredit l'ex- preſſion de la volonté générale; ils doivent être maintenus; & c'eſt à eux que ſe rapporte le fer- ment civique fainement entendu: je les rappel- lerai dans la concluſion de cet ouvrage. Ceux qui font pour ainſi dire en dehors des cahiers, qui peuvent par conſéquent ne pas ſe ren- contrer avec les vues des commettans, mais qui ne ſont pas littéralement contraires à leurs man- dats, ſont dans le cas d'être reyus & ratifiés: c'eſt par eux que j'entrerai en matière. K 4 1 [ 120: 13 P Ceux qui font en contradi&tion directe avec le voru général des cahiers, ſur des objets fondamen- taux & conftitutionnels, ſont frappés d'une nullité radicale dont ils ne peuvent être relevés que par une validation authentique de la Nation; c'eſt für ceux-là que je m'étendrai le plus, , مرد من ، : iiiü. PREMIÈRE CLASSE. Décrets"fur Objets non déterminés par les Cahiers. Je ne vois que cinq objets à fanger dans cette claffe, 1°, La' permanerce de l'Aſſemblée des repré-. fentans de la Nation; 2°, l'établiſſement de la Loi martiale; 3°, l'inſtitution des Jurés en matière criminelle ; 14, la nouvelle diviſion du Royaume en départemen's géométriquement meſurés ; 5°; la réduction du nombre des Évêchés à un nombre égal à celui des départemens, & l'élection des Évêques, Curés, &c par le peuple, Premièrement, l'Aſſemblée s'eſt conſtituée per- snanente :-ſuivant les cahiers," qui tous lui ont donné le titre conſacré par l'uſage d'Afjemblée d'États-généraux, elle devoit être périodique. L'in-> tervalle d'une convocation à l'autre ne deyoit être; ſuivant la plupart, que de trois ans ; & pendant chaque intervalle; ils laiſfoient au Roi le droit de faire les règleineņs qui ne pourroient pas être r [. r21 ] différés, a condition qu'ils ſeroient ſeulement pro- viſoires; & ſujets à être légalement ratifiés dans l'Alleinblée ſubſequente.-Les décrets ont été plus loin ; ils ont ftatué que l'Aſſemblée Nationale ſeroit permanente: c'eſt une ſuite de ce qu'on a voulu exclure le Roi de tout acte légiſlatif, même proviſoire, & lui interdire tout ce qui pourroit être conſidéré comme une forte d'initiative. (*) L'Affemblée, concentrant en elle ſeule l'exercice du pouvoir de faire les loix, ſans diſtinction quel- conque, & même ſans aucune réſerve à l'égard des règlemens d'adminiſtration journalière, il falloit bien qu'elle ſe rendît continue dans ſa durée, & qu'en admettant le renouvellement biennal de ſes Membres, elle déclarât fa ſéance annuelle, fans autre interruption: que celle d'une vacance de huit Il eût été ſans doute plus conſéquent à fon Syſtême, de ne vaquer dans aucun intervalle; puiſque la légiſlation, en tant qu'elle fe rapporte. au courant continuel des objets à régler adminif- mois par an. 1 (*) En Angleterre le Roi n'a pas non plus l'initiative; elle appartient à la Chambre des Communes: mais comme ſon Miniſtre principal eft d'ordinaire, membre de cette Chambre, par-lùi le Roi peut faire propoſer les bills qu'il croit utiles, & en faire connoître les motifs: ---Seroit-il naturel que celui qui gouverne n'eûc aucun moyen de provoquer la délibération ſur ce qu'il jugeroit être néceſſaire ou avantageux pour le bien de l'Etat, & que le Chef de la nation ne pât ni faire, ni faire faire pour Pintérêt de ſes peuples, les propoſitions que chacun des Membtes du Corps légiſlatif a droit de préſenter ? 1 1, [122] trativement, ne peut, comme je l'ai expliqué dans ma Lettre au Roi (p. 58), ſupporter aucune lacune, ni reſter un ſeul mois dans l'inertie. C'eſt pour cette eſpèce de régulation ſans repos, que la plupart des Aſſemblées électrices avoient jugé convenable de laiſſer au Roi le proviſoire légiſlatif, à charge de ratification. L'Aſſemblée Nationale a rejeté cette meſure, ne s'inquiétant jamais des difficultés d'exé- cution. Plus accoutumée aux fonctions actives du gouvernement, elle eût héſité plus ſouvent, & préparé moins d'embarras, Il paroît néceſſaire de retoucher à cette loi qui eſt pour le moins incomplette, en ce qu'elle n'a rien déterminé ſur l'émiſſion des règlemens admi- niſtratifs qui feroient néceſſaires pendant les in- tervalles d'une tenue de ſéances à l'autre. Si le décret qui ſemble réduire le Roi à de ſimples pro- clamations pour l'obſervation des loix émanées de l'Aſſemblée Nationale, s'étend juſqu'à le priver du droit de rendre, au moins proviſoirement, des dé- ciſions & des règlemens en matière d'adminiſtra- tion, cette diſpoſition ſeroit du genre de celles qui étant contraires aux cahiers, ne peuvent fubfifter. Secondement, on a établi la Loi martiale :- les aſſemblées électrices, n'ayant pu prévoir que la police publique ſeroit détruite, que l'inſubordi- nation miſe en principe livreroit le royaume au débordement de la licence la plus effrénée, que leur impunité en perpétueroit les excès, & que le ( 123 ) pouvoir exécutif ſeroit fans force pour les réprimer, n'avoient point imaginé cette loi martiale juſqu'alors inconnue en France, & dont il n'eſt point queſtion dans les cahiers. L'Aſemblée s'eſt vue forcée d'y avoir recours; & fon décret du 21 Octobre, 1789, qu'on peut regarder comme une dépendance néceſ- faire de la nouvelle Conſtituțion, pourroit reinplir le' triſte objet auquel il eſt deſtiné, fi les formalités qu'il exige pour l'exécution d'une meſure qui ne peut être efficace qu'autant qu'elle eſt prompte, n'en détruiſoient pas toute l'utilité; aịnſi que l'ex- périence l'a déjà démontré. Troiſièmement, l'inſtitution des Jurés en ina- tière criminelle.--De tout ce que l'Aſſemblée a fait additionnellement aux cahiers, c'eſt ce qu'il y a de plus avantageux au public, & ce qui honore le plus ſes délibérations. Si en empruntant cet excellent ufage d'une Nation qui peut fournir plus d'un bon modèle, on en ſaiſit bien l'eſprit; s'il n'eſt point peryerti par la manie d'enchérir ſur ce qu'on imite, ce ſera pour la France, comme pour l’Angleterre, la ſauvegarde de la ſureté des citoyens, & l'appui de leur liberté. Mais c'eſt l'étendre au-delà de ſes juftes bornes, que de vouloir qu'il y ait des Jury pour l'armée & ſur les vaiſſeaux : on ne tardera pas à en reconnoître l'inconvénient; & c'eſt à cet égard que la réviſion du décret paroît néceſſaire. 1 Quatrièmement, la nouvelle diviſion du royaume. Les cahiers avoient exprimé le déſir que les [ 124 ] 4 contributions générales-fuffent réparties entre toutes les provitices du föyaume avec une égalité propor: tionnelle, en raiſon de leurs forces reſpectives ; ce qui n'étoit aucunement inconciliable avec le main- tien de leurs chartres, capitulationis, &. droits conf- titutifs. L'Aſſemblée s'eſt portée" au-delà de te but, & a formé un plan plus vaſte, plus hardis & que ſe's commettans n'avoient aucunement prévu. Elle a cru que pour parvenir à une parfaite uni- formité dans les impoſitions, ainſi que dans l'ordre légal, il falloit commencer par abolir entièrement l'ancienne diſtinction des différentes provinces, compter pour rien leurs chartres, déplacer leurs limites, & leur ôter juſqu'à leurs noms, ces noms dont les faſtes de tous les âges ſembloient garantir l'immutabilité. Elle a en conſéquence ordonné qu'à l'avenir le Royaume feroit partagé en autant de portions géométriques qu'elle a jugé à propos d'en tracer ſur la carte; elle s'eſt réſervé de les nommer comme il lui plairoit ; & ſans conſidérer ni les embarras que les poſitions locales & les dif- férences d'idiomes pourroient faire naître, ni la dif- ficulté de ſubjuguer à la fois toutes les habitudes & tous les intérêts, ni le trouble du déplacement ſubie des bornes de tous les pays & de tous les cantons, non précédé ni même accompagné du changeſent des coutumes & droits particuliers qui les régiffent, elle s'eſt perſuadée qu'il ſuffiroit qu'elle parlât; pour que tous les obſtacles phyſiques, moraux, & politiques, diſparuſſent à ſa voix, & s'évanouiſſent pour jamais. } . 1 E 125 ] ; Je ne ſais ſi l'événement répondra à fon attente. Ję m'avoue fort loin d'être à la hauteur de ces hommes tranſcendans, qui ont prononcé que tous les établisſemens: exiftans, en France couronnoient le, malheur du peuplé ; que pour le rendre heureux il falloịt le renouveler, changer les idées, changer les loix, changer les mehr ........., changer les bonuges., changer les choſes, changer les mots... tout détruire, Oui, tout détruire, puiſque tout est à recréer(*). Si je reconnois avec eux que les , bommes refpečtent aveuglément l'empire de l'uſage je n'en canclus pas comme eux, que cet empire, & les refpects que le genre humain à pour luj, ne méritent aucun égard:, je tiens encore à cette vieille opinion. fondée ſur l'expérience la plus générale, que lą, fomme des inconvéniens inapperçus qu'entraînent à leur ſuatę. les grandes & bruſques innovations, furpaſſe preſque toujours la ſomme des avantages apparens qu'elles promettenti Telle a été la progreſſion de mes idées ſur cette grande & haſardeuſe opération : con- vaincu, depuis long-tems, comme je l'ai fait voir par l'écrit que je préſentai au Roi au mois d'Août 1786, que la diſparité, la diſcordance, l'incohérence des différentes parties du corps de la Monarchie, étoit le principe des vices qui énervoient les forces, & génoient () Ces paroles font tirées d'un écrit. ayant pour titre, Nouvelles Réflexions ſur la nouvelle Diviſion du Royaume, par M. Rabaud. de. St. Etienne, membre du Comité dè Conftitution, lequel, dans ce même écrit intitulé Réflexions, déclare que trop de réflexions ſont trop d'ennui, ( 126 ) 1 1 toute ſon organiſation, je crus voir d'abord, dans le projet de la nouvelle diviſion territoriale & politique du royaume, l'accompliſſement du veu que j'avois dès lors exprimé, pour qu'il y eût plus d'égalité entre les charges des provinces, plus d'unité dans les principes de leur régime, moins d'entraves dans leurs relations commerciales, moins de bigarrures dans leur enſemble. Je n'ai pu conſerver cette eſpérance du moment que l'idée de morceler les provinces par une diviſion mathématique, impra- ticable dans l'exécution, a prévalu ſur les obſer- - vations fort ſages; à mon gré; qu'un des memb de l'Affemblée(*) lui avoit préſentées pour la dé- tourner de cette chimère d'égalité ſuperficielle, & perſuader que la ſeule diviſion convenable étoit celle qui permettroit, pour ainſi dire, de compoſer avec les préjugés, qui ſeroit déſirée par toutes les provinces, 5 fondées fur des rapports déjà connus ; qui fur-tout laiſſeroit au peuple le droit d'appeler aux affaires publiques tous les citoyens éclairés, qu'il jugeroit dignes de la confiance .... Auquel effet, il vouloit que les provinces actuelles ſubſiſtaffent, mais fuſſent ſeulement diſtribuées en fections, dont l'étendue fût meſurée, non par une quantité fixe de lieues quarrées, mais rapports combines de leur étendue avec leur population, les produc- par les (*) M. le Comte de Mirabeau, dans le plan de diviſion du Royaume préſenté par lui à l'Aſſemblée le 4 Novembre 1789. ! [ 119 bis ] 1 $ tions de leur fol, & les reſſources de leur induſtrie. Etonné que la décompoſition eût encore obtenu, en cette occaſion, la préférence ſur l'amélioration, je n'ai pas été raffermi fur la poſſibilité de l'exé- cution, par les très-nombreuſes, mais très-peu déci- fives adhéſions des municipalités; &j'ai ceſſé.enfin de la déſirer, lorſque informé de la manière dont ſe compofoient les aſſemblées primaires électrices des départemens, & des moyens fanguinaires qui en excluoient quiconque ne faiſoit pas profeſſion de démocratie, j'ai apperçu clairement que cette im- menfe.complication de diviſions & ſubdiviſions ne tendoit qu'à établir par-tout le gouvernement po- pulaire. Mais quoi qu'il en ſoit, ce qui eſt inconteſ- table, c'eſt qu'une telle décompoſition du royaume, une telle diſlocation de toutes ſes parties, ne peut ſe faire que par une volonté exprefle de la Nation; que les provinces ne peuvent ceſſer d'être ce qu'elles étoient de toute ancienneté, ni perdre le droit d'être repréſentées comme elles l'ont toujours été, ſans y avoir conſenti après délibération priſe dans la forme préexiſtante; & que l'adhéſion des nouveaux départemens, fût-elle générale, ne fauroit tenir lieu de ce conſentement; puiſque l'exiſtence de ces départemens, leur compoſition, & le droit repré- ſentatif qu'on leur attribue, ſont préciſément les objets de la queſtion à examiner. C'eſt pourquoi, préſentant ici comme une des additions faites au contenu des cahiers, la diviſion du royaume en 83 parties réputées égales & homogènes, je la mets 2 [ 120 bis ] 1 au rang des objets qui ne peuvent avoir été arrêtés que conditionnellement; qui ſont fujėts à être ré- viſés par le corps conftituant, qui ne peuvent être conſolidés que par une, ratification formelle de la Nation entière repréſentée comme elle l'a été bouf qu'elle a donné ſes pouvoirs & fes inftructions à fest délégués. .. ! Cinquièmement, là réduction des évêchés à un nombre égal à celui des départemensg : &: l'élection des Evêques, Curés, &c. par le peuple --Les cahiers avaient voté pour la fuppreffoon: des: bénéfices inutiles : l’Affeinblée a décrété beaucoup au-de- là, en fupprimant juſqu'aux cliapitres, juſqu'aux cathédrales, & n'exceptant rien. Mais ce qui n'a été propoſé par aucune des affemblées élémentaires, &t ce qu'on n'auroit pas ci-devant imaginé pou- voir être ordonné par la ſeule puiffance civile, c'eſt la ſuppreffion de cinquante-deux ſièges épiſcopaux, le changement de toutes les limites des jurifdiótionis eccléſiaſtiques, & le retour, très-imparfair, à l'an- tique uſage de l'élection des. Évêques par le peuple; uſage abrogé pour de grandes & judicieufes confidé- rations, par le concours des deux puiffances; uſage qui d'ailleurs laiffoit au ſouverain Pontife le droit de confirmer les élections. Je n'examinerai point ici à quel degré ce bouleverſeinent de la hiérar- chie eccléſiaſtique porte atteinte aux faints canons, à la difcipline établie par des Conciles généraux reçus en France, & aux maximes de l'Egliſe:Galli: cane 5 1 1 [ 121 bis ) cane ſi précieuſes à conſerver (†); je ne demanderai pas non plus ſur quel fondement; & d'après quels principes de juſtice ou de politique, on ſe croit per- mis de violer ouvertement les droits du Saint Siège, & les Concordats faits avec la Cour de Rome. Il n'eſt plus queſtion du droit ni des règles, quand la violence fait tout : mais je dirai un ſeul mot ſur les conſéquences. Il ſemble que l'Aſſemblée ait pris ſon parti par rapport au ſchiſme que quel- ques-uns de ſes membres l'ont priée de prévoir. En a-t-elle donc enviſagé toutes les ſuites, & peut- elle ſe diſimuler qu'elles menacent également la Religion & la tranquillité du Royaume ? Cette ſeule réflexion ſuffit pour faire ſentir qu'à ne con- (+) On peut voir à ce ſujet, le Concile de Laodicée, canon 573 . le ſecond & le troiſième Concile de Carthage; la Bulle du Pape Innocent XII, pour l'érection de l'Evêché de Blois ; mais ſur- tout le plaidoyer du Préſident Talon, faiſant fonction d'Avocat général le 28 Juin 1667, où il eſt établi très lumineuſement que la puiſſance donnée aux Apôtres & aux Evêques leurs fuccef- feurs, étant d'inſtitution divine, perſonne ne peut changer la ſubordination immuable de la hiérarchie ; que le Pape ne le pourroit pas, parce que, protecteur des canons, il n'a pas le droit de déroger aux décrets des Conciles, ni à l'établiſſement éternel de Jéfus-Chrift ; que l'Evêque ne le peut pas non plus, puiſqu'il n'eſt que le dépoſitaire & l'adminiſtrateur de cette juriſdiktion ; qu'il ne la peut céder ni aliéner, fans violer l'obligation du dépôt auquel il s'eſt engagé en acceptant la charge de l'épiſcopat.... L'au. torité paſtorale que Dieu, par ſa parole, & l'Egliſe par ſes canons, a confiée aux Evêques, ne peut se perdre par le tems ni par les entre- rifero L L i [ 122 bis ] ſidérer même que l'intérêt de la Nation, ſur un point qui la touche plus qu'aucun autre, celui de ſa religion, ce qui a été décrété à l'égard des Evêchés ne peut paroître définitif ; que la réviſion en eſt néceſſaire; & que ſi, en la faiſant, la Nation trouve déſirable de parvenir à la ſuppreſſion de tant de ſièges épiſcopaux, & au changement des limites de toutes leurs juriſdictions, il faudra qu'elle de- mande qu'il y ſoit procédé par les moyens qui font ſeuls capables de rendre une telle opération licite & régulière. Suivant les canons, & ſuivant les imaximes de l'Egliſe Gallicane, il faudroit un Concile natio- nal, où chaque Evêque intéreſſé au changement, donnât un conſentement formel. Il faudroit auſſi le conſentement exprès du Roi, ce qui ne peut s'en- tendre que d'un conſentement libre. Il faudroit enfin la confirmation du Pape. Je paſſe aux articles prétendument conſtitution- nels, qui ſont en oppoſition directe au voeu de la Nation, exprimé par l'unanimité des cahiers. SECONDE CLASSE. Décrets contraires aux Cahiers ſur les Points principaux de la Conſtitution. Je partage en quatre eſpèces la multitude des décrets prétendument conſtitutionnels, qui heurtent de front le vều national le plus unanime; & je vais diſcuter ſucceflivement, [ 123 bis ] Les Décrets contraires aux cahiers ſur la forme du gouvernement; Les Décrets contraires aux cahiers ſur la liberté & la ſureté des individus ; Les Décrets contraires aux cahiers ſur la pro- priété des biens ; Les Décrets contraires aux cahiers ſur l'adminif. tration de la juſtice. 3 iº. Les Décrets de l'Aſemblée font contrairés dui Cahiers d'Inſtructions, en ce qui concerne : la Forme du Gouvernementa 1 Rien ne peut être déterminé plus unanimement; exprimé plus' clairement, preſcrit plus impérative- ment, que ce qui eſt dit dans tous les cahiers ſur la néceflité de maintenir en France le gouverne- ment monarchique, excluſivement à tout autre, ſur les dépendances inféparablement liées à ce premier principe, & ſur les maximes acceſſoires qui, étant deſtinées à le préſerver de toute altération, font auſſi inviolables que lui-même. La Conſtitution de l'Etat, diſent les cahiers du Clergé, réſulte des loix fondamentales qui fixent les droits reſpectifs du Roi & de la Nation, & aux- quelles il ne peut jamais être dérogé, ſavoir : pre- mièrement, que le Gouverneinent François eſt pure- L 2 [ 124 bis 1 > rchique...(1)..... Il faut que la Nation ment nionär conſerve inviolablernent la forme de ſon gouvernement, qu'elle reconnoît & veut étre une pure monarchie, réglée par les loix... (2)..... Que les loix anciennes & fondamentales du royaume ſoient recueillies dons ún code, qui afſüre à jamais à la Nation ſon gouver- nement purement monarchique (3), & qu'il ne ſoit introduit aucune innovation qui tende à en détruire où altérer l'eſſence.. (4)..... Le gouvernement mo- narchique étant la conſtitution inébranlable de la Nation, la plus propre à ſa tranquillité intérieure & à fa, ſureté, au-dehors, la plus convenable à l'étendue de ſes provinces, la plus conforme au caraćtère de ſes peuples, qui, daňs tous les tems; ſe font diſtingués par leur amour & leur attachement pour leurs Sou- verains, nous ne nous prêterons jamais à rien de ce qui tendroit à altérer la forme de ce gouvernement; nous y ſommes inviolablement ettachés par les devoir's les plus ſacrés de l'obéiſſance, par les liens du fer- ment & de la fidélité, par l'amour & le reſpect pour nos maîtres, & par le bonheur de leur être ſoumis(5), &c. &c. 1 ! (1) Cahiers de la Vicomté de Paris, page 106. 1 (2) De Dijon, page 6, art. 11. (3) Troyes, page 5. (4) De Laon, fol. 1. (s) De Dourdan, page 8. : [ 125 bis. ] 1 Les cahiers de la Nobleſſe veulent qu'îl ſoit expreſſément & folemnellement proclamé que la cons- titution de l'Empire François eſt telle, que ſon gou- vernement eſt & doit reſter monarchique ;(1).... Que le Roi, ſouverain chef des François, n'eſt ſubordonné qu'à la loi fondamentale du royaume (2).... ſuivant laquelle la conſtitution doit être établie ſur les prin- cipes ſacrés & immuables d'une Monarchie tempérée par les loix,(3)... fans que cette forme puiſſe être rem- placée par quelque autre inſtitution (4), &c. &c. 1 Le même langage & les mêmes principes fe retrouvent dans les cahiers du Tiers Etat. 11 у eſt dit, Que les Députés s'occuperont, préalablement à tout autre objet, de donner à la France une conftitu- tion vraiment monarchique, qui fixe invariablement les droits du Prince & de la Nation.... (5) Qu'il ſoit reconnu que le gouvernement monarchique eſt le Seul admiſible en France.....(6); que dans le Roi ſeul, comme chef de la Nation, réſide le pouvoir de gouverner ſuivant les loix....(7); que la ſucceſſion (1) Alençon, page 7. (2) Château-Thierry, page 4, art. I. (3) Coudom, page 4. (4) Bugey, page 5, 6, 7, 8, 9. (5) Dax, Saint-Sever, & Bayonne, art. 5. (6) Bourbonnois, page 4. (7) Rouen, art. 1. 1 L 3 1 1 [ 126 bis ] cu Trône François, de måle en mâle, étant reconnue & confirmée par une délibération expreſe, le ferment folemnel de maintenir Louis XVI dans tous ſes droits ſera renouvelé (1), &c. &c. 1 Ainſi, de quelque ordre que ſoient iſſus les cahiers des aſſemblées élémentaires dont la réunion - peut ſeule s'appeler le corps collectif de la Nation, tous ont conſacré, avec la plus grande énergie, cette première & antique vérité; tous l'ont établie pour baſe inébranlable de la conſtitution ; tous ont fait à leurs délégués formant le corps repréſentatif, un devoir ſtrict & principal d'y être invariablement attachés. Si donc l'Aſſemblée de ces délégués s'en eſt écartée ; ſi le réſultat de ſes décrets change la forme du gouvernement, & préſente une autre conſtitution qui ne ſoit pas vraiment monarchique, purement monarchique, eſſentiellement monarchi- que, les mandats du corps collectif ſont enfreints, la volonté générale eſt violée, dans le point le plus important. Or, je le demande à tous les auteurs, prôneurs & défenſeurs de la prétendue Conſtitution nouvelle, eſt-il un ſeul d'entre eux qui penſe de bonne foi, & qui veuille entreprendre de ſoutenir contra- (1) Vannes, page 4. Note.Je me borne à rapporter les propres termes de quelques-uns ſeulement des cahiers de chaque ordre; mais il eft aiſé de vérifier que tous font concordans. [ 127 ] A dictoirement, que par elle, l'ancienne forme du gouvernement ſoit conſervée fans altération, & que le gouvernement qu'elle introduit, ſoit vraiment monarchique ? N'eſt-il pas évident, au contraire, que ce plan informe, qui n'appartient à aucun gouvernement, eſt la deſtruction de tous les attri- buts que les cahiers avoient jugés être inſéparables de la Monarchie Françoiſe, & l'anéantiſſement de ce qui conſtitue en général l'eſſence de toute mo- narchie ? —Ne nous laffons pas de revenir plus d'une fois à un examen fi important; & d'abord, reprenons, dans les cahiers, les principaux attri- buts qu'ils ont déclaré être inviolablement inhérens à la Couronne. í concours Le premier eſt que toutes les loix doivent être Sanction concertées avec le Roi; & qu'il n'en peut être établie Royale, & ni promulguée aucune ſans ſon conſentement & fa légiſlatif. Janetion. Certainement, comme l'a dit un des membres les plus éclairés de l'Aſſemblée, dont j'aime à emprunter les expreſſions,(*) les plus belles fonetions de la Souveraineté ſont celles du corps légiſ- latif. Si le Monarque n'en étoit pas une portion intégrante, s'il n'avoit aucune influence ſur l'établiſſe- ment des loix, il ne feroit abſolument qu'un magiſtret à ſes ordres, ou un ſimple général d'armée; le gou- vernement ne ſeroit plus monarchique, mais républi- cain ; l'autorité Royale n'obtiendroit plus le reſpect. (*) M. Le Monier. L 4 [ 128 ] du peuple, puiſqu'elle ne contribueroit plus à lui pro- curer de bonnes loix. * Tous les cahiers (*) ont rendu hommage à ce principe; ceux du Tiers Etat portent que le pouvoir légiſlatif appartenant à la Nation, doit être exercé par les repréſentans, CONJOINTEMENT avec le Roi (1)...qu'à l'avenir aucune loi ne ſera établie qu'au ſein des États-généraux, par le CONCOURS de l'autorité du Roi & du conſentement de la Nation (2).... qu'il n'y aura de loi en France que celle qui aura été propoſée par les États-généraux, & ſanctionnée par le Roi, (3) &c. &c. Les cahiers de la Nobleſſe énoncent plus pré- ciſément encore, que le Roi doit être reconnil comnie (*) Je dis tous, parce que tous ceux qui en ont parlé, & c'eſt le plus grand nombre, l'ont dit expreſſément, & que les autres, Oui n'ont rien dit de contraire, ou ont même diç encore plus. Par exemple, ceux de Gien, page 6, portent que leur Député requerra qu'on poſe pour première baſe des délibéra. țions, que le Roi eft ſeul légiſlateur dans l'ordre civil & de police.... Ceux de Château-Thiery, fol. 5, déclarent que le Roi eft ſeul revêtu du pouvoir légiſlatif. J'aurois tort, fans doute, de citer comme vou de la Nation entière, ces déclarations d'un petit nombre d'aſſemblées : mais ce que je dis être voté par tous les cahiers, eſt vraiment l'eſprit de tous, & littéralement l'expreſſion de leur pluralité, notamment de ceux du Tiers Etat. (1) Cahiers du Tiers Etat de Rouen, art. 10. (2) De Metz, page 5: (3) De Lyon, page 7 1 i 1 [..129 ] PARTIE ESSENTIELLE de la puiſſance légiſlative, en forte qu'aucune loi ne peut exifter ſans qu'elle ait été confentie, tant par lui que par la Nation (4).... que le reſpect dû à la Majeſté Royale paroît exiger que les loix prennent naiſſance dans les Etats-géné- raux, pour être agréées ou refuſées par le Roi, ſans qu'il ſoit néceſſaire, en aucun cas, que Sa Majeſté explique les motifs de ſon refus (5)...., & que le conſentement du Roi eſt néceſſaire pour donner la San&tion & le complément aux décrets nationaux, (6) &c. &c. 1 Les cahiers du Clergé font conformes, & répètent en pluſieurs endroits, qu'aucune loi nationale ne ſoit établie & proclamée SANS L'AUTORITE' DU ROI & le conſentement libre des Etats-généraux, (7) &c.&c. Quand ces inaximes s'inſcrivoient dans les cahiers nationaux; c'eſt la raiſon même qui les dictoit. Le bon ſens ſeul n'enſeigne-t-il pas que les loix doivent être concertées entre ceux pour qui elles ſont faites, & celui par qui elles doivent être miſes à exécution ; que le Chef d'une Monar- chie ne fauroit être étranger à la légiſlation ſuivant laquelle il doit la gouverner ; enfin, qu'il eſt dans (4) Cahiers d'Evreux, page 5: (5) de la Banlieue de Paris, page 3. . (6) de la ville de Paris, p. 7. (7) . de Lyon, p. 9. Cahiers d'Auxerre, fol. 20. [ 130 ] la nature des choſes, que la volonté générale d'une Nation ſoit formée par le concours des volontés de son Roi & de ſes repréſentans (a); puiſque, ſi elle ſe formoit ſans que le premier citoyen y participât, ce ne ſeroit plus la volonté générale, On a dit avec raiſon, que le Roi eſt identifié avec la Nation (6). Comment donc en ſeroit-il ſéparé dans ce qu'il y a de plus intéreſſant pour elle ? Conſidéré comme ſon principal repréſentant, n'a- t-il pas, pour avoir droit de contribuer à la con- fection des loix, le même titre que le corps repré- ſentatif? Que fi on le conſidère enſuite comme Chef de la Nation, & non repréſenté par aucun de ſes délégués, n'eſt-il pas évident que n’exerçant pas ſon droit médiatement dans leur Aſſemblée, il doit l'exercer immédiatement ? c'eſt-à-dire, que fa volonté particulière doit être jointe à la volonté générale des autres repréſentans, pour que la loi ait ſon complément; ſans quoi, ce qu'on définit la volonté de tous, ne feroit pas la ſienne, & dès- lors ne ſeroit pas loi. i (a) Paroles de M. le Mounier. (6) Dire de M. l'Abbé Sieys, à la féance du 7 de Septembre; mais il auroit dû obſerver qu'être identifié avec la Nation, ne fignifie pas être identifié avec ſes délégués. La volonté du Roi n'eſt qu'une avec celle de la Nation ; mais elle eſt très, diſtincte de celle de l'Aſſemblée repréſentative : & les con- fondre comme a fait M. l'Abbé Sieys, pour éluder la néceſſité de les faire concourir, ce n'eſt qu'une ſubtilité ſophiſtique. 1 [ 131 ] Cependant, qu'a fait l'Aſſemblée quand elle n'avoit qu'à conſacrer ce principe immuable, cer attribut primordial de la Royauté? Elle l'a dé- naturé; diſons mieux, elle l'a totalement annullé, en y ſubſtituant l'illuſion d'un veto ſuſpenſif, limité, qui eſt contraire aux cahiers, contraire à lui-même, contraire à la dignité du Trône, contraire à l'intérêt inême de la Nation. Il eſt contraire aux cahiers ; car, tandis qu'ils admettent partage & concours dans l'exercice du pouvoir légiſatif, le veto ſuſpenſif ſuppoſe cet exercice indivis & concentré excluſivement dans l'Allemblée. Les cahiers donnent au Roi une coopération poſitive à la légiſlation : le veto le ré- duit à une faculté négative, qui même eſt reſtreinte à un ſimple délai. Les caliers reconnoiffent l'ab- folue néceflité d'une fanction volontaire : le veto limité conduit à une fanction forcée. Il eft contraire à lui-même: car ſi le Roi a droit de défendre, ce droit ne doit pas être borné au pouvoir de ſuſpendre pour un tems; & s'il ne peut que ſuſpendre pour un teins, ce n'eſt pas un droit, ce n'eſt qu'une conceſſion précaire, auſſi facile à révoquer qu'à limiter ; ce n'eſt pas un veto, ce n'eſt qu'un appel avec ſurſéance : il y a contradiction dans les termes lorſqu'ils préſentent d'abord un empêchement efficace, & qu'enſuite ils le font dif- paroître par une limitation deſtructive de toute efficacité. i 1 [ 132 ] Il eſt contraire à la dignité du Trône: car c'eſt le dégrader à l'excès, que de faire de la ſanction royale la vainė démonſtration d'une volontë fou- miſe à des débats incompatibles avec la préémi- nence du Monarque ; de ne lui permettre qu'une oppoſition impuiſſante, ſubordonnée au jugement de ceux même qui en rivaliſent le principe ; & de ne lui laiſſer pour moyen de préſerver ſes peuples d'une loi qu'il croiroit leur être nuiſible, que la foibleſſe d'une tentative qui ne ſerviroit, comme l'a obſervé M. le Comte de Mirabeau, qu'à exciter le défir d'en triompber, qui ne produiroit qu'une lutte indécente entre le Trône & les Repréſentans du peuple. Il eſt contraire à l'intérêt même de la Nation : car, autant le concours de ſon chef dans les actes légiſlatifs réſolus par ſes délégués, honoreroit & conſolideroit ces actes, autant l'abſence de ce même concours expoſeroit les peuples à être privés dų bienfait des loix, par le peu d'accord qui ré- gneroit entre leur formation & leur exécution. Rien d'ailleurs de plus menaçant pour la liberté publique, que les invaſions du pouvoir légiſlatif, lorſque n'étant plus arrêté par aucune digue, ni retenu par aucun contrepoids, il pourroit tout fe permettre, & franchir toutes ſes limites. L'embarras où l'on ſe jette quand on veut dé- truire en réalité ce qu'on eſt forcé de maintenir en apparence, & qu'on eſt réduit à combattre par des, idées abſtraites, les 'maxiines fondamentales du gouverneinent à organiſer, ne s'eſt jamais ma- t more [ 133 ] + 1 nifeſté plus ſenſiblement que dans les débats qui ont partagé l'Aſſemblée, ſur la queſtion du Veto Royal, & même dans les décrets qui les ton terminés. La fuctuation des idées les plus diſpa- rates, le choc des opinions les plus oppoſées, & les involutions ſucceſſives qui ont fait perdre de vue tout à la fois, & le point de départ, & le but où l'on devoit tendre, préſentèrent dès lors à l'obſer- vateur de ſang-froid, le préſage de ce qui eſt arrivé depuis. On vit d'abord le Comité de Conf- titution rendre hommage au principe que le con- ſentement du Roi aux loix qu'il doit faire exé- cuter, eſt de néceſſité abſolue ; principe qui, de- puis, a été conſacré par le neuvième décret conſti- tutif, portant, qu'aucun acte du Corps légiſlatif ne pourra être conſidéré comme loi, 'il n'est. Sanetionné par le Monarque. Sanctionner la loi, c'eſt la rendre obligatoire, c'eſt lui donner le complément qui la rend ſainte & in- violable; & puiſque aucun acte n'exiſte comme loi, s'il n'eſt revêtu de la fanction royale, il s'enſuit évidemment que cette fanction doit être libre & volontaire ; car ſi elle ne l'étoit pas, ce ne ſeroit qu'une forme matérielle non inhérente à l'effence de l'acte, & qui n'auroit pas dû être miſe au rang des conditions néceſſaires pour l'exiſtence de la loi. Ceux qui font demeurés attachés à ces deux vérités inſéparables ; l'une, que les actes légiſlatifs, leſquels doivent toujours être propoſés, délibérés & formés au ſein de l'Aſſemblée Nationalé, ont 1 1 [134] 1 befoin, pour être loix, d'être fančtionnés par le con- fentement du Monarque; l'autre, que le Monarque étant libre de conſentir ou de diffentir, l'eſt auſſi de donner ou de refuſer indéfiniment ſa ſanction, ont eu un avis très-clair, très-fimple; très-conforme aux maximes reçues dans toutes les Monarchies. Mais ceux qui n'ayant pu nier cette néceſſité de la ſanction royale, que l'Aſſemblée elle-même avoit reconnue dès ſes premières ſéances, ont voulu néan- moins là rendre ſans effet, ſe font mis ſingulière- ment à la torture pour y parvenir: preſſés en ſens contraire par les conſéquences naturelles du principe, & par l'envie de les éluder, ils ſemblent s'être partagé la tâche d'én-détourner l'attention, foit par des applications fophiſtiques de l'axiome inconteſté, que tous les pouvoirs ſont émanés de la Nation, & en raiſonnant à perte de vue ſur la monſtrueuſe irrégularité de faire dominer la volonté individuelle ſur la volonté générale ; ſoit en ſe jettant dans d'inutiles & ſtériles diſcullions fur les différentes eſpèces de veto qui ont été pro- pofées, comme s'il n'y avoit qu'à opter entre elles. Ceux qui vouloient un veto abſolu & indéfini, prou- voient que, s'il étoit refuſé, la Nation ſeroit fans Roi; ceux qui le rejettoient, s'écrioient qu'en l'ac- cordant, la Nation ſeroit ſans liberté. Bientôt le veto ſuſpenfif, quoique inconſéquent à tous les ſyf- têmes, a paru réunir le plus de fuffrages, comme font toujours les mezzo-terminés, quand ils s'of- frent à ceux qui inarchent ſans guide dans les ténèbres. Mais il étoit difficile de s'accorder ſur 1 i [ 135 ] le inode légal de lever la ſuſpenſion: la laiſſer illi- mitée, c'étoit retomber dans les prétendus abus du veto abſolu, & ne changer que le nom ; la faire dépendre du jugement des aſſemblées élémentaires, & de la pluralité des mandats futurs, c'étoit la ré- duire à un appel au peuple, très-oppoſé aux vues de l'Aſſemblée, très-dangereux dans ſes effets, & très-difficile à vuider; la borner à un terme quel- conque, c'étoit tout à la fois l'établir & l'annuller, perdre ſon utilité, & garder ſes inconvéniens. Pour trancher toute difficulté, quelques-uns ont dit qu'il ne falloit rien ſtatuer ſur le genre du veto, & s'en rapporter à la nature des choſes; d'autres, qu'il ne falloit aucun veto royal, mais que, pour y ſuppléer, il falloit créer dans l'Aſſemblée même, une chambre de réviſion, ou pluſieurs ſections intérieures, qui ſeroient autant de filières par leſquelles, les loix douteuſes' feroient épurées. Un homme d'eſprit a fait ſentir que cette complication de ſénat révi- feur, ou de ſections épuratives, ne pourroit que bouleverſer l'organiſation de l'Aſſemblée, en y introduiſant la prépondérance de la minorité. Succeffivement, tous les avis ſe font trouvés fort bien réfutés l’un par l'autre ; & l'on a pu remar- quer que chacun avoit toujours raiſon en combat- tant le ſyſtême des autres, & toujours tort en éta- bliſfant le ſien. Au milieu de ce culbutis d'opinions, eſt ſurvenu le premier Miniſtre des finances, ſans qu'on s'y attendît, & fans qu'aucun motif viſible le provo- quât à ſe mettre en avant (c'eſt ſon expreſſion) [ 136 ] par l'envoi d'un rapport au Roi, ſur l'objet qui fe difcutoit alors dans l'Aſſemblée. Ce rapport, (le croiroit-on, ſi l'on n'étoit pas accoutumé à voir ſoni auteur trahir ſans ceſſe les droits du Roi, & profiter de la place auprès du Trône pour lui porter de plus ſûres atteintes ?) ce rapport n'avoit pour but que de combattre ceux qui vouloient que le Roi eût le veto indéfini, & de décider la ſupériorité des ſuffrages en faveur du veta ſuſpenſif limité. Je ne remettrai pas ſous les yeux du public le ſcandale des raiſonnemens dériſoires dont il s'eſt ſervi pour établir qu'il valoit mieux que le Roi eûč moins, parce que, s'il avoit plus, il crain- droit d'eii uſer; je ne répéterai pas tout ce qui fut obfervé, dans le tems, ſur l'indécence & la fauf- ſeté d'avoir cité, pour exemple de cette crainte, le Roi d'Angleterre, en diſant qu'il jouiſſoit, dans fa plénitude, du veto abſolu, mais qu'il n'oferoit guère s'en permettre l'uſage (*); je ne releverai pas l'incon | : (*) Comment peut-on ſuppoſer que le Roi d'Angleterre n'oſeroit pas faiſe ce que la prérogative Royale, qui eſt très- reſpectée par la Nation, lui donne le droit de faire ? Il eſt étrange qu'à une fi petite diſtance, on ſoit auſſi peu inſtruit qu'on parôit l'être, en toute occaſion, du Gouvernement Britannique, & même des faits qui y ſont relatifs. Première. ment, il n'y a en Angleterre, comme je l'expliquerai, ni Veto abſolu, ni rien qui puiſſe empêcher l'effet d'une loi, lorſqu'elle exiſte; ſecondement,' la loi n'exiſte que quand le Roi lui a donné ſon aſſentiment, & cet afſentiment eſt par- faitement libre de ſa part: c'eſt en ſouverain, & comme par - ticipant à la puiſſance légiſlative, qu'il l'accorde ou le refuſe. * 1 [ 137 ] l'inconſéquence d'avoir écrit à l'Aſſemblée que le speto abſolu conſerveroit du moins au Trône toute ſa majeſté; & d'avoir en même tems conſeillé de pré-- férer le veto fuſpenſif : enfin, je n’exprimerai pas tout ce que j'ai ſenti d'indignation; en voyant encore, dans cette occaſion, celui qui eſt la cauſe première des troubles de la France, s'en faire un motif pour engager le Roi à de nouveaux facrifices, & ne pas ceſſer de faire entendre que l'abandon de l'autorité étoit le ſeul moyen de prévenir de nou- ! Dans le premier cas, le Clerc du Parlement prononce, le Roi le veut, dans le ſecond, le refus eft adouci par l'expreſſion le Roi s'aviſera. On peut donc dire ſtrictement qu'il n'uſe jamais d'une négative formelle : mais ce n'eſt pas que le Roi n'oſe pas s'en permettre l'uſage ; c'eſt qu'il n'eſt pas dans le cas d'en avoir beſoin, & qu'il ſuffit qu'on ſache qu'il en a le pouvoir, pour qu'on ne le mette jamais dans la néceſſité d'en uſer, c'eſt un reffort qui, fans paroître agir, preſſe, & contient une réaction, dont la violence pourroit déranger toute la machine. Si un bill étoit tel qu'il fût aiſé de prévoir que le Roi ne pourroit pas l'accepter, la Chambre des Lords ne l'admettroit pas. Quelquefois il eſt arrivé que Sa Majeſté Britannique, ayant fait connoître qu'elle étoit décidée à refuſer un bill, on s'eſt abſtenu de le lui préſenter. Il y en a un exemple du tems du Roi Guillaume; & je pourrois citer aufli ce qui s'eſt paſſé ſous le règne actuel, à l'égard du Bill concernant le gouvernement des Indes Orientales, par rapport auquel tout le monde fait que Sa Majeſté avoit manifeſté ſon intention d'une manière très-ferme aſſurément. Ainſi, M. Necker, au lieu de dire que le Roi d'Angleterre jouit, & tout à la fois n'oſe pas jouir de la plénitude d'un veto abſolu, auroit dû dire qu'il jouit très-effectivement d'une por- tion du pouvoir légiſlatif qui ſeul eft abfolu ; & c'étoit-là ce que ſon devoir l'obligeoit de propoſer pour exemple, à l’Aſ. ſemblée Nationale, le jour qu'il n'a pas rougi de l'exciter à y préférer l'illuſion du veto Suſpenſif limité. M 1 1 ( 138 ) velles exploſions; de ne pas mettre en péril le falut de l'Empire François. Mais je dirai au moins qu'il eſt bien étrange qu'un adminiſtrateur n'ait . pas fenti & fait ſentir combién la ſuſpenfion d'une loi annoncée, pouvoit apporter de trouble dans l'ordre public; combien elle pouvoit être nuiſible au repos des familles ; & combien même l'incon- vénient de rendre fréquemment les lõix incertaines, ſurpaſioit celui d'y apposter, dans des cas infini- ment rares, un obſtacle abſolu ; ce qui a fait dire avec raiſon, que le veto fufpenfif étoit le pire de tous. J'ajouterai que toute cette diſcuſſion ſur les diffé- rens genres de veto, & ſur le choix à faire entre eux, portoit entièrement à faux, & qu'on a perdu de vue le véritable état de la queſtion. A 1 En effet, l'introduction d'un veto quelconque contre une loi formée, c'eſt-à-dire contre celle à qui la puiſſance légiſlative a imprimé complette- ment le caractère de loi, ſeroit le plus grand des abus d'un gouverneinent; c'eſt un monſtre en po- litique. L'exemple du veto des Tribuns Romains, ou celui du liberum veto Polonois; ne font que confirmer cette vérité; l'un & l'autre n'ayant jamais été conſidérés que comme des ſources de déſordre. Quant au veto attribué aux Rois d'Angleterre, c'eſt une expreſſion impropre, & totalement inap- plicable à l'idée que l'on à paru y attacher. Il n'eſt pas vrai qu'en Angleterre il y ait aucun veto quand la loi eſt faite. Le Roi'& la Chambre Haute font parties intégrantes de la légiſlation ; ils y concourent ; ils font deux des trois pouvoirs dont la réunion eſt néceſſaire pour la confection de la loi: ainſi, lorſque l'un ou l'autre refuſe ſon . ( 139 ) confentement à un bill propoſé par la Chambre des Communes, qui a l'initiative, la loi n'eſt pas faite, le bill n'exiſte pas comme loi ; & l'on ne peut pas dire qu'aucun veto en arrête l'effet légal, puiſqu'il n'a encore ni force de loi, ni effet quel- conque. Si l'on s'eſt accoutumé à appeler veto la négative que les trois pouvoirs qui compoſent le Parlement ont l'un ſur l'autre, c'eſt dans le ſens que cette négative empêche que le bill ne ſoit loi, , & non dans le ſens qu'elle empêche qu'étant loi, il ne ſoit obligatoire. 1 Dans l'Aſſemblée, & dans le diſcours de M. Necker, toutes ces notions, qui font claires & indubitables, ont été fingulièrement confondues. On eſt parti de la füppoſition que le Roi ne parti- cipoit aucunement à la légiſlation ; que la Nation n'avoit pas délégué à ſon Chef le droit de con- courir à la confection des loix ; & qu'un décret délibéré ſans lui, dans l'Aſſemblée des Députés, étoit déjà loi quand il étoit préſenté à la fanction Royale. De-là on s'eſt jetté fort mal-à-propos dans l'examen de l'eſpèce de veto. qui devoit ap- partenir au Monarque. Ceux qui vouloient qu'il n'en eût aucun, étoient les ſeuls qui raiſonnaflent juſte, conſéquemment aux données : car fi, lorf- qu'une loi eſt portée, le Roi pouvoit y mettre em- pêchement, fa volonté ſeroit au-deſſus de la loi ; & quand la volonté d'un ſeul eſt au-deſſus de la loi, c'eſt le deſpotiſme. 1 Mais l'erreur qui a égaré tous les diſſertateurs ſur le veto, c'eſt d'avoir pris pour la loi ce qui ne M2 + ( 140 ] i l'eſt pas encore ; c'eſt d'avoir méconnu l'évidente néceſſité du concours du Chef de la Nation pour former la volonté de la Nation; c'eſt d'avoir oublié ce que les cahiers avoient unanimement poſé pour maxime fondamentale, & ce que l'Aſſemblée elle- même avoit conſacré immuablement par un décret ſolemnel, qu'aucun acte légiſlatif n'eſt loi en France ſans la fanction Royale, & par conſéquent fans le conſentement libre du Roi. Si au lieu de tordre juſqu'à l'enfreindre, cette première maxime conftitutionnelle, on y fût de- meuré fermement 'attaché, comme on le devoit, on n'eût pas été embarraſſé de faire concorder des principes qui ont paru inconciliables, & qui le font en effet dans le ſyſtême contraire. Les grandes vérités ſont toujours ſimples ; celle-ci s'explique fort naturelleinent; fort clairement; & toutes les autres s'y réuniſſent ſans peine. Le concours du Monarque à la légiſlation écarte & rend fans objet tous ces veto qui, quels qu'ils ſoient, font injure à la loi, & en détruiſent l'em- pire. 1 Le non-conſentement du premier Repréſentant de la Nation, à un décret délibéré dans l’Affeinblée des autres repréſentans nationaux, n'eſt point une atteinte à la loi, puiſqu'elle n'exiſte pas ſans ce conſentement, & qu'on ne peut appeler oppofi- tion à la loi, ce qui n'eſt que l'abſence d'un de ſes élémens. [ 141 ] Les limites qui ſéparent le pouvoir légiſlatif & le pouvoir exécutif demeurent intactes, puiſque ce n'eſt point le pouvoir exécutif qui coopère à la loi, mais que le délégué ſuprême de la nation pour l'exercice de ce pouvoir, l'eſt auſſi pour con- courir à l'exercice du pouvoir légiſlatif, en ſa qua- lité de chef de la nation, qualité vraiment diſtincie de celle de dépoſitaire du pouvoir exécutif, à la- quelle elle eſt jointe. ! C'eſt pour avoir confondu ces deux qualités, ou plutôt pour n'avoir conſidéré dans le Monarque que la moins éminente des deux, qu'on eſt tombé dans l'alternative de deux ſuppoſitions également inadmiſſibles; l'une, que le Roi ſeroit ſupérieur à la Loi; l'autre, que les députés nationaux ſeroient ſupérieurs au Roi; & encore dans cette alternative, que fa volonté ſeule l'emporteroit ſur la volonté générale, ou que ſeule elle'en ſeroit exclue. Au lieu qu'on évite l'un & l'autre de ces extrêmes, en reconnoiſſant le Roi, d'abord comme coopérant aux fonctions du pouvoir légiſlatif, & enſuite comme exerçant ſeul celles du pouvoir éxecutif. Sous le premier aſpect, il participe à la loi quand elle ſe fait; ſous le ſecond, il y eſt ſoumis quand elle eſt faite. Alors, il n'y a dégradation ni de la Loi, ni du Roi. La Loi commande au Monarque comme à tous les autres membres du corps politique; & une fois revêtue de tous les caractères qui compoſent ſon eſſence, elle ne ſouffre plus aucun veto : le . I M 3 [ 142 ] . / Monarque obéit à la loi ; mais c'eſt après avoir contribué à la former ; & ſon obéiſſance, précédée de ſon conſentement, n'eſt qu'un exemple honorable qu'il doit à ſes ſujets; tandis que, ſi elle étoit fé- parée de ce conſentement, ce ſeroit un acte ſervile qui le mettroit au-deſſous d'eux : ils ne font ſou- mis à la loi que parce qu'elle eſt l'expreſſion de toutes les volontés ; & le Roi ſe trouveroit l'être à une volonté étrangère à la fienne, à une volonté à laquelle il auroit moins de part que le dernier des citoyens dont il eſt le premier. : Toutes ces vérités ſont fi palpables, qu'il ſemble que je ne devrois pas y inſiſter autant; mais puif- que l'Aſſemblée a pu s'en écarter, on ne ſauroit faire trop d'efforts pour y ramener tous les eſprits ; d'autant plus, que c'eſt-là le premier coup mortel qui ait été porté à la Monarchie Françoiſe. Elle feroit détruite, fi le Monarque n'étoit plus partie intégrante de la légiſlation, fi ſa fanction étoit tranſ- formée en une vaine & inſignifiante formalité, Achevons de le déinontrer. Ce qui caractériſe en général toute Monarchie, c'eſt qu'un ſeul y gouverne ſelon les loix : cette définition n'a jamais été conteſtée ; mais elle a été interprétée différemment & dans le droit & dans le fait. Les anciens Publiciſtes, ainſi que tous les Jurif- conſultes François, juſqu'à ces derniers tems, ſe fondant ſur le principe qui alors étoit généralement [ 143 ] reconnu, que l'exercice de la ſouveraineté réſide tout entier dans la main du Monarque, en ont conclu que l'exercice de la puiſſance légiſlative étant le principal attribut de la ſouveraineté, de- voit aufli lui appartenir, & ne pouvoit appartenir qu'à lụi. Admettre ce principe ſans réſerve, comme ont fait les Grotius & les Puffendorff, c'étoit attri- buer au Chef de la Nation un pouvoir abſolu, puiſque gouverner par les loix, lorſqu'on peut les faire & défaire à ſon gré, c'eſt gouverner pár ſa propre yolonté. Il eſt cependant certain qu'autrefois c'é- toit un axiome de notre droit public, qu'en France le Roi ſeul peut faire des loix ; & les États-généraux l'ont reconnu expreſſément, ainſi que je l'ai rapporté dans ma Lettre au Roi (*). Il n'y avoit d'obſta- cle à l'arbitraire que dans la fermeté des Parle- mens, chargés de vérifier les loix nouvelles avant de les promulguer. Locke, Newton, & après eux, Burlamaqui & l'auteur de l'Eſprit des Loix, ont donné une idée plus juſte du gouvernement monarchique, en fou- mettant le Monarque à l'obligation de ſe conformer à des loix fixes & fondamentales, & le déclarant deſpote s'il s'en écartoit. Mais j'ai porté encore plus loin qu'eux les principes favorables aux droits na- tionaux, & à la liberté publique, lorſque dans cette Lettre au Roi du 9 Février 1789, que beaucoup de gens ont trouvée fort Royaliſte, j'ai témoigné penſer que ce n'étoit point aſſez d'admettre que (*) Pages 19, 20, & 21, Edition in-4°. M4 1 [ 144 1 le pouvoir du Monarque fût réglé & limité par des loix fondamentales, qu'il falloit en outre que ces loix fuſſent établies dans l'Aſſemblée repré- ſentative de la Nation ; qu'elles ne puſſent être changées ou modifiées que du conſentement de la Nation; & qu'elles s'étendiſſent à tous les grands objets du droit public; que par elles la liberté des citoyens, leur ſureté, leurs propriétés, fuſſent miſes à l'abri de toute atteinte illégale ; qu'il fût inter- dit de lever aucune eſpèce d'impôt non conſenti par la Nation; que le retour périodique des Affem- blées nationales fût aſſuré; que l'exercice du pou- voir judiciaire fût ſéparé de celui de tous les autres pouvoirs, & le dépôt des loix rendu inviolable: enfin, que toutes ces loix fuffent réunies en un code conftitutionnel, authentique, viſible, immuable. (*) Quelques années plus tôt, s'exprimer aiņſi, eût paru fort hardi, & peu conforme aux maximes de la Mo- narchie Françoiſe; & en effet, il ne reſtoit qu'un pas à faire pour que notre gouvernement fût aſſimilé à celui d'Angleterre; ſavoir, d'attribuer à l'Aſſemblée Nationale le pouvoir légiſlatif ſur tous les objets fans exception, pour l'exercer conjointement avec le Souverain. Je ne l'ai pas franchi, ce pas ; & à l'époque où mon écrit a paru, il n'étoit pas permis de le franchir, puiſque ç'eût été changer la forme du gouvernement qui fubfiftoit alors. . Mais depuis que le væu général de la Nation s'eſt manifeſté, depuis que les cahiers de tout le (*) Lettre au Roi, Février 1789, pages 37, 38, & ſuivantes, [ 145 ) Royaume ont déclaré, & que l'Aſſemblée Natio, nale a décrété conſtitutionnellement, que déſormais tous actes légiſlatifs émaneroient des Repréſentans de la Nation, & ſeroient loix lorſqu'ils auroient été conſentis & ſanctionnés par le Monarque, on ne peut plus avoir une opinion différente, & je fais hautement profeffion de n'en avoir pas d'autre. Faut-il en même tems que je me ſoumette aux décrets qui ont traveſti le concours, le conſentement, la fanétion du Roi, en un ſimple veto Suſpenſif limité ? Non, certes ; j'en ſuis très-éloigné: trois raiſons d'autorité abſolue me le défendent. i La première, je l'ai déjà expoſée, c'eſt que tous les cahiers y font contraires, & que la Nation a exprimé fi formellement & fi impérativement, dans ces cahiers, qu'aucune loi ne peut exiſter en France ſans le conſentement du Roi, qu'il n'eſt pas permis d'admettre une hypothèſe où le refus perſévérant de ce conſentement ceſſeroit d'être un obſtacle à ſon exiſtence. La feconde, c'eſt que le Peuple François veut être libre, qu'il doit demeurer libre, & que le premier objet de la nouvelle Conſtitution doit être d'aſſurer la liberté. - Or, il cefferoit bientôt d'être libre, & ſa liberté ne ſeroit rien moins qu'aſſurée, fi ceux à qui il délègue la puiſſance légiſlative, pou- voient l'exercer ſans être retenus, en aucun cas, par aucun obſtacle; ſi rien ne les empêchoit d'empiéter ſur le pouvoir exécutif; & fi la prérogative royale [ 146 ] 1 1 1 ! n'avoit pas un moyen de ſe préſerver elle-même des uſurpations qui tendroient à l'anéantir. La fančtion du Roi eſt le rempart de la liberté publique. On l'a dit dans l'Aſſemblée même (1), & il faut que le peuple entier en ſoit convaincu; il faut qu'il fache que ſes Repréſentans deviendroient bientôt ſes tyrans, ſi le refus de la ſanction ne pouvoit jamais être perſévérant & abſolu; que rien alors n'empêcheroit qu'ils ne renverſaſſent, en un inſtant, l'édifice des loix ; qu'ils ne les fiffent plier toutes à leurs prétentions ; qu'ils ne confon- diffent en eux tous les pouvoirs ; & qu'on ne les vît faire, refaire, & changer la Conſtitution, avec autant de facilité que Dieu créa la lumière (2). Quelle autre barrière que l'intervention Royale pourroit arrêter les entrepriſes de la puiſſance lé- gillative ? Quelle autre force qui ne ſeroit pas intrinsèque à cette même, puiſſance, ſeroit capable d'en modérer l'eſſor? Quel autre moyen maintien- droit la ſurveillance ſur laquelle repoſent le ſalut de l'Etat & la ſureté des citoyens ? Qu'on ne diſe pas que je préſenté un danger idéal; car je répondrai qu'il eſt déjà réaliſé par la con- (1) Diſcours prononcé dans l'Aſſemblée Nationale le 2 Sep- tembre, par M. le Comte d'Entraigues, page 5. (2) Expreſſion de M. De Lolme, qui a remarqué avec grande raiſon, que fi, pour aſſurer la Conſtitution d'un Etat, il étoit effentiel d'y limiter le pouvoir exécutif, il l'eſt beaucoup plus d'y limiter le pouvoir légiſlatif. . . [147 duite de l'Affemblée; & que ſpécialement ce qu'elle a fait ſur l'objet que je traite en ce moment, fuffi- roit ſeul pour prouver la néceſſité de la précaution qu'elle a détruite. Mais qu'eſt-il beſoin de preuves ? Ne fait-on pas que tout pouvoir, humain tend par lui-même à l'abus ?' Et n'eſt-il pas ſenſible que le pouvoir de faire des loix étant le plus grand & le plus redou- table de tous, eſt celui qui a le plus beſoin d'être reſtreint? Or il ne peut l'être que par l'effet de la ſanction royale, & cette ſanction ne peut avoir d'effet qu'autant qu'elle eſt lib:e:donc fa néceſſité & ſa liberté ſont preſcrites par l'intérêt public; donc la Nation a eu toute raiſon d'en faire dans ſes cahiers un principe conſtitutionnel, & de l'intimer à ſes délégués comme condition inſéparable du pouvoir légiſlatif qu'elle leur confioit. + Je demande maintenant s'ils ont pu s'affranchir eux-mêmes de cette condition, ſe prévaloir du pou- voir qu'ils ont reçu, pour en détruire les bornes, & ſe rendre deſpotes en réduiſant à rien ce qui avoit été établi pour qu'ils ne le fuſſent pas. Ce n'eſt ni pour le Roi, ni au nom du Roi, que je fais cette interpellation ; c'eſt pour le peuple, & au nom du peuple, que je réclame contre les décrets op- preffifs qui ont détruit l'effet ſalutaire d'une inſti- tution voulue par lui, & conſervatrice de la liberté. . La troiſième raiſon qui ne permet ni à moi, ni à perſonne, d'adhérer à ces décrets, c'eſt l'autorité } 2 [ 148 ) 1 même de l'Affeinblée Nationale; c'eſt la ſoumiſſion qu'elle exige pour la nouvelle conſtitution ; c'eſt le ferment qu'elle a fait prêter à tous les François de la défendre de toutes leurs forces. Si ceux de ſes propres décrets' ſur leſquels elle a principalement établi les baſes conſtitutionnelles, ſont incompa- tibles avec ceux qui ont déclaré que quand le Roi refuſeroit ſon conſentement à une loi, ce refus ne feroit que ſuſpenſif, & qui ont fixé le terme de cette fuſpenſion, c'eſt fans doute aux premiers qu'il faut s'attacher par préférence, tánt à cauſe de leur antériorité, qu'à cauſe de leur conformité au vou unanime des cahiers; or cette incompatibilité eſt frappante. 1°. L'Article VI des Droits de l'Homme porte, Que la loi eſt l'expreſſion de la volonté générale, & que les citoyens ont droit de concourir perſonnellement, Ou par leurs repréſentans, à ſa formation. Le Roi n'ayant pas de repréſentant à l'Aſſemblée, doit, ſuivant cet article, concourir perſonnellement à la formation de la loi : cet article a donc prononcé d'avance la nullité des décrets poſtérieurs qui ont décidé que la loi pouvoit être formée ſans le con- cours du Roi, & qu'il ne pouvoit qu'en ſuſpendre l'effet pendant un tems borné. Suivant ceux-ci, le Roi ſe trouveroit ſeul exclu d'un droit appartenant à tous les citoyens, & il ſeroit plus ſubordonné qu'aucun d'eux : car, quand la loi eſt faite, ceux même des membres de l'Aſſemblée qui auroient été d'avis oppoſé, ſont cenſés y avoir conſenti : mais - 1 1 ( 149 ) cette fiction légale ne peut s'appliquer au Roi; qui eft hors de l'aſſemblée, & qui, n'y étant pas repré- ſenté, ne concourt pas implicitement aux actes qui en émanent. Si donc il refuſe d'y concourir per- ſonnellement, il n'y concourt en aucune manière, & fon refus eſt, aux termes de l'Article VI des Droits de l'Homme, un empêchement dirimant à la confection de la loi. 20. L'Article II de la Conſtitution porte, Que le Gouvernement François eſt monarchique. Or rien n'eſt plus contraire au caractère propre & diſtinctif du gouvernement monarchique que de ne pas gouverner, de n'avoir aucune part à ce qui gou- verne les peuples. Ce n'eſt pas être le repréſentant ſuprême de la Nation, que d'être l'agent forcé des autres repréſentans ; ce n'eſt pas être Roi, ce n'eſt pas même être libre, que d'être ſoumis à des volon- tés que l'on n'a pas conſenties (*), & d’être obligé de les faire exécuter quand on les déſapprouve. 30. Suivant l’Article IX, aucun acte du pouvoir légiſlatif ne pourra être conſidéré comme loi... s'il n'est Sanctionné par le Monarque. Au contraire, ſuivant les Articles XI & XII, un acte du corps légiſlatif pourroit être loi ſans être (*) Si l'on eſt libre quoique ſoumis aux loix, dit Rouſſeau, c'eſt parce qu'elles ne ſont que les regiſtres de nos volontés.- Contrat ſocial, p. 61. Certainement, une loi qui feroit exé- cutée malgré le veto fufpenfif, à l'expiration de ſon terme, ne ſeroit pas le regiſtre de la volonté du Roi. . | 150 1 A fanctionné, puiſque après un terme fixé, le 'refus de fanctionner feroit compté pour rien. 4° Suivant l’Article X, le Roi pèut refuſer son conſentement aux attes du corps légiſlatif. 1 Mais que reſte-t-il de cette liberté de refuſer le conſentement, lorſqu'elle eſt convertie d'abord en une ſimple ſurſéance, & qu'enſuite cette ſurſéance eſt déclarée ſans effet à une époque déterminée ? N'eſt-ce pas ſe jouer ſoi-même de la loi dont on fait jurer l'obſervation, que de décréter tout à la fois, d'un côté, que l'obtention de la fanction royale eſt indiſpenſablement néceſſaire pour tous actes légiſ- latifs; & d'un autre côté, que cette même ſanction fera forcée, ou qu'au-delà d'un certain délai on pourra s'en paſſer ? Je ſoutiens que l'Aſſemblée ne l'a pas pu ; je foutiens qu'elle n'avoit ni le droit de déroger à la volonté de ſes commettans, ni le pouvoir de détruire ce qu'elle avoit décrété elle-même en conformité de cette volonté ; je foutiens qu'en conſéquence, les décrets qui ont réduit le Monarque à un veto ſuſpenſif limité, font frappés d'une double nullité; je foutiens enfin que le feriment de fidélité au Roi, dont aucun François ne peut ni ne veut ſe dégager, le ferment de fidélité à la conſtitution, que l'Allem- blée fait réitérer ſi fréquemment, & le ferment fédé- ratif que l'on vient de prêter pour le maintien de ſa liberté, ſont autant d'abjurations d'un fyftême : 1 1 [ 151 ) erroné, qui viole également la prérogative röyale, les droits nationaux, la liberté publique, & les loix conſtitutionnelles conſacrées par l'Aſſemblée elle- même. 1 i Oui, François ! vos repréſentans devroient vous déclarer parjures, ſi, pour défendre la conſtitution, vous entendiez ſoutenir ce qui l'anéantit; ils le ſeront eux-mêmes, s'ils perſévèrent dans des réſo- lutions iſſues de débats tumultueux, ſur une queſ- tion mal préſentée, contre tant d'autres réſolutions rendues paiſiblement, & conformes au væu des cahiers. Mais pourquoi, ſi dans le fond de leur ame ils ſont forcés de reconnoître des vérités qui avoient échappé à leur premiers regards; ne revien- droient-ils pas aujourd'hui de leur erreur ? Suivant la Juriſprudence Françoiſe, les Cours peuvent ré- tracter elles-inêmes leurs déciſions, lorſqu'on leur repréſente qu'il y a contrariété d'arrêts ſur le même objet, ou des diſpoſitions contradictoires dans le même arrêt : pourquoi l'Aſſemblée Nationale, qui ne peut ſe flatter que dans l'immenſe carrière qu'elle a parcourue avec rapidité, ſans guide ni expérience, & dans une agitation continuelle, elle ait pu tout appercevoir, tout approfondir, & qu'elle n'ait failli en aucun point, ne ſe croiroit-elle pas dans le cas de pouvoir auſſi ſe réformer, ou de reconnoître que tous ſes décrets conſtitutionnels, & ſur-tout ceux qui ſont formellement contraires aux cahiers des aſſemblées primitives, ſont ſoumis à leur réviſion ? Une réclamation d'un grand nombre de citoyens, en matière de droit public, & lorſqu'il s'agit de $ 1 J Page Missing in Original Volume J Page Missing in Original Volume ! ( 154 ) l'intérêt de plus de 25 millions d'hommes qui tous ont droit de ſe faire entendre quand on les opprime; auroit-elle moins d'effet que la requête civile d'une partie qui ſe croit léſée par un arrêt ? C'eſt au nom de la partie la plus éclairée de la Nation, que j'ap- pelle en ce moment à la Nation entière d'un décret emporté avec peine par les orateurs les plus violens dans leurs idées; contre l'avis des opinans les plus fages, dans un total de votans réduits d'un quart de ſa compoſition originaire ; & je foutiens que s'il étoit poſſible de recueillir aujourd'hui l'avis des I 200 & quelques Députés qui devoient former le corps repréſentatif de la Nation, la grande majorité feroit contre ce même décret: Que fi cette nouvelle épreuve du véritable fen- timent de l'Aſſemblée, ſur laquelle je n'aurois aucun doute, paroît inadmiſſible ; s'il faut que ce qu'elle a ſtatué fubſiſte & paroiſſe faire partie de la conf- titution Françoiſe, juſqu'à ce qu'une autorité ſupé- rieure à la fienne en ait reconnu l'illégitimité, qu'il me foit permis du moins de n'être pas moi-même convaincu de ce qui répugne à ma raiſon, de ce qui choque toutes les idées univerſellement reçues, de ce qui ine paroît inconciliable avec les principes admis par l'Aſſemblée elle-même. Qu'on ne me faffe pas un crime de demeurer perſuadé qu'il n'y a que la Nation entière qui puiſſe rétracter ce que la Nation entière a voulu, & prononcer la révoca- tion ou la confirmation de ſon premier væu. i La 1 155 ) 1 La diſcuſſion des décrets qui ont dépouillé le Roi de la coopération légiſlative que les cahiers fui avoient laiſſée; méritoit ſans doute toute l'é- tendue de développement que j'ai cru devoir lui donner. Je paſſe aux autres caractères du gou- vernement monarchique, à l'égard deſquels l'in- tention nationale a été également intervertie. des Ordres & ز Celui que tous les favans du monde, excepté Diſtinction ceux de l'Aſemblée Nationale actuelle, ont tou- rangs inter- jours regardé comme le génie le plus profond & médiaires. le plus éclairé qu'il y ait eu ſur les principes des différens gouvernemens, celui à qui l'on a dé- cerné le plus beau titre qu'un ſage puiſe mériter, en l'appelant Légiſlateur des Nations (*); celui qu'on ne nommoit autrefois qu'avec reſpect, & dont l'éloge, en ce moment, excite le rire far- donique de notre ſublime jeuneſſe, MONTESQUIEU, enfin, écrivoit, il y a 38 ans, que le Gouvernement Monarchique ſuppoſe des prééminences, des rangs, & même une nobleſſe d'origine ; que les pouvoirs inter- médiaires conſtituent la nature de ce gouvernement.... que la Nobleſſe eſt le pouvoir intermédiaire le plus naturel ; qu'elle entre en quelque façon dans l'ef- jence de la Monarchie, dont la maxime fondamen- tale eſt, point de Monarque, point de Nobleſſe ; point (*) Ce ſont les expreflions de M. d'Alembert dans ſon éloge de M. de Monteſquieu, à la tête du cinquième volume de l'Encyclopédie. N سه 1 [ 156 ] de Nobleſſe, point de Monarque.... & que ſi l'on y abolit les prérogatives des Seigneurs, du Clergé & des Villes, on aura bientôt un Etat populaire, ou. bien un Etat deſpotique. 1 Quand Monteſquieu parloit ainſi, il n'étoit pas l'écho des préjugés vulgaires. Philofophe poli- tique, il avoit reconnu, par de profondes média tations ſur ce qui conititue les gouvernemens, & ſur ce qui les fait agir, que la nature de la Mo- narchie exige beaucoup de rangs intermédiaires, & que l'honneur eſt le principe de la force motrice. Il n'y a rien à dire à ceux qui ne peuvent ni ſaiſir la vérité de ces deux importantes maximes, ni appercevoir les conſéquences qui en découlent. Qu'ils liſent, qu'ils étudient, qu'ils réfléchiſſent; mais qu'en attendant ils ne gouvernent pas ; qu'ils ne foient pas légiſlateurs ; qu'ils ne privent pas l'Etat du reſſort qui en fait la gloire : qu'ils ne rompent pas, faute d'en connoître l'utilité, cette chaîne graduée qui uniſſant le Monarque aux ſujets, & les ſujets au Monarque, rapproche la diſtance trop grande qui les ſépare ; que leur main inexpérimentée ne briſe pas des canaux, par l'ef- quels l'autorité contenue deſcend fans ſe déborder, & l'obéiſſance imitative remonte fans effort. Mais écoutons les cahiers eux-mêmes : ils ont dit ce qu'il falloit dire, & ils prouvent que la Nation penſe ce qu'il faut penſer. I 1 ( 157 ) Je ne citerai pas ſur l'objet dont il s'agit les cahiers du Clergé, ni ceux de la Nobleſſe. Oni juge aiſément qu'ils n'ont pas négligé d'enjoindre à leurs Députés de les maintenir comme premiers Ordres de l'Etat, & de veiller à la conſervation de leurs droits légitimes. Je dirai ſeulement que c'eſt en ſacrifiant expreſſément toute eſpèce de pri- viléges pécuniaires, qu'ils ont réſervé leur pré- rogatives honorifiques ; que c'eſt en propoſant eux- mêmes la réforme de l'exceſſive multiplication de ces prérogatives & de tous les abus introduits dans la manière de les acquérir, qu'ils ont voulu les rendre plus reſpectables; que c'eſt enfin en dé- clarant unanimement qu'il falloit abolir les dif- tinctions humiliantes pour le troiſième Ordre, que l'uſage avoit introduites dans les Etats-généraux, qu'ils ont mérité que les prééminences dues à leur naiſſance, à l'eurs ſervices, & à ceux de leurs aïeux, fuſent vues ſans peine, & que le Tiers Etat lui- même en reconnût la juſtice. Il l'a réconnu en effeť. Je lis dans fes cahiers : La déclaration formelle du Clergé & de la Nobleſſe aſſure le Tiers Etat que les deux Ordres, après avoir renoncé à leurs priviléges pécuniaires, ne por- teront avec lui qu'un même væu.... que les Députés de tous les Ordres, enfans de la même famille, en- vironnant leur père, écartent avec borreur cet eſprit de vertige & de fermentation, qui, paſſant rapidement de la menace à l'injure, & de l'injure à la ven- geance, a verſé le fang des citoyens (1)... Quoique (1) Château-Thierry, pages 6 & 7. + 1 N2 [ 158. 1 la Nation ſoit véritablement & légalement repré- ſentée aux Etats-généraux, il eſt néceſſaire que les Députés des trois Ordres délibèrent conjointement, & que les fuffrages ſoient pris & comptés par tête, & non par Ordre (2).... Chaque Ordre compoſant les Etats-généraux pourra s'aſembler ſéparément ſous la préſidence d'un orateur, qui ne ſera choiſi que dans ſon Ordre (3)... mais les délibérations ſeront communes aux trois Ordres (4).... Il eſt à défirer qu'elles ſoient priſes par les trois Ordres réunis, & les fuffrages comptés par tête (5).... que les trois Ordres, diſtingués par leurs rangs, ſoient égaux par leurs droits (6)..... que les droits civils du dernier citoyen ſoient égaux à ceux des membres les plus dif- tingués des premiers Ordres (7).... que la juſte pré- rogative de la préſéance accordée au Clergé & à la Nobleſſe soit reſpeEtée : mais qu'il ſoit défendu aux Députés du Tiers Etat de conſentir aux diſtinčtions. bumiliantes qui avilirent le troiſième Ordre dans les Etats de Blois & de Paris. (8) On voit clairement que te Tiers Etat étoit bien éloigné, de penſer qu'il pût être queſtion de ſup- primer les premiers Ordres de l'Etat ; qu'au con- traire il en a toujours ſuppoſé l'exiſtence diſtinęte ; (2) Dax, Saint-Sever, & Bayonne, art. 2. (3) Châlons ſur Marnes, p. 13. (4) Saumur & Rhodez, p. 8. (5) Troyes, article 2. (6) Saintonges, au Ch. des trois Ordres, (7) Foix, page 21. (8) Haut-Vivarais. t n'eſt pas pas [ 159 ] & que ſes voeux ſe ſont bornés à demander l'éga- lité des droits dans l'ordre civil, & une délibé- ration commune dans l’Affemblée générale. Ce ſeulement pour l'Aſſemblée actuelle que les cahiers du Tiers État ont propoſé des règlemens relatifs à chacun des trois Ordres; leur prévoyance s'eſt étendue à l'avenir ; & ils ont compté que la diſtinction des Ordres continueroit à ſubſifter, puiſqu'il eſt encore dit dans ces cahiers, qu'il ſera établi pour les États-généraux à venir, une conftitution & une organiſation complette, régulières, de manière que les Députés ſoient également, librement, univer- Jellement élus, & excluſivement dans leur ordre. (a) Le Tiers État s'eſt expliqué plus poſitivement encore ſur la néceſſité de conſerver la Nobleſſe, ainſi que ſur les moyens à employer pour en épurer la ſource, pour en conſtater le droit, pour en écarter tout préjugé nuiſible au commerce & à elle-même. Rien de plus fage que ce que ſes cahiers ont voté unanimement ſur tous ces points. Il y eſt dit: Il doit être arrêté comme loi fondamentale, que la Nobleſſe héréditaire ſera rappelée à ſon ancien état.... il n'y aura de dérogeance que par les vices ou les crimes..... ainſi la Nation trouvera des ſujets pré- cieux dans une foule d'hommes qui la grèvent en cent manières ; & la Nobleſſe, fans rien perdre de fon luſtre, ſera plus fondée que jamais à conſerver une noble fierté, qui ne convient qu'à ceux qui ne (a) Cahiers du Tiers Etat de Paris extra muros. N 3 [ 160 briguant ni faveur, ni grâces, ni penſions, trouvent toutes leurs reſources en eux-mêmes (b).... La No- bleſſe ne ſera plus vénale, cette récompenſe n'éta due qu'au mérite & à la vertu (c).... La Nobleſſe tranſmiſſible ne pourra être accordée que dans les cas très-importans (d).... Il eſt une monnoie idéale, mais puiſante (BIEN PRECIEUSE ET BIEN CHERE DANS UN ROYAUME COMME LA FRANCE); c'eſt le tréſor de l'honneur, tréfor inépuiſable ſi l'on y fait puiſer avec ſageſſe. Les États-généraux rendront au peuple & a la poſtérité un grand ſervice, s'ils trouvent le moyen de refrapper, en quelque ſorte, cette mon- noie nationale, & de lui rendre aſez de cours pour qu'elle puiſſe ſuppléer (comme cela fut autrefois, comme cela peut être encore) à ces vils & honteux ſa- laires, toujours évalués en argent, & qui ne ſauroient étre la paie de l'héroïſme, ni le prix de la vertu (e) (paroles bien remarquables, & qui contenoient une leçon digne d'être entendue). La recherche des faux Nobles ſera faite devant les Sénéchaux (f), les titres de Nobleſſe ſeront vérifiés par des commiſſaires des trois Ordres (g), les États provinciaux feront une matricule de la Nobleſe de leurs diſtriets (h), &c. &c. ! ! Je crois qu'en voilà plus qu'il ne faut pour prouver clairement que le veu de tous les cahiers, (b) Rennes, art. 50, (c) Nantes, art. 38. (d) Troyes, art. 107. (e) Toul. page 43 (f) Auch, page 12, (g) Nantes, mfs. (h) Neraç, mfs, art. 9, [ 161. ] } & l'intention de la Nation entière, exprimée par eux, eſt de conſerver les deux premiers Ordres de l'État, en réduiſant ſeulement la diſtinction entre les Nobles & les non-nobles à ce qu'elle doit être ; c'eſt-à-dire, qu'il faut qu'à l'avenir cette diſtinc- tion n'influe en aucune ſorte ſur la répartition des contributions publiques; qu'elle n'empêche aucun citoyen d'aſpirer & de parvenir, par ſon mérite, à toute eſpèce d'emplois eccléſiaſtiques, ou civiles, ou militaires; que les rangs néceſſaires en toute monarchie ſoient maintenus en France, mais qu'on n'y voie plus ces gothiques uſages qui ſem- bloient élever un mur de féparation entre les ci- toyens d'un même empire ; que les Dignitaires Ec- cléſiaſtiques & les vrais Nobles continuent de jouir de toutes les prééminences honorifiques qui leur appartiennent, mais que l'abus de les attacher à des offices vénaux ſoit proſcrit; enfin, que le Clergé & la Nobleſſe aient leurs repréſentans dans l'Af- ſemblée Nationale, & qu'ils en ſoient partie inté- grante, mais dans la forme la plus convenable aux principes d'une bonne conſtitution, & fans que leur juſte préféance entraîne rien de contraire à la dignité des Communes. Tel eſt, je ne crains pas qu'on le nie, & l'ef- prit & le texte de tous les cahiers. Ceux du Clergé & de la Nobleſſe s'accordent, en tous points, avec ce que j'ai extrait des cahiers du Tiers État. Ils n'en différoient que ſur le point de ſavoir ſi.. l'on devoit voter par Ordre, ou par tête : mais il ne s'agit plus de revenir ſur cette queſtion trop NA [ 162 ] 1 long-tems agitée, &, qui ne l'eût pas été avec autant de déſavantage pour la choſe publique, ſi l'on avoit tranché le noeud en prenant le parti que trois mois avant j'avois haſardé d'indiquer (1), & par lequel je crois encore qu'il faudra finir : celui de réunir les deux premiers Ordres en un ſeul, & d'en former une Chambre haute, concou- rant, avec le Roi & avec les Communes, à la Légiſlation. Cette idée avoit été adoptée par quelques-uns des cahiers de la Nobleſſe (2); elle a même été propoſée dans l'Aſſemblée comme étant l'avis du Comité de Conſtitution, & plu- fieurs membres très-éclairés l'ont appuyée par les raiſons les plus convaincantes. (3) Ils ont fait voir qu'il eſt de l'eſſence des Mo- narchies libres, c'eſt-à-dire de celles où le pou- voir du Monarque eſt tempéré par l'exiſtence d'un corps légiſlatif, que le pouvoir de ce corps ſoit lui-même tempéré par celui du Monarque, & qu'il y ait 'entre les deux un troiſième pouvoir, modérateur de l'un & de l'autre, qui puiſſe em- pêcher leurs invaſions réciproques : ils ont établi que le même principe qui exige la diviſion des pouvoirs, pour conſtituer la liberté nationale, exige leur équilibre pour la maintenir.; & que fi la Na- (1) Pages 12, 32, 33 & 34, de ma Lettre au Roi du g Féą vrier 1789, édition in-4°. (2) Metz, page 10.- Montargis, art. 1. (3) M. le Comte d'Entraigues, 1 [ 163 ) 1 1 tion, en partageant la délégation de l'exercice de la ſouveraineté, ne faiſoit que ſe placer entre deux forces qui ſe combattroient, ſans qu'il y eût un intermédiaire intéreſſé à les concilier, elle devien- droit bientôt victime de celle des deux qui écra- ſeroit l'autre, & ne pourroit éviter de tomber, ou fous la tyrannie d'un ſeul, ou ſous la tyrannie plus redoutable encore de pluſieurs : enfin, ils ont fait obſerver que le pouvoir exécutif, néceſſairement indivis pour que ſon activité ſoit auſſi rapide qu'elle doit l'être, ſe trouve ſuffiſamment circonſcrit par une Aſſemblée Nationale permanente, par la ref- ponſabilité des Miniſtres, & par ſa dépendance en ce qui concerne les voix à propoſer, les ſubſides à lever, & l'armée à entretenir: au lieu que le pou- voir légiſlatif, qui par ſa nature eſt abſolu, & non fuſceptible d'être environné de reſtrictions, ne peut être limité qu'en lui-même & par la diviſion de fon exercice; diviſion utile pour le Roi, dont elle maintient la prérogative; utile pour le peuple, dont elle aſſure la liberté; utile pour les loix, qu'elle préſerve des variations & des erreurs que l'enthouſiaſme, la précipitation, ou l'intrigue, y introduiroient indubitablement, fi elles dépendoient entièrement des mouvemens d'un ſeul corps repré- fentatif. Qu'on ouvre les procès-verbaux des ſéances de l'Affemblée Nationale en Septembre dernier; on verra avec combien d'énergie & de lumières MM. De Lalli-Tollendal, Le Mounier, Bergaſſe, & autres membres du Comité de Conſtitution, ont développé 1 [ 164 ] ces grandes vérités ; & par quelles battologies fophiſtiques M. Rabaud' de St. Etienne a ſoutenu l'opinion contraire. On verra ce dernier confon- dre ſans ceſſe la ſouveraineté de la Nation avec les fonctions ſouveraines qu'elle délègue, & le pou- voir pris dans ſon ſens primitif, comme il le dit lui-même, avec l'exercice du pouvoir, qui eſt la ſeule choſe à conſidérer. On le verra s'éver- tuer, très-inutilement, à prouver que le Souverain étant la collettion de tous, eſt une choſe, une & fimple; que le pouvoir légiſlatif eſt donc auſ un & fimple ; & que si le Souverain ne peut pas être diviſé, le pouvoir légiſlatif ne peut pas être diviſé ; pour con- clure enſuite, très-fauſſement, de toutes ces abſtrac- tions, que la puiſſance légiſlatrice, lorſqu'elle eſt déléguée par la Nation, ne peut pas l'être à di- vers coopérateurs chargés de l'exercer conjoin- tement, & que les dépoſitaires de cette puiſſance ne peuvent pas être partagés en deux Chambres. On je verra enfin s'embarraſſer dans les conſéquences de ſes ſophiſmes, juſqu'à ne pouvoir ſouffrir que le Roi ſoit appelé le repréſentant continuel de la Nation, juſqu'à n'admettre que des repréſentans révocables; juſqu'à ſoutenir ſérieuſement qu'aſſocier les Rois à la légiſlation, c'eſt leur rendre un ſervice perfide, les dévouer à la cenſure des peuples, peut- étre à leur mépris, peut-être à leur haine. 1 J'ai voulu citer cet exemple des égaremens poli- tiques où ſe jettent ceux qui, plus jaloux de paroître profonds que de raiſonner juſte, & vou- lant régler métaphyſiquement les empires, ne s'ap- perçoivent pas qu'à force de généraliſer les vérités, [ 165 ] on les dénature, ou qu'au moins on les rend inap- plicables aux gouvernemens humains, leſquels, il ne faut pas l'oublier, étant paîtris d'imperfections, comme tout ce qui appartient à l'humanité, ne peu- vent être réglés par des principes abſolus. Mais comment concevoir que des ſubtilités ſcho- laſtiques, telles que celles dont je viens de rappor- ter un échantillon, aient prévalu dans une Aſſem- blée de légiſlateurs, ſur un avis fondé en raiſons de toute évidence, en exemples de tous pays (1), en autorités de tout genre; ſur un avis qui étoit celui d'un Comité compoſé de perſonnes choiſies par cette même Aſſemblée, pour l'examen des ma- tières les plus importantes qu'elle eût à traiter ? Et auſſi, comment expliquer qu'une queſtion de ſi grande conſéquence pour le fort de l'Etat, ait été tranchée avec une telle précipitation, qu’àu dire d'un des membres du Comité de conſtitution (2), à peine a-t-on entendu la lecture du rapport qui y étoit relatif, & que le projet de ce Comité, pour l'organiſation du corps légiſlatif, n'a été jugé digne d'aucun examen, n'a jamais été mis en diſcuſhon? Long-tems je me ſuis étonné de ces bruſques réſo- (1) Pour s'en convaincre, il faudroit lire l'excellent on- vrage de M. Adams, intitulé Défenſe de la Conſtitution du Gouvernement des Etats-Unis de l'Amérique, 2 vol. in 8°. im- primés à Londres. J'en ai donné la ſubſtance dans ma Lettre au Roi, pag. 30, 31, & 32. (2) Expoſé de la conduite de M. Le Mounier dans l'Aſemblée Nationale, pag. 42 & 50. [ 166 ) lutions emportées par élan, ſur des objets auſſi effen- tiels qu'épineux ; long-tems j'ai répugné à croire que toujours les avis extrêmes & giganteſques ſe- roient préférés aux vues raiſonnables & modérées, parce que long-tems je me ſuis perſuadé qu'une Aſſemblée comptable à la Nation, à l'univers, & à la poſtérité, des auguſtes fonctions qui lui ont été confiées, ſe pénétreroit de l'obligation d'y ap- porter toute la meſure, toute la ſageſſe, toute la circonſpection qu'elles exigent: mais mes éton- nemens, ainſi que mes eſpérances, ſe ſont évanouis, depuis que le progrès de fa marche m'a éclairé ſur ſon plan, ou plutôt ſur le plan combiné par les eſprits ardens & audacieux qu'elle renferme dans ſon ſein, & qui de ſecouſſes en ſecouſſes l'entraî- nent à leur but ſans le lui montrer. Je reconnois aujourd'hui que, lorſqu'ils paroiſſent inconſéquens à ce qu'ils ont dit & à ce qu'ils ont fait précédem- megt, ils ne le font pas à ce qu'ils veulent ; & que fi plus d'une fois ils ont fait tomber l’Affem- blée en contradiction avec les cahiers, & avec elle- même, c'eſt parce que ni les cahiers, ni eux, n'a- voient pu prévoir à quel point un excès de foibleſſe générale, auquel on ne devoit pas s'attendre, en- hardiroit graduellement leurs entrepriſes. Quel- qu'un a dit : Jamais on ne va plus loin que quand on ne ſait pas où l'on va. L'Affemblée Nationale le prouve bien aujourd'hui; & perſonne affurément n'auroit imaginé tout le chemin qu'elle a fait. On a vu d'abord les Députés, nouvellement afemblés, faire profeſſion de ſe conformer fidè- [ 167 ] ! lement au voeu national exprimé dans les cahiers, ſe reconnoître liés par les mandats de leur commet- tans ; convenir qu'exécuter ce qu'ils preſcrivoient unanimement, étoit la condition de leur miſſion, de leurs pouvoirs, de leur exiſtence repréſentative : on les a vus enſuite ſe délier eux-mêmes du ferment de remplir ce devoir ; proſcrire comme une héréſie révoltante toute idée de mandats impératifs ſur quelque objet que ce puiſſe être ; & ſe regardant comme la Nation entière, s'attribuer, à ce titre, la toute-puiſſance. 1 On les a vus, au mois de Juin, déclarer la fanc- tion Royale néceſſaire pour rendre obligatoire tout aete extérieur de l'Aſſemblée, & dans une adreſſe préſentée au Roi, lui dire qu'ils étoient appelés pour fixer, de concert avec lui, la Conſtitution, pour conſacrer avec lui les droits éminens de la Royauté : & cependant, on les a vus, au mois de Septembre ſuivant, admettre des hypothèſes où la ſanction Royale ne ſeroit pas indiſpenſable; s'en rendre abſolument indépendans en tout ce qui concerne la conſtitution, ce qui eſt très-indéfini; & ſur le · reſte, limiter la liberté du refus, ce qui eſt la dé- truire entièrement. 1 1 On les a vus, quand ils vouloient engager le Clergé & la Nobleſſe à ſe réunir à eux dans une mêine Aſemblée, n'exprimer que le déſir de la plus parfaite concorde ; & au moment de cette réunion, exalter le bonheur du jour qui raſembloit les trois Ordres ; dire que ce jour finiroit à jamais 1 [ 168 ] 1 les diviſions qui les avoient mutuellement. afligés, & qu'il ſeroit célébré dans leurs faftes (1). Mais cinq muis après, quelle différence de langage! Toute diſtinction d'Ordres eſt abolie (2). Déſormais, plus de Députés du Clergé, plus de Députés de la Nobleſſe dans l'Aſſemblée Nationale ; il ſemble qu'on ne les y ait attirés que pour les faire con- courir à prononcer leur excluſion; & non-ſeule- ment ils n'y auront plus de repréſentans en titre, mais on peut dire en outre, que même indivi- duellement, ni Eccléſiaſtiques ni Nobles n'en au- ront à l'avenir l'entrée, puiſqu'elle dépendra d'af- ſemblées populaires, formées de tous citoyens actifs, de quelque état & condition qu'ils ſoient, ſans aucune diſtinɛtion ; ce qui, vu la diſpoſition où l'on a mis les eſprits, fignifie que tous ceux qui appartiennent aux deux Ordres les plus diſtingués, ſeront repouſſés avec violence, s'ils ſe préſentoient aux aſſemblées primaires ; & la preuve eſt dans le fait. Ainſi donc, par un renverſement inoui de toutes les idées, les claſſes de citoyens à qui appartient la majeure partie des terres, & qui, par conſéquent, ont le plus d'intérêt aux loix géné- (1) Diſcours prononcé par le Préſident de l'Aſſemblée Na- tionale, le 27 Juin. (2) Décret du 5 Novembre 1789, & décret du 22 Décembre fuivant; l'un & l'autre déclarent qu'il n'y a plus en France de diſtinction d'Ordre ; le dernier ajoute qu'en conſéquence, pour la formation des Allemblées primaires, les citoyens actifs ſe réuniront ſans aucune diſtinction, de quelque état & condition qu'ils ſoient. V [ 169 ] tales, ſe trouveront exclues du corps legiſlatif! Les grands propriétaires ne ſeront pas repréſentés dans l'Aſſemblée où tous les habitans du royaume doivent l'être! Les contributions,, qui ne peuvent fe lever qu'avec le conſentement des contribuables, ſeront confenties ſans la participation de ceux qui contribuent le plus ! Et après avoir établi que la puiſſance legiſlative réſide dans l’Afſemblée Na- tionale, ſur le fondement que ce qui lie tous les individus, doit être l'expreſion de la volonté de tous, on veut que plus on poſsède, moins on ait de part aux loix qui doivent régler les poſſeſ- fions ! Voilà comme raiſonnent nos légiſlateurs; voilà du moins comme ils opèrent ; voilà comme il's compoſent un corps repréſentatif de la Nation entière, dans lequel les principaux membres de l'Etat feront nuls, dans lequel le Trône ſera fans appui, dans lequel, enfin, la multitude ſeule gou- vernera tout ſans que rien puiffe l'arrêter ; & l'on fait par qui elle eſt elle-même le plus ordinaire- ment gouvernée !........ Mais, je le répète, il n'y a plus à s'étonner en admettant que le projet ſoit d'anéantir la Monar- chie, ou, ce qui eſt bien pis encore, de la réduire à un vain ſimulacre. Dans cette vue, on ne pouvoit faire mieux que de priver la puiſſance exécutrice du concours à la formation de la loi, de détruire tous les rangs, d'écarter tout pouvoir intermédiaire entre le Monarque & le peuple, & de n'admettre [ 170 ) aucune borne, aucun obſtacle aux uſurpations de la puiſſance légiſlative. Il ne reſtoit après cela, pour achever de dépouiller le Roi de tous les at- tributs eſſentiels de la monarchie; que de ne lui laiſſer aucune influence dans le choix des Juges; aucun moyen de ſurveiller l'adminiſtration de la juſtice, & de finir par lui ôter de droit de faire la paix ou la guerre. On n'y a pas manqué, & le projet eſt conſommé : pourroit-on douter encore de l'intention, quand elle eſt remplie ? Je remets à parler de ce qui concerne la nomi- nation aux offices de judicature, dans l'endroit où je ferai voir les contradictions qui ſe trouvent entre les cahiers & les décrets de l'Aſſemblée, ſur le fait de la juſtice. Je vais montrer combien elles les a contredits ſur l'objet de la guerre & des traités. Droit de & la paix. Qu'en tout Etat vraiment monarchique le droit faire la guerre de déclarer la guerre & de conclure des traités ap- partienne au Monarque, c'eſt une vérité fi géné- ralement avouée, & fi inhérente à toutes les baſes du corps diplomatique, que quand les cahiers n'auroient fait que manifeſter la volonté unanime de tout le royaume pour la conſervation d'un gouver- nement vraiment monarchique, purement monarchique, comme ils l'ont fait dans les termes les plus pofi- tifs, c'en ſeroit affez pour en conclure qu'ils ont entendu que le Roi conſerveroit le droit de faire la guerre & la paix. Mais 1 ! 1 . 1 ( 191 ) Mais les cahiers ont dit plus : tous ceux qui ont fait mention de ce droit, l'ont expreſſément attribué au Monarque, & témoigné vouloir qu'il fût reconnu lui appartenir. Les États-généraux déclareront, difent ceux d'Arras, qu'au Roi ſeul appartient le droit de faire la paix ou la guerre, & la diſpoſition & diſcipline de l'armée ; mais qu'il ne pourra; par aucun traité, aliéner aucune des pro- vinces ou villes du royaume, fans le conſentement des États-généraux (I). Le Roi, cidé, diſent ceux du Bas-Vivarais, d'un Conseil de guerre, difpofera, ainſ qu'il le voudra, des troupes, pour la défenſe exté- rieure(2). La plénitude du pouvoir exécutif com- prend, diſent les cahiers d'Evreux, le droit de faire la paix ou la guerre, & tous les traités qui y ont rapport, & la diſpoſition de la force publique pour la défenſe de la nation & le maintien des loix (3) Qu'il ſoit ftatué par les États-généraux, diſent les cahiers du Tiers État de Rouen, que dans le cas d'une guerre qui parviendroit inopinément dans l'in- tervalle d'une tenue d'États à, l'autre (ce qui prouve bien qu'on n'entendoit pas que ce fût aux États à déclarer la guerre), la inaſſe des impôts ſera augmentée d'un ou pluſieurs ſols pour livre, ſous la dénomination de crue de guerre...(4). Ceux du Tiers (1) Arras, Cahiers de la Nobleſſe, page 7. (2) Item, Bas-Vivarais, fol. 11. (3) Item, Evreux, page 6. (4) Cahiers du Tiers Etat de Rouen, art. 55. [ 172 ) État du Cotentin s'expriment préciſément dans les mêmes termes (I). Ceux du Tiers État de Paris ſont encore plus formels, tant ſur le cas de guerre défenſive que ſur le cas de guerre offenſivè ; voici comme ils s'énoncent : En cas de guerre défenſive, 'invaſion ou attaques hoſtiles, le Roi, comme dépo- fitaire du pouvoir exécutif, prendre les meſures les plus promptes pour veiller à la ſureté publique ; & dans ce cas, comme dans celui de guerre offenſive déclarée par le Roi, les États-généraux ſe raſſen- bleront dans deux mois (2). Si tous les autres cahiers n'ont pas reconnu auſſi formellement cette prérogative monarchique, dont les Rois de France ont joui pendant 14 ſiècles ſans la inoindre conteſtation, c'eſt parce qu'on n'avoit pas imaginé que ce pût être la matière d'un doute, & qu'en conſéquence elle n'a été, dans aucun bailliage, l'objet d'une diſcuſſion. Mais puiſque tous ceux des cahiers où il en eſt parlé ont rendu hommage au principe, ceux qui n'en ont rien dit ſont cenſés l'avoir confirmé, & l'on eſt fondé à conclure que le væu unanime a été de maintenir le droit inhérent à la Couronne depuis tant de ſiècles. -- On peut même dire que ce fut auſſi le premier fentiinent de l'Aſſemblée, & qu'au moment où elle (1) Cahiers du Tiers Etat du Cotentin, manuſcrits. (2) Cahiers du Tiers Etat de Paris extra muros, D. 24. [ 173 ] a déclaré que le Gouvernement François eſt monar : chique... que le pouvoir exécutif ſuprême réſide exclu- fivement dans la main du Roi... qu'il a le commande- ment de toutes les forces de terre & de mer .... que le ſoin de veiller à la ſureté extérieure du Royaume, & de maintenir ses droits & poſeſons, lui eſt délé- gué... elle a équivalemment décrété que ſi la ſureté de l'État ou la défenſe de ſes droits exige de faire la guerre, il doit la déclarer ; que s'il y a lieu à quelques traités pour prévenir ou faire ceſſer ce fléau, il doit les conclure; que les armées, dont il eſt le chef ſuprême, étant deſtinées à préſerver le royaume de toute aggreſſion extérieure, il doit les faire agir dans cette vue, dès l'inſtant que cela devient néceſſaire, & que c'eſt à lui à juger du moment où il convient d'employer la ſuprématie du pouvoir exécutif qui lui eſt confié, pour que l'État ne ſouffre aucun dommage. i Ces conſéquences font ſi naturelles, & fi intime- ment liées aux premiers décrets de l'Aſſemblée Nationale, que les en détacher c'eſt détruire d'une main ce qu'on a fait de l'autre. Le pouvoir exé- cutif eſt-il autre choſe que le droit d'employer la force publique ? & la guerre eſt-elle autre choſe que l'emploi de cette même force ? N'eſt-il pas certain que, dans la guerre, tout eſt voie-de-fait ? & ne l'eſt-il pas également que rien de ce qui eſt voie-de-fait n'appartient à la légiſlation? Dire que c'eſt au Roi à faire la guerre, mais que c'eſt au Corps légiſlatif à décider ſi on la fera, c'eſt ſéparer l'action de la volonté, dans un cas qui ne permet 02 [ 174 ) 1 entre elles aucun intervalle, & qui exige qu'elles partent l'une & l'autre du même principe. Quand la Nation s'eſt donné un chef, quand elle lui a confié la diſpoſition de ſes forces pour les employer à la défendre, elle n'a ſurement pas entendu que d'autres en euſſent la direction ; elle l'a chargé du ſoin de veiller à la ſureté publique ; elle l'a donc chargé de vouloir & de faire tout ce qu'il faudroit pour s'acquitter de ce ſoin ; & il feroit abſurde d'imaginer qu'en armant ſon bras elle eût lié fa volonté, & paralyſé fes mouvemens. 1 Des idées auſſi ſimples, & dont la ſimplicité même prouve la vérité, n'ont pas ſéduit ceux qui, s'exerçant pour la première fois à régler un empire, trouvent préférable ce qu'il y a de plus abſtrait, fe piquent de tout analyſer, diſsèquent tous les prin- cipes, & ſouvent prennent les différens rapports d'un enſemble indivis, pour autant d'objets divers qu'ils s'efforcent de claſſer. Il n'eſt pas étonnant que dans leurs diſſertations ſur le droit de guerre ils aient diſtingué le droit de la vouloir, celui de la préparer, celui de la déclarer, celui de la faire, & qu'ils en aient formé des fonctions ſuſceptibles, ſuivant eux, d'être partagées entre les délégués repréſentatifs qui ne doivent que délibérer, & le délégué ſuprême qui doit agir. Mais en réalité & dans la pratique des nations, quand il s'agit d'hof- tilités, les vouloir, les préparer, les annoncer, & les faire, n'eſt qu'un; le fait & la déclaration ſe con- fondent, & même, preſque toujours le fait précède la déclaration, 1 1 1 [175] Il n'y a donc ni ſubtilités, ni diſtinctions quel- conques, qui puiſſent diſculper l'Aſſemblée de s'être miſe en contradiction avec le veu de ſes commettans & avec elle-même, lorſqu'après avoir reconnu que la France eſt gouvernée par un Mo- narque inveſti de la plénitude du pouvoir exé- cutif, elle lui a ôté le droit de faire la guerre & la paix, par ſon décret du 22 Mai dernier, qui lui-même eſt, dans tout ſon contexte, rempli d'in- conſéquences, & feroit dans ſes effets inconciliable avec la ſureté publique. Il y eſt dit que l'Aſſemblée décrète, comme ar- ticles conſtitutionnels, 1°. que le droit de la paix & de la guerre appartient à la nation-vérité qui n'avoit beſoin d'aucune déciſion, & qui ne prouve rien ſur ce qui étoit à décider. Il s'agiſſoit unique- ment de ſavoir à qui la Nation avoit délégué ou devoit déléguer l'exercice de ce droit; fi c'étoit au Roi, ou au Corps légiſlatif ? Il eſt dit après cela, que la guerre ne pourra être décidée que par un décret de l'Aſſemblée Nationale, rendu ſur la propoſition formelle & néceſſaire du Roi, & enſuite fan&tionné par lui.Cet article ſemble exiger, pour la déciſion de la guerre, le concours des deux pouvoirs, & donner ſeulement l'initiative au pouvoir exécutif; comme ſi ce qu'il faut faire quand on eſt attaqué, devoit ſe traiter de même qu'une queſtion de droit, & avec autant de formalités. 2°. Que le ſoin de veiller à la ſureté extérieure du royaume, de maintenir ſes droits & pofleffions, eſt déa 0,3 ! ! [ 176. ] 1 légué au-Roi par la Conſtitution ; qu'ainſi lui ſeul peut entretenir des relations politiques au debors, conduire les négociations, 'en choiſir les agens, faire : des préparatifs de guerre proportionnés à ceux des États voiſins, diſtribuer les forces de terre & de mer ainſi qu'il jugera convenable, & en régler la direction en cas de guerre. Certainement, fi on ne liſoit que cet article du décret, il n'y a perſonne qui ne dût. en conclure que par lui le Roi de France eſt main- tenu dans le droit de faire la guerre & là paix. Car qu'eſt-ce que veiller à la ſureté extérieure d'un État, ſi ce n'eſt repouffer tout ce qui l'attaque, & prévenir même ce qui pourroit la compromettre ? Comment maintenir les droits & poljelions d'un yoyaume, ſans faire la guerre à quiconque les me- nace ou les viole? Quelle poſſibilité de conduire les négociations politiques, ſans prévoir, fans pouvoir annoncer ce qui réſulteroit de leur bon ou mau- vais ſuccès ? Faire des préparatifs de guerre, & diſtribuer les forces de terre & de mer ainſi qu'on le juge convenable, n'eſt-ce pas ſortir de l'état de paix pour entrer dans l'état de guerre; & quand on en eſt là, ce qui diſtingue encore l'un de l'autre, n'eſt-il pas réduit à un fil qu'un ſeul inſtant peut rompre, - fans laiſſer le tems à aucune délibération préalable ? Et cependant, ſuivant l’Article III, dans le cas d'hoſtilités imminentes ou commencees, d'un allié à Soutenir, d'un droit à cơnjerver par la force des armes, le Roi fera tenu d'en donner, ſans aucun délai, la notification au Corps légiſlatif ; d'en faire cona 11 [ 177 ] noitre les cauſes & les motifs ; & fi le Corps légif- latif eſt en vacances, il ſe raſſemblera ſur-le-champ... Le Roi eſt donc tenu, même dans les cas imminens, de fe borner à notifier : & à qui notifiera-t-il, ſi le Corps légiſlatif eſt en vacances ? Devra-t-il alors ſe hârer de le convoquer ? Non, ce ſoin ne le regarde pas; car, aux termes du décret, c'eſt le Corps lui-même qui doit ſe raſſembler. On ne conçoit pas trop comment un Corps diſperſé peut être informé légalement de ce qui ſe paſſe, & comment il ſe raſſemblera de lui-même ſans être convoqué par perſonne. Mais je ne m'arrête pas ici à cette difficulté, qui porte ſur tous les genres d'aſſemblées établies par la Conſtitution, leſquelles doivent toujours ſe former de leur propre - mouvement, ſuivant les règles conſtitutives, qui énoncent que les citoyens aktifs ſe réuniront pour les aſſemblées primaires ; que les élezteurs nommés par les aſſemblées primaires ſe réuniront pour for- mer les départemens: & pour choiſir les repréſentans de l' Aſemblée Nationale ; & que l'Aſemblée Natio- nale ſe raſſemblera quand il ſera néceſſaire ; le tout fans laiſſer aucune convocation au Chef fuprême de la Nation; ni aux agens du pouvoir exécutif, Sur cela je laiſſe le champ libre à toutes les ré- flexions générales que peut faire naître cette étrange manière d'être mû ſans moteur, & de ſortir d'iner- tie par une impulſion intrinsèque : je ne conſi- dère que le cas particulier du décret ſur le droit de guerre ; & ſans inſiſter ſur la forme, je ſuppoſe que c'eſt au Préſident de l'Affemblée Nationale qu'il faudra, en cas de vacances, que le Monarque > 04 ! [ 178 ] + faffe connoître que le royaume eft menacé ou attaqué, afin que par ſon entremiſe, & ſur les avertiſſemens qu'il fera ſans doute chargé d'en- voyer en diligence, les Députés ſe raſſemblent de toute part, pour venir examiner s'il faut ſe dé- fendre. Le bel état de ſureté que celui d'un vafle royaume, dont la conſtitution feroit telle, que lorſqu'il feroit expoſé à des hoftilitês imminentes, ou même commencées, le Roi, avant de prendre aucun parti, feroit tenu de convoquer, en cas de vacance, l'Affemblée Nationale, & d'attendre tran- quillement que les Députés, répandus ſur une ſurface de vingt-huit mille lieues quarrées, fuſſent raſſemblés dans la Capitale ; qu'ils euſſent pris connoiſſance des cauſes & des motifs ; que leurs. orateurs euſſent déployé leur érudite éloquence; & qu'enfin, après mûre délibération, il fût inter- venu un décret légiſlatif, bien & dûment fanc- tionné, qui décideroit s'il faut ſe battre ! Quelle Puiſſance voudroit pour allié le Monarque poſtiche qui, lorſqu'on revendiqueroit ſon fecours auxiliaire dans les circonſtances les plus imminentes, ne pourroit que répondre : Les Délégués de la Nation font diſperſés de tous côtés ; je ne puis ſavoir fans eux ce que je dois faire pour yous ſecourir, ni pour me défendre moi-même; mais prenez patience, il ne me faut, pas plus de lix ſemaines pour former autour de moi une collection nombreuſe de curés, d'avocats, de médecins, de lettrés, d'aſtronomes, de beaux difeurs, de bons laboureurs, & de jeunes préſomptueux, qui tous enſemble, ſans ſavoir un mot des relacions poli- 1 1 1 [179] " 1 tiques, leſquelles me font réſervées, auront bientôt déterminé, par aflis & lever, à ce que j'eſpère, & pourvu que la queſtion préalable ne s'y oppoſe pas, fi les droits de l'homme nous permettent ou non de faire la guerre. 1 Qu'on ne diſe pas que je cherche à ridiculiſer : je n'ai certainement pas envie de plaiſanter ; & s'il y a du ridicule, il n'eſt que dans le fait. Je défie qu'on le conteſte, & qu'on diſe que ce n'eſt pas le véritable ſens du décret dont j'ai rapporté le texte. Il n'y a pas moyen de le juſtifier, en alléguant qu'en cas d'attaque le Roi devroit proviſoirement re- pouffer les hoſtilités & défendre l'État des invaſions qui le menaceroient ou l'entameroient : c'eſt au contraire dans le cas même d'hoſtilités menaçantes, ou commencées, que le Roi' eſt teríu de convo- quer & conſulter l'Aſſemblée Nationale; c'eſt ſur la notification qu'il doit lui faire de ces hoſtilités, que le Corps légiſlatif s'eſt réſervé de décider a la guerre doit, ou ne doit pas ſe faire. Les Articles V & VI ne laiſſent aucun doute à cet égard : l’Ar- ticle V porte que, ſur cette notification, ſi le Corps légiſlatif juge que les hoſtilités commencées sont une eggreſon coupable des Miniſtres, ou de quelque autre agent du Pouvoir exécutif, l'auteur de cette aggres- fion sera pourſuivi comme coupable de crime de lèſe- nation. Il eſt difficile d'entendre comment des hoſti- lités dirigées contre le royaume, puiſqu'elles ſont dites lui être imminentes, peuvent être une aggreſſion coupable des Miniſtres. Cela ſignifie ſans doute qu'elles. auroient été provoquées par une conduite .. > + 1 [ 180 ] réputée aggreſſive; & c'eſt cette apparence même d'aggreſſion indirecte, qui eſt un crime de lèſe- nation : il eſt donc clair qu'il ne peut plus être queſtion d'hoſtilités offenſives de la part du Gou- vernement François, & que celles qui doivent être notifiées à l'Aſſeinblée, ſont les hoſtilités qui åttaqueroient le royaume. guerre ne doit Or, dit l'Article VI, fi, ſur la même notification de ce genre d'hoſtilités, le Corps légiſlatif décide que la ne doit pas étre faite, le Pouvoir exé- cutif ſera tenu de prendre ſur-le-champ des me- fures pour faire celler ou prévenir toute hoſtilité. Quelles peuvent être ces meſures ? Il eſt clair que ce ne ſont pas des meſures de force, puiſque c'eſt pour éviter la guerre qu'elles ſont preſcrites. Ce ne peut donc être que des meſures de non-réſiſtance, d'abandon, de ceſſion de la choſe prétendue par l'ennemi. Donc, fi le Monarque avoit commencé par réfifter, par défendre la poffeſfion attaquée, par repouſſer l'invaſion, il auroit pris ſur lui d'em- ployer un genre de meſures qui ſe trouveroit di- rectement contraire au jugement de l'Aſſemblée ; & certainement les Miniſtres, qui en feroient reſ- ponſables ſur leurs têtes, ſe garderont bien de lui conſeiller d'en courir le haſard. Donc j'ai raiſon de dire que, ſuivant la teneur des décrets, il fau- dra que le Roi demeure ſpectateur paftif des hofti- lités imminentes, ou commencées contre ſes peuples, juſqu'à ce que l'Aſſemblée ait eu le teins de ſe ral- ſembler, de délibérer, & de prononcer, 1 ! + [181 1 Qu'on le trouve abſurde autant qu'on voudra, cela n'eſt pas ma faute ; c'eſt le ſens littéral, & c'eſt même rigoureuſement le ſeul ſens que le décret dont il s'agit puiffe avoir. En voici encore une autre preuve: l'Aſſemblée déclare, par la fin de l'Article IV, que la Nation Françoiſe renonce a entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, & qu'elle n’employera jamais les forces contre la liberté d'aucun peuple. Tout le monde a entendu par-là que la Nation annonçoit à l'univers qu'elle n'entreprendroit jamais aucune guerre offen- five(*); & je crois que c'eſt auſſi ce que l'Aſſemblée a voulu faire entendre; fans quoi, & fi elle avoit ſeulement prétendu ſe donner le mérite de renoncer à conquérir & aſſervir les autres nations, ce ſeroit une jactance trop déplacée, dans le moment ſur- tout où la France eſt bien plus dans le cas de déſirer qu'on n'abuſe pas de fa ſituation, que de ! (*) Quelque réelle que ſoit la diſtinction entre une guerre offenfive & une guerre défenſive, il y a tant de moyens d'en déguiſer les caractères, & il eſt fi ordinaire d'en'tranſpoſer arbi- trairement les qualifications dans les manifeſtes des Nations belligérantes, que ce que dit aujourd'hui l'Aſſemblée Nationale au nom de la France, peut paroître n'avoir pas plus de valeur quo toutes les proteſtations de même genre dont les Puiſſances qui ſe font la guerre, ne manquent jamais de ſe fervir pour établir de part & d'autre qu'elles s'y livrent à regret, & pour la ſeule défenſe de leurs peuples. Toute guerre offenſive étant injuſte, s'avouer aggreſſeur ce feroit charger ſes armes d'un vernis d'injuſtice nuiſible à leur ſuccès. Aulii ne trouve-t-on cet aveu dans aucune déclaration de guerre ; & il eſt toujours facile de l'éviter. i 1 [182] 1 promettre de ne point abuſor elle-même de ſes forces. ordio 1 1 Or, dès qu'il ne doit plus y avoir de guerre offenſive, le droit de faire la guerre, que le Corps légiſatif ôte au Roi, & qu'il s'approprie, ne peut être que le droit de guerre défenſive; & fi le Roi pouvoit encore faire ce genre de guerre fans la participation du Corps légiſlatif; s'il pouvoit em- ployer les forces de l'État à défendre les frontières, ou à fecourir ſes alliés quand ils ſont attaqués, avant que le Corps légiſlatif eût déclaré le trouver bon, il auroit encore tout le droit de guerre qu'on peut avoir préſentement en France; par conſéquent le fameux décret ſeroit fans objet, il ne ſignifieroit rien : il faut abſolument, pour qu'il ſignifie quel- que choſe, que ſon effet ſoit, comme ſes termes l'expriment, d'empêcher le pouvoir exécutif d'agir dans le cas même d'hoſtilités imminentes ou commen- cées, avant que l'Aſſemblée ait délibéré ; & pour rendre la propoſition plus ſenſible par une appli- cation, il doit s'enſuivre, que fi demain le dé- barquement de St. Cat ſe renouveloit, ce qu'ont fait les braves Bretons, & le Commandant de leur province, pour repouſſer bruſquement l'ennemi, & l'attaquer avant qu'il eût eu le tems de prendre pofte, ſeroit aujourd'hui une anticipation coupable ſur la déciſion de l'Afſemblée ; que le Miniſtre ordonnateur, le général, & tous agens quelconques du pouvoir exécutif, qui prendroient ſur eux de fe conduire ainſi, ſeroient criminels de lèſe-nation, pour avoir oppoſé des hoſtilités à des hoſtilités, & 2 [ 183 1 par conſéquent avoir fait la guerre ſans aucune explication préalable, fans notification de motifs, fans jugement du Corps légiſlatif. Si l'Aſſemblée défavoue ces conſéquences, qu'elle défavoue donc auſſi le décret dont elles réſultent rigoureuſement; ou qu'elle explique com- ment le pouvoir exécutif ſeroit tout à la fois actif & enchaîné; cominert, ayant les mains liées par l'interdiction de faire aucun acte de gụerre ſans l'autoriſation préalable d'un corps délibérant, il pourroit défendre le royaume à l'inſtant même que 'ſes frontières feroient attaquées, ou évidem- ment menacées; & comment les Miniſtres pour- roient être rendus reſponſables des ravages d'une invaſion contre laquelle ils n'auroient pas employé promptement les forces militaires, tandis qu'aux termes de la nouvelle Conſtitution il n'eſt permis de les employer, même dans les cas imminens, qu'après en avoir dénoncé la néceſſité aux Repré- ſentans de la Nation, & après que, s'étant aſſemblés pour en juger les motifs, ils en auroient reconnu la validité, 1 1 La même complication de devoirs & d'entraves, de circonſtances preffantes & de loi dilatoire, ſe retrouve dans les deux derniers articles de cet in- compréhenſible décret.--L'Article VI n'eſt relatif qu'à la formule dont il faudra déſormais ſe fervir pour déclarer la guerre. Mais cette formule même ſe reſſent de l'irrégularité du principe. Il eſt dit : Toute déclaration de guerre ſera faite de la part du 1 f 184 1 Roi des François, & au nom de la Nation. Pours quoi changer ainſi l'ancien intitulé ? Pourquoi ne pas laiſſer au Roi de France ſa dénomination ordinaire, qui eſt analogue à celle des Rois de toutes les autres Monarchies ? Pourquoi préférer de lui donner celle à laquelle Cromwell vouloit le réduire ? Et qu'eſt-il beſoin, quand un Monarque déclare à ſes ennemis qu'il va uſer du droit de glaive, d'ajouter que c'eſt au nom de la Nation? Qui peut douter que les Rois de France, comme tous les Rois de l'univers, n'agiſſent au nom de la Nation, dont chacun d'eux eſt le repréſentant? Si l'on eſt obligé de l'énoncer formellement, les autres Souverains devroient donc y être pareille- ment tenus ; & il ſeroit conſéquent que toute déclaration de guerre & tout traité de paix qui ne contiendroit cette clauſe de part & d'autre, fût réputé nul. Seroit-ce un prétexte pour revenir ſur les anciens traités ? Quel chaos! Eſpère-t-on forcer taus les Souverains à ſe conformer à ce nou- veau ſtyle diplomatique? Quelle prétention! Mais n'allons pas juſques-là, & difons plutôt, Quelle incohérence de langage & de conduite ! D'un côté, on a vu l'Aſſemblée applaudir lorſque le Roi déclaroit qu'il n'étoit qu'un avec la Nation ; d'un autre côté, on la voit diſtinguer le Roi de la Na- tion, lorſqu'avec elle il combat ſes ennemis ! Il eſt évident que cette affectation de changer juſqu'à l'idiome qui par-tout appartient à la Royauté, ne tend qu'à dégrader la dignité du Monarque, non- ſeulement aux yeux de ſes ſujets qu'on veut dél- habituer de ſe regarder comme tels, mais même A 1 [ 185 1 ! aux yeux des Puiſſances étrangères lorſqu'il traite avec elles. Mais quoi ! eſt-ce donc élever la Nation, que d'abaiſſer ſon Chef? Quel contre- ſens en politique, que de vouloir que le Roi qui nous gouverne ne ſoit plus, même dans ce qui eſt extérieur, à l'égal des autres Rois ! Si nos légiſa- teurs philoſophes ignorent ce que vaut la conſidé- ration des empires, & à quoi elle tient, au moins doivent-ils ſavoir ce qu'un d'eux (*) leur a dit, Que la dignité royale eſt au nombre des propriétés nationales ; & de quel droit s'autoriſent-ils pour dépoſſéder la Nation de cette propriété ? 0 L'Article VII porte, que pendant tout le cours de la guerre, le Corps légiſatif pourra requérir le Pouvoir exécutif de négocier la paix ; & le Pouvoir exécutif ſera tenu de céférer à cette réquiſition, C'eſt encore même bizarrerie dans le ſtyle, même inconſéquence dans les choſes. Peut-on d'abord n'être pas choqué de trouver, juſques dans les décrets deſtinés à former la Conſtitution Françoiſe, ce ridicule néologiſme, qui au mot ROI a ſubla ticué celui de pouvoir exécutif! Ici, le Corps légiſlatif parle au Pouvoir exécutif, requiert le Pouvoir exécutif de négocier, règle la conduite du Pouvoir exécutif ! ..... Là, on a vu des grenadiers adreſſer au Pouvoir légiſlatif des plaintes contre le Pouvoir exécutif !..... On riroit, ſi l'indigna- tion pouvoit rire.--Eſt-ce donc parce que le titre (*) M. de Mirabeau, Diſcours du 20 Mai 1790. h # 5 P 186 1 . de Roi imprime le reſpect, & pourroit encore rap- peler au reſpect par l'effet de l'ancienne 'habitude, que l'Aſſemblée répugne à s'en ſervir ? Cependant elle l'emploïe encore en quelques occaſions; corrime on peut le remarquer dans ce décrét mêine: mais quand elle prend le ton impératif, quand elle pref- crit au Monarque ce qu'il doit faire, alors voulant ſans doute éviter l'antithèſe (trop dure encore à l'oreille des François:) de Roi & de fubordonné, elle perſonnifie le pouvoir exécutif, & c'eſt ſous ce nom qu'elle impoſe au Monarque fes obligations. . Il eſt vrai que dans l'article dont il s'agit, le Corps légiſlatif ſemble ne ſe réſerver que de re- quérir le Pouvoir exécutif de négocier la paix:: mais dans le langage de l'Aſſemblée, requérir veut dire ordonner, puiſqu'au même moment il eſt dit que le Pouvoir exécutif ſera tenu de déférer à cette réquiſition. La contradiction n'eſt pas ſeulement dans les mots; elle eſt bien plus remarquable entre le commencement & la fin du décret. Il commence par déclarer que le Roi peut ſeul entretenir les relations politiques au dehors, & conduire les négo- ciations ; & il finit par attribuer au Corps légif- latif la déciſion du moment où il faudra négocier la paix. Mais, s'écrie avec raiſon M. de Mirabeau, qui connoîtra le moment de faire la paix, fi ce n'eſt celui qui tient le fil de toutes les relations poli- tiques ?..... Découvrirez-vous par des diſcuſſions publiques I 1 1 [ 184 ] pirbliques les motifs ſecrets qui vous porterònt à faire la paix ? Donnerez-vous ainſi la meſure de votre force ou de votre foibleſſe?.... C'eſt donc au Pouvoir exécutif à choiſir le moment convenable pour une né- gociation, à la préparer en ſilence; à la conduire avec babileté.... 1 A la vérité, celui qui s'exprime ainſi, ajoute, immédiatement après, que c'eſt au Pouvoir légiſlatif à le requérir de s'occuper fans relâche de cet objet. important. Mais il n'avoit pas prévu qu'en adop- tant cette partie de ſon avis, qui ne conſiſtoit qu'à laiſſer à l'Aſſemblée la faculté de requérir le Mo- narque, on y ajouteroit que le Monarque ſeroit tenu de déférer à la réquiſition; ce qui ne peut ſe concilier ni avec le choix du moment favorable pour négocier, ni avec la poſſibilité de négocier utilement, étant évident qu'un Roi qu'on ſait être furcé de faire la paix, ne peut que la faire défa- vantageuſe. En forte qu'en ôtant au Roi le droit de faire la guerre ou la paix au moment qu'il le juge convenable, on le réduit à ne pouvoir faire bien, ni l'une ni l'autre. Voyons maintenant quelles raiſons ont été em ployées pour entraîner ceux qui, loin d'avoir ap- perçu le vice & les ſuites de cette étrange réfo- lution, ont cru, en l'adoptant, procéder fort régu- lièrement à une diſpoſition conſtitutionnelle infini-. inent falutaire P A i . 1 ['138 ' ។ * On leur a dit: La Nation doit ſeule prononcer fur les intérêts; la Nation ſeule a droit de diſpoſer de Son Jang. Et-il juffe qu'un homme, trompé par quelques Miniſtres, puiſſe engager tout un peuple dans les dangers, d'une guerre; qu'il puiſe, par de frivoles motifs, dévouer cent mille citoyens à la mort, porter le deuil dans cent mille familles,' accabler'une Nation d'impôts pour ſubvenir aux frais de ſes funeſtes expéditions ?... ... Le droit de déclarer la guerre eſt le droit d'exprimer une volonté générale, de former une réſolution publique, de décider d'un grand intérêt , national: un tel droit ne peut appar- tenir qu'ayx Repréſentans de la Nation, 1 1 . C'eſt en fubſtance ce qu'on a dit de plus fort pour perſuader que le droit national & l'intérêt national s'oppofoient également à ce qu'on laiſsât ay Roi cette partie eſſentielle de la prérogative mo- narchique qui conſiſte dans le pouvoir de faire la guerre & la paix. Mais on retrouve encore ici les mêmes fophiſmes ſur le droit, & les mêmes illuſions ſur l'intérêt, qui ont produit tant d'autres erreurs. i Sophiſmes ſur le point de droit, en ce que d'un côté on ne ceſſe de confondre le Corps légiſlatif avec la Nation, & la délégation du droit avec le droit lui-même; & que d'un autre côté on fait perdre de vue que le Monarque eſt auſſi un repré- fentant de la volonté générale ; qu'ainſi les conſé- quences qu’on tire de ce caractère, lui font appli- ! a [ 189 1 cables de même qu'au · Corps légiſlatif; & que toutes les fois qu'il s'agit de régler leurs fonctions reſpectives, ou de fixer leurs limites, la queſtion n'eſt qu'entre le délégué héréditaire de la Nation & ſes délégués amovibles ; qu'alors la ſouveraineté nationale eſt juge & non partie, & que le principe qui rapporte au peuple entier toutes les réſolutions publiques, toutes les volontés générales, tous les intérêts communsj. ne milite: pas plus en faveur de l'Aſſemblée qui exerce la: puiſſance légiſlative; qu'en faveur du Chef fuprême qui exerce la puiſ- ſance exécutrice; mais que ce principe étant égale- ment la ſource des deux pouvoirs, tient la bai lance entre eux ; & que s'il y a des doutes ſur la diſtribution des attributs, appartenans à l'un ou à l'autre, ce n'eſt que par l'utilité générale qu'ils peuvent ſe réſoudre. + : Or, que l'on conſulte l'utilité générale ſur cette queſtion, ſi c'eſt à la puiſſance qui agit, ou à celle qui délibère, au Monarque dépoſitaire de toutes les forces du royaume pour le défendre, ou à l'AR- ſemblée chargée de faire des loix pour le réglers que doit être confiée la fonction de faire la guerre ou la paix ? La déciſion eſt évidente; car c'eſt comme ſi l'on demandoit fi cette fonction exige de la promptitude dans les réſolutions, du fecours dans les préparatifs, de la force dans les moyens, de l'activité dans tout ce qui en dépend, & s'il convient de la déléguer à un corps incapable par La nature, de remplir toutes ces conditions ? On P2 [ 190 ] 1 à cependant perſuadé au peuple, & par ſon in- fluence terrifique on a forcé la majeure partie de l'Allemblée à paroître croire, que l'Etat-feroit plus en ſureté quand le Chef de l'Etat ne feroit plus l'arbitre de fa défenfe extérieure, & fon repréſen- tant vis-à-vis des Puiſſances étrangères. 1 Pour faire adopter cette biſarre opinion, de vé. hémens orateurs on appelé en témoignage l'hiſ- toire de tous les gouvernemens monarchiques; & les cruels abus que les Rois ont fait, dans tous les tems, de ce terrible droit de glaive placé entre leurs mains. Ils ont fait voir dės fots de ſang ré: pandus pour ſatisfaire la vanité d'un Monarque ambitieux, ou les vues intéreſſées d'un odieux Miniſtre ; ils ont retracé, dans leurs effrayans ta: bleaux, les plaies du genre humain facrifié depuis long-tems aux caprices des Souverains; aucun des lieux communs ſur le fléau de la guerre n'a échappé à leur pinceau: & comme ſi ces horreurs n'avoient jamais, frappé que les régions inonar- chiques, ils ont. tiré le rideau fur ce qui eſt arrivé dans les autres gouvernemens, & ſemblent avoir arraché de l'hiſtoire tous les feuillets enfanglantés par les guerres des républiques & des oligarchies. On diroit, à les en croire, que le võeu de la mul- titude eſt toujours le veu de la raiſon, & que l'ivreſſe de l'enthouſiaſme, la fougue des paſſions, la corruption de l'argent, & l'aveuglement des élans précipités, ont moins d'accès dans une Aſſemblée de 800 perſonnes, que dans un Conſeil de 7 à 8. [191] C'eſt-là ce que j'appelle des illuſions. Elles n'ont pas ſéduit ceux qui tiennent aux principes effentiels d'un bon gouvernement, & qui les con- noiffent. Parmi les Membres de l'Affemblée les plus diſtingués par leur eſprit, par leurs ſentimens, par leur éloquence, pluſieurs ont réfuté victo- rieuſement & les ſophiſmes ſur le droit de guerre, & les déclamations ſur la prétendue 'utilité d'en dépouiller le Roi. 1 Dès que ce droit doit être confié à quelqu'un, dit M. de Clermont-Tonnerre, ne vaut-il pas mieux le confier, sous la clauſe de la reſponſabilité, à quelques hommes que des loix antérieures- enchai- nent, que de le confier à un grand nombre d'hommes, qu'aucune reſponſabilité, qu'aucune loi ne retient ? Vaut-il mieux le confier, ſans condition, à ceux qui en uferont arbitrairement, que de le confier, à des conditions ftri&tes & connues, à ceux qui répon- dront de ſon ufage ? La déciſion de cette queſ- tion ſe trouve écrite dans les annales de toutes les nations : & l'on peut citer, avec M. de Clermont, les brigandages politiques, exercées par la Sénat Romains les revers qu’ont éprouvés toutes les Puiffances chez qui le droit de paix & de guerre a été confié à une Aſſemblée délibérante en public; le peuple d'Athènes entrainé par les ora- teurs de Philippe, malgré les repréſentations de Démothène; l'influence des intrigues ou des in- finuations étrangères dans les Diètes Polonoiſes & dans le Sénat de Suède. i 7 } P3 [: 192 ].! 1 - Si le droit de la guerre est placé dans la main du Roi, dit l'Abbé de Monteſquiou, il eſt impoſſible qu'avant de l'exercer il n'enviſage pas tous les mauž de la guerre, qu'il ne voie pas la malédiétion. des.: peuples s'élever contre lui. Si au contraire on: l’asar tribue à l'Aſſemblée Nationale, rien ne lui fera plus facile que d'engager une guerre, ſans en avoir jamais L'odieux. A l'appui de cette vérité, l'Honorable Membre obſerve judicieuſement que le Roi Guil- laume, en Angleterre où il avoit le droit excluſif de faire la guerre, conſultoit le Parlement avant de l'entreprendre; tandis qu'il n'héſitoit pas à la déci- der en Hollande où: le droit appartenoit à une Af: ſemblée repréſentative, qu'il avoit ſubjuguée. Avec quelle force de raiſons l'Abbé Maury n'a- t-il pas démontré que la France ne feroit plus une. monarchie, qu’on. en. feroit: 'un gouvernement monf=. frueux qui n'auroit plus de nom, fi l'on, oſoit dé- pouiller le Roi d'un droit inhérent à fa couronne depuis 14 ſiècles, d'un droit qu'il ne fauroit perdre fans voir auſſitôt évanouir dans les mains la préro- gative. la plus eſſentielle du pouvoirs exécutif......, d'un droit que l'Aſſemblée n'étoit pas autoriſée da conteſter, puiſque, chargée par la Nation de faire reconnoître les: anciens droits conſtitutionnels des Fran. çois; elle n'en avoit pas reçu des pleins pouvoirs pour changer & bouleverſer, è fon gré, la forme du gouvernementik..... Que l'on cite dans l'hiſtoire du monde un feul Etat vraiment monarchique, où le Monarque n’exerce pas, ſans contradi&tion & Fans partage, le droit de la guerre & de la paix...... 1 ! 1 . ( 193 ) Les Anglois eux-mêmes," qui ont fait la part de leur Roi; ſans aucune réſiſtance, puiſque le Trône étoit déclaré vacant au moment de la révolution de 1688, les Anglois n'ont jamais imaginé de limiter, entre les mains du Monarque, le droit de déclarer la guerre, de faire la paix, & de contraEter tous les traités d'ala liance ou de commerce qu'il juge utiles à la Nation. L'éloquent Abbé, portant enſuite le flambeau d'une diſcuſion lumineuſe ſur toutes les époques de la Monarchie, a diſlipé les doutes qu’on avoit eſſayé d'élever ſur la légitimité de la poffeflion ancienne & non-interrompue de nos Rois par rapport à ce droit. On avoit oppoſé un feul fait : la manière dont il l'a réfuté eſt fi remarquable, que je crois . devoir la rapporter ici littéralement. 1 + Cleft à regret, dit-il, que je ne vois contraint, par la néceſſité d'une jufe défenſe, à fixer vos regards ſur une époque déſaſtreuſe, que tout bon François voudroit pouvoir effacer de nos annales. . Je parle des Etats-généraux qui furent aſſemblés en 1356, immédiatement après la honteuſe défaite de Mauper- tuis, près de Poitiers. Cette aſſemblée nationale, ou . plutôt cette grande conjuration, dirigée par Etienne Marcel, prévót de Paris, entreprit d'interdire qų · Dauphin, régent du royaume, la déciſion de la guerre & de la paix. Vous vous souvenez, Meſheurs, de l'état déplorable où ſe trouvoit clors notre malheu- reufe patrie. Ce brigand.populaire, Marcel, s'em-' para des impôts; il fit mafcucrer, dans le palais du. Roi, les plus fidèles ſerviteurs; il trompa le peuple par les maximes . les plus ſéditieuſes : la Nobleſſe. .. P 4 [ 194 ) . étoit égorgée dans tout le royaume; .on incendioit les châteaux : c'étoit en quelque forte, un crime digne de mort que d'être riche, & les propriétés les plus fa- crées étoient envahies ou méconnues. Tous les Ma- giftrats royaliſtes étoient deſtitués. Les conjurés, vou- lant établir en France une démocratie royale, avoient envahi tous les pouvoirs du Roi. L'armée étoit par- tout en défection. Le parti des factieux, attaché à Charles le Mauvais, ſe propoſoit d'élever ſur le trône un prince d'une branche collatéralé, un prince qui fut convaincu d'avoir tramé le plus noir des complots, pour anéantir toute la famille royale. Un ſignat public de révolte ſervoit de honteux ornement à cette multitude de conjurés. Le Prévớt de Paris avoit livré aux Anglois & aux Navarrois la porte de St. Antoine. Le Roi Jean'étoit alors en captivité à Londres : le Régent étoit mineur. Ce fut dans ces malheureuſes circonſtances que ces Etats ſi coupables, Je prévalant de la captivité du Monarque & de la aninorité du Régent, depuis le célèbre ſous le nom de Charles V, conteſtèrent au Roi le droit de décider de la guerre & de la paix .... Mais bientôt la Nation Françoiſe, rentrée dans ſon caractère, repouſa & ex- termina, comme des ennemis publics, ces inſenſés qui avoient voulu ſubſtituer les principes de la démocratie, c'eſt-à-dire une infurretion générale, à l'ancien gou- vernement du royaume. Les Etats de 1359 recon- nurent formellement le droit qui appartient aui Roig de faire la guerre & la paix ; & quand ils refusèrent d'adhérer au traité conclu entre Fean & Edouard, ils n'alléguèrent aucun autre prétexte d'oppoſition, que le défaut de liberté du Roi: Vaild, Meffreurs, more . 1 3 [ 19.5. ] l'époque d'horreur & de carnage où nos pères-virént naître, pour la première fois, les étranges ſyſtèmes que l'on renouvelle aujourd'hui dans cette Affemblée. Je doute qu'un pareil rapprochement, auquel nous Jonimes forcés de ramener nos adverſaires, puiſqu'ils ont ofé ſe prévaloir d'un exemple fi révoltant, ſoit bien propre à leur attirer aujourd'hui la confiance de la Nation." ; 0 Il eſt donc prouvé par toutes les maximés fonda- mentales du gouvernement François, que le droit de déclarer la guerre appartient au Roi. Il eſt donc prouvé que' le Roi ceſe d’étre Roi, fi cette prérogative tui eſt enlevée, s'il n'eſt pas le ſeul repréſentant de la Nation auprès des étrangers; ou du moins, l'on con- viendra ſans doute, qu'un pareil fantôme de Roi ne ſeroit plus le Monarque des François. t L'Abbé Maury n'eſt pas moins convaincant lorſque, paſſant du point de droit à l'examen de l'incérêt national, il demande à l’Affemblée com- ment elle s'inquiète de la délégation d'un droit dont l'exercice, & à plus forte raiſon l'abus, eſt impoſible, ſans le ſecours des moyens dont elle feule peut diſpoſer; & comment elle pourroit ré- pondre de la fureté de la Nation, fi; après avoir-ré- fervé au Corps légiſlatif le conſentement de l'impót, elle lui déléguoit encore le droit de la guerre & de la paix..., comment ce corps, affranchi de toute reſponfa. bilité, livré à l'aſcendant de l'éloquence, aux ſéduétions de l'or, aux imenaces d'un peuple égaré, & fur-tout aux preniers mouvemens d’un patriotiſme irréfléchi, 1 (196) 1 pourroit inſpirer à la Nation autant de confiance qu'un Roi citoyen, dont les intérêts ſont inſéparables de la proſpérité publique...., & comment, lorſqu'il faut qu'il n'y ait, pas un ſeul jour de l'année où cette pre- mière ſentinelle de l'Etat n'ait pas les yeux ouverts ſur tous les mouvemens de l'Europe, des aſſemblées permènentes à la vérité, mais qui déſormais ſeront réunies pendant quatre mois de l'année seulementy pour exercer leurs fonctions, pourroient avoir cette inéme continuité de vigilance qui embraſe l'enſemble des diſpoſitions; des projets, des moyens de toutes les. Cours...... cette promptitude de réſolutions, ſans la- quelle le premier, des avantages politiques; l'art de profiter du moment, 'ne ſauroit exiſter, & cette pos- fibilité de ſecret fans laquelle les deſſeins de la France & les préparatifs ſeroient ſans ceſſe à découvert vis- à-vis des cutres nations, qui lui cacheroient les leurs Joigneuſement ? Les imêmes conſidérations ſe trouvent dévelop- pées dans l'opinion de M. de Mirabeau, avec toute l'énergie oratoire qui lui appartient. Je vous le : demande à vous-mêmes, diſoit-il à ſes collègues, ſera- t-on vieux aſſuré de n'avoir que des guerres juſtes, fi cir délègue excluſivement à une aſſemblée de 700 per- sonnes, l'exercice du droit de faire la guerre? Avez- VOLS prévu juſqu'où les inouvemens paſſionnés, juf- qu'où l'exaltation du courage & d'une fauſſe dignité pourroient porter & juſtifier l'imprudence?.... Voyez les' aſſemblées politiques; c'eſt toujours ſous le charme, de la paſſion qu'elles ont décrété la guerre.... Si vous Laiſez cụ Corps légiſatif le droit excluff de. ftatuer, I 1 1 1 [ 1972 ] Jur. la guerre, éviterez-vous le danger de la lenteur: des délibérations ſur une telle matière ? Ne crai- gnez-vous pas que votre force publique ne ſoit paro-, liſée comme elle l'eft en Pologne, en Hollande, &C... Ne craignez-vous pas que cette lenteur n'augmente encore, ſoit parce que notre Conſtitution prend in- ſenſiblement les formes d'une grande Confédération (PAROLES PROPHÉTIQUES TRÈS REMARQUABLES), ſoit parce qu'il eſt 'inévitable que les départemens n'acquièrent une grande influence ſur le corps légif- latif? Ne craignez-vous pas que le peuple, étant inſtruit que ses repréſentans déclarent la guerre, en Son 110m, ne reçoivent per cela même une impulſion dangereuſe vers la démocratie, ou plutôt l'oligar- chie ; que le vau de la guerre & de la paix ne porte die feir des provinces, ne soit compris bientôt dans les pétitions, & ne donne à une grande maſſe d'hommes toute l'agitation que'un objet auſſi important eſt cape- ble d'exciter? Ne craignez-vous pas que le Corps légilatif ne ſoit porté à franchir lui-même les limi- tes de ses pouvoirs, par les fuites preſque inévitables qu'entraîne l'exercice du droit de la guerre & de la paix ? Ne craignez vous. pas que, pour ſeconder les ſuccès d'une guerre qu'il aura votée, il ne veuille influer ſur la direction, ſur le choix des Généraux, Jur-tout s'il peut leur imputer des revers, & qu'il ne porte ſur toutes les démarches du Monarque cette ſur- veillance inquiète qui ſeroit, par le fait, un ſecond pouvoir exécutif? 1 Ne comptez-vous encore pour rien l'inconvénient d'une aſſemblée obligée de se raſſembler dans le tems I [ 198 ] 1 qu'il faudroit employer à délibérer ; l'incertitude, l’béſitation, qui accompagneront toutes les démarches du pouvoir exécutif, qui ne ſaura jamais juſqu'où les ordres proviſoires pourront s'étendré ; les incon- véniens même d'une délibération publique ſur les motifs de faire la guerre ou la paix ; délibération dont tous les ſecrets d'un Etat (& long-tems nous au- Tons de pareils ſecrets) sont ſouvent les élémens ? Enfin, ne comptez-vous pour rien le danger de tranſ- porter les formes républicaines, à un gouvernement qui eft tout à la fois repréſentatif & monarchique? Je vous prie de conſidérer ce danger par rapport à notre Conſtitution, à nous-mêmes, & au Roi. On ne pouvoit dire mieux, ni avec plus de vé rité, tout ce qui conduiſoit néceſſairement à con- clure que le droit de guerre & de paix devoit être laiſſé au Roi : & cependant, telle n'a pas été la concluſion de l'opinant; elle n'a pas été non plus la même que celle adoptée par l'Aſemblée. Sui- vant lui, le Roi auroit eu l'exercice proviſoire du droit; fuivant lui, le fait pouvoit précéder l'exa- men ; & c'étoit fans retarder aucune meſure ur- gente, qu'il eût été réſervé au Corps légiſlatif d'ap- prouver ou d'improuver la guerre, d'accorder ou de refuſer les fonds extraordinaires, de requérir mais non d'exiger la négociation de la paix, de pourſuivre les Miniſtres en cas d'hoſtilités entre- priſes fans néceſſité, & d'ajouter la ſanction na- tionale aux traités de paix conclus avec juſtice & avec raiſon. Je ne connois, diſoit M. de Mirabeau, A ( 199 ) 1 que ce moyen de faire concourir utilement le Corps légiſlatif à l'exercice du droit de la guerre & de la paix. Quelque défectueux, quelque rempli de difficultés que fût ce projet de concours, qui en féparant dans le même pouvoir l'action, de la volonté, les énervoit toutes deux, il évitoit du moins une partie des inconvéniens pernicieux aux- quels l'a Nation eſt expoſée par le décret qui, n'autoriſant: aucun acte hoftile, même défenſif, fans délibération préalable de l'Aſſemblée, en- chaîne entièrement le Pouvoir exécutif. Lorr- qu'on voit, qu'après l'émiſſion, ou plutôt l'ex- torſion de ce décret, M. de Mirabeau s'eſt efforcé d'en faire ſon propre avis, & qu'il eſt devenu l'adhérent pufillanime du fyftême qu'il avoit d'abord réfuté vigoureuſement, ne ſe rappelle-t-on pas ce vers d'Horace: Video meliora proboque, deteriora fequor ? Ne peut-on pas mêine l'ap- pliquer auſſi à la plus grande partie de l'Affen- blée, ſur qui l'on fait combien les attroupemens des Thuileries, & les cris de la galerie, ont fait d'impreſſion dans cette journée du 22, dont toutes les circonſtances ſont autant de preuves ſenſibles du danger de ſoumettre le droit de guerre ou de paix à de telles délibérations, & de l'impoſſibilité qu'une Aſſemblée conſtituée comme l'eſt celle-là, entourée comme elle eſt, diviſée comme elle eſt, & livrée comme elle eſt aux influences les plus contraires au bien, puiſſe former une conftitution aſſez mûrement combinée, pour être définitive & invariable 3 . - . : ( 200 ) 1 Les mêmes influences turbulentes, les mêmes élans convulſifs, la même prépondérance des avis extrêmes & violens, ſur les avis ſages & modérés, ſe font fait remarquer dans les autres occaſions, où les décrets de l’Afeinblée font pareillement contraires aux cahiers nationaux. Je viens de viens de prou- ver, avec beaucoup d'étendue, combien ils leur font oppoſés en ce qui concerne la forme du gou- vernement; il ne faudra pas autant de diſcuſſions pour établir les autres contrariétés que j'ai .annoncé exiſter entre eux; ſur les bafes de la Conſtitution. 2º. Les Décrets de l’Aſemblée sont contraires aux Cahiers, en ce qui concerne la ſureté publique & :: la liberté individuelle. i . Je ne rapporterai aucun texte des cahiers, pour conſtater qu'ils tendent tous a mettre la ſureté & la liberté à l'abri de toute atteinte : c'eſt une vé- rité que perſonne n'a envie de conteſter. Je ne prétends pas non plus citer aucun décret qui contrediſe formellement & expreſſément le væu d'une liberté aſſurée & inviolable, qu'on a eu très-grand ſoin au contraire de montrer ſans ceſſe au peuple comme le but fortuné de tout ce qu'on entreprenoit, & qu'on a fait ſervir de cri de rallie- ment à la révolution. Mais je foutiens que, malgré l'affectation de faire fonner fi haut, & de rapporter avec autant d'ein- phaſe, à la nouvelle conſtitution, le recouvrement 4 1 ! 1 [ 201 ] de la liberté politique & civile, jamais elle n'a été plus violée ſous ce double rapport que depuis ſon prétendu rétabliſſement, & qu'elle ne peut être plus compromiſe qu'elle l'eſt par les principes que nos légiſlateurs modernes ont introduits. ! 1 Veut: on ſavoir quels ſont les décrets de l’Affem- blée Nationale' qui renferinent ces principes def- tructifs: de la liberté, & productifs de tous les genres d'oppreſſion, que la France éprouve depuis qu'on lui dit qu'elle eſt régénérée, & que:25: millions d'habitans, qui s'étoient endormis eſclaves, se ſont réveillési libres? Ces décrets, ce font ceux qui, par le dogme chimérique & anti-focial d'une égalité indéfinie, ont déſordonné toutes les têtes, ouvert toutes les portes à la licence, & livré le royaume à tous les excès du fanatilime populaire. Ce ſont ceux qui, n'ayant poſé entre les dif- férens pouvoirs, que des limites dépendantes de çeux même qui ont le plus d'intérêt à les fran- chir, & ayant anéanti les ſeuls moyens de tenir ces pouvoirs en équilibre, ont par-là préparé.& introduit, au fein même de la Conſtitution, le danger. du deſpotiſıne oligarchique & de l'affer viffeinent national. . : Ce ſont ceux qui, dans le fait, ont bientôt après réaliſé ce danger, lorſque, fous prétexte d'organiſer 1 202 1 i ز les pouvoirs eſſentiellement diſtincts, le Corps 16- giſlatif les a tous concentrés en lui-même; lorſqu'il a uſurpé ſur le Pouvoir exécutif, la diſpoſition des forces militaires (1), & tous les genres de fonctions adıniniſtratives (2); lorſqu'il a envalii ſur le pou- voir judiciare, l'examen des accuſations, le règle- ment ou la fufpenſion des procédures, quelquefois leur anéantiſſement, & l'option de prononcer lui- même des deſtitutions, des interdictions, des blâmes, ou de renvoyer le jugement à qui il trouvoit bon de l'attribuer (3) ; & lorſqu'il a ainſi cumulé confuſément 1 (1) On citeroit au beſoin les décrets qui ont décidé que des troupes de ligne ſeroient ou ne ſeroient pas envoyées, qu'elles ſe retireroient ou reſteroient. On n'a pas même laiſſé au Roi le droit de faire les règlemens militaires pour les armées de terre & de mer. (2) Il ne s'agit pas de déſigner ſur quelle partie de l'admi. niftration l'Aſſemblée a empiété ; il faudroit plutôt chercher s'il en eſt une ſeule dont elle ne fe foit pas emparée. Les Miniſtres ne ſont plus que des commis ſubalternes de l'Aſſemblée, & leur reſponſabilité fe perd dans leur néant. Ils ne ſont plus que ce qa'on leur permet ou preſcrit; car requérir & preſcrire ne font plus qu'une même choſe. (3) On a vu plus d'une fois l’Aſſemblée ſe faire envoyer des informations, arrêter le cours des inſtructions, caffer des décrets; on l'a vu en dernier lieu annuller le procès criminel que la Cour des Aides faiſoit aux incendiaires des barrières, & mettre en liberté les coupables décrétés de priſe de corps. Si le Roi eût fait telle choſe quand tous les pouvoirs étoient réunis dans fa main, on eût crié à la tyrannie, au bouleverſeinent des loix, & de l'ordre judiciaire. Aujourd'hui qu'on a diviſé les pou. voirs, & que l'Aſſemblée a reconnu la néceſſité d'en l'éparer l'exercice, que doit-on penſer d'une telle conduite ! i P 1 [ 203 ] confuſément toutes les délégations de la ſouverai- neté, ce qui eſt le propre de la tyrannie. Ce ſont ceux qui, par l'établiſſement d'une garde nationale, inonſtrueuſement exceſſive, ont mis la force entre les mains de ceux qui doivent obéir, & l'ont ôtée à ceux qui doivent commander ; qui, en armant le peuple, & populariſant l'armée, ont produit les inſurrections de l'un & l'indiſcipline de l'autre, en même tems que l'excluſion de tout moyen d'en réprimer les ſuites ; & qui, détruiſant tous les · reſſorts du gouvernement, toute l'acti- vité du pouvoir exécutif, ont rendu l'ordre public impoſſible, le brigandage effréné, & le crime im- puniſſable. Ce cont ceux qui ont pareillement énervé le pouvoir judiciaire, par la ſuppreſſion ſans rempla- cement, des grands corps de magiſtrature, ſeuls ca- pables d'arrêter les excès de la multitude, par une autorité impoſante & par la majeſté des juge- mens. - Ce ſont en général, tous ceux qui ont avili le Trône & dégradé la prérogative royale., fans laquelle il ne peut y avoir, dans une rnonarchię, ni fureté ni liberté. Ce ſont en particulier, ceux qui ont inſtitué ces Comités d'inquiſition dont le nom ſeul annonce l'eſclavage. 1 Q . ; + ! [ 204' ] 3 Ceux qui, à l'abus des commiſſions extraor- dinaires que de tout tems on a regardées comme les plus odieux inſtrumens du deſpotiſme, ont encore joint la pourſuite du crime arbitraire & juſqu'à préſent inoui, de lèſe-nation. Ceux qui ont autoriſé l'infraction continuelle du ſecret des lettres. Ceux qui ont aggravé l'importunité des paſſe- ports, en permettant que, ſous les plus vains pré- textes, & en conſéquence des plus viles délations, les voyageurs foient tourmentés par des perquiſi- tions vexatoires. Ceux qui ont anéanti, juſques dans l'Aſſemblée même, la liberté d'opiner, ſoit en interceptant la parole par des clôtures précipitées des délibéra- tions, ſoit en refuſant de délibérer ſur les plaintes de Députés, qui, pour avoir dit leur avis ſuivant leur honneur & conſcience, avoient été outragés, maltraités, aſſillis par une populace avide de. trema per les mains dans leur ſang. Ceux qui ont puni des milliers de citoyens, & des municipalités de villes conſidérables, pour avoir adrefré à l'Aſſemblée des pétitions qui, en termes fort reſpectueux, témoignoient des alarmes pour la religion, des ſoupirs, pour le rétabliffement de l'autorité royale, des voeux pour la réviſion des décrets contraires aux cahiers, & réputés nuiſibles 2 [ 205 ) à la tranquillité publique, au bien de l'Etat, à l'affermiſſement même de la Conſtitution. (1) 1 + Ceux qui ont qualifié de patriotiſme l'audace des envoyés de quelques autres villes, lorſqu'au ſein même de l'Aſſemblée ils ont ſignalé trois cents de ſes inembres comme traîtres à la patrie, & ont dé- claré qu'ils vouoient à l'exécration & à l'infamie ceux qui ofoient faire entendre des réclamations. (2) 1 1 Tous ceux enfin qui, par des énonciations appro- batives, ou par déni de juſtice, ont connivé aux actes tortionnaires commis, tantôt par les munici- palités, tantôt par les gardes bourgeoiſes, & ont favoriſé l'abus criant de tant d'arreſtations extra- judiciaires, toujours vainement dénoncées, jamais ſuivies de punition. (1) Voyez à ce ſujet la note très importante qu'à cauſe de ſa longueur j'ai renvoyée parmi celles qui ſont à la ſuite de cet écrit. 1 (2) Ce ſont les propres termes dont s'eſt ſervi le Député du département dont Verſailles et le chef lieu, dans la ſéance du 25 Juin dernier ; & malgré l'éclat que fit alors le côté droit de l'Aſſemblée, pour obtenir juſtice d'un tel outrage, ce Député a continué ſa harangue, après laquelle le Préſident lui a dit que l'Aſſemblée étoit ſenſible aux expreſions de son patriotiſme. Q2 [ 206 1 . les ca- Qu'importe que ce ſoit en vertu de décrets for mels, ou ſeulement par l'effet des opérations lé- giſlatives de l'Aſſemblée, qu'on attente ainſi à la liberté publique & individuelle votée par hiers ? Eſt-il injuſte d'attribuer à la révolution ce qui en eſt la ſuite ? Ce qui ſe fait impunément quand l'Aſſemblée eſt toute-puiſſante, n'eſt-il pas le fait de l'Aſſemblée elle-même ? Peut-on féparer les effets de leur cauſe; & peut-on douter de la cauſe, quand les effets font répétés, ſont généraux, ſont perſévérans & continuels ? Or, peuvent-ils l'être davantage ? Peut-on diſconvenir que depuis un an, d'un bout de la France à l'autre, & même au-delà des mers qui en bornent la domination, des troupes d'eſpions ſtipendiés, & d'émiffaires fourniſſeurs du Comité des recherches, ne s'atta- chent aux pas de quiconque eſt ſoupçonné de ne pas penſer comme la majorité de l’Afſemblée; que ces ſatellites de la tyrannie n'obsèdent juſqu'à l'intérieur des foyers ; qu'ils ne corrompent les domeſtiques, qu'ils ne prodiguent l'or pour ſéduire les dépoſitaires de la plus intime confiance, & qu'ils ne raſſemblent ainſi d'infâmes matériaux de dénon- ciations, les forgeant même, quand ils leur man- quent, au gré de leur perverſe imagination ? Si on le nioit, j'en rapporterois des preuves qui feroient rougir plus d'une perſonne. N'eſt-il pas également notoire qu'en aucun tems, fans excepter même les époques les plus char- gées du reproche de deſpotiſme, il n'y a eu ni ! [ 207 ] autant d'empriſonnemens illégaux que depuis un an (1), ni autant d'attentats contre la ſureté indi- viduelle ? Retracerai-je pour quiconque en dou- teroit, cette ſuite abominable de violences, de maſſacres, d'exécutions inhumaines, dont le fou- venir glace les ſens, & fait frémir tout coeur hon- nête ? Prendrai-je à témoins les mânes de tant de citoyens reſpectables, de tout rang, de tout état, que la rage populaire a immolés? Redirai-je par quels forfaits l'aſile même de nos Rois a été violé, les Majeſtés Royales outragées, leurs perſonnes au- guſtes indignement entraînées par une horde fu- rieuſe, qui dans ſon retour triomphale portoit en trophées, les têtes ſanglantes de leurs gardes égor- gés au pied du trône ?-Il vaut mieux ſans doute détourner les yeux de ces ſcènes d'horreurs dont la mémoire déshonoreroit la Nation, ſi la Nation de- voit ſe confondre avec ces débordemens de brigands qui vendent leurs excès à des intrigans plus ſcé- lérats qu'eux, fi on pouvoit la reconnoître dans une multitude égarée, qu'on provoque au déſeſpoir par des ſuppoſitions continuelles de complots anti-po- pulaires, meurtriers, & menaçans pour la France entière; parmi leſquels néanmoins il ne s'en eſt pas trouvé un ſeul qui pût être conſtaté, pas un qui ait dû paroître digne de l'attention qu'on a affecté d'y donner ; pas un enfin qui n'ait été le prétexte ou l'excuſe d'une vexation, & qui n'ait eu pour I (1) Voyez, parmi les notes rejetées à la fin de l'ouvrage, celle qui ſe rapporte à cet article des empriſonnemens. consen Q3 [ 208 ] principal objet, d'inſpirer au peuple des terreurs paniques, des ſentimens de vengeance, & une ani- mofité ſanguinaire (2). Pourquoi ſurchargerions- nous cet écrit de récits affligeans, dont les princi- paux traits, quelque artifice qu'on ait employé pour (2) Grand complot' ſanguinaire de l'armée du Roi, contre les habitans de Paris ; accuſation du Maréchal de Broglie, & procès du Baron de Bezenval, l’un & l'autre reconnus innocens. Complot pour l'évaſion du Roi ; & procédure contre le Sr. Augeard, renvoyé abfous. Complot pour livrer Breſt aux Anglois, chimère abſurde dans laquelle quelques écrivains ont voulu m'impliquer. Complot de contre-révolution par M. de Favras, lequel a été ſupplicié, quoique non coupable. Complot de M. de Voiſin, fans autre indice qu’une lettre trouvée ou miſe dans ſa poche, après qu'il eut été indignement maffacré. Complot du Marquis de Lautrec, décrété ſur la foi des déla- tions les plus abſurdes. Complot d'Ariſtocrates, ayant dans Avignon, leur foyer imaginaire, prétexte d'un maſſacre affreux, qui continue. Complot parlementaire, & atrocité attribuée à un Conſeiller de Bezançon, diſculpé, mais non vengé de la calomnie. Complot dy Clergé de Languedoc, qui ne conſiſte qu'en pétitions reſpectueuſes des Catholiques. Complot des Nobles, aboutiſſant à faire eux-mêmes rava, ger leurs poffeffions, & brûler leurs châteaux, pour le plaiſir de calomnier le peuple. Complot du Comte de Maillebois, dans lequel on implique un Miniſtre d'Etat, qui défie de trouver le moindre fondement à la dénonciation. Combien d'autres complots ſemblables ont ſervi d'alimens aux inſurrections! Combien en reſte-t-il dans les cartons dų Comité des recherches ! & combien n'y en aura-t-il pas encore, tant que le moyen, tout uſe" qu'il eſt, conſervera la force incendiaire ! / A [209] en adoucir l'atrocité, ſeront long-tems préſens à tous les eſprits, & dont malheureuſement les exemples ſe renouvellent encore tous les jours (3). Tâchons, tâchons plutôt de les effacer de nos annales ; bor- nons-nous à en faire connoître le principe, pour en prévenir le retour; & renfermons-nous dans cette concluſion inconteſtable, qu'on abuſe cruellement du mot de Liberté ; qu'on a très-inutilement armé, très-injuſtement enflammé le peuple pour elle, au moment même que tous les avantages lui en étoient aſſurés par le Souverain le moins jaloux de fon pouvoir ; qu'on a voulu faire reconquérir cette liberté aux François par des fureurs, lorſqu'ils l'obtenoient ſans effort par la bienfaiſance de leur Roi; & qu'on ſe vante aujourd'hui de l'avoir rendue à la Nation, tandis qu'elle n'exiſte nulle part. ! 1 1 1 (3) Les affaflinats des. Rulli & des Voiſin ne ſont pas les derniers de ceux qui ont mis en deuil des familles reſpec- tables. L'horrible fort du Marquis de Rochegude, du Mar- quis de St. Aulan, de l'Abbé Offray, & de tant d'autres, immolés dans Avignon, par l'effet de ce que les étrangers appellent à préſent le mal François, fouille encore en ce ino- ment les nouvelles publiques. Le premier de ce mois, M. de Clermont-Tonnerre informoit l'Aſſemblée qu'à Ris un vieil- lard de 74 ans venoit d'être inhumainement maſſacré par la populace, & cing perſonnes grièvement bleſſées. Plus récem- ment encore, on vient d'apprendre l'aſſaſſinat du Préſident d'Albertas, commis le jour même de la Fédération générale, & pendant qu'il la fêtoit dans ſon château. Le même jour 14, | le Sr. Fournier, Officier des eaux & forêts,' a été lapidé à Claix en Dauphiné. La plume ſe refuſe à retracer tant de barbaries. 24 [210] Elle n'exiſte pas dans le Chef de la Nation, ré- duit à ne vouloir que ce que l'Affemblée décide, à ne pouvoir que ce que les fédérés agréent, à ne faire que ce que les gardiens lui permettent. Elle n'exiſte pas dans l'Affemblée Nationale, où les cris de la populace ſe font entendre impérieuſe- ment; où des galeries turbulentes interrompent les opinans, tantôt par des acclamations déciſives, tantôt par d'effrayantes vociférations ; où enfin le moindre danger, pour quiconque contrarie les idées démagogues, eft d'être bafoué, honni, inſulté. Elle n'exiſte pas dans les Aſſemblées primaires ou électrices, dont on a exclu, à force ouverte & par des violences inouies, des Nobles à qui l'on ne pouvoit conteſter le droit de s'y préſenter, de mal- heureux Curés, à qui il en a coûté la vie pour s'être crus libres d'y allifter, & généralement tous ceux à qui on donne encore le nom d'Ariſtocrates, mot, que tout homme qui a une conſcience & un cæur, devroit s'abſtenir de prononcer, depuis qu'il eſt gravé ſur le fer de tous les aſaſins. Elle n'exiſte pas dans les Juges, qu'on menace, qu'on effraie, qu'on veuť égorger quand ils ne confultent que leur conſcience ; & que l'honnêteté force d’abdiquer leur écat, quand la crainte ne leur fait pas facrifier leur devoir: Elle n'exiſte pas dans les particuliers, dont la clafle la plus honnête eſt ſubjuguée par la moins eſtimable, & livrée à une ſervitude qui s'étend ſur [ 2111 les paroles, ſur les écrits, ſur les correſpondances, ſur les penſées, & même ſur les intentions. Elle n'exiſte pas dans un royaume diviſé entre quarante-quatre mille municipalités, exerçant un pouvoir arbitraire ſur les citoyens, mais dépendantes elles-mêmes de pluſieurs millions de gardes natio- nales, qui délibèrent les armes à la main. La Liberté n'exiſte donc nulle part; & j'oſe dire qu'elle n'exiſte pas même dans le ceur de ceux qui l'ont continuellement ſur les lèvres, qui font ſervir ſon nom facré à leurs exécrables deſſeins, & qui l'immolent en l'invoquant. O LIBERTÉ! ſi inéconnue, ſi outragée par la Nation qui croit combattre pour toi, dévoile donc à ſes yeux les traits auguſtes de ton ſaint caractère ! Qu'elle ſache qu’à côté de ta noble fierté repoſe la douce humanité, la juſtice, la généroſité ; qu'il n'eſt point de vertus qui te foit étrangère, point de violence qui puiſſe s'allier avec toi! Queles François ceffent de te confondre avec la licence, ton impla- cable ennemie; qu'ils reconnoiſſent que la plus atroce & la plus abſurde des tyrannies eſt celle qui fait déchir les opinions devant ſon glaive menaçant, celle qui ne permet de repos, de ſécurité, & de ſuccès, qu'à ſes eſclaves (*); & qu'ils comparent 1 (*) Cette invocation eſt tirée preſque mot à mot d'une réponſe bien digne d'être lue en entier, que le fage & impar- tial M. Malouet a fait imprimer, pour juſtifier ce qu'il avoit dit ſur le Pouvoir exécutif, ne lui ayant pas été permis de répondre à la tribune aux cing orateurs qui avoient ſucceſſivement attaqué Son opinions. [ 212 ] I 1 enfin la jouiſſance paiſible que tu lui promettois par la ſinple exécution du væu de ſes cahiers agréés par ſon Roi, avec les convulſions déchirantes qui la font périr miſérablement, depuis que des forcenés, tranſgreſſeurs de ces mêmes cahiers, ont égaré fa raiſon ! 1 3º. Lès Décrets de l'Aſſemblée font contraires aux Cabiers Nationaux, en ce qui concerne la Propriété. La propriété, diſent les cahiers, étant le næud le plus fort qui attache les citoyens à la patrie, qu'elle foit miſe sous la ſauvegarde des loix, & que les loix veillent conſtamment à ce que, fous aucun pré- texte, méme fous celui du bien public, on ne puiſſe lui porter aucune atteinte .. Les Etets-généraux se doivent à eux-mêmes, ils doivent à la Nation, & à l'Europe entière, de donner l'exemple du reſpect le plus inviolable pour tous les droits appuyés ſur l'au- torité des loix, ſur le foi des traités, pour toutes les propriétés .. Il ne pourra étre porté atteinte aux loix locales, ni aux traités & capitulations, ſous la condition & la foi deſquels différens pays ont été réunis au royaume, que du conſentement exprès des trois Ordres deſdits pays ..... La Nobleſſe charge ſes Députés de réitérer à l'Aſſemblée la libre renoncia- tion à toutes exemptions & priviléges relatifs cllx impôts mais conſidérant que toute propriété eſt facrée & inviolable, elle déclare ne jamais conſentir à l'exțin tion des droits qui juſqu'içi ont caractériſé 1 1 [ 213 ] l'Ordre noble, & qu'elle tient de ſes ancétres .... Elle preſcrit formellement à ſes Députés de s'oppoſer à tout ce qui pourroit porter atteinte aux propriétés utiles & honorifiques de les terres....... & ſi jamais, contre toute attente, les communes, égarées par des inſtigations, formoient des demandes attentatoires à la propriété; f, peu ſatisfaites de la déclaration des deux premiers Ordres, qui ſe ſoumettent à ſupporter en parfaite égalité tous les impôts pécuniaires, elles propofoient des décrets injuſtes qui euſſent pour but la violation des propriétés, telles que le rachat forcé des cenſives, la converſion des preſtations en grains en preſtations pécuniaires, il est enjoint, en ce cas, aux Députés, de déclarer qu'ils ne peuvent afifter à au- cunes délibérations à ce ſujet ; que les Etats-généraux, conſervateurs ſuprêmes des propriétés, ne peuvent permettre qu'on délibère s'il ſera permis de les dila- pider ; & qu'ils ajoutent à cette déclaration une pro- teſtation ſpéciale contre tout ce qui ſera délibéré à set égard. (1) Les deux autres Ordres ſe font exprimés dans le même eſprit, & ont preſcrit le même devoir à leurs Députés. (1) Cahiers de la Nobleſſe, Labour, folio 4. Melun & Moret, page 9. Alençon, page 19. Douay & Orchies, page 9. Lyon, page 13. Montargis, page 7 Bas-Vivarais, folio 18, &c. &c. : [ 214 ] L'on chercheroit vainement, diſent les cahiers du . Clergé, à aſſurer les baſes du gouvernement, tant que les principes ſur lesquels repoſent les propriétés indi- viduelles de toutes les claſſes de la ſociété pourroient être ou éludés ou attaqués.... Il faut que tous ci- toyens conſervent inviolablement toutes leurs propriétés a mobiliaires & immobiliaires, honorifiques & utiles, individuelles & communes, de quelque nature qu'elles ſoient.... que tous citoyens conſervent de même toutes leurs propriétés uſufruitières, & ſemblablement avec libre jouiſſance... & qu'il ſoit arrêté préliminairement dans les Etats-généraux, que nul ne pourra en étre privé, même à raiſon des travaux publics, ſans avoir une juſte indemnité.... Le Clergé ne demandant aucune exemption ou immunité à l'égard des impôts. entend conſerver comme un précieux, dépôt, qui lui ai été tranſmis par' 14 ſiècles de poſeſion non-inter- rompue, ſes propriétés, droits perſonnels & honori- fiques, rangs & prérogatives...., les laiſer entamer, ce ſeroit se rendre coupable aux yeux de la Religion & de la poſtérité.... Le Clergé enjoint à ſes Députés de proteſter contre tout ce qui pourroit donner atteinte aux drcits & à la dignité de ſon Ordre. (2) Le droit de propriété devont être ſacré, on deman- dera, diſent les cahiers du Tiers Etat, qu’un citoyen (2) Cahiers du Clergé, Meaux, page 9. Dijon, page 4, article 3. Item, page 5, art. 4. Mantes & Meulan, page 18, &c. &c. &c. 2 1 7 ( 215 1 sre. ſoit privé d'aucune portion de la fenné, même à raiſon d'intérêt public, ſans qu'il en ſoit dédommagé, fans délai, à dire d'experts choiſis par les parties intéreſées.... & que ce principe ait même effet ré- troaktif en faveur des propriétaires qui auroient été dépouillés de leurs biens fans en avoir été inden- niſés. (3) - L'Affeinblée Nationale a conſacré cette volonté unanime de tous les Ordres, par un de ſes prin- cipes conftitutionnels, conçu en ces termes : Les propriétés étant un droit inviolable & facré, nul ne peut en être privé, fi ce n'eſt lorſque la néceſſité pu- blique, légalement conſtatée, l'exige évidemment, & Jous la condition d'une juſte & préalable indema nité. (4) Ainſi l'Aſſemblée eſt auſſi contraire à ſes propres principes qu'aux mandats de ſes commettans, dans tout ce qu'elle a fait d'attentatoire aux propriétés légitimes. Leur inviolabilité abſolue, de quelque nature qu'elles ſoient, & en quelques mains qu'elles puiſſent être, eſt prononcée & par les cahiers & par la nouvelle Conſtitution : l'Aſſemblée devroit donc les protéger toutes; elle les a toutes violées. (3) Cahiers du Tiers Etat, Rennes, article 24. Paris extra muros, art. 14. Item, article 16,&c. &c. (4) Article 17 de la Conſtitution, ſanctionné le 5 O&obre 1789. [.216 ) Droits fonciers, & droits d'uſufruit; droits utiles, & droits honorifiques; rangs acquis, & poſſeſſions d'état; rentes conſtituées, & affectation d'hypo- thèques : aucun genre de droits n'a été reſpecté. ز Propriété publique des Provinces, propriété du Clergé, propriété de la Nobleſſe, propriété de la Magiſtrature, propriété de toutes les claſſes de ci- toyens : aucun ordre de perſonnes n'a été préſervé. La notoriété des faits diſpenſe des preuves ; je que rappeler & expliquer en peu de mots, ce qui caractériſe chacune de ces différentes fpo- liations, ne ferai Propriété La propriété des Provinces eſt violée par l'abo- des Provinces, lition des droits & priviléges généraux, dont elles jouiſſoient en vertu de leurs capitulations, ou des pactes de leur réunion à la Couronne. Je n'exa- mine point ſi de tels droits ſont ou non inconci- liables avec l'uniformité de régime dont j'ai tou- jours penſé qu'il falloit ſe rapprocher le plus poffi- ble, mais que je ne croirai jamais pouvoir être abſolu dans un royaume compoſé comme l'eſt la France. Quelque opinion qu'on puiffe avoir ſur cela, il n'en eſt pas moins vrai que ces droits & priviléges, duffent-ils être brifés & ſacrifiés à l'intérêt général de l'Etat, plutôt que pliés & affortis à ce que cet intérêt exige, ne peuvent être détruits par la ſeule volonté du Corps légiſlatif, contradictoire aux cahiers qui ont interdit expreſſément aux man- 1 ( i : [:217 ]' dataires d'y acquieſcer en aucune ſorte. Ici s'ap- plique l'axiome, que chaque choſe ne peut ſe dif- ſoudre que de la même manière qu'elle s'eſt ci- mentée. Or, les droits dont il s'agit ont été fti- pulés avec les trois Ordres repréſentant la géné- ralité des habitans de chacune des provinces aux- quelles ils appartiennent : ils ne peuvent donc être changés, altérés, à plus forte raiſon anéantis, que du conſentement exprès de ces trois Ordres, comme les cahiers l'ont fortement exprimé; & même, les trois Ordres, qui n'en ſont que les gardiens pour les habitans, & conſtitués tels par les habitans, ne pourroient ſe dévêtir de ce dépôt qu'après s'être aſſurés du væu général des habitans, leſquels, juf- qu'à préſent, loin d'avoir témoigné un pareil væu, ont proteſté d'avance contre toutes entrepriſes con- traires aux droits dont la conſervation eit la con- dition de leur foumiffion à la domination Fran- çoiſe. 6 1 i ! A quel titre l’Affemblée s'eſt-elle cru autoriſée à rompre le traité conſtitutif du droit public d'un pays, & les clauſes de ſon incorporation au royaume, contre le gré des parties contractantes ? Et com- ment l'incompétence évidente du Corps légiſlatif, pour une telle infraction, feroit-elle couverte par des adhéſions de municipalités, inhabiles ſous tous les points de vue, à ſuppléer aux trois Ordres de leur province, à plus forte raiſon, à faire ce que les trois Ordres eux-mêmes ne pourroient faire que condi- tionnellement à la ratification des habitans ? Croit- : ( 218 ) on de bonne foi, que parce que quelques bourgeois des villes de Rennes, d'Arras, de Lille, d'Aix, de Dijon, de Grenoble, de Bezançon, de Straſbourg, auroient adreſſé des ritournelles de complimens à leurs créateurs, ſur des opérations qui, ſans diſcuſ- fion d'utilité, ſans participation des intéreſſés, ont détruit les pactes conventifs ſur la foi deſquels la Bretagne, l'Artois, la Flandre, la Provence, la Bourgogne, la Franche-Comté, l'Alſace, font par- tie de la Nation Françoiſe, il s'enſuit que ces pro- vinces ſe croient validement dépouillées de leurs droits, & qu’ori puiffe jamais leur perſuader qu'elles ont renoncé à être ce qu'elles ont toujours été, & ce que le Souverain auquel elles ſe ſont ſou- miſes, leur a juré qu'elles continueroient d'être, en lui obéiffant Peut-être un jour toutes ces provinces conquiſes ou réunies, conſentiront-elles à être transformées, de pays d'état qu'elles étoient, en départemens de nou- velle fabrique; peut-être, ſoit qu'on parvienne à les convaincre qu'elles ne perdront rien à la refonte de leur conſtitution particulière dans l'amalgame gé- nérale, ſoit qu'un beau mouvement de patriotiſme les porte à ſacrifier généreuſement les avantages dont elles jouiſſoient, à l'enſemble d'un plan dont l'utilité leur auroit été démontrée, renonceront-elles volontairement à n'être plus diſtinguées des autres parties du royaume que par les ſurcroîts de charges inhérentes à leur qualité de provinces frontières : mais juſqu'à ce qu'elles ſe ſoient réſignées à donner fe conſentement en forme, l’Affeinblée, qui n'a de leur 1 / i 1 [ 219 ] leur part qu'une défenſe à leurs Députés de la ja mais donner, ne peut ni le ſuppoſer, ni s'en paſſer. Je dis plus : la Nation elle-même, conſidérée coma me ſéparée de ces proviaces privilégiées, c'eſt-à-dire la réunion des autres provinces, qui forment en nombre la majorité, ne pourroit pas légitimenient annuller des droits qui ne lui appartiennent pas; des droits que la Nation entière, par l'organe de ſon Chef, s'eſt engagé de maintenir; des droits fondés ſur un ſerment réciproque, dont une des parties ne peut être relevée, ſans que l'autre у ſouſcrive. Il eſt donc démontré, au-delà même du néceſo faire, que l'abolition non - cunfentie, & pour le moins prématurée, des droits appartenans aux pays d'état & provinces privilégiées, eſt, de la part du Corps légiſlatif, une invaſion illégitime, une vio- lation de propriété, au premier Chef. La propriété du Clergé, ſi elle n'eſt pas, comme Propriété du celles des provinces, fondée ſur le droit des gens, Clergé. peut du moins être regardée comme appartenant au droit public du royaume ; & ſi l'on conſidère d'un côté la multitude de chartres, de monumens anciens, & de titres authentiques, qui ſucceſſive- ment & continuellement ont ſanctionné les poffef. ſions de l'Egliſe ; d'un autre côté, l'étroite liaiſon qui ſe trouve entre la conſervation de la religion, & la néceflité d'aſſurer la ſubſiſtance de fes miniſtres - ſur une baſe plus ſolide que n'eſt un ſalaire dépen- dant de toutes les criſes qui peuvent empêcher le R 1 1 1 T 220 ] tréſor public de l'acquitter, on doit convenir qu'il n'eſt aucune propriété mieux établie en droit, ni plus reſpectable par ſon objet. Il ſuffit, au reſte, que ce ſoit une propriété, pour que, ſuivant le texte des cahiers, & ſuivant le dé- cret de l'Aſſemblée Nationale, elle dût être à l'a- bri de toute atteinte: or, il eſt impoſſible de révo- quer ſérieuſement en doute que ce qui appartenoit à l'Egliſe, ce qu'elle avoit acquis ſous l'autorité des loix, ce qu'elle poſſédoit inconteſtablement & ſans trouble depuis des ſiècles, ne fût en elle une vraie propriété, puiſque propriété n'eſt autre choſe que le droit qu’on « ſur des biens acquis légitime- Hent. C'eſt en vain que des Avocats éclairés, mais accoutumés, comme tous ceux de leur état, à re- chercher & ſaiſir trop facilement les moyens de défendre de mauvaiſes cauſes, ont employé toutes les fubtilités de leur art pour établir que l'Egliſe ne ponédoit pas propriétairement. J'ai déjà ré- futé les frivoles argumens dont ils ont voulu étayer ce ſyſtême (*). 1 (*) Pages 91, 92, 93, 94, & 95 decet écrit.-Je tombe encore ici dans le cas de la répétition, parce que le même objet me revient ſous une autre face ; il eſt d'ailleurs aggravé par l'exi- guité outrée des traitemens qu'on vient de régler pour les évêques & bénéficiers.-On s'appercevra, en plus d'un en- droit, que cet ouvrage a été compoſé à pluſieurs repriſes, & 1 [ 221 ] J'ai fait voir qu'un corps moral & collectif, tel qu'eſt le Clergé, étoit ſuſceptible de pofféder des propriétés foncières. La vente qu'on fait aujour- d'hui du patrimoine de l'Egliſe, aux municipalités, en eſt l'aveu. 1 J'ai prouvé que la propriété des biens ecclé- fiaſtiques réfidoit néceſſairement ſur le Clergé, puiſ- qu'elle ne réſidoit ſur aucun autre poffeſſeur ou prétendant droit, & que le public ne pouvoit re- vendiquer que l'accompliſſement de leur deſtina- tion. J'ai montré combien étoit fauffe l'induction tirée de ce que le Clergé ne peut pas vendre, pour en conclure qu'il n'eſt pas propriétaire ; tandis qu'au contraire l'interdiction d'aliéner fuppoſe la pro- priété, & a pour but de la conſerver. . Enfin, j'ai obſervé qu'en réduiſant même la pro- priété réelle de l'Egliſe à la fimple jouiſſance des eccléſiaſtiques, on eſt au: moins forcé de recon- noître une propriété uſufruitière ; & que cette ef- pèce de propriété eſt compriſe dans l'inviolabilité que la juſtice, les cahiers, & la nouvelle conſtitution, garantiſſent pour les propriétés quelconques. 1 à meſure des événemens. Je ne favois d'abord ſi je le ren- drois public: aujourd'hui, que je crois utile qu'il le ſoit, &. même promptement, je n'ai pas le tems de le refondre en entier, pour lui donner un meilleur ordre, R 2 $ 1 } [ 222 ] 1 Je ne m'arrêterai pas à développer davantage des vérités aufli fenſibles. Il eſt pitoyable de voir les coryphées de nos légiſlateurs employer leur eſprit & leurs raiſonnemens à foutenir que ce qu'on á cru de tout tems, ce qu'on croit dans tous les pays, & ce qui, par ſes effets, eſt manifeſte à tous les yeux, n'exiſte pas. Mais au reſte, qu'on diſe ce qu'on voudra ſur la propriété du Clergé, il eſt un point de fait qu'on ne ſauroit nier : c'eſt que s'il y a, comme on le dit, cent trente mille eccléſial- tiques dans le royaume, ce ſont cent trente mille perſonnes qui ſe font vouées à l'Egliſe dans la per- fuafion fondée ſur les loix, que l'Egliſe avoit des biens, des revenus, des moyens de fubfiſance à diſtribuer à fes miniftres; qui, dans l'eſpoir de participer à cette diſtribution, ont facrifié leur liberté, & tous les avantages de ſociété auxquels ils pouvoient prétendre; qui, ayant droit de compter que la pofleffion d'un évêché, d'une abbaye, ou d'un bénéfice quelconque, étoit une poffeffion aſ- furée & imperturbable, avoient réglé en confé- quence la dépenſe qu'ils pouvoient ſe permettre, les charités qu'ils pouvoient répandre, les ſecours qu'ils pouvoient donner à leurs parens, les amé- liorations qu'ils pouvoient faire aux biens dont le concours des puiſſances ſpirituelles & temporelles leur avoit départi l'uſufruit : or, je demande ſig enlever à ces 130 mille citoyens les conditions de l'état qu'ils ont embraſſé, & la compenſation des *ſacrifices qu'ils ont faits, les fruſtrer du revenu ſur lequel ils ont aſſis tous les arrangemens de leur vie, les réduire à n'avoir déſormais en falaires peu cer- [- 223 tains, les uns moitié, les autres le quart, d'autres, la dixième ou vingtième partie de ce qu'ils avoient auparavant en poſſeſſions légitimes, ce n'eſt pas faire 130 mille injuſtices, 130 mille violations de propriétés, & autant d'infractions à la foi publi- que ? Le peuple en ſeroit révolté, ſi l'on n'avoit pas commencé par lui rendre le Clergé odieux, & par lui faire trouver plaiſant de ridiculiſer les Miniſtres de la Religion : mais ce peuple, trop long-tems ; aveugle, ne verra-t-il jamais que ruiner ceux qui le faiſoient vivre, c'eſt le ruiner lui-même Ne verra-t-il jamais que qui peut violer un genre de propriété, peut vioier tous les autres ? Ne verra- t-il jamais qu'on le joue indignement, lorſqu'on lui fait prendre des æuvres de tyrannie pour des ſymp- tômnes de liberté ? La propriété de la Nobleſſe n'a pas été plus mé- Propriété dela Nobleſſe nagée. Lorſque parurent les dix-neuf décrets ren- dus par élan, dans la nuit du 4 Août 1789, je fis ſur quelques-unes des ſuppreſſions qu'ils renferment, des réflexions qui ſans doute n'échappèrent à aucun de ceux à qui il eſt encore permis & poffible d'exa. miner froidement. J'obſervai que dans la chaleur, pour ne pas dire l'emportement du zèle qui fit tom- ber en un inſtant l'antique édifice du régime féodal, & tous ſes acceſſoires, on ne s'étoit pas donné le tems de diſtinguer l'abus d'avec le principe ; de ſéparer ce qui devoit être détruit comme income patible avec la liberté publique, d'avec ce qui pour 1 RS + . 1 ! Į [ 224 ] voit être conſervé ſans inconvénient, redreſſé avec avantage, épuré de tour, veftige de ſervitude; & de déterminer, avec l'exactitude preſcrite par la conf- titution même, les cas où l'indemnité feroit due, & ceux où elle ne le feroit pas. Je rapprochai alors, dans un mémoire dont je ne fis aucun uſage, les maximes de droit naturel, & les conſéquences de droit poſitif, qui me parurent établir clairement, I'. Qu'en général la Seigneurie, dont l'origine tient à celle de notre Monarchie & à ſes principes, n'a en ſoi, rien de défavorable, aux yeux mênie du philoſophe raiſonnant dans l'hypothèſe de l'éta- bliffement ſocial ; & qu'elle eſt plutôt utile nui ſible à l'ordre public. que nuis 29. Que la juſtice, corrélative à la Seigneurie, fe rapporte primordialement à la propriété foncière, & que, conſidérée comme droit féodal, elle préſente l'idée d'un devoir du Seigneur envers les vaſſaux, bien plus que celle d'un ſervage du vaffal envers le Seigneur ; que les droits de juſtice, & les hon- neurs qui en dépendent, ne doivent donc pas être confondus avec ceux des droits introduits par le régime féodal, qui étant barbares, aviliffans, & ſouvent ridicules, ont pu être ſupprimés fans au- cune indemnité; qu'il y auroit au contraire autant à gagner pour la liberté, que pour la police gé- nérale dont elle eſt inſéparable, fi les Seigneurs, Magiſtrats propriétaires de leurs villages, ainſi que les appelle un de nos plus grands Juriſconſultes( *), (*) Loiſeau, des Seigneuries, chap. 11, [ 225 ] у faiſoient les fonctions de Juges-de-paix(*), & re- gardoient le droit de maintenir la concorde parmi les habitans de leurs terres comme la ſource de la préféance territoriale, & des autres prérogatives honorifiques dont il eſt juſte & même utile de les faire jouir, ſauf à retrancher tout ce qu'elles pour- roient avoir d'abuſif. N 3º. Que le droit de chaſſe, ſoit qu'on le conſi- dère comme féodal ou honorifique, ſoit qu'on le faffe dériver d'une conceſſion du Souverain, étoit un de ceux dont l'abus exigeoit le plus de réforme; & que fans doute toutes reſtrictions tendantes à empêcher que l'exercice de ce droit pût être nui- ſible aux propriétés champêtres & à l'agriculture, pouvoient & devoient être réglées par l'Affemblée, conformément au væu des cahiers, ſans qu'il y eût lieu à aucun dédommagement : mais que. l'abolir entièrement, comme faiſoit l'Aſſemblée, c'étoit aller au-delà du but des mandats ; c'étoit ſortir des vues d'utilité publique; c'étoit altérer la propriété dans un acceſſoire qui, étant entré dans le prix des acquiſitions, ne peut être diftrait fans en diminuer la valeur ; & c'étoit en même tems mal ſervir l'agriculture, en faiſant au culci- vateur le pernicieux abandon d'une faculté qui le détourne de ſes travaux. . 1 ។ . 7 (*) En Angleterre, les Seigneurs qui habitent leurs terres, ý font communément nommés Juges.de-paix ; il en eſt d'ail- leurs pluſieurs qui ont dro ide juſtice. RA A E 226 ) . 1 4°. Que ceux des droits féodaux qui attaquent la liberté, tels que la n-ain-morţe réelle ou perſonnelle, érant conſidérés comme d'odieux reſtes de fervitude, intolérables dans un pays libre, l'Aſſemblée Natio- nale, en prononçant qu'ils ſeroient abolis fans in- demnité, avoit pu préſumer qu'il n'y auroit aucune réclamation de la part des propriétaires, qui en effet les ont généreuſement immolés ſur l'autel de la liberté renaiſſante : mais que la même préſomption n'auroit pas dû s'écendre ſur les rentes repréſen- tatives de ces droits, quel que fût leur ancien rap- port avec la ſervitude perſonnelle, lorſque depuis des ſiècles ils font convertis en redevances de grains ou d'argent; que ces redevances ayant été com- priſes comme objets utiles dans la vente des terres auxquelles elles appartiennent, font devenues des acquiſitions très légitimes, très-irréprochables, très- indépendantes du vice qu'on peut attribuer à l'ob- jer auquel elles ont été ſubſtituées ; qu'un acqué- reur de rentes ne ſauroit être confondu avec un acquéreur de ferfs, fous prétexte qu'à remonter à des tems reculés on trouveroit 'une propriété de main-morte au lieu d'une propriété de rente; que la perception de cette rente, dénuée de toute empreinte de ſon origine, eſt la ſeule qu'on doive áujourd'hui conſidérer; & que la bonne foi ayant préſidé aux différentes acquiſitions ſucceſſives qui en ont été faites, ainſi qu'aux hypothèques des créanciers à qui elle a été donnée pour gage, l'abolir ſans indemnité, & par-là réduire peut-être un très-grand nombre de familles à la mendicité, 1 [ 227 ] ic'étoit certainement violer la juſtice, la propriété, & les droits de l'homme. (*) - ? i 5. Qu'il eſt difficile de concevoir pourquoi l'Aſſemblée a jugé néceſſaire & s'eſt cru permis de dénaturer les conditions irrévocables des enga- gemens contractés entre les propriétaires & les cen- fitaires, lorſque ceux-ci recevant des premiers, les fonds qui leur appartenoient, ſe font ſoumis à leur rendre à perpétuité une portion du produit ; engagemens favorables aux yeux d'une faine ad- miniſtration, puiſqu'ils ont étendu l'agriculture, & facilité beaucoup de défrichemens ; engagemens facrés, puiſqu'ils ſont fondés ſur un conſentement libre, réciproque, & tendant à une bonne fin; egagemens avantageux au peuple, puiſque c'eſt un moyen volontaire de répartir les terres à ceux qui n'en ont pas, de multiplier les colons proprié- taires, & de mettre le pauvre à portée d'acquérir un héritage à un prix modique, acquitté annuel- lement par ſes travaux, (*) M. le Comte d'Entragues en fit l'obſervation dans le tems, avec toute la chaleur du ſtyle qu'on lui connoît. Je ne peux, diſoit-il, m'accoutumer à l'idée de voir ceux qui ont ac- quis ces prefa:ions dont le titre étoit odieux, mais dont ils ont. ignoré l'origine, réduits à la plus affreuſe indigence. Si la proſpérité de l'Etat eſt attachée à tant de malbeurs particuliers, il a bien fallie y conſentir : mais j'aurois voulit, je l'avoue, que l'édifice du bonheur & de la liberté n'ezit coûté des larmes qu'aux . ! [228] > 1 1 Qu'il ſemble qu'on n'a pas affez médité ſur tous ces avantagcs, non plus que ſur les principes d'une exacte juſtice, lorſque l'ardeur de détruire toute apparence, de féodalité, a fait déclarer ra- chetable toute eſpèce de droits cenſuels, de rentes foncières, & de champarts : qu'il eût fallu des raiſons d'utilité générale, bien preſſantes & bien évidentes, pour autoriſer à rendre rachetable ce qui a été ftipulé irrachetable; & pour vouloir que les cenſitaires qui ne ſeroient que des fermiers héréditaires du fond qui leur a été concédé à charge de redevances, fi moyennant l'établiſſement des droits de lods & ventes ils n'avoient pas obtenu la faculté de l'aliéner, puiffent, en conſer- vant propriétairement le fond donné à cens, ſe libérer à la fois di du cens impreſcriptible impoſé pour la tradition de ce fonds, & des lods & ventes fans leſquels il ne ſeroit pas aliénable. Que même en ſuppoſant la néceſſité de bouleverſer ainſi les conditions d'un contrat ſynallagmatique, l'Affem- blée n'avoit pu ſe diſpenſer de pourvoir à ce que les Seigneurs dépouillés des droits cenſuels, qui font les plus précieux de leurs domaines, reçuſſent un dédommagement proportionné; mais qu'il s'en falloit de beaucoup que cette obligation de ſtricte néceſſité fût remplie par des rachats fixés au denier vingt du cens en argent, & au denier vingt-cinq du cens en grains, & de même pour toute rede- ' vance foncière, dont la valeur eſt au moins égale aux prix des fonds les plus eſtimés ; qu'en confé- quence les Seigneurs & propriétaires, déjà léfés par l'abolition de leurs juſtices & de leurs droits 1 [ [ 229 ] honorifiques, le font encore par ces rachats diſpro- portionnés des cenfives, des rentes foncières, & des champarts, à un tel point, que le prix des terres en eſt conſidérablement diminué, qu'il n'eſt aucun poffeſſeur qui n'en ſouffre plus ou moins, & qu'il en eſt beaucoup qui y perdent la plus grande partie de leur patrimoine. Le fait eſt notoire dans tout le royaume, & la violation du droit de propriété en eſt une conſéquence inconteſtable. Je m'étois appliqué au développement de cha- cune de ces propoſitions dans un mémoire que j'aurois pu faire parvenir à un des Membres de l'Aſſemblée, ſi j'avois apperçu qu'après le premier moment d'enthouſiaſme qui a précipité les réſolu- tions du 4 Août, on ſe fût réſervé de revenir ſur quelques-unes d'elles, & de les modifier. Les évé- nemens qui ont ſuivi, & la manière dont le Roi a été contraint de fanctionner paſſivement tous ces décrets, m'ont fait ſentir l'inutilité de mes im- puiffantes réflexions ; & aujourdhui même, que profondément convaincụ de l'impoſſibilité d'exé- cuter la totalité des décrets de l'Aſſemblée, j'ai entrepris de montrer quels ſont ceux qui, étant contraires aux cahiers des conftituans, ſont ou nuls de plein droit, ou ſujets à réviſion nationale, je n'inſiſterai pas davantage ſur les points que je viens d'indiquer'; & je me bornerai à déſigner auſſi briè- vement, quelques-unes des autres détériorations de propriétés feigneuriales réſultantes de différens règlemens que l'Aſſemblée a rendus depuis les dé- crets du 4 Août 1780. 1 [ 230 ] . Pluſieurs de ces règleméns ont aboli fans indem- nité, des droits utiles, fuffent-ils fondés en titres & - poffeffions immémoriales ; par exemple, les banna- lités lorſqu'elles ſont ſeigneuriales, les droits de taille à volonté, ou d'aide ſeigneuriale, & même les redevances repréſentatives de ces droits, ainſi que celles repréſentatives des droits de guet & de garde. Ils ont aboli pareillement tous droits ſur les ventes des meubles, ſur les comeſtibles, ſur les boiſſons, & autres de mênie nature, ayant conſidéré tous ces droits comme autant d'abus contraires à la liberté; ce qui n'étoit pas néanmoins un motif pour en dépouiller les poffefſeurs fans dédommagement. 1 Il n'eſt pas moins incroyable d'avoir ſupprimé fans indemnité, le droit de tiers denier dû en Lor- raine, ſur la vente des bois appartenans aux com- munautés; ce qui enlève à pluſieurs Seigneurs les portions les plus précieuſes de leur revenu, quoi- que leur titre, appuyé du droit coutumier de la province, ne préſente aucune idée de fervage; quoique l'origine préſumée de ce prélèvement du tiers denier n'ait rien de plus vicieux que celles des autres droits ſeigneuriaux, pour leſquels on a du moins reconnu la néceſiité d'indemniſer; & quoique tout droit dont la valeur eſt entrée depuis des fiècles, dans le prix des acquiſitions ſucceſſives ſans réclamation, foit une propriété très-légitime, 1. D'autres règlemens, en accordant une indemnité pour la ſuppreNion de différens droits utiles, l'ont refireinte au cas où l'on prouveroit qu'ils provien, : 1 4 1790 [ 231 1 hent d'une conceſſion de fonds; & l'ont fait de pendre d'une condition qui ne peut pas toujours être remplie par des poffeffeurs dont cependant la propriété eſt conſtatée, foit par titre inconteſtable, ſoit par une poffeffion plus que centenaire. Des milliers de familles ſeront ruinées par cette injuſte rigueur. J'en connois beaucoup qui le font d'une manière cruelle par les décrets du Mars leſquels ont aboli les partages de marais Et de communes, exécutés en vertu de lettres-patentes rendues depuis trente ans, leſquelles, dans le tems, furent trouvées très-fages, très-utiles à l'agricuk ture, très-favorables à la population. Je doute que les motifs qui ont fait rendre ces loix, & qui m'ont déterminé à en demander l'envoi dans les provinces dont j'étois adminiſtrateur, après m’être aſſuré que c'étoit leur veu, aient été fuffi- ſamment-approfondis par ceux qui dépourvus des corinoiſſances locales & pratiques, néceſſaires pour en apprécier l'utilité, n'ont pas héſité à en pronon- cer non-ſeulement la révocation, mais même l'abro- gation rétrocEtive, ainſi que la nullité de tous jugemens rendus en conſéquence; ce qui eſt contre tout prin- cipe de juſtice & de légiſlation. Ne devoit-on pas du moins conſidérer le préjudice ineſtimable que fouffriroient ceux qui, ſous la foi d'une loi folem- nellement enregiſtrée, ont fait des frais immenſes pour deſſécher & rendre productifs des marais fté- riles & mal-ſains ; qui, après avoir dédommagé les communautés des droits peu avantageux qu'elles y exerçoient, ont créé par de longs travaux, des cul- tures uciles dans des friches abandonnées, & qui 1 + ( 232 ) 1 ont ainſi conquis à l'Etat de nouvelles ſources de richeſſes ? Quelle propriété méritoit plus d'être reſ- pectée que celle formée de cette manière ? Il avoit paru juſte de l'exemprer d'impôts pendant quelques années : mais ce que le Gouvernement avoit cru devoir encourager en vue du bien public, nos nou- veaux légiſlateurs le détruiſent, ſans ménagement pour aucun intérêt, ſoit général, foit particulier. Ils 'ne peuvent ſe perſuader qu'on ait rien fait de bien avant eux. } Je n'ajouterai rien à cette énumération rapide des principales léſions que la Nobleſſe a ſouffertes dans ſes propriétés, parce que toutes les réclamations qu'elle pourroit faire ſur chacune d'elles, ſemblent être abſorbées aujourd'hui par un excès d'injuſtice qui l'affecte dans une partie bien plus ſenſible, puiſqu'elle l'attaque juſques dans ſes droits de naif- fance, dans ſon rang, dans toute ſon exiſtence; en ſorte qu'en comparaiſon de cette dernière oppref- fion, toutes les dépoffeffions antérieures, toutes les violences, toutes les perſécutions qu'elle avoit déjà eſſuyées, ne peuvent plus être comptées pour rien. On voit que j'entends parler de l'incroyable dé- cret du 19 Juin, portant qu'il n'y a plus de No. bleſſe héréditaire en France, plus de titres, plus d'armoiries, plus de livrées, &c. Plus de Nobleſſe en France, où déjà il n'y a plus de Clergé, plus de Magiſtrature, plus de Gou- vernement !... 1 1 1 [ 233 ] Plus de Nobleſſe en France, où la Nobleſſe re- préſente les conquérans, les fondateurs, les pre- miers légiſateurs du royaume, ceux qui ont mis ſur le trône le Chef de la Maiſon régnante !.... Plus de Nobleſſe en France, où la Nobleffe, vouée uniquement à la profeſſion des armes, s'eſt de tous tems conſacrée toute entière à la défenſe de l'Etat!..... Plus de Nobiefle dans une Monarchie !.......... Doit-on le croire, parce qu'ainſi l'ont voulu, en ſortant de dîner, 20 ou 30 perſonnes qui en gouver- nent trois ou quatre cents autres, & par eux toute la Nation? Ils avoient dit, un jour, 25 millions d'hommes qui s'étoient endormis eſclaves, se font ré- veillés libres ; ils ont dit un autre jour, 300 mille perſonnes, qui étoient nobles ce matin, ne le feront plus ce ſoir. Ne ſemble-t-il pas qu'ils ſeroient armés d'une baguette magique toute-puiffante ? Mais les effets n'ont rien d'enchanteur ; les 25 millions d'hommes, à leur réveil, ſe trouvent plus miſérables, plus à plaindre qu'ils n'ont jamais été ; & la No- bleſſe eſt toujours Nobleſſe. 1 Il faut un effort pour ſe réſoudre à diſcuter fé- rieuſement ce qui a été trouvé généralement ridi- cule; & l'Aſſemblée Nationale, qu'il ne ſeroit pas reſpectueux de confondre avec ceux qui par des mouvemens bruſques & imprévus, la précipitent dans des réfolutions dont le lendemain elle eſt elle-même étonnée, devroit párdonner ſi celle-ci, ! 1: : 1 [ 234 ) conſidérée comme une œuvre apocryphe que des malveillans auroient miſe ſous fon nom pendant ſon ſommeil, étoit dédaigneuſement abandonnée à l'impreſſion d'extravagance qu'elle a produite parmi toutes les nations, & même dans l'eſprit du peuple François. Mais, d'un autre côté, cette proſcription géné- ·rale de la Nobleſſe ſe trouvant inſcrite au rang des articles .conftitutionnels, c'eſt un événement trop ſérieux pour qu'on puiffe fe permettre aucune plai- fanterie ſur les métamorphoſes de nom, & autres biſarreries.qui en ſont acceſſoires. Les conſéquen: ces font ſi graves, & l'intention des moteurs de.ce décret eſt tellement liée à leur fyſtéme anti-monará chique, qu'il eſt effentiel de montrer qu'il n'eſt ni conforme au veu de la Nation, ni compatible avec ſes intérêts, ni poffible en exécution. Et d'abord, il eſt aiſé de voir combien l'anéan: tiſſement de la Nobleſſe Françoiſe eſt contraire à la volonté générale manifeſtée par la Nation, que les propriéçés fuſſent maintenus inviolables. En eſt-il de plus précieuſe, de plus facrée, de plus inceſſible que celles des droits.qu'on a par ſa naiſſance, du rang qu'on tient de ſes aïeux, de l'état héréditaire dont on a toujours joui ſous la protection des loix ? Doutera-t-on, par exemple, que la Pairie, cette première dignité de l'Etat, dont les poſſeſſeurs font grands officiers de la Couronne, & membres nés de la Cour du Roi, la Pairie, qui tient lieu de for- tune 1 [ 235 ] tune à quiconque en eſt revêru, ne ſoit une véri- table propriété, & le plus ſuperbe patrimoine qu'un père puiſſe tranſmettre à ſon fils ? Croira-t-on qu'un mot, un élan précipité, dans lequel le pu- blic n'a vu que le caprice de quelques étourdis, & ne fauroit voir une volonté nationale, puiſſe faire diſparoître en un inſtant ces Magnats de la France, ces Repréſentans des anciens Barons, ces antiques ſouches de la monarchie, créés pour ſoutenir le Trône, comme les Electeurs Germaniques le furent pour le ſoutien de l'Empire, & qui, au facre de nos Rois, paroiſſent avec l'habit royal & la cou- ronne en tête, portant tous enſemble celle du Roi, & recevant de lui le ferment qu'il fait d'être le protecteur de l'Egliſe, de ſes droits, & de tout ſon peuple? Renonce-t-on jamais à des préémi- nences de cette nature ? Eſt-il même permis à au- cun Gentilhomme d'oublier de quel fang il eſt iſſu? Et ſi tous les hommes en général font attachés à la propriété de leurs biens, juſqu'à la défendre au prix de leur vie, comment la claſſe diſtinguée dont l'honneur eſt le principal appanage, ſe laiſſe- roit-elle arracher le titre que l'honneur lui a dé- parti, que l'honneur lui commande de conſerver, & contre l'anéantiſſement duquel l'honneur a déjà fait éclater de toutes parts les proteſtations les plus énergiques & les mieux fondées ? 1 1 De quel droit le Corps légiſlatif a-t-il cru pouvoir ôter une prérogative qu'il ne lui appar- tient pas de donner? Par quelle inconſéquence, après avoir décrété que les profeſſions libres ne S [ 236 ] : 1 , dérogeroient pas à la Nobleſſe, & que les citoyens de tous états concourroient déſormais avec les Nobles, à tous emplois eccléſiaſtiques, civiles & militaires, comme, les cahiers l'avoient demandé, l'Affemblée décrète-t-elle maintenant qu'il n'y aura plus de Nobleſſe ? De quels mandats, de quelle délégation de pouvoir s'autoriſe-t-elle, pour dé- clarer ainG la guerre à une partie de la Nation, & pour ofer dégrader toute la Nobleſſe Fran- çoiſe à qui aucune puiſſance du monde ne pour- roit faire impunément un tel outrage ? Et ſi ce qui choque autant la raiſon ne peut s'attribuer à une Aſſemblée aufli auguſte, qu'ils diſent donc ceux qui ont ainſi proſtitué ſon 'nom, par quel excès de frénéſie & de haine du repos public, ils ſe font portés à réduire trois cents mille Gentilshommes à l'option déſeſpérée de ſortir de France, ou d'y défen- dre leurs droits les armes à la main Affreuſe alter- native, mais qui deviendroit inévitable ſi, hors de ces deux partis, la Nobleſſe ne voyoit plus que l'infamie ! Quelle loi condamneroit alors ceux qui fuiroient l'oppreſſion, ou ceux qui la repouſſe- roient? Les droits de l'homme permettent-ils de le forcer à reſter dans un royaume où il ne pour- roit conſerver ſon écat, l'honneur de ſon nom, fon exiſtence morale ? Les droits de l'homme ne l'au- toriſent-ils pas à reprendre par la force ce que la force ſeule lui auroit fait perdre ? Dans l'un ou l'autre cas, le peuple, qui ne voit pas où on le mène, feroit victime de l'événement : car, ou il auroit à regretter tant de milliers de 1 1 is [ 239 ) ] familles, qui en font vivre des millions, & dorit l'expatriation ruineroit le royaume ; ou il auroit à combattre ſes propres, défenſeurs, ceux qui le préſervent & des invaſions du dehors & des ty- rannies du dedans, en ſorte qu'alors ſon moindre mal ſeroit dans la défaite. 1 : Pour compenſer de li horribles conſéquences, que peuvent promettre au peuple ceux qui les lui déguiſent? Lui feront-ils eſpérer de partager les dépouilles des Nobles non réſignés à leur deſ- truction? Comme ſi, à ſuppoſer qu'on pût confil- quer leur bien, on pourroit auſſi confiſquer leur bravoure ; & comme s'il n'étoit pas reconnu que l'idée de ces partages agraires feroit la plus dange- reuſe des folies humaines, ſi ce n'étoit pas en même tems la plus chimérique. Mais allons même au-delà de toutes les poflibia lités ; & puiſqu'il faut ſe faire aux choſes les plus inconcevables, admettons, pour un moment, que la toute-puiſſance de l'Aſſemblée parvienne à l'en- tière abolition de la Nobleſſe en France, ſans dif- ficulté, ſans trouble, ſans déchirement du Corps politique; que devient alors la force militaire du royaume ? que deviennent les reſſources morales ? que devient la forme de ſon gouvernement ? trois conſidérations qui méritoient bien d'être méditées, & qui n'ont pas même été apperçues. Y ont-ils réfléchi, ces jeunes Chevaliers de race illuſtre, qui, lorſqu'ils ont jetté leur écu & leur lance, pour ſe : Bonifondre dans la foule, n'ont pas vu, n'ont pas 7 } S2 [ 238 ] fenti qu'en abdiquant leur état ils en trahiſoient les devoirs ; qu'en privant le royaume de ſon or- nement, ils en énervoient la puiſſance; & qu'en croyant ſervir le peuple, ils attiroient ſur lui les fléaux du deſpotiſme ? Frappons leurs yeux de ces vérités, & qu'ils rougiſſent de les avoir méconnues ! Si l'eſprit militaire qui caractériſoit les Francs s'eſt perpétué dans leurs deſcendans, c'eſt princi- palement dans la Nobleſſe & par la Nobleſſe qu'il s'eſt conſervé. La Nobleſſe en France ne connoît d'autre profeſſion que celle des armes: grands du royaume, & ſimples gentilshommes, aînés des maiſons & cadets, tous ſemblent voués en naiſſant au ſervice militaire ; c'eit leur unique élément. De-là vient que la Nobleſſe eſt plus nombreuſe dans les armées Françoiſes, que dans celle d'aucun autre pays. Elle a toujours été le nerf de nos troupes ; elle leur a toujours donné l'exemple de ce courage intrépide qui affronte tous les dangers. Faut-il remonter aux tems les plus reculés ? Par qui ſe font opérés ces prodiges de valeur qui ont illuſtre le nom François, fi ce n'eſt par nos preux Cheva- liers ? Faut-il s'arrêter aux époques plus récentes? Combien de fois n'a-t-on pas vu les eſcadrons nobles, deſtinés à accompagner nos Rois, ſe préci- piter au milieu des bataillons ennemis, lorſqu'ils paroiſfoient impénétrables aux nôtres, les enfoncer l'épée à la main, & ſurmonter leur bravoure par une bravoure plus qu'humaine ? Dans les plus grandes criſes où l'Etat ſe ſoit vu, quelle puiſſante reſſource n'a-t-il pas trouvé dans la convocation : ) [239] de l'arrière ban? Avec quelle juſte confiance Louis XIV, à l'époque la plus déſaſtreuſe de ſon règne, & lorſque le ſort de l'Etat avoit paru dépendre de l'événeinent d'un ſeul combat, ré- pondoit à ceux qui demandoient ce que la France ſeroit devenue ſi la journée de Denain eût été malheureuſe, je me ſerois mis à la tête de ma Nobleje, & avec elle j'aurois été ſans crainte au- devant de l'ennemi vi&torieux! Les conditions de la paix qui bientôt après termina les malheurs de la France, firent voir combien eſt toujours re- doutable le Monarque qui peut ſe ſervir d'une pareille arme. Mais qu'elle ſoit briſée, & qu'il arrive encore un de ces momens critiques auxquels les plus grands empires font expoſés, quelles pa- roles pourroient alors remplacer, dans la bouche du Roi, celles qui eurent tant d'effet dans celle de Louis XIV ? Diroit-il, Je me mettrai à la tête de mes bourgeois nouvellement armés, & avec €14% j'attaquerai les troupes aguerries qui pénè- trent dans le cæur de mes Etats ? Je laiſſe à penſer ſi un tel diſcouis ſeroit auſſi impoſant que celui auquel je le compare' ; & quoique j'aie la plus haute opinion de la valeur guerrière de tous les François, & ſur-tout de celle des Bourbons, je ne crois pas que ce ſoit au moment où l'armée eſt diſſoute par l'indiſcipline, où le tréſor public eſt épuiſé par la plus vicieuſe adminiſtration, où la Nobleſſe eſt abolie par un décret conftitutionnel, où toutes les forces du pouvoir exécutif font dé- gradées par l'anarchie, qu'on puiſſe prendre le ton de Louis XIV; encore moins, ce ton de bravade S i E 240 ] & de menace avec lequel un des grands politiques de l'Aſſemblée voudroit que la Nation s'adreſsât aujourdhui à l'Angleterre. (*) Ce n'eſt pas ſeulement ſous le rapport de fa conſtitution militaire, que la France feroit affoiblie par l'abolition de la Nobleſſe; elle y perdroit encore ce qu'on peut appeler ſes reſſources morales, c'eſt- à-dire celles qui dérivent de l'honneur, ce premier mobile des monarchies qui eſt, comme Monteſ- quieu l'a ſi bien démontré, le principe de leur gouvernement, le conſervateur de leur puiſſance, le reſſort le plus actif de toutes les parties de leur (+) M. Dupont, dans un écrit intitulé Confiderations fur la Politique de la France, de l'Angleterre, & de l’Eſpagne, au moment préſent, lequel paroît ſous ſon nom & a été tra- duit en Auglois, voudroit que notre Cour fommât celle de Londres de défarmer ſur-le-champ, & qu'il fût déclaré à la Nation Angloiſe, que ſi elle ſe refuſe à ce moyen de nous affurer, & à nos alliés, une paix ſolide, la Nation Françoiſe jure, ſur ſon honneur, d'aller la chercher à Londres, qvec certi- tude de l'y trouver. La réponſe, ajoute-t-il, doit être prompte; car il faut que le déſarinement commence dans une ſemaine, ou que les boftilités commencent dans un mois....... François, voilà le langage de ceux qui, pour empêcher que vos Rois n'atti- rent ſûr vous des guerres évitables, ſe font arrogé le droit de juger quand elles ſont néceſſaires. Voilà comme on vous conſeille de parler à un Peuple aufli fier que vous, & plus généreux, dans l'occaſion préſente, envers vous, que vous ne le fûtes envers lui à l'époque des troubles d'Amérique ; puifque, loin de fomenter les vôtres, loin d'abuſer. de la situation où vous vous trouvez, il a conſervé à votre égard, & vous témoigne encore en ce moment même, les diſpoſitionş les plus pacifiques. ! [ 241 ] • organiſation. L'honneur ſans doute ne ceſſera pas de régner fur les ceurs François : mais il n'eſt pas moins vrai que c'eſt fur la Nobleſſe qu'il agit le plus fenfiblement, & par elle qu'il réagit le plus utilement pour l'Etat. Il influe ſur tous les êtres bien rés, de quelque condition qu'ils ſoient : mais ſa force mouvante a ſur les Nobles une plus grande intenſité, parce qu'à leur égard elle eſt en raiſon compoſée des obligations de leur naiſance, des exemples de leurs ancêtres, des maxines de leur éducation, & d'une infinité d'heureux préjugés tra- çant autour d'eux, un cercle de devoirs qu'ils ne peuvent franchir ſans être notés d'ignominie & exclus de la ſociété de leur Ordre. La franchiſe, la fidélité à fa parole, l'amour de la gloire, & le mépris des dangers, forment le caractère propre de la Nobleſſe, au point qu'un Noble qui n'auroit pas ces qualités par ſentiment intérieur de vertu, feroit forcé par état, de les exercer extérieurement. Il eſt aiſé de juger combien il eſt intéreſſant pour un royaume, d'y maintenir le principe d’une opinion auffi avantageuſe. La Nobleſſe eſt encore, dans le ſens moral, une reſſource économique ; c'eſt la ſeule récompenſe des Services rendus à l'Etat qui ne lui ſoit pas onéreuſe, la ſeule qui puiſſe entretenir l'émulation chez un grand peuple, ſans l'avilir & le corrompre; c'eſt dans une natian généreuſé le véhicule le plus puiſſant, le motif le plus für d'exciter aux grandes åčtions, & de commander les plus grands ſacrifices. J'ex- grais ces paroles des proteſtations énergiquement S4 [ 242 ] : motivées que les Députés, de la Nobleſſe de toutes les parties du royaume, viennent de faire authen- tiquement contre le décret de ſon anéantiſſement, Ces proteſtations conſignées dans pluſieurs dépôts publics, font autant de monumens des diſpoſitions auxquelles on devoit s'attendre de la part d'un corps dont l'honneur eſt le ſeul élément & qui le préfère à la vie. On ne peut lire ſans émotion, & peut-être les démagogues n'ont-ils pas lu ſans quelque frémiſſement avant-coureur de l'avenir, les expreſſions auſſi touchantes que fermes qui pei- gnent la douleur & annoncent la réſolution de cette Nobleſſe fondatrice de l'Empire François, Elle y rappelle les propres paroles du Roi, qui, à la ſéance du 4 Février, où fut prêté le ſerment civique, recommandoit à l'Aſſemblée de ſe fou. venir, que tout ce qui rappelle à une Nation l'ancien- neté & la continuité des ſervices d'une race bonorée, eſt une diſtinɛtion que rien ne peut détruire, & que toutes les claſſes de la ſociété ont intérêt à reſpecter cette tranſmiſſion de titres, le plus beau des héritages qu'on puiſe faire paſſer à ſes enfans, Elle y repréſente, que ſi la Nobleſſe héréditaire n'étoit pas une propriété au-deſſus de tout pouvoir, fon abolition ſeroit à l'égard des gentilshommes une dégradation qui, dans nos meurs, ne pourroit être prononcée que comme la peine des plus grands crimes. Elle y expoſe, qu'ayant toujours été, & étant toujours prête à verſer fon ſang pour le ſervice de - ( 243 ) ] la patrie, lui ayant ſacrifié ſans peine tous ſes avan- tages pécuniaires, & ne reſpirant que pour la défenſe, elle ne devoit pas s'attendre qu'on voudroit la dé- pouiller d'une diſtinɛtion que les aïeux ont acquiſe au prix de leurs vies & de leurs fortunes, & qui appar- tient à ſes deſcendans par une ſubſtitution indeſtruc- tible; aucune puiſſance humaine ne pouvant empêcher que le fils d'un gentilhomme ne naiſe gentilhomme. 1 Elle y proteſte unanimement, qu'elle défendra de toutes ſes forces ſon exiſtence politique, comme liée au fort de l'Etat, comme chère & précieuſe à ceux qui repréſentent les conquérans des Gaules, & comme nécef- faire à la liberté du Peuple François qui ceſſeroit bientôt d'étre franc, s'il perdoit ſes vrais foutiens, ſes vrais amis. Elle y déclare en conſéquence, que comme c'eſt avec son épée qu'elle a acquis ſes titres, c'eſt avec cette même épée qu'elle les soutiendra contre les ennemis de la Monarchie, étant certain qu'il n'y a point de Monarchie ſans Nobleſſe. (*) (*) Ce que je viens de citer eſt tiré des proteſtations faites, Au nom de la Nobleſſe de la Sénéchauffée de Chatellerault, par le Comte d'Eſcars ; Au nom de la Nobleſſe de la Sénéchauſſée d'Auch, par le Baron de Luppé; Au nom de la Nobleſſe de la Vicomté de Paris, par le Duc de Caſtries, le Bailli de Cruffol, MM. d'Eſpremenil & d'Or- meflon ; Au ? A į 244 ) 1 C'eſt cette dernière propoſition, reconnue jur- qu'à ce jour pour indubitable, qu'il fauť préſen- tement démontrer, puiſqu'on affecte de la con- tredire, quoique' au fond de l'ame on fache très- bien que l'anéantiſſement de la Nobleſſe étoit le dernier pas qu'il reſtât encore à faire pour parvenir å l'anéantiffement du gouvernement monarchique. A 1 ! 1 Au nom de 'la Nobleſſe du Poitou, par MM. de Cruſſol d'Amboiſe, de Lamberti, de la Chatre, &c.; Au nom de la Nobleſſe du Bugei, par le Marquis de Clermont-Mont St. Jean ; Au nom de la Nobleſſe d'Angoumois, par le Comte de Culan, & le Marquis de St. Simon; Au nom de la Nobleſſe de la Sénéchauffée de Caſtelnaudary, par le Marquis de Vaudreuil ; Au nom de 'la Nobleſſe d'Auvergnes par le Marquis de la Queạille ; Au nom de la Nobleſſe de Lorraine, par les Comtes de Ladre, de 'Touſtain, &c. ; Au nom de la Nobleſſe du Bailliage de Dijon, par le Comte de Levis; Au nom de la Nobleſſe du Bailliage d'Autun, par le Mar- quis de Digoine; Au nom de la Nobleſſe d'Alſace, par le Baron de Landerberg; Au nom de la Nobleſſe du Haynaut, par le Baron de Né- dionchel; Au nom de la Nobleſſe des Bailliages de Provins & Mon- treau, par le Marquis de Parois; Au nom de la Nobleſſe du Cotentin, par le Baron de Juigné; Au nom de la Nobleſſe de la Vicomté de Coufferans, par le Comte de Pannetier, &c. Je pourrois citer vingt autres proteſtations remplies du même eſprit, & conçues à pey-près dans les mêmes termes. 0 : 1 [ 245 ] Je ne répéterai pas ce que j'ai dit, d'après Mon- teſquieu, ſur la néceſſité des pouvoirs intermé- diaires dans tout gouvernement monarclrique, & ſur ce qu'il n'eſt pas d'intermédiaire plus naturel entre le Roi & le Peuple, que celui de la Nobleſſe: mais pour rendre cette vérité plus ſenſible, j'expli- querai comment & dans quel ſens, la Nobleſſe remplit cette fonction d'intermédiaire, qui eſt de l'effence même de la monarchie. Monteſquieu ſemble n'en avoir enviſagé l'utilité, que pour tempérer l'autorité royale & arrêter la puiffance arbitraire. Il conſidéroit la monarchie dans ſa plénitude, & le pouvoir de faire des loix, réuni dans la main d'un ſeul, au pouvoir de les faire exécutér. L'idée d'un Corps repréſentatif du peu- ple, exerçant en ſon nom le pouvoir légiſlatif, n'entroit pas dans la théorie : il n'eft donc pas étonnant qu'il n'ait pas eu en vue ce qu'il fal- doit pour en prévenir les entrepriſes, & qu'après avoir dit que la maxime fondamentale de la mo- narchie eſt, Point de Monarque, point de Nobleſſe; point de Nobleſſe, point de Monarque, il ait ajouté feulement, Mais on a un deſpote; au lieu de dire, Mais on a, ou un deſpote, ou une aſſemblée de tyrans populaires. C'eſt pour garantir également de l'une & de l'au. tre extrémité, que la Nobleſſe eſt néceſſaire dans une monarchie, & Monteſquieu n'eût pas manqué de l'obſerver, s'il eût vécu de nos jours, ou s'il eût prévu ce que de ſon tems on étoit bien éloigné 1. I [ 246 ] d'imaginer. "Accoutumé à découvrir les effets dans leurs cauſes, ce grand homme eût commencé à préſager ce que nous éprouvons, dès l'inſtant qu'il eût vu un Miniſtre républicain donner au Tiers Etat une prépondérance décidée dans l'Af- ſemblée des trois Ordres, tant par l'effet de la double repréſentation, que par les vices du règle- ment de convocation, ſpécialement en ce qui con- cerne les repréſentans du Clergé. Monteſquieu eût dès-lors averti des ſuites auxquelles on s'ex- poſoit; & fi le conſeil du perfide ambitieux qui captivoit le peuple pour dominer le royaume, & qui a tout perdu & pour le royaume & pour lui- même, avoit prévalu ſur ſon aviš, il ſe fût écrié : Conſervez du moins votre Nobleſſe comme le ſeul contrepoids des entrepriſes démocratiques, comme la ſeule barrière qui puiſe arréter les uſurpations d'une Aſſemblée tendante, par ſon organiſation, à l'inva- fion de tous les pouvoirs. Si enfin, après avoir vu ſupprimer tous les Ordres, & confondre tous les rangs, il eût auſſi été témoin de l'aveugle effer- veſcence qui a fait décréter l'abolition de la No- bleſſe Françoiſe, il n'auroit pu que gémir ſur le ſort de fa malheureuſe patrie livrée à cette dégra- dation de gouvernement démocratique, que les anciens appeloient Ochlocratie, & que Ciceron dé- ſigne dans ſes Tuſculanes, lorſqu'il cite pour exem- ple de la plus exceſſive dépravation populaire, ce que prononcèrent les Ephéliens en exilant Her- modore: Que perſonne de vous ne ſoit au-deſſus des autres ; et fi quelqu'un ſe trouve dans ce cas, qu'il aille habiter d'autres terres. Décret qui, ſuivant [ 247. ] ! A Héraclite le philofophe, rendoit puniſſables de mort tous ceux qui l'avoient porté. (*) Bien moins ſévères qu'Héraclite, nous ne con- damnons qu'au repentir ceux qui ſéduits par des chimères d'égalité dont on leur a déguiſé les con- ſéquences, n'ont pas apperçu que les vains efforts que l'on faiſoit pour détruire la Nobleſſe, n'étoient que des coups portés à la Monarchie; que ſuppri- mer tous les rangs, toutes les diſtinctions d'état, c'étoit briſer l'échelle pyramidale de la ſubordi. nation ; que c'étoit rompre tous les anneaux qui uniſſent le Monarque aux ſujets, & les ſujets au Monarque ; que c'étoit rendre le Corps légiſlatif abſolu, le Pouvoir exécutif nul, l'anarchie inévi- table ; que c'étoit même facrifier le peuple & la liberté, étant prouvé, par l'hiſtoire de tous les âges, que les déſordres de l'ochlocratie conduiſent tou- jours aux excès du deſpotiſme. La Nobleſſe n'eſt-elle pas contre ces deux fléaux le préſervatif le plus naturel & le plus efficace ? n'a-t-elle pas le plus grand intérêt à vouloir écarter l'un & l'autre, & les plus grands moyens pour le pouvoir ? Elle a tout à perdre, ſi le Monarque eſt fans force; elle perd tout s'il devient deſpote. Son ſalut eſt dans l'équilibre des pouvoirs. Par l'élé- (*) Univerſos, ait, Ephefios elle morte mul&tandos, quod cum civitate expellerent Hermodorum, ita locuti funt: Nemo de nobis unus excellat; fin quis extiterit, alio in loco & apud alios fit.-Cic. Tuſcul. Queft, lib. 5. cap. 36. .1 [ 248 ] vation de fon rang, & par l'importance de fes por- feffions, elle ſe trouve liée, plus qu'aucune autre claſſe de citoyens, à la conſtitution d'un gouver- nement modéré; & elle eſt auſli, par ſon rang, par ſes poſſeſſions, plus en état de défendre & de maintenir cette même conftitution. C'eſt par cette raiſon que l'abolition de la No- bleſſe a toujours été dans les projets des déma- gogues, & toujours auſſi dans ceux des deſpotes. Les Tribuns du Peuple Romain fuffroient avec impatience qu'il exiſtât des Patriciens: les Em- pereurs les confondirent avec les Plébéïens. Le po- pulaire Marius proſcrivit les Nobles dans Rome : le tyran Caligula les dépouilla & les perſécuta dans les Gaules. Les pures démocraties, telles que celle de St. Marin, & de quelques petits cantons de la Suiſſe (†), excluent la Nobleſſe : les grands (+) C'est une erreur de dire, comme l'ont fait quelques écrivains, qu'il n'y a aucune Nobleſſe en Suiſſe. Cela n'eſt vrai qu'à l'égard des plus petits Cantons de cette République, comme ceux d'Appenzel, d'Underwaald, de Glaris, de Zug, d'Ury, de Switz: mais aſſurément on ne peut pas dire qu'il n'y ait pas de Nobleſſe dans le Canton de Berne où elle ſe tient fort ſéparée du peuple ; dans celui de Fribourg où le gouvernement réſide entre les mains de 40 familles nobles ; ans celui de Soleure où les Patriciens ſont en poffeffion de tous les emplois publics ; dans celui de Zurich où une des treize tribus n'eſt compoſée que de Nobles non commerçans.; dans celui de Schaffouſe où il y a auſſi une tribu:de Nobles. En général, on peut dire que la Nobleſſe et de tous les pays, & qu'elle a exiſté.chez toutes les nations policées. I 1 1 1 1 [ 249 1 pays d'eſclavage, tels que la Turquie," ne la connoif- ſent pas. Parcourez les faſtes de toutes les nations, vous verrez toujours la Nobleſſe également en buc aux ennemis de l'autorité, &c aux ennemis de la liberté. Vous la verrez auſſi être maintenue, ché- rie, Et reſpectée par les peuples les plus fages & dans les monarchies les plus heureuſes. De ce nombre eſt certainement l'Angleterre, où les Lords ſont regardés comme le ſoutien de la conſtitution; où le peuple, qui n'a pas oublié combien là No- blefle a contribué au rétabliſſement de la liberté, n'a garde de vouloir s'en féparer, & eſt plus uni avec elle que dans aucun autre pays du monde ; où enfin la très-honorée diſtinction des Pairs du royaume, ſe conciliant avec une eſpèce de transfu- fion continuelle de leur parenté dans le ſein des Communes, prouve que dans un gouvernement bien ordonné, le maintien des rangs ſympathiſe par- faitement avec l'intérêt de la généralité des habi- tans, & que de leur accord réſulte l'harmonie pu- blique. + .. t 1 Je termine cet article par une autorité qui ne doit pas être fufpecte à nos philoſophes ; c'eſt celle de l'Encyclopédie. On y lit: Toute Monarchie.ove il n'y a point de Noblele, eſt une pure tyrannie.... la Nobleſſe tempère la ſouveraineté, & par ſa propre Splendeur accoutume les yeux du peuple à fixer & à soutenir l'éclat de la Royauté, ſans en être effrayé... Il eſt bon que la Nobleſſe n'ait pas trop de puifjance, & qu'elle ſe conſerve cependant une grandeur eſtimable, ܀ [ 250 1 & propre à réprimer l'inſolence populaire, pour l'em- pêcher d'attaquer la majeſté du Trône. ! L'abolition de la Nobleffe eft donc auſſi im- politique qu'oppreſſive; auši incompatible avec la Conſtitution de la France, qu'attentatoire aux droits de la propriété; auſſi menaçante pour la tranquil- lité publique, qu'impoſſible à exécuter. plus; & On ne ſauroit inêre trouver la moindre lueur de prétexte au décret qui l'a prononcée, puiſque, d'une part, l'inconvénient des exemptions pécu- niaires dont la Nobleſſe avoit joui, ne fubfiftoit que, d'autre part, tout le monde étoit d'accord ſur la réformation votée par les cahiers, de tous abus relatifs, ſoit aux moyens d'acquérir la Nobleffe, ſoit aux cauſes qui la faiſoient perdre. Ainſi l'injuſtice eſt d'autant plus révoltante, qu'elle eſt entièrement gratuite, & dénuée de tout intérêt. trature.. Propriétés J'ai dit que la violation de propriété frappoit de la Magif- auſſi ſur la Magiſtrature, fous le nom de laquelle j'ai entendu comprendre tous ceux qui poſsèdent des offices de judicarure ou autres relatifs à l'ad- miniſtration de la juſtice. Ce que j'ai à obſerver fur ce ſujet pourroit paroître prématuré, parce qu'il n'y a encore rien de réglé quant à l'indemnité due aux propriétaires des charges ſupprimées; mais c'eſt déjà une léſion très-réelle pour eux, que d'avoir été mis, depuis un an, dans l'impuiſſance de tirer aucun parti de leurs offices, & de ne pouvoir ni les > [ 281 ! les vendre, ni en jouir, ni même prévoir ſur quel pied ils ſeront rembourſés. Au mois d'Août 1789, l'Allemblée a décrété que la vénalité des charges de judicature étoit ſupprimée dès cet inſtant, & que la juſtice feroit rendue gratuitement. Il eſt vrai qu'elle a ajouté, & néanmoins les officiers pourvus de ces offices continueront d'exercer leurs fonctions, & d'en percevoir les émolumens, juſqu'à ce qu'il ait été pourvu. par l'Aſemblée, aux moyens de leur procurer leur rembourſement. Jufques-là il reſtoit une apparence d'équité; & quoique, pour être conſéquent à l'article de la Dé- claration des Droits de l'Homme portant que l'in- demnité feroit préalable à toute privation de pro- priété, il eût fallu pourvoir aux moyens de rem- bourſement avant de priver les propriétaires du droit de vente, au moins leur conſervoit-on la jouiſ- fance de l'objet qu'on rendoit inaliénable entre leurs mains : mais bientôt après, par une nouvelle inconſéquence, ces mêmes fonctions, dont l'exer- cice ainſi que les émolumens y attachés, avoient été réſervés aux officiers de judicature par le dé- cret du mois d'Août 1789, leur ont été enlevés par celui du 3 Novembre ſuivant, lequel a inis tous les Parlemens du royaume dans un état de vacance indéfini, qui fubliſte encore, & ne finira que par leur deſtruction déjà implicitement prononcée. Depuis ce dernier décret qui ſembloit n'or- donner qu'une ſuſpenſion momentanée des Cours ſouveraines, en attendant, eſt-il dit, l'époque peut T [ 252 1 V Eloignée où l’Aſemblée s'occupera de la nouvelle of - ganiſation judiciaire, il y a déjà neuf mois que la juſtice eſt vacante en France, & que tous les Par- lemens du royaume, auxquels les Chambres de vacations ne peuvent ſuppléer que très-imparfai- tement, font dans un état d'inertie qui prive les Magiſtrats des épices formant le principal pro- duit de leurs charges, qui réduit à l'indigence les nombreux ſuppôts de juſtice attachés aux Couts ſouveraines, & qui laiſſe conſéquemment ſans re- venus, une maſſe énorme de capitaux leſquels font toute la fortune de la plupart de ceux à qui ils ap- partiennent. Ce n'eſt pas là fans doute le principal inconvém. nient de l'inaction à laquelle font réduites indé- finiment les Cours de juſtice; mais je ne l'enviſage en ce moment que par rapport aux propriétés ; & l'atteinte qu'elle leur donne, n'eſt que trop ſenſible pour toutes les familles qui poſsèdent quelques charges de magiſtrature, ou quelque office dont l'exercice dépend de l'activité des Parlemens. Elles perdent leur revenu; elles ne ſavent pas quand elles feront rembourſées de leurs capitaux, ni comment elles le feront, ſi ce ſera ſur le pied de leurs acqui- ſitions, ce qui eſt de toute juſtice, ou ſi ce ſera ſur le pied de la première finance qui n'a aucune proportion avec la valeur courante qu'on doit ſeule regarder comme le prix réel des offices ; & quand même ils ſeroient aſſurés d'une liquidation équi- table, peuvent-ils l'être d'un rembourſement ef- fectif, lorſqu'ils n'ont pour recours, qu'un tréſor 1 1 ! [ 253 ] public épuiſé & réduit à ne payer qu'en papier ſes dettes les plus preſſantes ? 4 I Etoit-il donc permis de dépouiller pluſieurs mil- liers de citoyens de leur propriété, ſans avoir prévu comment on pourroit les en dédommager, ou, pour mieux dire, lorſqu'on ſavoit parfaitement qu'on étoit dans l'impuiſſance de leur offrir aucun gage de rem- bourſement ?' Et quelle propriété encore ! Celle à laquelle on s'étoit préparé par de longues & péni- bles études; celle qu'on n'avoit acquiſe que pour avoir un état honorable, folide, & tranſmiſſible à ſes deſcendans; celle dans laquelle peut-être, on avoit vieilli, à laquelle on avoit voué toute ſon exiſtence, & par laquelle, on avoit bien mérité de ſes conci- toyens ! Qu'on ſe repréſente toutes les ſituations où peuvent ſe trouver, ici un père de famille qui a ſacrifié tous les plaiſirs de la vie à la plus ennuyeuſe des profeſſions, pour conſerver à ſon fils l'honneur héréditaire que ſes ancêtres y avoient recueilli & attaché ; là, un magiſtrat peu fortuné qui n'ayant d'autres reſſources que ſes talens & d'autre déſir que de les rendre utiles à fa patrie, s'eſt déterminé en conſéquence à emprunter le prix d'une charge conſidérable à conſommer ſon modique patrimoine en frais de marc d'or ou de réception dont il ne ſera jamais indemniſé, & qui ſe trouve aujourd'hui ſans état, ſans moyen de s'acquitter, & réduit à at- tendre, à une époque très-indéterminée, un rem- bourſement très-équivoque ! Qui peut apprécier tous les genres de léſions réſultantes de ces cruelles I a 1 [ 254 ) réfolutions ſur leſquelles on fe donne à peine le tems de réfléchir, & à l'examen deſquelles on ne daigne pas appeler le conſeil de l'humanité ? Grand Dieu! faut-il que toujours la prétention de faire un bien incertain, entraîne les homines à faire des maux indubitables ? claffes. Propriétés La mêine réflexion s'applique à une infinité des citoyens de toutes les d'autres violations de propriété, que les décrets de l'Aſſemblée font fouffrir aux citoyens de toutes les claffes. Combien y en a-t-il qui ont prêté leurs fonds & peut-être tout ce qu'ils poffédoient dans le monde, les uns au Clergé en corps, ou à ceux de ſes membres qui jouiffoient d'un revenu fuffi - ſant pour répondre de leur exactitude à s'acquittér ; les autres à des Seigneurs de terres, qui avoient donné pour hypothèque, des redevances cenſuelles, des bannalités, des droits fonciers dont la propriété ne pouvoit alors paroître ſuſpecté ; d'autres, enfin, à des Magiſtrats dont l'ofice étoit le gage privilégié des ſommes deſtinées à ſon acquiſition...... leſquels aujourd'hui, par là triple fpoliation du Clergé, des Seigneurs, & des Magiſtrats, ſe voient dépour- vus de tout nantiffement & privés des furetés qui leur étoient garanties par la loi ? Perfuadera-t-on qu'ils doivent ſe trouver fuffi- fammenť dédommagés en devenant créanciers de l'Etat? Eſt-ce à l'Etat qu'ils avoient entendu con- fier leurs fonds? Ét peut-on changer les conditions d'un contrat, fans le conſentement des parties con- tractantes? 1 1 [ 255 ] Les mêmes décrets qui ont léſé les propriétaires de fonds, ont donc auſſi léſé les propriétaires capita- liſtes, & cette répercuſſion d'injuſtices à frappé tous les érats. Il n'en eſt aucun qui ſoit à l'abri des contre-coups de cette commotion générale. Çeux qui ont mis leurs fonds dans le commerce, ceux dont l'induſtrie fait toute la propriété, ceux qui ne font riches que de leurs talens, & qui ont employé tout ce qu'ils avoient pour les acquérir, n'ont-ils pas à fe plaindre des funeſtes innovations qui onç porté par-tout la langueur & la ſtérilité ? Tout moyen de fubfiftance honnêtement acquis, toute jouiſſance poſſédée légitimement, tout don fait par celui qui a droit de donner, eſt ſans contre- dit une propriété ; & fi ces réformateurs, qui ſe glorifient d'être impitoyables, ſe piquoient, avant tout, d'être juſtes, ils auroient reconnu qu'une récompenſe accordée par le Souverain, pour fer- vices rendus à la patrie; que des appointements de retraite, fruits d'une carrière pénible où l'on a pro- digué ſes veilles, & conſommé ſon bien ; qu'une penſion obtenue au milieu des dangers, & au prix de fon ſang, méritent bien toute la faveur de la pro- priété ; qu'elles la méritent, pour le moins autant que les autres créances ſur l'Etat. 1 Il y a eu de l'excès ſans doute, il y a eu des abus dans la conceſſion des grâces; il convenoit d'y mettre ordre ſévèrement pour l'avenir ; peut-être même rétroactivement à quelques égards ; & déjà l'on avoit repris, par retenue ſur les penſions, le cin- I 3 [ 256 ] quième du total. Qu'on eût ajouté à cette repriſe, , de nouvelles réformations bien placées, elles n'au- roient excité aucune plainte: mais tout confondre dans une ſuppreſſion générale; réduire ceux qui ayant bien ſervi l'Etat, en ont obtenu de quoi vivre, à folliciter de nouveau leur ſubſiſtance, & s'arroger le droit inouï d'effacer d'un trait de plume tout ce que les Rois de France ont répandu de bienfaits depuis 30 ou 40 ans, c'eſt un excès bien plus grand, c'eſt un abus bien plus choquant que tous ceux qu'on réforme ; c'eſt tout à la fois uſurpation, ing juſtice, & inhumanité. Quel cour ne ſaigneroit pas au récit fait à l'Af ſemblée par un de ſes membres (*), qu’un vieil Officier couvert de bleffures étoit venu lui dire, J'ai été au Comité réclamer le paiement de ma penſion, qui eſt de 700 francs, & j'ai repréſenté qu'elle m'étoit néceſaire pour ſubſiſter. Allez, m'a-t-on. répondu, ALLEZ DEMANDER A VOS PARENS.-Le reſpectable Militaire qui a fait cette touchante ré- clamation de 30 louis de penſions pour neuf blef- fures, eſt un Montagnac !... l'auteur de la repouſ- fante réponſe eſt M. Camus !... Comment ſoutenir l'idée que le fort des défenſeurs de l'Etat dépen: droit de tels hommes ! (*) M. de Virieux, qui, en prenant avec feu la défenſe des braves & anciens Militaires, a montré des ſentimens dignes de ſa naiſſance, & a été fecondé par MM. de Wimpfen, de Si- netti, & pluſieurs autres vertueux gentilshommes, dont néan- moins les pathétiques' repréſentations n'ont pu, diſent les journaux, émouvoir l'inflexible ſacrificateur. [ 257 ) Voilà cependant où conduit le décret du 16 Juillet dernier, qui ſupprime toutes les penſions, gratifications, aſurances de dot & de douaire, ap- pointemens, conſervés, récompenſes, & c.... & qui or- donne qu'il ſera procédé à une création nouvelle de penſion, ſuivant le mode qui ſera réglé par l'Ajjem- blée. Ainſi la diſpenſation des grâces eſt ôtée au Monarque, pour être attribuée à des Avocats devenus Souverains !--Ainſi ceux qui ne peuvent être inftruits ni de la valeur, ni de la vérité des divers ſervices rendus dans un eſpace de 40 an- nées, par des citoyens de tous les ordres & de tous les états, prétendent qu'il n'appartient qu'à eux d'en eſtimer le prix !-Ainſi des milliers d'in- fortunés, qui, dans le fond d'une province, ne ſub- fiftent, eux & leur famille, qu'à l'aide d'une mo- dique penſion, ſont expoſés à la perdre, fi, n'ayant d'autres titres que le malheur, le malheur même les empêche de ſe faire entendre, & de pouvoir récupérer ce qu'on leur arrache !--Ainſi une Af- ſemblée continuellement en efferveſcence, une Ar- ſemblée déchirée par des diviſions inteſtines qui chaque jour éclatent avec un nouveau ſcandale, une Aſſemblée que tout le monde voit être dominée par le plus violent eſprit de parti (*), veut qu'on croie qu'elle ſeule peut récompenſer avec une équité 1 o (*) Ce qui ſe paſſe en ce moment-ci, à l'égard de la Municipalité de Montauban, n'en eft-il pas un exemple frappant I ( 258 ) I toujours calme, toujours impaſſible ; qu'elle ſeule peut tenir la balance avec le bandeau de l'impar- tialité ſur les yeux; & que la perſonnalité qui ſe montre en tous ſes jugemens, n'influera pas dans ſes diſtributions ! Ainſi, ce n'étoit point aſſez d'a- yoir ravi au Roi tous les moyens de gouverner ſes ſujets, il falloit encore lui enlever la ſatisfaction de reconnoître leurs ſervices; il falloit, après avoir annullé ſon pouvoir, annuller juſqu'à la bienfai- fance ! [ Les réflexions viennent en foule ſur chacune de ces propoſitions ; mais n'enviſageant en ce moment que les atteintes portées à la propriété, je me borne à faire voir qu'on doit regarder comme telle cette ſuppreſſion indirecte qui anéantit une infinité de jouiſſances légitimes, & qui fubftitue des eſpérances incertaines, à des droits acquis. 1 1 Peut-on nier qu'il n'y ait beaucoup de penſions juftes ? Je ſoutiens que c'eft le plus grand nombre ; & il me ſeroit aiſé de le prouver, ſans être même obligé de combattre le préjugé qu'on s'eſt efforcé d’établir contre celles qui font du département de la finance, leſquelles ne font que le ſixième du tout, puifque les deux tiers de ce tout tiennent - aux dé- ' parteméns militaires, & que dans l'autre tiers la inoitié ſeulement dépend de celui des finances.(*) 4 (*) En Avril 1987, quand j'ai rendu compté à l'Affem. blée des Notables, les penſions du département de la Guerre [ 259 1 Or, s'il eft indubitable qu'il y a beaucoup de penſions juſtes, c'eſt donc commettre beaucoup d'injuſtices que de les ſupprimer toutes, même en ſe réſervant une création nouvelle ; c'eſt violer la propriété de tous ceux qui ont droit de conſerver ce qu'on a eu le droit de leur donner, ce qu'ils ont eu droit de recevoir. Dût-on même rétablir ce droit après l'avoir vérifié, commencer par le détruire quand il exifte, pour le remettre en queſtion comme s'il n’exiſtoit pas, c'eſt encore attenter à la propriété, car c'eſt la troubler. Faut-il à préſent conſidérer les penſions de pure grâce ? Il en eſt certainement qui non-ſeulement ſont très-favorables, mais même de nature à être miſes au rang des propriétés. De ce nombre font celles qui ont été accordées à titre de dot, ou de douaire, & généralement toutes les aſſurances don' nées en faveur de mariage: des engagemens do- 1 montoient un peu au-deſſus de Celles de la Marine, à Celles des affaires étrangères, à Celles de la Maiſon du Roi, à Celles de la Magiſtrature & de la Finance, enſemble à 16,000,000 2,000,000 600,000 4,000,000 U 5,400,000 Total 28,000,000 En féparant du dernier article les penſions propoſées par le Chef de la Magiſtrature, il ne reſte que 4 à 5 millions dépen- dans du département des finances. Je ferai voir que, quoi qu'en diſe M. Camus, la maſſe entière, avec les réunions dont. elle eſt ſuſceptible, n'excède pas 32 millions, [260] + taux, pris par le Roi dans un tems 'où l'on voyoit en fon pouvoir tous les moyens de les exécuter, n'ont-ils pas fondé une juſte confiance ? Et quand des mariages ont été contractés ſur la foi qui leur étoit due, de tels engagemens ſont-ils donc moins facrés, moins irrévocables que le font les donations nuptiales ftipulées par des particuliers ? Toutes les loix protègent ſpécialement les conditions des mariages, & leur accordent plus de faveur qu'à tous autres actes, parce que ſur elles repoſent & la tranquillité des familles, & la conſervation des bonnes meurs, & les principaux liens de la ſociété : fi l'Aſſemblée légiſlatrice donne elle-meme l'exem- ple de les enfreindre, qui fe croira tenu de les ref- pecter ; & quel déſordre, quel trouble n'en réſul- teroit-il pas ? Pour couvrir tant d'injuſtices, & s'en faire même un mérite populaire, on ne manque pas de dire que la plus grande, la plus criante des injuſtices, eſt de voler au peuple le prix de ſes ſueurs en l'ap- pliquant à des dons immérités ; d'appauvrir l'Etat, pour enrichir les vampires de la Cour; de ſurchar- ger les contribuables, pour fournir à des profuſions immodérées. Le Roi, ajoute-t-on, n'en avoit ni le droit, ni l'intention; ce que des Miniſtres dila- pidateurs ont ſurpris de fa bonté, eſt nul en foi, & prononcé nul par la néceſſité. 1 1 Ces allégations répétées avec véhémence, & ſur- hauſées par l'exaggeration, ont pu produire le 1 [ 261 ។ double effet auquel elles tendent, celui de faire bénir l'Afſemblée, & maudire le Miniſtère: mais, vues de ſang-froid, que ſignifient-elles ? Exami- nons-le; & comme c'eſt par les abus qu'on attaque le droit, fixons l'idée qu'on doit avoir de l'abus, avant de rétablir celle qu'on doit avoir du droit. 1 M. Camus, dans ſon rapport au nom du Comité des penſions, en a élevé la maſſe de 30 millions à 58, & bientôt après, de 58 juſqu'à 80. Etrange manière de compter! mais comme aujourd'hui on parvient à faire croire ce qu'il y a de plus incroyable, il eſt néceſſaire d'entrer dans quelques détails in- conteſtables, pour ramener au vrai les opinions qu'on égare ſur tous les objets. Les penſions, qui étoient portées à 28 millions dans le compte de M. Necker en 1781, ne mon- toient, quand je rendis compte en Avril 1787, qu'à 27 millions. (1) Suivant le compte publié par ordre du Roi en Mars 1788, les penſions, malgré l'extinction gra- duelle réglée pendant mon miniſtère, & les retenues ordonnées en Octobre 1787, étoient encore au même taux de 27 millions ; attendu, eſt-il dit, qu'on a reporté aux penſions plu- 1 (1) Page 43 des Pièces Juſtificatives imprimées à Londres à la ſuite de mon Mémoire publié en Janvier 1788. + 1. [ 262 ] > come jieurs traitemens qui n'auroient pas dû en étre dif- traits (2). 1 Le même compte avoit annoncé qu'en 1789 elles ſe trouveroient décrues de 450 mille livres, par l'extinction graduelle, & qu'en conſéquence elles ne ſeroient plus que de - 26 millions 550 mille liv. Cependant M. Necker, dans le compte qu'il a rendu à l'Aſſemblée Nationale le 1 Mai 1789 (3), les a portées à 29 954 mille liv, millions 9.54 Je ne ſais pas la raiſon de cet accroiſſement de . 35404,000 liv, en une ſeule année. On në peut pas ſuppoſer qu'il ſe rapporte en entier aux nou- velles réunions faites par M. Necker, en ſus de celles effectuées par ſon prédéceſſeur : car, ſuivant le détail donné par M. Necker lui-même, de ces nouvelles' réunions (4), elles ne montent qu'à la ſomme de 468,240 liv. ; il reſteroit donc environ 3 millions d'augmentation non motivée. M. Nec- ker devroit en rendre compte. Seroit-ce là un des exemples de la ſévère économie dont il ſe vante? ز Mais, quoi qu'il en ſoit, la ſomme à laquelle il a évalué le montant de tout ce qu'il a compris ſous ( 2.) Page 110 & 111 du Compte rendu en Mars 1788. (3) Page 132 du Compte rendu le premier Mai 1989. (4) Voyez depuis la page ini dudit Compte, juſqu'à la page 119; & la Lettre de M. Dufreſne, du 16 Mars 1990. 3 . 1 [ 263 ] ce titre; en fait paroître la dépenfe plus forte qu'elle ne l'eſt réellement, puiſque les retenues ordonnées en 1787, & qui ont eu tout leur effet en 1789, de- vroient être ſouſtraites du montant des penſions; au lieu qu'on a préféré, je ne fais pourquoi, de les porter en recette, ſur le pied de 4 millions 889 mille livres (5). Cette ſomme étant retranchée, comme elle doit l'être, de la précédente, la dépenſe dės penſions, gratifications, &c. fe-trouve réduite. à 25 millions 65 mille liv. & dans ces 25 millions font compriſes, outre toutes les penſions payées par brevet ſur le tréſor" royal, celles des Princes du Sang; les penſions dites fe- crettes ; les gratifications ſur les bénéfices des fer- miers-généraux, pendant la durée de leur, bail; celles des employés des fermes, de leurs veuves, de leurs enfans; celles des anciens ſujets retirés de l'opéra; celles payées à la caiſſe des monnoies; celles priſes ſur les dépenſes de la bibliothèque du Roi; celles de charité ſur la loterie royale ; celles d'indemnité ſur la caiſſe des meſſageries ; celles d'encouragement ſur la caiſſe du commerce; & celles dés réformes dans les colonies. 1 + En conſidérant ce qui compoſe cette énuméra- tion, & le ſoin qu'on a pris dans les comptes de 1788 & de 1789, de réunir au chapitre des penſions juſqu'à des gratifications paſſagères, des retraites, (5) Page 16 dudit Compte du premier Mai 1789 ( 264 1 des indemnités, des réformes; & autres objets que précédemment on diſtinguoit des grâces viagères, on a lieu de s'étonner qu'on ait pu prétendre qu'il s'en falloit du tout au tout que la ſomme de ce cha- pitre fût complette, & qu'en réalité elle étoit dou- ble, ou même triple, de ce que juſqu'à préſent elle avoit paru être ſuivant les comptes ſucceſſifs de tous les Miniſtres des finances. Il étoit réſervé à M. Camus de faire cette découverte ; & il feroit difficile de deviner comment il y eſt parvenu, s'il n'avoit pas lui-même publié ſon ſecret. 1 1 II conſiſte à appeler penſions ou grâces, ce qui n'eſt ni l'un ni l'autre; à compter comme dépenſe à la charge du tréſor royal, ce qui n'augmente en rien ſa dépenſe ; à mettre au rang des paiemens ce qui ne ſe paie pas; & à faire une infinité de doubles emplois, en déplaçant tous les objets. Pour démontrer que c'eſt-là très-exactement le procédé inventé par M. Camus, je ne citerai que lui-même. Dans le troiſième paragraphe de ſon premier rapport ſur les penſions, il diviſe en fix claſſes ce qu'il lui plaît d'appeler l'état aftuel des grâces pécuniaires. Il place dans la première claſſe un grand nombre d'articles de gages & traitemens payés ſur les fonds de la Maiſon du Roi, ou de ce qu'on appelle à pré- 1 i 1 1 Ć 26.5 ] fent la liſte civile, des indemnités pour droits de charges ſupprimées, des paiemens abonnés au garde- meuble, pour fourniture de linges, voitures, &c. des dédommagemens qu'il eſt d'uſage d'accorder aux maîtres des poſtes, pour unë petite partie ſeulement des pertes accidentelles qu'ils eſſuient relativement à leurs ſervices ; des jettons qui ſe diftribuent aux ſéances des Etats de Languedoc & de Provence, aux dépens de ces provinces ; d'autres dépenſes encore également à la charge de différentes pro- vinces ; des retraites payées ſur le quatrième denier, retenu aux militaires ; des ſupplémens d'appoin- temens, pour dédommager les officiers, qui par la formation de 1788 ont éprouvé des diminutions ſur le traitement qui leur avoit été fixé par l'ordon- nance; des ſecours accordés à de jeunes eccléfiaf- tiques, & des traitemens pour defferte de bénéfices- cures, les uns & les autres payés par les écono- mats, & pris ſur les fonds du Clergé. Enfin, plu- ſieurs autres articles pareillement étrangers à la dé- penfe du tréfor royal, & à la nature des penſions, concourent à former la compoſition très-bigarrée de cette première claſe, dont la ſomme totale eſt de 6,654,260 Q - La ſeconde claſſe, plus étonnante encore, ren- ferme, d'une part, les Commanderies & revenus de l'Ordre de Malthe, leſquels ſe trouvent méta-. morphoſés, par M. Camus, en, penſions & grâces du Roi, quoiqu'ils ſoient à la diſpoſition d'un Sou- 1 1 | 266 ) verain étranger, Chef de l'Ordre à qui ces biens appartiennent (*); d'autre part, les revenus des Ordres de St. Lazare, du St. Eſprit, de St. Louis, & du Mérite Militaire: en ſorte que le total de ce chapitre eſt de 6,095,169 i 1 La troiſième claſje. conſiſte, 1°. en aumônes ac- cordées pour procurer à des malheureux la ſub- Giſtance qu'ils n'ont pas, telles que celles que le Roi fait diſtribuer tous les ans ſur les fonds de ſa caſſette, par le miniſtère des Curés de diffé- rentes paroiſſes; celles que le Clergé donnoit ſur fes revenus'; celles que les Etats de Languedoc ont aſſignées ſur les fonds des provinces : 2°. En ſecours (*) La plus grande partie des biens que l'Ordre de Malthe poffède en France, lui ont été donnés après la deſtruction des Templiers, par un décret du Concile de Vienne ; & il en a été mis en poſſeſſion en 1312, par arrêt du Parlement de Paris. Les Commanderies ne font que de ſimples adminiſtrations con- fiées aux Chevaliers par l'Ordre lui-même, qui y impoſe les charges & conditions qu'il juge à propos, & qui ſe réſerve tou- jours une portion des fruits ſous le titre de Refponfons. Le Grand-Maître, Souverain de l'Ille de Malthe, affifté de ſon Conſeil, diſpoſe des bénéfices & commanderies qui appartien- nent à l'Ordre ; & quels qu'aient pu être les droits de nos Rois à cet égard, il eſt certain qu'ils s'en ſont déportés for- mellement, par des déclarations ſolemnelles en faveur de l'Ordre, & que rien n'eſt moins dans le cas d'être affimilé aux pen- fions, qu'une commanderie. Les poſſeſſions des autres Ordres font aufli très-reſpectables, & doivent également être garan. ties par le principe de l'inviolabilité des propriétés, ! [ 267 ]. fecours concédés de tout tems, & fans termes, à des communautés religieuſes, qui ne pouvoient fubfifter ſans eux : 3º. Et c'eſt l'objet le plus con- ſidérable, dans les paiemens dus par des reconitructions d'égliſes, depuis que Sa Mae jeſté a réuni au tréſor royal des loteries qui avoiene été établies pour y ſubvenir. Tout cela, ſuivant M. Camus, doit s'appeler penſions, & entre dans la collection pour 5,600,417 le Roi pour * La: quatrième claſſe des grâces pécuniaires, sous la formons, dit le rapport, des penſions perſon- nelles. C'eſt dire que cette claffe ſeule comprend la totalité des penſions ; car on n'en conçoit aucune qui ne ſoit perſonnelle : & de fait, ce chapitre des penſions perſonnelles, qui, dans le rapport, eſt for- mé de la réunion des penſions par brevet ſur le tré. for royal, aux penſions payées ſur d'autres caiſſes, ou qui font payées dans ce département par or- donnances particulières & ſans brevets, renferme tout ce qui peut s'appeler penſions. Suivant les calculs du rapporteur, la ſomme de ces deux ar- ticles réunis ſeroit de 33,000,215; calculs ſont vicieux en pluſieurs Mais ces manières. 1°. En ce que, ne déduiſant pas les retenues, ils ſuppoſent que le tréſor royal paie encore ce qu'il ne paie plus : cette erreur eſt d'environ cinq mil- lions, .U [ 268 ) 20. En ce que, par un imbroglio (*). qui aura échappé à l'attention du Comité des penſions, plu- ſieurs articles ſe trouvent répétés, deux fois dans les parties qui compoſent le total: par exemple, les penſions des Princes du Sang, portées pour 734 mille livres dans l'état noté vi, étoient déjà inclus dans l'état noté v; & comme c'eſt l'addition de ces deux états qui forine le montant de la quatrième claffe, il s'enſuit un double emploi. 3°. En ce que cette méthode de doubler les objets en les déplaçant, méthode ſi uſitée par tous les charlatans, faiſeurs de comptes captieux, qui s'en fervent comme d'un verre à facettes pour mul- (*). L'imbroglio conſiſte en ce que M. Camus n'a pas pris garde que dans les états de penſions ſur le tréfor royal remis Cau Comité; & dont le total eft de 29,252,874 liv. on avoit compris les 734 mille livres de penſions aux Princes du Sang, les penſions dites ſecrettes, & les 400 mille livres pour in- demnité de réformes dans les colonies;. ce qui fait la diffé- rence de 1200 & quelques mille livres, que' mal-à-propos on ſemble reprocher comme une erreur à M. Necker, lequel, àveć raiſori, n’a compté que pour 28,036,520 liv. le chapitre qu'il a intitulé, Penſions par brevets, ſur leſquelles ſont déduits les dixièmes anciennement impoſés, n'y ayant pas compris ni dû comprendre les penſions non brevetées, que je viens de citer; mais les ayant compriſes dans ſon total de 29,954,000 liv. de même que les ſept articles qui, dans l'état Nº vi, ſuivent celui des Princes : duSang. Sans cette confuſion des deux états, tout auroit quadré, le total de M. Necker ſe feroit trouvé jufte, & l'on eût évité, le double emploi dans lequel on eft tombé. . con : [ 269 1 tiplier à leur gré les aſpects d'une même choſe, ſe retrouve encore dans un grand nombre d'articles de l'Etat des penſions ſur autres caiſſes que le tréſor royal, où l'on a fait entrer des penſions ou traite- mens compris dans les états de la Maiſon du Roi, de la Reine, & des Princes, dans ceux de la marine, dans ceux des affaires étrangères, dans ceux de la guerre (*). Les fonds de ces divers départemens étant réglés par l'Aſſemblée, & ayant ſouffert les réductions qu'elle a jugé convenables, les articles qui les concernent ne devroient plus reparoître dans les apperçus d'économies nouvelles qu'on préſente au public. S'ils font partie des dépenſes conſer- vées, ils ne ſont plus ſujets à examen; s'ils ſont au nombre des dépenſes retranchées, le Comité des penſions ne doit plus les ranger parmi les réformes qu'il propoſe ; & de toute manière, c'eſt faire illuſion que d'en groſſir ſes états, pour en (*). Les deux premiers articles de cet état appartiennent à celui de la Maiſon du Roi; les fept fuivans, à celui de la Maiſon de la Reine ; le dixièmė fait partie de la dépenſe de la marine; plus avant on trouve les traitemens conſervés, & penſions de retraite du ſervice des enfans de M. le Comte d'Artois, qui ſe prennent ſur les fonds aſſignés pour la Mai. ſon de ce Prince ; ſuit un arriéré compris dans les fonds du département des affaires étrangères ; & les derniers dépen- dent de celui de la guerre. Au reſte, la même remarque s'appliqué plus particuliè. rement encore aux objets de la première claſſe, dont j'ai déjà parlé, & qui tous font extraits de quelques-uns des comptes de départemens, & états de dépenſe déjà arrêtés. U 2 1 [270] 1 conclure enſuite qu'on fait pour 40, ou même pour 70 millions de réduction, ſur un objet qui n'en com- porte pas plus que II à 12. 4%. Enfin, en ce que, dans ce même état, on a compré comme dépenſe du tréſor public, une vingtaine d'articles qui ne ſont pas à ſa charge, mais dont les uns ſont des retenues ſur le profit des journaux & gazettes ; les autres, des penſions ecclé- fiaſtiques ; d'autres, des retraites à d'anciens em- ployés, priſes ſur les émolumens des employés exif- tans, ou ſur les fonds des Etats de Languedoc, &c. La cinquième claje des grâces pécuniaires eſt celle des gouvernemens des provinces, villes, & châteaux. Je n'examine pas s'il eſt mieux de ſub- primer ces places honorables, que de les rendre utiles à l'Etat en faiſant revivre l'exercice habi- tuel de leurs fonctions, & ne les confiant qu'aux Militaires les plus diftingués par leur grade, par leurs ſervices, & pár leur ſageſſe ; je ne m'arrête pas non plus à conſidérer à quel point il importe que le Monarque d'un grand Empire ait à la diſpo- ſition des grâces conſidérables, faites pour exciter l'émulation & augmenter l'attachement des per- ſonnes du plus haut rang; je me borne à obſerver encore, que ce qui eſt compris dans l'état des dé- penſes de la guerre, & par conſéquent dans les ré- ductions faites ou à faire ſur cet état, ne devroit pas ſe reproduire ſous une autre dénomination, comme ſi c'étoit un autre genre de dépenſe, un autre objet 1 1 [ 271 ] d'économie. Le produit des gouvernemens monte à la ſomme de 2,562,393 liv.; mais il n'eſt pas entièrement à la charge du tréſor royal, étant compoſé en partie d'émolumens lo- caux. 4 La fixième claſſe eſt compoſée des encouragemens pour le commerce & les arts, accordés ſous le nom de primes. On en a évalué le montant à 3,990,330. La plus grande partie de cette ſomme eſt relative au commerce maritime, & a pour objet, ſoit d'en- courager la navigation dans le nord &' la pêche de la baleine, ſoit de favoriſer la traite des nègres & d'augmenter la culture de nos colonies, ſoit de favoriſer les moyens de les approviſionner des ſubſiſtances dont elles manquent, & d'animer l'ex- portation des marchandiſes dont elles abondent. Que ces vues, & toutes celles qui tendent à aug- menter les reſſources induſtrielles du royaume, foient enveloppées dans la profcription générale où l'utile & l'abuſif font confondus, il n'y a plus à s'en éton- ner: mais on ne devoit pas s'attendre à leur voir attribuer le caractère de penſions. } Enfin, la septième claſe eſt formée des gratifi- cations extraordinaires & momentanées, qui ne s'aſſignent que pour une fois. Elles ſont en grande partie relatives aux affaires étrangères. Pour pou- voir les affimiler aux grâces viagères, on a pris le parti d'en faire une année moyenne, & on la 932,082 · porte à U 3 . ( 272 ] C'eſt en faiſant l'addition de ces fept claſſes de prétendues grâces pécuniaires, compoſées comme on vient de voir, que le rapporteur du Comité des penſions conclut en ces termes : Voilà déjà une maſſe totale de 58,836,721 liv. qui eſt donnée annuellement dans le royaume.... Mais il ne s'en tient pas là; il annonce qu'il y a encore beaucoup à ajouter pour des objets dont les uns ne peuvent être évalués d'une manière préciſe, les autres ne pré- ſentent pas une valeur connue quant à préſent, & offrent néanmoins, foit ſeuls, ſoit par leur réunion avec d'autres parties, un apperçu conſidérable. ! . 1 Sans l'explication qui vient à la ſuite de cette phraſe, il ſeroit difficile d'en ſaiſir le ſens, &.de concevoir ce qu'on peut entendre par un apperçu conſidérable d'articles indécis d'une valeur inconnue & inappréciable quant à préſent, lorſqu'il s'agit uniquement de voir ce qu'on peut retrancher ſur les dépenſes effectives du tréſor public: mais M. Camus nous apprend que ce qui doit augmen- ter le total des penſions & grâces pécuniaires, beaucoup au de-là de 58,836,000, c'eſt que, ſuivant lui, il faut y joindre, .: 1º. Le revenu des abbayes & prieurés donnés en commande, & toutes les penſions ſur les bénéfices. 20. Les vingt mille livres payées annuellement par les Juifs de Metz à la Maifon dę Brancas, en [ 273 ) vertų d'une conceſſion en date de 1715, qui a été renouvelée. : 30. Les charges vacantes aux parties caſuelles, qu'on obtenoit gratis, & qu'au moyen d'une or- donnance de comptant, on levoit avec une feuille de papier, dit M. Camus, au lieu de verſer dans le tréſor public. les" sommes pour leſquelles l'ofice avoit été créé.---Sur quoi je ne puis m'empêcher d'obſer- ver que cette énonciation vague & générale qui preſente comme un uſage ordinairė, ſuſceptible d'être mis au rang des grâces annuelles,' ce qu'on n'a pu néanmoins appuyer que d'un ſeul exem- ple, lequel même eſt très-mal choiſi & appliqué à contre-fens(*), ne peut entrer que dans le compte , (*) Voici l'explication de cet exemple. Il y avoit eu, avant mon adminiſtration, pluſieurs créations de charges de perraquiers, d'huiffiers, & autres pareilles, dont la plus grande partie avoit été levée & payée fort exactement à la caiſſe des parties caſuelles,, Il en reſtoit quelques-unes invendues, parce qu'il ne ſe pré- ſentoit plus.d'acquéreurs. C'étoient pour ainſi dire des rebuts. On ne pouvoit plus en tirer le prix de la fixation primitive. Il m'a été propoſé de les faire vendre au rabais à ceux qui ne les auroient pas acquiſes autrement, & qui en ont ſoldé, argent comptant, la fixation ainſi diminuée. Enſuite, pour couvrir la différence dans l'ordre de comptabilité, j'ai pris, ſuivant l'uſage, une ordonnance appelée de comptant, qu'il ſeroit plus juſte d'appeler ordonnance fictive & de pure forme : c'eſt ce petit" caſuel récupéré au tréſor public, que le pinceau déni- grant de M. Camus traveſtit en prodigalité abuſive & an- nuelle. Ab uno diſce omnes. U 4 1 [ 274 ] des calomnies, qui eſt plus qu'égal au compte des vérités. 4º. La remiſe des retenues ordonnées ſur les penſions, & ' les changemens de dates employés très-abuſivement pour éluder le paiement de ces retenues. Je défie qu'on trouve, pendant mon adminiſtration, un ſeul cas ſemblable (*). La dé- (*) Je ne regarde pas comme cas ſemblable l'exemple que M. Çamuş a cité, un peu après, de l'indemnité accordée à Madame de Polignac, comme gouvernante des Enfans de France, pour le dixième à elle retenu ſur la somme deſtinée aux livrées, laquelle ſomme n'étoit paſſive de cette retenue, que parce qu'on ne faiſait qu'un ſeul article de tout ce qui étoit relatif aux fonctions de gouvernante. Au reſte, cet objet n'eſt que de cent louis par an; & il у a de l' affectation à l'avoir mis au' nombre des eżemples d'abus les plus frappans. On énonce les ſommes, quand elles ſont conſidérables; on dit les cauſes, quand elles prêtent à la critique; on tait les unes & les autres, . quand leur énonciation fait diſparoître la conſéquence qu'on en tire, Je ne puis m'empêcher à cette occaſion de relever une autre affectation de même genre, & relative à la même per- ſonne. Je n'aļ pas beſoin de faire remarquer le foin officieux qu'on a pris de réunir en un ſeul chapitre tout ce qui, pen- dant l'eſpace de 18 ans, a été accordé ou adjugé, à quelque titre que ce puiſſe être, à dix perſonnes différentes des deux branches des Polignac, pour compoſer & offrir à l'indignation publique, une maſſe de 437,000 liv, ſous le titre de penſions, & une autre maſſe de deux millions & demi dę préfendues gratifications. Je n'examine pas fi en publiant cette récapi- tulation, & n'en publiant aucune autre du même genre, on a droit de vanter fon impartialité ; fi e'eſt une preuve que le 1 [275] ciſion en faveur de M. Coſter, & les poſt-dates pour MM. de Fourcroi & Coinder, qui ſont cités Comité a pris ces exemples au haſard.... que les perſonnes lui font abſolument indifférentes. Mais moi, qui avoue qu'elles ne me font aucunement indifférentes, & qui m'en fais gloire d'autant plus hardiment, qu'elles n'ont obtenu aucune grâce de mon tems, ni par mon canal, je demande, en leur nom, & comme ayant l'honneur d'être de leurs amis, pourquoi dans une, colonne intitulée Penſions, & qui ne doit com- prendre que les grâces payées ſur les fonds publics, le Comité a laiffe inſérer une penſion eccléſiaſtique de 3000 liv. accor- dée en 1777, ſur l'Abbaye de St. Germain des Prés, au fils du Vicomte de Polignac ? Pourquoi il y a laiſſé comprendre pa- reilleinent le revenu de l'Evêché de Meaux, valant 25,000 liv. à un Polignac, mais ne coûtant pas une obole au tréſor pu- blic? Pourquoi on y compte de même 30,000 liv. que vaut l'Abbaye de St. Epvre, concédée en 1782 au même Prélat? Pourquoi on appelle auſſi penſions les rentes perpétuelles conf- tituées en 1785 & 1787, au profit de Madame la Comteſſe d'Aſpect, en échange de la rétroceſſion exigée d'elle d'un fond originairement concédé au Sr. de Boulonmorange, dont le produit réel excède le montant de ces rentes ? Pourquoi l'on confond avec des jouiſſances actuelles, l'expectative d'un douaire vraiſemblablement très-éloigné & qui peut-être n’exiſ- tera jamais ? Ces articles, montant enſemble à 130 mille liv. doivent certainement être retranchés d'un état où le public, qui ne prend garde qu'à l'intitulé & au total, a dû croire qu'on ne lui préſentoit que les penſions accordées ſur les fonds publics, à la famille des Polignacs. L'exaggeration eſt de preſque un tiers. Il n'y a pas plus d'exactitude dans la colonne des ſommes données, parmi leſquelles ſe trouve le rembourſement des droits du fief de Puifpaulin, qui avoit été demandé par la ville de Bordeaux, & que le Conſeil avoit réglé ſur pied de 800 mille livres. Il eſt vrai qu'on l'énonce comme rembourſement : mais pourquoi énoncer parmi les grâces, ce qui n'eſt pas une grâce ? ! 1 [276] dans le rapport, font, l'une du 26 Novembre 1788, l'autre du 17 Janvier de la préſente année; & c'eſt à M. Necker à les juſtifier, s'il le peut. Mais parce qu'on ſe feroit permis, depuis dix-huit mois, deux ou trois eſcamotages de cette nature, eſt-ce donc une raiſon pour en compoſer une ſource de dépenſes habituelles ? 1 50. Les abonnemens de vingtième accordés aux Princes du Şang pouvoient avec plus de raiſon être confidérés comme des dons; ils en avoient en effet le caractère par leur extrême diſproportion; & j'aurois d'autant plus tort d'en diſconvenir, que c'eſt moi qui le premier ait réclamé contre l'abus de ces abonnemens, & généralement contre tous les priviléges pécuniaires: mais les Princes & les Pairs ayant donné à toute la Nobleſſe l'exemple qu'elle a promptement ſuivi, de renoncer à toutes les faveurs & exemptions dont elle jouiſſoit en matière d'impôts, &' l'égalité de répartition étant convenue, décrétée, & même effectuée, M. Camus devroit-il imiter le chevalier errant qui ſe battoit contre des êtres fantaſtiques ? Devroit-il, dans ce volumineux rapport, qui ne montre d'autre but que celui d'échauffer le peuple, quand il ne faudroit fonger qu'à le foulager, faire reparoître d'anciens uſages, qui, lors même qu'ils exiſtoient, ne pouvoient être reprochés aux perſonnes autoriſées de tout 'tems à en profiter, & qui depuis qu'ils ont été abandonnés par elles, ne devroient être rappelés 1 [ 277 1 1 que póür’exciter le ſentiment dû à cet abandon volontaire. :!:77 1 60 C'eſt encore uniquement pour multiplier les articles, qu'on fait un nouveau grief à l'adminiſtra- 'tion de ce que, lorſqu'un traitement tel que celui du Chancelier de France, eſt affranchi d'impôt, on ne laiſſe pas d'en faire la retenue, pour rendre la comptabilité uniforme, & qu’enſuite elle eſt: coir- vérte par une ordonnance de comptant. Que de minutieux détails employés à bousſoufier l'énui- mération, afin que l'enflure de la conſéquence. fcit -moins apperçue ! 72. La même intention fait mettre au rang des grâces: qui épuiſent le tréſor public, les brevets de retenue, leſquels cependant ne coûtent rien à l'Etat, puiſqu'ils s'acquittent entièrement par les particuliers acquéreurs de l'office qui en eſt grevé. ii Aux objets ainſi claſſés, l'on a joint, pêle-mêle, comme pour fermer la marche, une collection de détails, d'anecdotes, & de ſuppoſitions, qu'on pré- fente ſur abondamment pour exemples frappans des abus qu'on pourſuit; comme ſi, parmi beaucoup d'autres, on ſe bornoit à citer ceux qui, tantôt par leur importance, tantôt par leur fingularité incroyable, démontrent la néceſzté. des réformes. Il paroît que M. Necker a pris foin lui-même d'en faire le choix, car ils tombent preſque tous ſur les an- 1 1 [ 278. ] 1 nées de mon miniſtère; & à l'égard de pluſieurs, ſon témoignage eſt donné pour preuve. C'eſt par la lecture des états de M. Necker, que le Co- mité dit avoir été averti que parmi les grâces pé- cuniaires, les unes étoient accordées par déciſion du Roi, les autres par la ſeule déciſion du Miniſtre; c'eſt dans ſes bureaux qu'en réponſe à la queſtion faire par le Comité, ſur l'autorité que les Miniſtres pouvoient avoir à cet égard, il a été dit qu'il n'y en avoit aucun autre que l'uſage; & c'eſt lui qui, lorſque le Comité a demandé à voir les originaux des déciſions rendues de la ſorte juſqu'en 1780, a trouvé plus ſimple d'envoyer ſeulement un état intitulé, Penſions accordées dans le département des finances, sous le miniſtère de M. de Calonne, & de ne produire que les déciſions relatives à cet état, Je ne me plains pas de cette diſtinction. M. Nec- ker auroit pu trouver dans ſa propre adminiſtra- tion, des matériaux pour le moins auſſi abondans, & peut-être plụs analogues aux vues du Comité : inais il a mieux aimé, ſans doute, me déférer l'hon- neur d'être le champion du Gouvernement; & je l'en remercie d'autant plus, que par cet acte de généroſité bien digne de ſa grande ame, il m'a valu d'avoir enfin la .connoiſſance que je défirois, & que j'avois demandeé plus d'une fois, des pré- tendues dilapidacions qu'on s'étoit plu à m'im- puter, ſans jamais en citer une ſeule. Je ramaffe le gant très-volontiers; & j'eſpère qu'à la manière . 1 1 [ 279 ] dont je repouſſerai les traits dirigés contre mon ad- miniſtration, l'Aſſemblée pourra juger que s'il me ſurvenoit de nouvelles attaques, je ferois pareille- ment en état de les écarter (*). Mais pour ne pas interrompre trop long-tems l'enchaînement de mes propoſitions, & ne pas mêler ce qui m'eſt perſonnel, avec ce qui intéreſſe le fort de la France, je re- jetterai par forme d'appendix, à la ſuite de cet écrit, la réponſe à tout ce qui me concerne dans le rapport du Comité des finances. Je le reprends à ſa concluſion, qui eſt conçue en ces termes. Voilà donc, d'une part, une maſe énorme de 58,836,726 liv. qui ſe prend chaque année ſur les fonds publics, pour être diſtribuée en largelſes; d'une putre part, une foule d'orticles, dont le montant eſt incalculable, & qui ſervent à alimenter, fous le titre (*) Le Comité obſerve, page 87 du Rapport, qu'il a fris fes exemples au haſard, fous différens règnes, & fous différens Minifires, pour que l'on füt que ſon intention n'étoit d'inculper perſonne plus que tout autre. Je le crois, & il y a eu en effet pluſieurs de ces exemples, qui ne ſont pas des traits de pané. gyrique pour M. Necker: mais il n'eſt pas moins vrai que de ceux qui lui ont été fournis de la part de la finance depuis un an, le plus grand nombre eſt dirigé contre moi, & que, notam- ment en ce qui concerne les grâces prétendument accordées par déciſion miniſtérielle ſeulement, j'ai été trié ſur le volet, quoique je n'aie fait à cet égard que ce que j'ai dû faire, & ce qu'ont fait tous ceux qui m'ont précédé & ſuivi, fans en excepter un feul. [ 280 ] t A de récompenſe & de gratification, le luxe & la cupi- dité. 1 Et moi je foutiens, j'offre de prouver, je prouve; qu'il n'eſt pas vrai qu'il ſe prenine, chaque année, une maſſe de. 58 millions 836 mille liv.. pour être diſtribuée . en largeljes, & que la foule d'articles incalo čulables allégués pour augmenter encore cette maſſe, n'eſt qu'une foule d'exaggerations. & de fauſſes in- ductions deſtinées à alimenter, ſous le titre d'abus miniſtériels, les préventions & la haine inſpirées au peuple contre le Gouvernement. Ma démonſtration eſt dans le triage que je vais faire, avec une juſte'évaluation, des ſeuls articles qui forment la totalité réelle des penſions & grâces pécuniaires, payées annuelleinent par le tréſor pu . blic. Ceux que je laiſſerai à l'écart y ſont étrangers, & abſolument hétérogènes. Je prends pour première baſe de ce réſumé, l'état des penſions tel qu'il ſe trouve porté dans le compte général des revenus & dépenſes fixes, que M. Necker a remis à l'Affemblée. La ſomme de '29 millions 954 mille livres, à laquelle monte fa récapitulation (page 132 du Compte) donne un ap- perçu plus net que la ſubdiviſion dans laquelle j'ai fait voir que M. Camus s'étoit embrouillé quoique au fond il n'y ait pas de différence, en re- tranchant ſeulement le mal-entendu de 1200 mille livres dont j'ai parlé ci-deſſus. Mais ſur cette 1 1 I [ 281 ) fomme de 20 million's 954 mille livres, font à déduire les retenues ordonnées en Octobre 1787, leſquelles vont à-peu-près à 5 millions ; će qui ré- duit la ſomme de ce premier chapitre à 24,954,000 . 1.) 1 A 1 ( ! A En ſecond lieu, j'ajoute à cette ſomme les autres pen- ſions qui n'y ont pas été réu- nies dans l'état de M. Nec, ker, & qui ſe trouvent dans celui que le Comité a pro-, duit fous le N° 6. Mais il y a quelques retranchemens à faire ſur le montant de cet: état, pour le rendre exact. J'ai obſervé ci-deſſus qu'il renferme pluſieurs articles compris dans les dépenſes de la maiſon du: Roi, de la guerre, de la marine, des af- faires étrangères, & des Etats de Languedoc: cependant, pour conſerver l'enſemble de tout ce qui ſe paie ſur les fonds publics, je laiſſe ſub- ſiſter dans le compte tous ces articles. J'en ote ſeulement ceux qui étant inclus dans la récapitulation de M. Necker dont j'ai formé le chapitre précédent, feroient dans ce: --- / , [ 282 ] De l'autre part 24,954,000 1 lui-ci un double emploi; ſavoir, l'article des penſions des Princes du Sang, & les fept qui ſuivent, faiſant 'en- ſemble la ſomme de 1 1,307,781 1 Il faut aufli en ôter les quatre articles de penſions re- tenues ſur le bénéfice de dife férens journaux, & qui ſont aux dépens des auteurs, ci 146,960 1 Item, huit articles de pen- fions eccléſiaſtiques, qui n'é. toient ni données par le Roi, ni payées ſur les fonds de l'Etat, étant aſſignés ſur les biens du Clergé, ci 558,589 2,013,339 Or, l'état du Comité N°6 monte à 3,749,236 1 2,013,330 Reſte donc, déduction faite des pour ſomme totale de ce fe- cond chapitre ci 1,736,906 1,736,906 26,690, 906 1 [ 283 ) De l'autre part 26,690,906 1 A 1 1 3o. Je crois qu'on peut admettre pareillement pour acceſſoires aux pen- ſions, les ſupplémens de traitemens accordés par faveur, les gratifications ordinaires attachées aux places, les ré- compenſes .ou attributions réparties dans la maiſon du Roi, & autres objets de même nature, qui ſont au nombre des grâces pécuniaires dont le Comité a formé ſa première claſſe, détaillée dans l'état Nº 2. Je laiſſe toujours à l'écart l'obſervation que preſque toute cette dépenſe eſt priſe ſur les fonds aſſi- gnés par l'Aſſemblée, pour la maiſon du Roi : mais au inoins il en faut re- trancher les articles qui, étant des paie.. mens de ſtricte juſtice, ne peuvent s'appeler dons, grâces, largeſfes; tels font les abonnemens pour fourniture de linges, voitures, &c.' - 26,220 Les indemnités pour fup- preſſions de droits légitimës, ci 643,110 :* 1 Les aſſignats ſur les éco- nomats pour deſſertes de béné- 1 669,330 X 1 1 [ 284 ] 1 1 De l'autre part 26,690,906 De l'autre part 669,330 fices & autres diſpoſitions ec- cléſiaſtiques, ci 144,709 ' S Les ſuppléinens d'appoin- temens accordés à des officiers, pour les dédommager de la perte que de nouveaux règle- mens leur ont fait fouffrir ſur ces mêmes appointeméns, ci 263,814 Les indemnités aux maîtres des poſtes, ci 30,000 : .. La partie des ſupplémens de traitemeńs, qui doit être cenſée appointement, ci 261,44.6 Et les frais néceſſaires pour la loterie royale, qu'il faut qu'on ait fait entrer pour 900 mille liv, au moins, dans les 1540 mille livres, qu'on a comptées comme grâces pécu- niaires ſur le produit de cette loterie, laquelle ne comporte certainement pas plus de 600 mille liv. d'objets ſuſceptibles de cette dénomination, ci . / 900,000 2,269,290 L ( 285 ) De l'autre part 26,690,906 De l'autre part-2,269,290 i L'état N° 2 monte à 6,654,360 Souſtraction faite de 2,269,290 A f reſte à compter pour ce troiſième chapitre, ci 4,384,970 4,384,970 Quelque peu naturel qu'il ſoit de mettre les gratifications extraordi- naires & momentanées au rang des dé- penfes annuelles dont les fonds publics ſont chargés ; & quoiqu'il foit irrégu- lier de choiſir, pour former une année moyenne, 4 années interrompues par de grandes lacunes, de ſauter des états de comptant de 1975 à 1779, puis à ceux de 1783 & 1784; pour conclure que le quart de leurs totaux réunis, repréſente la dépenſe ordinaire ; enfin, quoique les gratifications ſur les affaires étrangères, & qui font partie de la dé- penſe de ce département déjà réglée, tiennent à des circonſtances politiques trop incertaines pour qu'on puiſſe en trouver l'évaluation fixe dans le rap- : 31,075,876 X2 [ 286 ] 1 De l'autre part 31,075,876 prochement de pluſieurs années, dont les unes monte ni à 800 mille livres, d'autres à 400 mille, d'autres à 100 inille, & la dernière à 95 mille ſeule- nient; cependant, continuant d'admet- tre en compte indiſtinctement tout ce qui peut s'appeler grâces pécuniaires, & eſpérant de me mettre par-là à l'abri du reproche d'être trop pointilleux, j'a- joute encore aux penſions prétendues, le montant ordinaire des gratifications extraordinaires dans ſon entier, c'eſt-à- dire, ſuivant l'état N° 9'du Comité, à 1 . I 932,082 TOTAL DES PENSIONS ET DE TOU- TES LES AUTRES GRACES PECUNIAI- RES, SUSCEPTIBLES D'Y ÊTRE RÉUNIES, QUELLE QUE SOIT LEUR DÉNOMINA- TION, ET SUR QUELQUES CAISSES OU FONDS DE DÉPARTEMENT QU'ELLES SE PRENNENT 32,007,958 } Voilà, dans l'exacte vérité; où aboutiſſent tous les efforts qu'on peut faire pour porter la maſſe des largeſjes accordées aux dépens de l'État, au plus haut degré d'élévation qu'il ſoit poſlīble de lui attribuer : & par conſéquent, lorſque M. Camus affirme & publie, au nom du Comité, que ces mêmes 1 ! V [.287 ] largelſes montent annuellement à 58,836,726, il dit, je ne ſaurois affoiblir le mot, pour 26,828,768 de fauffetés : & lorſqu'il en conclut que les penſions qui ſeront recréées ne devant pas excéder 18 inil- lions (*), il y aura pour 40 millions d'économie ſur ce ſeul objet, il en impoſe à l'Aſſemblée & au pu- blic, d'environ les deux ciers de la ſomme ; & il en impoſe encore plus, lorſqu'il ajoute qu'il y a d'une autre part, une foule d'articles de récompenſes & de gratifications, dont le montant eſt incalculable, & qu'il fait entendre en conſéquence, que tout compris, la maſſe des grâces pécuniaires, va bien à 80 millions. (t) A Quand, au contraire, je fais voir d'après ſes pro- pres états, admis dans un ſens très-large, qu'il n'y en a que pour 32 millions ; quand je ſuis en état de défier qui que ce puiſſe être d'en citer au-delà de cette ſomme ; & quand je ne crains pas d'être contredit par ce ſévère Comité qui a en main toutes les pièces comptables, qui a compulſé tous les états. & les regiſtres des déciſions les plus fecrettes, (*) M. Camus a varié dans ſcs apperçus économiques : de 12 millions qu'il eſtimoit d'abord devoir être le maximu?'r des penſions & gratifications, il eſt venu à 14, puis à 16; & lorſque plus récemment on lui a demandé dans l'Aſſemblée, quel ſeroit enfin le taux auquel les grâces pécuniaires ſeroicut réduites, il s'eſt contenté de dire qu'elles n'excéderoient pas 18 millions, 1 1 (+) Séance du 16 Juillet. X 3 1 ( 288 ) 1 qui a fureté juſques dans ce fameux Livre Rouge, dont l'indécente publication, précédée d'un avant- propos pour le moins inexact, a manqué ſon objet.(*) Ne ſuis-je pas très-fondé à me récrier avec énergie, à m'élever avec forcę, à tonner avec tout l'éclat de l'indignation, contre l'audacieux impoſteur qui, en 1 (*) On a même fait le bien, en voulant faire le mal. Le Livre Rouge étoit regardé par la multitude comme le gouffre ténébreux où s'engloutiſſoient ces milliards de dilapidations inconnues auxquelles on attribuoit la ruine des finances, Il paroît enfin cet arcane fi convoité ; & l'on y découvre que dans l'eſpace de 16 années, ſous dix Miniſtres différens, la dépenſe portée ſur ce livre a monté à 228 millions, dont 130 environ confiftent en ſubſides & autres dépenſes ſecrettes des affaires étrangères, 20 en acquiſitions productives, & il & plus pour des ordonnances de pure formalité, qui ne coû. tent rien & ne ſervent qu'à mettre le tréſor royal en règle ; 4 pour des indemnités ; 28 pour la liquidation des dettes des Frères du Roi, réglée d'après une déciſion du Comité des finances; & il pour les dépenſes perſonnelles au Roi & à la Reine, dont la plus grande partie eſt relative à des acquiſitions telles que celle de St. Cloud : en ſorte qu'en ſix articles, qui certainement n'ont pas le caractère de pro.. fufions, ni de myſtères d'iniquité, le public a trouvé le ren- ſeignement de 209 millions ſur 228, en 16 ans. autres font ies mêmes articles de dons & penſions qu'on a fait reparoître dans l'énumération des grâces pécuniaires i & ils ſont conipris dans le total de 31 millions ci-deſſus rap. porté. Voilà donc tout le ſecret du Livre Rouge découvert i voilà ſur quoi portent toutes les clameurs qu'il a excitées; voilà ce qu'on a du moins gagné d'apprendre par l'effet de ces recherches rétroactives qu'on a portées juſques dans les re- coins les plus ſecrets du cabinet des Rois. Les 19 1 1 [- 289. ] exaggérant de 49 millions la ſomme des largeſfes priſes annuellement ſur les fonds de l'état, s'eſt rendu coupable de 49 millions de calomnies, dont chacune eſt un crime de lèſe-majeſté & de lèſe-na- tion, parce que toutes tendent à rendre le gouver- nement du Roi odieux, & à foulever le peuple par une fauſſe ſuppoſition ? En le traitant ainſi, je m'acquitte du devoir que m'impoſe. le titre que j'ai conſervé, & je montre affez que je ne crains pas que par des récriminations, quelles qu'elles puiffent être, on parvienne à prouver que j'aie jamais démérité de porter ce titre. Je reprènds mon expoſé des violations de pro- priété; & je le termine en concluant de tout ce que j'ai dit ſur celles du Clergé, ſur celles de la Nobleffe, ſur celles de la Magiſtrature, fur celles des citoyens de toutes les claſſes & de tous les états, qu'il n'en eſt aucune qui ſoit demeurée in- tacte ; que de tous ceux qui poſsèdent des biens en France, il n'en eſt pas à qui la révolution n'ait cauſé une injufte préjudice, & qui ne ſoit fondé à demander à l'Aſſemblée pourquoi, lorſque les cahiers de toutes les provinces du royaume aſſu- roient à tous ceux qui l'habitent, l'inaltérable con- ſervation de ce qui leur appartient, & qu'elle-même en a fait une loi conſtitutionnelle, elle a pu ſe croire autoriſée à faire préciſément le contraire. 1 X 4. 1 > 1 ( 290 ) 45. Les Décrets de l'Aſemblée font contraires Gux Cabiers Nationaux, en ce qui concerne l'Adminiſtration de la Juſtice. . L'ORGANISATION de l'Ordre judiciaire n'étant pas encore complètement réglé, je ne m'éten- drai pas beaucoup ſur ce qui doit réſulter de la révolution, par rapport à l'adminiſtration de la juſtice, quoique cet importanť objet ſoit plus ana- logue que celui des finances, à l'état dans lequel je ſuis né; & auquel j'ai conſacré ma vie. Je ne conſidérerai que les principes généraux qui y ont rapport, & ſur leſquels les cahiers ſe ſont expliqués; l'établiſſement des Cours ſouveraines dans toutes les provinces du royaume ; la ſuppreſſion des attri- butions, commiffions, & tribunaux d'exceptions ; l'établiſſement des Jurés & des Juges de paix ; le choix & la nomination des Juges, l'indépendance de leurs fonctions, & l'inamovibilité de leurs offices. + ز 1 Tous les cahiers s'accordent à vouloir qu'il y ait dans le royaume des Cours ſouveraines de juſtice; que leur ſuppreſſion ne puiſſe avoir lieu que d'après un veu de la Nation ; qu'elles ſoient maintenues dans leurs droits, ſuivant ce qui ſera réglé par l'Alem- blée des Etats-généraux ; & qu'elles ne puiſſent être ſuspendues de leurs fonctions, ni les celer, pour quel- que cauſe que ce soit. Pluſieurs l'ont expreſſément 1 ។ 1 ! [ 291 ' ] déclaré (1); la plupart ont demandé que pour la commodité des juſticiables, chaque province eût l'a- vantage d'avoir dans son ſein une Cour ſouveraine, Sous la dénomination de Parlement, ou avec la même prérogative' qu'ont les Parlemens, de connoître en dernier reſort de toutes matières civiles & crimi- nelles (2). Et tous les cahiers fans exception ont ſuppoſé & préjugé qu'il continueroit d'y avoir des Parlemens & Cours ſouveraines de juſtice, puiſque tous renferment un grand nombre de diſpoſitions, ayant pour objet de réformer leurs ufurpations ſur le pouvoir légiſlatif; que tous chargent l'Aſſemblée de fixer les bornes de leurs fonctions, particuliè- rement en ce qui concerne l'enregiſtrement & le dépôt des loix ; que tous enfin ont des paragraphes 1 1 1 (1) Cahiers de la Nobleffe d'Auxerre, art. 38. de Château-Thierry, page 1 2 & 13. de Berry, page 13, Cahiers du Clergé de Vitry- le-François, manuſcrit, - de Douay, page 6. Cahiers du Clergé de Mantes & Meulan, page 39. Cahiers du Tiers Etat de Ponthieu, page 24. de Châlons, page 28. de Pont-à-Mouſſon, page 33 de Troyes, art. 56. (2) Cahiers du Tiers Etat de Lyon. de Rennes, article 125. de Thimerais, p. 27. Cahiers de la Nobleſſe de Vitry-le-François, manuſcrit. Cahiers du Clergé de Lyon, page 14. 1 [ 292 ] :: relatifs à la manière dont il conviendroit que ces tri- bunaux ſupérieurs fuſſent compoſés. (*) On devoit donc s'attendre que l'Aſſemblée, qui n'a de pouvoir qu'autant qu'elle agit & prononce ſuivant le veu de la Nation, reſpecteroit comine elle, cette antique inſtitution, qui a toujours fait partie de notre droit public, & dont les racines ſe mêlent avec celles de la monarchie. On devoit croire qu'avant d'abattre ce souverain Conſiſtoire de nos Rois (t), avant de dévouer au néant cette Cour de France, tellement célèbre dans tous les pays, que les Princes étrangers ont ſoumis maintes fois leurs querelles à la déciſion ; avant de porter ſes coups mortels ſur tous les Corps de la Magiſtrature, dont il ſeroit extravagant de nier l'utilité, l'Ar- ſemblée auroit peſé attentivement les ſervices qu'ils ont rendus, & ceux qu'ils pouvoient rendre encore à l'Etat ; qu'elle n'auroit pas perdu de vue le droit qu'a la Nation à la continuation de ces mêmes fer- vices, juſqu'à ce qu'elley ait formellement renoncé; qu'elle ſe feroit ſouvenue qu'elle-même doit ſon exiſtence aux réclamations du Parlement, de cette Cour des Pairs devenue l'objet de ſon animoſité ; & qu'au moins la déciſion de cette grande queſtion politique & morale, auroit paru mériter une mûre (*) Rennes, Blois, Château-Thierry, Orléans, Limoges, Péronne, & généralement tous les cahiers, préſentent des vues réglementaires pour les Parlemens. (+) Expreſſions des anciennes Ordonnances. A 1 [ 293 ) diſcuſſion ; qu'elle n'auroit pas été préſuppoſée, plutôt que délibérée, n'ayant jamais été mis aux voix ſi les Parlemens continuoient d'exifter en France, conformément au væu des cahiers, ou ſi l'Aſſemblée pouvoit ſe permettre de les anéantir malgré ce veu. On devoit eſpérer que le moment étant venu où le feul inconvénient des Parlemens, qui conſiſtoit dans la difficulté d'en arrêter les prétentions, & d'en reſſerrer les fonctions dans leurs véritables limites, n'exiſtoit plus, l'Aſſemblée, à qui il étoit réſervé d'y pourvoir facilement & efficacement, en rempliroit le devoir qui lui étoit expreſſément recommandé. 1 > Mais ſur cela, comme ſur tant d'autres redrer- ſemens déſirables que l'Aſſemblée pouvoit faire, la manie deſtructive qui s'eſt emparée de ſes dé- libérations, a cruellement déçu nas eſpérances : le grand nombre s'eſt laiſſé entraîner par l'opinion des Avocats, dont l'Ordre naturellement républi- cain a toujours cherché à ſe rendre indépendant de la haute Magiſtrature, & qui, pour la ſupplanter, pour abolir une ſupériorité qui les bleſfoit, ont abuſé de celle qu'ils ont priſe dans l'Aſſemblée. A ces. Corps reſpectables dont il étoit ſi aiſé de conſerver à la Nation les importans ſervices épurés de tout ce qui s'y étoit introduit d'abuſif par l'inter- ruption des Aſſemblées d'Etats-généraux, on a fubſtitué des diminutifs de tribunaux compoſés de 5 ou 6 juges de diſtrict, élus par le peuple, & re- nouvelés tous les ſix ans ; ſans conſidérer combien l'adminiſtration de la juſtice, la ſureté publique, [ 294 ] 1 & même la liberté nationale, ſont compromifes & léſées par un ſi chétif remplacement. 1 L'adminiſtration de la juſtice, en ce que d'un côté la ſuppreſſion des Cours ſuprêmes, Juges d'appel en dernier reffort, & le ſingulier établiſſement d'une réciprocité d'appels entre des tribunaux égaux en tous points, ont fait perdre l'avantage de contenir les Juges inférieurs dans leurs devoirs; & que d'un autre côté l'on ne peut pas eſpérer d'avoir de bons Juges fans leur donner un état ſtable, qui mérite qu'on s'y dévoue entièrement; -n'étant pas naturel qu'on faffe, pour ſe rendre digne d'une place qu'on n'a droit d'exercer que paſſagèrement, & pendant un efpace borné à un petit nombre d'années, les mêmes efforts, les mêmes études, les mêmes facri- fices qu'on faiſoit pour un état permanent, pour un office héréditaire. La ſureté publique, en ce que ces petits tribu- naux électifs, où le peuple ne voit que des Juges dépendans de ſon choix, & continuables ou deſti- tuables ſuivant fa volonté, ne peuvent imprimer le reſpect & la crainte néceſſaires pour prévenir les grands crimes, & arrêter les plus dangereux dé- fordres. La liberté nationale, en ce que c'eſt lui ôter une partie de ſes ſoutiens, ET PEUT-ÊTRE LES PLUS SOLIDES, que de ſupprimer en France tout ce qu'il exiſtoit de Corps intermédiaires, & particulière- i 1 [ 295 ] ment ceux qui, par l'ancienneté de leur origine, par la néceſſité de leurs ſervices, & par l'indépen- dance eſſentielle à leurs fonctions, étoient les plus ſuſceptibles d'être rendus conftitutionnellement in- ébranlables (*). Tous les cahiers prononcent unanimement la ſuppreſon des tribunaux d'exception, quels qu'ils < (*) De Lolme, dans ſon excellent ouvrage ſur la Conſti- tution de l'Angleterre, prétend que les Corps de judicature ne conviennent pas dans une Monarchie véritablement limitée ; qu'ils ſont inutiles dans un pays où les loix ont pour elles toute la force de la nation ; qu'ils y feroient même contraires aux principes de la Conſtitution. Mais il avoit en vue l'Angleterre, où la liberté, affermie depuis un ſiècle par une ſage combi- naiſon des Trois Pouvoirs, ſemble n'avoir beſoin d'aucun autre appui; ce qui n'a cependant pas empêché Monteſquieu de dire que les Anglois s'étant privés des puiſſances intermé diaires, avoient bien raiſon de conſerver leur liberté, puiſque, s'ils venoient à la perdre, ils ſeroient un des peuples les plus eſclaves de la terre. D'ailleurs (& c'eft une remarque impor- tante à laquelle il paroît que ni Monteſquieu, ni ceux qui raiſonnent aujourd'hui ſur le Gouvernement Britannique, n'ont pas fait aſſez d'attention) il ne ſeroiti pas exacte de cirer l'Angleterre comme n'ayant aucun grand Corps de judicature. Sans parler de la Cour des communs Plaids, du Tribunal du Banc du Roi & des Cours d'équité, il y a, comme dit Black- ſtone, une Cour ſouveraine d'appel, ſupérieure à toutes les autres, qui prononce en dernier reſort en matière de loi & d'équité. Cette Cour, qui eſt la Chambre des Pairs, la Maiſon des Lords, TOUJOURS SUBSISTANTE, eſt compoſée de Prélats chais fis, de Nobles qui, formés par l'éducation & intérelés par leurs propriétés, font obligés par la conſcience Ege par l'honneur, de ſe rendre habiles dans la connoiſance des loix, Que la France 3 1 [ 296 ) r puiſent étre, hormis ceux des Juges & Conſuls; tous ont proſcrit à jamais les Commiſſions en matière civile ou criminelle ; tous ont interdit qu'en aucun cas il fût dérogé à l'ordre des juriſdictions ordinaires (*). 1 : foit conſtituée de même, & que le tems ait pareillement con- folidé fa Conſtitution, c'eſt alors qu'elle pourra ſe paſſer de Parlemens. Mais dans l'organiſation du nouvel ordre judi- ciaire, on a imité partiellement celui de l'Angleterre, ſans en avoir adopté ce qui en balance les défauts, & en modère les inconvéniens. Ainſi, par exemple, on n'a pas conſidéré que quoique la voie de l'appel, ou writ d'erreur porté à la Chambre des Pairs, ne ſoit pas auffi facile, & auſſi dégagée d'embarras qu'elle devroit l'être, elle ne laiſſe pas d'avoir une utilité comminatoire, lors même qu'elle n'eſt pas effective, & que la ſeule poſſibilité du recours prévient l'abus des fonctions, d'autant que moins il y de Juges, plus la repréhenſibilité des jugemens frappe fur les perſonnes. On n'a pas ſenţi non plus que la ſupériorité de la Chambre des Pairs ſur toutes les Cours de juſtice, en même tems qu'elle les oblige d'être at- tentives à leurs devoirs, leur communique ſon poids & fa confi: dération, en telle forte, que les tribunaux, s'ils étoient dé- nués de ce ſoutien, ceſſeroient d'avoir la force néceſſaire pour maintenir l'adminiſtration de la juſtice en bonne vigueur. L'Aſſemblée Nationale en France ſemble avoir méconnu les avantages de cette ſupériorité tout à la fois ſurveillante & vi- vifiante, (*) Cahiers du Clergé de Cahiers du Tiers Etat de Ni. Vitry-le-François, manuſcrit. vernois, article 41. de Douay, page 7. de la Rochelle, article Cahiers de la Nobleſſe d’Au 65. xerre, page 48. du Limouſin, page 7. de Montfort l'Amaury, du Cotentin, manus, page 9 crit. 1 1 [ [ 297 ) L'Aſſemblée a tout à la fois adopté & contrarié ces fages diſpoſitions: adopté dans ſes décrets géné- raux & conſtitutionnels; contrarié dans ſes décrets particuliers & dans ſa conduite. Si une attribu- tion eſt d'autant plus attentatoire aux règles de la juſtice, & au veu de la Nation, que ſon objet eſt plus grave, ſon application plus extenſible, fes ef- fets plus menaçans pour la vie & l'honneur des citoyens, comment diſculper celle qui a conféré au Châtelet le pouvoir de juger en dernier reſſort, pour tout le royaume, les crimes dénommés de lèſe-nation, dans leſquels on comprend tous crimes de lèſe-majeſté & de heute trahiſon ? Cette attri- bution, qui inveſtit un ſeul tribunal excluſivement à tous autres; du droit de connoître d'un certain genre de crime, & qui prive les accuſés du droit d'appel, & de l'avantage d'un ſecond examen, n'eſt- elle pas évidemment une dérogation à l'ordre judi. ciaire ? Quelque confiance que méritent les offi- ciers du Châtelet, quelques preuves qu'ils aient données que l'amour du devoir élève leur courage au-deſſus de toute crainte & de toute conſidération, n'eſt-ce pas toujours une irrégularité dangereuſe, & dont ils gémiſſent eux-mêmes, que d'en faire des Juges de commiſſion? Dira-t-on que des circonf- tances extraordinaires l'exigent? Eh quoi! n'eſt-ce pas ſur des circonſtances extraordinaires que ſe fondent toutes les attributions ? L'abus fubfifte en entier, s'il n'eſt pas proſcrit dans tous les cas. 1 Mais ce qui eſt bien plus criant, bien plus op- poſé aux ſentimens exprimés par la Nation, c'eſt [ 298 ] 1 1 l'établiſſement des Comités de recherches ; c'eſt leur funeſte multiplication; c'eſt le pouvoir qui leur a été départi ; c'eſt celui qu'ils ſe font eux-mêmes arrogé; c'eſt l'horrible uſage q'ils en font au vu & fu de l'Aſſemblée. Elle a commencé ſu par fouil- ler ſon auguſțe exiſtence en formant dans ſon ſein un de ces odieux Comités ; & comme une viola- tion publique des loix, commiſe par les légiſlateurs eux-mêmes, fait bientôt pulluler de nombreux rejetons, on a vu la Commune de Paris ſe donner auſſi, à l'exemple de l'Aſſemblée Nationale, un Comité de recherches, & toutes les municipalités du royaume s'armer du même abus; en forte que la Nation Françoiſe eſt menacée de voir peſer ſur elle l'abominable accumulation de 48 mille (*) commiſſions inquiſitoriales, lorſqu'elle a défendu que fous aucun prétexte il en exiſtât une ſeule ! 1 Ce n'eſt pas tout encore ; comme un principe corrompu ne peut engendrer que corruption, ces inftrumens du deſpotiſme ochlocratique ajoutent à la dépravation de leur exiſtence, celle de l'abus qu'ils en font. Ils n'étoient établis que pour recueillir dès informations & en rendre compte; mais com- ment (*) Lorſqu'à la page 210 de cet écrit je n'ai porté le nomi, bre des municipalités qu'à 44 mille, je le meſurois ſur le nombre des communautés proprement dites qui exiſtent dans le royaume. Puiſqu'aujourd'hui il eſt reconnu dans l’Affem- blée qu'il y a juſqu'à 48 mille municipalités, il faut croire qu'on en a donné aux moindres hameaux, 1 [ 299 ) ment les recueillent-ils? Par les délations & l'ela pionage. Comment en rendent-ils compte ? Sui- vant l'eſprit de parti qui les anime. On a vu des Comités de recherches, d'un bout du royaume à l'autre, faire arrêter des citoyens, de leur ſeule auto- rité; on les voit donner des interrogatoires, rece- voir des dépoſitions, & faire enſuite des réſultats de leur inquiſition ce qui leur convient; tantôt les di- vulguer lors même que la procédure à laquelle ils ont rapport, eſt encore dans le cas d'être tenue fez crette ; & tantôt les celer, les refuſer même aux Juges, lorſqu'ils en requièrent la communication comme néceſſaire à l'inſtruction dont ils font char- gés. Ils prétendent, & on le ſouffre, qu'à eux il appartient de déterminer juſqu'où le tribunal qui doit juger ſouverainement, peut étendre ſes pour- ſuites ; & n'étant par leur inftitution, que des en- quêteurs de crimes, ils s'érigent en arbitres de jufm tice, en telle forte, que de leur influence ou de leur connivence peuť dépendre aujourd'hui la punition ou l'impunité des plus grands forfaits, de ces forfaits à l'égard deſquels un bon gouvernement n'admet jamais ni ſauvegarde, ni titre quelconque d'invio- labilité perſonnelle (*). On m'entend aſſez, fans que je m'appuie de l'exemple qui ſubſiſte encore (*) C'eſt mal à propos que dans la ſéance du 7 Août, comme dans beaucoup d'autres occafions, on a voulu appuyer de l'exemple de l'Angleterre, ce qui en Angleterre feroit trouvé auffi contraire à la raiſon, qu'à la Conſtitution; comme, de dire qu'an Membre du Parlement, accuſé d'un crime grave, même du crime de haute trahiſon, feroit par fa préroga- Y [ 300 ] au moment que j'écris, & dont on ne peut ni lire les détails, ni prévoir la concluſion, ſans friſſonner. 1 2 L'Aſſemblée a ſuivi le væu général de la Nation en adoptant l'inſtitution des Jurés pour les procé- dures criminelles, & elle a fait ſagement de ne ſe pas preffer de l'admettre pour les procès civils ; fon utilité à leur égard n'étant pas également certaine dans l'état actuel de la Juriſprudence Françoiſe : mais l’Aſſemblée a outrepaffé & les inſtructions des cahiers, & l'exemple de l'Angleterre, lorſqu'elle a 'étendu l'établiſſement du Jury juſqu'aux délits mi- litaires, ſuſceptibles de peines afflictives & de na- ture à être jugés par un conſeil de guerre. On ne peut lire ſans éconnement, dans les décrets du 16 de. ce mois, concernant la marine, que des faits de dé- ſobéiſſance au commandant d'un vaiſſeau, de mu- tinerie de la part de l'équipage, d'infraction grave à t tive à l'abri des pourſuites judiciaires, & ne pourroit être arrété ſans que le Parlement eût pris connoiffance de la pro- cédure, ſans qu'il eût confenti au warrant portant ordre de le ſaiſir, & amener devant le Juge. Cette ſuppoſition prouve une grande ignorance des loix Britanniques. Il n'y avoit qu'à ouvrir Blackſtone, liv. i, chap. 2, pour ſe convaincre que le privilège de l'inviolabilité des Membres du Parlement n'arrête pas le cours de la juſtice en matière criminelle, & que le Parlement d'Angleterre ne jouit ſur ce point que de la juſte diſtinction d'être informé ſur-le-champ de la déten- tion d'un de ſes Membres, ainſi que des motifs qui l'ont oc- caſionnée. Tout le monde ſait qu'il y a peu d'années le Lord Gordon fut arrêté par ordre du Roi, & que Sa Majeſté, atten- tive aux égards dus au Parlement, lui donna auſſitôt avis de cet empriſonnement, qui n'excita point de réclamation. : + 1 [ 301 ] la diſcipline, & de complots avec l'ennemi, ne pour- ront être réprimés & punis, qu'après qu’un Jury mili- taire, où ſeront admis les camarades de l'accuſé, les aura déclarés coupables (1). C'eſt au moment où l'inſurbordination des ſoldats & des matelots eſt por: tée au plus effrayant excès (2), que l'Aſſemblée, qui ¿ (1) Titre premier du Code pénal pour la Marine. Il paroît que le même principe s'étendra à tout le militaire. S'il a lieu en mer, où le commandement exige la plus grande célérité d'exécution, on doit, à plus forte raiſon, préſumer qu'il s'ap- pliquera aux troupes de terre. (2) Ce qui a été déféré à l’Affemblée par les Miniſtres de la guerre & de la marine ; l'indiſcipline des vaiſſeaux ſtation- nés aux Antilles; la révolte des équipages de la flottille de M. de Thy, dans l'Archipel ; l'exemple de mutinerie que le vaiſſeau le Léopard eſt venu rapporter de St. Domingue à Breſt, où bientôt il a été ſuivi ; & les inſurrections multipliées de preſque toutes les troupes dans les principales garniſons, telles que celles de Metz, Nanci, Straſbourg, Lille, doivent faire trembler les auteurs mêmes de l'anarchie. Il n'y a que des Journaliites fanatiques qui puiſſent demander, Pourquoi l'on s'en, effraie ? Pourquoi les foldats & les matelots ne fentiroient pas les effets de la liberté ? Pourquoi l'on craint qu'en ſecollant le. joug de l'ancienne ſubordination, ils abandonnent leur patrie dans le péril ? Que le rédacteur du Courier de Provence proſtitue ainſi le mot de Liberté, pour canoniſer la révolte, cela eſt aiſé à concevoir ; mais l'Affemblée, qui gouverne aujourd'hui la France, pourroit-elle voir d'un oil auffi tranquille, l'é. pouvantable déſordre dénoncé par les Miniſtres militaires ? Peut-elle n'y pas reconnoître les effets de ſes fyltêmes ? Peut- elle ſe diflimuler la dificulté d'y remédier ?--Au moment même que ceci s'imprime, j'apprends qu'en Lorraine, les mouvemens ſéditieux des ſoldats de pluſieurs régimens ont pris le caractère d'une révolte combinée ; qu'il a fallu faire Y 2 t 1 [ 302 ] en eſt elle-même alarmée, au lieu de rétablir la vigueur du commandement militaire, & d'ôter tout prétexte à ces aſſociations délibérantes des inférieurs, qui ont produit tant de déſordres, achève d'énerver l'autorité des chefs en détruiſant l'efficacité des punitions promptes, enhardit les inſurrections en affoibliſfant les moyens de les réprimer, & détend les refforts coercitifs quand ils auroient beſoin d'un ſurcroît d'énergie. N'eſt-ce pas expoſer le royaume à voir s'éterniſer la licence féditieuſe que la doc- trine de l'égalité a introduite, juſques dans les corps qui ne peuvent exifter & ſervir que par une ſou- miſſion paſſive & abſolue des ſubalternes aux Com- mandans ? N'eſt-ce pas, après avoir amené l'abus, exclure le remède ? . : A l'égard de l'établiſſement des Juges de paix, je ne ferai qu'une ſeule obſervation. Les cahiers qui l'ont demandé vouloient que les déciſions de ces Commiſſaires chargés de conſerver la police & la paix dans chaque canton, fuſſent toujours fans ap- marcher contre eux les troupes demeurées fidèles, & les affié. ger pour les réduire. Mais ce qui eſt bien plus incroyable, c'eſt qu'après que la fage & intrépide fermeté d'un Général, auſli redoutable aux ennemis intérieurs de l'Etat, qu'à ceux du dehors, a eu réprimé la ſédition, il ſe ſoit trouvé un membre de l'Aſſemblée Nationale aſſez fanatique pour le blâmer d'avoir rempli ce devoir ; qu'il ait ofé dénoncer M. de Bouillé comme criminel de lèſe-nation, pour avoir puni des rebelles ; & que cette dénonciation, au lieu d'exciter l'indignation unanime, ait reçu des applaudiſlemens ! [ 303 ] eppel, en même tems qu'elles ſeroient bornées à des objets d'une valeur très-modique (1). Leur væu étant de diminuer le nombre des degrés de juriſdi&tion, il eût été contraire à leur but d'aſſimiler les Juges de paix à des tribunaux contentieux de première inſtance. L'Aſſemblée n'a pas penſé de même; elle n'a pas conſidéré les Juges de paix, ſous le ſeul point de vue de la police, ni comme ayant pour deſtina- tion celle qu'ils ont en Angleterre, de faire arrêter les délinquans, de faire faiſir & comparoître devant eux quiconque trouble la paix publique ; elle en a fait des Juges contentieux, éligibles tous les deux ans, auxquels elle a donné le droit de connoître de toutes les cauſes perſonnelles en dernier reffort, juf- qu'à la valeur de 50 liv. & à la charge de l'appel juf- qu'à 100 liv.(2). En ſorte qu'ils forinent, quant aux objets de leurs fonctions les plus conſidérables en valeur, un véritable degré de juriſdiction. L'Al- femblée a ordonné de plus que dans toutes les ma- tières qui excéderont la compétence du Juge de paix, ce Juge & ſes aleleurs civils formeront un bureau de paix, à la médiation duquel ſeront déférées toutes les actions civiles, avant de pouvoir être admiſes 1 (1) Cahiers du Tiers Etat de la ville de Paris, page 52. de Rennes, art. 122. de Niſmes, page 20, Cahiers du Clergé d'Angoumois, article 15. de Troyes, page 19. i (2). Art. 19 du Décret du 18 Juillet 1790. Y 3 i [ 304 ] + aux tribunaux de diſtricts ; & que les appels des jugemens de ces tribunaux ne ſeront reçus que ſur un certificat de comparution des parties, aux bu- reaux de paix qui dans chaque ville de diſtrict ſeront formés par le Corps municipal... Eſt-ce donc là fimplifier les formes, raréfier les degrés de juriſ-- diction, & abréger les délais de l'inſtruction des procès, comme les aſſemblées de tout le royaume avoient témoigné le défrer ? 1 Mais c'eſt ſur-tout en ce qui concerne la nomi- nation des Juges, l'indépendance de leurs fonc- tions, & l'inamovibilité de leurs offices, que les décrets de l'Aſſemblée funt contraires aux cahiers nationaux Tous ces cahiers ont reconnu expreſſément, ou préjugé implicitement, que la nomination des Juges ne pouvoit appartenir qu'au Roi, la juſtice continu- ant d'être rendue en ſon nom. Partant de ce prin- cipe, ils ont propoſé des meſures à prendre pour que le choix du Roi fût toujours éclairé; & ont demandé qu'il ſe fixât entre trois ſujets élus, qui lui ſeroient préſentés: ils n'ont varié que ſur la forme des élécı tions & des préſentations à Sa Majeſté. Les uns s'expriment ainſi, que le droit de choiſir les membres des tribunaux ſoit réſervé au Roi, ſur la préſenta- tion qui lui ſera faite de trois ſujets par les com- munes; & qu'à l'égard des Cours ſouveraines, elles ne puiſſent être compoſées' que d'anciens Magiſtrats firés des tribunaux inférieurs, ſur la préfentation que ! 1 S [ 305 ] chaque adminiſtration provinciale fera au Roi, de trois ſujets, parmi leſquels il choiſira (1). D'autres veulent que conformément à l'Ordonnance de Blois, il ſoit envoyé d'années à autres, au Roi, par ſes prin- cipaux officiers, de l'avis des plus apparens & notables de la province, une liſte des perſonnes qu'ils jugeront dignes & capables d'étre pourvues des états & offices de judicature (2). Quelques-uns diſent en général, qu'il faut que les Juges ſoient dorénavant nommés par Le Roi, ſur la préſentation du peuple (3). Pluſieurs ſpécifient que les Juges doivent être nommés ſur la préſentation des Corps, parmi les Magiſtrats des tri- bunaux inférieurs pour les Cours ſupérieures, & parmi les Avocats pour les tribunaux inférieurs. (4). t Ces différentes meſures, ainſi que celles qui ten- doient, ſoit à rendre l'éligibilité entièrement indé- pendante des avantages de la naiſſance ou de la for- tune, foit à fouſtraire à l'abus des diſpenſes, les règles relatives à l'âge ou aux examens requis, étoient autant de précautions ſages qui n'avoient rien d'incompatible avec les principes du gouverne- ment monarchique, & qui devoient ſuffire pour aſſurer la bonté du choix, épurer les ſources de la 1 } (1) Cahiers du Tiers Etat de Châlons, page 28, (2) Cahiers du Tiers Etat de Metz, page 29. (3) Cahiers de la Nobleſſe de Péronne, &c. p. 23. (4) Cahiers du Clergé de Vitry-le-François, manuſcrit, & pluſieurs autres. . Y 4 [306] juſtice, & rendre ſes miniſtres de plus en plus reſpectables. 1 Pourquoi faut-il que l’Afſemblée ne s'en ſoit pas tenue là? Pourquoi, toujours outrée, toujours abandonnant le bien pour courir au mieux idéal, &, puiſqu'il faut le dire encore, toujours entraînée par ceux qui ne veulent que renverſer la Monar- chie, a-t-elle dépouillé le Roi du droit de nommer les Juges? droit que les cahiers avoient reſpecté; droit tellement inhérent au trône, que l'en ſéparer, c'eſt détrôner le Monarque. A-t-il donc ceſſé d'être vrai que la juſtice eſt le premier devoir des Rois; que c'eſt leur pre- mier bienfait(*); que c'eſt même pour eux une dette perpétuelle envers leurs peuples, puiſque c'eſt l'échange de la ſoumiſſion de leurs peuples envers eux? Et comment le Roi pourroit-il remplir ce devoir, diſtribuer ce bienfait, acquitter cette dette, fi ceux qui adıniniftrent la juſtice en ſon nom, n'é- toient pas nommés par lui, ſurveillés par lui, pro- tégés par lui; ſi, ne tenant pas de lui leur miſ- fion, & n'ayant aucun intérêt à s'efforcer de mériter ſon approbation, ils devoient leur exiſtence à la multitude, n'avoient à craindre de la perdre que par elle, & ne pouvoient eſpérer que d'elle ſeule leur conſervation? : (*) On ne fauroit oublier ce mot de M. de Malesherbe, Le juſtice eſt la bienfaiſance des Rois. [ 307 ] 1 1 Veut-on ſe reporter au principe général, qui diſtingue les fonctions de la puiſſance légiſlative d'avec celles de la puiſſance exécutrice? Il eſt clair encore qu'à cette dernière eſt dévolu le droit & le devoir d'établir des Juges, puiſque c'eſt à celui qui eſt chargé de faire exécuter les loix, & de les maintenir en vigueur, qu'il appartient d'en faire faire une juſte application à tous les cas qui ſe pré- fentent; ce qui n'eſt autre choſe que d'adıniniſtrer la juſtice. Ce ſeroit la principale fonction du dépo- ſitaire ſuprême du pouvoir exécutif, s'il pouvoit s'en acquitter perſonnellement; mais ne le pouvant pas dans un grand Etat, il doit en confier l'exercice à des Magiſtrats qui rendenț la juſtice en ſon nom, à ſa décharge, & fous ſon autorité: c'eſt donc à lui à les nommer ; c'eſt donc avec grande raiſon que les cahiers, lui en ont conſervé le droit; c'eſt donc contre toute raiſon, ainſi que contre le veu de toute la Nation, qu'il s'en trouve ſpolié par les décrets de l'Affemblée. (*) I (*) Un décret de l'Aſſemblée avoit du moins réſervé au Roi la nomination des Officiers chargés du miniſtère public; mais on-décret poſtérieur, en date du 10 Août, a rendu le premier illuſoire, en ce qu'il a privé ces officiers, dénommés aujourd'hui Commiſſaires du Roi, du plus eſſentiel de leurs attributs, de la fonction de provoquer la vindicte publique, & d'accuſer les in- fracteurs des loix; comme ſi la délégation de cette fonction n'appartenoit pas évidemment au pouvoir chargé de maintenir l'exécution des loix. [ 30% ]. Ces décrets, en ce qui concerne l'inamovibilité des Juges, contrediſent encore plus formellement le væu de la Nation, & même une loi ſolemnelle portés ſur ſa demande, loi que les anciens Etats- généraux ont regardée comme la fauvegarde de l'ordre judiciaire. Tous les cahiers ont in Gſté pour que l'inamovi- bilité des Juges & leur indépendance dans l'exercice de leurs, fonctions fût aſſurée par une loi.conftitution- nelle poſitive, préciſe & claire (1).' Tous vouloient qu'en confirmant l'ancienne juriſprudence, & en l'é- tendent même à tous les Juges, il fút ftatué qu'aucun d'eux ne pút étre dépoſſédé de ſon office, que dans le cas de forfaiture préalablement jugée (2). Tous ont jugé convenable que pour rendre l'adminiſtration de la juſtice indépendante d'autorité arbitraire, & com- muniquer aux magiſtrats l'impartialité de la loi dont ils ſont les organes, le fietilt national qui les avoit déclarés inanovibles, füt conſacré de nouveau, & de manière à 11e pouvoir plus être éludé par des deftitu- tions déguiſées ſous le nom de ſuppreſſions & de ré- tabliſſemens d'offices, ou par tous autres moyens & changeniens verſatils. (3). : (1) Cahiers du Tiers Etats du Nivernois, page 8. de Troyes, art. 55. de Nérac, art. Il. de Château-Thierry, art 24. (2) Cahiers de la Nobleſſe de la Banlieue de Paris, page 5. de Berry, page 13. (3) Cahiers du Clergé de Metz, page, 14. de Meaux, page 14, Cic. 1 I [ 309 ] i I L'Affeinblée a-t-elle rempli ce vau unanime? A-t-elle fatisfait à ce que les peuples attendoient d'elle, lorſqu'après avoir anéanti tous les Corps de judicature, elle n'a établi que des Juges amo- vibles tous les ſix ans, des magiſtrats pourvus d'un état précaire, dont la prolongation feroit. l'effet de la faveur populaire ? Quel fond d'inſtruction, quelle réunion de lumières, quelle maturité d'expérience peuvent acquérir des Juges qui ne font nommés que pour un eſpace de tems auſſi borné? Et quel reſſort d'émulation, quelle énergie dans les ſen- timens, quelle indépendance dans les fonctions, quel courage dans la repreſſion des déſordres pub- lics, quelle fermeté dans la pourſuite des cou- pables en crédit, peut-on attendre de Magiſtrats ayant pour perſpective d'être ou de n'être pas réélus, ſuivant qu'ils plairont ou ne plairont pas au plus grand nombre? Je ne pouſſerai pas plus loin mes réflexions ſur l'état où l'adminiſtration de la juſtice va ſe trouver réduite en France, par le réſultat de toutes les nou- veautés dont je viens de tracer une légère eſquifle. Le tems, ſi la deſtinée de ma patrie eſt de ne s'inſ- truire que par ſes malheurs, fera connoître combien mes craintes ſont fondées; il montrera ſi, lorſqu'on détruit en un inſtant toute la Magiſtrature d'un grand royaume, & l'état même de magiſtrat; lorf- qu'on décompoſe tout l'Ordre judiciaire, & qu'on réforme, qu'on diſperſe, qu'on dégoûte à jamais d'une profeſſion pénible par elle-même, une géné- 1 ! 1 [ 310 ] 1 ration entière de Juges, il et facile de les rempla- cer dignement ; il apprendra enfin s'il eſt ſage, après avoir mis la force entre les mains du peuple, de lui livrer encore l'adminiſtration de la juſtice. Il n'eſt cependant pas douteux que dans le Comité chargé du travail judiciaire il ne ſe trouve des Jurif- conſultes éclairés qui s'y ſont livrés avec beaucoup de zèle; mais participant à l'eſprit qui domine dans l’Aſſemblée, céciant peut-être au torrent du fanatiſme populaire, & rapportant leurs idées au fens de la révolution (*), ils ont altéré les meilleures vues par la filtration des faux principes qui ont influé dans toutes les opérations de l'Aſſemblée. Je viens de les parcourir toutes ſucceſſivement, & j'ai fait voir que dans celles qui intéreſſent le plus le ſort de la France, elle a pris exactement le contre- pied du vceu de la Nation, d'un vou conſigné dans les délibérations de 500 affeinblées nombreuſes, d'un væu infiniment plus raiſonnable que ce qu'on s'efforce vainement d'y ſubſtituer. 'Ne diroit-on pas qu'un génie malfaiſant, jaloux de l'accroiſſe- ment du bonheur & de la puiſſance que l'Empire François étoit au moment d'obtenir, par une ſage conſtitution, une liberté raiſonnable, & un gou- vernement tempéré, eſt parvenu à renverſer ces > 1 (*) Je ne donne pas ici à cette expreſſion la fignification barbare qu'elle a eue dans la bouche d'un des Membres de l'Aſemblée, [ 311 ] magnifiques eſpérances, en ſouffant ſur la plupart de ceux qui devoient concourir à les réaliſer, un eſprit de vertige qui les a fait paſſer, tête baiſſée, à travers le tiſſu des vues utiles qui ſe préſentoient à eux, & aller ſe précipiter dans un abyme d'excès pernicieux? Ce ſeroit une injuſtice que je n'ai point à me re- procher, de n'être pas perſuadé qu'un grand nom- bre, difons même, le plus grand noinbre des Mem- bres de l'Aréopage François, ont été animés du déſir de faire le bien: mais ce ſeroit une lâcheté à laquelle je ne ſaurois m'abaiſſer, de diſſimuler qu'une effer- veſcence démocratique a tout perverti, & qu'em- ployée avec fcélérateſſe par quelques coupables clairvoyans, pour exalçer juſqu'au délire leur aveu- gles ſectateurs, elle a produit, au milieu des con- vulſions les plus fcandaleuſes, une collection de décrets incroyables, contraires aux cahiers, con- tradictoires entre eux, outrés dans ce qu'ils ont de bon comme dans ce qu'ils ont de mauvais, & in- compatibles avec toute eſpèce de gouvernement, 1 Les ſpectateurs de ſang-froid, tels que les étran- gers, n'ont pu concevoir qu'une Affeinblée qu'ils avoient conſidérée comme l'élite d'une grande Na- tion fort éclairée, eût des mouvemens fi défordon- nés ; & il eſt aiſé de juger quels ont été leurs ſen- timens, lorſqu'ils ont vu les principaux moteurs de ces continuels écarts, s'en applaudir avec emphaſe, ſe croire les premiers légiſlateurs du monde, & jeter [ 312 ] 1 des regards dédaigneux ſur tous les autres gou- vernemens, ſur tous les ſiècles paffés, ſur tout ce qu'avant eux on avoit penſé, reſpecté, admiré. (*) Dans les premiers momens, pendant qu'ils s'em- preſſoient d'abattre ce qui exiſtoit depuis des mil- liers de générations, qu'ils s'animoient à tout culbuter, & qu'ils fe glorifioient de tout détruire, on ſe diſoit, Que mettront-ils donc à la place? Enſuite, & depuis qu'ils ont annoncé qu'ils al- loient organiſer en tous genres, on a vu que toutes ces organiſations, dont ils annonçient fi fåſtueuſe- ment les avantages futurs, n'opéroient pour le préſent, ne faiſoient même préſager pour l'avenir, qu’une diſſolution univerſelle; & que dans le fait ces ſublimes organiſateurs ont déforganiſé tous les pouvoirs conſtitutionnels; déſorganiſé l'ordre ecclé- fiaftique; déſorganiſé l'ordre judiciaire ; déforga- niſé le régime des finances; déſorganiſé la gradation des rangs, & tous les corps intermédiaires ; défor- ganiſé l'arınée; déſorganiſé le gouvernement mo- narchique; enfin, déſorganiſé à jamais, ļeur propre Affemblée; & pour un tems, une grande partie des têtes Françoiſes. 1 Au milieu de tant de ruinez accumulées, de tant d'opérations avortées, de tant de réſolutions mar- (*) Parmi les notes rejetées à la fin de l'ouvrage, il y en aura une ſur les opinions des Nations étrangères à l'égard de ce qui ſe paſſe en France. [ 313 ] 0 quées au coin de l'eſprit de parti, & lorſque tout le royaume ſe récrie contre les déſordres qui en réſul- tent, croiroit-on que dans l'Aſſemblée on osât en- core prétendre que ce qu'elle a fait eſt invariable; qu'étant formée en Convention nationale, elle a pu changer à ſon gré les baſes de la Conſtitution, & établir une nouvelle forme de gouvernement, ſans s'arrêter au yceu exprimé par tous les cahiers, & fans que les légiſlatures ſuivantes puiſſent rien changer à ſes décrets conſtitutionnels, quelque cenſurés qu'ils ſoient, quelque impraticables qu'ils paroiſ- fent?—Il n'eſt perſonne qui, fạns autre examen que celui de la ſituation actuelle, ne ſente profondément coinbien une pareille prétention eſt inſoutenable : inais ce n'eſt pas aſſez que la vue des faits le faffe ſentir, il faut de plus que l'éclairciſſement du point de droit le démontre; & c'eſt la dernière tâche qu'il me reſte à remplir, avant de préſenter la concluſion que je crois propre à concilier tous les eſprits. Cette diſcuſſion allongera encore un écrit dont je crains bien que le volume n'effraie & ne rebute les trois quarts de ceux entre les mains de qui il pourra tomber. Mais je n'écris pas pour les perſonnes qui, même en matière d'état, effleurent tout & ne veulent rien approfondir; je ne réclame une at- tention perſévérante que de la part de ceux qui, pénétrés de l'importance des objets que j'eſſaie de traiter avec ſuite, ne trouveront pas que je me fois trop appeſanti ſur chaque point de leur immen- ſité, & qui même ne me pardonneroient pas de . 1 [ 314 ] 1 finir par préſenter légèrement mon opinion ſur une affertion qui eſt de toutes, la plus capitale, quoique la moins approfondie, ſur celle qui ſert de retranche- ment contre tous les reproches de contradiction aux cahiers nationaux, ſur celle enfin dont la chute doit entraîner tout l'édifice anti-monarchique. L'Aſſemblée eſt-elle Convention Nationale? A-t-elle, à ce titre, le pouvoir de créer un nouveau Gou- vernement, d'annuller ce que les Cahiers ont una- nimement preſcrit, & d'interdire aux Aſſemblées qui lui ſuccéderont, de rien changer à ceux de ſes Décrets qu'elle aura déclarés Conſtitutionnels ? A quelque diſtance que l'Aſſemblée ſe foit miſe de ſon point de départ, & quelque ſoin qu'elle prenne de le faire perdre de vue, il faut, pour dé- terminer ce qu'elle eft, fe rappeler ce qu'elle étoit dans ſon principe; comment elle a été convoquée, comment compoſée, comment déléguée; & quels changemens ſont ſurvenus ſucceſſivement dans ſa formation, dans ſon titre, dans ſes propres idées. Ce rapprochement, qui prend peu d'eſpace, donne beaucoup à penſer : les époques ſe touchent, mais les intervalles moraux font immenſes. 1 1 Les Aſſemblées Nationales n'exiſtoient plus en France depuis plus d'un ſiècle & demi, 'lorſque Louis XVI, animé du déſir de ſoulager ſes peuples par ! ( 315 ) par un meilleur ordre dans les finances, prit le parti d'en concerter les moyens avec des repréſentans de la Nation; & après avoir d'abord aſſemblé auprès de lui en 1787, des Notables de tous les ordres & de toutes les parties du royaume, il réſolut en 1788 de convoquer la grande Aſſemblée des Etats-gé- néraux, ſuivant les anciennes formes. Il en fixa l'ouverture au 27 Avril 1789. 1 -- Les lettres de convocation en expriment l'objet; & en preſcrivent le mode. Nous avons beſoin, dit le bienfaiſant Monarque, du conccurs de nos fidèles ſujets pour établir un ordre conſtant dans toutes les parties du gouvernement qui intéreſſent leur bonheur... Nous voulons que ceux des trois Etats de chaque Bailliage ou Sénéchauſſée de toutes les provinces de notre obéiſance, se réuniſſent pour conférer enſemble, tant des remontrances, plaintes & doléances, que des moyens & avis qu'ils auront à propoſer en l'Aſſemblée générale..... qu'ils éliſent des députés dignes de confiance....qu'il s'y trouve aucuns des plus notables de chaque province.....que ces députés ſoient munis d'inſtructions & pouvoirs ſuffiſans pour propoſer, remontrer, aviſer & conſentir tout ce qui peut con- cerner les beſoins de l'Etat, la réforme des abus, l'établiſſement d'un ordre fixe & durable dans toutes les parties de l'adminiſtration, la proſpérité générale de notre royaume, & le bien de tous & chacun de nos ſujets. A ces lettres du Roi, fi dignes d'être gravées en traits ineffaçables dans le cæur de tous les Fran- Z [ 31.6 ] 1 çois, étoient annexés des règlemens dont le ſouvenir n'eſt empreint que dans les funeſtes effets qu'ils ont produits. L'un preſcrivoit en général pour tout le royaume, la compoſition des aſſemblées préli- minaires & electives; l'autre fixoit pour chaque province en particulier, le nombre des députations & la manière de procéder à leur formation ; l'un & l'autre émanés d'un Miniſtre républicain par naiſ- ſance, deſpote par caractère, populaire par vanité, anti-monarque par ambition, aſſuroient au Tiers Etat dans l'Affemblée, une prépondérance telle qu'elle devoit écraſer les deux autres Ordres, & changer la forine du gouvernement. Indè mali labes. (*) 1 Mais au reſte, le vice de la compoſition n'a pas influé dans la rédaction des cahiers : ils répondent tous aux vues de la convocation ; tous enjoignent aux Députés d'être fidèles au Roi, de maintenir la forme du gouvernement, de ſe borner à la réforma- tion des abus. Les extraits que j'en ai rapportés font aſſez voir que c'eſt dans ce feul eſprit qu'ils ont quelquefois employé le mot de régénération, dont l'Aſſemblée a tiré des conſéquences bien abuſives. Certainement la France ſeroit très-heureuſement (*) Il y a 20 mois que j'avois indiqué d'avance, & rapporté dès lors à M. Necker, l'origine des troubles & des malheurs de la France. On peut voir dans ma Lettre au Roi, du mois de Janvier 1789, que les ayant dès lors annoncés, je l'en rendois reſponſable. Pages '13 & 14 de l'édition in-4 °. 1 1 Ï 314 i régénérée, ſi le væu de ſes cahiers avoit été rempli; fi les mandataires, qui avoient juré de s'y conformer, ne les avoient pas tranſgreſſés dans les points les plus effentiels ; fi l'on n'avoit pas ſuivi une route diamétralement oppoſée à celle qu'ils avoient tra- cée unanimement. + à A peine les Députés furent-ils raſſemblés, à peine avoient-ils entendu les paroles de paix, les exhor- tations à la concorde que le Roi leur adrefſa påter- niellement à leur première ſéance, qu'on vit s'embra- ſer au milieu d'eux les matières de diſcorde, qu'une main perfide avoit préparées, & amaffées d'avance au ſein des Etats-généraux. Je n'ai pas beſoin de rappeler comment le Troiſièine Ordre eſt parvenu ſubjuguer & confondre en lui-même les deux autres, en paroiffant d'abord ne vouloir que la réunion des trois, pour vérifier en commun les pouvoirs de tous les membres de l'Aſſemblée. Je n'ai point à examiner s'il n'eût pas mieux valu oppoſer moins de réſiſtance fur ce premier point qui n'étoit qu'un préliminaire, pour voir venir avec avantage ſur les objets plus déciſifs, & laiſſer démaſquer entièrement l'attaque préméditée. Je paffe ſur les 45 jours employés, ou plutôt perdus, à diſcuter la forme ſuivant laquelle les pouvoirs devoient être vérifiés; & je m'arrête à la ſéance du 17 Juin, où l'Ordre du Tiers Etat ayant procédé ſeul à la vérification des pouvoirs de ſes membres, ſans conſentir- que chacun des deux autres Ordres procédât de même Z a 1 1 [ 318 ] à l'égard des ſiens, a pris pour la première fois le citre d'Aſſemblée Nationale. Tout eſt remarquable dans les termes de fon arrêté; & ils jettent une grande lumière ſur les con- ſéquences qu'on a voulu en tirer. L'Aſſemblée des Députés du Tiers Etat (à la- quelle alors étoient déjà réunis quelques Curés*), conſidérant que les abſens, qui ont été appelés, we peuvent point empêcher les préſens d'exercer la plé- nitude de leurs droits..... déclare que l'æuvre com- mune de la reſtauration nationale peut & doit étre conimencée ſans retard par les Députés préfens ; qu'ils doivent la ſuivre ſans interruption, comme ſans obſta- cles; & que la dénomination d'Aſſemblée Nationale eſt la ſeule qui convienne à cette Aſemblée dans l'état aktuel des choſes, ſoit parce que les membres qui la compoſent font les ſeuls Repréſentans légitimement & publiquement connus & vérifiés, ſoit parce qu'ils font envoyés direEtement par la preſque totalité de la (*) Lorſqu'on a fait en ſorte que dans le nombre des Dé- putés du Clergé, plus des deux tiers fuſſent pris parmi les Cu- rés de campagne, on avoit bien prévu que ce ſeroit pour le Tiers Etat, à qui ils appartiennent, un renfort déciſif. Ce font eux en effet dont la prépondérance dans le Clergé a rendu nul le poids qu'il devoit avoir dans les délibérations. Il faut convenir que les maneuvres de M. Necker ont influé très-efficacement ſur tous les points, & je trouve que les pertur- bateurs du repos public font bien ingrats envers lui. ; [ 319 Nation ; ſoit enfin parce que la repréſentation étant une & indiviſible, aucun des Députés, dans quelque ordre ou claſſe qu'il ſoit choiſi, n'a le droit d'exercer ſes fonctions ſéparément de la préſente Aſſemblée. Il eft dit encore, l’Aſemblée ne perdra jamais l'eſpoir de réunir dans ſon sein tous les Députes (du Clergé & de la Nobleſſe) aujourd'hui abſens ; elle ne ceſſera de les eppeler à remplir l'obligation qui leur eſt impoſée, DE CONCOURIR A LA TENUE DES ETATS- GÉNÉRAUX. 3 On voit d'abord qu'il ne s'agiſfoit alors que de la dénomination que prendroient les Députés du Tiers Etat, qui antérieurement avoient déjà changé leur ancien titre en celui de Communes, & qui crurent devoir prendre une autre qualification au moment où, fe fondant ſur le refus perſévérant de réunion de la part des deux premiers Ordres, ils réſolurent d'agir ſans eux comme Corps repré- fentatif de la Nation. Le choix du nouveau titre avoit été débattu pendant plus d'une ſéance; on avoit d'abord propoſé de ſe conſtituer fous celui de ſeuls Repréſentans vérifiés & connus. M. de Mira- beau étoit d'avis de ſe nommer les Repréſentans du Peuple François ; & il obſervoit qu'il falloit trouver un titre qui allât au grand but de l'extivité, ſans avoir le grand inconvénient de paroître une ſpoliation des deux Ordres, dont on ne pouvoit fe diffimuler l'exiſtence (*), Enfin, le 17 Juin, le titre d'Aſemblée (*) Voyez fa onzième Lettre à ſes commettans. ? 3 1 [ 320 ] ! Nationale obtint la préférence ; & l'on yoit encore dans les termes de l'arrêté, que ce titre ne fut adopté par le Tiers Etat qu'en conſidération de ce qu'il ne pouvoit prendre, en l'abſence des deux autres Ordres, celui d'Etats-généraux, qu'alors même il ne ceſſoit pas d'avoir en vue ; puiſqu'après avoir dit que la dénomination d’Aſſemblée Nationale étoit la ſeule qui lui convînt dans l'état aétuel des choſes, il ajoute qu'on ne ceſſera d'appeler les Dé- putés abſens à remplir l'obligation de cancourir à la tenue des Etats-généraux. Un ſimple choix de dénomination, fait de telle manière,' & en de telles circonſtances, par un ſeul des trois Ordres, ne préſente certainement pas l'idée de l'événement le plus grand qui pût jamais arriver dans la Monarchie, comme feroit le monient où la Nation entière ſe formeroit en Convention, pour ſe donner un nouveau gouvernement, & in- yeſtiroit à cet effet ſes Repréſentans d'un pouvoir ſans bornes.-Quelle ſenſation, quelle commotion univerſelle n'eût pas excitée l'arrêté du 17 Juin, ſi l'on avoit pu, ſans être viſionnaire, y appercevoir rien de femblable! Aufli n'a-t-on pas oſé affirmer poſitivement que ce fût-là l'époque de la métamorphoſe de l'Aſſem- blée en Convention nationale. On s'eſt contenté de l'inſinuer; & de trouver dans cet arrêté du 17 Juin 1.789, préſenté comme fondamental, le com 1 ! 1 1 [321] mencement de l'exercice du pouvoir conſtituant, qu'on attribue à l'Aſſemblée. (1) D'autres ont cherché dans les cahiers, l'origine de cette attribution de pouvoir illimité; & quoi- qu'ils n'aient pu y en découvrir la moindre trace, ils ont dit, Chargés par nos mandats d'examiner la Conſtitution, nous avons été créés Aſemblée conſti- tuante; excès d'inconſéquence qui ſaute aux yeux, puiſqu'en bonne logique il eût fallu dire, Nous avons été chargés par nos mandats d'examiner la confitution, donc nous n'avons pas été créés Alen- blée conſtituante. (2) Un autre, voyant bien qu'il n'y avoit aucun ſubterfuge, aucune entorſe aux cahiers, qui pût faire trouver le principe & le caractère d'une con- vention nationale dans une convocation de Dé- putés faite par le Roi, ni dans les inſtructions données en conſéquence, a imaginé un ſyſtême plus tranchant, & s'eſt enſuite extaſié lui-même de l'éloquence avec laquelle il l'avoit établi (3). (1) Dire de l'Abbé Sieyes, à la ſéance du 7 Septembre 1789. (2) Rapport de M. Chapelier du 19 Juin i 1790. (3) Voyez le N° 123 'du Courier de Provence, ſervant de ſuite aux Lettres du Comte de Mirabeau à ſes Commettans, & qui paſſe pour être de lui. L'auteur, après avoir rapporté le diſcours par lequel il dit que ce Comte avoit accablé l'Abbé Maury, s'écrie, c'est-là de l'éloquence, & l'orateur qui cite Cicéron n'a rien à lui envier. M. de Mirabeau avoit repréſenté l'Affem- + Z 4 1 A [ 322 ] Je dédaigne, diſoit-il dans ſon diſcours dų 19 Avril dernier, je dédaigne les arguties ; je mépriſe les ſub- țilités..... je dis que quels que fuſſent nos pouvoirs à l'époque où, convoqués par une autorité légitime, nous nous ſommes raſſemblés, ils ont changé de nature le 20 Juin, parce que cela étoit néceſſaire au falut de la patrie ; que s'ils avoient beſoin d'extenſion, ils l'ont acquiſe ce jour mémorable où, bleſſés dans notre dignité, dans nos droits, dans nos devoirs, nous nous ſommes liés au ſalut public par le ſerment de ne nous ſéparer jamais, que la Conſtitution ne fût étáblie,& affermie... Provoquée par l'invincible tocſin de la néceſſité, notre Convention nationale eſt ſupérieure à toute limitationi, comme à toute autorité. Elle ne doit compte qu'à elle-même, & ne peut être jugée que par la poſtérité. Au milieu de ce vain cliquetis de mots, qu'on pourroit appeler éloquence, ſi l'art de perſuader pouvoit ſe trouver dans ce qui choque le bon ſens, ne voit-on pas clairement l'impuiſſance des efforts de l'eſprit, pour ſoutenir une thèſe abſurde ? Des pouvoirs qui changent de nature en un inſtant..., une Afſemblée qui, par un ſerment, acquiert une extenſion de compétence...une Convention natio- blée comme étant dans le même cas que l'orateur Romain lorſqu'ayant outrepaffé ſes pouvoirs, il répondit à l'interpellation de ferment que lui avoit fait un Tribun, Je jure que j'ai fauvé ļa République. Chacun a vu les pouvoirs outrepaflés ; mais qui feut voir la choſe publique ſauvée ? t 1 [ 323 ] nale provoquée par un invincible tocſin, ſans que la Nation en fache rien, & qui par la ſeule vertu de ce tocſin ſe trouve tout d'un coup ſupérieure à toute limitation, comme à toute autorité, qui ne doit plus compte qu'à elle-même, qui ne peut plus être jugée par la génération préſente.....? qu'eſt-ce que tout cela veut dire ? Qu'eſt-ce qu'une préten- tion qui n'a pour tout appui que de pareilles phraſes? pas elle elle que J'ai raiſon de dire pour tout appui, car il eſt à obſerver qu'il n'y a pas même un ſeul décret, un ſeul arrêté de l'Aſſemblée, par lequel elle ſe ſoit déclarée Convention nationale, par lequel elle en ait affumé les caractères. Ce n'eſt donc j'accuſe de l'uſurpation d'un titre qu'elle ne s'eſt jamais donné. Mais peut-elle ſe juſtifier d'avoir agi comme ſi elle en avoit les droits, comme ſi elle devoit les exercer excluſivement aux légiſlatures ſuivantes, & comme ſi le verbiage ampoulé de quelques-uns de ſes plus violens orateurs avoit fufi pour lui conférer ce que la Nation elle-même ne pouvoit pas aliéner en ſa faveur? De quel front ils ont oſé, à défaut de moyen pour légitimer une telle invaſion, s'écrier dans l'Aſſemblée, Les attentats du deſpotiſme, les périls que nous avons conjurés, les vio- Lences que nous avons réprimées, voilà 110s titres; nos fuccès les ont conſacrés.-Leurs ſucces! quand la France gémit & faigne de toute part! 1 Mais ces ſuccès, conſervateurs d'une chimère qui n'exifte que dans leurs paroles, ils ne les ont pas ( 324 ] : : + 1 1 même ens au champ de bataille de leurs intrigues. Car c'eſt là, & fur ce même ſujet, qu’un adver- faire fupérieur à leurs ténébreux fophiſmes, & à leurs éblouiſſantes déclamations, à montré, en dépit de la turbulente galerie, que toujours on dit mieux quand on dit vrai. Il a 'expoſé ſans emphaſe, que pour qu'il y eût en France une Convention nationale, il faudroit que la Nation entière; Joulevée contre le gouvernement, & mécontente de fon. Roi,. eút choiſi d'elle-même des. Repréſentans ſans le participation dü Monarque, 'eût donné des pleins pouvoirs à ſes Députés, & leur eút trenmis tous les droits qui lui appartenoient au premier moment où elle ſe forma en Corps de Nation...telle eſt, leur a-t-il dit, l'idés qu'il faut ſe foriner d'rine Convention nationale... Vous ne l'étės pas, ſi votre pouvoir a des bornes ; mais fi votre pouvoir eſi illimité, & ſi vous êtes Conven- tion nationale, vous pouvez bouleverſer l'Empire, déclarer le trinė vacant, même le renverſer à jamais. Je déclare à tous mes' adverſaires que leur doctrine aboutit à cette conſéquence inſenſée ; que c'eſt le point de difficulié & le principe fondamental qu'ils ont à combattre. * 1 La Nation, a-t-il ajouté, a voulu, & elle a im- périeuſement déclaré qu'aucun de nos décrets nie feroit exécutoire ſans la fenêtion libre du Roi. Nous avons reconnu nous-mêmes cette doétrine de nos conmettans; & dès-lors il est bien évident que la première page de notre Conſtitution dépoſe invinciblement contre les publiciſtés qui voudroſent faire de cette Aſſemblée une i ! 1 [ 325 ] Convention nationale...... Les légiſlatures qui nous remplaceront auront les inêmes pouvoirs que nous, & ce ne ſera pas dans nos décrets qu'elles iront étu- dier leurs droits...... La Nation ne nous a pas au- toriſés à limiter les pouvoirs qu'il lui plairoit confier à nos ſucceſſeurs..... Non, vous ne ſeriez pas les gar- diens des droits nationaux'; vous deviendriez les tyrans de vos concitoyens, vous ſeriez les ennemis de la li- berté des François, ſi vous entrepreniez de reſtreindre d'avance l'autorité du Corps légiſlatif. (*) 1 1 Ces argumens, que j'ai copiés de peur de les affoiblir, étoient ſans réplique; ils pulvériſoient l'érection-imaginaire d'une Convention toute-puiſ- ſante au paffé, pour annuller les mandats unanimes des cahiers ; toute-puiſſante au préſent, pour créer un gouvernement, comme s'il y avoit un inter- règne ; toute-puiffante dans l'avenir, pour interdire . aux légiſlatures ſuivantes de faire le moindre chan- gement à ce qu'elle auroit conſtitué: L'Abbé Maury avoit donc droit de terminer, comme il a fait, l'expoſition de ſes principes par ces mots, , F'ole eſpérer que la prétention de former une con- vention nationale ne reparoitra jamais dans cette Aſſemblée. Mais c'eſt alors qu'une voix trop fou- yent exaltée par des acclamations tumultueuſes, l'a traité de malveillant rhéteur, oppoſant ſans ceſſe la (*) Diſcours de l'Abbé Maury, prononcé le 19 Juin 1790, pages 13, 14; 20, & 21. [ 326 ] Nation à l'Aſemblée Nationale, comme ſi ce n'étoit pas par l'Aſſemblée Nationale que les François, juf- qu'alors aggrégation inconſtituée de peuples défunis, étoient véritablement devenus une Nation.... Le pré- apinant, s'eſt écrié cette même voix, demande com- ment, de simples Députés de Bailliages, nous nous Tomizes tout d'un coup transformés en Convention nationale ? Je répondrai, Le jour où trouvant la Salle qui devoit nous raſſembler, fermée, hériſſée, fouillée de baionnettes, nous courümes vers le pre- mier lieu qui pût nous réunir, jurer de périr plutôt que, de laiſſer ſubſiſter un tel ordre de choſes........ ce jour-là même, ſi nous n'étions pas Convention na- tioncle, nous le formes devenus...... Les Députés du Peuple font devenus une Convention nationale, lorſ- que, par un acte de démence vraiment ſacrilège, le deſpotiſme a voulu les empêcher de remplir leur miſſion ſacrée (*).-----L'impudent! Ce qu'il appelle un , ačte de démence vraiment facrilège, c'eſtun ordre du Roi; c'eſt une proclamation de Sa Majeſté, publiée par ſes hiérauts, & dont l'unique objet étoit de ſuf- pendre, pour un moment, la tenue des aſſemblées, pour qu'on pût faire, dans les ſalles qu'elles occu- poient, les préparatifs exigés par la réſolution d'une éance royale que Sa Majeſté annonçoit pour le ſur- lendemain. Voilà ce qu'il oſe préſenter comme un attentat dụ deſpotiſme ! C'eſt parce que des fena (*) Diſcours prononcé par M. le Comte de Mirabeau, le 19 Juin 1790, rapporté au Courier de Provence 133, p. 446.. [ 327 ] tinelles furent poſées aux portes de la Salle, pour en empêcher l'entrée pendant ce court intervalle, que le volcan de ſon imagination incendiaire lui faiſoit voir encore un an après, la Salle hériſſée, ſouillée de baïonnettes ! C'eſt enfin au milieu de cette rêverie qu'il place la naiſſance ſubite de la Convention nationale, ſortie des flancs du ferment fans objet, que l'Aſſemblée, failie d'une frayeur ſans motif, eſt allée prêter, le 20 Juin, dans un jeu de paume. Si je n'avois pas rapporté auſſi exactement que je viens de faire, tout ce que l'hiſtoire de l'Aſ- ſemblée, & de ſes débats, fournit de relatif à la prétention que je dois anéantir, on ne voudroit pas croire qu'elle n'a d'autre baſe que des opi- nions haſardées; & que c'eſt uniquement par des déclamations de la nature de celle que je viens de citer, que l'Aſſemblée ſe trouveroit inveſtie du pouvoir le plus exorbitant qu'on puiſſe concevoir, d'un pouvoir indéfini, d'un pouvoir qu'on peut dire fans exemple; car ceux qu'on cite font entiè- rement à contre-fens, & l'application qu'on en fait prouve qu'on n'a entendu ni le mot de Convention emprunté de l'Angleterre, qui ſemble l'avoir elle- même emprunté de l'Ecoſſe, ni les cas où ce qui eft exprimé par ce mot a eu lieu. Le titre de Convention, dont l'étymologie an- nonce une réunion volontaire, s'eſt approprié fort naturellement à des affeinblées nationales formées A A [ 328 ] i de leur propre mouvement, & ſans avoir été con- voquées par le Souverain. En Ecoſſe, quoiqu'il y eût un Parlement, il étoit d'uſage que dans des circonſtances'extraordinaires, & de la plus grande importance, il ſe formât une aſſemblée générale, compoſée des Seigneurs, Barons, Gentilshommes, Bourgeois, Miniſtres de l'Egliſe, & Gens des Communes. C'étoit une Aſſemblée fponta- née & ſouvent tumultueuſe des Etats du Royaume; on lui donna le noin de Convention Ecoloiſe ; le réſul- tat de ſes délibérations fut appelé Covenant; & ceux qui l'avoient ſouſcrit ou qui y adhéroient, s'appe- loienc Covenantaires. Ainſi le firent les Covenants pour la réforme de la Religion, & particulièrement le fameux Covenant de 1683, qui ayant été ſouſcrit au nom de l'Angleterte, fut regardé comme une ligue folemnelle entre les deux royaumes, & occa- fionna depuis de ſi grands troubles. 1 En Angleterre, lorſqu'après la mort de Crom- well, le Long Parlement fut diſſous, & qu'un nou- veau Parlement s'affembla ſans convocation régu- lière, il ne reçut d'abord que le titre de Convention ; & ce ne fut qu'en vertu d'un acte folemnel, revêtu de l'autorité royale, qu'il reprit le nom de Par- lement. Il y eut en 1688 un ſecond exemple de Convention Angloi e : ce fut lorſque Jacques II, ayant abandonné ſes Ecats, & étant réputé avoir abdiqué la couronne, les Seigneurs & Communes s'affem- 1 . I [ 329. ] blèrent fans convocation (*), déclarèrent le trône vacant, y appelèrent le Prince d'Orange, & for- mèrent une Déclaration des Droits de la Nation Angloiſe, où la prérogative royale fut enfin fixée dans ſes limites. $ Je ne connois pas d'autres exemples de la Con- vention Angloiſe. M: Hume dit que ce terme figni- fie un Parlement aſſemblé ſans les formalités ordi- naires (t): mais pour définir plus correctement la Convention, il faudroit dire que c'eſt un rappro- chement Spontané des deux pouvoirs fubfiftans, à dé- faut du troiſième, ſeul capable de les convoquer léga- lement. C'eſt en effet l'inexiſtence du pouvoir con- voquant qui produit la néceſſité de la convention; c'eſt cette néceſſité qui détermine les objets qu'on y traite ; c'eſt elle qui en circonſcrit les délibéra- tions; & les actes qui en réſultent ne deviennent vraiment conſtitutionnels, qu'au moment qu'ils ſont ratifiés dans un Parlement rendu complet par l'acceſſion du troiſième pouvoir.' Ainſi, en 1689, lorſque Guillaume eut été proclamé Roi, les Cham- bres, qui s'étoient formées en Convencion au mo- ment de la révolution, devinrent, par le concours A 1 (*) Des lettres circulaires du Prince d'Orange, envoyées tous les Comtés & à toutes les Communautés d’Angleterre, les portèrent à élire des Députés; mais comme ce Prince n'a- voit encore aucun droit à la couronne, ces lettres n'étoient que d'invitation, & non de convocation. - (+) Tome III de l'Hiſtoire de la Maiſon de Stuart, page 419, édition in- 4º. 4 [ 330 ] du Monarque, un Parlement proprement dit, con- firmèrent à ce titre tout ce qui s'étoit fait antérieu- rement, & donnèrent le complément ſolemnel à la Déclaration des Droits, ſur laquelle repoſe, depuis lors, la Conſtitution. Britannique. Cet expoſé, tiré des faſtes de l'Ecoffe & de l'An- gleterre, fixe le ſens qui a été donné au mot Con- vention, dans les pays où ce genre d'aſſemblée a eu lieu, & par conſéquent celui qu'on doit lui donner lorſqu'on emprunte d'eux cette expreflion. La concluſion en eſt claire. 1 L'Aſſemblée qui exiſte en France, n'exiſte que par l'effet de la volonté du Roi ; elle a été appelée par lui, convoquée par lettres de Sa Majeſté ; elle n'eſt donc pas convenue d'elle-même, elle n'eſt donc pas Convention. i Ce n'eſt que dans le cas d'interrègne ou de vacance du trône, qu'il s'eſt fait des Conventions nationales : or il n'y a en France ni interrègne, ni vacance du trône. Donc l'Aſſemblée n'eſt pas Convention nationale. 1 Quand l'Aſſemblée feroit Convention, il n'en réſulteroit pas qu'elle eût un pouvoir illimité fur tous les objets, ni qu'elle fût ſupérieure à toutes les légiſlatures, puiſqu'il n'eſt pas dans la nature des Conventions, à l'inſtar deſquelles elle ſeroit, d'a- voir un tel pouvoir; qu'au contraire leur puiſſance eſt L 331 ] eſt reſtreinte à l'objet pour lequel elles font né- ceffaires ; & que loin d'être ſupérieures au Parle- ment, c'eſt de lui qu'elles reçoivent la ratification de ce qu'elles font. Ainſi l’Affemblée s'arroge un titre qui ne con- vient ni à ſon inſtitution, ni à l'état de la France; & elle attribue à ce titre une autorité ſans bornes, qui ne peut lui appartenir. Mais laiſſons le mot, & diſcutons à préſent l'in- tention. Voyons ce que l'Allemblée prétend, à quelque titre que ce puiſſe être. Les auteurs du Syſtême qu'elle füit, ſoutiennent, & elle fuppoſe elle-même par ſa conduite, qu'elle n'eſt pas fim- plement, comme ſeront les légiſlatures qui la ſui- vront, un pouvoir conſtitué ; qu'elle eſt un pouvoir conſtituant ; que rien n'eſt au-deſſus d'elle, & qu'elle eſt au-deſſus de tout; qu'elle n'eſt tenue au main- tien d'aucun des principes fondamentaux, déclarés immuables par les cahiers ; & que les aſſemblées qui lui. fuccéderont feront liées à la conſervation inva- riable de tous ceux qui auront été poſés par elle ; en un mot, qu'elle peut tout fáire, & qu'on ne pourra rien défaire de ce qu'elle aura fait. ! Or, cela n'eſt, ni ne peut être. A Cela n'eſt pas, puiſqu'il n'exiſte aucun titre en vertu duquel cela foit, aucun décret qui aie pro- noncé que cela fût, aucun moment où l'on puiſſe dire que cela ait commencé d'être. 1 1 A a [ 332 ] cm Cela ne peut être, puiſqu'il répugne à la nature des choſes que le Corps repréſentatif ait les attri- buts du, Corps collectif qui l'a commis; qu'on ne ſauroit concevoir que des mandataires ſoient autres que ce qu'ils ſont par leurs mandats ; qu'il eſt de toute impoſſibilité que le pouvoir conſtitué devienne le pouvoir conſtituant, dans le ſens que nos ſubtiles légiſlateurs donnent eux-mêmes à ces expreſſions néologiques (*); & que le même principe qui fait dériver de la ſouveraineté de la Nation tous les droits que ſes délégués exercent en ſon nom, ne permet pas qu'en aucun cas la Nation s'en dé- pouille, & qu'elle aliène un appanage qui n'eſt pas même communicable, n'étant pas plus poſſible que la Nation abdique ou tranſmette les droits de fa ſou- veraineté, qu'il ne l'eſt qu'elle renonce validement à ſa propre ſureté. , Je demande aux inventeurs & fectateurs du ſyſ- tême contraire, s'ils peuvent nier une ſeule de ces propofitions ? Je leur dis, La Nation, en vous fai- ſant porteurs de ſes inſtructions, ne vous a pas fait ſes plénipotentiaires ; vous ne l'étiez pas quand vous êtes arrivés : comment depuis lors le feriez- vous devenus ? La Nation ne s'eſt pas aſſemblée de nouveau, elle ne s'eſt pas expliquée différemment, (*) Suivant eux, l'Aſſemblée actuelle eſt un pouvoir conſ- tituant ; & les Aſſemblées futures ne ſeront que des pouvoirs conſtitués. [ 333 ] 1 elle n'a rien ajouté à votre exiſtence ; vous êtes donc encore ce que vous étiez quand vous fûtes députés par les Bailliages : & d'ailleurs, quand vous ſeriez les plénipotentiaires de la Nation, feroit-ce une raiſon de vous croire autoriſés à fouler aux pieds ſes inſtructions: Je leur dis encore, N'eſt-il pas vrai que tout effet doit être produit par une cauſe, que tout pouvoir reçu doit avoir été donné, que toute attribution ſolemnelle doit être fondée ſur un titre légal? Eh bien, pouvez-vous citer la cauſe productive, l'acte de conceſſion, le titre légal qui vous a conféré le pouvoir illimité en ſoi, unique en vous, & inouï jul, qu'à ce jour, que vous vous arrogez ? Quelle en eſt la chartre fondatrice? Où réſide-t-elle ? Apprenez- le à la Nation de qui ſeule elle pourroit être éma- née & qui n'a aucune conſcience d'avoir émis rien de femblable, qui n'en apperçoit aucune trace en rien de ce qui provient d'elle. Cette Nation, de qui vous n'êtes que les interprètes, n'a parlé que par ſes mandats: or ces mandats, loin de vous in- veſtir de la toute-puiſſance, font au contraire fi limitatifs, fi impératifs ſur les points eſſentiels, que pour en rompre les entraves, vous n'avez pas craint de fauffer votre ſerment (*): c'eſt - là entre la (*) On dira peut-être que la Déclaration du Roi du 23 Juin 1789 a reconnu l'inconvénient des inandats impératifs, & ſemble en avoir affranchi l'Aſſemblée ; mais d'abord, luia : A a 2 [ 334 ] Nation & vous, tout ce qu'il y a eu, & tout ce qu'il peut y avoir, juſqu'à ce que de nouvelles aſſem- blées, dans toutes les parties du royaume, aient énoncé le voeu commun. La loi, ſuivant votre propre définition, n'eſt que l'expreſſion de la vo- lonté générale, & vous n'en êtes que les rédacteurs ; or, l'expreſſion de la volonté générale d'une grande Nation ne peut ſe trouver que dans les réſultats réunis d'une multitude d'aſſemblées particulières : donc ces réſultats étant contraires à ce que vous prétendez, non-ſeulement vous êtes ſans titre, mais même, le ſeul titre que vous puiſfiez invoquer, eft contre vous. 1 Enfin je leur dis, Tout ce qui exiſte, hormis l'Eternel, a commencé d'exiſter; il faut donc qu'il у ait eu un commencement à cette prétendue exif- tence par laquelle vous ne reſſembleriez à aucune des aſſemblées qui ont précédé, ni à aucune de celles qui ſuivront: or, quel eſt-il ce commencement ? Fixez vous-même la date de votre naiſſance en Convention nationale, conſtituante & toute-puiſ- fante. Ce jour, le plus grand ſans doute, comme le premier de votre vie politique; ce jour, inſtituteur 3 vant le fyſtème de l'Affemblée, le Roi n'auroit pas ce pou- voir, d'infirmer les mandats nationaux ; & d'un autre côté, il n'est pas vrai que la Déclaration du 23 Juin ſoit relative 20x mandats' en général ; elle ne porte que ſur quelques-uns particulièrement : & dans ce qu'elle a de général, elle ne porte que fur l'avenir, + 1 1 [ 335 ) de votre règne, & qui vous a élevés tout d'un coup au-deſſous du trône le plus révéré; ce jour mira- ' culeux dont les effets ſont incompréhenſibles, & qui doit marquer plus qu'aucun autre dans les faſtes de notre hiſtoire, comment ſe fait-il qu'il ne ſoit pas conftaté, & que rien de poſitif ne l'atteſte à l'univers ? Je ſuis peut-être le ſeul qui ait ſongé à rechercher en quel moment ſe feroit opéré un chan- geinent qui n'a pu ſe faire ſans que tout le public en fût inftruit, & je n'ai eu à choiſir qu'entre deux époques également éloignées d'annoncer rien de ſemblable: celle du 17 Juin, qui n'offre que le choix d'un nom aſſumé par l'Aſſemblée, à défaut de pouvoir prendre alors celui qu'elle eût préféré, fi les circonſtances le lui avoient permis ; & celle du 20 du même mois, jour du ferment fait au jeu de paume, pour s'encourager contre un danger qui n'exiſtoit pas, & pour ſe liguer contre des ordres dont il n'étoit pas queſtion, mais qui, s'ils fuſſent ſurvenus, euffent été inconteſtablement légitimes. Je m'explique ſur cette dernière propoſition, dont je ſuis bien ſûr que l'on ſera choqué, & que je veux reſſerrer dans les termes de la plus correcte vérité. Quelles qu'aient été, poſtérieurement au 20 Juin 1789, les délibérations de l'Aſſemblée, par rapport au droit que le Roi avoit toujours eu de convoquer, de proroger, de diffoudre à ſa volonté l'Aſſemblée des États-généraux, il eſt certain qu'au 20 Juin 1789, il en étoit en pleine poffeſfion ; A a 3 1 - memoria 1 ; [ 336 ] que ce droit n'avoit pas encore été révoqué en doute ; & que s'il en eût uſé en ce moment pour diffoudre l'Aſſemblée, il n'auroit pas excédé l'éten- due de ſon pouvoir. Il ne ſeroit pas difficile d'établir que ce pouvoir fait partie de la préroga- tive royale, même dans les monarchies. tempérées, qu'il en eſt un préſervatif eſſentiel, & que l'en dé- tacher, c'eſt détruire un des contre-poids néceſſaires pour maintenir l'équilibre. On prouveroit auſſi fa- cilement qu'il eſt inſolite & hors de l'ordre régulier, qu'une Afſemblée de Députés nationaux ſe forme ſans convocation, & que la loi qui en commande les renouvellemens périodiques, s'exécute fans l'inter- vention de la puiſſance exécutrice, ſans qu'elle en détermine l'application ſuivant l'exigence des cas imprévus. Mais ces principes, fuffent-ils abolis par les réſolutions priſes dans l'Aſſemblée, on ne pourroit pas dire qu'ils le fuſſent antérieurement à ces réſolutions, & avant même qu'on ſe fût aviſé de les mettre en queſtion. Le Roi étoit donc entier dans ſon droit de convocation, de prorogation, & de diffolution de l'Aſſemblée des États-généraux, lorſqu'une portion de cette Aſſemblée, dans l'agi- tation d'un trouble panique, s'eft abandonnée à l'engagement de violer ces mêmes droits, & s'eft affermentée à la réſolution d'être réfractaire à ſon Souverain, ſans conſidérer que jurer enſemble con- tre le devoir de la fidélité, c'eſt conjurer. Eft-ce donc d'un acte de cette nature, d'un acte aufli en- taché dans ſon origine, que peut ſurgir un pouvoir créateur & ſans bornes, auquel la déclaration la plus [ 337 ] expreſſe & la plus authentique de la volonté natio- nale pourroit à peine donner l'exiſtence ? i A défaut de cette déclaration expreſſe de la vo- lonté de la Nation, que rien ne peut ſuppléer quand il s'agit de changer les conditions de ſon aſſociation civile, on ſe retranche dans la ſuppoſition d'un con- fentement tacite; & voici comme on s'efforce de l'établir. Nous repréſentons la Nation; nous avons été chargés par elle de régénérer le royaume; elle nous a confié le ſoin de lui donner une Conſtitution; le ferment de ne pas nous ſéparer avant de l'avoir for- mée, a reçu ſon approbation ; nous avoir impoſé ce devoir, c'eſt nous avoir conféré tout le pouvoir néceſſaire pour le remplir; & c'eſt à ce titre que nous ſommes pouvoir conſtituant en ce qui concerne l'établiſſement de la Conſtitution, quoique nous ne ſoyons que pouvoir conſtitué quant aux objets particuliers de la légiſlation ; cette diſtinction entre notre Aſſemblée & les légiſlatures ſuivantes, eſt fondée ſur la néceſſité de préſerver la Conſtitution, d'une mobilité qui la rendroit plus pernicieuſe qu’utile. Enfin, s'il a pu y avoir du doute ſur la ſupériorité de notre miſſion, ou ſur l'immutabilité de nos décrets conſtitutionnels, ce doute doit être entièrement levé par les adhéſions multipliées qui les ont confirmés, & par le ſerment que tout le royaume ä prêté de les maintenir. A 2 4 7 [ 338 ) 1 C'eſt tout ce qu'on peut dire de plus fpécieux : mais rien n'eſt moins exact que chacune de ces phraſes, dans le ſens qu'on leur donne ; rien n'eſt moins concluant pour les conſéquences qu'on en tire, 1 Vous êtes les Repréſentans de la Nation, c'eſt- à-dire, chacun de vous repréſente la portion du royaume dont l'Aſſemblée particulière l'a député(*); 1 1 (*): Ce qui a été décrété, que du moment où un homme à été nommé, par ſon département, Député à l'Aſemblée Nationale, il ne ſera plus le repréſentant de ce département particulier, mais qu'il ſera celui de la Nation entière, ne pourra devenir un principe, qu'après que toutes les provinces y auront expreſ- ſément conſenti, puiſque c'eſt l'abrogation du droit dont elles ont toujours joui aux Afſemblée d'Etats - généraux : mais quoi qu'il en puiſſe être pour l'avenir, on n'en pour- roit tirer aucune induction rétroactive; & du moins dans cette première Aſſemblée, les provinces doivent conſerver leurs repréſentans. Il peut paroître convenable que dans la ſuite, lorſque la Conſtitution aura été définitivement arrêtée, &: agréée par la Nation, les Députés qui compoſeront les-Légiſ latures chargées de faire des loix acceſſoires & de détails, n'y procèdent qu'en qualité de repréſentans de la Nation, fans être guidés par aucunc inſtruction particulière; qu'ils ſoient, comme les membres du Parlement d'Angleterre, dépoſitaires d'une confiance générale, pour régler des objets imprévus & indéterminés : mais juſqu'à ce que la Conſtitution ſoit achevée, les mandataires ſpécialement chargés d'en rédiger les articles, ne peuvent, pendant qu'ils y travaillent, être conſidérés autre- ment que comme mandataires ſpéciaux, aſtreints aux mandats de leurs commettans, } 1 1 [ 339 ) & tous enſemble vous formez le Corps repréſentatif de la Nation. Comme Députés de chaque portion du royaume, vous êtes porceurs du veu de chaque affemblée, ſur les différens points conſtitutionnels compris dans fon inſtruction : comme Membres d’u Corps repréſentatif de la Nation, vous devez rapprocher & faire concorder les vœux de toutes les affemblées particulières, pour en tirer l'expreſ- ſion de la volonté générale ; & lorſque ces voeux ſe trouvent concordaris & urianimes en ce qui con- cerne le gouvernement du royaume, votre fonction fe réduit à en rédiger le réfultat, à en développer les conſéquences ; mais dans aucun cas, & fous au- cun rapport, la qualité de Repréſentant ne peut don- ner le droit de contredire, ni, à plus forte raiſon, d'anéantir la volonté de celui qu'on repréſente. 0 L'ambaſſadeur d'un Souverain eſt ſon repréſen- tant: s'enſuit-il qu'il puiffe contrevenir aux inftruc- tions qu'il en auroit reçues, qu'il puiffe même s'en écarter dans les points où elles ſeroient ſtrictement impératives ? Tout fondé de procuration repréſente celui pour qui il ſtipule: s'enſuit-il que, s'il fait des actes entièrement oppoſés à l'intentionénoncée dans ſes pouvoirs, ces actes ſoient valides, & que le re- préſenté ſoit tenu de les ratifier fans examen, ou de les exécuter ſans ratification ? Si ces conſéquences ſont abſurdes; s'il eſt réſervé de plein droit à tout Souverain d'agréer ou de défavouer ce qu'a fait fon repréſentant, & à tout particulier de ratifier ou de ne pas ratifier ce qu'a ftipulé ſon fondé de pouvoir, [ 340 ] les ta Nation, en qui réſide la plénitude de la fou- veraineté, auroit-elle donc moins de droit, ſeroit- elle réduite à ne pouvoir jouir de la même réſerve? Peut-on ſuppoſer qu'en ſe donnant des repréſentans, elle ait entendu ſe donner des maîtres ? Peut-on admettre que organes de la volonté générale puiſſent y ſubſtituer leur volonté perſonnelle, & la rendre abſolue, indépendante, ſupérieure à toute réviſion ? Ce feroit le renverſement de toutes les idées, & l'antipode de celles du légiſlateur philoſophe dont les nôtres paroiſſent avoir fait leur oracle. Il obſerve que la ſauveraineté de la Nation ne peut jamais étra repréſentée, par la mêrne raiſon qu'elle ne peut pas être aliénée. Elle conſiſte ellen- tiellement dans la volonté générale, & la volonté ne fe repréſente point: elle eſt la même, ou elle eſt autre ; il n'y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ſes repréſentans; ils ne font que les commiſſaires. Ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en perſonne: n'a pas ratifiée, eſt nulle; ce n'eſt point une loia La conſéquence que Rouſſeau tire d'un principe qui eſt inconteſtable, doit paroître exceſſive fi on l'applique à toute eſpèce de loix, & aux gouverne- mens qui ne ſont pas purement démocratiques: mais le fyftême ſuivant lequel les repréſentans du peuple pourroient s'en rendre indépendans, eſt, en ſens contraire, & en tous genres de gouvernemens, bien plus éloigné de la vérité. Le vrai eſt que dans les Etats où le peuple a des repréſentans, il ( 341 ) 1 1 faut diſtinguer la repréſentation relative aux loix fondamentales & inſtitutives, d'avec celle qui ne ſe rapporte qu'aux loix ſubſéquentes & régulatives. Pour les premières, Rouſſeau a raiſon de dire qu'il ne peut y avoir qu'une repréſentation impropre- ment dite, toujours dépendante des conditions que la Nation y a miſes, toujours ſubordonnée à ſa rati- fication : mais pour les ſecondes, on auroit tort de conteſter au Corps repréſentatif, une fois reconnu par la Nation, le libre exercice de la puiſſance légiſlative, qui doit lui être confié ſans reſtriction pour tous les objets particuliers. Cette diſtinction, très-eſſentielle ſuivant moi, entre ce qui fait le gouvernement, & ce qui ſe fait dans le gouverne- ment, n'a été ſuffiſamment obſervée, ni par ceux qui prétendent que jamais la fonction d'une afſem- blée repréſentant la nation, ne peut être circonf- crite par des mandats impératifs, ni par ceux qui foutiennent au contraire que toujours elle doit y être fubordonnée. Je ferai voir de plus en plus, en terminant cet article, qu'il y a erreur de part & d'autre; & que le cas où la fonction repréſentative eſt bornée en pouvoir, & néceſſairement dépen- dante des commettans, eſt préciſément celui pour lequel on a voulu la transformer en pouvoir abſolu & illimité, 3 Les autres allégations n'ont pas plus de valeur & loin de prouver pour la thèſe que je combats, elles ſe rétorquent contre elle avec avantage. [ 342 ) C'eſt d'abord une puérilité que d'argumenter du mót régénérer le royaume; qui ſe trouve dans quelques-uns des cahiers, & peut-être auſſi dans quelques phraſes employées par le Roi; comme ft l'on pouvoit en conclure que le Roi & les cas hiers; en ſe fervant de cette expreſſion métapho- rique, auroient entendu que l'Affemblée devoit cul- buter la Monarchie de fond en comble, & créer un gouvernement abſolument nouveau. Régénérer eſt un terme de religion, qui, loin de préſenter l'idée d'une deſtruction univerſelle, n'annonce qu'une fa- lutaire vivification. Le baptême régénère l'homme ên effaçarit la tache qui le fouilloit, & non en dé- truiſant ſon exiſtence: mais dans le fens de la révos turion, régénérér" c'éit anéantir. Une telle inter- prétation rappelle l'hiſtoire dé ce Roi de Theſſalie : que fes filles égorgèrent, & dont elles firent bouillir le corps par morceaux, croyant le rajeunir: il n'y à qu'une Médée qui ait pü donner un auſſi perſide conſeils 1 و Verons au raiſonnement ſur lequel on s'appuie principalement. Il ſe réduit à dire, La Nation nous & chargés de lui faire une Conßitution ; donc elle Rous a donné tout le pouvoir néceſaire pour là rendre complette & inaltérable. Ce n'eſt encore là qu'un mal-entendu affecté; & pour le diffiper péremp- toirement, il ne faut que fixer le ſens du mot Coil- titution. Il peut avoir deux acceptions différentes : fuivant la plus étendue, il ſignifie l'établiffement primitif de la forme du gouvernement, la détermi- ! 1 343 ) [ mation de la manière dont l'autorité publique doit être exercée ; & alors il ne peut avoir d'application que dans le cas où une Nation, ſe formant en corps politique, poferoit les premiers fondemens de ſon aſſociation, & choiſiroit entre les différens. genres de gouvernement, celui auquel elle préféreroit de ſe ſoumettre. Dans l'acception plus étroite, Confti- tution eſt le concours des règles qu'établit l'autorité publique, pour le bon ordre d'un gouvernement déjà choiſi, & afin d'en retenir toutes les parties dans leurs juftes limites.' 1 Ce n'eſt certaineinent pas ſous le premier aſpect que vous avez été chargés de donner une Conſti- tution à la France; il n'y auroit pas l'ombre de raiſon à le prétendre, puiſque la Nation, de qui vous tenez votre miſſion, n'étoit pas, en vous la donnant, dans le cas de former une affociation nouvelle ; qu'elle n'étoit pas fans chef; qu'elle n'entendoit pas avoir à choiſir parmi les différens genres de gouvernement ; & qu'à ſuppoſer même qu'elle en eût eu l'intention, il ne ſeroit encore ni vrai ni poſlīble qu'elle s'en fût rapportée à ſes dé- putés pour ce choix, qui ne pourroit appartenir qu'à elle-même, & dont la déciſion ne peut jamais être déléguée. Il faut donc que vous conveniez que la Nation vous a ſeulement confié le ſoin de mettre en ordre la Conſtitution de l'Etat, priſe dans la ſignification reſtreinte, ſuivant laquelle elle n'et dütre choſe que l'enſemble des loix générales, qui ont pour objet, non de créer, mais de régler ; non 1 + 1 . ! in [ 344 ] 17 / de changer les baſes, mais d'en écarter tout ce qui tendroit à les dégrader ; non de faire un nouveau gouvernement, mais de fixer dans tel ou tel cadre de gouvernement exiſtant, les droits & les devoirs de ceux qui gouvernent, les droits & les devoirs de ceux qui ſont gouvernés. C'eſt-là tout ce que la Nation a eu en vue ; c'eſt dans ce feul ſens qu'elle vous a chargés de travailler à perfectionner, à régé- nérer, ſi vous voulez, la Conſtitution, en l'établiſſant ſur des fondemens inébranlables, mais ſans fortir du cercle qu'elle-même vous a tracé. Votre pou- voir eſt donc limité par la nature même de votre miſſion, par ſon objet, par les conditions expreſſes qui y ont été appoſées. Ces conditions, qui ne vous permettent pas d'altérer l'eſſence du gouvernement, ſont tellement inſéparables de votre fonction conſ- tituante, que ne les obſervant pas vous la perdez; vous perdez mêine votre exiſtence; car, comme dit Rouſſeau, c'eſt s'anéantir que de violer l'acte par lequel on exiſte; & ce qui n'eſt rien, ne produit rien (*). Par cette explication fort ſimple, &, je crois, fort claire, tous les ſophiſmes, toutes les ſubtiliſations ſur les mots diſparoiſſent. N'importe que vous ſoyez conſtitués d'une part, & conſtituant de l'autre ; tou- jours eſt-il vrai qu'un mandataire hors de ſes pou- voirs n'eſt rien, n'eft capable de rien, & qu'en conſé- quence tout ce que vous avez fait d'anti-monar- chique, tout ce qui dans vos décrets heurte de * Contrat Social, liv. i. chap. 7. [ 345 ) front les principes fondamentaux dont les cahiers ont unanirnement exigé la conſervation, eſt frappé d'une nullité radicale, qu'aucun entortillement de ſtyle, aucune obfcurité métaphyſique ne ſauroit couvrir. 1 Il y a bien loin ſans doute de la nullité que vous avez encourue, à l'immutabilité où vous voulez arriver ; mais comme je ne prétends pas que tout ce qu'a fait l'Aſſemblée ſoit également nul de plein droit; que j'y vois au contraire pluſieurs diſpoſi- tions conformes au veu national, conſéquentes aux intentions bienfaiſantes du Roi, & qui, fi elles n'é- toient pas fondues dans un enſemble mal afforti à la ſituation du royaume, inalliable avec ſes meurs, & incompatible avec la forme de ſon gouvernement, mériteroient certainement d'être miſes à l'abri de toute variations je crois, néceſſaire à leur égard d'examiner juſqu'à quel point & ſous quel rapport peut être admiſe l'interdiction aux Aſſemblées fu- tures de rien changer à ce que celle-ci auroit réglé conftitutionnellement. . Je ne ferai pas auſſi rigoureux que ceux qui voient dans cette interdiction une prétention ab- ſurde & iinpraticable, une uſurpation choquante ſur les droits de la Nation entière, un attentat à fa ſouveraineté ; je ne dirai pas avec l'Abbé Maury, que les légiſlatures qui remplaceront l'Aſsemblée doi- vent avoir le même pouvoir qu'elle; & qu'entreprendre de reſtreindre d'avance l'autorité du Corps légiſlatif, c'eſt être ennemi de la liberté des François. Tout 3. t 1 [ 346 346 1 cela eſt extrême ; & les extrêmes en propoſitions s'écartent autant du vrai, que les extrêmes en dif- poſitions s'écartent de l'utile, & que les extrêmes en actions s'écartent du bien réel. Rien n'a été plus méconnu dans l'Aſſemblée que cette maxime du juſte milieu qui devroit être continuellement devant les yeux des légiſlateurs, & plus encore de- vant les yeux des adminiſtrateurs. Aujourd'hui, tout eſt abſolu dans les théories comme dans les réſolutions. Egalité abſolue ; liberté abſolue ; prin- cipes abſolus ſur la fixation des pouvoirs ; réfor- mation abſolue de tous les abus; uniformité abſolue entre toutes les parties du royaume ; deſtruction ab- ſolue de tout ce qui exiſtoit.-Cependant l'abſolu n'eſt bon ni en genres de gouvernement, ni en faits d'adminiſtration. Une première ferveur d'i- dées porte à trouver que tout eſt défectueux, & à vouloir que tout ſoit parfait : mais avec plus de réflexions & plus de connoiffances, on devient moins tranchant, moins improbateur ; & l'on ap- prend que pour régir les hommes, il faut les con- fidérer tels qu'ils ſont, & non tels qu'ils devroient être. Malheur aux empires livrés aux ſpécula- tions exaltées de ces novateurs, de ces faiſeurs d'Utopie, qui croient pouvoir ſoumettre les paffions humainés aux rêves de leur imagination ; qui ne ſavent pas que le plus grand des abus eſt d'en- treprendre de les réformer tous ; qui ignorent qu'en morale comme en phyſique, il n'y a de ſalutaire & de convenable à notre nature que ce qui eſt ſage- ment tempéré. L'Aſſemblée Nationale, toujours hors [ 347 ] hors de meſure, a dédaigné de graduer ſes opéra- tions. Elle n'a pas conſidéré qu'il eſt plus facile d'avancer que de rétrograder ; & elle apperçoit trop tard que de toutes les manières de manquer ſon but, la moins réparable eſt de l'outrepaſſer. Si j'étois chargé d'inſcrire une épigraphe caractériſ- tique ſur la porte du lieu de ſes ſéances, j'y mettrois ſimplement, ELLE N'A ÉTÉ MODÉRÉE EN RIEN. Je reviens à la propoſition qui m'a conduit à cette obſervation applicable à toutes les parties de mon ſujet, & voulant conſerver dans mes opinions l'eſprit de modération par lequel je tâche de les rendre juſtes, je dis qu'on a tort de reprocher à l'Aſſemblée actuelle de vouloir qu'il y ait une dif- férence entre elle & celles qui lui ſuccéderont; je dis qu'elle a raiſon de ſoutenir que le chacune des légiſlatures avoit le droit de changer les articles conſtitutionnels, cette inſtabilité anéantiroit bientôt la Conſtitution ; & que c'eſt n'en point avoir, que d'en avoir une soumiſe à des variations continuelles. Je n'en ſuis pas moins perſuadé que la Nation ne peut, comme dit l'éloquent Abbé, étre déshéritée du droit de juger, de corriger, d'améliorer l'ouvrage de ſes mandataires; & voici comme je concilie ces deux vérités. Une Aſſemblée chargée de fonder l’établiffement de la Conſtitution, c'eſt-à-dire, comme je l'ai ex- pliqué ci-deſſus, de rédiger le code conſtitution- nel de la Monarchie Françoiſe, a certainement Bb 1 [ 348 ] 1 une miſſion que ne peuvent avoir toutes les autres aſſemblées, pour qui ce code, auſſitôt que ſon authenticité aura été reconnue de la manière qu'il eſt néceſſaire qu'elle le ſoit, doit être le pivot fixe & immuable de tous les détails particuliers de la légiſlation dont elles auront à s'occuper. Mais c'eſt préciſément cette différence de fonc- tions, c'eſt cette ſtabilité due au code conſtitution- nel, qui ſoumet les décrets de l'Aſſemblée conſti- tuante à la réviſion & à la ratification de la Nation; comme auſſi c'eſt elle qui fait que les mandats impératifs étoient néceſſaires à ſon égard, & qu'ils cefferont de l'être pour les aſſemblées ordinaires. En effet, quand il s'agit de régler l'ordre & le mouvement de toutes les parties élémentaires du corps politique, de diſtribuer les pouvoirs qui doivent le faire agir, de les meſurer, de les ba- lancer, de tracer les lignes de démarcation qui les ſéparent; il eſt évident qu'il n'y a que la Nation elle-même qui puiſſe prononcer définitivement; de même qu'il n'y avoit qu'elle qui pût fixer d'avance les baſes de ce grand ouvrage. Elle l'a fait en termes très - impératifs, par les réſultats concordans de 500 aſſemblées électorales, dont la réunion formoit certainement le corps collectif des François ; & c'eſt à ce même corps collectif qu'il eſt réſervé de vérifier ſi l'on a ſuivi ſes intentions, & de rendre la Conſtitution invariable par une ratification éclairée. [ 349 ] Il n'en eſt pas de même de ce qu'auront à faire les Légiſlatures à venir. La Conftitution étant ſuppoſée établie & duement ratifiée avant qu'elles fe raſſemblent, il n'y aura plus les mêmes motifs pour que les députés dont elles ſeront compoſées, ſoient munis d'inſtructions impératives. La géné- ralité des objets ſur leſquels ces Légiſlatures auront à ftatuer ſucceſſivement, n'exigera ni ne compor- tera des mandats précis; & les loix qu'elles feront n'étant pas conſtitutives, ne ſeront pas dans le cas de la réviſion nationale. 1 Ainſi l'on voit que le titre diſtinctif qu'invoque l'Aſſemblée actuelle, pour s'affranchir des mandats, & s'arroger un pouvoir fans bornes, eſt préciſément ce qui établit l'empire des uns, & la reſtriction de l'autre. On voit pareillement que les juſtes motifs qu'elle allègue pour prouver que les articles conf- titutionnels doivent être rendus invariables, ſont les mêmes qui prouvent qu'avant de le devenir, ils doivent avoir été ratifiés. Je prends donc ma réponſe dans les termes de l'objection, & je dis à l'Aſſemblée, C'eſt parce que vous êtes conſtituante ſous un rapport, que ſous ce même rapport vous êtes ſubordonnés aux mandats; c'eſt parce qu'il convient que la Conſtitution ſoit ſtable, qu'il con- vient que celle qu'il vous a plu de créer, ſoit revue & confrontée à celle que la Nation s'étoit elle- même deſtinée. Pouvez-vous la forcer de prendre aveuglément pour ſon ouvrage ce qui contrarie évidemment le plan qu'elle vous avoit tracé? Son Bb 2 [ 350 ] premier veu étoit conſigné dans les cahiers ; pou- vez-vous ſuppoſer qu'elle en ait une autre aujour- d'hui, tandis que rien ne le prouve, tandis que rien n'atteſte qu'elle ait changé de volonté ? Mais des adhéſions ſans nombre, mais des adreſſes de félicitation envoyées de toutes parts, mais le ferment civique, mais cette fédération na- tionale fi folemnellement fêtée dans tout le royaume, ne font-ce pas, dites-vous, des témoignages écla- tans & inconteſtables d'une approbation générale? N'eſt-ce pas la ſeule ratification qu'on puiſſe exi- ger? N'eſt-ce pas une preuve ſuffiſante que les François ſe ſont départis de ces volontés foibles & reſtreintes qui ſe reſſentoient encore de leur eſcla- vage, pour s'attacher à celles que nous avons jugé plus dignes d'un peuple qui a reconquis ſa liberté ? Voilà donc votre dernier retranchement. C'eſt derrière des monceaux de complimens, & des ac- cumulations de formules fermentaires, que vous prétendez rendre vos décrets inacceſſibles à toute critique, à tout examen, à toute correction. C'eſt du haut de ce rempart que vous dites à la Nation Françoiſe, Profternez-vous, les yeux fermés, devant les loix que nous vous avons faites : vous avez juré, fans les connoître, de les maintenir de toutes vos forces; votre ſerment eſt irrefragable ; il ne vous eſt plus permis de toucher à ce code immortel, que notre main a gravé en caractères ineffaçables, comme Moïſe inſcrivit ſur des tables d'airain, la oi que l'Éternel lui dicta au Mont Sinai. 1 351 ] [ Mais vos remparts & vos loix ſont également caduques; & de même qu'en préſence de l'Arche, il ne fallut que le ſon de quelques trompettes pour faire tomber les murs de Jéricho, ma voix, en préſence de la Vérité, ma foible voix ſuffira pour renverſer vos chimériques défenſes. Vous les éta- bliſſez ſur le grand nombre de félicitations & d'actes approbateurs qui vous ont été adreſſés. Ainſi donc, vous ofez dire que toute la France vous applaudit, & eft parfaitement contente, tandis que toute la France eſt plus malheureuſe, plus épuiſée de moyens, plus dévorée de misère qu'elle ne l'a jamais été & que fans vous elle eût jamais pu l'être ! C'eſt quand chaque jour éclaire de nouveaux for- faits, occaſionnés par vos funeſtes doymes; c'eſt quand les citoyens, égarés par vos fyſtêmes, s'entre- . haïſſent & s'égorgent ſans ſavoir pourquoi ; c'eſt quand vous avez ruiné tous les propriétaires ſans que perſonne y gagne, ruiné le commerce ſans ou- vrir aucune autre reſſource, ruiné le revenu public ſans ſoulager le peuple; c'eſt enfin quand le dé- fordre anarchique qui remplit le royaume d'épou- vante & d'horreurs, s'eſt accru à un tel excès, qu'il fait frémir juſqu'aux ames perverſes qui l'ont fait naître ; c'eſt alors que vous vous voudriez perſuader que la Nation eſt ſatisfaite, que vous avez rempli ſes voeux, & qu'elle ſeroit bien fâchée qu'un autre ordre de choſes fît ceſſer ce qu'elle ſouffre, & pré- - vînt ce qui la menace ! } Que ſignifient d'ailleurs.ces adreſſes des munici- palités, qui ne ſont que des tributs de reconnoiffance + Bb 3 [ 352 ] que les créatures paient à leurs créateurs ? Croit- on parvenir à faire paſſer pour le jugement de la Nation, ces répétitions adulatrices d'approbations ſans examen, les unes ſurpriſes à l'ignorance, les autres extorquées par la crainte, celles-cidictées par le fanatiſme, celles-là inſpirées par l'intérêt de con- ſerver une exiſtence dont la garantie ſemble dépendre de l'attachement aux décrets de l'Affemblée ? De telles adhéſions, quelque multipliées qu'elles fuf- fent, ne feroienc d'aucune valeur ; elles en ont bien moins encore, lorſqu'il paroît certain qu'en même tems qu'on les étale avec emphaſe, on ſouſtrait avec ſoin les réclamations & les plaintes qui arrivent de toute part. (*) Ni le ferment civique imaginé au mois de Fé- vrier, ni le renforcement qu'on a voulu lui donner par la pompeuſe fédération du 14 Juillet, ne peu- vent tenir lieu de la ratification nationale dont je viens de prouver l'abſolue néceſſité. J'analyſerai ci-après cet inſignifiant ſerment civique, qui n'o- blige qu'à maintenir la Conſtitution quand il y en aura une, mais qui ne ſauroit lier à défendre un être de raiſonL'impoſante & diſpendieuſe (*) M. le Vicomte de Mirabeau a déclaré à l'Aſſemblée elle-même, qu'étant Secrétaire il s'étoit apperçu qu'on avoit fouſtrait & ſupprimé un grand nombre de réclamations. M. Mas louet a dit pareillement à l'Aſſemblée, qu'elle ne permettoit l'en- trée qu'aux hommages, tandis qu'au-dehors étoient par-tout la douleur » le déſeſpoir, i 1 [ 353 ] autant qu'inutile cérémonie au milieu de laquelle on a fait prêter, ou plutôt réitérer ce ſerment par 30 mille députés de l'armée civile & inilitaire, n'a pas rendu plus précis, ni plus efficace, un engage- ment auſſi vague en lui-même. Eft-il donc beſoin de jurer fi ſouvent pour un devoir légitime ? Et quelle force peut avoir contre la Nation cette accu- mulation de fermens néceſſairement ſubordonnés à ſon intérêt ? Ce qu'on lui attribue fur de ſimples préſomptions, ſuffit-il pour qu'on puiſſe dire qu'elle a dérogé à ce qu'elle avoit antérieurement conſigné dans des actes folemnels ? On ne perſuadera pas que la Nation ne puiffe faire connoître ſa déciſion par aucune autre voie. Il en eſt une plus authentique aſſurément, plus digne de confiance, & même la ſeule légitime; c'eſt une nouvelle convocation des affeinblées de qui celle-ci tient ſes pouvoirs. Ce ſont elles qui ont fait les cahiers d'inſtructions ; c'eſt donc à elles à juger ſi leurs députés s'y font conforınés, ou s'ils ont eu raiſon d'y contrevenir. Elles ont déclaré que le gouvernement de la France conti- nueroit d'être monarchique ; il faudroit donc une renonciation expreſſe de leur part à cette détermi- nation, pour introduire en France un autre gou- vernement. Elles ont fixé les baſes ſur leſquelles elles ont ordonné à leurs députés d'aſſeoir la Conſ- titution de l'Etat; elles leur ont fait jurer de la inaintenir; il n'appartient donc qu'à elles de re- connoître fi' çet ordre a été exécuté, ſi ce ferment a : Bb 4 1 [ 354 1 A été fidèlement gardé ; & dans le cas contraire, elles ſeules pourroient valider par un nouveau væu na- tional, ce qui ſeroit nul par contravention au pre- mier ; elles ſeules pourroient relever de l'obliga- tion qu'elles ſeules avoient pu impoſer, ſuivant cet axiome de droit, que les engagemens ne peuvent ſe réſoudre que de la même manière qu'ils ont été contractés. Res eodem modo diſolvuntur quo colli- gatæ funt. 1 Il peut venir dans l'eſprit que des aſſemblées convoquées au nom du Roi par Bailliages, & où la diſtinction des Ordres étoit obſervée, ne con- viennent plus à l'état actuel de la France, & qu'il ſeroit préférable que les délibérations qui auroient pour objet de revoir, de ratifier, ou rectifier la Conf- titution, fuſſent priſes dans d'autres aſſemblées re- préſentatives, qui feroient compoſées conformément aux décrets du 22 Décembre de l'année dernière. Mais je viens de faire voir que les principes du droit s'y oppoſent: ceux même du bon ſens ne permettent pas de croire que ce qu'ont fait des mandataires, puiſſe être ou déſavoué, ou confirmé, autrement que par ceux qui les ont commis ; & d'ailleurs il eſt évident que ſoumettre les décrets de l'Aſſemblée actuelle à la réviſion des affemblées qu'elle a créées, ce ſeroit préjuger ce qui eſt en queſtion, & ſuppoſer définitive une opération qui ne peut être réputée que proviſoire, juſqu'à ce qu'elle ait été formellement agréée par la Nation. [ 355 ] Les provinces réunies à la France l'ont été à des conditions qui forment leur droit public, & dont l'obſervation inviolable, ſoit qu'elle ait été ftipulée par leurs capitulations, ſoit qu'elle ait été promiſe par des chartres folemnelles, eſt fondée ſur un pacte fynallagmatique entre elles & la fou- veraineté. L'obligation étant réciproque, la ſou- veraineté n'a pas plus de droit d'y déroger, que les provinces n'ont droit de s'affranchir du ſerment de leur obéiſſance. Qu'il en ſoit réſulté des diſparités de régime, des hétérogénéités embarraſſantes pour le gouvernement, & inême quelques oppoſitions d'intérêts particuliers à l'intérêt général, on n'en ſauroit douter : qu'en conſéquence on ait déliré & tâché d'établir une plus grande uniformité, c'étoit, je l'ai déjà reconnu, une vue très-raiſon- nable : qu'il fallût, pour y parvenir, abolir en un inſtant tous les droits, tous les titres diſtinc- tifs des provinces, & y ſubſtituer une nouvelle diviſion du royaume en quarrés géométriques, & ſans égard aux différences locales, c'eſt choſe pour le moins très-douteuſe; & dont il n'y a perſonne, je penſe, qui puiſſe garantir en pratique le ſuccès : mais quoi qu'il en ſoit, ce qu'on ne peut nier, c'eſt la néceſſité indiſpenſable du conſentement des pro- vinces intéreſſées, pour que cette novation dans leur état ſoit légitime & folide. On ne pourroit entreprendre de franchir cette néceſſité, fans une injuſtice manifefte, & ſans courir le riſque de faire naître les ſciflions les plus funeſtes. 1 [ 356 ] Or, pour que les provinces conſentent; il faut qu'elles puiſſent délibérer ſuivant leurs formes accoutumées; pour renoncer à leur ancienne exif- tence, il faut qu'elles exiſtent encore au moins pendant l'examen ; & il ſeroit ridicule de faire juger par les départemens qui les remplacent, s'ils doivent les remplacer, 1 Il faut donc revenir encore une fois à la repré- ſentation primitive des provinces & de la Nation entière, à celle qui réſide dans les aſſemblées par bailliages, leſquelles ont conſtitué, commis, & fondé en pouvoir l'Aſſemblée actuelle. Ces afſem- blées peuvent être facilement convoquées, puiſ- qu'elles peuvent l'être comme elles l'ont été en 1789. Elles n'auroient aucun inconvénient par rapport à la diſtinction des Ordres, puiſqu'il ne ſeroit pas néceſſaire de l'obſerver, & que les repré- fentans de tous les états pourroient ſe réunir en une ſeule aſſemblée par chaque bailliage, pour n'y former qu'un ſeul réſultat ; ce qui réduiroit. le nombre des aſſemblées à 188, au lieu qu'il a été de plus de 500, quand les Ordres ont voté ſéparé- ment. Enfin, ces aſſemblées repréſenteroient la Nation entière, & formeroient par leur réunion le corps collectif, d'une manière bien plus parfaite & plus adéquate que ne le pourroient faire celles dont les fureurs populaires, & la juſte crainte qu'elles ont inſpirée, ont exclu ou fait fuir les Eccléſiaſtiques, les Nobles, les principaux propriétaires, en un mot [ 357 ] la plus grande partie des cicoyens les plus dignes- & les plus capables de raiſonner ſur ce qui inté-. reffe le fort de la Nation. C'eſt ce que Chaque pas qu'on fait dans l'examen de la pré- tendue Conſtitution, y fait découvrir non-ſeulement de nouvelles raiſons pour être fort éloigné de lui attri- buer l'immutabilité, mais auſſi de nouvelles preuves qu'autant ſon exécution eſt incompatible avec les principes d'une monarchie, autant elle eſt impra- ticable en toute eſpèce de gouvernement, & impo- litique ſous tous les points de vue. je viens d'obſerver de plus en plus, en liſant atten- tivement le grand décret ſur la nouvelle diviſion du royaume, & la conſtitution des aſſemblées pri- maires, élektorales, & adminiſtratives. Dans l'analyſe que j'ai faite des ſections dont ce décret eſt compoſé, j'ai été ſingulièrement frappé d'un objet qui me pa- roît avoir échappé à l'attention du public, & peut- être à celle de ſes propres rédacteurs. Cet objet me paroît d'une fi grande importance, qu'ayant achevé de traiter à fond la queſtion des pouvoirs illimités que l’Affemblée s'attribue, & du ſceau d'invariabilité qu'elle prétend appliquer à ſes dé- crets conſtitutionnels, je vais encore, avant de ve- nir à la concluſion de cet écrit, préſenter dans un article particulier, les réflexions que m'a fait naître la manière dont le décret du 22 Décembre 1789, combiné avec d'autres décrets poftérieurs, ſpécia- lement avec celui du 6 de ce mois, règle la com- poſition, les fonctions, & l'activité permanente des . 1 [ 358 ] 1 aſſenblées repréſentatives qui ſubfiſteront dans les différens départemens du royaume, 1 1 Que faut-il penſer de l'Etabliſſement perpétuel de 83 Aſſemblées, compoſées chacune de plus de 600 Citoyens, chargées du choix des Légif- lateurs ſuprêmes, du choix des Adminiſtrateurs provinciaux, du choix des Juges, du choix des principaux Miniſtres du Culte, & ayant en con- féquence le droit de ſe mettre en activité toutes fois & quantes? 1 1 Le fait qui donne lieu à cette queſtion pourroit paroître imaginaire, ſi je ne le préſentois pas avec préciſion, & tel exactement qu'il eſt conſigné dans les procès-verbaux de l'Aſſemblée. Son décret du 22 Décembre dernier renferme un règleinent com- plet de la nouvelle diviſion du royaume, & de la conſtitution des différentes aſſemblées qui doivent y avoir lieu. 1 Au mois d'Août 1786 j'avois propoſé au Roi d'établir dans tout le royaume un ordre graduel d'af- ſemblées de paroiſſes, d'aſſemblées de diſtrikt, & d'af- Semblées de provinces, deſtinées à faire connoître le vau national, & à le tranſmettre par l'enchainement de leurs rapports, depuis les communautés de cam- 3 1 3 [ 359 ] 1 : pagne juſqu'au trône (*). Par un des mémoires que je préſentai l'année ſuivante à l’Afſemblée des Notables, j'eſſayai de tracer un plan de la compo- fition & des fonctions de ces trois genres d'aſſemblées élémentaires les unes des autres, dont chacune ſeroit à portée de bien connoître ce qui l'intéreſeroit, & d'é- clairer l'Aſemblée qui lui ſeroit ſupérieure (t). II paroît que le fond de cette idée a été adopté par l'Aſſemblée Nationale, qui' a pareillement établi trois degrés d'aſſemblées dans tout le royaume; les premières appelées primaires, qu'elle a propor- tionnées, non à l'étendue de chaque paroiſſe, mais à une quantité déterminée d'habitans; les ſecondes, de diſtrict, formées comme les miennes par les dé- putés des villes & campagnes de leur arrondiſſe- ment; les troiſièmes, de département, deſtinées, comme l'étoient les aſſemblées provinciales, à l'ad- miniſtration de chaque diviſion du royaume. 1 La perinanence d'un Corps légiſlatif dont tous les membres ſeroient renouvelés tous les deux ans, a néceſſité un quatrième genre d'aſſemblées, dont la deſtination primordiale eſt d'élire les repréſen- tans à l'Aſſemblée légiſlative, & qui font en outre (*) Ce ſont les termes du Précis que je remis alors au Roi. Voyez la page 87 des Pièces juſtificatives imprimées à la ſuite de ma Réponſe à M. Necker, édition de Londres, in-4 (+) Voyez le premier Mémoire de la Collection imprimée à Verſailles en 1757, page 4 & ſuivantes, in-4 . 1 [ 360 ) chargées d'élire les membres de l'adminiſtration de chaque département, les juges, les évêques, &c. C'eſt ſur ces affemblées d'électeurs que j'appelle l'attention de tous ceux qui croient encore qu'il y a une ſcience de gouvernement, & qui en ont quelque teinture. La première ſection du décret explique fort bien la formation des aſſemblées dont il s'agit. Après avoir établi dans les 16 premiers articles les aſſem- blées primaires, leſquelles, compoſées de tous ceux ayant les qualités requiſes pour être citoyen actif, feront au nombre d'environ 8000 pour tout le royaume (*), on ordonne par l'article 17, que cha- cune de ces aſſemblées nommera un électeur à rai- ſon de 100 citoyens actifs; & comme on compte à-peu-près cinq millions de citoyens actifs, il y aura environ 50,000 électeurs, qui, diviſés par le nombre des départemens, donneront 83 aſſemblées d'environ 600 perſonnes chacune. Ces cinquante mille électeurs, choiſis de deux ans en deux ans par les aſſemblées primaires, ne tiendront qu'une fois tous les deux ans, la ſéance (*) Il doit y avoir à-peu-près 7000 aſſemblées primaires pour les campagnes, ſur le pied moyen de 600 citoyens dans chaque, & 1000 pour les villes où il n'y en a qu'une pour 4000 ames. Voyez les Art. 13 & 14. [ 361 ] deſtinée à l'élection des membres du Corps légiſ- latif: mais comme ils ſont également chargés de la nomination des membres de chaque corps admi- niſtratif, de celle des juges de tous les tribunaux, & de celle des évêques, ils conſerveront à cet effet leurs fonctions d'électeurs pendant le cours des deux années (*), & s'aſſembleront pour y procé- der, auſſi ſouvent qu'il ſera néceſſaire; en forte qu'ils auront une activité continue, & d'affez fré- quentes occaſions de s'afſembler. 1 On voit par ces détails, extraits avec exactitude des décrets conſtitutionnels, qu'indépendamment de 48 mille aſſemblées municipales qui occuperont toute l'année 900 mille citoyens; de 8 mille afſem- blées primaires, pour leſquelles tous les deux ans il en fera convoqué 5 millions; de 547 aſſemblees de diſtrict (+), qui en mettent trois mille en fonctions; & de 83 aſſemblées de département, qui en em- ploient 7 mille à l'adminiſtration, ſans compter les ſubalternes, il y aura en outre 50 mille électeurs continuellement ſuſceptibles de s'aſſembler, & qui (*) Article 19 du Titre 14 de l'Ordre judiciaire, décrété le 6 du préſent mois de Septembre; & Article 3 du Titre 2 de l'Organiſation du Clergé. (+) J'avois cru qu'il n'y auroit que 510 affemblées de dif- trict; mais ſuivant un dernier, calcul, il eſt annoncé qu'il y en aura 547 [ 362 ) 1 s'aſſembleront d'un moment à l'autre, en autant de ſeſſions qu'il y a de diviſions du royaume. Et pour- quoi ? Pour exercer la ſouveraineté de la Nation, puiſque ce ſont eux qui doivent nommer ſes légiſ- lateurs, nommer ſes adminiſtrateurs, nominer les juges, nommer fes miniſtres de religion, & par con- ſéquent inſtituer tous les agens de ſon gouverne- ment, tant ſpirituel que temporel. 1 Quel eſt l'Etat monarchique, quel eſt même l'Etat républicain, quel eſt l'Etat quelconque, où l'on ait rien vu de femblable, & qui pût conſerver l'activité de ſes refforts avec une telle multiplica- tion de rouages & de frottemens ; mais ſur-tout qui pût ſubſiſter en ordre & en harmonie, lorſque 50 mille ſouverains électeurs, agiſſant ſur toutes les parties du corps politique, par l'impreſſion vir- tuellement permanente, de 83 aſſemblées de 600 perſonnes chacune, feroient plier la machine en- tière ſous le poids de leurs efforts réunis, ou la briferoient par la diſcordance de leurs mouve- mens ? On chercheroit vainement, dans l'hiſtoire. du monde, l'exemple d'une organiſation auſſi monſ- trueuſe, à l'égard d'un empire indivis : elle ſeroit même infoutenable & mal conçue, dans la ſuppo- ſition qu'on voulût morceler la France en 83 fou- verainetés républicaines, par une ſuite de l'engoue- ment qu'on a pris pour la Conſtitution trop peu connue, trop prématurément jugée, des Etats- Unis de l'Amérique. Ce déchirement de l’Ein- pire François en autant d'Etats fédératifs qu'en pourroient ) 6 [ 363 ] pourroient produire les ſecouſſes convulſives qui le démembreroient, feroit-il donc le but de toutes ces inexplicables manœuvres ? Il eſt du moins très-vraiſemblable que c'en feroit le dernier ré- ſultat; & quoiqu'il ſoit hors de doute que ce ſe- roit en même tems le tombeau où s'enſeveliroit, après une longue ſuite de malheurs, toute la gloire & toute la puiſſance que s'eſt acquiſe la monarchie pendant 14. ſiècles, on a néanmoins entendu un des Membres les plus clairvoyans de l’Affemblée an- noncer froidement que le pouvoir donné aux corps adminiſtratifs, conduiroit & aboutiroit tôt ou tard aux Etats fédératifs (*). Qu'auroit-il dit, qu'au- roit-il dû dire, s'il avoit conſidéré la maſſe, & cal- culé les effets de ces corps électoraux, délégateurs de tous les pouvoirs, & collateurs de tous les em- plois les plus importans ? 1 On a beau dire que des aſſemblées d'électeurs ne ſont pas des aſſemblées fonctionnaires: elles ſont bien plus, puiſqu'elles ſont conſtituantes de tous les fonctionnaires de l'Etat, de tous les corps, ſoit adminiſtratifs, ſoit légiſlatifs, ſoit judiciaires; elles ſeront tout ce qu'elles voudront être, puiſqu'on ne peut rien que par elles, & qu'il n'y a rien qui ne foit fubordonné à leur influence. N'influeront- ellés pas ſur les loix quand, en nommant les légiſ- lateurs, elles jugeront à propos de leur intimer leurs volontés ? N'infueront-elles pas ſur l'adminiſtra- (*) M. de Mirabeau l'aîné. Сс 1 + 1 [ 364 ] tion, lorſque pouvant ſe réunir d'un inſtant à l'autre dans le lieu des ſéances des aſſemblées adminiſtra- tives qu'elles auront formées, elles exerceront ſur elles l'aſcendant de 600 conſtituans ſur 36 confti- tués?. N'influeront-elles pas juſques ſur la juſtice, lorſque la compoſition des tribunaux, dont les membres ſont amovibles tous les ſix ans, fe. troll- vera dépendre de leur choix ? 1 1 De quelque manière qu'on enviſage les confé- quences de ces aſſemblées d'électeurs, il eſt viſible qu'ayant habituellement l'exercice des ſuffrages de la Nation, elles formeront par leur concours la vé- ritable tige des réſolutions nationales, & que, 'eu égard au nombre de 5.0: mille votans, & à la con- tinuation virtuelle de leur activité, elles repréſen- teront la Nation elle-même plus adéquatement que les légiſlatures biennales qui ſeroient leur ouvrage. Celles-ci, compoſées à l'avenir de 74.5 deputés, (*) ne ſeroient que le ſecond degré de la repréſentation, tandis que les aſſemblées nominatrices de ces dé- putés ſeroient le premier. Il n'y a aucun intermé- diajre entre elles & la Nation, puiſqu'elles émanent . c (*) Suivant l'Article 26 de la première Section du Décret du 22 Décembre, le nombre des repréſentans à l'Aſſemblée Nationale devoit être de 83, multiplié par 9, ce qui donne au produit 747. Mais il eſt dit au paragraphe troifième de l'Inſtruction décrétée le 8 Janvier dernier, que la compofition particulière du département de Paris a fait réduire le nom. bre à 745 . 1 ( 365 ) directement des aſſemblées primaires qui étant compoſées de la totalité des citoyens actifs du royaume, c'eſt-à-dire de tout ce qu'il y a d'hommes majeurs, payant en contribution la valeur de trois journées de travail, & non ferviteurs à gages, for- ment réellement la Nation Françoiſe proprement dite. : : L'Aſſemblée qui ſe dit nationale par excellence, & excluſivement à toute autre, y a-t-elle bien ré- Aéchie? S'eſt-elle bien dit qu'elle érigeoit fui ſa tête 83 repréſentations immédiates du Corps. col- jectif, qui, tenant de plus près qu'elle, à ce prin- cipe originel de tous les pouvoirs, en réceyroient l'impulſion ſans aucun intervalle, & pourroient la rendre avec une force combinée, dont le choc ſeroit capable de tout écraſer? Qu'auroit-on penſé à Rome, ſi, lorſque cette fun perbe république étoit parvenue à une immenſe do- mination, quelqu'un ſe fût aviſé de propoſer qu'il y eût dans chaque province ſoumiſe à ſes loix, des Comices permanens, qui, par le concours de leurs élections, auroient nommé les con ſuls, les procon- fuls, les ſénateurs, les tribuns, les pontifes, & les augures, les prêteurs, les queſteurs, tous les juges, tous les inſtrumens de la puiſſance publique? Croit- on qu'une telle loi eût été admiſe par cette capitale de l'univers, qui, réſervant pour elle ſeule, les fruits de la liberté, croyoit ne pouvoir retenir en une ſeule maſſe toutes les vaſtes parties de ſon empire que par C C 2 1 [ 366 ] leur ſoumiſſion la plus abfolue à l'action directe de fon autorité centrale ? I · Croit-on que le Parlement d'Angleterre, que l'on peut dire être inftruit, par un long cours d'ex- périence, des combinaiſons les plus convenables pour maintenir l'action libre de toutes les parties de l'Etat fans nuire à la cohéſion de ſes forces, ſoit jamais tenté d'établir dans chaque comté du royaume, une aſſemblée du genre de celles que je viens de définir, à laquelle ſeroit dévolu le droit continuel de nommer tous les membres des corps légiſlatifs, adminiſtratifs, judiciaires, & eccléſiaſ- tiques ? (*) : 1 + Croit-on enfin que ſi ces aſſemblées d'électeurs qui doivent diſpoſer de tout en France, s'étant pé- nétrées de la nouvelle doctrine, & meſurant en con- ſéquence l'étendue de leurs droits par celle de leurs forces, prenoient quelque jour des déterminations indépendantes de celles de la légiſlature qu'elles auroient formée; 'fi elles refuſoient leur adhéſion à des loix qu'elles ne conſidéreroient que coinme l'ouvrage de leur propre ouvrage; fi ayant appris ا رة (*) Les affemblées pour l'élection des membres des Com- munes ne peuvent être aſſimilées en rien à celle des électeurs François. Elles n'ont lieu communément que tous les 6 ou 7 ans; elles ſont bornées à l'objet paſſager de nommer les mem- bres qui doivent compoſer un ſeul des trois Pouvoirs qui for- ment le Parlement; elles ceſſent enſuite, & n'ont aucune autre nomination. Toutes différences effentielles, [ 367 ] dans les procès-verbaux de l'Aſſemblée actuelle, qu'il ne faut que croire entendre le tocfin de la néces- fité pour être autoriſé à ſe faire Convention nationale, elles jugeoient à propos de s'en approprier auſſi le caractère & les attributs, ſoit ſéparément, en faiſant revivre les droits nationaux de chaque province, ſoit conjointement, tout le corps électoral ſe diſant alors n'être qu'un en 83 ſeſſions, croit-on, dis-je, qu'il у eût en ce cas aucune puiſſance capable de s'y op- poſer? Croit-on même que la légiſlature en exercice eût beau jeu à prétendre une ſupériorité ſur ces 50 mille repréſentans immédiats, dont elle ne ſeroit qu'une arrière production ? Et quand on ne fup- poſeroit pas, de la part de tous les elécteurs de tout le royaume, cette fédération générale, qui certai- nement auroit une prépondérance irréſiſtible; quand on n'admettroit que l'accord de quelques-unes de leurs afſemblées, que l'unanimité de celles qui ſont repréſentatives de l’une ou de l'autre des grandes provinces réunies à la Couronne par capitulations ou par traités nationaux, des cinq, par exemple, qui repréſentent la Bretagne; qu'auroit-on à répondre aux déclarations que feroient ces cinq aſſemblées, qu'elles n'entendent plus dépendre d'un gouverne- ment infracteur des conditions de leur dépendance; qu'ayant approfondi avec l'Aſſemblée Nationale les clauſes du pacte ſocial; ayant reconnu avec elle & à l'aide de ſes plus brillans flambeaux, que par- tout la majorité du peuple a droit de changer le gouvernement qui exiſte, quand il en eſt mécontent ; & convaincu que ce qui a jaru vrai par rapport à Сс 3 1 1 1 [. 368 ) 1 l'inſurrection de la ville d'Avignon, le paroîtra beaucoup davantage dans le réſultat unanime de trois mille repréſentans d'un grand pays; autori ſées d'ailleurs par un exemple qui eſt de nature à pro- duire des imitateurs, elles notifient que de ce mo- ment elles ſe conſidèrent comme inveſties du poui. yoir conſtituant de la Bretagne ; que ſures d'obte- nir dans la province autant d'adhéſions & de com- plimens qu'il en faut pour conſtater la ratification populaire, elles choiſiront la forme de gouver- nement qui leur paroîtra préférable, ſans préju- dice aux liaiſons anciennes & de bons voiſins que leur Convention Bretonne fera charmée d'entretenir avec la Convention Gallicane, autant que leurs in- térêts réciproques pourront le permettre ? Qui em- pêcheroit les autres grandes provinces, leſquelles enveloppent l'ancien domaine de la France, & y ont été ſucceflivement unies, de tenir auſſi le même langage, & d'agir en conſéquence ? Quelles raiſons ou quelles forces nos publiciſtes auroient-ils à leur oppoſer, quand elles retorqueroient contre cux leurs propres principes, & qu'elles employeroient à leur défenſe les armes qu'eux-mêmes leur auroient four- nics ? 1 1 Je crois les entendre m'accuſer d'exciter à des dif- ſentions inteſtines, quand je ne fais que montrer qu'elles ſortent des dogmes qu'ils profeffent. Qua- lifieront-ils mon écrit d'incendiaire, lorſqu'il ne tend qu'à préſerver de l'incendie dont les leurs menacent le royaume ? Me reprocheront-ils de dégrer la guerre civile, parce que j'en découvre avec horreur ( 369 ) le foyer dans leurs ceuvres, dans leur fatal projet de détruire la monarchie ? I į Peuvent-ils le, nier, ce projet, qui perce dans toutes leurs paroles, qui tranſpire dans toutes leurs motions, qui eſt évidemment le but de toutes leurs entrepriſes? S'ils ne l'avouent pas encore publi- quement, ils ne le diffimulent plus à leurs plus zélés fectateurs ; ils le laiflent mettre en avant par les libelliftes les plus audacieux ; ils ſemblent vouloir y préparer le public. Avant de porter la hache au pied de ce tronc antique, que la France étoit ac- coutumée à contempler avec reſpect, ils ont com- mencé par en déshonorer la majeſté ; ils en ont mutilé la cime, briſé fucceflivement toutes les bran- ches, fappé ſourdement les principales racines ; ils ont abattu toutes les tiges environnantes, qui, de- puis des ſiècles, l'avoient conſtamment défendu des orages : & bientôt enharcis par le ſuccès progreſif de leurs efforts, ils n'héſiteront plus à frapper les derniers coups. 1 1 : C'eſt pour arriver à ce terme fatal de leurs ſecrets de freins, qu'abuſant, comme on devoit s'y attendre, de la prépondérance que le Tiers Erat avoit-priſe dans l’Aſemblée, par l'effet de la clouble repré- ſentation, 'ils ont, après avoir anéanti le droit de délibérer par Ordre, antanti enſuite les deux Ordres eux-mêmes, & avec eux tout ce qui pouvoit s'op- poſer à leurs ſyſtèmes déinocratiques. C'eſt dans certe vue, qu'effrayant le peuple par des dangers Сс 4- [ 370 ] } factices, allumant ſa fureur par des ſuppoſitions injurieuſes au Trône, l'armant contre des chimères afin qu'il deineurât armé, & lui préſentant ſans ceſſe dans ceux qu'auparavant il reſpectoit, une con- fédération d'ennemis qu'il devoit combattre à ou- trance, ſous le nom fantaſtique d'ARISTOCRATIE, ils ſont parvenus à lui rendre odieux le Clergé, la Nobleſſe, la Magiſtrature, les grands propriétaires, tous ceux enfin qui ont intérêt à la conſervation dų gouvernement monarchique. L'expatriation des Princes & des perſonnes les plus diſtinguées par leur naiſſance, par leurs ſervices, ou par leurs ri- cheſſes ; les incendies de châteaux; les dévaſtations de propriétés; l'impunité des maſſacres; & toutes les horreurs de l'Inquiſition, leur ont paru autant d'acheminemens utiles à la conſommation d'une révolution qu'on a caractériſée en l'appelant Révo- lution de la peur, & à qui ils ont réſolu de conſerver juſqu'au bout ce funeſte caractère. Il ne ſuffiſoit point à leurs vues d'avoir détruit tous les Ordres, tous les rangs intermédiaires, toutes les diſtinctions conſervatrices de la Monarchie : il lui reſtoit encore trois grands ſoutieņs ; la religion, premier principe de toute obéiſſance; la juſtice, lien réciproque entre les ſujets qui en ont beſoin, & le Monarque qui la doit; l'armée, inſtrument néceſſaire à la puiſſance exécutrice pour préſerver l'Etat des invaſions du dehors, & des troubles du dedans. Il falloit donc que la perte de la religion, la ſubverſion de l'ordrej udiciaire, & la diffolution 1 [ 371 ] de l’arinée, entraſſent dans leur plan. Ils ſont par- venus à ces trois objets, en aviliſſant le miniſtère des autels, en dégradant l'état des juges, & en favo- riſant l'inſubordination du ſoldat. Que devient la religion, lorſque fa prédominance ceſſe d'être avouée par la loi ; lorſque les deſſer- viteurs du culte font jetés dans la claſſe des ſalariés ; lorſque par l'enlèvement de leur patrimoine, qui eſt auſſi celui des pauvres, on les prive des moyens de s'affectionner les peuples en les foulageant, & de maintenir le reſpect dû aux folemnités de l'égliſe en leur conſervant toute leur pompe? Que devient la juſtice, lorſque le Monarque, au nom de qui elle ſe rend, n’a ni le choix, ni même l'examen du choix de ceux qui l'adminiſtrent (*); lorſque. des fonctions qui exigent l'étude de toute la vie, ne font confiées que pour un tems limité, & deviennent paſſagères ; lorſqu'une profeſſion qui a plus befoin qu'aucune autre, de conſidération, d'indépendance & de dignité, n'offre plus qu'un état inſtable, expoſé aux caprices populaires, & peu fait pour exciter l'émulation des hommes bien nés ? Que devient l'armée, lorſque le principe de la diſcipline militaire eſt détruit ; lorſque celui qui commande n'eſt plus obéi; lorſque ceux qu'une (*) Décret du 7 Mai 1790. [ 372 ] 1 paie modique retenoit au ſervice, trouvent par-tout à vendre chèrement leur fidélité ; lorſque la déſer- tion eſt impunie & même récompenſée; lorſque les troupes oſent menacer, outrager, livrer à la rage de la populace, leurs officiers & leurs généraux (*); lorſque les régimens, confondus avec les gardes bourgeoiſes, ſont moins bien traités qu'elles ; enfin, lorſqu'à l'honneur de ſervir le Roi, qui jadis faiſoit tant d'effet ſur un cœur François, on a ſubſtitué l'obligation de ſervir ſous des officiers municipaux ; & qu'au lieu de cet antique ſerment par lequel les Francs & leurs braves ſucceſſeurs juroient, ſur leur épée, d'être fidèles au Chef de la nation, & de ver- ſer leur ſang, ſous ſes ordres, pour la défenſe de la patrie, on exige d'eux un autre ſerment inſolite, inoui dans toutes les monarchies de l'univers, & dont l'innovation même ſuffit ſeule pour déceler l'intention (*) Que d'exemples on a malheureuſement à citer! Le Chevalier de Vittermont, Officier-Major d'un Régiment, ex- cédé de coups & de bleſſures ; le Vicomte de Bellunce, Major, & le Marquis de Rully, Colonel, maſſacrés à la vue de leurs régimens ; le Chevalier de Bauflet, Commandant d'un Fort, & le Vicomte de Voiſins, Commandant d'Artillerie, aban- donnés aux furieux qui les ont aſſaſſinés ; le Marquis de Livaro, M. Albert de Rioms, M. de Grandeveffe, inſultés, maltraités, & expoſés aux plus grands dangers dans les villes où ils com- mandoient en chef; M. de Caltelet, neveu de M. de Suffrens, pourſuivi, blcfié, & laiſſé pour mort, par les ouvriers employés ſous ſes ordres aux travaux du port; d'autres Chefs d'eſcadres, & pluſieurs Officiers de marine, chaſſés de leurs vaiſeaux, & mis aux fers par leurs équipages, &c. &c. + 1 [ 373 ] Par cette décompoſition univerſelle de toutes les parties de la monarchie, par l'abolition ſucceſſive de tous les droits eſſentiels du Monarque & de tout ce qui étoit deſtiné à les garantir de la dégra- dation, on a réduit la royauté à n'être plus qu'un vain titre, dans l'empire où elle avoit autrefois le plus d'éclat, & qui étant environné de Puiſſances en état de faire mouvoir d'un mot des armées for- midables, a plus qu'aucun autre, le beſoin de con- ſerver des forces équivalentes, auſli concentrées que les leurs, dans la main d'un ſeul chef. -- En bouleverſant de fond en comble le gouverne- ment qui a fait ſubſiſter la France avec gloire depuis quatorze ſiècles, qu'on nous apprenne donc enfin quel eſt celui “qu'on veut y ſubſtituer. Nous ne voyons juſqu'à préſent que l'ordre public renverſé, le caractère national perverti, les finances de l'Etat abymées, le peuple plus miſérable qu'il n'a jamais été : qu'on nous montre au moins dans ce qu'on appelle la nouvelle conſtitution de la France, une forme de gouvernement qui ait quelque apparence de ſolidité, qui puiſſe ſubſiſter fans trouble, qui puifle même ſe définir & fe concevoir : je la cherche vainement dans les divers décrets dont je viens de préſenter l'analyſe; je ne trouve ni deſſein fixe dans leur enſemble, ni cohérence dans leurs principes, ni poſſibilité d'en appliquer les conſé- quences à aucun plan. Une théorie vague des droits de l'homme dans l'état de nature a conduit 1 [ 374 ] à former des loix impraticables dans l'état de l'homme en ſociété, & ſur-tout dans une ſociété de 25 millions d'individus répandus ſur une ſurface de 40 mille lieues quarrées. Après avoir reconnu qu'il y avoit tyrannie, toutes les fois que les dif- férens pouvoirs étoient réunis & indivis, l'Aſſem- blée les a confondus de fait, & elle n'a pris aucun moyen de prévenir leurs invaſions réciproques, en établiſſant entre eux un équilibre conſtant; enfin, l'autorité du Chef de la nation a tellement été ré- duite à n'être plus qu'un vain ſimulacre, & les caractères diſtinctifs des formes de gouvernement connues juſqu'à ce jour, ont été confondus à un tel point, que pour donner un noin au régime actuel, lé public a inventé le titre dériſoire de démocratie royale. ز Juſqu'où les auteurs de ce bizarre affemblage, où l'on ne voit clairement que le vain projet de renverſer le premier Trône de l'Europe, n'ont-ils pas porté l'excès de leur fanatiſme anti-monar- chique ? Ce n'eſt point aſſez pour eux d'avoir déchiré le ſein de leur patrie ſous prétexte de l'affranchir ; il ſemble que dans leur téméraire dé- lire ils voudroient eſcalader à la fois toutes les monarchies, culbuter tous les trônes, & propager dans tout l'univers, leur haine pour la royauté. Ils ne s'en cachent pas : leurs miſſionaires s'en vont prêchant la liberté, & atriſant le feu de la révolte dans les Provinces Belgiques. Leurs écrivains fti- pendiés déclament contre les tyranniques ſouve- ! 1 [ 375 ] rainetés de l'Allemagne, en même temns qu'ils s'efforcent de faire honte aux Pruſſiens du joug fous lequel ils les ſuppoſent gémiffans. Ils croient que l'Angleterre, qui jadis rivaliſoit notre puiſſance, n'eſt jalouſe à préſent que de ſe voir ſurpaſſée par notre habileté en tous genres d'affranchiſſemens ; qu'elle nous envie la glorieufe invention de la dé- claration des droits de l'bomme ; que fa prévoyance eft alarmée du degré de force que notre régénéra- tion doit nous procurer, & qu'elle ſent que pour nous égale; il faudra nous imiter ..... tandis que, mieux inftruits, ils ſauroient que cette Nation, fage- ment libre, & juſtement ſatisfaite du gouvernement qui fait fa profpérité, voit nos extravagances avec dériſion, & nos malheurs avec pitié. L'Eſpagne fur-tout eſt l'objet de leur zèle philofophique ; ils ſe Aattént que l'exemple de la France, & leurs inſpirations, y ont déjà fait beaucoup de profélytes; que l'encourageinent donné à tous les peuples par le fuccès de notre révolution, l'emportera tôt ou tard fur la prudence de la Cour de Madrid ; & que le pouvoir monarchique, attaqué par-tout où il exiſte dans ſon intégrité, fera enfin banni de la ſurface de la terre. C'eſt leur væú ; & quelque incroyable que puiſſe paroître la réuſſite de cette eſpèce de conjuration contre la Royauté, on peut tout croire, & l'on doit tout craindre, après ce qui eſt arrivé en France. Puiſſent les autres peuples ne voir dans notre exemple que la néceſſité d'en éviter pour eux-mêmes la contagion, puiſſent- ils ſe garantir du fléau dont nous ſommes frappés ! ܀ [ 376 ] Mais nous-mêmes, ô mes compatriotes, ne nous préſerverons-nous pas des ſuites de plus en plus funeſtes, dont ce fléau nous inenace ? Attendrons- nous que nos maux foient devenus irrémédiables, pour chercher quels peuvent être les moyens cu- ratifs ? Et puiſqu'il eſt évident que ce n'eſt pas ce qui a cauſé le déſordre qui pourra le faire ceſſer, ne devons-nous pas réunir nos voeux ſur le changement à déſirer, & nos efforts pour ce qui doit le procurer ? 1 1 A Åpperçu de : IL n'eſt perſonne qui ne ſoit forcé de reconnoître ce qui eſt à que ce qu'on a fait ne peut ſubſiſter en totalité, & délirer. qu'il eſt à ſouhaiter que l'état des choſes ſoit changé. Mais toutes les idées ſe perdent dans l'obſcurité de ce qu'on pourroit y. ſubſtituer, dans l'incertitude fur la poſibilité du ſuccès, & dans la crainte que, pour vouloir échapper au danger de l'anarchie, on ne retombe dans les fers du deſpotiſme. Cette crainte eſt ce qui fait le plus d'impreſſion ſur les eſprits ; & les apôtres du fyftême républicain en tirent grand parti pour raffermir leurs néophites vacillans. -- Ils leur diſent : C'eſt à la révolution que la France doit ſa liberté; ce n'eſt qu'en main- tenant la révolution qu'elle peut la conſerver ; elle la perd à jamais ſi l'on ſe départit, en aucun point, du plan de la révolution. Il faut opter.: ou voir renaître tous les abus de l'ancien gouvernement, & pire encore; ou enviſager faris effroi les inconvé- niens d'un déſordre palſager, qui doit être ſuivi d'un [: 377 ) bonheur parfait.--Ces paroles font un puiſſant effet ſur le grand nombre, qui aime mieux croire que de réfléchir; & qui, dans la perſuaſion que cette alter- native, eſt abſolument inévitable, préfère les périls . d'un avenir inconnu dont les ténèbres permettent l'eſpérance, au retour affligeant d'un régime devenu odieux, depuis qu'on s'en eſt exaggéré les vices. 1 i D'autres, plus éclairés, fentent profondément que le ſyſteme auquel on s'eſt livré ſans aucune retenue, eſt trop vicieux pour qu'on puiſſe. attendre qu'il ſe rectifie de lui-même, & que, pour en arrêter les déteſtables progrès, il faut une marche abſolument différente: mais ils ne ſavent quel voeu former, parce que, de quelques côtés que leurs yeux cher- chent une iſſue, l'horrible aſpect de la guerre civile repouſſe leurs regards, & glace juſqu'à leurs déſirs. . C'eſt dans l'une ou l'autre de ces diſpoſicions que je crois voir les lecteurs de cet ouvrage:; & ję me figure que je ſuis parvenu au moment où, pénétré des vérités que j'ai tâché de rendre ſenſi- bles, chacun d'eux dit: Il eſt clair que l'état actuel n'eſt pas ſoutenable: mais que doit-on faire ? que peut-on faire ? : comment éviter les dangers des extrêmes, & la violence d'une nouvelle fer couffe? Je ne répondrai pas que, dès qu'il n'y a rien de pire que ce qu'on éprouve, il faut s'en libérer à tel prix que ce puiſſe être, & que tout 'inoyen de fe 3 ( 378 ] 1 A préſerver de l'anarchie, doit être moins effrayant que le malheur de s'y ſoumettre: non, il n'y a rien d'auſſi tranchant dans ce que je propoſe, parce qu'il n'y a aucun eſprit de parti dans ce qui m'anime; & je n'augmenterois pas le nombre des écrits dont on inonde le public, ſi par les moyens que j'ai a préſenter, je n'eſpérois pas concilier, ou du moins rapprocher tous les veux, & fixer ceux des ci- toyens raiſonnables qui aiment le bon ordre, qui en connoiſſent le prix, qui ſavent que fans lui il n'y a jamais de tranquillité. François ! il s'agit de votre fort, ne refuſez pas d'écouter. Si au jour que s'ouvrit l’Affemblée de vos Repréſentans, le Roi leur avoit dit: J'ai vu tous les cahiers que les Aſſemblées électives, convoquées par moi, de la manière la plus favorable au peuple, ont formés pour guider vos délibérations ; j'en approuve tous les principes; je fanctionnerai toutes les loix géné- rales qui sont demandées unanimement par ces cahiers; j'accorde tout, je conſens à tout: que mes peuples ſoient contens & beureux; c'eſt ma ſeule volonté.....la Nation entière n'auroit-elle pas applaudi avec tranſport à i ce diſcours ; & l'objet de l'Aſſemblée n'eût-il pas été parfaitement rempli, ſans qu'il reſtât le moindre prétexte de difficultés ? Eh bien! ce qui eût alors comblé tous les déſirs, je propoſe de le réaliſer aujourd'hui. Loin d'avoir un ſentiment oppoſé au yceu national conſigné dans - ( 399 ) 1 dans les inſtructions données aux Députés, je penſe que ce qu'il y a de mieux à faire préſentement, eſt de s'y conformer en tous points, & de proſcrire tout ce qui y eſt contraire. J'ajoute à l'égard des déterminations non prévues par ces inſtructions, mais qui ne ſont pas inconciliables avec elles, que ſi elles ſont reconnues utiles, elles doivent être maintenues & ratifiées. 1 Ainſi, mon opinion, que je puis appeler l'opi- nion générale, puiſqu'elle n'eſt que la conſéquence de celle que tous les Bailliages, toutes les Séné- chauffées; tous les Pays d'Etat, en un mot, toutes les Affemblées électives du Royaume ont manifeſtée, porte ſur trois propoſitions : 10. Toutes les diſpoſitions qui s'accordent avec ce qu’avoient demandé les cahiers nationaux, ſont à maintenir. 2°. Ce qui a été fait en addition au contenu des cahiers, ſans les contredire, eft à revoir pour la ratification. 3º. Ce qui contredit le voeu de la grande plus ralité des cahiers de tous les Ordres, en matière conſtitutionnelle, & qui eſt incompatible avec les principes qu'ils ont poſés comme fondamentaux & inviolables, eſt à annuller, & même eſt nul de plein droit. En admettant ces trois vérités, qu'il me paroît impoflible de conteſter, on peut faire diſparoître Dd 5 [380] tous les ſujets de trouble, fixer ſolidement une bonne Conſtitution, & régénérer la France ſans la déchirer. J'en ſuis intimement convaincu, & je me Alatte d'en convaincre quiconque ne s'obttinera pas à vouloir ce qui eſt impraticable, & à rejeter, ſans examen, ce qui peut être utile. Ne m'eſt-il pas per- mis d'eſpérer que ce qui- intéreſſe le bonheur de tous, paroîtra digne de fixer la réflexion des eſprits même les plus mobiles ? Les cahiers s'accordent à déclarer & à établir pour baſes de la Conſtitution, (*) 1 $ 1 1°. Quie la Religion Catholique Non décrété, eſt la ſeule dominante, & qui ait un quoique propoſé. culte public en France. 2°. Que néanmoins la tolérance Décrété. . civile doit être admiſe, & que les Non - Catholiques doivent être réintégrés dans leurs droits de pro- priété, & d'état civil. 3º. Que le Gouvernement Fran- Décrété, quant au çois eſt vraiment monarchique, & principe, mais con- tredit dans toutes doit demeurer tel. les conſéquences. 4º. Que la Couronne eſt héré- Décrété, mais ditaire, de mâle en inâle, ſuivant indignement & im- l'ordre de primogéniture; que la punément enfreint en ce qui concerne perſonne du Roi eſt inviolable; 8 l'inviolabilité de la que, s'il y avoit défaillance de perſonne du Roi. *) Tout ce qui füit eſt exactement le réſumé des cahiers; & je me ſuis arrêté principalement à ceux du Tiers Etat. [ 381 ) toutes les branches Royales, la Nation rentreroit dans le droit d'élire celui qu'elle jugeroit digne de régnér ſur elle. Décrété. : 5º. Que les Etats - généraux pourront ſeuls pourvoir à l'éta- bliſſement de la Régence, dans tous les cas où elle ſera néceffaire. 6º. Que la puiſſance légiſlative Décrété pour le áppartient à la Nation, & doit principe, mais vio- ié quant au mode, êtrè exercée par ſes Repréſentans, par l'excluſion de la conjointement avec ſon Chef coopération du Chef de la Nation. 7º. Que la Loi eſt l'expreſſion Décrété, mais ren- de la volonté de la Nation, fanc- du abſolument illu. foire à l'égard de la tionnée par la volonté du Roi. ſanction du Roi. 8º. Qu'au Roi ſeul, comme Décrété, mais dans le fait, con- Jouverain adminiſtrateur, appar- trarié en tout point. tient la plénitude du pouvoir exé- cutif. ma 1 90. Que le pouvoir judiciaire Décrété, mais en ſera exercé, au nom du koi, par des tendu d'une nière qui compro- Juges qui ne pourront, dans au- met le nom du Roi, cun cas, participer ni s'oppoſer aux actes légiſatifs, & dont les fonctions ſeront indépendantes de tout acte du pouvoir exécutif. Décrété, mais 10°. Que les limites des différens annullé par un fyſ- pouvoirs ſeront fixées clairement; tême qui entraine & de manière que ces pouvoirs ne la confuſion des puiſent jamais étre confondus. pouvoirs; & contin nuellement tranſa greſſé. ! Dd2 [ 382 ] 11°. Que la liberté des per- Décrété, mais vio- lé ſonnes fera miſe à l'abri des or par 1' Affemblée elle-même, & fous dres illégaux, & de toute at- fes yeux. teinte. 12°. Que la main-morte, & Décrété, mais é. tendu à d'autres tous autres aſſerviſſemens perſone ſuppreſſions de nels, feront abolis. droits propriétai- res. i 13°. Que la liberté de la preſſe aura lieu, ſauf les préſervatifs néceſſaires pour l'ordre public. Décrété, mais très - arbitraire- ment obſervé. 14°. Que la liberté de s'écrire ſera également reſpectée, & que le ſecret des lettres ne pourra être violé. Décrété, mais publiquement en- freint. 150. Que les Miniſtres du Roi ſeront reſponſables envers la Na- tion. Décrété, mais avec l'inconfé. quence de s'im- miſcer dans le choix des Minil- tres. / 1 160. Que le droit de propriété Décrété, mais en même tems violé à eſt facré; & qu'aucun citoyen ne outrance par les dé. pourra être privé d'aucune por- crets les plus atten- tion de ſa propriété quelconque, tatoires aux droits même à raiſon d'intérêt public, ſans de propriété. une juſte & prompte indemnité. Décrété, 1 17º. Qu'il ne pourra être levé aucun impôt, ni fait aucun em- prunt, ſans le conſentement de la Nation. [ 383 ] 1 1 18°. Que l'Alleinblée repré- . ſentative de la Nation ſe renou- vellera périodiquement, & fans de longs intervalles, Décrété & outre. paffé par l'établif- Tement de la per- manence. 19º. Qu'à cette Affemblée ap Décrété, mais partient de régler la forme de ſa contredit par la convocation, la proportion des ferens Ordres. ſuppreſſion des dif- députés des différens Ordres dont elle ſera compoſée, ſon entière or- ganiſation, & ſa diſcipline inté- rieure. Décrété, mais en- 20°. Qu'il ſera établi, dans tièrement changé tout le royaume, des États pro- par un plan qui vinciaux, 8c des Municipalités tranſpoſe les limites électives. des provinces, & abroge leurs char- tres. ! 21°. Que tous citoyens ſeront également, & ſans diſtinction, fou- mis à la loi & à l'impôt. Décrété, mais ous tré par une égalité indéfinie. 22°. Que tous feront ſufçep Décrété, ſans rela tibles de parvenir aux emplois triction. eccléſiaſtiques, civils, & mili- taires, 23°. Que la Nobleſſe ne ſera Anti-décrété par plus accordée à l’avenir que pour la ſuppreſſion im- poſſible de la No. récompenſe de ſervices importans bleffe. rendus à l'Etat, & qu'aucune pro- feffion utile n'y dérogera. A Dd 3 1 ( 384 ] + 24º. Que la juſtice ſera gra- Décrété en pars tie, mais contredit tuite, la vénalité des charges abo- ſur deux points ca- lie, le choix des Juges' réſervé au pitaux, le choix des Roi, ſur la préſentation de plu- Juges, & leur ina- ſieurs ſujets par le peuple; qu'ils movibilité. feront inamovibles, & qu'ils ne pourront être deſtitués que pour forfaiture jugée. 1 25°. Qu'aucun citoyen ne pour Décrété,inais cona ra être traduit ailleurs que par- trarié dans le fait devant ſes juges naturels ; qu'il y de commiſſions in- par l'é:abliſſement aura des tribunaux ſupérieurs éta- quiftoriales, & blis dans chaque province; & qu'il d'une attribution ne pourra y avoir aucune commiſſion extraordinaire pour crime non-défini. extraordinaire. 1 A 26°. Que la répartition des im- Décrété. pôts confentis par la Nation, ſera faite par les États provinciaux, proportionnellement, entre tout les contribuables, ſans exception; & que le montant de leur pro- duit, le compte de leur emploi, & celui des charges de l'État, ſeront rendus publics, tous les ans, par la voie de l'impreſſion. I 27º. Que les dépenſes de tóus Décrété. les départemens feront fixées par chaque Affemblée des États-gén néraux. 289. Que la dette publique, vérifiée & reconnue par les États- généraux, ſera dette nationale, & acquittée par paiemens réels. Décrété : mais la dette augmentée, & non acquittée par paiemens réels. [ 385 ] 29º. Qu'il ne pourra être établi kucun papier-monnoie. (*) Le contraire dé. crété. guerre. 30°. Que le Roi, comine eſſen Contredit ouver- tiellement dépoſitaire du pouvoir tement en ce qui concerne le droit exécutif, & chef ſuprême de la de la paix & de la nation, aura le commandement de toutes les forces de terre & demer; qu'il demeurera chargé de pourvoir à la défenſe du Royaume, & qu'en conſéquence il aura le droit de faire la guerre ou la paix. (+) ! 1 1 31°. Que le militaire ne ſera Décrétés employé que pour la défenſe de l'Etat; qu'il ne pourra l'être con- tre les citoyens que dans les cas prévus par une loi poſitive, ou contre des rebelles proſcrits par la Nation. 1 32°: Que la diſpoſition des Fort contrarić, emplois & grades militaires, de même que celle de tous emplois publics, & des principales places d'adminiſtration, continuera d'ap- partenir au Roi, qui eſt & doit toujours être la ſource de toutes grâces, diftin&tions, & honneurs, dans le Royaume. : * + (*) L'introduction du papier-monnoie n'eſt pas unanime' ment proſcrite par tous les cahiers ; mais elle l'eſt par la plu- ralité, & ſur-tout par ceux du Tiers Etat. (+) Ce droit eſt reconnu expreſſément appartenir au Roi, par tous ceux des cahiers qui en ont parlé ; il n'eſt contredit par aucun: & quand le filence ſeroit abſolu, il équivaudroit encore à la confirmation d'un droit dont la poſfefion immé. moriale n'avoit jamais été contestée. D d 4 [ 386 ] Décrété 33°. Qu'aucun militaire ne pourra être deſtitué de ſon emploi ſans jugement préalable. Tous ces articles font fondamentaux & ſtricte, ment conſtitutionnels : ceux qui ſuivent en font des dépendances ou des acceſſoires, qui intéreſſent auffi la Nacion entière. Savoir: Décrété. 34", L'abolition du Concordat & des Annates eccléſiaſtiques. Interverti par l'abolition des bé. 35°. L'interdiction de la plu- ralité des bénéfices, & la fup- néfices, & par l'in- preſſion des bénéfices inutiles. vaſion des biens du Clergé. Décrété. 36°. L'obligation de la réfi- dence eccléſiaſtique. Décrété 37º. L'amélioration du fort des Curés. 38°. La réduétion des maiſons Contredit par l'entière deſtruc- religieuſes, & la dotation des tion des Ordres re- Ordres mendians qui ſeroient re- ligieux. connus utiles. 1 S 39º. Les règlemens à faire ſur Doublcment con- les dimes, en vue de foulager le tredit, en ce que rè- glement exclut fup- peuple. preſſion, & que la ſuppreſſion, loin de joulager le peuple, obligera de leiure charger. 40°. Le rétabliflement des con Non admis. çiles nationaux & provinciaux. 3 1 [ 387 ] Décrété. 41°. L'obligation aux Juges d'opiner à haute voix, & de mo- tiver les jugemens, tant au civil qu'au criminel. Décrété, mais non achevé. 42°. La réformation du code çivil, & l'établiſſement d'une commiſſion pour la refonte des loix & coutumes. Décrété. 43º. La réformation du code criminel, la publicité de l'inſtruc- tion, le conſeil accordé à l'accuſé, l'adouciſſement des loix pénales, & l'uniformité des peines fans diſtinction de rang. Décrété. 44º. La ſuppreſſion des juſtices Seigneuriales, & l'établiſſement des juges-de-paix dans les campagnes. 45°. La ſuppreſſion du droit Décrété & outre- de franc-fief, & la faculté de ra- paſlé par pluſieurs Tuppreffions fans ra cheter les droits féodaux. chat. 46°. La ſuppreſſion des Capi- Décrété & outre taineries, & règlement pour la ſur le ſecond objet. chaſſe. Décrété dans le 47°. Les règlemens ſur les co- fens de ſuppreſſion, lombiers. plutôt que de règle- ment, 48º. Le partage des trop gran- Décrété. des fermes. [ 388 ] 49º. La conſervation des Com- Décrété. munes. 1 50º. La ſuppreſfion de la Décrété. Corvée. 51°. La converſion de la Mi- Décrété. . lice en preſtation pécuniaire. 52º. La liberté du commerce Décrété. des grains, abſolue.quant à la cir- culation intérieure, & à régler d'après l'avis des Etats provin- ciaux, en ce qui concerne l'ex- portation. 53º. L'abolition de tout droit Décrété, mais non obſervé à l'é. ſur les grains & marchés, de tout gard de pluſieurs péage, tonlieu, & autres droits indemnités: ſemblables, ſauf les indemnités. 1 54°. La deſtruction de toute entrave nuiſible au commerce, & la ceffation de tous droits ſur l'in- duſtrie. Décrété, mais plus de commerce ni d'induſtrie. 55º. La ſuppreſſion de toutes Décrété. les douanes intérieures, & la li- berté du tranfit dans tout le royaume. } i 56º. La ſuppreſſion des ju- Décrété. randes & brevets de maîtriſes, en réſervant aux corporations leur po- lice, & réglant les apprentiſſages. 57º. La ſuppreſſion des lettres Décrété, de ſurſéance. { ។ [ 389 ] 580. La ſuppreſſion des privi Décrété fans rer léges excluſifs généraux, avec li- triction. mitation de ceux qui pourront être accordés ſeulement pour in- vention. Décrété, pour 59º. La ſuppreſſion des droits ſur les cuirs, ſur les huiles & fa- être remplacé par autre impôt. vons, ſur les fers, ſur les papiers, & autres droits nuifibles aux fa- brications. 1 60°. L'abolition de la gabelle, Décrété, avec remplacement non & fon remplacement par une impo- encore effectué. ſition mieux combinée. Décrété en par- 61º. La ſuppreſfion & le rem- Non encore dé. cidé. placement des droits d'aides. 62º. La réformation & réduc- tion tarifée des droits de centième tie, mais nullement denier, & autres droits doma- quant au centième niaux, vexatoires & arbitraires denier. dans leur perception. 63° La converſion de la taille Annoncé. en un impôt réel ſur tous les pro- priétaires indiſtinctement. 64º. La ſimplification de tous Décrété. les recouvremens, & la ſuppreſſion des compagnies de finance. 65°. La réduction des dons & penſions. Décrété, avec excès. 66°. L'établiſſement de caiſſes nationales & d'amortiſement. Décrété pour les caiſſes nationales ; rien de véglé pour l'amortiſſement, } ! [ 390 ] 67º. L'aliénation des domaines Décrété fans ré. de la Couronne, autant qu'il ſera ſerve. néceſſaire pour la libération de la dette nationale. 68º. La ſuppreſſion des maî- Décrété. triſes des eaux & forêts. 69º. La ſuppreſſion des loteries, Eſpéré. & l'ordre à établir pour les monts de piété. 70°. La fixation invariable du Itema titre, du poids, & de la valeur des monnoies, leſquels ne pour- ront être changés que du confen- tement de la Nation. 21°. La ſtabilité du code mili- Item. taire aſſurée par la ſanction natio- nale. 1 72°. L'abolition des coups de Décrété. plat-de-fabre, & de toutes puni- tions arbitraires du même genre. 73°. L'augmentation de la paie Décrété. du ſoldat. 1 74º. La réduction dans le nom. Décrété & excédé. bre des grands emplois militaires & coinmandemens inutiles; rèm glemens pour la réſidence de ceux qui feront conſervés. 75°. L'augmentarion dans la Maréchauffée. Il paroît au cona traire, par la ſup- preſtion des juriſ- dictions prévõtales, que l'utilité de ce corps eſt méconnue. [ 391 1 1776º. La formation d'un plan d'éducation nationale. Eſpéré. Dans ces 76 articles, dont les 33 premiers ſont autant de maximes fondamentales, deſquels il n'étoit pas permis de s'écarter, & les 43 autres ſont des diſpoſitions de détail appartenantes auſſi à l'ordre général, on trouve ce qu'on peut appeler la con- cordance des cahiers, ſur ce qu'il y a de plus impor- tant dans les matières qui y ſont traitées. J'ai écarté tous les points particuliers, & tous ceux ſur leſquels les avis ont été partagés : en forte que le contenu de ce réſumé, auſſi reſſerré en paroles qu'immenſe en objets, peut s'appeler le vou unanime de la France. Je l'ai recueilli en rapprochant avec ſoin ce qui eſt épars dans plus de 500 cahiers d'inſtruction; & je n'ai rien épargné pour rendre correct ce tableau raccourci, où la Nation verra d'un ſeul coup-d'ail l'enſemble de fon ouvrage. Elle n'a certainement pas ſujet de le déſavouer, ni d'en être mécontente. Le plan de la conſtitution, tel qu'il avoit été conçu & défré par elle, s'y trouvoit tout tracé ; il n'étoit ni dif- ficile de le ſuivre, ni permis de le contrarier; & la France, fi cruellement bouleverſée en ce moment, feroit tranquille & heureuſe, ſi ſes mandataires, fidèles à leur miſſion, & au ſerment qu'ils avoient fait de la remplir, s'étoient contentés de donner à chaque article le développement & la perfection néceſſaires, plutôt que de ſe perdre dans des théo- ries métaphyſiques, mal appliquées, & de ſe croire 1 [ 392 ) obligés de tout détruire. Quel regret que la pouró ſuite d'un mieux imaginaire ait fait perdre l’occa- fion de faire un bien réel ! A préſent qu'on a ſous les yeux le précis de ce que les cahiers avoient preſcrit aux Députés, & à côté, ſur chaque article, ce qu'ils ont fait, que l'on compare ce qui eût été, ſi l'Aſſemblée eût ſuivi le veu national, & ce qu'il réſulte de ce qu'ils l'ont contredit dans les points les plus eſſentiels. taté par Dans le premier cas, l'accord des volontés du Roi avec les délirs de ſes peuples, ayant été conf- la Déclaration de Sa Majeſté du 23 Juin 1789, l'Aſſemblée, prenant ce concours auguſte pour baſe de ſes décrets, auroit rédigé avec la plus parfaite tranquillité une conſtitution inébranlable, auroit réformé ſans peine des abus qui, antérieure- ment, avoient réſiſté aux efforts des meilleures in- tentions, auroit affermi, fans faire aucun malheureux, la liberté de tous, les droits de la propriété, la fu- reté générale, le bon ordre & la juſtice; auroit enfin, par une prompte reſtauration des finances, qui ſem- bloit lui être réſervée, procuré aux peuples les fou- lagemens auxquels ils devoient s'attendre. Il n'é- toit plus alors de bon projet, qui ne pût facilement s'exécuter ;'il n'étoit plus d'obſtacle qui dût encore paroître inſurmontable; il n'étoit aucun genre de meſure juſte & raiſonnable qu'on ne pût employer pour régler l'exercice de l'autorité, & la ternpérer ſans l'énerver; tout auroit cédé de ſoi-même à la réunion irréſiſtible de la volonté générale, aux in- r [ 393 ] tentions d'un Monarque bienfaiſant. Quel luitre, quelle proſpérité, quel degré de puiſſance le royaume n'eût-il pas acquis en conſéquence, lorſqu'aux pré- cieux avantages de fon ſol, il auroit réuni, fans la plus légère commotion, tous ceux d'un excellent gouvernement. Le caur ſaigne de penſer que tel eût pu être le fort de la France. 1 Dans le ſecond cas, qui, pour notre malheur, eſt l'état actuel, tout ce qui avoit concouru depuis 14 cents ans à la gloire & à la force de cet Empire, a été détruit en un inſtant; la flamme & le fer, la diſcorde & le brigandage, ont dévaſté le royaume ; le Trône eſt avili; tous les ordres de citoyens font en ſouffrance ; les fortunes particulières & les finan- ces publiques ſont écraſées ; la Nation eſt miſérable, & le nom François eſt Alétri. timent que 1 Si quelque choſe peut adoucir le douloureux ſen- fait naître l'aſpect d'un tel contraſte, c'eſt d'enviſager que d'un côté le ſyſtême incohérent qui a produit le déſordre actuel ne ſauroit ſubſiſter, & que d'un autre côté l'on peut encore eſpérer le re- tour de l'ordre voté par la Nation, qu'on a tant de raiſon de regretter. Non, il n'y a force humaine qui puiſſe réaliler, conſolider, & rendre pracicable ce qui eſt nul dans fon principe, invalide par le vice de la forme, in- conſéquent dans ſon enſemble, & répugnant dans l'exécution à toutes les circonſtances locales, mno- Fales, & politiques. Or telle eſt la nouvelle Cont- titution. ( 394 ) Nulle dans ſon principe, en tant qu'elle cort- trevient aux mandats conſtituans dont les man- dataires n'ont pu annihiler la force, fans s’anni- hiler eux-mêmes; de même qu'ils n'ont pu détruire les ordres d'où émanoient leurs pouvoirs, fans dé- truire auſſi leur pouvoir & leur propre exiſtence. İnvalide par vice de forme, en ce qu'elle n'a point été fanctionnée librement par le Roi, & que la con- dition indiſpenſable du conſentement de Sa Majeſté n'a été remplie à l'égard d'aucun décret, ce conſen- tement ayant toujours été donné dans un état. de contrainte. Inconſéquente dans ſon enſemble, par la multitude de diſpoſitions contradictoires qu'elle renferme, & parce que rien n'eſt plus inconſéquent que d'ap- peler monarchique un gouvernement dans lequel on ne laiſſe au inonarque aucun pouvoir. Répugnante en exécution à toutes les circonſtances locales, morales, & politiques, étant évident qu'un gouvernement populaire, ou même républicain, ne pourra jamais s'adapter ni à l'étendue du royaume de France, ni au génie de ſes habitans, ni à l'exi- geance politique de ſa fituation. On peut donc affirmer, & je le répéterai fans ceſſe, que ce chaos informe qu'on décore vainement du titre de Conſtitution, ne fauroit ſe foutenir ni par le droit, -ni par le fait ; & que s'il importe, s'il eft même urgent de démolir ce ruineux édifice, c'eſt moins 1 [ 395 ] Inoins par crainte de la durée, que pour prévenir les ſecouſſes violentes & les nouveaux malheurs qui pourroient accompagner ſon écroulement. Les efforts redoublés que l'Aſſemblée n'a ceſſé de faire pour légitimer en apparence ſes entrepriſes, & cou- vrir, s'il étoit poſſible, les nullités radicales de ſes décrets, n'ont ſervi qu'à faire connoître combien elle ſe défioit elle-même de leur validité. J'ai fait voir qu'elle a prétendu faire perdre de vue ſa délé- gation primitive, tantôt en s'inveſtiffant du titre d'Aſemblée Nationale, tantôt en s'arrogeant à contre- ſens celui de Convention; & croyant, par cette uſur- pation nominale, acquérir les attributs ſouverains du pouvoir conſtituant, s'élever au-deſſus de toute réviſion de la part de ſes commettans, & rendre ſes décrets inacceſſibles à tout examen de la part de ſes ſucceſſeurs : mais j'ai fait voir en même tems que toutes ces prétentions chimériques tomboient & s'évanouiſſoient devant les droits inaliénables de la Nation ; & que l'Aſſemblée, loin d'avoir pu de- venir, par ſon propre effort, infaillible dans les dogines, & illimitée dans ſon pouvoir, étoit au cori- traire déchue de ſon 'exiſtence légale, en violant les conditions fous leſquelles elle lui avoit été con- férée. L'impoſſibilité démontrée de faire ſubliſter ce qu'on a fait, remène à l'eſpoir de voir renaître ce qui auroit dû exiſter. Quel obſtacle pourroit s'y oppoſer, lorſque ce retour ne conſiſte que dans l'exercice du droit de réviſion, qui appartient conſ- tamment à la Nation, & dont elle ne s'eſt jamais EC 1 [ 396 ] départie ni pu départir. Vaineinent voudroit-on ſoutenir qu'elle y a dérogé par le ferment civique, dont l'Affemblée croit s'être fait un reinpart contre quiconque oferoit arguer ſes décrets de nullité. S'il étoit vrai qu'on eût juré de défendre & de main- tenir des loix évidemment contraires à l'intérêt général, & qui tendroient à la ruine de la Nation, quelle force pourroit avoir un pareil ſerment ? Un peuple peut-il jurer validement la propre der. truction ? & ne ſeroit-ce pas le cas de dire, Le parjure eſt vertu quand le ſerment fut crime? Mais au contraire, ſi l'on veut conſidérer atten- tivement les termes dans leſquels eſt conçue la for- mule de cet engagement inſolite, & dont la ſingula- rité a ſurpris toutes les Nations,(*) on reconnoîtra que ſon véritable ſens eſt fi oppoſé à celui que l'Al- ſemblée lui donne, qu'on ne peut le tenir qu'en abjurant ſes erreurs. Je ne vous propoſe pas, François, de manquer à vos ſermens. N'en violez jamais aucuns. Si celui que l'Aſſemblée vous a fait prêter étoit contraire à (4) « Mon étonnement va toujours en augmentant, lorſque " j'apprends que ce n'eſt plus au Roi ſeul que l'allég’ance [c'eſt. so à-dire la ficiélité] eſt jurée en France, mais à la Nation., Ici " toutes mes idées ſe renverſent, & le ferment civique réaliſe à mes yeux la plaiſanterie des douze cents Rois." [Lettre de M. Burke, page 19.] so [ 397 ] celui qui lie tous les ſujets au Souverain, elle vous auroit rendus parjures, & votre première obligation ne ſeroit pas rompue ; mais le ferment civique n'a rien qui y foit contraire, ni qui doive embarraſſer votre fidélité. Vous avez juré d'être fidèles à la Nation, à la Loi, & au Roi, & de maintenir, de tout votre pour voir, la Conſtitution décrétée par l'Aſſemblée Natio- nale; & acceptée par le Roi. 1 Fidèles à la Nation. C'eſt-à-dire fidèles à vous- mêmes : ce qui ne ſignifie rien, ſi ce n'eſt la volonté de connoître vos véritables intérêts, & de ne pas les trahir en vous livrant au deſpotiſme des déma- gogues. { Fidèles à la Loi. Pour bien comprendre ce que renferme cette obligation, qui eſt commune à tous les pays policés, il faut fixer ce qu'on doit entendre par ce mot de Loi, qu'il eſt plus aiſé d'expliquer par analyſe que par définition. Il eſt d'abord des loix éternelles & immuables, qui ſont les fondemens de la juſtice, & que la Divinité elle-même a écrites dans le caur de tous les hommes : tel eſt cet axiome du droit naturel, Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrois pas qu'il te fit : d'où il ſuit qu'il n'eſt per- mis à aucune claſſe de citoyens, quelque nombreuſe qu'elle ſoit, d’en opprimer une autre, ni d'attenter à ſes droits ou à ſa ſureté; & conſéquemment, que les excès commis par les Démocrates contre les Arif- Een † 398 1 1 tocrätes, ſont auſſi criminels que le ſeroit tout ce que l'eſprit de vengeance feroit commettre à ces der- niers. Tel eſt encore ce premier principe de droit civil, Laiſe à chacun ce qui lui appartient ; ce qui rend inviolables tous les genres de propriété, & ne permet de dépouiller aucun légitime poſſeſſeur. Enfin, telle eſt, pour le droit public, l'obligation fynallagmatique, d'exécuter les pactes nationaux, tant qu'ils ſubſiſtent, & juſqu'à ce qu'ils aient été diffous de la même manière qu'ils ont été formés, ce qui s'applique aux capitulations des provinces, aux conditions fous leſquelles elles ſe ſont ſoumiſes, & à tous actes tranflatifs de ſouveraineté. 1 Ovous qui avez juré d'être fidèles à la Loi! comparez ce qu'exigent ces grands principes de droit naturel, de droit civil, & de droit public, avec tout ce que fait l'Aſſemblée, & jugez ſi votre fer- ment vous permet d'y adhérer! Deſcendant enſuite de ces loix primordiales aux loix poſitives, voyez fi vous avez juré de maintenir comme telles, des décrets où toutes les règles preſcrites pour leur formation & leur complément ſont violées ;. des décrets, dans lefquels le corps repréſentatif trans- greffe fans ceſſe les mandats du corps conſtituant; des décrets enfin, qui ne ſont ni autoriſés par la vo- lonté de ceux au nom de qui ils ſe ſont rendus, ni ſanctionnés validement par un conſentement qui, n'étant pas libre, eſt abſolument nul. Fidèles au Roi. Cette partie du ferment, qui eſt claire & qui n'a beſoin d'aucune interprétation, [ 399 ) 1 fixe le fens de toutes les autres, & tranche toute difficulté. Car jurer d'être fidèle au Roi, c'eſt jurer qu'il y aura un Roi: or, ſuivant le plan de l'Affemblée actuelle, il n'y auroit plus de Roi, puiſqu'on n'eſt pas Roi quand on ne gouverne pas le Royaume, quand on n'a ni coopération à la loi, ni moyen de ſurveiller les tribunaux, ni force pour réprimer le déſordre, ni diſtribution des emplois pour récompenſer le mérite, ni pouvoir pour dé- fendre l'Etat, & faire la guerre ou la paix, Le ſerment de fidélité au Roi, n'avoit pas beſoin d'être renouvelé ; il eſt gravé, en caractères ineffaçables, dans le coeur de tout François. Si ce qu'on fait jurer aujourd'hui s'y rapporte, c'eſt une inutilité ; s'il y déroge, c'eſt une félonie. L'Aſſemblée, qui s'eſt attribué le pouvoir de délier des voeux faits à la Divinité, & de briſer des obligations contractées ſous la foi publique, auroit-elle prétendu auffi altérer le ſerınent qui lie la Nation envers le Roi, tandis que le Roi n'eſt pas même ſuppoſé avoir manqué à celui qui le lie envers la Nation? Elle ne l'a pas pu, elle ne l'a pas fait : donc ce fer- ment ſubſiſte en ſon entier. Or dès qu'il ſub- fifte, permet-il de concourir à dépouiller le Roi des droits inhérens à ſa couronne ? Permet-il de le dé- grader au point, qu'après avoir été le plus puiſſant des Monarques, il le ſoit moins que les Souverains dont l'autorité eſt le plus reſtreinte ; qu'il ne lui reſte pas même le titre qu'ont porté depuis tant de ſiècles, les Rois de ſon auguſte race; qu'il ait moins de pouvoir réel que le Commandant de la + Ee 3 1 ( 400 1 garde de Paris ; & qu'il ſoit réduit à voir ſon fort dépendre des mouvemens tumultueux d'une Al- feniblée dominée par la populace ? (*) J'en appelle aux ſentimens qui ont fi long-tems honoré le nom François ; j'en appelle à l'attachement ſignalé que la Nation a toujours fait éclater pour fes Rois : Louis XVI a-t-il donc ceffé de mériter cec attachement, lui qui a plus fait pour fon peuple qu'aucun de ſes prédéceſſeurs ? Ou, croit- on le lui prouver, lorſqu'à la face de l'Europe in- dignée, on lui enlève ſucceſſivement tous ſes droits; lorſqu'on lui laiſſe à peine les dehors de la majeſté royale ; lorſqu'on le retient dans une captivité dont l'opprobre ne peut être diffimulé clarations contraintes, & dont on ne ſauroit prévoir le terme, ce qui ſert de prétexte à cet attentat n'en ayant point ?(+) Et c'eſt en traitant ſon Roi par des dé- (*) Perſonne n'ignore l'influence qu'a ſur les délibérations, la foule qui remplit les galeries de la Salle, & qui ſouvent en allège les accès, comme il eſt arrivé à la ſéance du 22 Mai, où la queſtion ſur le droit de faire la guerre étoit décidée par la multitude attroupée aux Thuileries, avant de l'être par l'Affemblée. Le ſcandale & l'indécence auginentent de jour en jour. (+) Si quelqu'un pouvoit douter de la captivité dans laquelle les Pariſiens oſent retenir leur Roi, qu'il aille au Palais des Thuileries ; qu'il faſſe attention au nombre de gens armés dont on environne Leurs Majeſtés toutes les fois qu'elles ſortent de l'enceinte où on les tient ſoigneuſement renfermées; & qu'il [ 401 ] } avec tant d'indignité, qu'on exige & qu'on fait le ſerment de lui être fidèle! Laiſſons, laiſſons, cette horrible dériſion à ceux qui, ſe jouant de tous les principes, peuvent bien auſſi ſe faire un jeu du parjure; & quelle que ſoit l'intention de ce ſerment, rempliffons-en l'obligation. Jurer d'être fidèle au Roi, c'eſt jurer de le défendre de toute violence ; c'eſt jurer de le venger de tout outrage ; c'eſt jurer d'avoir en horreur quiconque oſe violer ſa liberté, quiconque, joignant la trahiſon à l'ingratitude, a le front d'exercer l'indigne fonction de le garder à vue, & d'être le vil inſtrument employé à prolonger le forfait de la populace. Ainſi j'ai juré moi; , ainſi je jure; ainſi j'accomplirai mon ſerment. Par le dernier article de la formule civique, on fait jurer à tout François, de maintenir, de tout ſon pouvoir, ce qu'on appelle la Conſtitution décrétée par l'Aſſemblée Nationale, & acceptée par le Roi. C'eſt-là ſans doute le véritable objet du ferment, c'eſt ce qu'on a eu principalement en vue. Mais eſt-il rien de plus étrange, & de plus illu- ſoire, que de jurer de maintenir ce qui n'exiſte pas ? Or, la conſtitution décrétée par l'Aſſemblée Nationale, & acceptée par le Roi, n'exiſte ni comme conſtitu- fache enfin, ce qui eſt notoire à Paris, quoiqu'on s'efforce de le déguiſer aux provinces, que le Roi de France ne peut plus faire un pas ſans la permiſſion de ſes inſolens gcoliers !... Ô François !... Еe 4. 1 [ 402 402 ] 1 tion, ni comme décrétée par l'Aſſemblée Nationale, ni comme acceptée par le Roi. Elle n'exiſte pas comme conſtitution, puiſqu'elle ne conſtitue rien qui puiſſe ſubſiſter, & qu'il eſt im- poſſible de la placer dans aucun genre de conſtitu- tion. Je défie chacun de ceux qui ont juré de la maintenir, de dire ce qu'elle eſt. Ce n'eſt cer- tainement pas une conſtitution monarchique, puiſ- qu'elle annulle tous les droits du Monarque, & qu'elle réduit à rien tous les reſſorts du pouvoir exécutif, comme je l'ai prouvé. Ce n'eſt pas une conftitution démocratique, puiſque, dans la démo- cratie, le peuple eſt légiſlateur par lui-même, plutôt que par des repréſentans ; & que d'ailleurs, une démocratie pour la France eſt un être de raiſon. Ce n'eſt pas une conſtitution ariſtocratique, puiſque par elle, tous ceux qu'on appelle Ariſtes (*), font exclus du gouvernement, & que ceux qui s'en ſont emparés, jugent eux-memes que ce nom n'eſt pas le leur. Le genre dont elle approche le plus, eſt la conſtitution deſpotique, puiſqu'elle tend né- ceſſairement à la confuſion de tous les pouvoirs, qui eſt le caractère propre & diſtinctif du deſpo- tiſme. Mais les auteurs aimeront mieux l'avouer nulle que de l'avouer telle de l'avouer telle ; & nulle eſt la véritable dénomination. 1 1 (*) Ariſtc, en Grec ociolos, veut dire, trave, excellent, Courageux. ! + [ 403 ] Elle n'exiſte pas comme décrétée par l'Aſſemblée Nationale. Je n'arguerai point de ce qu'il n'y a pas d'Aſſemblée Nationale, quand les députés n'ont été convoqués & envoyés que pour former une af- ſemblée d'Etats-généraux. Il y a trop à dire ſur les choſes pour s'arrêter aux mots ; mais je prends acte de ce que l'Aſſemblée, à la même époque où elle prêtoit & exigeoit le ſerment de maintenir la conf- titution qu'elle ſuppoſoit décrétée par elle, déclaroit néanmoins que la conſtitution n'étoit point achevée, qu'il falloit encore du terns pour y mettre la der- nière main; aveu qu'elle a encore réitéré plus de deux mois après, lorſque, pour travailler à l'ache- ver, elle s'eſt continuée elle-même indéfiniment, à l'exemple de ce que firent jadis les Décemvirs. Or, puiſque la conſtitution n'étoit point finie, elle n'exiſtoit donc pas encore ; elle n'étoit donc pas décrétée: un ouvrage partiel & imparfait n'eſt point une conftitution; ſon exiſtence ne peut ſe concevoir que dans ſon enſemble: le tout ne ſe voit pas dans la partie, quand la liaiſon réciproque & l'accord des parties eſt néceſſaire pour former le tout. Elle n'exiſte pas comme acceptée par le Roi (*), parce que le Roi n'accepte ni ne refuſe quand il (*) Je confonds ici accepté & ſanctionné, ne pouvant recon- noître qu'il y ait deux ſortes de ſanctions, quand les cahiers n'en admettent qu'une ; & ne pouvant concevoir que le con- fentement du Roi ſoit moins néceſſaire, & doive être moins formel pour les loix fondamentales & conſtitutionnelles, que pour toutes les autres. 2 [ 404 ] que c'eſt n'eſt pas libre; parce qu'une volonté contrainte ou point de volonté eſt abſolument la même choſe ; parce que, tant qu'il ſera dans l'état d'obſeſſion où il eſt, tout ce qu'on lui fait dire, tout ce qu'on lui - fait ſigner, dît-il proteſter mille fois l'effet de ſon propre mouvement, doit être compté pour rien. Il a donc grande raiſon de conſentir indiſtinctement à tout ce que ſes oppreſſeurs ou ſes gardiens lui propoſent. Plus ce qu'il paroît ap- prouver bleffe ſes droits, choque ſes intérêts, & contrarie ce qu'il doit naturellement penfer, plus fon approbation porte l'empreinte de la violence, plus elle eſt radicalement viciée par la première de toutes les nullités. Ainſi, l'on auroit tort de blâ- mer la démarche du 4 Février, & la prononciation du diſcours tracé par une main perfide, dans lequel, avec un ſtyle qui ne fut jamais le ſien, il annon- cât & recommandât l'attachement à la nouvelle Conſtitution non encore exiſtante. L'on auroit en- core plus de tort de s'en prévaloir, lorſque les moyens employés pour vaincre la répugnance qu'il avoit exprimée dans ſon Conſeil, à la première pro- poſition de cet acte, font connus de tout le monde. Il n'étoit pas même néceſſaire alors, &, difons-le en frémiſſant, il pourroit être à l'avenir dangereux pour lui, de marquer ainſi la différence de la volonté propre & de fa volonté forcée. Qu'eſt-il beſoin d'aucun témoignage de fa part dans la ſituation où il ſe trouve ? Aufii long-teins qu'il y ſera réduit, dût-on, pour comble d'offenſe, vouloir fouiller ſes lèvres auguſtes par la condamnation du zèle [ 405 ] de ſes plus fidèles ſerviteurs, de ſes ſujets les plus affectionnés, de ſon frère même, il faudra bien qu'il y ſouſcrive. Si l'on veut que l'Europe croie qu'il ratifie librement ce qu'on appelle la nouvelle Conſtitution de la France, qu'on trouve bon qu'il la ligne à la tête de ſon armée. Certe Conſtitution, qui n'eſt, comme on vient de le voir, ni formée, ni décrétée, ni ſanctionnée, a-t-on eſpéré de la rehauſſer dans l'opinion par l'appareil pompeux d'une Confédération qu'on croit avoir rendu générale, parce qu'au milieu d'une fête, qu'il n'a pas été difficile de rendre très-nombreuſe, 30 mille ſuppôts de l'Aſſemblée uſurpatrice ont prêté, en préſence de 400 mille curieux, un ſerment inutile & qui n'ajoute rien aux engagemens na- turels & indélébiles de tout François ? Le peuple aime les spectacles ; on ſait combien ils font d'effet ſur lui ; & c'eſt un moyen que les impoſteurs has biles n'ont jamais manqué d'employer pour ſur- prendre ſes ſuffrages : mais on fait auſſi que ce qui. amuſe les regards de la multitude, ce qui éblouit ſes yeux, ce qui excite les bruyantes acclamations, n'eſt rien moins que capable de fixer fa mobilité : c'eſt un feu d'artifice qui, tant qu'il brille dans les airs, eſt accompagné de cris de joie tumultueux, mais qui ne laifle après lui que ſilence & fumée ; c'eſt une mer agitée par le ſouffle de l'intrigue, qui lance aux nues des flots d'applaudiſſemens, dont l'écume couvre pendant quelque tems fa ſurface; į 406 ] 1 mais dès que le calme renaît, l'onde, redevenue tranquille, n'offre plus que les débris ſurnageans du vaiſſeau briſé par la tempête, & cette triſte vue glace tous les caurs. Ainſi finira l'efferveſcence populaire, & tout le fracas orageux qu'on vient d'exciter ; ainſi furnagera bientôt le ſentiment de la misère publique, & l'effroi de ne voir qu'une deſtruction univerſelle. C'eſt alors qu'il ſera tems d'interroger la Nation, & de juger ſainement de ſon veu. C'eſt alors qu'on verra ſi elle a entendu jurer de perpétuer & aggraver ſes maux, en fou- tenant l'édifice fantaſtique qu'on voudroit élever ſur les ruines du ſeul gouvernement qui lui con- vienne ; ou ſi fa véritable intention n'a pas été de s'engager à défendre une Conſtitution réelle, & telle qu'elle conciliât le maintien de la force pu- blique, avec l'établiſſement d'une liberté raiſonna- ble ; une Conſtitution qui ſeroit fondée ſur les baſes antiques de la Monarchie Françoiſe, & qui en prof criroit ſeulement les abus; une Conſtitution con- forme aux mandats par leſquels il avoit été recom- mandé aux délégués, de reſpeter, de chérir l'heureux accord des principes les mieux combinés, qui avoient rendu immuables les baſes d'un Empire le plus ancien & le plus redoutable de l'Europe; de s'attacher uni- quement à en faire diſparoître les imperfe&tions que Ze tems & la main des homines, qui laiſent par-tout Leur empreinte, y ont amenées ; & de prouver à nos rivaux qu'une Nation dont le caractère diftin&tif a toujours été le ſentiment de l'honneur, & l'amour J [ 404' 1 de fon Roi, ne s'occupe que de ſes reſſources, quand de grands maux exigent de grands ſacrifices.(+) 1 Eſt-il croyable que les François qui s'expri- moient ainſi en 1789, aient entendu jurer le con- traire en 1790, & qu'ils ſe ſoient engagés à foutenir de toutes leurs forces la deſtruction de leurs propres mandats? Mais, encore une fois, il n'eſt pas queſ- tion de ſoutenir ce qui n'exiſte pas, ce qui eſt nul de fait comme de droit; ce qui, de l'aveu même de l'Aſſemblée, ne peut encore s'enviſager qu'au futur. Le ſerment civique équivaut à dire que, quand il y aura une Loi, un Roi, une Conſtitution, & une ſanction libre, on ſera fidèle à la Loi, au Roi, à la Conſtitution, & aux décrets ſanctionnés. Juſques- là ce ſerment hypothétique & aveugle, dont on a voulu faire le couronnement de la démarche du 4 Février, doit paroître auſſi inſignifiant qu'elle- même. Son obligation porte uniquement ſur l'a- venir; elle exige donc, plutôt qu'elle n'empêche de s'occuper de ce qui peut remettre ſur la voie d'un avenir déſirable pour tout le monde. Puiſqu'il eſt évident que l'état préſent eſt déteſtable, & qu'il eſt également démontré que la ſuite de l'ordre ac- tuel ne peut amener aucụn amendement ſalutaire, il eſt urgent & néceſſaire de trouver, dans un autre ordre de choſes, ce qui peut rendre à la France ſa vie, ſa force, & fa tranquillité; ce qui peut la (+) Extrait des Cahiers de l'Aſſemblée du Bailliage de Crepi, préſidée par M. le Duc d'Orléans. ! [ 408 ] retirer du précipice dans lequel elle s'abyme; ce qui peut faire qu'elle ait encore une Loi, un Roi, & une Conſtitution. Pour cela que faut-il faire ?-Une Contre-révoa lution 1 OUI, fi par ce mot on entend les efforts réunis des bons citoyens pour ramener l'ordre en France, pour en bannir l'anarchie, pour faire ceſſer l'uſur- pation tyrannique d'une poignée de Démagogues qui gouvernent le Royaume, ou plutôt qui em- pêchent qu'il ſoit gouverné; pour rendre au Roi l'autorité qui appartient à tout monarque, & qui eſt néceſſaire en tout état policé; enfin, pour faire rentrer la Nation dans ſes droits, & lui aſſurer le libre exercice de la faculté qu'elle n'a pu aliéner, d'avouer ou déſavouer ce qui a été fait en ſon nom, mais ſans ſa participation, & contre la ſeule expreſ- fion qu'il y ait eu de ſon vou. / NON, fi l'effet de la contre-révolution devoie être de faire revivre les anciens abus, de dépouiller la Nation de ſes droits légitimes, & de la priver de la juſte meſure de liberté dont elle doit jouir, des avantages que Sa Majeſté elle-même lui avoit aſſurés, & du bienfait précieux d'une bonne & ſolide conſtitution. Dans ce dernier ſens j’abhorre tous projets anti- révolutionnaires; & je proteſte qu'il n'y a ni dans [ 409 ] mes ſentimens, ni dans mes propoſitions, rien qui tende à fruſtrer la Nation de ce qu'elle a droit d'eſpérer des intentions du Roi & de l'exécution des cahiers. 1 C'eſt parce que j'aime la Liberté, c'eſt parce que je haïs l'arbitraire, que je m'indigne contre une confuſion de pouvoirs qui exclut l'une & in- troduit l'aître. Toujours les excès de la licence & les déſordres de l'anarchie conduiſent au deſpo- tiſme. Toujours les ambitieux qui affichent & inſpirent le fanatiſme de la liberté, finiſſent par l'opprimer. C'eſt en ſe couvrant de ſon nom que des Tribuns ſéditieux, des Décemvirs barbares, des -Cromwell audacieuſement impoſteurs, ont exercé les plus cruelles tyrannies : & déjà n'éprouvons- nous pas depuis quinze mois, ſous l'empire de nos prétendus libérateurs, plus de violences deſpo- tiques qu'il n'y en a eu ſous les règnes les plus abfolus ? Inquiſition, délation, eſpionage, viola- tion des lettres, interruptions du cours de la juſtice, évocations de procédures ſur les plus grands crimes, arreſtations extra-judiciaires, empriſonnemens illé- gaux, ſpoliation de propriété, création de papier- inonnoie, ne ſont-ce pas là les actes qui caracté- riſent la domination des tyrans, & ne font-ce pas ceux qu'a produit l'Aſſemblée Nationale ? Quand je défire de voir ma Patrie s'affranchir du joug le plus odieux, ceux même qui le lui impoſent oferont-ils m'accuſer d'être ennemi de la 3 [ 4101 liberté ? Quand j'exhorte la Nation à ufer des droits dont ſes délégués voudroient la dépouiller, & à réclamer avec toute la force qui lui appartient, l'exécution des mandats qu'ils ont tranſgreſſes, diront-ils à la Nation que mes projets tendent à l'aſſervir ? M'imputeront-ils d'attaquer la Révo- lution, parce que je voudrois l'affermir en la ren- dant raiſonnable? Vaine reſſource. L'illuſion eft à la fin ; la vérité ſe fait jour ; le peuple lui-même s'éclaire, & je ne crains pas d'invoquer ſon juge- ment. Les maux qu'on attire ſur lui, juſtifient quiconque s'efforce de l'en préſerver, & les moyens que j'indique ne ſont pas de nature à l'alarmer. Je vais les réſuiner, & ce fera la concluſion de cet ouvrage. . CONCLUSION. LA Nation, dont le veu a été exprimé claire- ment & formellement par les inſtructions & man- dats que les Affemblées électrices ont remis à leurs Députés aux États-généraux, doit aujourd'hui por- ter ſes regards ſur les décrets émis par eux en matière conſtitutionnelle, & diſtinguer ceux qui font conformes à ce vau, ceux qui l'outrepaſſent, ceux qui y ſont directement oppoſés. / Quant aux premiers, le ſilence de la Nation ſuffit pour qu'ils ſoient maintenus inviolablement; & conſéqueinment il ne peut y avoir aucun doute ni ſur ceux qui ont déclaré que le Gouvernernent François 1 [ 411 1 François eſt monarchique; que la couronne eſt hé- réditaire de mâle 'en inâle ; que la perſonne du Roi eſt inviolable & facrée ; qu'il n'y aura de loix que celles qui auront été faites dans l’Aſemblée des Repréſentans de la Nation, &c fanctionnées par le Roi; ni ſur ceux qui ont inis la liberté, la ſureté, & la propriété des citoyens ſous la fauvegarde de la loi; qui ont déclaré qu'aucun impôt ni emprunt ne pourroient avoir lieu ſans le conſentement national ; que les Miniſtres feroient reſponſables de l'emploi des fonds de leurs départemens, ainſi que des infractions qu'ils pourroient com- mettre envers les loix ; que ces fonds, ainſi que les états généraux de dépenſe, feroient réduits & fixés ; la gabelle, la corvée, les droits de main- morte, &c tous autres droits vexatoires, abolis; la contribution, répartie également, & tous pri- viléges pécuniaires, anéantis ; la circulation inté- rieure des marchandiſes nationales ou étrangères, entièrenient affranchie. A 1 Les décrets de la ſeconde forte, relatifs à des obm jets non prévus dans les cahiers, ne peuvent être ratifiés que par des aſſemblées repréſentatives des trois Ordres, telles qu'étoient celles de qui les pre- micrs pouvoirs ſont émanés. Juſqucs-là il eſt na- turel qu'ils fuient proviſoireinent exécutés, ſauf pour ce qui ſeroit irréparable en définitif, ou ſuſceptible de rencontrer de grands obſtacles. Mais à l'égard des décrets de la troiſième forte, de ceux qui ſont directement oppoſés aux mandats Ff + + [ 412 ] contenant l'expreſſion de la volonté générale, la Nation eſt dans le cas de faire connoître dès-à- préſent, tant par délibérations des corps préexiſtant la convocation de l'Afl'emblée, que par déclarations individuelles, qu'elle tient pour nuls & qu'elle regarde comme non avenus les décrets qui ſont contraires au vocu unanime des cahiers en matière conftitutionnelle, tels que Celui qui a rendu illuſoire la ſanction du Roi, & qui l'a privé de tout concours à l'exercice du pouvoir légiſlatif; Celui qui le dépouille du droit de faire la guerre & la paix, par conſéquent de l'attribut principal du pouvoir exécutif, ; Celui qui, lui ôtant toute influence ſur le choix des Juges, ne lui laiſſe aucun moyen de ſurveiller les fonctions du pouvoir judiciaire ; Ceux qui, en aboliſſant tous les ordres, tous les corps, tous les rangs intermédiaires, abandon- nant le régime intérieur à des aſſemblées popu- laires, armant un million de bourgeois, & livrant la force publique à 4.8 mille municipalités, ont conſommé l'anéantiſſement du pouvoir monar- chique; 1 Ceux enfin qui violent les propriétés du Clergé, & celle de toutes les claſſes de Citoyens, qui attaquent la juriſdi&tion de l'Egliſe, qui réduiſent . [ 413 ) Ics Miniftres de l'autel à l'état de ſalariés, qui détruiſent la Nobleſſe, qui ſuppriment les Parle- mens, qui bouleverſent toutes les parties de l'ordre civil & conſtitucif. Que ſur la nullité radicale de ces décrets effen- tiellement contraires aux cahiers, tous les ſentimens ſe réuniſſent pour former l'opinion générale; qu'elle éclate de toutes les parties du Royaume avec une juſte énergie; que des réclamations uniformes dans leurs objets, & tendantes .au même but, foient conſignées dans tous les dépôts publics, & qu'elles prédominent les futilcs adhéſions & les congra- tulations adulatrices des municipalités intéreſſées à ſoutenir ceux qui les ont créées; n'eſt-il pas à croire qu'alors la plainte étant jointe au pouvoir, l'Aſemblée elle - même, dépourvue de moyen comme de juſtice, fe verra forcée de céder à la réunion de l'un & de l'autre, & que les Conſtitués rentreront dans la dépendance des Conſtituans dont ils ont par trop audacieuſement frondé les inten- tions? ز Que fi tel eſt l'effet d'une vigoureuſe réclamation; ſi ceux qui ne font que des repréſentans ſentent qu'ils ne ſont plus rien lorſqu'ils ſont défavoués; s'ils abandonnent des prétenſions qui s'évanouiſſent d'elles-mêmes à l'inſtant que la réalité vient prendre la place de fon iinage; ſi, plutôt que de vouloir ſe retrancher ſur les fourcilleuſes hauteurs d'une ridicule infaillibilité, ils ſe remettent à leur niveau Ff i [ 414 ] 1 naturel, en reconnoiffant qu'ils n'ont pu exercer les fonctions de légiſlateurs ſuprêmes que condi- ționnellement à l'approbation de leurs commet- tans; fi en conſéquence, pour ne pas livrer leur patrie aux horreurs d'une guerre civile, après l'avoir livrée à celle de la inisère, ils ſe rangent au fage parti de favoriſer plutôt que d'entraver la liberté des fuffrages nationaux ; qu'ils ne prennent plus contre des pétitions ou des réclamations décentes & raiſonnables, ces tons auguſtes de réprimande, & cette ſévérité tyrannique de condamnation, dont ils ont uſé à l'égard des villes de Niſines, d'Uzès, de Montauban, & des Parlemens de Bordeaux, de Touloufe, &c. ; fi enfin ils reconnoiffent que tout citoyen ayant le droit de parler, écrire, imprimer libre- ment, & nul ne devant être inquiété pour ſes opi- nicns (*), il ſeroit d'une inconſéquence trop cho- quante que l'objet qui intéreſſe le plus tout citoyen fût le ſeul ſur lequel nul ne fût à l'abri d'être plus qu'in- quiété, & que tous les François ayant droit de concourir perſonnellement, ou par leurs repréſentans, à le formation de la loi, (+) aucun n'eût le droit d'en dire publiquement ſon avis ; s'ils prennent ce parti que la raiſon leur diete, & qui ne pourroit que leur faire honneur, il n'y auroit alors aucune gêne, aucun choc, aucune commotion ; & l'on pourroit revenir paſiblement aux points fixes des cahiers dont on n'auroit jamais dû s'écarter. arch (*) Articles 10 & 11 des Droits de l'Homme. (1) Article 6, item. } 1 1 [ 415 ) :- Mais ſí, au contraire, l'Aſſemblée ne craignant pas de manifeſter combien elle fait peu de cas elle- même de ſes propres principes quand ils ne ſont pas d'accord avec ſes vues, continue de vouloir en- chaîner les opinions par la peur, & veut, à défaut de raiſons, employer la violence, pour étouffer tout germe de réſiſtance à ſes innovations ; ſi elle pré- tend forcer l'intérêt général à ſe profterner devant fes ſyſtêmes, il ſera bien évident que d'elle ſeule vient l'oppreſſion, & tout moyen d'en préſerver la Nation devra paroître légitime. Les droits de l'homme autoriſent tout ce qui eſt néceſſaire pour repouſſer ce qui les bleffe ; & quand l'exercice de ces droits n'aura pour but que de prévenir la ruine de la Religion & de l'Etat, de rendre au Roi ſa couronne & ſa liberté, de faire récupérer au peuple le repos & la ſubſiſtance, il ne ſera plus une ſource d'abus; il prendra un caractère reſpec- table & ſacré. 1 Pourroit-il alors refuſer fon fecours à la Patric opprimée, ce digne rejeton du grand Henri, qu'il ſemble que la perſécution même ait réſervé pour le ſalut de la France, en le forçant d'en ſortir ? L'in- juſtice n'a point aigri ſon ame généreuſe ; & s'il eſt impoſible qu'il ne ſoit pas affecté de la dégradation d'un Trône, appanage ſuperbe de fa Maiſon, il eſt: ſurement plus ſenſible encore aux malheurs qui accablent le Royaume. Bon François, & bon frère, qui plus que lui doit en être profondément ému? Quand les devoirs que ces deux titres lui impoſent, Ef 3 ? 3 ) [ 416 > fixent ſur lui les regards de l'Europe entière, fans doute ils font ſans ceffe préſens à la penſée ; mais: c'eſt au veu de la Nation à lui marquer le moment de les remplir, & d'employer pour elle en même tems que pour l'intérêt le plus reſpectable, les grandes qualités que l'infortune, qui écraſe les hommes foibles & développe les héros, a fait pa- roître en lui dans tout leur éclát. Déjà ſa parfaite conduite dans l'auguſte aſile que lui a donné un Monarque vertueux, lui aſſure de ſa part le ſentiment du plus tendre attachement paternel, & de la part de toute la Cour de Turin, les tributs d'une adini- ration méritée. Bientôt les circonſtances qui ſem- blent l'appeler à la gloire de fauver ſa Patrie, & de défendre la cauſe des Rois, feront éclater aux yeux de tout l'univers, la noble & loyale franchiſe, l'in- trépidité brillante, & l'inébranlable fermeté dans ſes réſolutions, qui le rendent digne de devenir un nouveau modèle de la Chevalerie Françoiſe, & fon Chef. Ceux qui voient & dénoncent des complots dans tout ce qui n'eſt pas leur ſentiment, regarderont comme tel, l'intérêt vif que je m'honore de prendre aux deſtinées d'un Prince qui a daigné m'appeler ſon ami, à dater du jour que j'ai com- mencé d'être malheureux : mais.ce mot de com- plot n'eſt-il pas devenu honorable, depuis qu'on nomme ainſi la réunion de ceux qui, fidèles à leur ſerment primitif, ſont encore attachés à la Religion & au Roi; qui déſirent que l'une ſoit < [ 419.) A maintenue, & que l'autre ſoit délivré de con- trainte ; qui, plus amis de la liberté que ceux qui l'ont traveſtie en licence, plus ennemis du deſ- potiſme que ceux qui l'exercent en paroiſſant le pourſuivre, ne veulent être libres que ſous l'empire de la raiſon & du bon ordre; qui, fort éloignés de re- gretter les abus de l'ancien gouvernement, chériſſent toutes les réformes utiles au peuple, ne demandent que l'exécution des cahiers dépoſitaires du væu de la Nation, & ne condannent, dans le plan indéfiniſ- ſable qu'on appelle nouvelle Conſtitution, que ce qui eſt incompatible avec l'exiſtence d'une Monarchie tempérée, ce qui blefíe l'intérêt général, ce qui anéantit les loix, ce qui enfin eſt impoſſible à exé- cuter ? Si c'eſt faire une ligué, que de profeſſer de tels ſentimens, c'eſt la Ligue du Devoir. Quel autre nom pourroit-on lui donner ? Et quel eſt l'homme honnête, le bon citoyen, le vrai fidèle, qui n'y foit pas enrôlé dans l'ame, qui ne voulût l'être en réa- lité, & qui n'aſpire pas au moment où cette ligue, qui combattroit tout à la fois pour ſon Roi, pour ſa Patrie, & pour ſa Religion, auroit la conſiſtance qu'elle devroit avoir ; & que, ralliée ſous les dra- peaux de l'honneur, & protégée par tous les Sou- verains de l'Europe, elle feroit rentrer dans le néant cette autre ligue, la ſeule réelle aujourd'hui, dont le nom même, tel qu'elle l'a reçu du public, eſt une injure caractériſtique de ſes fureurs(*), dont le but, (*) On ſait que le parti dominant dans l'Aſſemblée s'appelle: celui des Enragés. - FEų ľ 418. ] de ſon propre aveu, eſt de tout détruire, dont les cuvres n'ont produit que malheurs, dont la doc- trine eſt un délire de nivellement pouſſé juſqu'au ridicule, & dont un fanatiſme momentané fait toute la force, 1 Long-tems, trop long-tems peut-être, la partie du public qu'on peut appeler ſenſée, s'eſt tenue à l'écart & a gardé le ſilence, craignant d'irriter inutilement une foule aveugle, voulant laiſſer-paſ- fer l'impétuoſité d'un torrent débordé, & eſpérant toujours une réſipiſcence qui n'eſt plus à eſpérer. Mais toute prudence paflive a fon terme; au-delà de ce terme elle devient crime; & ſon excès, qui dans tous les tems fit le triomphe des factieux, étoit avec grande raiſon condamné par une loi de Solon, laquelle déclaroit infâme tout citoyen qui, lorſqu'une grande diviſion éclateroit dans la Ré- publique Athénienne, s'opiniâtreroit à ne prendre aucun parti (+). N'eſt-ce pas au moment actuel, que l'application de cette loi à l'état de la France, proſcrit une inaction léthargique ? Si elle ſe pro- longe, l'Etat périt ſans reſſource; ſi elle ceffe par l'effet d'une courageuſe réſolution, l'Etat ſe relevera de ſes ruines, & bientôt la France con- noîtra encore le bonheur, . Mais à Dieu ne plaiſe que la réſolution dont j'entends parler, conduiſe jamais aux horreurs d'une (t) Plutarque, Vie de Solon, } 1. 1 [ 419 1 guerre inteſtine! A Dieu ne plaiſe qu'on m'attri- bue de vouloir exciter à la vengeance, les trois ou quatre cents mille citoyens qu'un fanatiſme inhu- main fouřié par des ſcélérats ou des viſionnaires, ſemble avoir dévoués aux fureurs du peuple! A Dieu ne plaiſe que parce qu'on a eu la coupable intention d'occaſionner dans le royaume la guerre de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont quelque choſe, j'aie celle de mettre en guerre ceux qui ont quelque choſe contre ceux qui n'ont rien. Ce que je défire au contraire, c'eſt d'éteindre à jamais ces funeſtes flambeaux de dif- corde, que des mains impies ont allumés aux qua- tre coins de la France, c'eſt d'y ſubftituer les ſeuls flambeaux de la raiſon. Je demande que tous ceux qui peuvent contribuer à éclairer le peuple, ne négligent aucun moyen d'y réuſſir; que chaque Grand, chaque Noble, chaque Eccléſiaſtique, , chaque Magiſtrat, chacun de ceux qui compoſent les premières claſſes de citoyens, aient ſoin d'effacer dans tous les eſprits, juſqu'au moindre foupçon de vouloir conſerver ou récupérer jamais aucune exemption d'impôt, aucune diſtinction déſavanta- geuſe au peuple, aucun des priviléges qu'ils ont facrifiés d'eux-mêmes & fans retour, à la cauſe publique. Je demande que tous répètent ſans ceſſe à la multitude qu’on abuſe, qu'il n'eſt pas vrai qu'ils aient des intérêts féparés des ſiens, qu'il n'eſt pas vrai qu'ils puiſſent ſonger à l'opprimer ; qu'ils n'ont jamais conteſté, & ne conteſteront jamais, [ 420 1 que tous les citoyens ne ſoient égaux, en ce qui concerne les loix, en ce qui concerne les contri- butions, en ce qui concerne les récompenfes dues au mérite ; que, loin d'être oppoſés au veu de la liberté, ils n'aſpirent qu'à ſes bienfaits, ils. veulent en jouir avec tout le public, & lui en aſſurer la jouiſſance ; que s'il y a des ennemis du peuple, des ennemis du bonheur général, ce ſont ceux-là ſeulement, qui portent par-tout la diſ- fention & le déſordre, qui font cauſe que per- ſonne ne ſe croit plus en ſureté en France, qui en écartent les étrangers en même tems, qu'ils en expatrient les propriétaires, & qui tariffent ainſi toutes les ſources de la ſubſiſtance, tous les alimens de l'induſtrie. Je voudrois que les Sei- gneurs le perſuadaſſent à leurs vaſſaux, les Paſteurs à leurs paroiſſiens, les Juges aux habitans de leur reſſort, & qu'avant d'en venir à d'autres meſures. pour le rétabliflement de l'ordre, il fût bien an- noncé, bien publié, bien connu, dans tout le Royaurne, que dans ce qu'on ſeroit forcé d'en- treprendre, on n'auroit en vue que de ſauver la. Nation des excès dont elle eſt elle-mêine miniſtre & victime, de lui conſerver la religion de ſes, pères, la monarchie de ſes pères, la gloire de ſes pères, & en même tems tous les avantages nou- veaux qu'elle peut prétendre avec juſtice & raiſon. C'eſt en employant de tels moyens pour ra- mener l'opinion, qu'on pourroit rendre la réclata 7 3 [ 4211 1 mation nationale fi notoire, fi fortement appuyée de la voix publique, qu'elle pût écarter toute idée de violence, & en détourner ceux qui ſemblent n'avoir armé le peuple que pour la défenſe de leurs fyftêmes chimériques. Mais fi les yeux ne ſe deſfilloient pas, fi tout eſpoir de nouvel examen éroit interdit, & fi dans cette malheureuſe conjoncture, ceux des Princes de la Maiſon de Bourbon qui font libres & pénétrés de leurs devoirs, fommoient tous les François fidèles, de ſe joindre à eux pour rendre au Roi fa liberté, à la force publique ſon reſſort, & à la Monarchie Françoiſe fon éclat, en déclarant que loin de vouloir aſſervir la Nation, ils viennent la ſecourir, & lui aſſurer tout ce qu'elle a témoigné déſirer, je ſoutiens qu'alors la loi de Solon impri- meroit une tache éternelle ſur tous ceux qu'une fauífe terreur ou une lâche apathie reciendroit dans l'inaction ; ſur tous ceux qui, voyant la Nation où elle n'eſt pas, & ne la voyant pas où elle eſt, aimeroient mieux s'abandonner à l'oppreſſion des Barilave, des Bouche, des Camus, des Lameth, des Petion, des Mirabeau, des Chapeliers, des Rabauds, des Grégoire, des Menou, des Robeſpierre, des Dua port, & de leurs ſemblables, que de retrouver ſous la bannière des Bourbons, la liberté, la ſureté, la tranquillité qu'une autorité légitime, tempérée par le juſte équilibre des pouvoirs, peut ſeule pro- curer. Pour moi, mon choix eſt fait; il l'étoit par (422) la loi de ma naiſſance ; il l'eſt par le ſerment de inon honneur, le ſeul que je connoiffe; & fi d'en remplir l'obligation eſt un crime, je me dénonce comme très-perſévéramment coupable. 1 F I N. : t N Ν Ο Τ Ε E S. : NOTE relative aux PÉTITIONS des Villes de NISMES & de MONTAUBAN. Rcrivoi de la Page 205. Les citoyens de Niſines, ainſi que ceux d’Uzès, ont été alarmés des dangers qui leur paroiſſoient réſulter de quelques décrets de l'Aſſemblée, relatifs à la Religion, & à l'autorité du Roi. Ils ont exprimé leurs craintes dans des pétitions adreſſées à l'Aſſemblée elle-même : l'une eft en date du 20 Avril 1790, l'autre eſt du-I' Juin fuivant Comme les repréſentations qu'elles renferment ont excité de grands débats dans l'Aſſemblée, & un violent orage contre les pétitionnaires, il eſt intéreſſant de les connoître en elles-mêmes, pour pouvoir juger ce qui dans leur ſtyle ou dans leur objet a pu choquer fi violemment les grands protecteurs de la liberté, & attirer leur animadverſion ſur les 4000 citoyens qui les avoient ſignées & ſoumiſes au jugement de l'Aſſemblée Nationale. Voici l'Acte du 1er Juin, qui explique les motifs du précédent, & ſur lequel l'attention a dû ſe fixer principalement. Son contenu mérite d'être cenſervé ; & je me perſuade que la lecture en ſera tou- į 424 ) jours très-intéreſſante, tant pour le fond des objets que pour la diction. “ L'an 1790, le premier Juin, les citoyens Catho- 66 liques de Niſmes, formant la très-grande majorité « des habitans de la dite ville, &c. déclarent, que s convaincus de la pureté de leurs motifs, ils ne “ croient pas s'être réduits à juſtifier leur pétition du 20 Ayril. Sont-ils donc les ſeuls à réclamer 56. dans ce moment le rétabliſſement de l'autorité « royale ? C'eſt le væu unanime de tous les bons • François. Il eſt. conſigné dans une infinité d'a- 66 dreſſes. Après avoir fait le tableau le plus affli- “ geant des inalheurs inouis dont elles ſont accablécs, “ différentes Municipalités repréſentent, que ſi l'au- torilé du Roi n'eſt inccffamment rétablie dans ſa pléni- “ tude, elles ne pourront regarder la liberté dont on les " flatte que comme le préſent le plus fatal. Pourroit-on « blâmer les citoyens de Nilmes d'avoir manifefté, " à l'exemple de Châlons-ſur-Marne, de tout le pays " de Cominges, des principales villes de l'Alſace, de « Toulouſe, d'Alby, de Montauban, de Lautrec, "s d’Alais, d'Uzès, & d'autres principales villes du " Languedoc, leur attachement pour la religion de " leurs pères, lorſqu'on la voit attaquée de toutes parts ? Leurs alarmes ne font que trop juſtifiées “ par les efforts redoublés d'une philoſophie abſurde, « impie & perſécutrice, qui ne craint pas aujourd'hui " d'enſeigner dans des catéchiſmes d'un nouveau genre, que la religion, les loix, le mariage, & les “ propriétés, font des inftitutions homicides & anti- « ſociales; qui provoque la loi du divorce, & l'affoi- « bliſſement de l'autorité paternelle, en voulant ôter aux pères la faculté de teiter ; qui proſtitue ſur le « théâtre les objets les plus facrés; & qui par des caria I I 425 * catures infâmes, expoſées par-tout aux yeux du peu- « ple, s'efforce d’exciter ſa fureur contre ceux que " juſqu'à préſent il avoit le plus reſpectés. 11 eft " permis, ſans doute, dans ces circonſtances, de défirer que la religion ramène les peuples, par ſa douce “ influence, à des ſentimens de paix & d'humanité. " C'eſt l'intérêt de tous, tant Catholiques que Non- 56 catholiques. " Les juſtes appréhenſions que l'anarchie fait naître, ne manifeſtent point le défir de maintenir les abus “ de l'ancien régime; ceux qui ont figné la pétition $6 furent les premiers à s'élever contre ces abus; « Si la monarchie n'eſt pas un vain nom, il a été ſans “ doute permis de rappeler que la religion & la fou- 46 miffion aux loix divines & humaines en étoient les $6 baſes les plus ſolides, & qu'il ne falloit pas con- « fondre la vrai liberté qui repoſe à l'ombre des loix, " avec une folle indépendance qui les méconnoît 66 toutes. 65. Si le pouvoir exécutif ſuprême n'eſt pas un attri- o but frivole, il a été auſſi permis de ſoupirer après. Ic “ rétabliſſement de cette prérogative de la royauté, de “ cette partie intégrante de la conftitution, dont « l'activité ne peut être plus long-tems ſuſpendue, fans « précipiter le royaume dans les plus horribles mala 6 heurs. 6 Non, rien n'cft plus inſtant que d'arrêter ces « maſſacres, ces brigandages, ces inſurrections popu- “ laires, ces entrepriſes combinées ſur les citadelles qui c défendoient nos ports . . ... rien n'eſt plus inſtant que d'arrêter ces querelles inteſtines, qui, tandis qu'on agitoit la grande queſtion, fi le Roi ou la 0 [ 426 1 Nation ont le droit de la guerre & de la paix, " portoient une ville à ſe l'arroger, & déclarer la guerre à une autre ville, en vertu des pactes fédé- ratifs indiſcrètement jurés. « Des pactes fédératifs ! & peut-il en exiſter d'au- tres pour des François, que la loi, le patriotiſme, " & le Roi? L'honneur & la royauté, voilà leur véri- « table ralliennent; voilà, dans une monarchie, l'unique 66 baſe de toute fédération. 2 « Tout pacte fédératif entre quelques claſſes de s citoyens eft une vraie ſciſſion, un arnement, une 66 déclaration de guerre contre toutes les autres claſſes " qui peuvent ſe croire en droit des mêmes précau: 66 tions. « Ces pactes fédératifs, l'identité de leurs cauſes « & de leurs prétextes, rappellent ces déplorables "i circonſtances qui enfantèrent, ſous les règnes de “ Henri III & de Henri IV, l'exécrable confédération « de la Ligue, & qui virent 'naître ces luttes ſanglantes s6 entre les deux religions, entre les factions & la « > royauté. “ Bientôt, n'en doutons pas, des confédérations de " brigands menaceront toutes les propriétés : bientôt os le Clergé, la Nobleſſe, la Magiſtrature; & les gens 66 de bien, ne trouveront plus de réfuge contre les “ fureurs d’un peuple égaré. Bientôt le débande- só ment des troupes livrera les provinces aux mêmès « déſordres dont fut ſuivie la malheureuſe journée de « Poitiers, qui laiſſa le royaume ſans chef. Bientôt « des bandes de ruftres, transformés en bêtes féroces; '“ jureront d'exterminer les Gentilshommes; & notre 6 hiſtoire + [427] « hiſtoire ſera fouillée une feconde fois, des cruautés “ inouies que les Jacques & les Malandins exercèrent “ pendant la captivité du Roi Jean. Tels ſont les « déſaſtres qu'il eſt permis d'appréhender, qu'il eſt • inſtant de prévenir, & dont la puiſſance du Roi peut e feule nous garantir. 1 « Qui ne ſeroit frappé & effrayé de l'étonnante 56 concordance de tous les ſoulèvemens excités prefque "bien même tems dans nos places frontières maritimes, " & dans tant d'autres villes de l'intérieur du royaume, “ au moment où l'Angleterre & l'Eſpagne font des armemens formidables ! ! 60 «. Voudroit-on faire un crime aux Catholiques de 6 Niſmes, de leur affection pour leur Roi! mais quel es eſt le vrai François en qui cet amour ſoit éteint ? “ Enfin, voudroit-on regarder comme une coalition « les envois de leur pétition aux municipalités du " royaume? La publicité de cette démarche en “ garantit la loyauté. C'eſt dans les ténèbres, c'eſt “ par des correſpondances ſecrettes avec des perſonnes sc d'un même parti, qu'on ourdit des coalitions, & qu'on “ entretient de coupables intelligences. Mais peut- on donner ce nom, & prêter ces vueș, aux envois preſcrits par la pétition même, & faits publiquement 66 à des corps legalement conſtitués, ?-L'objet de ces " envois n'eſt pas équivoque : ce n'eſt point l'abſurde “ projet d'opérer une contre-révolution; c'eſt le défir ☆ clairement exprimé de confommer la révolution, de “ fortir de cette anarchie qui menace la patrie d'une " combuſtion générale, de conſolider la conftitution, “ d'ôter tout prétexte d'y porter atteinte, de hâter « le moment où la France reconnoiffante pourra joui 46 de tous les bienfaits de l'Affemblée Nationale," GS + 1 [ 428 ] Ces dernières paroles ſont fort remarquables ; elles. forment une apologie complette des intentions de ces 4000 citoyens que le Comité des Recherches, par l'or- gane de ſon rapporteur, M. Macaie, a dénoncés. comme livrés à des excès de démence, comme une foule. egarée dont les actes monſtrueux & les attentats ont réveillé la follicitude, &.... Quels ſont-ils donc ces attentats ? M. Alexandre de Lameth les a caractériſés en ces termes proférés avec indignation. Meſſieurs, a-t-il dit, les ſoi-diſans Catholiques de Niſmes (cette expreſfion de ſoi-diſans Catholiques a paru fingu- lière) vous engagent à rendre au Roi la plénitude de l'aum torite royale . Que demandent-ils encore! La réviſion, des décrets depuis la fin du mois de Septembre. Vous voyez, Melieurs, l'intention coupable de cette demande; elle ne tend rien moins qu'à vouloir faire croire que le Roi & l’Aſemblée n'ont pas été libres à Paris depuis cette époque ..... Dans un autre endroit, rappelant la première pétition, datée du 20 Avril, il dit: On n'auroit pas dû s'attendre fans doute qu'elle feroit fuivie d'une ſeconde délibération dictée par le même eſprit, & encore moins que cette délibération trouve- roit des défenſeurs au ſein même de l'Aſcmblée. 1 Ainſi, tandis qu'il eſt reconnu unanimement que les accuſés des plus grands crimes ne doivent jamais être privés de défenſeurs, & qu'une des plus excellentes ré- forines qu’ait paru exiger notre code criminel, a été d'aſſurer à tous la poffibilité d'en avoir, un Membre de l'Aſſemblée s'étonne que ceux qui oſent faire des re- montrances ſur ſes décrets, & les croire ſuſceptibles de réviſión, puiſſent trouver des défenſeurs, + 1 429 ] Ils en ont eu cependant de très-dignes, & de très- énergiques. Le langage noble &' fier de la liberté, a dit M. l'Evêque de Niſmes, vous honore davantage qu'une aveugle ſoumiffion. Pourquoi les applaudiſſemens qu'on pros digue aux adreſes d'adhéſions; ſi l'on condamne celles des repré- fentations? Sous quel rapport, s'eſt écrié M. Ma- louet, les citoyens de Niſmes & d'Uzès pourroient-ils donc étre inculpés par le Corps légiſlatif? Ont-ils réfifté à la loi ? Ont-ils provoqué quelque infurreétion? Ont-ils attenté aux droits, à la fureté de leurs concitoyens non-catholiques ? Ils n'ont rien fait de tout cela. Ce font leurs adreſes qui vous font dénoncées ; & la phraſe textuelle de ces ailes, ainſi que le droit de pétition, font conformes à la conſtitution. Si cela n'é-, toit pas, loin de la liberté à laquelle nous prétendons tous, nous ſerions dans les fers. A Nous y ſommes donc dans les fers ; car l'Aſſemblée n'a eu aucun égard à ces judicieuſes réflexions. Incon- ſéquente à tout ce qu'elle a dit dans ſa déclaration des droits de l'homme, ſur la liberté de penſer & de publier ſes penſées, elle a proſcrit & puni l'uſage du droit qu'a tout citoyen de remontrer le tort qu'il ſouffre, ou qu'il craint; droit facré & naturel, dont les deſa potes n'empêchent pas toujours l'exercice, & dont ils n'oſent jamais, conteſter le principe. Inconſé- quente aux règles qu'elle a adoptées pour l'ordre judia ciaire, elle a pris en conſidération & admis pour baſe d'une information, une délation anonyme que le Coa inité des Recherches, fidèle à ſon objet, n'a pas rougi de lui préſenter; & quand un Magiſtrat inſtruit des règles (M. d’Eſpréinenil) lui a repréſenté vivement que les délations'anonymes ne pouvoient être produites que par des fripons & acceptées que par des tyrans, elle a préféré l'avis d'un autre opinant (M. de Mira- beau), qui n'a point héſité à établir que le Comité des 1 G&2 [ 430 ] 3 Recherches ne pouvoit être ſoumis aux formes méthodiques d'un tribunal ordinaire'; c'eſt-à-dire qu'il devoit uſer du pri- vilège abominable des inquiſitions.. Enfin, inconfé- quente à ſon décret portant que le pouvoir judiciaire 12e peut en aucun cas être exercé par le Corps légiſlatif, elle a dans cette occaſion, comme dans bien d'autres, prononce judiciairement, & ſon décret porte, que les fignataires des déclarations de Nifmes & d'Uzès feront mandés à la barre, afin d'y rendre compte de leur conduite, & que juſqu'à ce qu'ils aient obéi au décret, elle les prive des droits attachés à la qualité de citoyen actif ; qu'au ſurplus, le Préſident ſe retirerà par-devers le Roi, pour fupplier Sa Majeſté d'ordonner l'information des faits dénoncés au Comité des Recherches, par-devant le Préfidiaļ de Niſmes, Tout étonné, pour ne pas dire tout indigné dans ce jugement, le Corps légiſlatif juge des droits des citoyens, interdit proviſoirement ceux qu'il fait comparoître, & punit ainſi ſans compétence, ſans motif, ſans inſtruction, des milliers de citoyens que des repréſentations quel conques adreſſées à l'Affemblée ne deyoient en aucun cas faire trouver criminelle ! Faut-il rapprocher cette condamnation pour objet de remontrances, du renvoi d’accuſation qui vient d'être prononcée, avant que la procédure, commencée ſur un crime capital & atroce au premier chef ait été réglée à l'extraordinaire, quoique les charges fuffent très-graves ? Je ne conſidère que la forme ;. & encore yaut-il mieux s'abſtenir de toutes réflexions ſur un gbjet qui en a fait faire beaucoup à tout le publịcą . 1 [ 431 1 Note ſur les EMPRISONNEMENS ILLÉGAUX. Renvoi de la page 207 } LORSQUE j'ai annoncé une note ſur les empri- Connemens illégaux, je me propofois de faire voir, par le relevé que je me ſuis procuré dès lettres-de- cachet expédiées pour détention à la Baſtille depuis que le Roi eſt inonté ſur le trône, qu'il y a eu moins de ces ordres extra-judiciaire's pendant cet eſpace de 15 ans que pendant les 15 mois de la durée de l’Af- ſemblée. Mais je me contente d'affirmer le fait, fans aucune énumération ; parce qu'il m'eſt tombé en mains un ouvrage imprimé, qui a déjà deux volumes, & que l'on continue, dans lequel je préſuine qu'on trouvera plus de détails que je n'en pourrois & vou- drois donner ſur ce triſte ſujet; Le titre ſeul de ce livre ſuffit pour me les épargner, & donne une baſe de comparaiſon beaucoup plus étendue que la inienne, puiſqu'elle remonte juſqu'en 1475, & deſcend juſqu'à nos jours. En voici la ţeneur Mémoires hiſtoriques & authentiques ſur la Baſtille, dans une fuite de près de trois cents empriſonnemens, détaillés & conftatés par des pièces, notes, lettres, rapports, procès-verbaux, trouvés dans cette forte- reſè, Ég rangés par époque, depuis 147:5. juſqu'à nos jours, avec une planche. (Format in-410, je trouve à Paris, chez Büiffon, Libraire). $ Ainſi, par une récapitulation formée ſur pièces au- thentiques, & dont il eſt aiſé de voir que l'intention feroit plutôt ſuſpecte d'exaggeration que de réticence, on a trouvé moins de 300 empriſonnemens dans un eſpace de 315 années, dont le cours řenferine les téms les plus orageux de la monarchie, les guerres civiles, les diſputes de religion, principales ſources des ordres Gg3 1 [ 432 ] illégaux, les règnes & les miniſtères à qui l'on a le plus reproché les abus de pouvoir & les actes deſpo- tiques. A préſent, ne croira-t-on pas ſans peine que fi ſur les trois ſiècles & plus qu'embraſſe l'ouvrage qu'on donne au public en trois volumes, on retran- choit les criſes d'oppreſſion qu'ont attirées les Médicis, les Richelieu, les Mazarin, & les Le Tellier, dans le ſurplus compoſant un ſiècle & demi, on ne trouveroit guère plus d'emprisonnemens par ordre du Souverain qu'il n'y en a eu depuis un an & demi par ordre de l'Aſſemblée, ou par les Camités des Recherches & les Municipalités qu'elle dirige, Il eſt aiſé de ſentir quelle force acquiert cette induce tion, en l'appliquant au gouvernement le plus doux & le plus modéré qu'il y ait jamais eu. Non, jamais la France n'eut moins de ſujet de ſe plaindre d'oppreſ- fion que depuis ces 15 années qu'elle a pour monarque un Prince à qui certainement on ne ſauroit imputer l'avoir l'aine d'un deſpote, & qui n'a ſouffert auprès de lui, du moins juſqu'en 1788, aucun Miniſtre re- prochable en ce genre. Qu'on s'arrête un moment ſur la réflexion que cela fait naître; & qu'on ſonge que la même Nation qui trembloit en ſilence ſous le barbare Louis XI, qui a pu ſouffrir ſous Charles IX les horreușs de la St. Barthelémi, qui frériffoit de la crainte de déplaire à l'implacable Richelieu, qui ram: poit aux pieds de Louis XIV & le déifioit, qui même ſous le dernier règne a vu des maîtreſſes ſurprendre d'un Roi humain des ordres tels que ceux qui ont fait vieillir les De la Tude, les De Lorgęs, dans les horreurs de la Baſtille, c'eſt cette même Nation .qui, lorſqu’eļle n'a plus vu ſur le trône, ni autour du trône, la moindre apparence de dureté tyrannique, s'eſt laiſſé échạuffer.& exaſpérer par ce débordement de décla: A 1 + [ 433 ] mations ſur le deſpotiſme, deſquelles l'excès toujours blamable en lui-même devient criminellement calom- nieux lorſqu'il ſe rapporte au règne actuel. 1 A Note ſur les OPINIONS des NATIONS ETRANGÈRes. Renvoi de la page 3 12. J'AVOIS annoncé une note ſur l'opinion qu'ont les Pays Etrangers de notre Révolution, de ſes prin- cipes & de ſes conſéquences : je me propofois de rap; porter les extraits que j'ai recueillis de ce qui a été imprimé à ce ſujet dans les papiers-nouvelles & ga. zettes des différentes Dominations de l'Europe ; mais pendant le tems que j'ai employé à compoſer l'ouvrage entier, l'opinion générale s'eſt manifefiée de tant de manières, & de toutes parts il s'eſt élevé tant de voix . atteſtantes l'improbation que les hommes ſenſés de toutes les Nations donnent à ce que font les Repré- fentans de la nôtre ; il eſt devenu fi conftant que ce qu'ils croient admiré de tout le monde, n’excite que dériſion ou commiſération, qu'il me paroît aujourd'hui qu'il ſeroit ſuperflu & déplacé de faire aucune citation pour établir un point de fait qui rejette tous les doutes ſur ſa propre notoriété, Note ſur l'Appendix annoncé page 279. EN lifant dans le rapport de M. Caius, ſur les pen- fions, le chapitre relatif à ce qu'il appelle les intrigues les plus compliquées en genre de profufions & de libé- GS4 I [ 434 1 1 1 i ralités blâmables, j'ai d'abord été extrêmement choqué de lui voir rapporter pour exemple, pluſieurs traits appartenans à mon adminiſtration, qu'il a défigurés, cités à contre-fens, & traveſtis méchamment, ou par mal-entendu, à un tel point, qu'il m'avoit paru que je ne devois pas ſouffrir que ce nouveau genre d'attaque indirecte pût faire impreſſion fur le public inattentif ou mal-informé. Les notes marginales que j'ai inſ- crites à côté de chaque article, m'ont paru ne laiſſer aucun doute, & être très-propres à prouver que la plupart des inculpations qu'on haſarde hardiment, fans contradicteurs, ſur des faits qu'on n'a point approfon- dis, & à l'égard deſquels on n'a que des notions très- imparfaites, fe diffipent facilement par l'éclairciſſement toujours favorable à la vérité, & qu'elles n'ont que l'in- convénient, qui eft, je l'avoue, très-confidérable, de cominencer par préoccuper les eſprits ayides de croire le mal, & pareſſeux à ſuivre des diſcuſſions apologéti- ques. Mais reprendre en détail chacun de ces faits, dont aucun en particulier ne préſente une importance intéreſſante, ce feroit, à la ſuite des objets majeurs dont je viens de m'occuper, riſquer de refroidir, & excéder tous les eſprits ; j'ai ſenti, en l'entreprenant, un tel dégoût pour cette petite guerre, où les reproches com- battent les 'reproches, & où la dénégation ne peut fe faire ſans amertume, que je me ſuis déterminé à n'op- poſer à toutes les allégations critiques de ce M. Camus, qu'une ſeule obſervation, qui répond à la plus grande partie des ſiennes, & qui confifte à ſoutenir, en m'en- gageant de le prouyer, fi beſoin eft, que pour groffir l'évaluation des retranchemens économiques, qu'il a étalés aux yeux de l'Aſſemblée & du Public, il a mis ſur le compte des profuſions & des dépenſes onéreuſes à l'Etat, pluſieurs rentes & penfions, concédées par forme dle rachat d'objets de plus grande valeur, & qui con+ [ 435 ] 1 Céquemment ont produit du bénéfice, plutôt que de la perte. De ce nombre font tous les arrangemens relatifs à la repriſe des domaines qui avoient été concédés en Normandie. Tant pis pour M.Camus, s'il n'a pas vou- lu, ou n'a pas pu ſe convaincre que toute cette opération, faite avec beaucoup de foïn, d'après les rapports, très- dignes de confiance, de M. Vulpian, eſt économique & profitable pour l'Etat. . Sa cenſure eft donc très- déplacée, & elle l'eſt également ſur tous les autres ar- ticles moins conſidérables, qu'il ſemble avoir pris au haſard pour exemple, tandis qu'en réalité c'eſt le ſtérile produit de ſes plus grands efforts pour trouver redire. ' . AVERTISSEMENT. Cet Avertiffe- CÉs Mémoires n'ont été faits que pour les Notables ; ment étoit à la ils n'ont d'abord été remis qu'à eux, & pour eux ſeuls. tion des Mémoi. Il étoit juſte que l'expoſé des vues ſur leſquelles le Roi res préſentés à a demandé leurs obſervations, fût réſervé à leur examen Notables en Mars avant d'être livré à la connoiſſance du Public, & qu'ils 1787 puffent former tranquillement leurs avis dans l'intérieur des bureaux, ſans être prévenus ni troublés par les opinions du dehors. а. l'Aſſemblée des Mais il s'eſt répandu des bruits, des ſuppoſitions, capables d'induire le peuple en erreur: il eſt donc néceſſaire de l'inſtruire des véritables intentions du Roi; il eſt tems de lui apprendre le bien que Sa Majeſté veut lui faire, & de diffiper les inquiétudes, qu'on a voulu lui inſpirer. On a parlé d'augmentation d'impôt, comme s'il devoit y en avoir de nouveaux: il n'en eſt pas queſ- tion. C'eſt par la ſeule réformation des abus, c'eſt par une perception plus exacte des impôts actuels que le Roi veut augmenter ſes revenus autant que les beſoins de l'Etat l'exigent, & ſoulager ſes ſujets autant que les circonſtances peuvent le permettre. Mais, dit-on, la Subvention territoriale équivaudra à quatre vingtièmes ? Quant au produit, cela peut être; il eſt tellement. altéré aujourd'hui par d'injuſtes exceptions, qu'il pourra doubler par leur ſuppreſſion, [ 43 ] Mais quant à la quotité, la Subvention territoriale n'eft, & ne doit être, que le remplacement exact des deux vingtièmes qui exiftent aujourd'hui. Le nom eſt indifférent quand la choſe n'eſt pas changée ; & ce n'eſt pas la changer, que d'en écarter les abus. Il y a deux vérités conftantes, & qu'on ne ſauroit nier : l'une, qu'il eſt déſirable.pour tout le monde que l'équilibre entre les recettes & les dépenſes de l'Etat ſoit proinptement rétabli ; puiſqué de-là dépendent l'exactitude des paiemens, l'ordre économique, & la tranquillité générale; l'autre, que pour parvenir à ce but, Sa Majeſté n'employera que des moyens fondés ſur la juſtice diſtributive, & qui, loin d'être onéreux au people, tendent tous à l'allégement des contribuables les moins aiſés. C'eſt ce que fera voir la lecture des Mémoires donnés pour les deux premières Diviſions du Plan général, & c'eſt ce que manifeſteront également ceux qui doivent fuivre. On y reconnoîtra que les projets 'adoptés par Sa Majeſté, font tous projets ſanctionnés depuis long-tems par le Public, Des Aſſemblées provinciales, compoſées des repré- fentans de tous les propriétaires, pour faire les rôles & l'aſſiette des contributions ; Une répartition proportionnelle de l'impôt territo- rial, ſur tous les fonds fans exception quelconque ; A Le rembourſement des dettes du Clergé, pour qu'il puille contribuer, comme tous les autres ſujets du Roi, aux charges publiques; : £ £ 438 ] 1 Un ſoulagement proviſoire ſur la taille, en attendant que les Aſſemblées provinciales puiſſent préſenter la poſſibilité d'en accorder de plus grands ; L'abolition de la corvée en nature; L'entière liberté du commerce des grains ; L'affranchiſſement abſolu de la circulation intérieure par le reculement des barrières, & par la ſuppreffion d'une infinité de droits onéreux au commerce ; tels que Ceux de la marque des fers ; 1 Ceux ſur la fabrication des huiles ; : Ceux ſur les boiſſons, perçus au paſſage d'une proe. vince dans l'autre; rico. L'anéantiſſement d'une forle d'entrave's nuifibles à la navigation & à la pêche; . Enfin, une diminution ſur le prix du fel dans les pro- vinces où il eft exceffivement cher; des facilités pour en étendre la conſommation, & l'intention marquée d'adoucir la rigueur de la gabelle ; Toutes ces vues, qui ont été développées aux Nota- bles aſſemblés par les ordres du Roi, étoient indiquées par le veu national, 1 Le ſurplus, c'eſt-à-dire ce que Sa Majeſté ſe pro- poſe pour l'emploi de ſes domaines & l'amélioration de fes forêts, objets de la troiſième Diviſion, n'a égale- ment pour but que le bien public. La quatrième Diviſion, qui complettera tout l'en, ſemble, & qui préſentera le réſumé de tout ce qui [ 439 ] doit bonifier les revenus & diminuer la dépenſe, n'of- frira de même qu'une perſpećtive avantageuſe aux yeux de tout citoyen éclairé, qui fait, que ce qui eſt néceſ- faire pour le falut de l'Etat, l'eſt auſſi pour le bonheur de chaque individu, & qu'il n'y a point de fortune en sûreté, quand il n'y a point d'ordre dans les finances publiques. Au total, le réſultat des inoyens propoſés doit être qu'enfin le niveau exiſtera entre les recettes & les dépenſes ; & qu'en même tems il y aura trente millions de ſoulagement pour le peuple, ſans y comprendre la fuppreſſion du troiſième vingtième. Quelles difficultés peuvent entrer en balance avec de tels avantages ? Quels pourroient être les prétextes d'inquiétudes? 1 On payera plus !... Sans doute: mais qui? Ceux- là ſeulement qui ne payoient pas aſſez; ils payeront ce qu'ils doivent ſuivant une jufte proportion, & perſonne ne ſerá grevé. Des priviléges feront facrifiés !.... Qui : la juſtice le veut, le beſoin l'exige. Vaudroit-il mieux ſurchar, ger encore les non-privilégiés, le peuple ? Il y aura de grandes réclamations!.... On s'y eſt attendu. Peut-on faire le bien général fans froiſſer quelques intérêts particuliers ? Reforme-t-on ſans qu'il y ait des plaintes : Mais la voix du patriotiſme, mais le ſentiment dû- au Souverain qui concerte avec ſa Nation les moyens d'aſſurer la tranquillité publique, mais l'honneur.. l'honneur ſi puiſſant au cậur des François, : 3 [ 440 ] peut-on douter qu'ils ne l'emportent enfin ſur toute autre conſidération ? Déjà les premiers Ordres de l'Etat ont reconnu que la contribution territoriale devoit s'étendre fur toutes les terres, ſans aucune exception, & en propor- tion de leurs produits. Déjà ils ont offert de ſacrifier, pour le foulagement du peuple, des exemptions perſonnelles que le Roi avoit trouvé juſte de leur accorder. Déjà l'Aſſemblée a fait éclater la reconnoiffance ſur les vues annoncées par Sa Majeſté. Ce ſeroit à tort que des doutes raiſonnables, des obſervations dictées par le zèle, des expreſſions d'une noble franchiſe, feroient naître l'idée d'une oppoſition malévole; ce feroit faire injure à la Nation, & ne là pas connoître, que de n'être pas aſſuré que ſon vou conf . pirera avec celui d'un Roi qu'elle chérit, & qu'elle voit aniiné du ſeul défir de rendre ſes peuples heureux., i Voilà l'écrit que l'envie de me perdre fit traiter d'incendiaire, ſans que jamais la vérité de l'expoſé ait été contredite. Ori a trouvé que je n'y parlois pas avec aſſez de ménagement des privilégiés ; & pour les appaiſer, on m'a facrifié. Si j'avois fait répandre de l'argent pour exciter le peuple contre les oppoſans, j'aurois eu grand tort; mais ce tort eût peut-être épargné bien des maux. UNIVERSITY OF MICHIGAN BOUND 39015067005499 SEP 15 1943 *'* UNIV. OF MICH. LIBRARY A BUHR பார்ப்பார்ப்பயய்யா பார்பரர்பரளரரரரரயாபார 23901501808034 45 ... 44