L Ft ~~~~y1%~~~~~~~~~~~~~5~~~~~~~:~~J ~~~~~~~~~psl~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ _, TE LIBRAR - Y OF THE Uinutersitym of JMiohgan. 'f.:ac,/ KtC/^ _ c - ----- --------- ----- i^; --- ------------ 1 81 ~ ~ Fl;~~r ~ ~ Fl;~~r FRENCH READER, 9~ji. '-~ FOR THE USE OF COLLEGES AND SCHP40LS. CONT~AINING A GRADUATED SELECTION FROM MODERN AUTROR"S, IN PROSE AND VERSE; AND COPIOUS NOTES, CHIEFLY ETYMOLOGICAt. BY EDWARD A. OPPEN, Professor of Modern Languages at Haileybury College. MACMILLAN AND CO., M DCCC LXIV. PREFACE. To have had the courage to add yet another " FRENCH READER" to the number already existing deserves a word, if not of excuse, yet of explanation. I found that among my pupils but few had any idea of Etymology; a fact perhaps not to be wondered at, if one takes into consideration how greatly the study has been neglected even in France, how little even the best educated of teachers have occupied themselves with it, and how faulty the larger French Dictionaries, especially Bescherelle, are in this respect. This want, and such I conceive it to be, I have endeavoured to satisfy; beyond the merest elements, the space allotted to the notes did not permit me to go. The Celtic derivations I have treated but scantily, as they are more or less out of the pale of the necessary notes, and I have only here and there given striking instances of the connection of modern French and Gaelic and Welsh. Two or three passages from older writers have been retahned, more with a view to point out to the intelligent pupil the changes which the language has undergone even from a comparatively recent date. For the accuracy of the c READER" itself I am indebted to Mons. E. Clavequin, B.A., of Cheltenham College, and to Cormell Price, Esq. of Haileybury College, for many valuable suggestions and actual help. E. A. OPPEN. HAILEYBURY COLLEGE, Oct. 1864. Ul TABLE DE MATIERES. PAGE i. Le Lion et le Rat..la Fontaine I 2. Le Manant et l'Oie aux ceufs dor. 3. La Laitibre et le Pot an Lait 2 4. L'Huitre et les Plaideurs..2 S. Le Charlatan.nn 6. L'Horwme an Masqne de Fer Voltaire 3 7. Gil Bias transforrn6 en MWdecin Le, Sage 5 8. Histoires Persanes..Abbe' Gaudin 7 9. Fr~dddic II. Roi de Prnsse... no... 8 iao. Anecdotes snr le Czar Pierre le Grand' Voltaire 9 i i. La Conspiration des Str6litz atI 1 2. Le Cheval de I'Arabe Ao.1 i3-16. Lettres Persanes..Montesquieu 14-18 a 7. Navigation snr la Glace...Ancelot. aS ic8. Alfred le Grand....Giiot.9 19. Le Cabinet de Richelienu De Vignsy.20 20. Lonis XIII. et Richelien.....26 21i. L'Oncle d'Am6riqne.Souvestsre.30:22. La Peste de Florence.Sismondi.39 23. Robin Hood. lsierry.43 24. Procbs de Charles I. Gzizot.48:25. Ex~cntion de Charles I. $.6 26. Marie-Antoinette.Capefique.58 27. Lonis XIV. bt Versailles....n...6 28. Bataille de Hastings.Tihierry...66 29. Conronnement de Gnillaume le Conqndrant 9..68 30. Bataille de Magenta.Aelsard..7' 3 i. Napoldon I. hs Ste. H41bne...P. Fdval..74 32. Sitnation de Joseph hs Madrid nes7 33. Abdication de Lonis-Philippe...Lamartine..83 vi TABLEDE MATFIERES. PAGE 34. Frangois I. et.Charles V... o...9' 35. Le Chiteau d'If....95 36. La Garde Noire....Hal 141 37. Combat d'Um Gladiateur contre un Tigre A. Ciraud..146 38. Chasse au Lion en Afrique Jules Oerard.149 39. Chasses dans l'Inde... Trad. de l'Asglais. -154 40. Le Massacre de la St. Bartlidlemy Mdrime usa 163 41. La Faindantise....Montaigne 172 42. Etudes philosophiques sur Cath. de Midicis De Baizac.I 174 43. Da l'Esprit Chagrin... La Bruyere,..I77 44. La Valeur... La Roehefoucauld. 78 45. Assassinat du-Comte Rossi Mignet.. 46. Mort de SchillerAn. i 47. Cour d'Anglaterre en 1547 Carloix 1 84 48. La Soldat Britannique A. Esquiros. 86 49. Dicouverte des Trois Ocians Miehelet.89 5o. Diner Australien... P. F/deal.9. 5.x. Les Volontaires de 1803 A. Esquiros..199 52. Las Chouans... De Baizac..209 53. Hadrian... Comte de Ckauqaagny.21 2 54. Les Libertds de l'Empire Romain.217 55. Marc-Aurble 2 22! POETRY. 56. Le Coq et la Perle..La Fontaine...224 57. La Chien qui l~che sa Proie pour l'Ombre 224. 58. Le Rat de Villa at le Rat des Champs....225 59. La Pardrix et les Coqs 2 26 6o. La Fleur at le Papillon V 1. Hugo...226 6i. Espoir enDieu......227 62. La Tombe at la Rose......227 63. Ode... Ronsard 2 228 64. Avril...Belleau...228 6s. La Cor... De Vligug.y 230 66. Las Etoilas qui filant..Bdranger...231 67. Mort da Jeanne d'Arc..C. Delavigne... 233 68. La Retraite... Lamartine... 235 TABLE DE MATIERES. vii PAGE 69. Ode h Lord Byron... amartine.. 237 70. Rappelle-toi.. De Musset.. 237 7I. Le vieux Drapeau..... Beranger.. 238 72. Les Hirondelles....... 239 73. Vers....... A. Cnier.. 241 74. La Frdgate la Srieuse. A. de Tigny.. 241 75. Napoldon dans sa Tent.. C. Delavigne. 245 76. Mazeppa.V. Hugo.. 246 DRAMA. 77. Les Ressources de Quinola.e Balac... 249 78. Le Secret de la Confession.. Anonye.. 256 79. Le Bourgeois Gentilhomme... lire...26 So. Le Charlatanisme..... crbe.. 269 81. Pompde...... Corneille.. 296 82. Iphigdnie en Aulide..... Racine.. 296 83. Phbdre.......... 298 ERRATA. Page i, line 7. ' ddbarrasser' instead of I'ddbarasser.' 55, 7. ' pas' instead of'I par:' 26, 2n. ' vigoureux ' instead of'I vigoreux.' 6o, 34. 'douairii'res' instead of 'douarie'res.' 99, 5. ' enflure 'instead of ' enfleure.' 597, 2. ' hangar ' instead of ' hungar.' 243, 4. ' pas' instead of ' par.' PREMIERE PARTIE. x. Le Lion el le Ral. UN lion dormait, ~ I'ombre d'un arbre. UIn rat monta 6tourdiment suir son corps, et le rdvei'lla. Le lion 1'ayant-attraps, le pauvre malheureux avoua d'abord son imprudence, et luii en demanda pardon. Le roi des-animaux ne voulut point se ddshonorer,,en le tuant; mais,,,l lui donna la vie, et le laissa aller. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelque temps~apr~s, le lion tomnba dans des filets; et ne pouvant s'en d~barasser, il remplissait la for& de ses rugissernents. Le rat accourut, et reconnaissant son bienfaiteur, il rongea les mailles des filets, et d~livra ainsi le lion. Ne puni'ssez pas,,une petite faute, meme si vous, le pouvez; la cl~mence soumet les cceurs les plusinsensibles: observez aussi, que la patience et I'assiduit6 du rat accomplirent. plus que Ia col~re et la violence du lion. 2. Le Mfanani el t Oie auxjeufs d'or. Un manant avaitjine oie qui luii pondait tous, les jours unceuf d'or. II crut follement qu'il y avait dans le ventre de cette oie une mine de ce pr~cieux nmdtal, et il la tua pour s.'enrichir tout d'un coup. Mais quelle fut sa surprise quand, B3 2 F~~IVRENCH READER. 2 ayant.,ouvert son-~oie, il trouva, seulement, au lieu d'or, ce qu'il yadans les,.,oies,,ordinaires. II pDerdit par sa convoitise des richesses mddiocres, pour avoir voulu obtenir tout d'un coup d'immenses tr6sors. Mod~rez vos d6sirs: car bien souvent,,on perd tout, quand,.on veut trop avoir. 3. La Lai/zre et le Pot (au Lail. Une laiti~re s'en,.allait.,~ la yulle avec son pot..au lait sur la tate. Elle marchait)., g-rands pas, et comptait d6jk dans sa pens~e l'argent qu'elle ferait de son lait. Comment l'emploieraije pour le mieux? disait-elle. J'aurai certainement bien une pike de trente sous de mon lait. J'en,,acheterai d'abord des-ceufs; ces-ceufs me feront des poulets, que j'6leverai. La petite cour de notre maison est tout,,-~-fait commode pour cela; mes poulets,,y seronten sfiretd. En vendant mes poulets, j'aurai de quoi avoir une truie, qui me fera des petits cochons. Les cochons ne cotitent presque rien h engraisser, et j'en vendrai bien le lard. Aprbs cela, pourquoi n'acheterais-je pas~une vache? J'aurais,.assez d'argent pour cela. La vache me fera un veau. Quel plaisir de voir sauter le veau dans la prairie!I Lh-dessus la laiti~re sauta aussi de joie: le pot,,au lait toniba; et toute sa fortune fut r6pandue avec le lait. 4. L'Huzd/re et les Plaideurs. Un jour que deux~honunes voyageaient sur le bord de la mer, ils trouvbrent,,une huitre. Tous deux voulaient l'avoir. L'un se baissait d6j'a pour la ramasser; l'autre le poussa, en disant, 11 faut voir qui l'aura; elle appartient de droit,., celui qui l'a vune le premier. Sur ce pied-l'a, dit l'autre, je dois done l'avoir, car c'est mdi qui vous l'ai montr~e. Oh, j'ai de bons,.yeux, Dieu merci, reprit le premier; j'ai bien vui quelque chose de loin, et m~me je pensais que ce pouvait,,tre mune hui'tre. Pendant qu'ils disputanient, arrive le procureur dfun village voisin: nos voyageurs le prennent pour juge. Notre juge 6coute attentivement les parties; il ouvre gravement l'huitre, et la gobe. Puis leur pr~sentant~h chacun une 6caiile: L'huitre 6tait bonne, messieurs, leur. dit-il; allez, vivez,.en paix. FRENCH REA DER. ~.Le Charlatan. Un voyageur blien v~tu entra un dimanche au soir dans-un cabaret de village, o~i il s~ fit,~donner une poularc et une bou.teille du meilleur yin. A peine eut-il ports le premier morceau a sa bouche, qu'il se mit*~ g~mir d'une' mani~re pitoyable, se disant tourment6'depuis quinze jours, d'unhorrible mal de dents. Tous les, paysans qui se trouvaient 1h, lui t6moignerent-une grande compassion. 6A. Quelques,,,nstants~aprbs survint un~empirique, qui s'6tant~assis. dans~un coin, demanda un verre N'au-de-vie. Lorsqu'on!F1eut-. informs de l'indisposition de I'6tranger, il~assura. qu'il-y apporterait bon remeade. II tira de sa cassette un petit morceau de papier dor6, artistement pli6, l'ouvrit, et dit: "1Monsieur, vous, n'lavez qu'% mouiller le bout du doigt, et apr~s 1'avoir tremp6 dans, la poudre que voici, vous l'appliquerez sur la dent." L'6tranger ayant fait ce qui lui avait_6t6 prescrit, s'e'cria aussitokt: " Dieu! quel bien-6tre subit j'6prouve I toute douleur s'est 'a linstant evanouie." Alors, ayant fait pr~sent d'un,,cu 'a l'empirique, il l'invita 'a souperavec lui. Toutes les personnes, qui se trouvalient 'a lauberge, et tous les habitants du village, s'empresserent d'acheter de cette pr~cieuse pou~dre, et le charlatan~en vendit bien cent petits paqivets 'a soixante centimues chacun. Lorsqu'ensuite quelque paysan se plaignait du mal de dents, onaccourait~avec le renmde inerveilleux, qui, au grand 6tonnement de tout le monde, ne soulagea personne. Enfin la supercherie vint,.au jour. On apprit que les deux voyageurs s'6taient donn6 le nmot, pour tromper les bons villageois. La poudre n'~tait rien qu'un peu de craie. Les deux fripons~expie'rent dans-une maison de correction ce tour, et bien d'autres-encore, qu'ils~avaient faits. Anon. 6. L'Homme au Masque de Per. En i66r, quelques mois apr~s la muort du cardinal Mazarin, il arriva un 6v~nement qui n'a point d'exemple; et ce qui est non momns strange, c'est que tous, les, bistoriens l'ont ignor6. On envoya dans le plus grand secret au chateau de Il'le Ste. Marguerite dlans la mer de Provence, un prisonnier inconnu, d'une 4 fbRANCA R&EAZDAfl taille au-dessus de l'ordinaire, jeune et de la figure Ia plus belle et la plus noble. Ce prisonnier dans la route portait un masque, dont la mentonnitre avait des ressorts d'acier, et qui lui laissalent la libert6 de manger avec le masque sur son visage. On avait ordre de le tuer s'il se ddcouvrait. II resta dans l'ile jusqu'a' ce qu'un officier de confiance, nommd Saint-Mars, gouverneur de Pignerol, ayant dt6 fait gouverneur de la Bastille l'an i6go, l'alla prendre It Vile Ste. Marguerite et le conduisit It la Bastille toujours masqu6. Le marquis de Louvois alla le voir dans cette ile, et lui parla debout et avec une considdration qui tenait du respect. Cet inconnu fut mend I la Bastille, ott il fut logd aussi bien qu'on peut I'Otre dans le chateau. On ne lui refusait rien de ce qu'iL demandait: son plus grand gottt dtait pour le linge d'une finesse extraordinaire et pour les dentelles. IL jou4it de la guitare, On lui faisait la plus grande chere, et le gouverneur s'asseyait rarement devant lul. Un vieux mddecin de La Bastille, qui avait souvent traitd cet homme singulier dans ses maladies, a dit qu'il n'avait jamais vu son visage, quoiqu'il eflt souvent examin6 sa langue et le reste de son corps. Ii dtait admirablement bien fait, disait ce mddecin; sa peau 6tait un peu brune, et il intdressait -par Le seul ton de sa voix, ne se plaignant janais de son 6tat, et ne laissant point entrevoir ce qu'il pouvait 6tre. Cet inconnu mourut en 1i703, et fut enterr6 la nuit Ia la paroisse de St. Paul. Ce qui redouble Tl'tonnement, c'est que quand on l'envoya dans l'ilo Ste. Marguerite ii no disparut dans I'Europe aucun homme considdrable. Le prisonnier l'dtait sans doute; car voici ce qui arriva los premiers jours qu'il 6tait dans l'le. Le gouverneur mettait lui-m~me les plats sur la table, et &nsuite se rotirait apr~s l'avoir onferrnd. Un jour le prisonnier dcrivit'avec un couteau sur une assiette qu'iL jeta par la fenetre vers un bateau qui dtait au rivage, presqu'au pied de La tour. Un p&cheur I qui ce bateau appartenait ramassa l'assiette et la rapporta au gouverneur. Celui-ci, 6tonn6, demanda au p~cheur: "Avez-vous lu cc qui est dcrit sur cette assiette, et quelqu'un l'a-t-iL vuc entre vos mains?"-" Je ne sais pas Lire," rdpondit le p&cheur; "je viens de La trouvor; personne 5e L'a vue." Ce paysan fut retenu jusqu'I ce que le gouverneur fut bien inform4 qu'iL n'avait jamais In, et que l'assiette n'avait 6t6 vue de personne. " Aflez," lui dit-il; " vous &tes bien heureux do ne savoir pas lire." -FR-ENCH READER. 5 Parmi les personnes qui ont eu une connaissance imm~diate de ce fait, ii y en a une tr~s-digne de foi, qui vit encore (1 7 6o). M. de Chamillart fut le dernier ministre qui eut cet strange secret. Le second mar~chal cle la Feujilade, son gendre, n' a dit qu'~a la mort de son beau-pere Ai le conjura a genoux de Iui apprendre ce que c'6tait que cet homme qu'on ne connut jamais que soils le nom de l'Mornme an Masque de Fer. Chamillart lui r~pondit que c'6tait le secret de 1P6tat, et qu'il avait fait serment de ne le r6v~ler jamais. Enfin il reste encore beacoup de mes contemporains qui d~posent de la v&Ai6 de ce que j'avance; et je ne connais point de fait ni plus extraordinaire ni mineux constat6. Voltaire. z7.G Bias fransforthe en Mddecin. "Ecoute, mon enfant," me dit un jour le docteur Sangrado, ccje ne suis point de ces maitres durs et ingrats qui laissent viejillir leurs domestiques dans la servitude avant de les r~compenser. Je suis content de toi, je t'aime; et, sans attendre que tu m' aies servi plus longtemps, je vais faire ton bonheur. Je veux tout-a~l'heure te d~couvrir le fin de lFart salutaire que je professe depuis tant d'ann6es. Les autres m6decins en font consister la connaissance dans mille sciences p~nibles; et moi, je pr6tends t'abr~ger un cheniin si long, et t'6pargner la peine d'6tudier la physique, la pharmacie, la botanique, l'anatomie. Sache, mon ami, qu'il ne faut que saigner et faire boire de l'eau chaude: voilat le secret de gu~rir toutes les maladies du monde. Oui, ce merveilleux secret que je te r~ve'le, et que la nature, imp~n~trable ~ rues confr~res, n'a pu d~rober 'a rues observations, est renferm6 dans ces deux points: dans la saign~e et dans la boisson fr~quente. J e n'ai plus rien Lh t'apprendre; tu sais la m~decine 'a fond, et, profitant du fruit de ma longue exp6rience, tu deviens tout d'un coup aussi habile que moi." J e remerciai le docteur Sangrado de m'avoir si promptement rendu capable de lui servir de substitut; et pour reconnaitre lesr bont~s qu'il avait pour moi, je l'assuraii que je suix'rais toute ma vie ses opinions, quand elles seraient contraires 'a celles d'Hippocrate.,Cette assurance pourtant ni'6tait pas tout-a'-fait sincre; je d~sapprouvais son sentiment sur l'eau, et je me proposais de boire du yin tous, les jours en allant voir mes malades. Je pendis 6 6 TR~-F-ENCH _PEA DL'?. ati croc mon habit, pour en prendre -un de mon malitre, et me donner l'air d'un m~decin. Apr~es quoi je me disposai 'a exercer la m6decine aux d~pens de quilil appartiendrait. Je de'butai' par un alguazil qui avait une pleur~sie; j'ordonnai qu'on le saignaft sans mis~ricorde, et qu'on ne luii plaignit point l'eau. J'entrai ensuite chez un p~tissier 'a qui la goutte faisait pousser de grands cris. Je ne m6nageai pas plus son sang que celui de l'alguazil, et je ne liii dMendis point la boisson. Je requs douze r~aux pour mes ordonnances; ce qui me fit prendre tant de gouit 'a la profession que je ne demandai plus que plaie et bosse. En sortant dle la maison du pitissier, je rencontrai Fabrice, que je n'avais point vii depuis la mort du licenci6 S~dillo. II me regarda pendant quelque temps avec surprise; puis il se mit 'a rire de toute sa force en se tenant les c6t6s. Ce nke'tait pas sans raison; j'avais un manteau qui trainait "'a terre, avec un pourpoint et un haut-de-chailsses quatre fois plus long et plus large qu'iI ne fallait. Je pouvais passer pour une figure originale. Je le laissai s'6panouir la rate non sans etre tents de suivre son exemple; mais je me contraignis pour gtrder le decorum dans la rue, et mieux contrefaire, le m~decin, qui n'est pas un animal risible. Si mon air ridicule avait excite' les ris de Fabrice, mon s6rieiix les redoubla; et lorsqu'il s'en fut bien donn6, "Ma foi! Gil Bias," me dit-il, "te voil'a plaisamment Equips! Qui t'a d~guis6 de la sorte?' "Tout beau, mon ami," lIui r~pondis-je, " tout beau respecte un nouvel, Hippocrate, Apprends que je suis le substitut dii fameux docteur Sangrado, qui est le plus 6minent mldecin de Valladolid. Je demeure chez lui depuis trois semnaunes. II m'a montr6 la m6decune 'a fond; et comme il ne peut fournir 'a tons les malades. qui le demandent, j'en vois une partie, pour le soulager. 11 va dans, les grandes maisons, et moi dans les petites," "1Fort bien," reprit Fabrice; " c'est-'a-dire qu'il t'abandonne le sang du peuple et se r~serve celui des personnes de qualit6. Je te f~licite de ton partage; il vaut mieux avoir affaire 'a la populace q'u'au grand monde. Vive in m6decin de faubourg! ses fautes sont momns en vue, et ses assassinats ne font point de bruit. Oui', mon enfant," ajouta-t-il, "ton sort me parait digne d'envie; et pour parler comme Alexandre, si je n'6tais pas Fabrice, je voudrais 6tre Gil Blas." Le Sage, i 668-i 747. TRixENCH READER. 7 8. Hzs'oires Persane. I. Un tyran demandait ~ un derviche quelle &tait la meilleure des pri~res. "1La meilleure pour toi," r~pondit le derviche, "1est de dormir pendant la moiti6 du jour: du moins tes sujets respireront pendant ton sommeiL." Nourschirvan, surnomm6 le juste, 6tant un jour 'a la chasse, voulut manger du gibier qu' il. avait tu6; mais comme il n'avait point de sel, on envoya un esciave pour en chercher au village voisin. Nourschirvan recommanda de le payer exactement, de peur d'introduire un usage qui serait dans, la suite funeste aux campagnes. " Eh! quel si grand maiheur," dirent les courtisans, "peut na"i'tre d'une chose sipen importante?" "Les commencements de l'injustice," r6pondit le prince, " sont toujours, faibles en naissant, mais elle ne tarde pas h se fortifier, et insensiblement couvre la terre. Qu'un roi prenne un fruit dans un jardin, ses esciaves voudront arracher l'arbre; qu'il se permette de prendre un ceuf sans payer, ses soldats tueront toutes les poules. L'auteur de l'injustice passe, mais sa m6moire est livr6e "a une e'ternelle ex6cration." Un roil avait ordonrn6 de faire mouri'r un homme innocent. "0 prince," dit le maiheureux, " prends garde que ta coli~re contre moi ne tourne 'a ta perte." "1Et comment?" dit le roi. "1Parce que mon supplice va, dans un moment finir avec moi, et que le tien va, commencer, et durera peut-8tre 6ternellement." IV. Un messager, tra~nsport~ de joie, vint dire kNourschirvan: "cLe Dieu tout-puissant vient d'enlever du monde un tel votre ennemi," NQurschirvan lui r~pondit; "'Vous a-t-on appris en meme temps que je sois devenu immortel? Comment pourrais-je me r~jouir de ce que mon ennemi a termin6 sa vie, lorsque je sais que la gl~ienne doit finir?" 8 8 F~REATCI READti7R Un roi grec 6tait attaqu6 d'une inaladie honteuse et cruelle; ses m6decins lui dirent qu'il ne pourrait gu~rir qu'en appliquant sur le mal le fiel tout chaud d'un homme qui porterait de certaines marques. Le roi ordonria. de le chercher, et on les trouva sur le fils d'un paysan. Le prince, ayant alors mand6 ses parents, obtint d'eux, 'a force d'argent, qu'ils lui abandonnassent sa vie, Le cadi d~clara que la religion permettait sa mort pour sauver les jours du prince. Le jeune homme 6tai't sous la hache du bourreau; pr~t h regevoir le coup, il love les yeux au ciel et se met 'a sourire. Le roi, 6tonn6, lui en demanda la cause, et, ce qu'il trouvait de si plaisant dans sa situation: " Les enfants," r6 -pondit-il, "1cherchent leur refuge dans le sein de leur p'ere. On soumet aiu cadi la discussion de leurs diff~rends, on s'addresse au roi pour en obtenir justice; mais tout se tourne aujourd'hui contre moi. Mon pore et ma. m~re ont vendu ma vie par avarice; le cadi a pronouc6 que ma, mort 6tait juste'; et vous croyez qu'elle seule peut vous s~uver la vie: il n'y a donc que Dieu qui puisse 8tre mon recours, car 'a quel autre pourrais-je demander la justice que vous me refusez?" Le roi, touch~ de ces paroles, ne put s' empecher de r~pandre des larmes:- "Ii1 vaut mieux mourir," dit-il, "que de r6panclre le sang innocent." Ensuite, avant embrass6 le jeune homme, il le serra dans ses bras et le renvoya combl6 de pr~sens. On dit que dans la semaine il recouvra la sant6 sans avoir recours h aucun rembde, et qu'il prononga cette maxime: "1Vous demandez si la fourmi qui est sous vos pieds a droit de se plaindre? Oui, ou vous n'avez pas 1e droit de vous plaindre lorsque vous 6tes 6cras6 par 1'616phant." Tradzd/ du.1'ersan de Saadi par l'abW Gaudz~z. 9. Fr/deiric II. Rel de Prusse. Ce grand roi 6tant un jour trbs-affair dans son appartement., sonna 'a plusieurs reprises, et personne ne vint. 11 ouvrit sa porte, et trouva. son page endormi dans un fauteuil. IL avanga vers lui, et allait le r~veiller, lorsqu'il apergut un bout de billet qui sortait de sa poche. II fut curieuix de savoir ce que c'e'tait: il le prit, et le lut. C'tait tine lettre de la r~re du jeune hommie, qui le remerciait de ce qu'il Iui envoyait uine partie de ses gages pour la soulager dans sa FRENCH READER.9 9 mis~re- Elle finissait par lui dire que Dieu le b~iiirait pour cette bonne conduite. Le roi, aprbs avoir in, rentra douce-~ ment dans sa chambre, prit une bourse de ducats, et la glissa avec la lettre dans la poche du page. Rentr6 dans sa. chainbre, il sonna si fort, que le page se r~veilla, et entra. "1Tu as bien dormi!" lui dit le roi. Le page voulut s'excuser. Dans son embarras, il mit par hasard la main dans sa. poche, et sentit avec 6tonnement la bourse. Ii la tire, p~it, et regarde le roi, en versant un torrent de larmes, sans pouvoir prononcer une senle parole. " Qu'est-ce," dit le roi, "1qu'astu?" "Ah, sire," dit le jeune homme, en se precipitant Ii genoux, "1on veut me perdre; je ne sais ce que c'lest que cet argent que je trouve dans ma poche." "Mon ami," dit Fr~d~ric, "Dieu nous, envoie souvent le bien en dormant; envoie cela, h ta more, salue-la de ma part, et assure-la que j'aurai soin d'elle et de toi." Anon. 10. Anecdotes sur le Czar Pierre le Grand. Le hasard fit qu'un jeune G~nevois, nomm6 Le Fort, 6tait a Moscou chez un amnbassadeur danois, vers 1'an 1695. Le czar Pierre avait alors, dix-neuf ans. 11 vit ce G~nevois, qui avait appris en peu de temps la langue russe, et qui parlait presque toutes celles de 1'Europe. Le Fort pint beaucoup an prince; il entra 'dans son service, et biento't apr'es dans sa familiarity. Ii lui fit comprendre qu'il y avait une autre manibre de vivre et de r6gner que celle qui 6tait malheureusement 6tablie de tons les temps dans son vaste empire; et sans le G~nevois, la Russie serait pent-8tre encore barbare. Le maitre de 1'empire le plus 6tendn de la terre alla vivre pros de deux ans ~L Amsterdam, et dans le village de Saardam, sons le nom de Pierre Michaeloff. On I'appelait comnmunnment Peter-Bas. II se fit inscrire dans le catalogue des charpentiers de ce fameux village, qni fournit de vaisseaux presque tonte 1'Europe. IL maniait la hache, et le compas; et quand iL avait travailL6 dans son atelier ~ la construction des vaisseaux, il 6tudiait la g~ographie, la g~om~trie et L'histoire. Pans Les premiers temps le peuple s'attroupait antour de lui. IL 6cartait quelqnefois le~s importuns d'nne manibre un pen rude, La premibre 1angue qu'i1 apprit fut le hollandais; il 10 F~kRENVCI! RE.4VFI?. s'adonna'iepui's ht 1allemand, qui luii parut uine lang'ue douce, et qu.'iI voulut qu'on parlat 'a la cour. II apprit aussi un peu d'anglais dans son voyage IL Londres; mais il ne sut jamais le frangais, qui est devenu depuis la langue de PMersbourg sous l'imp~ratrice Elizabeth, IL mesure que ce pays s'est civilis6. En i698 il alla d'Amsterdam en Angleterre. Le roi Guillaume lui avait fait pr~parer une maison logeable; mais le czar la trouva encore trop belle, et alla loger dans le quartier des matelots, pour &tre plus 'a port~e de se perfectionner dans, La marine. IL manqua d'argent IL Londres: des marchands, vinrent lui offinir cent mille 6cus pour avoir la permission de porter du tabac en Russie. C'6tait une grande nouveaute6 en ce pays-l1L, et Ila religion m~me y 6tait int~ress~e. Le patriarche avait excommuni6 quiconque fumnerait dui tabac, parce que les TUrcs,. leurs ennemis, fumaient; et le clerg6 regardait comme un de ses, grands privileges d'empe~cher la nation russe de fumer. Le czar prit les cent mille 6cus, et se chargea de faire fumner le clerg6 lui-m~me. Le czar en 17 717 renouvela. ses, voyages par politique et par curiosit6; il alla enfin en France. En voyant le tombeau du cardinal Richelieu et la statue de ce ministre, ouvrage digne de celui qu'iL repr~sente, le czar laissa parailtre un de ces, transports, et dit une de ces, choses. qui ne peuvent partir que de ceux qui sont n6s pour e~tre de grands hommes. 11 monta sur le tombeau, embrassa la statue: " Grand ministre,"7 dit-il, "1que n'es-tu n6 de mon temps! Je te donnerais la moiti6 de mon empire pour m'apprendre 'a gouverner I'autre." IUn homme qui avait momns d'enthousiasme que le czar, s'6tant fait expliquer ces paroles, prononc~es en langgue russe, r~pondit: "1STi avait donn6 cette moiti6, il n'aurait pas longtemps gardd L'autre." Ii 6tait logo "'a L'hotel de Lesdiguibres, auprbs de I'arsenal. Le r~gent L'y traita magnifiquement; il 6tait sous la conduite du mar~cha1 de Tess6, qu'on appelait son cornac, et suivi de trente gardes du corps, qui avaient charge de ne le quitter jamais. Emploi difficile! Pierre de Russie avait les, mouvements brusques et les fantaisies soudaines. Tess6 et ses gardes du corps faisaient. parfois de rudes traites, pour le joindre quand il 6chappait IL leur respectueuse surveillance. La curiosit6 parisienne, vioLemment exci'tde par 1'arriv&e de ce souverain,. n'avait pu FRENCH READER. T I I encore s' assouvir, parce que le czar n'aimait point qu'on s'occupgt de lui. Quand les passants s'avisaient de s'attrouper aux abords de son hMte, il envoyait le pauvre Tess6 avec ordre de chargert. L'infortun6 mar6chal eut mieux aim6 faire dix campagnes; aussi 1'honneur qu'll eut de garder le prince moscovite le vieillit de dix ans. Le r~gent n'avait point d6sir6 cette visite; mais i1 fit contre fortune bon cceur, et e ssaya du momns d'6blouir le czar par la splendeur de son hospitalit6. Cela n'&tait point ais6: le czar ne voulait pas 6tre 6bloui. En entrant dans la magnifique chambre 'a coucher qu'on liii avait pr~par~e ~ l'h6tel de Lesdigui~res, il se fit mettre un lit de camp au milieu de la salle, et se coucha dessus. I1 allait bien partout, visitant les boutiques et causant famnilirement. avec les marchands, mais c'6tait incognito. Les privil6gie's qui avaient vu le czar faisaient ainsi son portrait: Il &tait grand, trbs-bien fait, un peu maigre, le poil d'un brun fauve, le teint brun, tre's-anim6, les yeux grands et vifs, le regard per~ant, quelquefois farouche. Au moment ouon y pensait le momns, un tic nerveux et convulsif d~composait tout-h-coup son visage. On attribuait cela au poison que 1'6cuyer Zoubow lIii avait donn6 dans son enfance. Quand il voulait faire accueil 'a quelqu'un, sa physionomie devenait gracieuse et charmante. II mangeait comme un ogre, au dire de Verton, maitre d'ho~tel du roi, qu'on avait charg6 de sa table; mais il ti'aimait point les petits-pieds. Il faisait par jour quatre repas consid&rablement copieux. A chaque repas il buvait deux bouteilles de yin, et une bouteille de liqueur au dessert, sans compter la bi~re et la limonade entre deux. D'apr~s Vollazre el Paul Fe'val. i r. La Cons~piratzon des Slredztz. Une partie des. Str~litz se ligua pour assassiner Pierre le Grand en 1697. Pour se faciliter le moyen de s'approcher du monarque, ils convinrent de faire mettre le feu h deux maisons contigties au milieu de Moscou. Comnme on savait que le czar se trouvait toujours un des premiers aux incendies pour donner d&s ordres ',afin d'arr~ter Jes progre's -des flammes, ils FRENCH RE4DER. rdsolurent aussi de s'y prendre des premiers, de feindre de voulQir travailler 'a 6teindrn le feu, et d'entourer ce prince peu it peu dans la foule, pour pouvoir lui porter plus facilement, et sans qu'on s'en aperQfit, le coup mortel. Le jour de l'ex~cution pour cette entreprise sceH6rate hait fix6. Les conjur6s se rassembl~rent chez Sukawnin pour y diner, et apr~s s'8tre lev~s de table, ils continuerent it boire jusque fort avant dans la nuit. Cependant on tomba d'accord que ceux qui voudraient aller chez eux pouvaient le faire, mais sous promesse par serment de revenir avant minuit, et que les autres resteraient chez Sukawnin jusqu'it ce que les maisons fussent en flammes et qu'on entendit le tocsin. Mais parmi ceux qui sortaient, ii y en eut deux qui prirent le chemin de Priobrashenskij, maison de plaisance aux environs de Moscou, oi le czar soupait. Le czar ne fut pas plus tot instruit de ce projet des Strdlitz, qu'il 6crivit un billet au capitaine de sa garde, nomm6 Lipunoff, par lequel il lui ordonnait d'assembler sans bruit toute sa compagnie, et de se rendre avec elle vers les onze heures avant minuit it la maison de Sukawnin, d'en garder toutes les avenues, et de faire prisonniers tous ceux qui s'y trouveraient. Le czar, croyant qu'il avait indiqu6 dans son billet l'heure du rendez-vous pour dix heures, s'imagina, quen arrivant it dix heures et demie it la maison de Sukawnin, ii trouverait ses ordres ex~cut6s. A dix heures sonn6es, ii se mit dans sa voiture accompagn6 d'un seul homme, et se rendit directement it cette maison. Lorsqu'il y arriva t dix heures et demie, il fut fort etonn6 de ne trouver ni devant la porte, ni autour de la maison, aucin des gardes de La compagnie qu'il avait command6e. IL cri4 que ce detachement s'6tait peut-8tre placS dans La cour et dans La maison. Dans cette persuasion ii monta l'escalier et entra dans La salle, Oil ii trouva Sukawnin et toute La troupe des conjur6s, qui se Levbrent i L'instant, et t6moignbrent it leur souverain toutes les marques de respect qu'ils lui devaient. II les salua'amicalenient et leur dit, qu'ayant vu en passant beaucoup de lumibre, il avait soup9onn6 que'le maitre de La maison avait grande compagnie, et qu'6tant encore trop bonne heure pour aller se coucher, ii 6tait entr6 pour boire un coup avec eux. Aprts qu'il se fut assis, Uts burent i la ronde it sa santd .1FRENCH READER.1 13 et il ne manqu-a pas de leur faire raison. Pendant cet intervalle un des Str~litz qui avait fait des signes h Sukawnin s'approcha de lui et liii dit 'a demi-voix: " 11 est temps, fr~re.` Sukawnin, qui ne voulait pas encore que l'on s'aper~ut de son abominable dessein, lui r~pondit de m~me: "1Pas encore." A peine cut-il dit cela, que Pierre le Grand se I~ve, donne 'a. Sukawnin un si grand coup de poing dans le visage, qu'il lc renverse a ses, pieds, en lui disant d'une voix furieuse: "1S'I n'est pas encore temps pour toi, fils de chien, il est temps pour moi. Allons, enchainez ces, chiens I" Pendant que ccci se passait, onze heures sonnerent, et le capitaine des gardes, entra dans la salle suivi des soldats de sa compagnie. A i'nstant tous les, conjures tomb~rent k genoux et se d~clar~rent coupables. Pierre ordonna It ces traitres de se Her l'un l'autre, cc qu'ils firent. Ensuite le monarque se tournant vers, le capitaine de ses gardes, lui donna un souffiet dans le premier muouvement de sa cole're, en lui reprochant de ne s'y kre pas rendu t l'hcure qu'il lui avait marqu~e. Celui-ci se justifla en tirant de sa poche l'ordre par 6crit qu'il avait requ, et le lui montra. Le monarque convaincu de ha faute qu'ih avait commise hui-m~me, en se trompant d'une heure, baisa le capitaine an front, et h'assura qu'iIlhe reconnaissait pour un brave homme. 1 2. Le Cheval de l'Arabe. Un Arabe et sa tribu avaient attaqu6 dans, he desert la taravane de IDamas; ha victoire '6tait complete, et les Arabes, 6taient dfjah occupos 'a charger leur riche butin, quand les cavaliers du pacha d'Acre, qui venaient 'a ha rencontre de cette caravane, fondirent 'a l'improviste sur hes Arabes victorieux et en tu~rent un grand nombre, firent les autres prisonniers, et les ayant attachfs avec des cordes, les emmenerent 'a Acre pour en faire pr~sent an pacha. Abou-eh-Marsch, (c'est le norn de h'Arabe,) avalit requ une balle dans he bras pendant he combat; comme sa blessure n'eftait pas mortelle, les Turcs l'avaient attach6 sur un chameau, et s'6tant empar~s du cheval, emmcnaicnt he cheval et he cavalier. Le soir du jour ou'ilus devaicnt entrer 'a Acre, ils, camp~rent avec Ieuws prisonniers dans les inontagnes de Saphadt; I'Arabe blcsse' avait ]es jambes hi6es ensemble par une courroie de cuir, et 6tait 6tendu pr~s de ha tente oit couchaient les Turcs. Pendant la 14, F.RENCH READE.R. nuit, tenul &veill par la douleur de sa blessure, il entendit he'nnir son cheval parmi les autres chevaux entrav6s autour des tentes, selon. lusage des Orientaux; il reconnut sa voix, et ne pouvant r6sister au d~sir d'aller parler encore une fois au compagnon de sa vie, il se traina p~niblement sur la terre, 'a l'aide de ses mains et de ses genoux, et parvint jusqu'h son coursier. "1Pauvre ami," lui dit-il, " que feras-tu parmi les Turcs! tu seras emprisonn6 Sous les vouites d'un kan avec les chevaux d'un. aga ou d'uni pacha; les femmes et les enfants ne t'apporteront plus le lait de chameau, lForge, on le doura dans le creux de la main; tu ne courras plus libre dans le d~sert comme le vent d'Egypte, tu ne fendras plus du poitrail l'eau du jourdain qui rafratichissait ton poil aussi blanc que ton 6cume; qu'au moins, si je suis esclave, tu restes libre! Tiens, va, retourne 'a la tente que tu connais, va dire 'a ma femme qu'Abou-el-Marsch ne reviendra plus, et passe ta tate entre les rideaux de la tente pour lecher la main de Ines petits enfants." En parlant ainsi, Abou-el-Marsch avait ronge avec ses dents la corde de poil de ch~vre qui sert d'entraves aux chevaux Arabes, et l'animal 6tait libre; mais voyant son maitre bless6 et enchailn6 'a ses pieds, le fide'le et intelligent coursier comprit avec son instinct ce qn'aucune langue ne ponvait lui expliquer; il baissa in tafte, flaira son mattre, et l'emportaut avec les dents par la ceinture de cuir qu'il avait autour du corps, il partit an galop et l'cmporta jusqu'a ses tentes. En arrivant et en jetant son malitre sur le sable aux pieds de sa femme et des ses enfans, le cheval expira de fatigue; toute la tribu l'a pleur6, les po~tes l'ont chants, et son nom est constamment dans la bouche des Arabes de J6richo. CAzamz 13. Ri'ca a' Ibben. (Tir des "1Lefires Persanes.") Les habitants de Paris sont d'une curiosit6 qui va. jusqu'a l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regards comme si j'avais &t6 envoy6 du ciel:- vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fen~tres; si j'6tais aux Tuileries, je voyais aussito't urn cercle se former autour de moi; les femmes me~me faisaient un arc-enciel nnanc6 de mulle couleurs, qui m'entourait. Si j'6tais aux -spectacles, je voyais aussito~t cent lorgnettes dress6es contre ma ILgure: enfin jamai's homme n'a tant &t6 vn que moi. Je souri T-PR-ENCH READE.R. 1 15 ais quelque'fois d'entendre des gens qui n'dtaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux: "1II faut avouer qu'il a Fair bien persan." Chose admirable!1 je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multipli dans toutes les boutiques, sur toutes les chemin6es, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu. Tant d'honneurs ne laissent par d'6tre 'a charge: je ne me croyais pas u'n homme si curieux et si rare; et quloique j'aie tr~es-bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imagin6 que je dusse trouibler le repos d'une grande yulle oti je n'6tais point connu. Cela me fit r~soudre de quitter l'habit persan, et 'a en endosser un 'a l'europ~enne, pour voir s'iI resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connal'tre ce que je valais rdellement. Libre de tous les orn-ements &trangers, je me vis appr6ci6 au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publiques; car j'entrai tout-h-coup, dans un n6ant aifreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'efuit regarde', et qu'on m'efit mis en occasion d'ouvrir la bouche; mais, si quelqu'un par hasard apprenait 'a la compagnie que j'6tais Persan, j'entendais aussito~t autour de moi un bourdonnement: "1Ah! ah! monsieur est Persan! C'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on 6tre Persan?" A Paris, le 6 de la lune le Chalval, 171I2. I14. Nargum, Envoye' de Perse en ]Joscovz'e, a' Usbek: a' Par-is. De toutes les nations du monde, mon cher Usbek, il n'y en a pas qui ait surpass6 celle des Tartares ni en gloire ni dans la grandeur des conqu~tes. Ce peuple est le vrai dominateur de l'uniivers; tons les autres semblent 8tre faits pour le servir: ii est 6galement le fondateur et le destructeur des empires; dans tous les temps il a donn6 sur la terre des marques de sa puis-. sance, dans les Ages il a 6t6 le fi~au des nations.I Les Tartares ont conquis deux fois la Chine, et uls la tiennenit encore sous leur ob6issance. 211s dominent sur les vastes pays qui forment l'emplire du Mog'ol Maitres de la Perse, ils sont asslis sur le tr~ne de Cyrus x6 F~/#RENCIJ REApi4'R. pt de Gustave. us' ont soumnis la Moscovie. Sous le nom de Turcs, II ont fait des conqu~tes immenses dans 1'Europe, l'Asie, et l'Afrique, et ils dominent sur ces, troi's parties de l'univers. Et, pour parler de temps plus recu1~s, c'est d'eux que sont sortis presque tons les peuples qui ont renvers6 l'empire romain. Qu'est-ce que les conqu~t-es d'Alexandre en comparaison de celles de Genghis Khan? IL n'a manqu6 'a cette victorieuse nation que des historiens pour c~k~brer la m~moire de ses merveilles. Que d'actions immortelles ont 6t6 ensevelies dans l'oubli!1 que d'empires par eux fond6s dont nous ignorons l'ori'gine! Cette belliqueuse nation, uniquement occup6e de sa, gloire pr4 -sente, sfire de vaincre dans tous les temps, ne songeait point a se signaler dans L'avenir par la m~moire de ses conqu~tes passees. Pe, Moscou, le 4 de la June de Rekiab i, 17 1 5. I 5. Rica a' * * * On dit que l'homme est un animal sociable. Sur ce pied-lua, ii me parait que le Fran~ais est plus homme qu'un autre, c'est l'homme par excellence; car i1 semble etre fait uniquement pour la soci&t6. Mais j'ai remarqu6 parmi eux des gens qui non seulement sont sociables, mais sont eux-m~mes la soci~t6 universelle. INs se multiplient dans' tous les coins, et peuplent en un instant les quatre quartiers d'une ville: cent. hommes de cette espe'ce abondent plxs que deux mille citoyens; ils pourraient r~parer aux yeux des 6trangers les ravages de la peste on de la famine. On demande dans les &6o1es si un corps pent 6tre en un instant en plusieurs lieux: ils sont une preuve de ce que Les philosophes mettent en question. Ii sont toujours empress~s, parce qu'ils ont l'affaire importante de demander 'a tons ceux qu'ils voient oui ils vont et d'oii ils viennent. On ne leur 6terait jamais de la t~te qu'iI est de la biensdance de vi'siter chaque jour le public en d~tail, sans compter les visites. qu'ils font en gros dans les lieux oii l'on s'assemble; mais, comme la voie en est trop abr~g~e, elles sont compt~s pour rien dans les r~gles de leur c~r~inonial. 1A'JRENCZJ READE.R. ' 17 Ils fatiguent plus les portes des miaisons ~ coups de marteau que les vents et les temp~tes. Si l'on allait examiner la liste de tous les portiers, on y trouverait chaque jour leurs noms estropi~s de mulle mani~res en caracte'res suisses. uls passent leur vie h la suite d'un enterrement, dans des compliments de condol~ance, ou dans des sollicitations de maniage. Le roi ne fait pas de gratification h quelqu'un de ses sujets qu'il ne leur en cofite une voiture pour lui en aller t~moigner leur joie. Enfin, ils reviennent chez eux, bien fatigu6s, se reposer pour pouvoir reprendre le lendemain leurs p~nibles fonctions. Un d'eux. mourut 1'autre jour de lassitude, et on mit cette 6pitaphe sur son tombeau: "1C'est icii que repose celui qui ne s'est jamais repose. IL s'est promen6 h cinq cent trente enterre - ments. IL s'est r~joui de la naissance de deux mille six cent quatre-vingts enfants. Les pensions dont il a f~licit6 ses amis, toujours en des termes diff~rents, montent 'a deux millions six cent mile livres; le chemin qu'il a fait sur le pav6, hi neuf mulle six cent stades; celui qu'il a fait dans la campagne, h trente-six. Sa conversation 6tait amusante; ii avait un fonds tout fait de trois cent soixante-cinq contes; il poss~dait d'ailleurs, depuis son jeune 'age, cent dix-huit apophth~gmes tirds des anciens, qu'il employait dans les occasions brillantes. II est mort enfin A la soixanti~me ann~e de son age. Je me tais, voyageur; car comment pourrais-je achever de te dire ce qu'il a fait et ce qu'il a vu?" De Paris, le 3 de la lune de Gemmadi 2, 1715. Je trouve les caprices de la mode, chez les Frangais, 6tonnants. IUs ont oubli comment ils 6taient habills cet &t6: uls ignorent encore plus comment uls le seront cet hiver:mais surtout on ne saurait croire combien il en cofite 'a un mani pour mettre sa femme ht la mode. Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures? une mode nouvelle viendrait d~truire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers; et avant que tu eusses requ ma lettre, tout serait chang6. Une femme qui quitte Paris, pour aller passer six mois h la 18 iS ~~FRENACH READER, campagne, en revient aussi antique que si elle s'y 6tait oubli&e trente ans. Le fils n~connait le portrait de sa m'ere, tant 1'habit avec lequel elle est peinte lui parait stranger; il s'imagine que C' est quelque Am~ricaine qui y est repr~sent6e, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu'une de ses fantaisies. Quelquefois les coiffures montent insensiblement, et tine r~volution les fait descendre tout 'a coup. 11 a 6t6 tin temps que leur hauteur immense mettait le visage d'une femme aui milieu d'elle-m~me: dans un autre, c'6taient les pieds qui occupaient cette place; les talons faisaient tin pi6destal qui les tenait en l'air. Qui pourrait le croire? les architectes ont &6 souvent oblig~s de hausser, de baisser, et d'61argir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d'eux ce changement; et les r'egles de leur art ont 6te" asservies 'a ces fantaisies. On voit quelquefois sur un visage tine quantit6' prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois les femmes avaient de la taille et des dents; aujourd'hui il n'en est pas question. Il en est des mani~res et de la fa~on de vivre comme des modes: les Frangais changent de mccurs selon l'Nge de leur roi. Le monarque pourrait m~me parvenir 'a rendre la nation grave, siI l'avait entrepris. Le prince imprime le caract~re de son esprit 'a la cour, la cour 'a la yulle, la yulle aux provinces. L'a~me du souverain est tin motile qui donne la forme 'a toutes les autres..Zlon/esq'uieu. De Paris, le 8 de la lune de Saphar, I1717. '7. Navigalion suir la Glace. Au commencement de l'hiver, on trace stir la glace le chemin qui conduit de Pe'tersbourg 'a Kronstadt: il est indiqu6 par tine allde de hautes balises. De lieue en lietie on trouve des gu~rites bien chauff~es oii sont plac6es des sentinelles qui, dans les temps brumeux, entretiennent des feux de distance en distance et sonnent des cloches dont le tintement prolongs rassure et guide le voyageur. Un restaurateur est 6tabli vers le milieu de la route. Cette innombrable quantit6 de personnes, de tout Age et de tout sexe, envelopp~es dans de vastes pelisses et glissant avec indifference stir tine surface fragile qui' les s~pare JIRENCHM~ READER. '9 19 de l'abime, offre ~ l'habitant des contr~es m~ridionales un spectacle 6trange, qui jette dans son amne un effroi ignore des peuples du nord. Mais Cest surtout lorsque sont commenc~es les courses en bouers, que la rade de Kronstadt pr~sente le tableau le plus animn6. Ces boners sont des canots fix&s snr deux lames de fer semblables 'a celles des patins; une iroisieme est adapt~e sous le gouvernail. Des bancs sont dispos~s pour les voyagenrs autour de cette embarcation. qni a un, deux. et m~me trois mnats. Pousst~s par le vent qui souffle avec force dans cette saison, et dirig6s par un pilot habile, ces canots que distinguent des agr~s varies et des pavilions de diverses couleurs, volent avec une incroyable rapidit6; un soleil paLle laisse tomber sur eux ses rayons sans chaleur; les voiles se d~roulent, l'aquilon siffie, le bitiment s'e'lance, les matelots, par de savantes mancenvres cherchent 'a se devancer, et, en momns d'nne heure, un espace de dix lienes est franchi. Ancelot, "Six Mois en Russie." i 8. Al~fred le Grand. Alfred n'avait pour senle compagnie que la famille d'nn bouvier, dont il habitait la hutte. II y fut requ d'abord comme un voyageur 6gar6; mais comme il ne parlait pas de se remettre en route, son h~te lui demanda, an bout de qnelques jours, qui il 6tait et ce qu'il cherchait dans cette Ile inculte et presque inhabitde. Alfred voulant 6pronver par un demi-aven la fid~lit6 du bouvier, ne d6voila pas tout de suite sa noblesse supreme, et se donna seulement pour un des grands de la cour, rests fid~e 'a la cause d6sesp&r& du roi, et conduit par la main de Dien jusqu'~a ce coin de terre inconun, tandis qu'il cherchait ~ 6viter la vengeance des vainqueurs et le spectacle de sa patrie d6chue. Ce fut. assez pour 6mouvoir le patriotisme et la piti6 du p~tre Saxon: il voulut garder le fugitif aupr~g de lui et le soigna anssi g~n6 -reusement que le lui permettait sa propre misere. 11 n'avait pas fait part 'a sa femme des confidences de son h~te et elle mit involontairement h une rude 6preuve l'humilit6 d'Alfred. C'6tait un dimnanche, dit fort exactement la chronique: le p~tre alla conduire son tronpean an pa~turage, et Alfred resta assis aupr~s du foyer, nettoyant son arc et ses fleches. It 6tait ahsorbs dans ce travail, on plut~t dans les tristes pens~es, qni C 2 29 29 FRA-"_EfNCH READER. naissatent dans son ame 'a la vue de ses armes, nagu~re l'espoir de tout un peuple et la terreur des Danois, mais probablement condamn~es d~sormais 'a ne plus conque'rir, pour le monarque abandonne', que la nourriture de chaque jour, au lieu de gloire. Cependant la femme du bouvier, ne supposant pas de si graves distractions 'a 1'&tranger mal v~tu qu'elle avait laiss6 au coin du feu, avait compt&6 sur lui pour surveiller et pour retourner au besoin quelques pains place's sur la cendre chaude. Retenue elle-m~me hors de la cabane par d'autres soins, elle vit avec col~re, 'a son retour, qu'Alfred n'avait pas boug6 de sa place, tandis que les pains brfilaient d~jh; et elle s'6cria vivement: "1Homme qui que tu sois, 'a quoi penses-tu donc? es-tu trop fier pour retourner nos pains? Tu ne veux pas y faire attention maintenant, mais je sais bien, que tu voudras en manger tout 'a l'heure!" Alfred avait d~ja' eu le temps de r~fle'chir 'a tout ce que lui avait coute, son ancien orgueil: il euk te' mals~ant de s'y laisser aller encore en cette occasion. II se r6signa 'a la familiarit6 brutale de la femme du bouvier, lui rendit, sans m~me lever la tate, le service qu'elle reclamait, et profita si bien -de cet avertissement, que les pains confi~s 'a sa vigilance n'6taient, quand ii les remit 'a l'exigent m Znge, ni bris~s ni trop cuits; et plutadlosui faisait 'a ses amis le r~cit de ses m~saventures, il parlait toujours avec une gaiet6 sereine et douce de la pauvre paysanne qui avait commis, sans le savoir, querque chose comme un crime de Ibse-majest6. Guizot. i 9. Le Cabz'ne de Richelieu. Puisque nous avons la libert6 de promener nos yeux suir tous les points de la carte, arr~tons-les sur la ville de Nar, bonne. Voyez la Me'diterran6e, qui 6tend, non loin de l'a, ses flots bleu~tres sur des rives sablonneuses. P~n~trez dans cette Cit6, semblahie 'a celle d'Ath~nes; mais pour trouver celui qui y Zregne, suivez cette rue in6gale et obscure, montez les degr~s du vieux archevkch6, et entrons dans la premi'ere et la plus grande des salles. Elle 6tait fort longue, mais &lair&e par une suite de hautes fen~5res en agzv~e dont la partie sup~rieure avait conserv6 les vitraux bleus, jaunes et rouges, qui r6pandaient une lueur myst~rieuse dans l'appartement. -Une table ronde 6norme la rem, PIRE.NCII R9ADIER. 11 2 1 plissait -dans to-ute sa largeur, du c&As de la grande chemin~e; autour de cette table, couverte d'un tapis barzoke et charg~e de papiers, et de portefeuilles, 6taient assis et courb~s sous leurs plumes huit secr6taires occup~s 'a copier des lettres qu'on leur passait d'une table plus petite. D'autres hommes debout rangeaient les papiers dans les rayons d'une biblioth~que, que les livres reli~s en noir ne remplissaient pas tout enti~re, et uls marchaient avec pr6caution sur le tapis dont la salle 6tait garnie. MValgre" cette quantit6 de personnes r6unies, on efit entendu les ailes d'une mouche. Le seul bruit qui s'61evfit 6tait celui des plumes qui couraient~ rapidement sur le papier, et une voix gr~le qul dictai't, en s'interrompant p~ur tousser. Elle sortait d'un immense fauteuil 'a grands bras, plac6 an coin du feu, allum6 en ddpit des chaleurs, de la saison et du pays. C'6tait un de ces fauteuils, qu'on voit encore dans quelques vieux chfiteanx, et qui semblent faits pour s'endormir en lisant, sur eux, quelque livre que ce soit, tant chaque compartiment est soign6: un croissant de plumes y soutient les reins; si la tate se penche elle trouve ses jones re~ues par des oreillers converts de soie, et le coussin dn si~ge d6borde tellement les coudes, qu'il est permis de croire que' les pr~voyants tapissiers~ de nos pares avaient pour but d'viter que le livre ne fit du bruit et ne les re'veillaft en tombant. Mais quittons cette digression pour parler de Phomme qui s'y tronvait et qui n'y dormait pas. II avait le front large ot quelques cheveux fort blancs, des yeux grands et doux, une figure pile et effil~e 'a laquelle une petite barbe blanche et pointu6i donnait cet air de finesse, que l'on remarque dans tou s les portraits du sibele de Louis XIII. Une bouche presque sans l1vres, et nou's sommes forc~s d'avouer que Lavater regarde ce signe comme indiquant la m~chancet6 'a n'en ponvoir douter, une bouche pinc~e, disons nous, &'ait encadr6e par deux petites moustaches grises et par une royale, ornement alors 'a la mode, et qni ressemble assez 'a une virgule par sa forme. Le vieillard avait sur la tefte une calotte rouge; il 6tait envelopp6 dans une vaste robe de chambre, portait des bas de soie pourpr~e, et 1-x'6ait rien momns qu'Armand Duplessis, Cardinal de Richelieu. 11 avait tr~s-pr~s de lui, autour de la plus' petite table dont iI a &6 question,. quatre jeunes gens de quinze "a vingt ans: ils 6taient pages on domestiques, selon l'expression du temps, qui signifiait alors familier, ami de la maison. Get usage ~tait un FRENCH READER. reste de patronage feodal denmeu6 dans nos miceurs. Les ca-dets gentilshomntes des plus hautes families recevaient des gages des grands seigneurs, et lour 6taient d6voue's en toute epirconstanpe, allant appeler en duel le premier vonui aui moindre d6sir de lour patron. Les pages dont nous parlons r6digeaient des lettres dont le Cardinial leur avait donn6 la substance; et, apr~s un coup d'coil du maitre, ii los passaient aux secr~taires, qui les mottaient au net. Le vioux duc, do son cOt6, 6crivait suir son genou des notes secrbetos stir do petits papiers, qu'il glissait dans p'resque tous les paquets avant do lows fermer de sa propre main. II y avait quelques instants qu'il 6crivait, lorsqu'il apergut, dans, une glace plac6o en face de lui, le plus jeune do ses pages tragant quelquos lignes interrompues suir tine feuille d'une taillo inf6rioure ha celle du papier minist6riel; il se hatait d'y mettre quelques mots, puis la glissgit rapidemeut sous la grande feuillo qu'il 6tait charg6 de romplir 'a son grand regret; mais, plac4 derri~we le Cardinal, il espdrait que sa cjifllcult6 ~t se rotournor l'empj'cherait de s'apercevoir dui petit manbge qu'il semblait exercer avoc assoz d'habitude. Tout h coup Richelieui, lui addressant la parole sechement, lui dit: WVneti ici, monsieur Olivior." Ces doux mots furont commo tin coup de foudre pour co pauvro onfant qui paraissait n'avoir que seize ars. II so leva pourtant tr~s-vite, et vint so placer debout dovant le ministro, les bras pendants et la t~to baiss6e. Les autros pages et los secr6tairos ne roxnurent pas plus quo des soldats Iorsque P'un d'ux tombe frappd d'uno baffe, tault ils 6taient accoutum6s k ces sortes d'appels. Celui-cj pourtant s'annongait d'uno manihre plus vive quo los autres. "Qu'6crivezwvous flt? " "Monseigneur ye quo wotre Eminence me dicte." "Monsoigneur, la lettre 'a Don Juan de Bragance," "Point de d6vours, monsieur; vous faites autre chose." "Monseigneur," dit alors le page, los lannes aux yeux7'c'o'tait tin billet h tine do maes cousinos." "1Voyons-lo." Alors tin trombloment universel l'agita, et il fut oblig6 do s'appayer stir Ia chemin6o on disant it derni-voix FRI~'l"NCH READE~R. 2 23 "C'est impossible." "Monsieur le Vicomte Olivier d'Entraigues," dit le minlistre sans marquer la moindre 6motion, "1vous n'8tes plus 'a mon service." Et le page sortit; ii savait qu'il n'y avait pas 'a r6pliquer; il glissa son billet dans sa poche, et, ouvrant la porte k deux battants justement assez pour qu'il y eut place pour lui, il s'y glissa comme un oiseau qui s'6chappe de sa cage. Le ministre continua les notes qu'i tragait suir son genou. Les secr~taires redoublaient de silence et d'ardeur, lorsque la porte s'ouvrant rapidement de chaque cWt, on vit paraitre, debout entre les deux battants un capncin qui, s'inclinant les bras crois6s sur la poitrine, semblait attendre l'aumo'ne on l'ordre de se retirer. Ii avait un teint rembruni, profond~ment sillonn6 par la petite v~role; des yeux assez doux, mais un pen louches et tonjours converts par des sourcils qni se joignaient an milieu du front, une bouche dont le sonrire 6tait rus6, malfaisant, et sinistre; une barbe plate et rousse 'a lextr~mit6, et le costume de l'ordre de Saint Frangois dans tonte son horreur, avec des sandales et des pieds nus, qui paraissaient fort indignes de s'essnyer sur un tapis. Tel qu'il 6tait, ce personnage parut faire une grande sensation dans tonte Ia salle; car, sans achever la phrase, la ligne, on le mot commenc6, chaque 6crivain se leva et sortit par la porte, oii il se tenait toujours debout, les uns le saluant en passant, les, autres. d~tournant la ta~te; les jennes pages se tonchant le nez, mais par derribre lui, car ils paraissaient en avoir peur en secret. Lorsqne tout le monde ent d~fil6, il entra enfin, faisant une profonde r~v~rence, parceque la porte 6tait encore ouverte; mais sitoft quelle fut ferm6e, marchant sans c~r~monie, il vint s'asseoir auprbs du Cardinal, qui, l'ayant reconun an monvement qui se faisait, lui fit une inclination de tote s~che et silenciense, le regardant fixement comine pour attendre une nouvelle, et ne ponvant s'emp~cher de froncer le sourcil, comme 'a l'aspect d'une araigne'e ou de qnelqne autre animal d~sagr~able. Le Cardinal n'avait Pu r~sister 'a ce monvement de d6plaisir, parcequ'il se sentait oblige', par la pr~sence de son agent, a rentrer dans ces conversations profondes et p~nibles dont ii s'6tait repos6 pendant quelques jours dans un pays dont l'air pur lui 6tait favorable, et dont le calme 'avait un pen ralenti les donleurs de sa maladie; elle s'6tait chang6e en une fibvre lente; FRIEN2VCH 1?EADER. mais ses intervalles 6taient assez longs p6ur- q'u'il p1At oublier, pendant son absence, ~u'elle devait revenir. Donnant donc un peu de repos 'a son imagination jusqu'Calors infatigable, il attendait sans impatience, pour la premi'ere fois de ses jours peut-6tre, le retour des courriers qu'il avait fait partir dans toutes les directions, comme les rayons d'un soleil qui donnait seul la vie et le mouvement 'a la France. Ii ne s'attendait pas 'a la visite qu'il recevait alors, et la vue d'un de ces hommes qu'il trempait dans le crime, selon sa propre expression, lui rendit toutes les inqu~itudes habituelles de sa vie plus pre'entes, sans dissiper entilerement le nuage de m~9ancolie qui venait d'obscurcir ses pens~es. Le commencement de sa conversation fut empreint de la couleur sombre de ses dernie'res reveries; mais bientot il en sortit plus vif et plus fort que jamais, quand la vigueur de son espriit rentra forc~ment dans le monde r6el. Son confident, voyant qu'il devait rompre le silence le premier, le fit ainsi assez brusquement: "Eh bien, monseigneur, 'a quoi pensez-vous?' Hla!joseph, 'a quoi devons-nous penser tons tant que nous sommes, sinon 'a notre bonheur futur dans une vie meilleure que celle-ci? Je songe depuis plusieurs jours, que les' int6r~ts humains m'ont trop d~tourn6 de cette unique pens~e, et je me repens d'avoir employ6 quelques instants de loisir 'a des ouvrages profanes, tels que mes trag~dies d'Europe et de Mirame, malgr6 la gloire que j'en ai tir6e parmi nos plus beaux, esprits, gloire qui se r~pandra dans l'avenir." Le P. Joseph, plein des choses qu.'il avait 'a dire, fut d'abord surpris de ce d~but; mais ii connaissait trop son malitre pour en rien t6moigner, et, sachant bien oui il le ram~nerait 'a d'autres ides, il entra dans les siennes sans h~siter. " Le m~rite en est pourtant bien grand," dit-il avec un air de regret, "1et la France g~mira de ce que ces ceuvres immortelles ne sont pas suivies de productions semblables." Oumon cher Joseph, c'est en vain que des hommes tels que IBoisrobert, Claveret, Colletet, Corncille, et surtout le c~l~bre Mairet ont proclam6 ces trag~dies les plus belles de toutes, celles que les temps pr~sents et pass~s ont vu repr~senter; je me les reproche, je vous jure, comme un vrai p~cb6 mortel, et je ne m'occupe, dans mes heures de repos, que de ma.Mie'hode F-RENCH READER. 2 25 des Confroverses, et du livre sur La Perfeclion d/u Chre'Aien. Je songe que j'ai cinquante-six ans et une maladie qui ne pardonne guere." "Ce sont des calculs que vos ennemis font aussi exactement. que votre Eminence," dit le Pere, ai qui cette conversation cornmengait 'a donner de l'humeur, et qui voulait en sortir au plus vite. Le rouge monta, au visage du Cardinal. "tJe le sais, je le sais bien," dit-il, " je connais toute leur noirceur et je m'attends 'a tout. Mais qu'y a-t-il donc, de nouveau? " " Nous 6tions convenus d~'a monseigneur, de remplacer Mademoiselle d'Hauteford, et le Roi. " Eh bien!" " Le Roi a des ides qu'il n'avait pas eues encore." " Vraiment! et qui ne viennent pas de moi.? Voila, qui va bien," dit le ministre avec ironie. "1Aussi, monseigneur, il a parle6 de rappeler la Reine m~re," dit le capucin "a voix basse, " de la rappeler de Cologne." " Marie de M6dicis! " s'6cria le Cardinal, en frappant sur les bras de son fauteuji avec ses deux mains. "1Non, par le Dieu vivant!1 elle ne rentrera pas sur le sol de France, d'oi' je 1'ai chass6e pied par pied! L'Angleterre n'a pas os6 la garder exil6e par moi, la Hollande a craint de crouler sous elle, et mon royaume la recevrait! Non, non, cette ide n'a, pu lui venir par lui-m~me. Rappeler mon ennemie! rappeler sa more I quelle perfidie! non, il n'aurait jamais os6 y penser... "1Joseph, prenez une plume, et 6crivez vite ceci pour I'autre confesseur, que nous choisirons mieux. Je pense au P. Sirmond. i. Un prince doit avoir un premier ministre, et ce premier ministre trois qualit&s: ie, qu'il n'ait pas d'autre passion que son prince; 2e, qu'il soit habile et fidile; 3e, qu'il soit eccl~siastique. ' 2. Un prince doit parfaitement aimer son premier ministre. '3. Ne doit jamais changer son premier ministre. '4. Doit lui dire toutes choses. '5. Lui donner libre acc~s auprbs de sa personne. '6. Lui donner une souveraine autorit6 sur le peuple. '7. De grands honneurs et de grands biens. '8. Un prince n'a pas de plus riche tr~sor que son premier ministre. 26 ~FRENCH, RJA4DER. ' 9. Un prince ne doit pas ajouter foi ~ ce qu'on dit contre son premier ininistre, ni se plaire 'a en entendre m~dire. 'io. Un prince doit r~ve'ler 'a son premier ministre tout ce qu'on a dit contre lui, quand m~me on aurait exige' du prince, qu'il garderait le secret. ' i i.. Un prince doit non seulement pr~f~rer le bien de son A~at, mais son premier ministre hi tous ses parents.' " Tels 6taient les commandements du Dieu 'de la France, momns 6tonnants encore que la terrible naYvet6 qui lui fait l6guer lui-m~me ses ordres 'a la post~rite', comme si elle aussi devait croire en lui. 4. de J7zgny, "1Czizq Mars." 20. Louis XIII. ef Richelz~u. "Je veux r6gner par moi seul." "A la bonne heure," dit Richelieu; CC mais je dois vous pr6venir que les affaires de moment sont difficiles. Voici l'heure o-h-l'on m'apporte mon travail ordinaire." "1Je m'en charge," reprit Louis "j'ouvrirai les portefeuilles, je donne-rai mes ordres." " Essayez donc," dit Richelieu; "je me retire, et, si quelque chose vous arr~te, vous m'appellerez." II sonna: 'a 1'instant m~me, et comme s'ils eussent attendu le signal, quatre vigoreux valets de pied entre'rent et emporte~rent son fauteuil et sa personne dans un autre appartement; car ii ne pouvait plus marcher. En passant dans la chambre ott travaillaient les secr6taires, il dit 'a haute voix: " Qu'on prenne les ordres de sa Majest6" Le roi resta, seul. Fort de sa nouvelle resolution, et fier d'avoir une fois r6sist6, il voulut sur-le-champ, se mettre "' l'ouvrage politique. II fit le tour de l'immense table, et vit autant de portefeuilles que l'on comptait alors d'empires, de royaumes, et de cercles dans l'Europe. 1I en ouvrit un, et le trouva divis~s en cases, dont le nombre e'galait celui des subdivisions de tout le pays auquel ii 6tait destin6. Tout 6tait en ordre, mais en un ordre effrayant pour lui; parceque chaque note ne renfermait que la quintessence de chaque affaire, si l'on peut parler ainsi, et ne touchait que le point juste des relations du moment avec La France. Ce laconisme 4tait 'a peu pr~s aussi 6nigmatique pour FRI"ENCH REA DER?. 27 Louis que les lettres en chiffres qui couvraient la table. Lh, tout 6tait confusion. Sur des 6dits de bannissement et d'expropriation des Tiuguenots de la Rochelle se trouvaient jet6s les trait~s avec Gustave-Adolphe et les Hluguenots du Nord contre l'Empire; des notes sur le G&n6ral Bannier, siw Walstein, le duc de Weimar, et jean de Wert, 6taient rouh~es p~le-n~le avec le detail des lettres trouv~es dans la cassette de la reine, la liste de ses colliers, et des bijoux qu'ils renferrnaient, et la double inter.. pr~tation qu'on efit pu donner ht chaque phrase de ses billets. Sur la marge de lFun d'eux 6taient ces mots "1Sur quatre lignes de l'criture d'un homme, on peut lui faire un pIQC~s crirnineL." Plus loin 4taient entass~es les d~nonciations contre les Huguenots, les plans de r~publique qu'ils avaient arr~te's, la division de la France en cercles sous la dictature annuelle d'un chef; le sceau de cet 6tat projet6 y &tait joint, repr~sentant un ange appuy6 sur un croix, et tenant Lk la main la Bible, qu'il 4levait sur son front. A c~t6 6tait une' liste des cardinaux que le Pape avait nomm&s autrefois le m~me jour que l'&vque de Lugon (Richelieu). Parmi eux se trouvait le Marquis de B&dmar, ambassadeur conspirateur 'a Venise. Louis XIII. 6puisait en vain ses forces sur des c1~tails d'uue autre 6poque, cherchant inutilement les papiers relatifs Lh la conjuration, et propres, L lui montrer son v~ritable nceud et ce que l'on avait tent6 contre lui-m~ime, lorsqu'un petit homme d'une figure oliv~tre, d'une taille courb~e, d'une d~marche contrainte et d~vote, entra dans le cabinet; c'6tait uni secr~taire d'6tat, nomme' Desnoyers; il s'avan~a en saluant: " Puis-je parler ht sa Majest des affaires du Portugal?" dit-il. " D'IEspagne, par conse'quent," dit Loui's; "le Portugal est une province d'Espagne." " De Portugal," insista Desnoyers. "Voidi le manifeste que nous recevons 'a l'instant." Et il lut "I'Don Juan, par la grace de Dieu, roi de Portugal, des Algarves, royaumes dega I'Afrique, seigneur de la Guin6e, conqueste, navigation et commerce de l'Estropie, Arabie, Perse, et les lnde~s-"I " Qu'est-ce que tout cela?" dit le roi; " qui parle donc ainsi? " "CLe duc de Bragance, roi de Portugal, couronne' il y a dj .P-RENCHI READER. une — i1 y a&quelque temps, sire, par un homme appelM PJ~nto. A peine remont6 sur le tro~ne, il tend la main 'a la Catalogue "La Catalogne se r~volte aussi! Le roi Philippe IV. n'a donc plus pour premier ministre le comte-duc?" " Au contraire, sire, c'est parce qu'il l'a encore. Voici la d6claration des Etats-g~n~raux Catalans 'a sa Majest6 Catholique, eontenant que tout le pays prend les arines contre ses troupes sacrile'ges et ekcommuui~es. Le roi de Portugal Y. " Dites le duc de Bragance," reprit Louis; " je ne reconnais pas un revolts." ~ "1Le due: de Bragance done, sire,' dit froidement le conseiller d'6tat, "1Cenvoie 'a la principaut64 de Catalogue son neven, D. Ignace de Mascarenas, pour s'emparer de la protection de ce pays (et de sa souverainet e- peut-6tre, qu'il voudrait ajouter a celle qu'il vient de reconque'rir). Qr, les troupes de votre Majeste' sont devant Perpiguan." "Eli bien, qu'importe?" dit Louis. "Les Catalans out le cceur plus Fraugais, que Portugais, sire, et il est encore temps d'eulever cette tutelle an roi de ~~an due de Portugal." "Moi soutenir des rebelles! vous osez 1' "C'6tait le projet de son Eminence," poursuivit le secr~tairp d'tat; "lI'Espagne et la France sout en pleine guerre d'ailleurs, et M. d'Olivare's n'a pas h~sit6 'a teudre la main de sa Majest Catholique A' nos Huguenots." "C'est bon; j'y peuserai," dit le roi. "Laissez-moi." "Sire, les Etats, - g~n~raux de Catalogue sout press6s, les troupes d'Aragon marchent contre eux."y "CNous verrous. 'Je me d~ciderai dans un quart d'heure," rdpondit Louis XIII. Le petit secr~taire d'6tat sortit avec un air m~coutertt et d~courag&. A sa place, Chavigny se pr~senta, tenant un portefenille aux armes britanniques. "t-Sire," dit-il, " je demande 'a votre Majest6 des ordres, pour les affaires d'Angleterre. Les parlementaires, sons le commaudemeut du Comte d'Essex, viennent de faire lever le sie'ge de Gloucester'; le prince -Rupert 'a livr6 It Newbury une bataille, d6sastreuse et pen profitable 'a S. M. Britannique. Le parle ment se prolonge, et il a pour Ini les grandes villes, les ports, et toute IFRENCH READERP 2 29 la population presbyt~rienne. Le roi Charles I. demande des secours que la reine ne trouve plus en Hollande." " 11 faut envoyer des troupes 'a mon frere d'Angleterre," dit Louis. Mais il voulut voir les papiers pr6c6dents, et en parcourant les notes du Cardinal, ii trouva que, sur une premi'ere demande du roi d'Angleterre, il avait &crit de sa main: " Faut refle'hir longtemps et attendre: les communes sont. fortes; le roi Charles compte sur les Ecossais; us le vendront. "Faut prendre garde. II y a l'a un homme de guerre qui est venu voir Vincennes, et a dit qu'om tie devrail jamais flapper lsprinces qu'a la 11te. Remarquable," ajoutait le Cardinal. Puis il avait rays ce mot, y substituant " redoutable." Et plus bas: " Cet homme domine Fairfax; il fait l'inspird; ce sera un grand homme. Secours refus6; argent perdu." Le roi dit alors: " Non, non; ne pr~cipitez rien; j'attendrai." " Mais, sire," dit Chavigny, "Iles &r6nements sont rapides; si le courrier retarde d'une heure, la perte du roi d'Angleterre peut s'avancer d'un an." " En sont-ils lIk?" demanda Louis. " Dans le camp des Ind~pendants on pr~che la RWpublique, la Bible 'a la main; dans celui des Royalistes, on se dispute le pas, et l'on rit." "Mais un moment de bonheur pent tout sauver "Les Stuarts ne sont pas heureux, sire," reprit Chavigny, respectueusement, mais sur un ton qui laissait beaucoup 'a penser. " Laissez-moi," dit le roi d'un ton d'humeur. Le secr~taire d'tat sortit lentement. Ce fut alors que Louis XIII. se vit tout entier, et s'effraya du n~ant qu'il trouvait en lui-m~me. II promena d'abord sa vue sur l'amas de papiers qui 1'entourait, passant de l'un 'a l'autre, trouvant partout des dangers, et ne les trouvant jamais plus grands que dans les ressources m~me qu'il inventait. Ii se leva, et changeant de place, se conrba, on pluto~t se jeta, sur une carte g~ographiqne de l'Europe; il y trouva tontes ses terreurs ensemble, au nord, au midi, an centre de son royaunme; les r~volutions lui apparurent comme des Eum6nides; sons chaque contr~e il crut voir fumer un volcan; il lni semblait entendre les cris de d~tresse des rois qui I'appelaient, et les cris de fureur des peuples; ii1 crut sentir la terre de France craquer et se fendrie 30 FRENCH PEA DEK sous sos pieds; sa vue faible et fatigudo se troubla, sa tote malade fut saisie d'un vertige qui refoula lo sang vers son cweur. 1" Richelieu!" cria-t-il d'une voix dtouffde, en agitant one sonnette, "4qu'on appolle lo Cardinal." Et ii tomba dyanoni dans un fauteuil. Lorsque lo roi rouvrit los yeur, ranim6 par los odeurs fortes et les sols qu'on lui avait mis sur los lbvres et los tempes, ii vit un instant des pages, qui so retirbrent sitdt qu'il eut entr'ouvort ses paupibres, et so rotrouva soul avec le Cardinal. L'impassiblo ministro avait fait poser sa chaise longe contro lo fautouil du roi, comme le si6ge d'un m~decin pros du lit do son malado, et fixait ses yeux &incolants ot scrutateurs sur le visage pale de Louis. SitOt qu'il put l'entendro, ii reprit d'uno voix sombre son terrible dialogue: "' Vous m'avoz rappel6," dit-il; "quo me voulez vous?" Louis, renvors6 sur l'oreiller, entr'ouvrit los yeux et le regarda, puis so hata de los rofermer. Cotto tote d~charnoe, arm6o de deux youx flamboyants et termin6e par une barbe aigue et blanchdtro; cotto calotto et ces votements de la coulour du sang et des flammes, tout lui repr6sentait un esprit infernal. "RWgnez," dit-il d'une voix faible. A~fred de Vzgny. 21. L'Oncle d'Amerz'ique. Bien qu'au commencement do ce sibclo Dioppe eoft dgk'a beaucoup perdu do son importance, sos expeditions maritimes avaiont encore une grandeur que lo commerce restroint do nos jours no pout faire soupgonner. Le temps des fortunes fabuleuses n'dtait point tolloment pass6 qu'on no vit, do tomps en temps, rovenirdes pays lointains quelquos-uns do cos millionnaires inattondus dont lo tb6artro a tant abus6, et l'on pouvait encore, sans trop do nawvot6, croire ha la r6alit6 des oncles d'Am6rique. En offot, on montrait alors 'a Dieppe plus d'un n6gociant dont les naviros romplissaiont le port, et qu'on avait vu partir quolques vingt ans auparavant en simple jaquette do matolot. oes oxomplos 6taiont on encouragement pour los forts et une oternelle esperanco pour les d6sh~ritts. Es rondaiont l'invraisomblablo possiblo, ot l'impossible vraisemblable. Los malheui'eux se consolaient do la r6alit6 en esp6rant un miracle. FJRENCH5 READER. 3 3 1 Ce miracle semblait pr~s de s'accomplir pour tine pauvre famille du petit village d'Omonville, situ6 'a quatre lieues de Dieppe. La veuve Mauvaire avait subi de rudes 6preuves. Son fils atn6, le v~ritable soutien de la famille, 6tait mort dans tin naufrage, laissant qtiatre enfants 'a la charge de la vieille femme. Ce maiheur avait arrWt et peut-6tre rompti le maniage de sa fille Cl6mence, en m~me temps qu'il d6rangeait les projets de son fils Martin, qui avait dfi quitter ses 6tudes tardives pour venir reprendre sa part des travaux de la ferme. Mais au milieu de l'inqui~tude et de l'abattement de la pauvre famille, tine esp~rance rayonna tout-h-coup! Une lettre 6&nite de Dieppe annon~a le retour d'un beau-fr~re de la veuve, parti depuis vingt ans. L'oncle Bruno revenait avec quelques curioszi'eys du nouveau monde, ainsi qu'il le disait lui-m~me, et dans la r~solution de s'6tablir 'a Dieppe. Sa lettre faisait, depuis la veille, l'objet de toutes les pr~occupations. Bien qu'elle ne renfermat rien de pr6cis, le fils, Martin, qui avait de la lecture, y reconnut le style d'un homme trop, libre et de trop bonne humeur pour ne pas s'6tre enrichi. IEvidemment le marin revenait avec quelques tonnes d'6cus, dont ii ne refuserait pas de faire part 'a sa famille. Une fois en route, 1'imagination marche vite. Chacun ajouta ses suppositions 'a celles de Martin; Julienne elle-m~me la filleule recueillie par le veuve et qui habitait la ferme momns comme servante que comme parente d'adoption, Julienne se mit 4t chercher ce que l'oncle d'Am~rique pourrait lui donner. "1Je lui demanderai tin caraco de drap et tine croix d'or," dit-elle, apr~es tine nouvelle lecture de la lettre, que Martin venait de faire tout haut. "Ali," dit la veuve en soupirant, "1si mon pauvre Didier vivait, Voila qu'il efit tnouv6 tin protecteun."y 11Il y a toujours ses enfants, manraine," fit observer la jeune fille, "sans compter mam'selle Cl6mence, qui ne refuserait pas uine dot." "1Pourquoi faire I" dit C16mence, en secouant tristement Ia tate. "1Pourquoi?" r6p6ta Julienne; "1mais pour que les parents de M. Marc n'aient plus rien lk dire. Uls out eu. beau embarquer leur flls, 4 cette fin d'emp~cher le maniage; si l'oncle Bruno le Veut, allez I le futur sera bient6t de retour." F'RENCHJ READER. "1Reste 'a savoir s'il A envie de revenir," objecta la jeune fille 'a demi-voix. "I hh bien! si ce n'est pas lui, tu en trouveras un autre," dit Martin, qui ne voyait que le mariage de 'sa sceur, tandis que celle-ci voyait surtout le mani; " avec un oncle d'Am~rique, on trouve toujours une bonne alliance. Qui sait m~me s'il n'a pas avec lui quelque compagnon de fortune, quelque millionnaire dont il voudra se faire un neveu?" "Oh! j'espe're bien que non!" s'6cria Ch6mence effray~e; "rieu ne presse pour mon mariage." " Ce qui presse, c'est de trouver une place pour ton frbre," reprit la veuve d'un ton chagrin. " Monsieur le comte me fait toujours esp6rer la recette de ses fermes," objecta Martin. "1Mais il ne se d~cide pas," reprit la vieille femme; "1en attendant, le temps se passe et le bl se mange. Les grands seigneurs ne savent pas ~a; leur esprit est au plaisir, et, quand its se rappellent le morceau. de pain qu'ils vous ont promis, vous Otes d~jit mort de faim." "1Nous n'aurons plus 9a 'a craindre avec l'amiti6 de l'oncle Bruno," dit Martin; "1il n'y a pas 'a se tromper; sa le-ttre dit: 'Jarriverai demain 'a Omonville, avec tout ce que je poss~de,' ce qui signifie, qu'il ne compte- pas nous oublier." "II doit 6tre en route,"' interrompit la veuve; "i peut arriver it chaque instant." "1Avez-vous bien tout prdpar6, Cle'mence?" La jeune fille se leva et montra le buffet garni avec une abondance inaccoutum.6e. Prl~s d'un gigot de mouton, qu'on venait de retirer du four se dressait un 6norme quartier de lard fum6, fianqu6 de deux assiettes de fouasses de froment et d'une terrine de cr~me douce. Plusieurs pots de maitre-cidre compl~taient ce menu, qui fit pousser aux enfants des cris d'admiration et de convoitise. Julienne parla en outre d'un potage aux pommes et d'une tartine au beurre qui migeotait prbs du feu. La veuve choisit alors dans son armoire 'a linge une nappe et des serviettes jaunies par le manque d'usage. La jeune servante prit dans le vaisselier les assiettes les momns 6br&hUes et cornmen~a at mettre le couvert, en plagant au haut bout de la table l'unique cuiller d'argent que poss~d~t la famille. On achevait ces preiparatifs, lorsqu'un des enfants qui faisait guet au dehors se pr~cipita dans la maisori en cniant: -FRENCH READER. 3 "Le voici, le voici!" "Qui cela.? " demanda-t-on de toutes parts. "Eli bien! parbleu! 1'oncle Bruno," re'pondit une voix forte et joviale. La famille enti~re se retourna. Un matelot venait de s'arr~ter sur le seuil et restait encadr6 dans la baie de la porte subitement ouverte; il tenait sur le poing droit un perroquet vert, et de la mnain gauche un singe de moyenne esp~ce. Les petits enfants 6pouvant~s se sauv~rent dans le giron de la grand'm~re qui ne put elle-m~me retenir un cri. Martin, C16mence, et la servante regardaient stup~fi~s. " Comment, est-ce qu'on a peur de ma m~nagerie?" reprit Bruno en riant. "1Allons, braves gens, remettez-vous le cceur, et qu'on s'embrasse; je viens de faire trois mille lieues pour qa! " Martin se hasarda, le premier; puis vinrent C16mence, la veuve, et les plus grands de ses petits-fils; mais rien ne put d~cider la petite-fille ni le cadet 'a s'approcher. Bruno s'en d~dommagea en embrassant Julienne. "Par ma foi! j'ai cru que je n'arriverais jamais," reprit-il; "Cmais savez-vous, maman Mauvaire, qu'il y a une bonne bord~e 4 courir de Dieppe h votre maison? " Martin remarqua alors les chaussures du manin qui e'taient couvertes de poussibre. " Est-ce que l'oncle Bruno est venu 'a pied?" demanda-t-il, tout surpris. "1Pardieu! voudrais-tu que je fusse venu en canot ~ travers vos champs de blW?" r~pondit le matelot gaiement. Martin se tourna vers la porte: "lVMais-les bagages? " hasarda-t-il. " Mes bagages, je les ai sur moi," dit Bruno. "IUn manin, mon petit, a, n'a besoin pour garde-robe que d'une pipe et d'un bonnet dA nuit." La veuve et les enfants se regardbrent. " Pardon,"Y objecta le gargon; "1mais, d'aprbs la lettre de l'oncle, j'avais cru-"-2 " Quoi donc? que j'arrivais avec un vaisseau ~ troi's ponts?" "cNon," reprit Martin, qui s'efforga de fire agr~ablement; "cmais avec vos malles... pour un long sgjour; car vous nous aviez fait esp6rer que vous resteriez longtemps." D 34 34 ~FRENCH RiEADER. MOIvrj? "La prenve, c'est que vous nous avez dit, venir avec loul ce quae voiispjosse'iez." "1Eh bien, le voira, tout ce que je poss~de!"s'6ria Bruno, "mon singe et mon perroquet." "Quoi! c'est tout?" s'6cria la famille d'une seule voix. "Avec mon coffre de matelot, oii il y a pas mal de bas sans pieds et de chemises d~pouilles, de manches! Mais on n'en est pas plus triste pour ~a, les enfants. Tant que la conscience et l'estomac sont en bon 6tat, le reste n'est qu'une farce! Faites excuses, belle-sceur; je vois lih du cidre, et- vos quatre lieues de chemin de terre m'ont desscH~ le gosier. Houp! Rochambeau, salue les parents I" Le singe fit trois gambades, puis alla s'asseoir un peu. plus loin en se grattant le museau. Le marin, qui avait gagn6 la table, se servit 'a boire. La famille paraissait constern~e. En voyant le convert mis, Bruno s'6tait assis sans fagon, et avait de'clar6 qn'il mourait de faim. Bon gr6, mal gr6, ii fallut servir la soupe aux pommes et le lard fnm6 qui avaient 6t6 apergus; mais la veuve Mauvaire referma le buffet sur le reste. Le matelot que Martin continnait 'a interroger, raconta alors comment ii avait parcouru vingt ans les mers, de l'Jnde sons divers pavilions, sans, antres gains que sa paye, aussitolt d~pens&e que reque. Enfin, an bout d'une henre, ii parut 6vident que l'oncle Bruno n'avait pour fortune que beaucoup, de bonne humeur et un excellent app6tit. Le d~sappointement fut g~n~ral, mais se traduisit selon le caractere de chacun. Tandis, qu'il n'6veillait chez Cle'mence que de la surprise me^l6e d'un pen de tristesse, chez Martin c'6tait un d~pit humili, et chez la venve du regret et de la col~re. Ce changement de dispositions ne tarda pas ih s'exprimer. Le singe ayant effray6 la petite fille en la poursuivant, sa grand'mere exigea qn'il ffit rel~gn6 dans, une 6eurie abandonne'e; et le perroquet s'6tant permis de becqueter dans 1'assiette dn matelot, Martin le d6clara impossible h supporter. Cl6mence ne dit rien, mais elle sortit avec Juliette pour vaquer aux soins, du m6nage, tandis que la venve allait reprendre son ronet hors dn seuil. Rest6 seul avec son neveu, qui cherchait 'a donner I'apparence F-RENCH READER. 3 3% 5 le la distraction 'a son air maussade, l'oncle Bruno reposa tranquillemnent le verre qu'il avait vid6 'a petits coups, sifflota un instant, puis s'appuyant des deux coudes sur la table, il regarda Martin en face. "Sais-tu bien, gargon," dit-il tranquillement, " que le vent me parait 6tre un peu au nord-est dans la maison? Vous avez tons des mines qui font froid au cceur, et personne ne m'a encore adress6 ici le plus petit mot d'amiti6. C'est pas comme 9a qu'on regoit un parent qu'on n'a pas vu depuis vingt ans! " Martin r6pondit assez brusquement que l'accueil 6tait ce qu'il pouvait etre, et qu'il ne d6pendait pas d'eux de lui faire meilleure ch~re. "1Mais il dUpend de vous de faire meilleur visage," r6pliqua Bruno, "cet vous Tn'avez re~u comme un grain blanc. Au reste, c'est assez caus6 sur I'article, mon petit; j'aime pas les querelles de m~nage. Rappelle-oi bien seulement, que vous vous repentirez un jour de la chose: je ne dis que ~a!" Ayant ainsi parl6, le matelot se coupa une nouvelle tranche de lard et se remit 'a manger. Martin, frapp6 dle ces paroles, eut un soup~on. " L'oncle Bruno n'aurait point cet air d'assurance," pensat-il, "1s'iI ne Poss~dait, comme ii le pr~tend, qu'un singe et un perroquet! Nous avons 6t dupes d'une ruse; ii a vouiu nous 6prouver, et l'esp'ee de menace qu'il vient de me faire l'a trahi; vite, t~chons de r~parer notre sottise et de le ramener 'a nous! Ii courut 'a sa more et 'a sa sceur pour leur faire part de sa d6couverte. Toutes deux se h~t'erent de rentrer; les visages qui 6taient partis renfrogn&s, revenaient 6panouis et souriants. La veuve s'excusa de ce que les n~cessit~s du m~nage l'eussent forc~e 'a quitter le cher beau-fr~ire, et s'6tonna de ne pas voir la table mieux servie. " Eh bien! oi-i est donc le g~teau?" s'6cria-t-elle; "oi sont les fouasses et la cr~me que j'avais mis 'a part pour Bruno? Julienne', 'a quoi pensez-vous, ma chore? Et vous, C16mence, voyez s'il ne reste pas des noisettes dans le petit. buffet; 9a aiguise les dents, et ~a aide 'a boire le piot." La jeune fille ob~it, et, quand tout fut sur la table, elle vint s'asseoir souriante vis-a-v'is du matelot. Celui-ci la regarda avec complaisance. D 2 36 36 ~FR-ENCH PEA iER. "1Eli bien, k la bonne heure 1" dit-il; "1voilk une figure de vraie parente; je retrouve la fille de mon pauvre Georges I" Et lui passant la main sous le menton " Du reste, c'est pas d'aujourd'hui que je te connais, petiote," ajouta-t-iI; "1il y a longtemps qu'on me panle de toi." "IQui cela? " demanda la j eune fille 6tonn&e. Avant que le matelot efit r~pondu, une voix haute et brbve fit entendre le nom, de Cl6mence! Celle-ci se retourna stupffaite, et ne vit personne. "Ah, ah!1 tu ne sais pas qui t'appelle!" dit le matelot en riant. "C16mence, Cl6mence I" redit la me'me voix. "C'est le perroquet 1" s'6cria Martin. "Le perroquet I" r6p~ta la jeune fille; "et qui donc lui a appris mon nom?" "1Quelqu'un qui ne 1'a pas oubli6," r~pliqua Bruno en clignant de 1'ceil. "Vous, mon oncle?' "Non, fillette; mais un jeune maletot ne' natif d'Omonville." "Marc!1" "Je crois bien que c'est son nom, "Vous l'avez donc vu, mon oncle?" "Un peu, par la raison que je suis revenu sur le navire otL il 6tait embarqu6." "Ii est de retour? "Avec une part de voyage qui lui permettra, dit-il, de se mettre en m~nage sans avoir besoin de ses parents pour lui pendre la cr6maill'ere.` "IEt il vous a parl6-~?" "De toi," dit le marin, qui acheva. la pens~e de sa nikce, "lassez souvent pour que jako ait retenu le nom, comme tu vois." Ckelmence devint rouge de plhisir, et la veuve eile-m~me ne put retenir un geste de satisfaction. Le maniage projet6 entre sa fille et Marc lui avait toujours souri, et elle s'~tait se'rieusement afflig~e des obstacles apport&s, dans ces derniers temps, par la famille du jeune homme. Bruno lui apprit que celui-ci n'avait e't6 netenu 'a Dieppe que par les formalitds n~cessaires hi son d6barquement, et qu'il anniverait probablement le lendemain, plus amouneux que jamais. Cette nouvelle r~jouit tout le monde, mais particulie'rement Cle'mence, qui embrassa son oncle avec un v~ritable transport FR nENCH READER. 3 37 %de reconnaissance. Bruno la retint un instant, la tete stir son 65pauile. "1Allons, nous voil'a bons amis, 'a la vie 'a la mort, pas vrai?" dit-il en riant; "1aussi, pour que tu. ne t'ennuies pas trop 'a attendre le matelot, je te donne mon perroquet; ga te parlera de WUi. Cl6mence embrassa de nouveau son oncle avec mille remerciments et tendit les mains 'a 1oiseau, dont elle n'avait plus peur; il s'61ance stir son bras en criant,"1Bonjour, C16mence! " Tout le monde 6clata de rire, et la jeune fille ravie 1'emporta en le baisant. "1Vous venez de faire tine heureuse, fr~re Bruno," dit la veuve, qui la suivit des yeux. "1Je votidrais bien qtie ce ne ffit pas la seule," r6pondit le manin, en redevenant s~rieux "vous aussi, belle-sceur, j'aurais quelque chose 'a vous offrir; mais j'ai peur de vous remuer tin triste souvenir dans le coeur." "II1 s'agit de mon fils Didier!" s'6cria la vieille femme, avec cette lucide promptitude des m~res. "1Vous l'avez dit,"P reprit Bruno. "Quand il a fait nauifrage, l'a-bas, nous 6tions maiheureusement s~par~s....-Si le bon Dieui nous e1fit mis stir le m~me navire, qui sait? Je nage 'a rendre des points aux marsouins, moi; j'aurais peut-6tre Pu lui donner tin coup dN6paule, comme 'a I'affaire de Tr~port." "1En effet, vous lui aviez tine fois sativ6 la vie!" s'6cria la veuve, subitement rappel6e 'a tin lointain souvenir, " je n aurais jamais dfi l'oublier, beau-ffrere." Elle avait tendti tine main aui matelot; celtii-ci la serra dans les siennes. " Bah! c'est rien," dit-il avec bonhomie; "tiun simple service de voisinage; mais dans l'Inde il n'y avait pas moyen: quand notre navire est arriv6, celui de Didier 6tait 'a la c~te depuis quinze jours. Tout ce que j'ai Pu faire, c'a &6 de savoir oui on l'avait enterr6, et d'y planter tine croix de bambou." " Vous avez fait cela!" s'6cria la mn~re baign6e de larmes; ICoh! merci, Bruno, merci, fr~re I " "1C'est pas tout," reprit le matelot, qui s'attendnissait malgr6 lui: "1j'ai sti que des, guetix de Lascars avaient vendu les nippes des noy~s; si bien qu"a force de chercher j'ai retrouv6 la montre 38 3$ ~~FRENCH READE.R. du neveu, je I'ai rachet6e avec tout ce que j'avais vaillant, et je vous la rapporte, belle-sceur: la voila." En parlant ainsi, il montrait 'a la viecille femme une grosse montre d'argent'suspendue ~ un bout de filn goudronn6. La veuve la saisit en poussant un cri, et la baisa 'a plusieurs reprises. Toutes les femmes pleuraient; Martin lui-m~nme paraissait tres-6mu; quant 'a Bruno ii toussait et essayait de boire pour combattre son attendrissement. Lorsque la veuve Mauvaire put retrouver la parole elle serra dans ses bras le digne matelot, et le remercia avec chaleur. Toute sa mauvaise humeur avait disparu; elle ne pensait plus aux id~es qui l'avaient pr~occup~e jusqu'alors; elle 6tait tout entie're 'a la reconnaissance du don pre'cieux, qui lui rappelait un fils si cruellement disparu. La conversation avec Bruno devint plus libre et plus amicale. Ses explications ne permirent bient6t plus de se tromper sur so,,veritable position; l'oncle d'Am6rique revenait bien aussi pauvre, qu'il 6tait parti. Eni d~clarant 'a son neveu que lui et les siens se repentiraient de leur froideur, il n'avait pens6 qu'aux regrets qu'ils devaient 6prouver, to't ou tard, d'avoir m~connu un bon parent; toute le reste e&ait une induction de Martin. Bien que cette d~couverte d~truisit d6finitivement les esp~rances de la m'ere et de la fille, elle ne changea rien 'a leurs, manie'res. Toutes deux gagn~es de coeur 'a l'oncle Bruno, lui conserv~rent par choix la bienveillance qu'elles lui avaient d'abord t6moign~e par inte&rt, et l'entoure'rent 'a lenvi des provenances les plus affectueuses. Le matelot, pour lequel on avait 6puis6 toutes les r~serves de l'humble rn6nagc, venait enfin de quitter la table, lorsque Martin, sorti depuis un instant, rentra tout-ait-coup, en demandant 'a Bruno s'il voulait vendre son singe. "4Rochambeau?" r~pondit le manin; "1non pas, fistot. Je l'ai 6lev6, il m'ob~it; c'est mon serviteur et mon compagnon; je ne le donnerais pas pour dix fois ce qu'il vaut. Mais qui donc veut l'acheter?" " Cest M. le comte," dit le jeune honmime; '11l vient de passer, il a vu l'aniinal, et en a &t6 si content, qu'il m'a prie6 de faire moi-me'me le prix, et de le lui amener." " Eh bien!1 tu lui diras qu'on le garde," r~pondit Bruno en bourrant sa pipe. FRENCH READER. 39 Martin fit un geste de contrari&6. 1C'est jouer de rnalheur! " dit-il;,M. le comte s'~tait justement rappe1Y ses promesses; il m'avait dit de lui faire avoir le singe et qu'il prendrait avec moi ses arrangements pour cette place de receveur." "iAhi, ton sort 6tait fait!" s'kcria la veuve avec un accent aifiig6. Bruno se fit expliquer I'affaire. "1Ainsi," dit-il, apr~s un moment de r6fiexion, "1tu esp~rais, en procurant Rochambeau an comte, obtenir 1'emploi que tu d~sires? " "JYen 6tais si'r," r~pliqua Martin. "Eli bien 1" s'6cria brusquement le manin, " je ne vends pas l'animal, mais je te le donne! Gifre-le ~t ton seigneur, et il faudra bien qu'il reconnaisse ta politesse." Ce fut un concert g~n~ral de remercirnents, auxquels le marnn ne put couper court qu'en envoyant son neveu an chateau avec Rochambeau. Martin fut tr~s-bien re~u par le comte, qui causa quelque temps avec luii, s'assura qu'il pouvait remplir l'emploi demand6 et le lui accorda. On comprend la joie de la famille lorsqu'il revint avec cette nouvelle. La veuve, voulant expier ses torts, avoua alors au marin les espdrances int6ress~es qu'avait fait nalitre son retour. Bruno 6clata de rire. " Par mon bapt~me," s'6cria-t-il, "1je vous ai jou6 un bon tour! Vous esp~riez des millions, et je ne vous ai apport6 que deux bates inutiles." " Vous vous trompez, mon oncle," dit doucement C16mence: "vous m' avez apport6 trois tr~sors sans prix; car, grace 'avos ma mf~re a maintenant un souvenir, mon fr~re du travail, et moi-moi, j'ai 1'esplrance. Emile Souves/re, i8o6- 1854.:22. La Pesle de Florence. En 1348 la peste infecta toute l'talie, 'a la r~serve de Milan et de quelques cantons an pied des Alpes, oii elle fut ht peine sentie. La m~me ann~e elle franchit les montagnes, et s'6tendit en Provence, en Savoie, en Dauphin6, en Bourgogne, et par Aigues-Mortes p~n~tra en Catalogne. L'ann~e suivante ellke 40 40 FR1.%.ENCH RE,4DER. comprit tout le reste de 1'occident jusqu'aux rives de la mer Atlantiquie, la Barbarie, I'Espagne, l'Angleterre, et la France. Le Brabant seul parut 6pargn6, et ressentit h peine la contagion. En I 350 clle s'avanca vers le nord, et envahit les Frisons, les Allemands, les Hongrois, les Danois, et les Su~dois. Ce fut alors, et par cette calamit6, que la r6publique d'Jslande fut d~truite. La mortalit6 fut si grande dans cette ile glac~e, que les habitants spars cesserent de former un corps de nation. Les sympt6mes ne furent pas partout les m~mes. En orient, un saignement de nez annongait l'invasion de la maladie; en m~me temps il 6tait le presage assur6 de la mort. A Florence on voyait d'abord se manifester 'a Iaine ou sous les aisselles un gonflement, qu'on nomma gazvocciolo; plus tard, il parut indiff~remment "' toutes les parties du corps. Plus tard encore les sympt6mes chang'erent, et la contagion s'annon~a le plus souvent par des tiches noires ou livides, qui, larges et rares chez les uns, petites et fr~quentes chez les autres, se montraient d'abord sur les bras ou les cuisses, puis sur le reste du corps, et qui, comme le gavocciolo, 6taient l'indice d'une mort prochaine, Le mal bravait toutes les ressources d'art: la plupart des malades mouraient le troisi~me jour, et presque toujours sans fie'vre, ou sans aucun accident nouveau. Biento~t tous les lieux infect~s furent frapp&s d'une terreur extr~me, quand on vint 'a remarquer avec queule inexprirnable rapidite' la contagion se propageait. Non seulement converser avec les malades ou s'approcher d'eux, mais toucher aux choses qu'ils avaient touche'es, ou qui leur avaient appartenu, communiquait imm~diatement la maladie. Des animaux tomb~rent morts en touchant 'a des habits qu'ils avaient trouv~s dans les rues. On ne rougit plus alors de laisser voir sa lichet6 et son 6goisme. Les citoyens s'6vitaient I'un l'autre; les voisins n6gligeaient leurs voisins; et les parents me'mes, s'ils se visitaient quelquefois, s arretaient 'a une distance qui trahissait leur effroi. Biento't on vit le fre're abandonner son fr~re, l'oncle son neveu, 1'pouse son mani, et m~me quelques p~res et m~res s'61oigner de leurs, enfants. Aussi, ne resta-t-il d'autres ressources 'a la multitude innombrable des malades, que le d~vouement h~roique d'un petit nombre d'amis ou l'avarice. des domestiques, qui, pour un immense salaire, se d6cidaient 'a braver le danger. Encore ces derniers, 6taient-ils, pour la plupart, des camnpagnards grossiers FRENTCH READE.R. 41 at peu accoutum~s ~. soigner les malades; tous leurs soins se bornaient d'ordinaire h ex~cuter quelques ordres des pestif6r6s, et It porter 'a leur famille la nouvelle de leur mort. Cet isolement et la terreur qui avait saisi tous, les esprits, firent tomber en d6su6tude la s~ve'rit6 des mceurs antiques et les usages pieux par lesquels les vivants prouvent aux morts leur affection et leurs regrets. Non seulement les malades mouraient sans &re 'entour~s, suivant l'ancienne coutume de Florence, chacun de ses parents, de ses voisins, et des femmes qui lui appartenaient de plus pr~s; plusieurs n'avaient pas m~me un assistant dans les deniers moments de leur existence. On croyait que la tristesse pr~parait 'a la maladie, que la joie et les plaisirs 6taient le pr~servatif le plus assur6 contre la peste; et les femmes m~mes cherchaient 'a s'6tourdir sur le lugubre appareil des fun&railles, par le rire, le jeu, et les plaisanteries. Bien peu de corps 6taient port~s au s~pulcre par plus de dix ou douze voisins; encore les porteurs n'6taient-ils plus des citoyens consid~r6s et de m~me rang que le d~funt, mais des fossoyeurs de la derniI~re classe, qui se faisaient nommer becchz'ni. Pour un gros salaire, ils transportaient la bie're pr~cipitamment, non point 'a 1'6glise design6e par le mort, mais 'a la plus prochaine, quelquefois pr&ce'd~s de quatre ou six pr~tres avec un petit nombre de cierges, quelquefois aussi sans aucun appareil religieux, et jetaient le cadavre dans la premi'ere fosse qu'ils trouvaient ouverte. Le sort de pauvres et m~me de gens d'un 6tat mddiocre 6tait bien plus d~plorable: retenus par l'indigence dans des maisons malsaines, et rapproch&s les uns des autres, ils tombaient malades par milliers; et comme ils n'6taient ni soign~s, ni servis, ils mouraient presque tous. Les uns, et de jour et de nuit, terminaient dans les rues leur misdrable existence; les autres, abandonn~s dans les maisons, apprenaient leur mort aux voisins par l'odeur f~tide qu'exhalait leur cadavre. La peur de la corruption de l'air, bien plus que la charit6, portait les voisins 'a visiter les appartements, 'a retirer des maisons les cadavres, et 'a les placer devant les portes. Chaque nmatin on en pouvait voir un grand nombre ainsi d6pos~s dans les rues; ensuite on faisait 'venir une bi~re, ou, 'a d~faut, une planche, sur laquelle on emportait le cadavre. Plus d'une bi~re contenatt en m~me temps le mani et la femme, ou le p~re et le fils, ou deux ou trois fr~res. Lorsque deux pr~tres avec une croix cheminaient 'a des fun& 4? FRENCH READER. railles, et disaient l'office des morts, de chaque porte sortaient d'autres bires qui se joignaient au cortege, et les pratres, qui ne s'6taient engage que pour un seul mort, en avaient sept ou huit a ensevelir. La terre consacr&e ne suffisant plus aux s6pultures, on creusa dans les cimetieres des fosses immenses, dans lesquelles on rangeait les cadavres par lits, a mesure qu'ils arrivaient, et on les recouvrait ensuite d'un peu de terre. Cependant les survivants, persuad6s que les divertissements, les jeux, les chants, la gaiet6, pouvaient seuls les preserver de l'epid6mie, ne songeaient plus qu'a chercher des jouissances, non seulement chez eux, mais dans les maisons 6trangeres, toutes les fois qu'ils croyaient y trouver quelque chose a leur gr6. Tout etait a leur discretion; car chacun, comme ne devant plus vivre, avait abandonn6 le soin de la personne et de ses biens. La plupart des maisons etaient devenues communes, et l'6tranger qui y entrait, y prenait tous les droits du proprietaire. Plus de respect pour les lois divines et humaines; leurs ministres, et ceux qui devaient veiller 'a leur execution, 6taient ou morts, ou frapp6s, ou tellement depourvus de gardes et de subalternes qu'ils ne pouvaient imprimer aucune crainte: aussi chacun se regardait-il comme libre d'agir a sa fantaisie. Les campagnes n'6taient pas plus 6pargn6es que les villes: les chateaux et les villages, dans leur petitesse, 6taient une image de la capitale. Les malheureux laboureurs qui habitaient les maisons 6parses dans la campagne, qui n'avaient a esp6rer ni conseils de m6decins ni soins de domestiques, mouraient sur les chemins, dans leurs champs, ou dans leurs habitations, non comme des hommes, mais comme des betes. Aussi, devenus n6gligents de toutes les choses de ce monde, comme si le jour 6tait venu ol ils ne pouvaient plus 6chapper a la mort, ils ne s'occupaient plus a demander 'a la terre ses fruits ou le prix de leurs fatigues, mais se hMtaient de consommer ceux qu'ils avaient d6ja recueillis. Le b6tail, chass6 des maisons, errait dans les champs deserts, au milieu des rncoltes non moissonn6es; et, le plus souvent, il rentrait de lui-meme le soir dans ses 6tables, quoiqu'il ne restat plus de maitres, ou de bergers pour le surveiller. Aucune peste, dans aucun temps, n'avait encore frapp6 tant de victimes. Sur cinq personnes il en mourut trois a Florence et dans tout son territoire. Boccace estime que F-RENCH READER.4 43 la yille seule perdit plus de cent mile individus. A Pise, sur dix il en p~rit sept; mais quoique dans cette ville on e1ht reconnut, comme ailleurs, que quiconque touchait un mort oti ses effets, ou meme son argent, 6tait atteint par la contagion, et quoique personne ne voulu't pour tin salaire rendre aux, morts les derniers devoirs, cependant nul cadavre ne resta dans les maisons priv6 de s~pulture. A Sienne, l'historien Agnolo de Tura raconte que, dans les quatre mois de Mai, juin, juillet, et Aofit, Ia peste enleva quatre-vingt mule gmes, et que lui-rneme ensevelit, de ses propres mains, ses cinq fils dans la m~me fosse. La yille de Trapani, en Sicile, resta complbtement d6serte. Genes perdit quarante mulle habitants, Naples soixante mulle, et la Sicile, sans doute avec la Pouille, cinq cent trente mule. En g6n~ral, on calcula que dans l'Europe enti~re, qui fut soumise, d'une extr~mit' 'a l'autre,a~ cet 4pouvantable fi~au, la peste enleva les trois cinqui~mes de la population. S&smondi, Hz'stoire des Re7'ubliques Italiennes dui Moyen-dge. 23. Robin Hood. Apres sa victoire, le roi Richard, voulant se dMasser, fit un voyage de plaisir dans la plus grande forkt de I'Angleterre qui s'6tendait depuis Nottingham jusqu'au centre du comt6 d'York, stir tin espace de plusieurs centaines de milles. Les Saxons I'appelaient Sire-Wode, nom qui, dans la suite des temps, s'est chang6 en celui de Sherwood. " Jamais de sa vie il n'avait vu ces forkts," dit tin narrateur contemporain, "1et elles lui plurent extr~mement." Au sortir d'une longue captivit6 on est toujours sensible ati charme des sites pittoresques; et d'ailleurs h cet attrait naturel pouvait s'en joindre tin autre tout particulier, et plus piquant peut-6tre pour l'esprit aventureux. de Richard Coeur-de-Lion. Sherwood 6tait alors tine foret redoutable aux Normands; c'6tait l'habitation des derniers restes des bandes de Saxons arm~s, qui reniant encore la conquete, persistaient volontairement 'a vivre hors de la loi de 1'6tranger. Partout chass~s, poursuivis, traqu&s comme des b~tes fauves, c'est li seulement, qu'ia la faveur des lietix, ils avaient Pu se maintenir en nonmbre, et sotis tine sorte d'organisation militaire qtii leur donnait 44 FRENCH READER. un caractire plus respectable que celui de voleurs de grands chemins. Vers le temps ou le heros du baronage anglo-normand visita la foret de Sherwood, dans cette meme foret vivait un homme qui atait le heros des serfs, des pauvres, et des petits, en un mot de la race anglo-saxonne. "Parmi les d6sh6rit6s," dit un ancien chroniqueur, "on remarquait alors le fameux brigand Robert Hode, que le bas peuple aime tant a feter par des jeux et des comedies, et dont l'histoire, chantee par les mn&etriers, l'interesse plus qu'aucune autre." A ce peu de mots se reduisent toutes nos donndes historiques sur l'existence du dernier Anglais qui ait suivi l'exemple de Hereward; et pour retrouver quelques traits de sa vie et de son caractbre, c'est aux vieilles romances et aux ballades populaires qu'il faut de n6cessitd avoir recours. Si l'on ne peut ajouter foi aux faits bizarres et souvent contradictoires rapport6s dans ces poesies, elles sont du moins un t6moignage incontestable de l'ardente amiti6 du peuple anglais pour le chef de bande qu'elles clebbrent, et pour ses compagnons, qui, au lieu de labourer pour des maitres, couraient la foret, gais et libres, comme s'expriment de vieux refrains. Ou ne peut guere douter que Robert, ou plus vulgairement Robin Hood, n'ait &dt d'origine saxonne; son pr6nom fran9ais ne prouve rien contre cette opinion, parce que dis la seconde g6ndration apres la conquete, l'influence du clerge normand fit tomber en d6su6tude les anciens noms de bapteme, remplaces dis lors par les noms de saints ou d'autres, usites en Normandie. Le nom de Hood est Saxon, et les ballades les plus anciennes, et par consequent les plus dignes d'attention, rangent les aYeux de celui qui le porta dans la classe des paysans. Plus tard, quand s'affaiblit le souvenir de la revolution op6r6e par la conquete, les poetes de village imaginerent d'embellir leur personnage favori de la pompe des grandeurs et des richesses; ils en firent un comte, ou tout au moins le petit-fils d'un comte. Cette derniere supposition a donnd lieu a une romance populaire pleine d'intert et d'id6es gracieuses; mais rien de probable ne l'autorise. Qu'il soit vrai ou faux que Robin Hood soit n6, comme le dit cette romance, "dans le bois verdoyant, au milieu des lis en fleur," c'est dans les bois qu'il passa sa vie i la tete de plusieurs centaines d'archers, redoutables aux comtes, aux vicomtes, aux &v8ques, et aux riches abb6s d'Angleterre, mais ch6ris des FRENCH READER. 4 45 fermiers, des laboureurs, des veuves, et des pauvres gens. Ils accordaient paix et protection 'a tout ce qui 6tait faible et opprim6, partageaient avec ceux qui n'avaient rien les d~pouilles de ceux qui s'engraissaient de la moisson d'autrui, et, selon la vieille tradition, faisaient du bien 'a toute personne honn~te et laborieuse. Robin Hood 6tait le meilleur eceur et le plus habile tireur d'arc de toute le bande; et apr~s luii on citait Petit-jean, son lieutenant et son fr~re d'armes, dont il ne se s~parait jamais dans le p~ril comme dans la joie, et dont les ballades et les proverbes anglais ne le s~parent pas non plus. La tradition nomme encore quelques-uns de ses compagnons, tels que Mutch, le fils d'un meunier, le vieux Scath Locke, et une moine appel6 fr~re Tuck, qui combattait en froc, et pour toute arme se contentait d'un lourd bAton. Us 6taient tous d'humeur joyeuse, ne visant point 'a s'enrichir, mais seulement 'a vivre de leur butin, et distribuant tout ce qu'ils avaient de superflu, aux families expropri~es dans le grand pillage de la conqu~te. Quoique ennemis des riches et des puissans, ils ne tuaient point ceux qui tombaient entre leurs mains, et ne versaient le sang que pour leur propre d~fense. Leurs coups ne tombaient gue're que sur les agents de la police royale et les gouverneurs des villes ou. des provinces, que les Normands appelaient vicomtes, et que les Anglais appelaient sh6riffs. " Bandez vos arcs," dit Robin Hood, " et essayez-en les cordes; dressez une potence ici pr~es; et malediction sur la tote de celui qui fera grace au sh~riff et aux sergents." Le sh6riff de Nottingham fut celui contre lequel Robin Hood eut le plus souvent "'a combattre, et celui qui le pourchassa le le plus vivement, 'a cheval et 'a pied, mettant sa tote 'a prix, et excitant ses compagnons et ses amis 'a le trahir. Mais aucun homme ne le trahit, et plusieurs I'aid~rent 'a se retirer du p~ril oiu sa hardiesse l'entrainait souvent. "J'iaimerais mieux mourir," lui disait un jour une pauvre femme, " que de ne pas tout faire pour te sauver, car qui m' a nourrie et v~tue, moi et mes enfans, si ce n' est pas toi et Petit-jean?" Les aventures surprenantes de ce chef de bandits du douzibme sie'cle, ses victoires sur les hommes de race normande, ses stratag~mes et ses 6vasions, furent longtemps les seuls fonds d'histoire nationale qu'un homme du peuple en Angleterre transmit 'a ses fils, apr~s I'avoir requ de ses a~eux L'imagination populaire prktait au personnage de Robin Hood toutes les 46 46 ~F-RENCH READER. qualit~s et toutes les vertus, du moyen-age. It passe pour avoir 6t6 aussi divot 'a 1'6glise que brave au combat, et l'on disait de lui qu'une fois entr6 pour entendre l'office, quelque danger qui survint, ii ne sortait jamais qu'a' la fin. Ce scrupule de d~votion l'exposa une fois 'a 6tre pris par le sh6riff et ses hommes d'armes; mais Ai trouva encore moyen de faire resistance, et meme, a ce que dit la vieille histoire, un peu suspecte d'exag~ration, ce fut lui qui prit le sh6riff. Sur ce theme, les m~n~triers anglais du quatorzie'me siccle ont compos6 une longue ballade, dont quelques lignes m~ritent d'tre cities, ne flit-ce que comme exemple de la couleur franche et anim~e que le peuple donne 'a sa po~sie dans les temps o~i ii existe une litt~rature v~ritablement populaire: ",En &6 quand la verdure est belle et les feujilles larges et longues, ii y a du plaisir dans la fort 'a 6couter le chant des oiseaux; "1A voir les chevreuils quitter la colline, pour se retirer dans la plaine, et se mettre 'a l'ombre sous les feuilles vertes du bois. " C'6tait un jour de Pentec6te, de bonne heure, un matin de Mai, un de ces jours oii le soleil se I~ve beau, et oii les oiseaux chantent gaiement. "' IPar la croix du Christ,' dit Petit-jean, ' voil'a une joyeuse matine'e; et dans toute la chreftient6, il n'y a pas un hommo plus joyeux que moi. "1' Ouvre ton cceur, mon cher maitre, et songe qu'il n'y a pas dans l'ann~e de plus beau temps qu'un matin de Mai! "' IUne chose me pe~se,' dit Robin Hood, 'et me chagrine le cceur: c'est de ne pouvoir, en aucun jour de fete, entendre messe ni matines; Il 1 y a quinze jours et plus que je n'ai vu mon Sauveur, et je voudrais aller 'a Nottingham, avec l'aide de lU bonne Marie.' "cRobin va seul 'a Nottingham; et Petit-jean reste au bois de Sherwood; ii va dans 1'6glise de Sainte-Marie, et s'agenouille devant la croix." Robin Hood ne fut pas simplement renomm6 pour sa devotion aux saints et aux jours de route; lui-m~me eut, comme les saints, son jour de fefte dans l'ann~e; et dans ce jour, ch6m6 religieusement par les habitans des hameaux et des petites villes d'Angleterre, il n'6tait permis de s'occuper de rien, sinon de jeux et de plaisirs. Au quinzi'eme sickle cet usage 6tait encore observ6; F1RENCH READ9ER. 4 47 et les fils des Saxons et des Normands prenaient en commun leur part de ces divertissemens populaires, sans songer qu'ils 6taient un monument de la viefile hostilit6 de leurs aYeux. Ce jour-1u, les eglises 6taient d~sertes comme les ateliers; aucun saint, aucun pr6dicateur ne l'erportait sur Robin Hood; et cela dura m~me apr~s que la r6forme eut don-n6 en Angleterre un nouvel essor au z~le religieux. C'est un fait attest6 par un 6v~que Anglican du seizibme si~cle, le c~l~bre et respectable Latimer. En faisant sa tourn~e, pastorale, il arriva le soir dans une petite ville pr~s de Londres, et fit avertir qu' il pr~cherait le lendemain, parce que c'6tait jour solennel. "Le lendemain," dit-il, Ije me rendis 'a 1'6glise, mais, ~ mon grand 6tonnement, j'en trouvai les portes ferm6es 'a clef; j'envoyai chercher la clef, et lYon me fit attendre une heure et plus; enfin un bomme vint 'a moi et me dit: I'Messire, ce jour est un jour de grande occupation pour nous; nous ne pouvons vous entendre; car c'est le jour de Robin Hood; tous les gens de la paroisse sont au loin 'a couper des branches poui. Robin Hood; vous les attendriez inutilement."' L'v~que s'6tait reVetu de son costume ecc1~siastique; il fut oblig6 de le quitter, et de continuer sa route; laissant la place aux archers habill~s de vert, qui jouaient sur un th~itre de feuilles les ro'les de Robin Hood, de Petit-jean, et de toute la bande. Des traces de ce long souvenir, dans lequel s'an~antit pour le peuple Anglais le souvenir Meme de l'invasion normande, subsistent encore aujourd'hui. On trouve dans la province d'York, 4 l'embouchure d'une petit rivibre, une baie qui, sur toutes les cartes modernes, porte le nom de Robin Hood; et il n'y a pas longtemps que dans la m~me province, pr~s de Pontefract, l'on montrait aux voyageurs une source d'eau vive et claire qu'on appelait le puits de Robin Hood, et on les invitait 'a y boire en l'honneur du fameux archer. Durant tout le dixsepti~me si~ce les vieilles ballades de Robin Hood, imprimn~es en lettres gothiques (espbee d'impression que le bas peuple Anglais affectionnait singulie-rement) circulaient dans les villages oii elles 6taient colport~es par des hommes qui les chantaient sur une espbce de r~citatif. On en compila m~me plusieurs collections compl~tes 'a lusage des lecteurs des villes, et l'un de ces recueils portait le titre 6l6gant de Guzirlcznde de Robin Hood. Aujourd'hui ces livres, devenus rares, n'int6ressent que les 6rudits; et 48 4$ ~F-RENCH -READER. l'histoire des h~ros de Sherwood, d~pouill&e de ses orneniens poe'tiques, ne se lit plus que parmi les contes h l'usage des enfans. Aucune des ballades qui nous ont &6 conserv~es ne raconte la mort de Robin Hood: la tradition vulgaire est qu'il p~rit dans un couvent, de femmes oii un jour, se sentant madade, il 6tait a116 demander des secours. On devait lni tirer du sang; et la nonne qui savait faire cette op6ration ayant reconnn Robin Hood, la pratiqna sur lui de mani~re 'a le tuer. Ce r~cit, qu'on ne pent ni affirmer ni contester, est assez conforme aux meunrs du douzi~me siecle: beancoup de femmes, dans les riches monast~res, s'occnpaient alors 'a 6tudier la m~decine, et 'a composer des rem~des qu'elles offraient gratuitement aux pauvres. De plus, en Angleterre, depuis la conqn~te, les sup~rienrs des abbayes, et la kIus grande partie des religieuses 6taient d'extraction normande, ainsi que le prouvent leurs statuts r~dig~s en vjeux fran~ais: cette circonstance explique peut-6tre comment le chef de bandits saxons, que les ordonnances royales avaient mis hors la loi, trouva des ennemis dans le convent oii il 6tait a1h4 chercher assistance. Apr~s sa mort, la tronpe dont il 6tait le chef et I'Ame, se dispersa; et Petit-jean, son fide'le compagnon, d~sesp6rant de se maintenir en Angleterre, et ponss6 par 1'envie de continuer la gnerre contre les Normands, se rendit en Irlande, oti il prit part anx r6voltes des indig~nes, Ainsi fnt dissonte la dernikwe troupe de brigands Anglais qui ait en un objet et un caract~re politique, et qui m6rite par Ila une mention dans lhistoire. Augustin Thierry. 2 4. Proce's de Charles IL Le vendredi, i9 janvier, nn corps de cavalerie parut 'a Windsor, Harrison I4 la t~te, charg6 d'emmener le roi; nn carrosse a six chevaux attendait dans la grande cour du chateau. Charles y monta, et quelques heures apr~s il 6tait rentr6 'a Londres, an palai's de Saint-James, partont entour6 de gardes, denx sentinelles 'a la porte me~me de sa chambre, Herbert rest6 seul pour son service et conchant it c6t6 de son lit. Le lendemain 20, vers midi, la haute cour, r6unie d'abord en se'ance secrl~te dans la chambre peinte, s'appr~tait 'a r6gler les derniers d6tails de sa mission; la pri~re commune 6~tait 'a peine A'F1 RENCH READER.4 49 termin6e; on vint annoncer que le roi, transports dans une chaise ferm~e, entre deux haies de soldats, 6tait sur le point d'arriver. Cromwell courut h la fen~tre, et revenant tout4~-coup pale et pourtant tr~s-anim6: " Le voici, le voici, messieurs; l'heure de la grande affaire approche: d~cidez promptement, je vous en prie, ce que vous aurez h. lui r~pondre, car il vous demandera sur-le-champ, au nom de qui, et de queUe autorit6 vous pr~tendez le juger." Personne ne prenait Ia parole: "Au nom des communes assemblies en parlement et de tout le bon peuple d'Angleterre," dit Henri Martyn. Nulle objection ne s'6leva, la cour se mit en marche pour se rendre solennellement l a grande salle de Westminster; en tae s'avan~ait le lord president Bradshaw; on portait devant lui l'6p~e et la masse; seize officiers, arm~s, de pertuisanes, pr&c~daient la cour. Le pr~sident prit place sur un fauteuil de velours cramolisi; 'a ses pieds le greffier assis pr~s d'une table couverte d'un riche tapis de Turquie, et sur laquelle on d~posa la masse et l'ep~e; 'a ciroite et ht gauche, sur des si~ges de drap, 6carlate, les membres de la cour; aux deux extr~m'it~s les hommes d'armes, un peu en avant du tribunal. La cour install~e, on ouvrit toutes les portes;- la foule se pr~cipita dans la salle: le silence r~tabli, et apr~s la lecture de l'acte des communes qui instituait la cour, on fit l'appel nominal; soixante-neuf membres 6taient pr~sents. "Sergeant," dit Bradshaw, "1qu'on amene le prisonnier." Le roi parut, sous, la garde du Colonel Hacker et de trentedeux officiers. Un fauteuil de velours cramnoisi 6tait pr~par6 pour Iui h la barre; il s'avanga, porta sur le tribunal un long et s6v~re regard, s'assit dans le fauteuil sans 6ter son chapeau, se releva soudain, regarda derri~re lui la garde plac~e 'a la gauche, et la foule des spectateurs, I la droite de la salle, reporta les yeux sur les, juges, puis se rassit au milieu du silence universel. Bradshaw se leva hi l'instant: " Charles Stuart, roi d'Angleterre," dit-il, " les communes d'Angleterre assemblies en parlement, profond6ment p~n~tr~es, du sentiment des maux qu'on a fait tomber sur cette nation, et dont vous 6tes, consid~r6 comme le principal auteur, ont r~solu. de poursuivre le crime du sang; dans, cette intention, elles ont institu6 cette haute cour de justice devant laquelle vous, comparaissez aujourd'hui. Vous, allez entendre les charges qui pL~sent sur vous." Le procureur-g~n~ral, Coke, se levait pour prendre la parole. E 50 50 FR.1 JENCH REA DE.R. "1Silence 1" dit le roi, en le touchant de sa canne sur l'paule. Coke se retourna surpris et irrite': la pomine de la canne du roi tomba; une courte mais profonde alt6ration parut dans ses traits; aucun de ses serviteurs n'6tait 'a porte'e de ramasser pour lui la pomme; il se baissa, la reprit lui-m~me, se rassit, et Coke lut l'acte d'accusation qui, imputant au roi tons les maux n~s d'abord de sa tyrannie, ensuite de la guerre, demandait qu'iI ruit tenu de r6pondre aux charges, et que justice f-fit faite de lui comme tyran, tralitre, et meurtrie'r. Pendant cctte lecture, le roi, toujours assis, promenait, tant6t sur les juges, tant6t sur le public, des regards tranquilles: un moment il se leva de nouveau, tourna le dos an tribunal pour regarder derri'ere lui, et se rassit l'air 'a la fois curieux et indiff6rent. Aux seuls mots de " Charles Stuart, tyran, traitre, et meurtrier," il se mit 'a rire, quoique toujours silencieux. La lecture achev6e. " Monsieur," dit Bradshaw an roi, " vous avez entendu votre acte d'accusation: la cour attend votre r&ponse." "Je voudrais savoir par quel pouvoir je suis appel6 ici. J'6tais, il n'y a pas longtemps, dans l'ie de Wight en ne'gociations avec les deux chambres du parlement, sous les garanties de la fol publique. Nous 6tions prh's de conclure le trait6. Je voudrais savoir par- quelle autorit6,-j'entends le'gitime, car il y a dans, le monde beaucoup d'autorite's ill~gitimes, comme celle des brigands et des voleurs de grand chemin,-je voudrais, dislje, savoir par quelle autorit6' j'ai &6 tir6 de lIt et conduit de lieu en lieu, je ne sais it quelle intention. Quand je connalitrai cette autorit6 le'gitime, je r6pondrai." "Si vous aviez bien voulin faire attention," dit Bradshaw, "ace qui vous a 4t6 dit par la cour it votre arriv~e ici, vous sauriez quelle est cette autorit6. Elle vous requiert, au nom du peuple d'Angleterre, dont vous avez &tl Ou roi, de lui r6pondre." " Non, monsieur, je nie ceci." " Si vous ne reconnaissez pas l'autorit6 de la cour, elle va proc~der contre vous." "1Je vous dis que l'Angleterre n'a jamais &t6 un royaume 6lectif, qu'elle est depuis prl~s de mille ans un royaume h6r~ditaire. Faites-moi donc connaitre par quelle autorit6 je suis appeh4 ici. Voilit M. le lieutenant-colonel Cobbett: demandezMu, si ce n'est pas de force qu'il m'a emmen6 de l'le de Wight. FRENCH REA DER. 5. 51 Je soutiendrai autant que qui que ce soit ici les justes privileges de la chambre des communes. Oiti sont les lords? Je ne vois pas ici de 'lords pour constituer un parlement. II y faudrait aussi un roi. Est-ce LLa ce qn'on appelle amener le roi 'a son parlement? " " Monsieur, la cour attend de vous une r~ponse d~finitive, si ce que nous vous disons de notre autorit6 ne vous suffit pas, cela. nous suffit, a~ nous; nous savons qn'elle se fonde sur L'autorit6 de Dieu et du royaume." " Ce n'est ni mon opinion ni la vo'tre qui doivent d6cider." "La cour vous a entendu; on disposera de vous selon ses ordres. Qu'on emm~ne le prisonnier. La cour s'ajourne "a lundi prochain." La cour se retira; le roi sortit avec la m~me escorte qui Vavait amen6. En se levant, iA aper~nt 1'6p~e plac~e sur la table. " Je n'ai pas peur de cela," dit-il, en la montrant de sa canne. Comme il descendait L'escalier, quelques voix se Iirent entendre, criant: "justice! justice! mais un bien plus grand nombre criaient: "Dieu sauve le roi! Dieu sauve le roi! Dieu sauve votre Majest6! Le lendemain, at louverture de la s6ance, soixante -deux membres presents, la cour ordonna, sons peine d'emprisonnement, un silence absoin: le roi 'a son arriv6e n'en fut pas momns accueilli par une vive acclamation. La m~me discussion recommenga, des deux parts 6galement obstin~e. " Monsieur," dit enfin Bradshaw, "cni vous, ni personne ne serez admis 'a contester la juridiction de la cour; elle si6ge ici par l'autorit6' des communes d'Angleterre, envers qui vous et tons vos pr6 -d~cessenrs 6tes responsables." "1Je le nie; montrez-moi un pr6c6dent." Bradshaw se leva avec col~re: " Monsieur, nous ne sie'geons pas ici pour r~pondre 'a vos questions; plaidez sur l'accusation, counpable on non coupable." "Vons n'avez pas encore entendn mes raisons." "Monsieur, vons n'avez pas de raisons ~ faire entendre contre La plus haute de toutes les juridictions." "1Montrez-moi donc cette juridiction, ott la raison n'est pas entendne." " Monsieur, nous la montrons ici, ce sont les communes d'Angleterre. Sergeant, qu'on emmene le prisonnier." 52 52 ~F-RENCH READER. Le roi se tourna brusquement vers le peuple: "1RappelezVOUS," dit-il, "Cque le roi d'Angleterre est condamnd sans qu'il lui soit permis de donner ses raisons, en faveur de la libert6 du peuple 1 " et un eni presque g6n~$ral s'dleva: "Dieu sauve le roil1" La s~ance du lendemain., 23 Janvier, amena les m~mes sc~enes: la sympathie du peuple pour le roi devenait de jour en jour plus vive; en vain les officiers et les soldats irrit~s poussaient 'a leur tour le cri mena~ant de "1Justice!I" "1Ex~cution! " La foule effraye'e se taisait un moment; mais biento~t, sur quelque incident nouveau, elle oubliait son effroi, et le cri, "1Dieu sauve le roil1" retentissait de toutes parts. 11 s'61eva des rangs me'mes de l'arm~e: le 23, comme le roi passait au sortir de la stance, un soldat de garde cria tres-haut: "1Sire, que Dieu vous be'nisse 1" Un officier le frappa de sa canne: "1Monsieur," dit le roi en s'61oignant, "1la punition surpasse la faute." Le 27, 'a midi, apr~es deux, heures de conference dans la chambre peinte, la st~ance s'ouvrit, selon l'usage, par l'appel nominal. Au nom de Fairfax, "IL1 a trop d'esprit pour 6tre ici," r~pondit une voix de femme du fond d'une galerie. Apre's un moment de surprise et d'h~sitation, l'appel nominal continua; soixante-sept membres e6taient pr~sents. Quand le roi entra dans la salle un cri violent s'61eva: " Ex6cution! justice! ex~cution I" Les soldats 6taient tr~s-anim6s; quelques officiers, Axtell surtout, qui commandait la garde, les excitaient 'a crier; quelques groupes, r6pandus gh et l'a dans la salle, se joignaient ' ces clameurs; la foule se taisait avec consternation. "1Monsieur," dit le roi 'a Bradshaw, avant de s'asseoir, " je dcmandcrai 'a dire un mot; j'esp~re que je ne vous donnerai point sujet de m'intcrrompre." "Vous r~pondrez 'a votre tour; 6coutez d'abord la cour." "Monsieur, S'i vous plait, je d~sire 6tre entcndu. Cc n'est qu'un mot. Un jugemenit imm~diat~2 "cMonsieur, vous serez entcndu lorsqu'il en sera temps: vous devez d'abord entendre la cour." "1Monsieur, je d~sire —. Ce que j'ai 'a dire est relatif 'a cc que La cour va, je crois, prononcer; et il n'cst pas ais6, monsieur, de revenir d'un jugement pr6cipit6." " On vous entendra, monsieur, avant de rendre le jugement. 3 usque-lIt, vous devez vous abstenir de parler," -FRENCH READER. 5 53 A cette assurance qnelque s~r~nit6 reparut dans les traits du roi; il s'assit; Bradshaw reprit la parole:" Messieurs," dit-il, " il est bien connu de tons que le prisonnier ici hi la barre a &6 plusieurs fois amen6 devant la cour pour r6pondre 4 une accusation de trahison et autres grands crimes, pr~sent6e contre lui an nom du peuple d'Angleterre — "' " Pas la moiti6 du peuple!" s'6cria la m~me voix qui avait r6pondu au nom. de Fairfax: "oui est le peuple? oii est son consentement? Olivier Cromwell est un traitre." L'assembl~e enti~re tressaillit; tons les regards se tourn'erent vers la galerie: "1A bas les femmes! " s'6cria Axtell; soldats, feu sur elles! " On reconnut Lady Fairfax. Un trouble g~n~ral 6clata; les soldats, partout r~pandns et mena~ants avaient grande peine 'a le contenir; l'ordre enfin rim pen r~tabli, Bradshaw rappela le refus obstin6 qn'avait fait le roi de r6poridre 'a l'accusation, la riotori&t6 des crimes qui lui 6taient imput6s, et d~clara que la cour, d'accord sur la sentence, consentait cependant, avant de la prononcer, 'a entendre Ia d~fense dui prisonnier, pourvu qn'il renon9it 'a contester sa juridiction. " Je demande," dit le roi, " a 6te etnudams la chambre peinte, par les lords et les communes, sur uric proposition qui importe bien plns 'a la paix dui royaume et 'a la libert~6 de mes sujets qn'h ma propre conservation." Une vive agitation se r~pandit dans La conr et dans l'assemble: amis on ennemnis, tons cherchaient 'a deviner dans quel. but le roi demandait cette conference avec les deux chambres, et cc qn'il ponvait avoir 'a leu~r proposer; mille bruits divers en couraicnt; la plupart semblaicrit croire qu'iI voulait offrir d'abdiqner la couronne en faveur de son fils. Mais quoi qu'il en fat, l'embarras de la cour &tait extreme; le parti, malgr6 so triomphe, ne se sentait en mesure ni de perdre du temps, nu de couri de nouveaux hasards; parmi les juges eux-m~mes, quelque 6branlement se laissait entrevoir. Pour 6luder le p&il, Bradshaw soutint que la demande du roi n'6tait qu'un artifice pour 6chapper encore 'a la juiridiction de la cour; un long et subtil d~bat s'engagea entre eux Li cc sujet. Charles insistait toujours plus vivement pour &tre entendu;- mais 'a chaque fois les sollats devenaicrit autour de luii plus bruyants et plus injuricux; les uris allumaient du tabac et en poussaicrit vers lui la fum&e, les antres murmuraient en termes grossiers de la lenteur du proce's; 54 54 F117RENCH READER. Axtell rialt et plaisantait tout haut. En vain, 'a plusieurs reprises, le roi se tourna vers eux, et tant~t du geste, tant6t de la voix, essaya d'obtenir quelques moments d'attention, de silence du momns; on lui r~pondait par des enis de "justice! exe'cution" Troubl6 enfin, presque hors de ui: "Ecoutez-moi, ecoutez-moi!"s'6cria-t-il avec un accent passionn6: les m~mes cris recommengaient; un mouvement inattendu se manifesta dans les rangs de la cour. Un des membres, le Colonel Downs, s'agitait sur son siege; vainement ses deux voisins, Cowley et le Colonel Wauton, s'effor~aient de le contenir: "Avons-nous donc des coeurs de pierre?" disait-il; " sommes-nous des hommes?" " Vous nous perdrez, et vous-m~me avec nous," lui dit Cowley.-" N'importe," reprit Downs; " duss6-je en mourir, il faut que je le fasse." A ce mot Cromwell,2 qui si6geait au-dessous de lui, se retourna brusquement: "1Colonel," lui dit-il, "tes-vous dans votre bon sens? A quoi pensez-vous? Ne pouvez-vous pas vous tenir tranquille? " " Non," reprit Downs, "1je ne puis me tenir tranquille;" et se levant aussit,6t: " My Lord," dit-il au president, "mna conscience n'est pas assez 6&lair~e pour me permettre de repousser la requete du prisonnier; je demande que la cour se retire pour en d6lib~rer."~-" Puisqu'un des membres le d~sire," r~ponidit gravement Bradshaw, "la cour doit se retirer;" et uls passerent tous 'a l'instant dans une salle voisine. A peine ils y 6taient, Cromwell apostropha rudement le Colonel, lui demanda compte du d~rangement et de l'embarras qu'il causait 'a la cour. Downs se d~fendit avec trouble, all~guant que peut-eftre les propositions du roi seraient satisfaisantes; qu'apres tout, ce qu'on avait cherch6, ce qu'on cherchait encore, c'6taient de bonnes et solides guiaranties; qu'il ne fallait pas refuser, sans les connaitre, celles que le roi voulait offrir; qu'on lui devait au momns de l'entendre, de respecter envers lui les plus simples r'egles du droit commun. Cromwell l'6coutait avec une brutale impatience, s'agitant autour de lui, l'interrompant "a tout propos: "Nous voilat enfin instruits," dit-il, " des grandes raisons du colonel pour nous d~ranger de la sorte; il ne sait pas qu'il a affaire au plus inflexible'mortel qui soit au monde: convient-il. quie la cour se laisse distraire et entraver par l'enteftement d'un seul homme? Nous voyons bien le fond de tout ceci; il voudrait sauver son ancien maitre; finissons-ien, rentrons et FRENCH READER. 5 55 faisons notre devoir." En vain le Colonel Harvey et quelqnes autres appuy~rent le vceu de Downs; la discussion fut promptement dtouff~e; au bout d'une demi-heure la cour rentra en seance, et Bradshaw d~clara au roi qu'elle repoussait sa proposition. Charles parut vaincu et n'insista plus que faiblement. "Si vons n' avez rien L4 ajouter," lui dit Bradshaw, " on proc'edera ~tla sentence."~ "Je n'ajouterai rien, monsieur," r6pondit le roi; "1je d6sirerais senlement qu'on enregistraft ce que j'ai dit." Bradshaw, sansr6 pondre, lui annonqa qu'il allait entendre son jugement; mnais avant d'en ordonner la lecture, il adressa au roi un long discours, solennelle apologie de la conduite du parlement, oi~i tous les torts du roi furent rappel~s et tous les maux de la guerre civile rejet~s sur lui seul, puisque sa tyrannie avait fait de la resistance un devoir aussi bien qn'une n~cessit6. Le langrage de l'orateur &tait dur, inner, mais grave, pieux, exempt d'insulte, et sa conviction 6videmment profonde quloique m~le d~, quelque 6motion vindicative. Le roi l'6couta sans l'interrompre et avec une 6gale gravit6. A mesure cependant que le discours avan~ait vers sa fin,. un trouble visible s'empara de lui; an moment oii Bradshaw se tnt, il essaya de prendre la parole; Bradshaw s'y opposa, et donna ordre an greffier de lire la sentence. La lecture achev~e: " C'est ici," dit-il, "l'acte, l'avis, le jugement unanime de la cour,"Y et la cour se leva tout enti~re en signe d'assentiment. " Monsieur," dit brusquement le roi, "1vonlez-vous e&outer une parole? " " Monsieur, vons ne pouvez 6tre entendu apr~s la sentence." "Non, monsieur?" "Non, monsieur; avec votre permission, monsieur. Gardes, emmenez le prisonnier." " Je puis parler apr~es la sentence.... Avec votre permission, monsieur, j'ai toujours le droit de parler apre's la sentence....Je dis, monsieur, qne....On ne me permet pas de parler, pensez quelle justice peuvent attendre les a-utres r' A ce moment des soldats l'entour~rent, et l'enlevant de la barre, l'emmen~rent avec violence jnsqu'au lien oii l'attendait sa. chaise: il eut 'a subir, en descendant L'escalier, les plus grossi~res insultes; les uns jetaient sur ses pas leur pipe allum~e; les 56 56 ~~-F;RENCH R -A PER. autres hi souffalajent hL fum~e de leur tabac au visage;- tous criaient "a se8 oreilles: "justice! ex~cution" A ces enis, cependant, le peuple m~lait encore quelquefois les siens:- "1Dieu sauve votre Majest6!:Dieu d6livre votre Majest6 des mains de ses ennemis 1" et tant qu'il ne fut pas enferm6 dans sa chaise, les porteurs demeur~rent tote nue, malgr6 les ordres d'Axtell, qui s'Temporta jusqu'a les frapper. On se mit en marche pour Whitehall, des troupes bordaitit les deux c6t~s de la route; devant les boutiques, les portes, aux fen~tres se tenait une foule immense, la plupart silencieux, d'autres pleurant, quelques-uns priant tout haut pour le roi. De moment en moment les soldats, pour c~l~brer leur triomphe, renouvelaient leurs cris: "justice! justice!I ex~cution!1" Mais Charles avait recouvr6 sa s~r~nit6. Parlant de leur haine: " Pauvrej gens," dit-il, en sortant de sa chaise, " pour un sclhilling uls en crieraient autant contre leurs officiers." Gzdzo/. 25. Ex&u/zn de Charles I. Apr'es quatre heures d'un sommeil profond, Charles sortait de son lit. "J'Fai une grande affaire 'a terminer," dit ii 'a Herbert, " il faut que je me Rev,- promptement;" et ii se mit 'a sa toilette. Herbert troubl6 le peignait avec momns de soin: "1Prenez, je, vous prie," lui dit le roi, " la mome peine qu'' l'ordinaire; quoique m4 tate ne doive pas rester longtemps sur mes e~paules, je veux &tre par6 aujourd'hui comme un mari6." En s'habillant il demanda une chemise de plus. "1La saison est si froide," dit-il, irque je jppurrais trembler, quelques personnes l'attribueraient peut-6tre h la peur; je ne veux pas qu'une telle supposition soit possible." I Le jour at peine leve, l'&vque arriva et commenga les exercises religieux. Comme il lisait, dans le xxxviie chapitre de N'vangile selon saint Matthieu, le r6cit de la passion de J~sus Christ, "My lord," lui demanda le roli, "1avez-vous choisi ce chapitre comme le plus applicable it ma situation?"-'" Je prie votre Majest6 de remarquer" r~pondit l'ev~que, "1que c'est i'vangile du jour, comme- le prouve le calendrier." Le roi parut profond6ment touch6, et continua ses, pri~res avec un redoublement de ferveur. Vers dix heures, on frappa doucement 'a la porte de sa chambre; Herbert demeurait immobile: un second coup F-RENCH READE.R. 5 57 se fit entendre un peu plus fort, quoique l6ger encore: "1Allez voir qui est lka" dit le roi. C'6tait le Colonel Hacker. " Faitesle entrer," dit-il. "1Sire," dit le colonel 'a voix basse et 'a demi tremblant, "cvoici le moment d'aller 'a Whitehall; votre Majest6 aura encore plus d'une heure pour s'y reposer."-" Je pars dans l'1instant," r~pondit Charles, "1laissez-moi." Hacker sortit. Le roi se recueillit encore quelques minutes, puis, prenant I'6vque par la main: "YVenez," dit-il, "partons: Herbert, ouvrez la porte; Hacker m'avertit pour la seconde fois." Et il descendit dans, le parc qu'il devait traverser pour se rendre 'a Whitehall. Hacker frappa 'a la porte. juxon et Herbert tomb~rent 'a, genoux. "1Relevez-vous, mon vieil ami," dit le roi 'a 1'(v~que en lui tendant la main. Hacker frappa de nouveau: Charles fit ouvrir la porte. "1Marchez," dit-il au colonel, "1je vons suis." 11 s'avanga le long de la salle des banquets, tonjours entre deux haies de troupes. Une fonle d'hommes et de femmes s'y 6taient precipit&s au p6ril de leur vie, immobiles derri~re la garde et priant pour le roi 'a mesure qu'il passait; les soldats, silencieux eux-memes, ne les rudoyaient point. A l'extr~mit6 de la salle, une ouverture, pratiqn~e Ia veille dans le mur, conduisait de plain pied 'a I'6chafaud tendu de noir; deux hommes 6taient debout aupr~s de la hache, tons deux en habit de matelots et masqu~s. Le roi arriva, Ia tefte haute, promenant de tons c0~ ses regards, et cherchant le peuple pour lui parler: mais les troupes senles couvraient la place; nul ne pouvait approcher. 11 se tourna vers j uxon et Tomlinson. " Je ne puis gu~re 6tre entendu que de vous," leur dit-il, "1ce sera dont ih vous que j'adresserai quelques paroles;" et il leur adressa en effet un petit discours qu'il avait pr~par6, grave et calme jusqu"a la froideur, uniquement appliqu6 'a sontenir qu'il avait eu raison; que le m~pris des droits du sonverain 6tait la vraie cause des malhenrs du peuple; que le peuple ne devait avoir ancune part dans le gonvernement; qu'a cette senle condition, le royanme retronverait la paix et ses libert6s. Pendant qu'il parlait, quelqu'un toncha 'a la hache; il se retourna pr6cipitamment, disant: " Ne ga~tez -pas la hache, elle me ferait plus de mal;" et son discours termin4, quelqu'nn s'en approchant encore: "1Prenez garde 'a la hache, prenez garde 'a la hache I" r~p~ta-t-il d'un ton d'effroi. Le plus profond silence rdgnait; il mit sur sa tote un bonnet de soie, et s'adressant 'a 1'ex~cuteur "Mes cheveux vous g~inent-ils?"-" Je prie votre 58 5$ ~FRENCH READE.R. Majest6 de les ranger sous son bonnet," r~pondit l'omme en s 'inclinant. Le roi les rangea avec l'aide de l'6ve~que. CCJ' ai pour moi," lui dit-il en prenant ce soin, " une bonne cause et un Dieu cl~ment."1 "Oni, sire, il n'y a plus q~u'n pas 'a franchir; il est plein de trouble et d'angoisse, mais de peu de dure'e, et song'ez qu'ii vous fait faire un grand trajet, il vous transporte de la terre au ciel."-" Je passe d'une couronne corruptible 'a une couronne incorruptible, oit je n'aurai 'a craindre aucun trouble, aucune espece de trouble." Et se tournant vers 1'ex~cuteur "Mes cheveux sont-ils bien?" 11 6ta son mantean. et son Saint-George, donna le Saint-George' 'a l'v~quc en lui disant "1Souvenez-vous," 6'ta son habit, remit son manteau, et regardant le billot:- " Placez-le de manie're 'a ce qu' il soit bien ferme," dit-il 'a 1'ex6cuteur. "II1 est ferme, sire."" Je ferai une courte priere, et quand j'6tendrai les mains, alors-"1 II se recueillit, se dit hi lui-m~me qnelques mots 'a voix basse, leva les yeux an ciel, s'agenouilla, posa sa tote sur le billot; l'ex& cuteur toucha ses choveux pour les ranger encore sons son bonnet; le roi crut qu'il allait frapper: "1Attendez le signe," lui dit-il. "Je 1'attendrai, sire, avec le hon plaisir de votre Majeste." An bout d'un instant, le roi tendit les mains; 1'ex'cnteur frappa, la tate tomba au premier coup: "1Voil'a la tate d'un traltre," dit-il, en la montrant an peuple. Un long et sourd gemissem~ent s'6leva autour de Whitehall. Beancoup de gens se pre'ipitaient an pied de l'chafand pour tremper leur monchoir dans le sang du rot. Deux corps de cavalerie, s'avangant dans deux directions diff~rentes, disperse'rent lentement la fonle. L'chafaud demeurd solitaire, on enleva le corps: il 6tait d6jh enferm6 dans le cercueji. Cromwell voulut le voir, le consideya attentivement, et sonlevant de ses mains la tote, comme pour s'lassnrer qn'elle 6tait bien separde du tronc: C'6tait la' un corps bien constitue"," dit-il, "cet qui promettait une longue vie." Guz'zot. 2 6. ulhrie-A ntoziette. Rien de plus gracienx que Marie-Antolinette de quatorze "' dix-sept ans. 11 e~iiste 'a. Schcenbrunn Gdmme 'a Versailles des Dortraits de la jeune princesse an front hant d~e Lorraine, an nez PF"RENCH READER. 5 59 aquilin, et L~ la bouche Autrichienne de Marie-Thdr~se, aux yeux bleus d'Allemagne, avec ce teint si blanc et si beau, qu'il efface le satin de ses vhtemens d'archiduchesse. Quel enthousiasme n'excita pas Marie-Antoinette, quand elle vint s'unir 'a notre jeune dauphin? Le peuple aime le contraste, et 'a, cotW de la cour dissolue de Louis XV. et de Mmne. du Barry, on aimait "a contempler cette physionomie d'innocence et de candeur qui fit dire an chevaleresque duo de Brissac: " Autour de vous, madame, il il y a 'cent mille amoureux de votre personne." Par la m~me raison que I'6ducation du dauphin avait consid~rablement influ6 sur la vie et la destin~e du jeune prince qui fut Louis XVI, les conseils, et la direction de Marie-Th&rese avaient 6galement exerc6 une grande influence sur l'esprit et les mani~res de l'archiduchesse Marie-Anitoinette. La vie agit~e, h6roYque de l'imp6ratrice l'avait entralin6e 'a placer le courage comme la premi~re des vertus, et Marie-Antoinette en h~rita de sa maere. D~s qu'elle fut destin&'aeL 6pouser M. le dauphin, elle re~ut une 6ducation toute Fran~aise, sons 1'abb6 de Vermond, un des hommes les plus distingu6s, les plus spirituels de ce temps; sa nmere voulut faire de la jeune archiduchesse un lien permanent pour assurer I'alliance entre la France et L'empereur, et ce fut sans doute ce qui fit accuser Marie-Antoinette de demeurer Autrichienne an fond de a'~me; accusation taut r~p6t6e, qui ne tenait aucun compte du changement op6r6 dans la situation diplomatique! A la fin du i~e sikcle, le syst~me dn Cardinal de Richelieu, pour la grandeur de la maison de Bourbon, avait dfi se modifier par la marche des circonstances; les int~r~ts 6taient chang~s, la France n'avait plus 'a craindre l'Autriche. Une autre rivalit6 s'&tait 6lev6e bien plus, puissante, celle de I'Angleterre, depuis L'av~nement de la imaison de Hanovre, et le meilleur moyen de tourner toutes les forces de la monarchie contre la Grande-Bretagne, n'6tait-ce pas d'assurer la paix continentale par une alliance permanente avec I'Autriche. Que MarieThdre'se ait voulu consacrer ce principe, en donnant une archiduchesse 'a la France, cela est exact, mais que Marie-Antoinette, jeune et gracieuse femme, folle comme on L'est Li quinze ans, spirituelle enfant aux blonds cheveux, ait &t6 charg6e d'un role politique ou d'une trahison fatale pour Louis XVI et la France, comme on l'a suppos4, et que l'Autriche se soit servie d'une main si frele pour remuer de hautes questions, c'est absurde 'a 6o 6o FPR-ENCH READE.R. supposer. II faut laisser ces r~cits pu~rils ou scandaleux 'a cette chronlique mis~rable qui pr~para cette 6pithkte d'Audrichlenne, avec: laquelle on fit monter sur le'chafaud la fille des CUsars. De nobles choses se montrent dans le caract~re de MarieAntoinette: l'amiti6 tendre et affectueuse, une gaiet6 d'enfant, un besoin de plaisirs nadfs, l'absence de formes, d'6tiquette, et ces habitudes allemandes si belles et si bonnes partout. On aurait dit qu'elle 6tait appele'e 'a coinph~ter les portions d~fectueuses du caract'ere de Louis XVI, cette empreinte trop grave, trop s~rieuse pour une cour de gentilshommes. La jeune princesse ne dominait pas son mani d'une mani~re violente ou fausse; seulement, comnme tons les esprits timides, Louis XVI. avait besoin de quelqu'un qui le ponssfit incessamment pour le plaisir comme pour la peine, pour la force d'action comme pour la resistance qui pers&v~re. La nature des gouats 6tait diverse entre eux, et cependant ils s'entendaient; car il y avait dans Marie-Antoinette quelque chose de d~licat qui la faisait ob~ir me'me 'a ce qtq'elle ne croyait ni vrai, ni juste. Les habitudes allemandes inspirent 'a la femme une resignation douce et bonne; si Marie-Antoinette avait ses ides, sa volont6, si elle les disait au prince avec une enti'ere franchise, quand celni-ci persistait, l'pouse se d6vonait 'a l'obe'issance la plus absolne. N~anmoins elle se cr~a de vives inimiti~s dans cette cour. Marie-Antoinette, 6trangere au milieu de tant de princes, oblig~ee de plaire 'a Louis XV. coquette m~me 'a ce point de caresser la favorite, Mine. du Barry; jeune femme parmi tant d'autres qui ne l'taient plus; assez belle, assez majestueuse, pour corriger et ennoblir un laisser-aller trop au dessous d'elle, pour ne pas la compromettre, quelle vengeance pouvait-elle garder an cceur, si ce n'lest quelques petits mots contre 1'6tiqnette et les formes qui l'ennuyaient? Cette 6tiquette 6tait pour elle comme un v~tement 6troit et serr6 siir le corps d'nn enfant qui aime 'a s'agiter dans des jeux folfitres. On pent s'imaginer la haine des vieilles douaribres de la cour contre la dauphine, et ce besoin qu'elle eut de conqu~rir l'amiti6 de qnelques jeunes femmes, bonnes et aimantes comme elle, les Lamballe, les Polignac, les Vandreuil, corbeille de fleurs jet6es autour de la plus belle, la rose de Trianon, de Versailles. Mon Dieu! qu'elle est douce et tendre cette correspondance de Marie-Antoinette avec la princesse de Lamballe! qu'elles sont gracieuses ses Iettres 'a Mine. de Po FRENCH READER. 6 6x lignac! et pourquoi ne voulez-vous pas que la dauphine de ItFrance, 'a seize ans, recherchaft quelque joie d'intimit6, quelque entralinement, de sensibility exquise, que la calomnie venue m~me de tr~s-haut et de ses parens les plus proches, ne sut point 6pargner? Cap efigue. 27. Louis XIV. a Versailes. Pour se faire une juste ide de Louis XIV. au moment de son apoth~ose, il est n6cessaire de le suivre it Versailles. Versailles, c'est son ceuvre it lui, sa cr6ation. Lit tout le symbolise et le personnifie; c'est son Olympe, son ernpyr6e. Depuis longtemps Louis XIV. avait en haine toutes les r~sidences royales. Ii d~testait Paris, qui lui rappelait "Ila Fronde;" Paris, oii gronde la tempe'te populaire, oii " l'ignoble peuple a faim et se plaint. Il n'aimait ni Fontainebleau, ni Chambord, ni Conmpi~gne, peupl~s de 16gendes royales, car il jalousait jusqu'at l'ombre de ses axeux." Sa r~sidence habituelle, Saint-Germain, lui devenait de jour en jour odieuse; au loin, il apercevait les clochers de SaintDenis, perp6tuel memento mori qui troublait l'ivresse de sa puissance. D'ailleurs it Saint-Germain, il avait pass6 sa jeunesse, il y avait aim.6 et pleurt6 avant que d'e~tre dieu, et mulle souvenirs S'y attachaient qui lui semblaient nuisibles it sa majest6, it sa dignit6, it sa gloire. Un courtisan caustique, il y en avait, pouvait, aux d~pens, du Maitre, y exercer son esprit en faisant it quelque ambassadeur e'tranger les honneurs du chateau. C'est alors qu'il r~solut de faire construire un palais it lui, un palais qu'emplirait sa seule personnalit6, oti on le sentirait vivre encore dans des sie'cles futurs. Sur les ordres du roi on jeta les fondements de Versailles; luim~me avait choisi 1'emplacement. C'6tait un desert, et tout y 6tait it cr6er, "1Non seulement les monuments dle I'art, mais la nature m~me." C'est ita pr~cis~ment ce qui d~cida Louis XIV. "Il1 n'y a," dit M. Henri Martin, "1point de sites, point d'eau, point d'habitants it Versailles; les sites, on les cr~era en cr~ant un immense paysage de main d'homme; les eaux, on les am~nera de toute la contr~e par des travaux qui effraient 62 62 FRA-',DE-NCH READER. l'imagi-nation; les habitants, on les fera pour ainsi dire sortir de terre en 6levant toute une grande cit6 pour le service du chateau. * Louis se fera ainsi une cite' a' li, dont il sera la vie. Versailles et la cour seront le corps et l'ame d'un m~me 6tre, tous deux cr66s 'a m~me fin pour la glorification du dieu terrestre auquel us devront L'existence." Le duc de Cr6qui appelait Versailles un favori sans m~rite. Mais n'6tait-ce pas un immense m~rite que de n'en pas avoir et de devoir tout au ma~itre? Versailles s'e'leva comme par magie; sans compter, on y prodigua la vie des hommes et les richesses de la France. Que d'ann~es de revenu enfouies dans ces sables ste'riles! La' s'6puisa le g6nie de 1'6poque, l'industrie enfanta des miracles, L'art du temps dit son dernier mot. On eut de l'eau, des fontaines jaillissantes, des forkts, arrach~es toutes venues aux plus belles forkts de la couronne; le marbre syentassa suir le marbre. Mansard, Lebrun, Le No'tre dirigeaient les travaux; l'ceuvre avangait. Les bassins 6taient creus&s, 'et dans leur eau se miraient tous les dieux de la mer, toutes les dryades des fontaines; un peuple de statues animait les bosquets; tout 1'Olympe!1 Enfin le palais fut termin6. II e~tait 'a la taille du maitre; des salles immenses, des escaliers de giants. Autour du palais une ville 6tait sortie de terre, et l'on terminait les baitiments si vastes oii s'entasserent les ministeres, les aides, les commis, tout 1'attirail de la cour. Louis XIV. alors se mit au balcon qui regarde le soleil levant, et en apercevant ce paysage splendide, ces jardins enchant~s, ces pelouses, ces bosquets, il se sentit le dieu de cet univers, et put dire: Je suis content, je re'gne en paix."~ Alors, par toutes les fene'tres de son palais, il commen~a a~ jeter ce qui restait de richesses 'a la France, et dans les cours les courtisans avides se disputaient les d~pouilles. Triste curle. Versailles cependant, avec ses chambres sans nombre, ses casernes babyloniennes, ses communs grands comme une cit6, Versailles e'tait trop 6troit encore pour loger cette foule oisive qui toujours et partout entourait le roi; peuple privil~gi6 an milieu d'un autre peuple, et qui n'avait d'autres fonctions que de concourir 'a l'clat du roi soleil, Pr~tres de ce, F-RENCH READER. 6 63 dieu qui avait invent6 un culte tout particulier ~ son usage, sorte de liturgie pa~enne qui r~glait minute par minute tous les mouvernents de 1'idole, et d~cidait " la fa~on d'6ter une pantoufle on de rnettre un bonnet." Cette religion, savamment comnbin~e, avait deux grands huts, lElle tenait la noblesse 'a distance et donnait occasion de cr6er une foule de charge~s d'autant plus recherch~es qu'elles permettaient d'approcher d'avantage de la personne royale. Ces charges, qui se vendaient des sommes consid6rables, bien qu'elles fussent une ruine pour les titulaires, e'taient innombrables. Chaque acte de la vie du roi justiflait un titre nouveau, depuis celui de grand chambellan, jusqu'a celui de capitaine des levrettes. On croit rover v~ritablement, lorsque, minute par minute, dotail par de'tail, on suit une des journ~es, de Louis XIV, journ~e semnblable 'a toutes les autres, ordonn~e avec une sym6trie que nul &v6nemnent ne peut houleverser. Le c~r6monial prend le roi au sant du lit, avec le mddecin qui vient lui faire tirer la langue, et ne le quitte que lorsqu'il a mis sa couronne de nnit, et qu'un autre m~decin est venu interroger les battements de son pouls. Ii y a le grand et le petit lever; la chambre royale est pleine de ceux qui, en vertu de Lenr charge ou de leur dignit6, ont le droit de contribuer 'a la toilette du roi f~tiche. Tout d'ahord, c'est la perruque, mais le roi la met derrie're ses, rideaux, nul ne doit voir 'a nu le chef du souverain; encore y a-t-il plusieurs perruques, celle du grand lever n'est pas celle du petit; il y a la perruque des jours ordinaires et celle des jours de gala. La c~r~monie de la chemise vient ensuite, c'est d'habitude un prince du sang qui la donne. Puis la c~r6monie des has, des souliers et du reste. Les serviteurs de la main droite ne sont pas ceux de la main gauche. IL y a un gentilhomme pour le chapeau, un antre pour l'~p~e, un troisi~me pour les ordres que le roi porte sons. son habit. Chaque fonction de la machine royale, chaque hesoin, chaqne exigence de sa nature, est le pr~texte d'une pompe tout aussi imposante; c'est en cadence que le roi' marche, qn'il boit, qu'il mange, et qu'il prend m6decine. La c~r~monie de Mo~ire, si burlesque, est une r6alit6. IEt afin qu'on ne puisse douter de ces faits, ils sont conslign~s 06- 4 64 ~~FRIENCH READER. en vingt endroits divers. Dangeau passa sa vie 'a 6rire les faits et gestes du roi; il est l'historien de l'antichambre et des arrierecabinets, mais il n'en est que plus pr6cieux pour qui veut essayer de reconstituer cette cour, " la premi~ere du monde;" par lui, nous savons 'a une seconde pr~s ce que faisait Louis XIV; ii nous a l6gu6 les noms de ces courtisans heureux qui chaque soir recevaient le bougeoir des mains du roi. L'app~tit du roi de France est une des grandes stupffactions de la princesse Palatine, elle en panle dix fois dans ses Mnmoires. "1Le roi consommait ais~ment, dans un seul repas," 6crit-elle, "quatre assiettes de soupes diverses, un faisan entier, une perdrix, une assiette de salade, deux tranches de jambon, du mouton au jus et 'a l'ail, une assiette de patisserie, et au dessert une profusion d'ce'ufs durs et des fruits de toute qualit6." Aprhs de tels repas, largement arros6s, il fallait au roi le grand air et l'exercice, encore la digestion n'6tait-elle pas toujours facile, et dans les reactions qui suivent souvent, un illustre historien croit voir l'origine de la "1politique 'a outrance" des derni~res ann~es de Louis XIV. Et maintenant repr~sentez-vous Louis XIV, lorsque, entre une triple haie de courtisans, il descend le grand escalier de Versailles. A voir sur son passage l'admiration passionn&e de tous ces nobles gentilshommes, ne devine-t-on pas que c'est 1~ le mailtre qui tient la come d'abondance, l'homme qui a pris le soleil pour embl'eme? "1Sa taille n'est pas au-dessus de la moyenne, ii a les mouvements nobles et gracieux, la d~marche pleine de majest. II avance avec, grdce une jambe fine et merveilleusernent tourn~e, sa figure impose le respect et l'admiration, enfin son regard est fier, terrible lorsqu'il est irrit6, plein de bienveillance lorsqu'il est satisfait." Tel est le portrait que nous a laiss6 de Loui's XIV. un des ses contemporains; ce portrait est dat6 de l'poque la plus brillante, mais l'auteur oublie de nous dire que, toujours fid~le 'a son syst'eme, le roi, sans doute pour imprimer 'a sa personne une majest6 plus grande, avait trouv6' bon de se hausser sur dk6normes. talons, et de s'allonger d'une prodigieuse perruque. Nous avons, au reste, plus de cent portraits do Louis XIV, La Bruye're dit que, "1son visage remplissait Ia curiosit6 des peuples;" et Saint-Simon, que " sa taille, son port, sa beaut6, sa FR.1AENCH -REA DER.,6 65 grande mine, le firent distinguer jusqu'h sa mort comme le roi des abeilles." Dans quelqu' 6tat obscur qua le ciel 1'eftt fait naltre, Le m~onde, en le voyant, eftt reconnu son maiure. Que sont devenues cependant toutes les splendeurs du "grand roi?" Que reste-t-il de toute cette fantasmagorie qui e~blouit un si~ce? Versailles est d~sert aujourd'hui, morne et triste. Vingt ouvriers travaillent 'a la journe'e pour arracher l'herbe qui croilt drue entre les pav6s; l'eau croupit dans les reservoirs, les statues grelottent sur leurs, pi~destaux rong~s de mousse. De loin, cet 6norme amonc~lement de pierres, de briques et de marbres 6tonne l'imagination, mais on a le coeur serr6. Louis-Philippe eut la pens~e de rendre la vie 'a cette vaste ru~cropole de la monarchie, mais un mus~e n'a Pu la ranimer. Mieux efit valu. laisser tomber Versailles pierre 'a pierre, laisser le lierre couvrir de son manteau ces ruines colossales. Tout semble petit, mesquin, glacial, dans ces salles si vastes; les tableaux les plus excellents y perdent de leur valeur. Ils fixent les yeux, mais non l'imagination. La pens6e est ailleurs. Involontairement on 6coute H'cho des pas dans les escaliers, les craquements sourds des boiseries, les gdmissements du vent dans les corridors. Devant chaque porte on s'arrkte, on h~site at ouvrir; que trouvera-t-on derri~re? Seule, la grande galerie des portraits est en harmonie avec les impressions que donne l'aspect de Versailles; lorsque parfois on la traverse dans toute sa longueur, seul, 'a la nuit tombante, on est saisi d'une frayeur secr~te au bruit de ses pas, redit vingt fois par les vouites sonores. On croit voir remuer des yeux, s'agiter des I~vres, et, dans l'ombre lointaine,' de grandes figures se d~tacher de la toile et jaillir de leurs cadres. A Versailles, dans les cours ddsertes, dans les recoins ignor6s, sont venues s'6chouer toutes les 6paves des monarchies pass~es, battues et renvers~es par la temp~te populaire. On y aper~oit bien des cadres sans toiles, des bustes mutil~s, des statues d6capit~es. LU, dans un passage obscur, non loin de l'orangerie, j'ai retrouv6 une admirable statue 6questre du duc d'Orl~ans, ce prince si g~n~reux, si loyal, si bon. Involontairement je me rappelai les grandes esp6rances, avec lui 6teintes, je me souvins F 66 FRENCH READER. de ce grand deuil de la France le jour o-i sa mort r&v&la combien cher ii 6tait 'a tons. Pu vivant m~me de Louis XIV, Versailles avait eu sa d'cadence. Avec Madame de Maintenon, la tristesse entra dans le palais enchant4, un crepe sombre s'6tendit sur ce s6jour de la f6erie, la fantasmagorie s'6vanouit. La veuve de Scarron 6tait reine. Les palais refietent la physionomie des nailtres. Le demi-dieu 6tait redevenu un homme, moins qu'un homme, -un viellard h~b&t5 par La peur de l'enfer. "1 M'aviez vous done cru immortel?" demanda-t-il aux courtisans qui entouraient son lit d'agonie. Es auraient Pu lui r6pondre: "Oni, sire, et vous-m~me avez essay6 de le croire." Lorsqu'on conduisit Louis XIV. 'a Saint-Penis, le peuple imb6cile crut se venger en insultant sa d6pouille mortelle; ii couvrit de pierres et de boue le cercueil de cet homme qu'aux jours d'enivrement et de prosperit6 ii avait surnomm6 le Grand Roi, A nony~rne. 28. Betall Xe de Hastings. Sur le terrain qui porta depuis, et qui aujourd'hui porte encore le nom de Lieu de la Ba/aidle, les lignes des AngloSaxons occupaient une longue chaine de collines, fortifi~es de tous c6t6s par un rempart de pieux et de claies d'osier. Pans la nuit du x3 Octobre (io66) Guillaume fit annoncer aux Normands que le lendemain serait jour de combat. Des prstres et des religieux, qui avaient suivi en grand nombre l'arm&e d'invasion, attir6s comme les soldats par l'espoir du butin, se r6unirent pour prier et chanter des litanies, pendant que les gens de guerre pr6paraient leurs armes et leurs chevaux. Le temps qui leur resta apre& ce premier soin, ils l'employtrent 'a faire La confession de leurs p6ch6s et 'a recevoir les sacraments. Pans F'autre arm6e, La nuit se passa d'une maniere toute diff6rente; les Saxons se divertissaient avec grand bruit, et chantaient de vieux chants nationaux, en vidant autour de leurs feux des comes remplies de bibre et de yin. Au matin, dans le camp Normand, l'v~que de Bayeux, fils de la m~re du duc Guillaume, c6l6bra La messe et b6nit les troupes, arm6 d'un haubert sous son rochet; puis il monta un F-RENCH READER. 6 67 gyrand coursier blanc, prit un baton de commandement et fit ranger la cavalerie. Toute I'arm~e se divisa en trois colonnes d'attaque: 'a la premie're 6taient les gens-d'armes venus des comt6s de Boulogne et de Ponthieu, avec la plupart des aventuniers engag~s individuellement pour une solde; 'a la seconde, se trouvaient les auxiliaires bretons, manseaux et poitevins; Guillaume en personne commandait la troisie'me, form~e de la chevalerie nornmande. En t~te et sur les flancs de chaque corps de bataille niarchaient plusieurs rangs de fantassins arm6s 'a la 16ge're, ve~us de casaques matelass~es, et portant de longs arcs de bois, ou des arbal~tes d'acier. Le duc montait un cheval d'Espagne, qu'un riche normand lui avait amen6 d'un p~lerinage 'a Saint-Jacques en Galice. Ii tenait suspendues 'a son cou les plus r~ve'r6es d'entre les reliques sur lesquelles, Harold avait jur6, et 1'6tendard b~ni par le pape 6tait port6 'a co't6 de lui par un jeume homme appeh6 Toustain-le-Blanc.. L'arm~e se trouva biento~t en vue du camp Saxon, au nord-onest de Hastings. Les pre'tres et les moines qni l'accompagnaient se d~tacherent, et mont~rent sur une hauteur voisine pour prier et regarder le combat. Un Normand, appel6 Taillefer, poussa son cheval en avant du front de bataille, et entonna le chant fameux dans toute la Gaule, de Charlemagne et de Roland. Eni chantant, il jouait de son 6pe la lan~ait en l'air avec force, et la recevait dans sa main droite; les Normands r~p~taient ses refrains, on criaient, "Dieu aide! Dieu ai'de!" A port6e de trait, les archers commencerent 'a lancer leurs flbches, et les arbal6triers leurs carreaux; mais la plupart des coups furent amortis par le bant parapet des redoutes saxonnes. Les fantassins, arm6s de lances, et la cavalerie s' avance'rent jnsqu'anx portes des redontes et tent~rent de les forcer. Les Anglo-Saxons, tons 'a pied antour de leur 6tendard plants en terre, et formant derrie're leurs palissades une masse compacte et solide, re~nrent les assaillants L~ grands coup de hache, qui, d'nn revers, brisaient les lances et coupaient les armures de mailles. Les Normands, ne pouvant p6n~trer dans les redoutes, ni en arracher les pienx, se replirent, fatign~s d'nne attaque inutile, vers la division que commandait Guillaume. Le duc alors fit avancer de nouveau tons ses archers, et leur ordonna de ne plus tirer droit devant eux, mais de lancer leurs traits en haut, pour qn'ils tombassent par-dessus le rempart du camp ennemi. Beau 68 68 FR- -ENVCH READE R. coup d'Anglais furent bless6s, la plupart au visage, par suite de cette manceuvre; Harold lui-m~me eut l'ceil crev6 d'une flche; mais il n'en continua pas momns de commander et de combattre. L'attaque des gens de pied et de cheval recommenda de pr~s, aux cris de "1Notre Dame! Dieu aide! " Mais les Normands furent repouss~s 'a I'une des portes du camp, jusqu~'a un grand ravin recouvert de broussailles et d'herbes, oii leurs chevaux tr6bucherent et oiLilus tomberent Ple -m~le, et p'rirent en grand nombre. Ii y eut un moment de terreur dans l'arm&e d'outre-mer. Le bruit courut que le duc avait &t6 tu6, et, 'a cette nouvelle, la fuite commenga. Guillaume se jeta luii-mexne au-devant des fuyards et leur barra le passage, les menagant et les frappant de sa lance; puis se d~couvrant la tote: " Me vojil," leur cria-t-il, "1regardez-moi, je vis encore, et vaincrai avec l'aide de Dieu." Les cavaliers retourn~rent aux redoutes, mais il ne purent davantage en forcer les portes ni faire brkche; alors le duc: s' avisa d'un stratageme pour faire quitter aux Anglais leur position et leurs rangs. I1 donna l'ordre 'a mille cavaliers de s' avancer et de fuir aussitot. La vue de cette d~route simuh~e fit perdre aux Saxons leur sang-froid; ils coururent tous 'a la poursuite, la hache suspendiie an con. A une certaine distance, un corps posts 'a dessein joignit les, fuyards, qui tournarent bride; et les Anglai's, surpris dans leur d~sordre, furent assaillis de.,tous Ct~s "'a coups de lances et d'6p*s dont uls ne pouvaient se garantir, ayant les deux mains occup6es 'a manier leurs grandes haches. Quand uls eurent perdu leurs rangs, les cl~tures des redontes furent enfonces; cavaliers et fantassins y p~n&r~rent; mais le combat fut encore vif, p~le-m&I et corps 'a corps. Guillaume ent son cheval tu6 soils lui; le roi Harold et ses deux fr~res tombe'rent morts au pied de leur 6tendard, qni fat arrach6 et remplac6 par la bannie're envoye'e de Rome. Les d~bris de l'arme'e anglaise, sans chef et sans drapeau, prolong'Crent la lutte jusqu"a la fin du jour, tellement que les combattants des deux partis ne se reconnaissaient plus qu'au langage. ZJhzerry. 29. Couronnemen! de Gul/Zaunme le Con qu6 an!. Guillaume n'alla point jusqn"a Londres; mais s'arretant 'a Ia distance de quelques mulles, il fit partir un fort d6tacbement IFRENCH READER. 6 69 de soldats, chargds de lui construire, an sein de la yille, une forteresse pour sa residence. Pendant qu'on h~tait ces travaux, le conseil de guerre des Normands discutait, dans le camp pr~s de Londres, les moyens d'achever promptement la conqu~te commenc~e avec tant de bonheur. Les arnis familiers de Guillaume disaient que pour rendre mons, A~pres 'a la resistance les. habitans des provinces encore libres, il fallait que, pr~alablement 'a toute invasion ult~rieure, le chef de la conqu~te prit le titre de roi des Anglais. Cette proposition 6tait sans doute la plus agr~able an duc de Normandie; mais toujours circonspect, il feignit d'y 6tre indiff~rent. Quoique la possession de la royaut6 fut l'objet de son entreprise, il paralit que de graves motifs l'engag~rent 'a se montrer momns ambitieux qu'il ne l'~tait d'une dignit:6 qui, en l'6levant au-dessus des vaincus, devait en m~me ternps s~parer sa fortune de celles de tous ses comnpagnons d'armes. Guillaume s'excusa modestement et dernanda au momns quelques d~lais, disant qu'il n'6tait pas venu en Angleterre pour son int&r& seul, mais pour celui de toute la nation normande; que d'ailleurs, si Dieu voulait qu'il devi'nt roi, le temps de prendre ce t'itre n'dtait pas arriv6 pour lui, parce que trop de provinces et trop d'hommes restaient encore 'a soumettre, La majorit6 des chefs normands inclinait 'a prendre 'a la lettre ces scrupules hypocrites, et 'a d~cider qu'en effet il. n'6tait pas temps de faire un roi, lorsqu'un capitaine de bandes auxiliaires, Aimery de Thouars, 'a qui la royaut6 de Guillaume devait porter momns d'ombrage qu'aux natifs de Normandie, prit vivement la parole, et dans le style d'nn flatteur et d'nn soldat 'a gages, s'6cria: " Cest trop de modestie que de demander 'a des gens de guerre s'ils veulent que leur seigneur soit roi; on n'appelle point les soldats 'a des discussions de cette nature, et d'ailleurs nos d~bats ne servent qn"a retarder ce que nous, souhaitons tous de voir s'accomplir sans d~lai." Ceux d'entre les Normands, qui, apr~s les feintes excuses de Guillaume, auraient os6 opiner dans, le m~me sens que leur duc, furent d'nn avis tout contraire lorsque le Poitevin eut parl.6, de crainte de paraitre momns fidAe'les et momns d~von~s que lui au chef commun. ls, d~cid~rent donc unanimemnent, qu'avant de pousser plus loin la conquefte, le duc Guillaume se ferait conronner roi d'Angleterre par le petit nombre de Saxons qu'il avait r~ussi 'a effrayer ott 'a corrompre. Le jour de la c6r6monie fut fix6 'a la fe'te de Noel, alors 10 FRENCHF READER. prochaline. L'archev~que de Canterbury, Stigand, qui avait pr~t6 le serment de paix au vainqueur, dans son camp de Berkhamsted, fut invit6 ih venir lui imposer les mains et ii le couronner, suivant 1'ancien usage, dans 1'6glise du monaste're de l'Ouest, (en Anglais Westmynster,) pr~s de Londres. Stigand refusa d'aller b~nir an homme couvert du sang des hommes et envahisseur des droits d'autrui. Mais Eldred, 1'archev~que d'York, plus circonspect et mieux avis6, disent certains vieux historiens, comprenant qu'il fallait s'accommoder au temps, et ne point aller contre l'ordre de Dieu, par qui s'61bvent les puissances, consentit a. remplir ce ministere. L'glise de l'Ouest fut pr6par~e et orn~e comme aux anciens jours, oui d'apr~s le vote libre des meilleurs. hommnes de l'Angleterre, le roi de leur choix venait s'y pr~senter pour recevoir l'investiture du pouvoir qu'ils lui avaient remis. iMiais cette 6lection pr~alable, sans laquelle le titre de roi ne pouvait 6tre qu'une vaine moquerie et une insulte am~re du plus fort, n'eut point lieu pour le duc de Normandie. II sortit de son camp, et marcha entre deux haies de soldats jusqu'au. monast~re oti 1attendaient queiques Saxons craintifs, ou bien affectant une contenance ferme et un air de liberte' dans leur lache et servile office. Au loin toutes les avenues de l'glise, les places, les rues du faubourg, 6taient garnies de cavaliers en armes, qui devaient, selon d'anciens r~cits, contenir les rebelles, et veiller 'a la sfiret-6 de ceux que icur minist~re appellerait dans l'int~rieur du temple. Les comtes, les barons, et les autres chefs de guerre, au nombre de deux cent soixante, y entr'erent avec leur duc. Quand s'ouvrit la c6re'monie, G~offrey, 6v~que de Coutances, demanda, en langue Francaise, aux Normands, s'ils e~taient tous. d'avis que leur seigneur prit le titre de roi des Anglais, et, en xn~me temps, l'archev~que d'York demanda aux Anglais, en langue Saxonne, s'ils voulaicnt pour roi le duc de Normandie. Alors il s'61eva dans 1'6glise des acclamations si bruyantes, qu.'elles retentirent hors des portes jusqu'a l'oreille des cavaliers, qui remplissaient les rues voisines. 11s prirent ce bruit confus pour un eni d'alarme, et, selon leurs ordres secrets, mirent aussit~t le feu. aux maisons. Plusieurs s'6lanc~rent vers l'gfise, et, 'a la vue de leurs 6p~es nues et des flammes de l'incendie, tous les assistans se dispersbrent, les Normands aussi bien que les Saxons. Ceuxci couraient au feu pour l'teindre, ceux-l'a pour faire du butin dans le trouble et dans le1- de'sordre. La c&r6monie fut sus XFR1ENCH READER. pendue par ce tumulte impr~vu, et il nie resta 'pour l'achever en toute hate que le duc, l'archev~que Eldred, et quelques pr~tres des deux nations. Tout tremnblans, ils re~urent de celui qu'ils appelaient roi, et qui, selon un ancien r6cit, tremblait Iui-m~me comme eux, le serment de traiter le peuple Anglo-Saxon aussi bien que le meilleur des rois que ce peuple avait jadis 61u. D'es le jour m~me, la yille de Londres eut lieu d'apprendre ce que valait un tel serment dans la bouche d'un 6tranger vainqueur; on imposa aux citoyens un 6norrne tribut de guerre, et Fon emprisonna leurs otages. Guillaume lui-me'me, qui ne pouvait croire au fond que la be'n~diction d'Eldred et les aeclamations de quelques Ia'ches eussent fait de lui un roi d'Angleterre dans lc sens l6gal de ce mot, ernbarrassd pour motiver le style de ses manifestes, tanto~t se qualiflait faussernent de roi par succession h6r~ditaire, et tanto"t, avec toute franchise, de roi par le tranchant de lp'dpe. Mais s'il he'sitait dans ses forrnules, il n'hWsitait pas dans ses actes, et se rangeait It sa vraie place par l'attitude d'hostilit6 et de d~fiancc qu'il gardait vis-at-vis du peuple; il n'osa point encore s'6tablir dans Londres, ni habiter Ic chateau cr~nelY qu'on lui avait construit 'a la h~tc-. II sortit donc pour attendre dans la campagne voisine que s-es ing~nieurs eussent donn6 plus de solidit6 "'a ces ouvrages, et jet6 les fondemens de deux autres forteresses, pour r6primer, dit un auteur Normand, l'esprit mobile d'unc population trop nombreuse et trop fi~re. Augus/in Thi'/erry. 3 0. Ba/wi~le de Magenta. J e ne suis pas un historiographe pour vous raconter, au point de vue de Ia v6rit6 strate~giquc, cette grand journ~e du 4 juin, qui marquera largement dans nos fastes militaires. Cependant je ne peux pas laisser incomplet le re'cit quc je vous en ai fait. Le combat si glorieux de Boffalora n'a 6t6 que l'un des c6t~s de cette victoire, que la bataille de Magenta a d6cid~e; vous me permettrez donc de revenir un pcu en arri'ere afin de rendre, toutes choses plus claires. L'arm&e du comte Giulay occupait une position dont la force avait &t6 auggment&c par. des travaux de campagne qui en rendaient l'acc'es presque impossible. La longue crete qui coupe Ia chauss~e de Boffaora au sommet de cette rampe dont je vous 72 72 ~~~ FI L RENICH READER. ai parl4 dans ma derni~re lettre, est d~fendue par un canal large et profond-le Naviglio grande-qu'on franchit sur des ponts e'troits. Vous savez en outre que du Tessin, jusqu'a' la hauteur oit le comte Giulay avait assis ses batteries, le remblai du chemin de fer longe la route 'a une port~e de fusil sur la droite, et forme comme un rempart artificiel dont les feux plongeants balayent le terrain sur lequel ii fallait n6cessairement passer pour atteindre le village de Boffalora. A droite et 'a gauche de la chauss~e, ce sont des prairies inond~es, des bouquets de bois, des cours d'eau, des foss~s. Tout se r6unissait done pour rendre cette position inexpugnable. La rencontre du chemin de fer et des hauteurs qui sont form6es par les berges de l'ancien lit du fleuve, dessine un angle profond dont les escarpements sont couverts de taillis. C'est contre cet angle que les colonnes d'attaques out 6t6 lanc~es. Le g6n~ral Cler conduisait le 3e r~ginient de grenadiers et les zouaves. Repouss6s six fois, et six fois ramen6s, ces braves soldats, d6cim6s par un feu terrible, sont enfin parvenus 'a couronner les hauteurs derri~re lesquelles s'ouvre le grand canal. Le I er et le 2e de grenadiers combattaient sur la route et sur la gauche, dirig~s par le g6n~ral Wimpifen. A trois heures, le g6n6ral Giulay se croyait stir de Ia victoire, et 6crivait 'a VWrone que F'arm&e fran~aise n'avait Pu forcer le passage. Ii avait alors presque raison, seulement il se pressait trop, comme autrefois son pr6d6cesseuir le g6n6ral M61as. Et 'a ce point de vue, la bataille de Magenta a 6t6 un autre Marengo, dont le ge'n~al MacMahon a 6t6 le Desaix, mais un I1esaix heureux en m~me temps que vainqueur. A ce moment d~cisif, oii la fortune des armes allait donner Ia victoire au plus r6solu, vers quatre heures, la droite de l'arm6e autrichienne s'appuyait contre une immense ferme cr~ne1~e, CasQina Nuova, dont les abords sont prot~g~s par des vergers et des foss~s; le centre se retranchait 'a Magenta, dont 1'6glise, le clocher, la gare et les maisons 6taient autant de forteresses. La gauche 6tait 'a Boffalora. La ligne du canal en avant de Boffalora n'avait pas encore &t4 forc~e, lorsque le g~n~ral MacMahon, qui venait de recevoir l'ordre d'emporter Magenta, couite que cofite, parut sur le terrain avec les divisions Espinasse et la Motterouge. .FkRENCH READER. 7 73 1I arrivait de Turbigo au fis de course aprbs avoir travers6 le Tessin sur un pont de bateaux dont la construction n'avait pas dt6 inqui6t6e par les Autrichiens. Le g6n~ral aborda r~solfiment la droite de l'ennemi et la v~ritable bataille commen~a. Les r~giments autrichiens qui d~fendaient la ferme se battirent avec une extreme vigueur; mais chassis enfin de leurs positions, ils furent repouss~s 'a la ba~onette jusqu'ia Magenta, oii une resistance nouvelle et plus formidable attendait nos soldats. La gauche extre'me dui corps dui g~n~ra1 MacMahon, qui prenait en flanc la ligne d'op~ration de l'arm6e autrichienne, 6tait occup~e par le 2e r~giment 6tranger, qui perdit I'a son colonel et plusieurs officiers, et par les turcos, dont Les cornpagnies, qui couraient au feu en poussant des 'hurrahs,' 6taient comme fauch6es par la mitraille. L'61an de nos soldats dut s'arr~ter devant un foss6 de proportions gigantesques, forms par les d~blais du chemin de fer, derri~ere lequel les forces ennemies s'6taient mass~es, se faisant un abri du village. C'est I'a que le g~n6ral Espinasse trouva la mort, ainsi que son aide-dc-camp. Le g~n~ral MacMahon, que rien ne pouvait faire h6siter, et qui s'exposait comme un soldat, se langa en avant, et nos bataillons pouss~rent au plus 6pais des baYonettes ennemie-s, comme une hache dans le cceur d'un ch~ne. Ii pouvait 6tre alors six heures du soir; les divisions Espinasse et la Motterouge se battaient depuis deux. heures contre des forces sup6rieures, prot~g~es par un village dont toutes les maisons 6taient barricad6es. La lutte ind6cise se prolongeait avec une 6nergie 6gale de part et d'autre, on ne perdait pas de terrain, mais on n'en gagnait gu~re, et la victoire 6tait encore incertaine lorsque la division des voltigeurs de la garde, conduite par le g~n~ra1 Camu, et mise aux. ordres du g~n6ral MacMahon, entra en ligne, marchant au pas de charge, tous les tambours -des quatre r6giments et les clairons dui bataillon des chasseurs de ha garde battant et sonnant 'a la fois. Le combat ne fut plus qu'un assaut. Les soldats autrichiens, rendons-leur cette justice, se d~fendirent avec acharnement: il fallut emporter la gare d'abord et les baftiments qui en d6pendent, les maisons, L'dglise, he clocher. A neuf heures ha resistance expira: vainqueurs et vaincus camp~rent ckte-'a-cote, 6galement 74 - F-REYCH -READER. epuis&s par cette longue lutte; mais les Autrichiens en dehors des lignes qu'is avaient occup~es la veille. Il y a dans I'arm~e autrichienne des compagnies dont il ne reste plus qu'un homme ou deux, des r~giments r~duits 'a un peloton. Combien de bataillons qui n'ont plus d'officiers!I Tandis que le ge'n~ral Mac Mahon arrivait 'a Magenta, le mar~chal Canrobert et le g~n~ral Niel avec deux divisions accouraient au secours des grenadiers de la garde. Cette vaillante troupe, qui ne cessait pas de cornbattre depuis cinq ou six heures, d~cim6e par le feu, et que Iesretours offensifs de l'ennemi ne pouvaient entamer, se masse it la voix de ses chefs et s'6lance en avant. Rien ne r~siste 'a 1'6nergie de cet assaut; les hauteurs voisines et le chermin de fer sont franchis, et les Autrichiens poursuivis la baronnette dans les reins. Le Naviglio grande est atteint, le passage du pont forc6, et le soldat charg6 de lefaire saui/er tu6 sur la meche. Les Frangais sont it Boffalora. Mais lIt, comme it Magenta, Ies b~itiments de la station, la douane, qu'on reconnait it ses arcades, une grande auberge qui lui fait face, et d'autres maisons, servirent de retranchements aux Autrichiens. Ii fallut les en d6busquer par la force jusqu'au dernier. A neuf heures, nos soldats bivouaquaient sur le champ de bataille, maitres de toutes les positions; ii n'y avait plus devant eux que des morts. Ame'de'e A chard. Li-has, de l'autre cotW de l'quateur et dans l'immensit6 solitaire de l'oc~an Atlantique, un rocher sortit de l'ombre aux premiers rayons du sQleil matinier, soleil triste it force de splendeur, et dont 1'6clat bru'le la terre comme le baiser de Jupiter incendiait ses amours. C'6tait au mois de Novembre; il y avait plus de trois semaines que nos passagers, avaient quitte6 le rivage de France. Le long de ce rocher, quelques maisons alignaient leurs toits carris et has, surmont~s du pavillon britannique. En rade, il y avait des vaisseaux de guerre qui portaient aussi le yacht anglais it leur poupe. Cit et lit, dans les pierres grises, au-dessus des parapets 'a fleur de sol, vous eussiez pu voir un mousquet briller Iau bras d'une sentinelle en habit rouge. EPJRE.NACH READER. 7 75 Mais, du plus haut sommet du grand mat d'un vaisseau 'a trois ponts, vous ne l'auriez pas mgme aperque, cette cage de Longwood, oi~i languissait le lion prisonnier. Un homme sortit de la maison m~lancolique par la petite porte qui donnait sur le _pleasure ground. Cet homme avait l'air d'un jardinier. Le factionnaire pre'senta les armes: c'6tait l'empereur. It avait obtenu qu'il n'y euit point de sentinelle dans son enclos; mais en dehors, a~ toutes les issues, l'hospitalite' anglaise veillait. L'empereur avait un livre ~ la main et sa longue-vue sous le bras. Il s'assit 'a lombre maigre d'un bouquet de foug~res arborescentes, et de fa~on 'a. ne point voir l'uniforme anglais. Il ouvrit son livre et tacha de lire; mais ii r~va. Au bout d'une heure, des enis joyeux le tir'erent de sa me'ditation. C'6tait tout le peuple enfantin de la petite colonie francaise qui allait, riant et jouant, le long de 1'enclos. Une fillette aux belles boucles d'or aper~ut l'empereur, et, quittant ses camarades, elle vint mettre sa tate blonde sur ses genoux. C'6tait la fille du fidle B ~, la favorite de l'empereur. Ils causbrent. L'enfant demanda: " Pourquoi es-tu plus triste aujourd'hui que du coutume, sire?" L'empereur sourit et repondit: " Le vent souffle de France." Puis, baignant ses mains d~licates et toujours fines, malgr6 1'embonpoint qui le prenait, dans les cheveux boucl6s de 1'enfant, interrogeant h son tour: "1Sais-tu tes pri~res, fillette?" -Le brave g6n~ral Bn'6tait pas un cbr~tien tre~s-fervent.-La petite r~partit en riant: " A quoi cela sert-il?" Puis elle ajouta, hardie comme l'enfance: " Et toi, sais-tu les tiennes?" Le g6n6ral Montholon approchait, avec un permis de promenade sur les bauteurs. Car il fallait une licence sign~e Hudson Lowe pour franchir les bornes de la petite propri~t6 de Longwood. L'empereur monta seul et lentement le sentier qui conduisait aux sommets de la chaine des collines, d'ou' son regard aimait h contempler la mer. La brume m~lancolique dont parle si souvent le m~morial se dissipait sous les rayons du soleil; au loin l'oc6an &tincelait. Il n'y avait pas un seul navire en vue sur toute l'e'tendue de la mer, sauf les embarcations anglaises, ~ l'ancre dans la rade. 76 FRENCH READER. L'empereur s'assit, ombrageant son visage triste sous les vastes bords de son chapeau de paille. Et il laissa ses regards errer a l'horizon. Derribre cette terrible muraille du lointain, il y avait nonseulement l'appel de la libertY, non-seulement le spectre de la gloire et de la puissance, non-seulement le sourire de la patrie, mais encore les deux plus grands amours que puisse contenir le cceur d'un homme: une jeune femme, un cher enfant. I1 n'eut pas et6 au pouvoir de Napol6on lui-meme, libre et assis de nouveau sur son tr6ne, d'augmenter sa gloire militaire; son testament affirme qu'il avait renonc6 a toute esperance politique;-mais sa femme, mais son fils, mais la France! Etait-ce un nuage, cependant, qui se d6tachait la-bas entre le double azur du ciel et de la mer? Ou n'4tait-ce pas plut6t ce miracle du genie humain, cette neuvre prodigieuse du siecle inventeur, le premier steamer, la Delivrance, pr&cedant sans doute la flotille plus lourde, et venant dire au captif: Soyez prt? Oh! c'&tait bien un navire, car la longue-vue distinguait un point opaque et noir au milieu du nuage. Le coeur du giant vaincu dut bondir &trangement dans sa poitrine. Et quel songe eut a ce moment son g6nie? Et malgr6 les promesses des heures r6signdes, quels plans de bataille jaillirent tout-a-coup au choc de cet espoir? quels vastes mouvements d'arm6es? quels bouleversements de la carte du monde? La navire approchait, on distinguait ses deux mats sans voiles, s6par6s par cette chemin6e sombre, d'ou sortait la chevelure de fum6e. I1 approchait, rapide comme un souhait; il grandissait; on voyait d6ja l'dcume blanchir a ses flancs! II approchait trop; pourquoi cette bravade inutile? les navires de la rade l'avaient signale. Un coup de canon parti du fort, grondait d'bchos en dchos, et il approchait toujours. Deux fregates anglaises se couvraient de toile, deux bricks appareillaient, couronn6s de blancs flocons, et 1'artillerie de la rade rendait le signal aux batteries du fort. Le navire ne changeait point sa route; il approchait. Etaitce une illusion de ce ciel vertigineux? Les trois couleurs montuient h sa come: le drapeau 6blouissant de tant de victoires. FR-ENCH READER. l 77 Et le canon aussi, le canon frangais eehii-l'a, affirmait par une salve le pavilion imp~rial. Etait-ce done une estafitte officielle arrivant, le visage dicouvert, pour annoncer une seconde rivolution fran~aise, une premitre rivointion europienne peut-ftre? L'escadre anglaise manceuvrait d6j'a pour mettre la go~lette entre deux feux. La go~lette s'arre'ta enfin. Elle 6tait si pr~s que 1'empereur put voir sur le pont des uniformes de sa garde. En un moment, toutes. les totes se diconvrirent; l'quipage, la main sur le ccunr, dut pousser un cri dont 1'icho ne vint pas Le drapean tricolore s'abaissa lentement. Un pavilion noir flotta. Puis la goelette tonrna, sur elle-m~me et prit chasse, 61argissant en quelques minutes la distance qni la siparait des anglais. Quand le nuage disparut 'a 1horizon, 1'empereur regarda plus haut et pensa an ciel. II redescendit h Longwood. La fillette blonde vint lui tendre ses joues; ii lui dit: " Enfant, tn demandais 'a quoi cela sert, la prie~re. Pour une chrine comme toi, cela sert 'a vivre; pour un condamni comme moi, cela sert i~ monrir." Paul F~val. 3 2. Silualion de Joseph a' Madrid. Joseph n'avait pas en Espagne momns de soucis et de sujets de contestation avec son puissant fr~re que Louis en Hollande, et s'il n'en 6tait pas autant agit6, c'est qn'avec moins d'6nergie de sentiment, ii avait aussi plus de sens et de prudence. On a diji' vu, qn'il n'avait pas de pritentions militaires, que de plus i1 se croyait habile h captiver les cceurs, prudent et sage dans l'art de gouverner, qu'il 6tait persuad6, si ofl le laissait agir 'a son gr6, de venir plus facilement 'a bout des Espagnols avec des siductions que son fre're avec la foudre; qne par nn penchant commun "'a tons les rois devenus rois par la grAce de Napolion, il avait 6pous6 la cause de ses nonveaux sujets, surtont contre les armies fran~aises chargies de les lui sonmettre; qu'il se plaignait sans cesse des manvais traitements des Fran~ais contre les Espagnols; et que Napoh~on, apr~s 478 FREATCH.REA DE2R s'&re moqu4 de son g~nie militaire et de son art de s6duire les peuples, consid~rant moins gaiement cette partie de sa politique, s'emportait vivement quand il voyait les Espagnols, plus chers 'a Joseph que les soldats frangais qui versaient leur sang pour faire de lui un roi d'Espagne, Ii se livrait 'a des 6clats singuliers, qui rapport&s sans management 'a Madrid, produisaient entre les deux cours une irritation des plus ficheuses, et surtout des momns d~centes. Les Anglais avaient, en effet, recuejili de la main des gu~rillas plus d'une lettre intercept~e sur des courriers firancais, et ils ne manquaient pas dans leur journaux d'6taler le triste spectacle des divisions de la famille imp~riale. Naturellement, le roi Joseph avait voulu se cr~er une cour 'a Madrid, comme ses fre'res 'a Amsterdam, 'a Cassel, 'a Naples. Quelques Frangais complaisants, militaires on administrateurs m6diocres, quelques Espagnols, partisans de la royaut6 nouvelle, mais rougissant aux yeux de leurs compatriotes d'un parti qu'ils. avaient pourtant adopt6 de bonne foi, composaient cette cour, 'a laquelle Joseph accordait toute sa confiance, montrait volontiers son esprit, distribuait les seuiles faveurs dont i1 disposait, et qui en retour admirait son sens sup~rieur, sa bont6 rare, son art de traiter avec les hommes, le trouvait diffhrent sans doute de son glorieux fre're, mais quoique diff6rent pas aussi inf~rieur qu'on se plaisait 'a le dire en France. Ces flatteurs de Joseph aimaient bien 'a r6pe'ter que Napoleon 6'tait entour6 de flatteurs, qui exageraient son m6rite aux d~pens de celui de ses fr~eres; que, sans contredit, il avait un g~nie militaire qu'on ne pouvait m&connaiftre, mais aucune mesure, aucune prudence, qu'iL ne savait tout faire que par la force et avec une precipitation d~sordonn~e; que peut-ktre un jour viendrait oii ii perdrait lui et sa famille; que Joseph, au-contraire, plus doux, plus politique, tout aussi agr~able 'a la France quoique momns odieux 'a l'Europe, vaudrait peut-6tre mieux pour achever l'ceuvre imp6riale, Quelques-uns de ces flatteurs de Madrid, si bons juges des flatteurs de Paris, avaient en l'imprudence, pe-ndant la campagne de Wagram, de calculer les chances qui menagaient la tote de Napol~on, et, en vantant m~me sa bravoure personelle, de dire que sans doute ce serait un bien douloureux accident que la mort d'un si grand homme, un deuil profond pour quiconque aimait le glnie et la gloire, mais que ce malheur ne serait cependant pas pour l'Empire aussi grand qu'on l'imaginait; que la paix en devien FL'R'ENCH READER. 7 79 drait aussi facile qu'elle 6tait difficile aujourd'hui; que, lon pourrait rendre 'a l'Europe des pays t~m~rairement r~unis 'a la France, satisfaire l'Angleterre, laisser retourner le pape 'a Rome, soulager les populations 6puis6es de fatigue, remettre l'abondance dans les finances, rendre l'arm~e fran~aise meilleure qu'elle n'6tait en ne gardant que, les hommes vou6s par habitude et par gofit au mntier des armes, renvoyer les autres 'a leurs foyers, replacer la famille imp~riale elle-m~me sous une autorit6 plus douce et plus concillante que celle de Napoleon, donner enfin 'a la France, 'a 1lEurope, un repos ardemrnent d~sir6, une stabilit6 qui manquait au bien-e~tre de tout le monde. Ces chases, qui n'6taient pas sans v~rit64, les familiers de Joseph avaient l'imprudence de les dire devant des g~n~raux qui les r~p~taient 'a Napobkon par haine de la cour d'Espagne, devant l'ambassadeur de France qui les transmettait par devoir, devant une police qui les rapportait par m6tier; et on congoit lirritation qui devait en r~sulter 'a Paris. Joseph, dans sa d6tresse, aurait bien voulu payer ses comnplaisants de leur admiration, mais il ne pouvait pas beaucoup en leur faveur. 1i n'avait pour tout revenu que l'octroi de Madrid, car aucune des provinces occup~es pas nos troupes ne lui envoyait d'argent. La seule province bien adrninistr6e, I'Aragon, nourrissait 'a peine l'arm6e; inais la Catalogne, la Navarre, les Asturies, la Vieille-Castille, aifreusement ravag6es, 6taient dans l'impossibilit6 de suffire 'a d'autres charges que celles qu'on acquittait en nature, pour nourrir les troupes de passage. Joseph ne touchait gu~re, en comptant l'octroi de Madrid et quelques recettes de la province environnante, qu'un million par mois, tandis qu'il lui en aurait fallu au moins trois pour les plus indispensables, besolins de sa maison, de sa garde, et des fonctionnaires qui recevaient ses ordres. Il ne lui &tait rest6 qu'une ressource, c'6tait une cr~ation de rescriptions sur les domaines nationaux, espkce d'assignats, servant 'a acheter des biens qu'on avait saisis sur les moines et sur les families proscrites. (Napo-. lion toutefois s'6tait r6serv6 les biens des dix preminires maisons d'Espagne.) Cette ressource, qui nominalement s'6levait 'a une centaine de millions, se r6duisait 'a trente ou quarante, par suite de la d~pr6ciation du papier. Joseph achevait de 1'6puiser apr'e avoir absorb6 le prix des lamnes saisies 'a Burgos, dont une partie seulement lui 6tait revenue. Ii avait sur cette somme distribu6 80 So FRV771"ENCH READER. quelques largesses l~ ses favoris, y avait ajout6 quelques titres de noblesse, quelques decorations, et enfin quelques grades dans sa garde; car il avait lui aussi cr~6 une garde, laquelle liii cofitait beaucoup, et 6tait compos~e de prisonniers espagnols, qui accep-~ taient du service pour n'6tre pas conduits en France, et d~sertaient ensuite, emportant les beaux habits qn'on leur avait faits. Pour justifier ces actes, Joseph disait qu'il fallait bien qu'un roi efit quelque chose lh donner, qu'il pfit rdcompenser les Fran~ais attach~s 'a son sort, et l'ayant suivi de Paris 'a Naples, de Naples ~ Madrid, qu'il pfit aussi d~dommager les Espagnols qui s'6taient s~par~s de leurs compatriotes pour se vouer 'a lui; qn'il 6tait bien oblig6 encore de former un noyau d'arm~ee espagnole, car l'E~pagne ne pouvait pas toujours e~tre garde'e par des Fran~ais. Ce dire 6tait fort soutenable. Joseph avait cependant quelques autres faiblesses It se reprocher. Assez froidement accuejili par les troupes frangaises, qui ne voyaient en lui ni un ami ni un g~n~ral; plus froidement encore par ses sujets de Madrid, qui ne voyaient pas en lui leur prince 16gitime, il vivait an fond de son palais, on an Prado, maison royale dans laquelle il faisait beaucoup de d6pense, pour avoir comme Philippe V. son Saint-Ild~phonse. Ii passait IPa une grande partie de son temps, entour6' des amis complaisants dont nous avons rapport6 les discours, et il y avait rencontre' aussi une princesse des Ursins, dans une personne belle et spirituelle, qui 6tait du tre~s-petit nombre des dames espagnoles qui osaient se montrer 'a sa cour. II n'y avait donc pas fort 'a reprendre dans la conduite de Joseph, sinon quelques faiblesses comme il s'en trouve dans toute cour aucienne on nouvelle; mais Napol~on, impitoyable pour des travers qn'il voulait bien se pardonner 'a lui-m~me, et non 'a ses fr~res, qui n'avaient pas comme lui la brillante excuse du g~nie et de la gloire-Napol~on, irrit6 par une multitude de rapports malveillants, par I'ide surtont que, dans tel membre de sa famille, des courtisans maladroits cherchaient peut-6tre un successeur It l'empire, ne m~nageait pas plus la cour de Madrid qu'il in'avait m~nag6 celle d'Amsterdam;- et m~me momns, car It tons les sujets d'humenr que nous venous de rapporter s'ajoutaient sans cesse les chagrins poignants de la guerre d'Espagne. 1L disait It la femme de Joseph, retenne It Paris pour raison de sant, an mar~chal Jourdan rappel6 en France, 'a tous les g~n6' FRENCH READER. S 81 raux qui alinient et venaient, 'a M. Roederer qui avait souvent servi de m~diateur entre les deux fr~res, il disait que Joseph n'avait aucune ide de la guerre, qu'il n'en avait ni le g~nie ni le caractere, que sans les Fran~ais, au nombre non pas de trois cent mille, mais de quatre cent mille (nombre qui allait bient6t devenir n6cessaire), Joseph ne resterait pas huit joins eP Espagne; que les pr~tendues seductions de son caract~re le ram~neraient sous pen de temps 'a Bayonne comme en i 8o8; qu'en contrefaisant l'empereur dans un conseil dVWa, an milieu de qnelques m~liocres personnages qui savaient pen d'administration, et parlaient tant bien que mal de quelque~s affaires administratives, on n'6tait pas un politique, pas plus qu'on n'6tait un g~n6ral en suivant I'arm~e et en laissant faire un chef d'tat-major, on, ce qui 6tait pis, en ne le laissant pas faire; que in douceur pouvait avoir son prix, mais aprl~s que in force aurait pr~valu; que jusque-P'a il fallait se rendre redoutable, fusiller sans piti4 les bandits qui 6gorgeaient nos soldats, s'occuper de nourrir les Fran~ais avant de songer 'a m6nager les Espagnols; que sans doute c'6tait lIk une mani~re de r6gner fort p~nible, fort cruelle pour un caract~re aussi doux que celui de Joseph, mais qu'apr~s tout, lui, Napol~on, ne l'avait pas forc6 it devenir roi d'Espagne, qn'il le lui avait offert mais pas impos6, et qu'apr~s 1'avoir accept~e il fallait bien porter cette couronne quelque pesante qu'elle ffit; que quant aux embarras financiers, uls n'6taient imputables quit lincapacit6 de Joseph et de ses ministres; que 1'Espagne avait d'jit cofit6 deux on trois cents millions an tr6sor imp6rial, et qu'on ne pouvait pas pour elle muiner in France; que l'Espagne 6tait riche, qu'elle contenait d'immenses ressources, que si lui, Napol6on, pouvait y aller, il se chargerait bien d'y faire vivre ses arm6es, et d'y trouver encore le surplus n~cessaire pour les services civils; qu'il allait envoyer cent vingt mulle hommes de renfort pour finir cette faicheuse guerre, mais qn'ia in d~pense de les 6qniper, de les armer, de les instruire, il ne pouvait pas ajouter celle de les nourrir; que tout an plus pourrait-il* fournir deux millions par mois pour la solde (nons avons d6j'a rapport6 et expliqu6 en la rapportant cette resolution de NapolMon), mais qu'an delit il ne ferait mien, car 'a l'impossible nul n'6tait teun; que lorsqn'on 6tait aussi g~n6 que son fr~re disait l'tre, on ne devait pas avoir des favoris, prodiguer it des cornplaisants sans ntilit6 les ressources dont on avait si pen; que G 82 FRENCH READER. quant a une garde, c'Ctait une cr6ation inutile et meme dangereuse, qui absorberait en pure perte un argent nrcessaire a d'autres usages, qu'elle ddserterait tout entiere a la premiere occasion; que prendre des prisonniers d'Ocaia, comme on l'avait fait, pour les convertir en gardes du roi, etait un scandale et une duperie; que c'etaient des ennemis, qu'on rechauffait dans son propre sein; qu'il fallait pour beaucoup d'ann6es se contenter de soldats francais; qu'on chercherait en vain dans la creation d'une arm6e espagnole une ind6pendance de la France, impossible dans l'tat pr6sent des choses; que cette inddpendance avec quatre cent mille Frangais en Espagne &tait le comble du ridicule; qu'il fallait se resigner ou a n'etre pas roi, ou a l'8tre par Napoleon, a son grd, d'aprbs ses vues et ses volont6s; qu'on serait bien heureux qu'il pfit y aller passer quelque temps (la cour de Joseph le craignait, et laissait voir ces craintes a cet egard); que par sa pr6sence il fallait y supporter sa volont6; que du reste si on ne voulait pas administrer et gouverner autrement qu'on le faisait, il aurait recours au moyen le plus simple: ce serait, de convertir en gouvcrnements militaires les provinces occup6es par les armees francaises, sauf a rendre ces provinces au roi a la paix, mais qu'alors meme il faudrait peut-&tre que la France trouvat un dedommagement de ses efforts, de ses d4penses, dddommagement que la nature des choses indiquait assez clairement si jamais on y avait recours, et que ce seraient les provinces comprises entre les Pyr6dnes et l'Ebre. Ces propos report6s a Joseph, et ceux-ci sans exageration, car il 6tait impossible d'exagerer les paroles de Napoleon, vu, qu'il allait toujours a l'extrdmit6 de ses pensdes, ces propos jetaient le malheureux roi dans la desolation. I1 se trouvait d6ja, disaitil, bien assez h plaindre, reduit qu'il 6tait a endurer mille inconvenances de la part des g6dnraux frangais, mais que s'il fallait encore avoir chez lui des gouvernements militaires, et de plus annoncer a son peuple le d6membrement de la monarchie, alors ce serait non pas quatre cent mille hommes, mais un million qu'il faudrait pour contenir les Espagnols! Ce million meme n'y suffirait pas; et la France tout entiere; passat-elle les Pyr6dnes, ne r6ussirait que lorsque chaque Frangais aurait tu6 un Espagnol pour prendre sa place dans la Pdninsule. Lui destiner un tel FR1.ENCH READER.8 83 r6Ie, c'4tait vouloir le 'faire rtdgner sur des cadavres, et rnieux valait le d~tr6ner tout de suite, que le faire r~gner 'a ce pr'Iv ZTihiers: " Hisoire du Consulat et de l'Egi, y-e." 33. Abdication de Louis-Phikz~pe. Le roi avait donn.6 1ordre de cesser le feu et de conserver seulement les positions. Le mar~chal Bugeaud, d6j'a mont6 'a cheval pour combattre, en 6tait redescendu 'a l'annonce de sa revocation des fonctions de commandant de Paris. M. Thiers, en d6sarmant ainsi la resistance, croyait avoir d~sarm l'agression. Le duc de Nemours r6it~rait partout l'ordre d'arr~ter les hostilit6s. La duchesse d'Orl~ans 6tait abandonn~e dans ses, appartements aux anxi~t6s de son esprit, aux incertitudes de son sort. La reine, dont le cceur avait dui sang de Marie-Th~rbse, de Marie-Antoinette, et de la reine de Naples, montrait ce courage civil qui oublie les prudences de la politique. " Allez," disaitelle au roi, "cmontrez-vous aux troupes abattues, 'a la garde nationale ind~cise; je me placerai au balcon avec mes petitsenfants et mes princesses, et je vous verrai mourir 6ga1 'a vousm~me, an tr~ne, et 'a nos maiheurs!" La physionomie de cette spouse aim~e et de cette rn~re si longtemps heureuse, s'animait pour la premibre fois de l'nergie de son double sentiment pour son mani et pour ses enfants. Toute sa tendresse pour eux se concentrait et se passionnait dans le souci de leur honneur: leur vie ne venait qu'aprbs dans son amour. Ses cheveux blancs contrastant avec le feu de ses regards et avec l'animation color~e de ses joues, imprimaient 'a son visage quelque chose de tragique et de saint entre l'Athalie et la Niob6. Le roi la calmait par des paroles de confiance dans son exp~rience et dans sa sagesse, qui ne l'avaient encore jamais tromp6. A onze heures, il se croyait tellement sflr de dominer le mouvement et de r~duire la crise 'a une modification de minist~re accept~e par le peuple, qu'il descendit le visage souriant et en costume n6glig6 d'intdrieur dans la salle 'a manger pour le deje-ftner de famille. A peine le repas 6tait-il commenc6 que la porte s'ouvrit et qu'on vit entrer pr~cipitamment deux conseillers intimes et d~sint~ress~s de la couronne, d6sign~s, dit-on, par M. Thiers G 2 84 84 ~F-RENCH READE.R. pour le ministere. C'6taient MM. de Rnmusat et Duvergier de Haiiranne. Us pri~rent le duo de Montpensier de les entendre en particulier. Le prince se leva, fit un signe de s6curit6 au roi et 'a la reine, et courut vers les deux n~gociateurs. Mais le roi et la reine ne pouvant contenir leur impatience se leverent au m~me moment, interrogeant des yeux M. de R& musat. "1Sire,7' dit celui-ci, "1il faut que le roi sache la v6rit6: la taire dans un pareil moment serait se rendre complice de F&6vnement. Votre s~curit6 prouve que vous 6tes tromp,6: trois cents pas de votre palais, les dragons 6changent leurs sabres et les soldats leurs fusils avec le penpie."-"1 C'est impossible," s'6cria le roi en reculant d'6tonnement. Un officier d'ordonnance, M. de l'Anb~pin, dit respectueusement au roi: "Jai vn." A ces mots, tonte la famille se leva de table. Le roi remonta, Tev~tit son nniforme et monta 'a cheval: ses deux fils, le duo de Nemours, le duo de Montpensier, et un gronpe de g6n6raux fid~es l'accompagnaient; il passa lentement en revue les troupes et les bataillons pen nombreux de gardes nationaux qui stationnaient sur la place du Carrousel et dans la cour des Tuileries. L'attitnde du roi 6tait d~courag6e, celle des troupes froide, celle de la garde nationale ind~cise. Qnelqnes cris de " Vive le roi 1" m~l~s aux cris de 'Vive la r6forme!" partaient des rangs. La reine et les princesses, debout h un balcon du palais, comme Marie-Antoinette 4 l'anbe du io Aofit, suivaient des yeux et du oceur le roi et les princes: elles voyaient les saints militaires des soldats agitant leurs sabres sur le front des lignes; elles entendaient aussi le sourd 6cho des cris dont elles ne ponvaient distinguer les mots; elles crurent 'a un retour d'enthousiasme et rentr~rent pleines de joie dans les appartements. Mais le roi ne ponvait se tromper 'a la froideur de lFaccueil; ii avait vn. les physionomies inqnie~tes on hostiles. Ii avait entendn les enis de " Vive la rlforme I" et d' " A bas les ministres I" partir an pied de son cheval comme un obus de la r6volte qui &clatait jnsqn'anx portes de son palais. II rentra abattn et constern6, craignant 6galement de provoquer la lutte on de l'attendre, dans cette immobilit6 forc~e qni saisit les hommes et qui les enserre par des difficnlt~s 6gales des deux ck6ts, situation oii l'action seule pent sanver, mais oii l'action ellememe est impossible, le d6sespoir est le genie des circonstances RE'x)ENCH READER. 8 8.5 d~sesp6r~es. Le malhe'ur du roi fut de ne pas d~sespe~rer assez t6t. Ii 6tait habitu6 an bonheur: ce long bonheur de sa longue vie trompa le dernier jour de son r~gne. M. Thiers, te'moin de cette catastrophe acc&&&r~ attendait le roi pour lui remettre le pouvoir qui s'6chappait avant qu'il l'eft saisi et exerc6. II sentit glisser la popularity fugitive d'nne senle nuit de son nom sur un autre nom. II indiqua an roi M. Barrot seni; on ne pouvait pas aller plus loin sans sortir de la monarchie. M. Barrot avait d~j'a 6prouv6 devant le penple dn boulevard Fimnpuissance et la fragilit6 du norn. II se d6vouait n~anmoins au roi et kl~ a pacification, sans consid~rer qu'iI allait d~penser en quelques heures une popularity de dix-huit ans. Ce d6vonement 'a I'instant de l'abandon de la fortune 6tait une g~n~rosit6 de caract~re et de courage qui rel~ve un hommne dans la conscience de l'avenir. Texte de raillerie pour les hommes l6gers du jour, titre d'estime pour l'impartiale post~rit6. M. Barrot, instruit qnelques moments apr~s de sa nomination par le roi, n'hsita pas 'a aller prendre possession dui ministere de I'int6rieur et 'a saisir le timon bris'$. En ce moment, le roi aux Tuileries 6tait tout son conseil; trois ministe'res s'6taient fondus sous sa main en quelqnes heures: M. Guizot, M. Mo16, M. Thiers. M. Guizot, M. MoIe, M. Thiers, la reine, les princes, les d~put6s, les g~n~raux, les simples officiers de F'arm&e et de la garde nationale se pressaient autour de lui; on I'assi6geait d'informations et d'avis, interrompus par des informations et des avis contraires. La p~leur 6tait sur les jones, les larmnes dans les yeux des femmes; les enfants de la famille royale attendrissaient les cceurs par l'ignorance et par la s6cnrit6 r~pandnes sur leurs traits; tout trahissait dans les gestes, les attitudes, I'agitation, et les paroles cette fluctuation d'id6es et de resolution qui donne dn temps an malheur et qui d6courage la fid&6it. Les portes et les fen~tres de L'appartement du rez-de-chauss6e, ouvertes sur la cour, laissaient les scoldats et les gardes nationaux assister de rceil et de I'oreille h cette d~tresse; leur disposition morale ponvait en 6tre 6branl~e. 11 fallait jeter un voile sur ce d~sordre des pens~es du roi et sur cette confusion de sa famille, pour qu'nn d~couragement contagieux n'amnollit pas les ba~onnettes. Un citoyen de la garde nationale qui 6tait de faction sons le p6ristyle dn cabinet du roi 86 $6 I~ARENCIZ REAVDER, fuat attendri jusqu'aux larmes 'a ce spectacle. Homme d'opposition presque r~publicaine, mais homnme sensible et loyal avant tout, il d~sirait le progre's sans aspirer aux ruines. Ii ne voulut pas surtout que la cause de la 1ibert6 du't son triomphe ht un lache abandon d'un viefilard, de femmes, et d'enfants, par ccux qui 6taient charg~s de les prot6ger. Ii s'approcha d'un lieu-, tenant-g6n~ral qui commandait les troupes: " G&n&al," lui dit-il -1 voix basse et avec une 6motion que l'accent rendait imp~rieuse, " faites 6loigner vos troupes hors la port~e de ces sc~nes de deuil. II ne faut pas que les soldats voient l'agonie des rois!" Le g~n& ral comprit le sens de ces paroles; il fit reculer les bataillons. Le roi, remont6 dans son cabinet, 6coutait encore., et touri-h tour, les avis de M. Thiers, de M. de Lamorici~re, et de M. de R~musat, et du duc de Montpensier, son plus jeune fils, quand uine fusillade prolong~e c'clata 'a 1'extr~mit6 du Carrousel, du c~t6 de la place du Palais-Royal. A ce bruit, la porte du cabinet s 'ouvre et M. de Girardin se pr6cipite vers le roi. M. de Girardin, nagu~re d~putd, encore publiciste, moins homme d'opposition qu'homnme d'ides, moins homme de rdvolution qu'homme de crise, s'6tait pr~cipit6 dans l'6vnement oiuz il y avait danger, p~rip~tie, grandeur; il 6tait du petit nombre de ces caract~res qui cherchent toujours l'occasion pour entrer en sc~ne avec le hazard, parce qu'ils ont l'impatience de leur activit6, de leur 6nergie, et de leur talent, et qu'ils se sentent 'a la hauteur des circonstances et des choses. M. de Girardin, en paroles bre'ves et saccad~es qui abrfgent les minutes et qui trancheut les objections, dit au roi avec un, douloureux respect, que les tltonnements de noms ministlriels n'6taient plus de saison; que l'heure emportait le tr,6ne avec les conseils, et qu'il n'y avait plus qu'un mot qui' correspondit "' l'urgence du soul~vement: "l 'Abdication." Le roi 6tait dans uin de ces moments oui les v~rit~s frappent sans offenser. II laissa n~anmoins tomber de ses mains la plume avec laquelle il combinait des noms de ministres sur le papier. II voulut discuter. M. de Girardin, press6 comrne le temps impitoyable, comme l'vidence, n'admit pas m~me la discussion. " Sire,"2 dit-il, "1l'abdication du roi oui lktbdication de la monarchie, voil'a le dilemme; le temps ne laisse pas rn~me la minute pour chercher uine troisi~me issue 'a l'v~nement." En parlant ainsi, M. de Girardin pr6senta aui roi uin project de AFRENCH READER. 87, proclamation, qu'iI venait de r~diger d'avance et d'envoyer 'a l'intpression. Cette proclamation, concise comme un fait, ne contenaitque ces quatre lignes dont il fallait frapper 'a linstant et partout lNeil du peuple:" Abdication du roi. " R~gence de Mine. la duchesse d'Orl~ans. " Dissolution de la Chambre. " Amnistie g~n~rale." Le roi h6sitait. Le duc de Montpensier, son fils, entrain6 sans doute par l'expression 6nergique de physionomie, du geste, et des paroles de M. de Girardin, pressa son pere avec plus de pre~cipitation peut-ktre que la royaut6, l'age, et linfortune ne le permuettaient au respect d'un fils. La plume fut pr6sent~e, le r~gne arracM6 par une impatience qui n'attendit pas la pleine et libre conviction dui roi. La nudesse de la fortune envers le roi ne devait pas se faire sentir dans la pr~cipitation du conseil. D'un autre c6t6 le sang coulait, le tro'ne glissait, les jours, m~me du roi et de sa famille 6taient engag~s; tout peut s'expliquer meme par la sollicitude et par la tendresse des conseillers. L'histoire doit toujours prendre la version qui humilie et qui brise le momns le cceur humain. Au bruit des coups de fusil, le mar6chal Bugeaud molite 'a cheval pour aller s'interposer entre les combattants. Mille voix lui crient de ne pas se montrer. On craint que sa pr~sence et son nom se soient un nouveau signal de carnage. II insiste, il slavance, ii brave la physionomie et les armes de la multitude. II revient sans avoir obtenu autre chose que 1'admiration pour sa bravoure. II redescend de cheval dans la cour des Tuileries; d6jh le commandement ne lui appartenait plus. Le due de Nemours en &tait investi. Le jeune g~n~ral Lamoricie're, qui n'a sur son nom que le prestige de sa valeur en Afrique, s'61anga au galop 'a travers le Carrousel, Ii franchit au milieu des balles les avant-postes; il aborda h6roYquement les premiers groupes des combattants. Tandis qu'il les harangue, il est cribl6 de coups de feu; son cheval se renverse, son 6p~e se brise dans la chute. Le g~n~ral, bless6 'a la main et pans4 dans une maison voisine, remonte 'a cheval et traverse silencieusement la place pour venir annoncer au roi que les troupes se fatiguent et que le peuple est inabordable aux conseils. 88 8$ ~FR-ENCH -READER. Sur les pas de Lamorici~ere, le peuple, en effet, d~borde de la rue de Rohan sur le Carrousel; il parlemente avec les soldats. Les soldats refluent en d6sordre, et se pr~cipitent dans la cour des Tuileries. Le roi 6crit, au bruit de l'insurrection qui monte, ces mots: YJabdique en faveur de mon petit-fils, le comte de Paris. Je desire qu'il soit plus heureux que moi." La precipitation naturelle dans de pareils moments avait' fait oublier d'apposer aucune signature 'a la proclamation, que M. de Girardin jetait 'a la foule sur le Carrousel et sur la place du Palais Royal. Le fils de l'amiral Baudin, parti avec M. de Girardin pour aller re'pandre ces proclamations sur la place de la Concorde, 6tait repouss6 par la me'me incr~dnlit6 et par les m~mes p~rils. Le roi se consumait d'impatience; il eut un dernier rayon d'espoir par lFarriv~e d'un vieux serviteur deveun l'ami du roi et rests l'ami du peuple de Paris. C'&tait le mar~chal G6rard, homme simple et antique, pass6 des champs de bataille de l'empire dans cette cour sans, y avoir perdu la m~moire de la iBert6. D~vou6 depuis longtemps an roi par le cceur, il n'avait perdu ni l'ind6pendence ni la couleur de ses opinions: brave comme un soldat, populaire comme un tribun, le mar6chal Glrard 6tait bien l'homme de l'heure supre'me. "1Allez au devant de ces masses," lui dit le roi, "Iet annoncez-leur mon abdication." Le marlchal, ve'tu d'un habit de matin de forme bourgeoise et de couleur terne, coiff6 d'un chapeau rond, monte le cheval que le marlchal Bugeaud venait de laisser dans la cour. Le g~nlral Duchant, brillant officier -dle l'Empire, cll'ebre par sa beaut6 martiale et par sa bravoure, accompagne le marlchal G~rard. Ils sortent de la grille. Ils sont accucillis par les'cris de "'Vivent les braves!" Le vieux mar6chal reconnait dans la foule le colonel Dumoulin, ancien officier d'ordonnance de l'emperenr, bomme aventureux que le vertige du fen entra~ine et que le mouvement enivre: il l'appelle par son nom. "1Allons," lui dit-il "cmon cher Dumoulin; voila' l'abdication du roi et la rlgence de la duchesse d'Orl~ans, que j'apporte au peuple. Aidez-moi 'a les faire accepter." En disant ces mots, le g6n~ral tend un papier an colonel Dumoulin. Mais le rlpublicain Lagrange, plus leste que IFIRENCH REA DER. 8 89 Dumoulin, arrache la proclamation de la main dui g~n~ral, et disparait sans la communiquer an peuple. Ce geste enleva la r~gence et le tro'ne 'a la dynastie d'Orl6ans. Cependant le roi, qui avait promis d'abdiquer 'a M. de Girardin, 'a son fils, et aux ministres qui I'entouraient de leur terreur, n'avait pas encore achev6 d'crire forruellenient son abdication. 11 semblait, attendre un autre conseil plus conforme 'a sa ternpori~ation habituelle, et disputer encore avec la n6cessit6. Une circonstance faillit. donner raison 'a ses lenteurs, et le rasseoir luii et sa dynastie sur le tr6ne. Le mar~chal Bugeaud traversant de nouveau la cour des Tuileries an galop, en revenant d'une nouvelle reconnaissance, se pr~cipita de son cheval et entra presque de force dans le cabinet plein de d~sordre, de ministres posthumes, et de conseillers de fait autour dui monarque. II fendit les groupes et se fit jour jusqu'au roi. Ce prince, assis devant une table, tenait la plume; il 6crivait lentement son abdication avec un soin, une syme'rie de calligraphe, en lettres majuscules qui semblaient porter sur le papier la majest6 de la main royale. Les ministres de la veille, de la unit, et du jour, les courtisans, les conseillers officieux, les princes, les princesses, les enfants de la famille royale, remplissaient de foule, de confusions, de dialogues, de chuchottements, de groupes agite's, l'appartement. Les visages portaient l'expression de l'effroi qui pr~cipite les resolutions et qni brise les caracteres; on 6tait 'a une de ces heures supr~mes oi~i les cceurs se r&N~ent dans leur nuditd, ott le masque dui rang, du titre, de la dignit6, tombe des visages et laisse voir la nature sonvent d6 -grad6e par la peur. On entendait de loin 'a travers les numeurs de la chambre les coups de fen retentissant d~ja 'a l'extr~mit6 de la cour du Louvre. Une balle siffle distinctement 'a l'oreille exerc6e du mar~chal; elie va se perdre dans les toits. Le mar&dial ne dit pas 'a ceux qui l'entonrent la sinistre signification de ce bruit. Le palais des rois pouvait devenir un champ de bataille; 'a ses yeux c'6tait le moment de combattre, et non de capituler. "1Eli quoi, sire," dit-il an roi, "1on ose vous conseiller dTabdi quer an milieu d'nn combat? Ignore-t-on donc que c'est vons conseiller plus que la ruine, la honte? L'abdication dans le calme et dans la libertd de la d~libration, c'est quelquefois le salut d'un empire et la sagesse d'un roi; l'abdication Sons le fen, go 90 F~4I DRENCH READER. cela ressemble toujours ~. une faiblesse; et de plus," ajouta-t-il; "ccette faiblesse, que vos ennemis traduiraient en l~chet6, serait inutile en cc moment. Le combat est engag6, il n'y a aucun moyen d'annoncer cette abdication aux masses nombreuses qui se I~vent et dont un mot jet$ des avant-postes ne saurait arr~ter l'impulsion; r~tablissons l'ordre d'abord, et de'lib6rons ensuite." " Eh bien 1" dit le roi, se levant 'a ces paroles et pressant de ses mains 6mues les mains du mar~chal, "1vous me dMendez done d'abdiquer, vous? "-" Oui, sire," reprit avec une respectueuse 6nergie le brave soldat, j'ose vous conseiller de ne pas c6der, en ce moment du momns, h un avis qui ne sauvera rien et qui peut tout perdre." Le roi parut rayonnant de joie en voyant son sentiment partage' et autoris par la parole ferme et martiale de son g~n6ral. ccMar6chal," lui dit-il avec attendrissement et d'un ton presque suppliant, "pardonnez-moi d'avoir bris6 votre 6p6e dans vos mains en vous retirant votre commandement pour le donner h G6rard. Ii 6tait plus populaire que vous! "-"1 Sire," r6pliqua le mar6chal Bugeaud, "1qu'il sauve votre majest6, et je ne lui envie rien de votre confiance."' Le roi ne se rapprochait plus de la table et paraissait renoncer 'a l'ide'e de l'abdication; les groupes de ses conseillers parurent constern~s:, ils attachaient h cette id~e, les uns leur salut, les autres le salut de la royaut6, quelques-uns de secr~etes ambitions peutittre. Tous, du momns y voyaient une de ces solutions qui font diversion d'un moment aux crises, et qui soulagent Yesprit du poids des longues incertitudes. Le duc de Montpensier, fils du roi, qui paraissait plus domin6 encore que les autres par l'impatience d'un denouement, s'attacha de plus prs 'a son pbre, l'assi6gea. d'instances et de gestes presque imp~rieux pour l'engager 'a se rasseoir et h signer. Cette gttitude, ces paroles restbrent dans la m~moire des assistants comme une des plus douloureuses impressions de cette sce~ne. La reine seule, dans ce tumulte et dans cet entrainement de conseils tirnides, conserva la grandeur, le sang-froid et la resolution de son rang d'6pouse, de m~re, et de reine. Aprbs avoir combattu avec le mar~chal la pens~e d'une abdication pr~cipit~e, elle c~da a la pression de la foule, elle se retira dans l'embrasure d'une fen~tre, d'oit elle contemplait le roi avec l'indignation sur les I~vres et de grosses larmes dans les yeux. 4FRENCHZ READER. 9t, Le roi remit son abdication?h ses ministres et rejoignit la reine dans l'embrasure du salon. 11 n'6tait plus roi: mais personne n'7avait autorit6 l6gale pour saisir le r~,gne. Le peuple ne marehait d~j'a plus au combat contre le roi, mais contre la royaut6: en un mot, il &tait trop t6t ou trop, tard. Le mar~chal Bugeaud en fit encore l'observation au roi avant de s'61oigner. IIJe le sais, mar~chal," dit le roi; " mais je ne veux pas que le sang coule plus longtemps pour ma cause." Le roi 6tait brave de sa personne. Ce mot n'6tait donc pas un pr6texte dont il couvrait sa fuite, ni une 19chete'. Ce mot doit consoler l'6xil et attendrir l'histoire. Ce que Dieu approuve, les hommes ne doivent pas le fltrir. Le roi Ota son uniforme et ses 'plaques;- il d~posa son 6p~e sur la table; il revktit un simple habit noir et donna le bras k la reine pour laisser le palais au r~gne nouveau. S5. de Laimartine: "Iistoire de la Re'volu/ion de 1848." 34. Franfois ]i et Charles-Quint. Au mois d'Avril, I59 Frangois Ier, triste et malade, hablitait le chafteau de Compifgne, qu'il aimait presque autant que Fontainebleau, 'a cause du voisinage de la f6ret, lorsqu'il regut de Charles-Quint une lettre confidentielle qui surprit et embarrassa fort son conseil. L'empereur demandait ~ son fr~re de France passage et saufconduit 'a travers ses provinces, pour aller punir les Gantois qui s'6taient revolt~s 'a l'occasion d'un nouveau subside que r6clamait d'eux la gouvernante des Pays-Bas. Les circonstances &taient graves: toutes les villes de m~tiers, Libge, Ypres, Namur, n'attendaient qu'un signal pour arborer l'6tendard de la r~bellion et suivre L'exemple de Gand; et au ru~me instant les Cort~s de Castille faisaient retentir aux oreilles, de 1'empereur un langage s6ditieux; les Corte's r~clamaient le r~tablissement des franchises et des privil~ges de la noblesse. Charles-Quint 6tait perdu si le roi de France pr~tait le se.cours de ses armes et de son nom aux r~volt~s des Flandres. C'est ce qu'object~rent tout d'abord les couseillers du roi lorsque la lettre de l'empereur leur fut communiqu&e. Mais les premiers troubles du protestantisme dans son royaume avaient $i fort 6pouvant6 Frangois I r, que sans cesse il se croyajit h la 92 92 ~FRENCHI READER. veille d'une r~volte g~n6rale, et pour rien au monde, tant il redoutait la contagion, il n'euit voulu favoriser l'insurrection, meme contre unf ennemi. A l'encontre' de tous se5 conseillers, le roi de France se de'cida donc 'a accorder 'a Charles-Quint le passage et le saufconduit qu'il demandait. Faut-il le dire, Fran~ois Jer voyait dans cette perspective de devenir l'h6te de son plus cruel ennemi quelque chose de grand, de chevaleresque, qui flattait singulibrement ses, ides. Et afin que nul ne pfi mettre en doute sa sinc&rit et sa loyaut6, il envoya ses deux fils, le Dauphin et le due d'Orl~ans, jusqu'au pied des Pyr6n~es, pour se mettre 'a la disposition de l'empereur. Les jeunes princes lui devaient offrir de demeurer comme otages dans quelque yulle d'Espagne tant que durerait son voyage 'a travers la France. Charles-Quint n'envoya pas les jeunes princes en Espagne; il voulut les garder pr~es de lui, " pour lui faire compagnie, comme fils de soni meilleur compagnon et confMd&6." " La parole du roi de France," r~pondit-il 'a ceux qui lui conseillaient de prendre ses sfiret~s, "lm'est un garant assez su'r." Enfin on so mit en route. Les volont~s, de Fran~ois ler avaient &6 scrupuleusement ex~cut~es, et l'empereur 6tait v~itablement traits comme lui-m~me. Devant lh'hte du roichevalier rnarchait le conn~table de France, portant devant lui 1'6p~e nue et droite, les plus nobles gentilshommes lui faisaient escorte, et chacun lui rendit les honneurs dus au seul souverain. IPartout, sur son passage, les villes se pavoisaient aux couleurs, impe'iales, les gouverneurs et les corporations venaient aux portes le recevoir et lui rendre hommage. Ii avait toutes les pr~rogatives du droit r~galien, faisait acte de justice et de souverainet6, et dans chaque ville d~livrait les prisonniers. La cite' de Poitiers se distingua. entra. toutes: les bourgeois n'avaient point regard6 'a la d~pense, et des fetes, magnifiques, signal~rent le passage de l'aliM de Franqois Jer * "Ainsi, dit une vieille chronique, " l'empereur s'avan~ait 'a travers les provinces, chassant sur les rivi~res et dans les f6rets, s'6merveillant de la richesse du pays, et disant que son fr~re de France 6tait bien plus riche et bien plus puissant que lui, dont les, 6ats 6taient si vastes que le soleil ne s'y couchait jamais."1 A la cour de France on faisait d'immenses pr6paratifs et F1 '-RENCH RE ADE R. 9~3 chacun attendait avec une fi6vreuse 'Impatience I'arriv&e de Charles-Quint. Le sauf-conduit avait &t6 donn6 malgr6 l'avis, dn conseil, "4mais bien des gens pensaient que le roi saurait tirer avantage de la venue de l'empereur lorsqu'il le tiendrait en son pouvoir." Le cardinal de Tournon engageait fort Frangois ler 'a ne point laisser 6chapper une occasion si belle d'obtenir l'investiture du duch6 de Milan; Anne de Montmorency, au contraire, 6tait pour que I'on tint loyalement une parole librement donn~e. Triboulet, le fou du roi, ne se ge'nait point pour exprimer hantement l'opinion publique. Il avait nn livre, sorte de calendrier de la folie, oi' 11 inscrivait le nom de tons ceux qui ason avis semblaient avoir perdu le raison. Sa liste 6tait longue. Un jour, devant le roi, il y inscrivit le nom de CharlesQuint. " Que fais-tu lIa, bonifon? " demanda le roi. "4Vous le voyez, je place dans mon livre des fons votre fr~re Fempereur qui vient se mettre au pouvoir d'un ennemi." " Mais j'ai donud ma parole, bouffon, et l'empereur sortira librement ainsi que je l'ai promis." "Si cela arrive, r6pondit Triboulet, "1j'effacerai son nom et je mettrai le v~tre 'a Ia place." La premi~ere entrevue des deux souverains ent lieu vers la mi-D~cmbre,1539, it Ch'tellerault, ott Frangois Ier, bien que malade s'&'ait port6 avec toute la cour. "Les deux rois se jet~rent dans les bras l'un de l'autre, s'embrassant avec tendresse, se faisant mille protestations d'une amiti6," sans donte bien loin de leurs cceurs. Charles-Quint voulait continuer son voyage aussi promptement que possible, mais ce n'6tait pas le compte de Frangois Jer, Le roi-chevalier voulait faire it son rival les honneurs de la France, et quels honneurs! Des pr~paratifs immenses avaient 6t6 faits dans tontes les residences royales; Paris pr~parait une entr~e digne des deux grands souverains; enfin tons les gentilshommes, jaloux de plaire an mailtre, avaient emprunt6 de tons c6t~s afin de faire assant de luxe et de richesse. Frangois ler voulait 6blonir Charles-Quint par son faste, par les richesses, par les splendeurs de sa cour: il r~nssit a 1'6tonrdir. Habitn6 an morne silence du sombre palais de 1'Escnrial, 1'empereur se sentait mal it l'aise an milieu de cette cour bru 94 94 ~~F-RENCH READE.R. yante. En voyant toute cette noblesse de France, si vive, si spirituelle, si tapageuse, si ainoureuse de festins et de mascarades, il pensait involontairement aux mornes " ricos hombres" qui habitaient ses r~sidences imp~riales sans les, peupler, et qul meme aux jours de fetes, toujours silencieux et fun~bres, semblaient n'avoir d'autre souci que leur dignite' de grands d'Espagne. En &coutant la longue 6num,6ration des feftes de toutes sortes qui l'attendaient, Charles-Quint se sentit pris d'un terrible soupeon: il 6tait pays pour savour ce que valaient les serments de son fr~re de France; il trembla en pensant que toutes ces c~r~monies n'6taient qu'un vain pr~texte pour le retenir. Ii fit cependant "1contre fortune bon cceur;" il se r~signa, mais de ce jour il perdit toute confiance; son front assombri disait toutes ses inqui~tudes, ses yeux toujours en mouvement semblaient chercher de quel cotW allait venir le pi~ge. Les fetes avaient commenc6, cependant; mnais comme pour justifier les craintes de Charles, 'a chaque instant arrivait un accident. A Amboise, une torche maladroite mit le feu aux. tentures; il y eut une me'l~e terrible. Frangois voulait faire pendre l'auteur de l'accident; mais Charles, 'a peine remis d'une frayeur facile a comprendre, demanda et obtint sa grace. Ailleurs, une proutre mal ajust~e tomba si pr~s de l'empereur que ses v~tements furent d~chir~s. Enfin le 31 De'embre les deux rois couche'rent h Vincennes; leur entree 'a Paris devait avoir lieu le lendemain. 11 faut lire dans les chroniques du temps les details de cette solennefle entr~e. La longueur seule du r~cit donne une id~ee de la longueur des processions. Le corps de la yulle offrit 'a Charles-Quint "un Hercule tout d'argent, et revktu de sa peau de lion en or; le dit Hercule de la hauteur d'un grand homme." Puis les fetes de toutes sortes recommence~rent,-bals, festins, concerts, mascarades, com6dies burlesques, tournois, chasses aux. fiambeaux. Mais l'ambitieux Charles-Quint avait peu de gofit pour ces pompes frivoles, pour ce faste bruyant, passions de Fran~ois ler. TI avait hate de quitter la France; ses craintes avaient grandi; il ne vivait plus. Un jour, comme il 6tait 'a cheval, un chevalier sauta en croupe, et le serrant vigoureuse FRENCH EDR 9-5 mnent luii dit d'une voix forte: "1Sire empereur, vous eftes- m on prisonnier." L'empereur 6pouvant6 se retourna. Ce n'i6tait qu'une piaisanterie du jeune due d'Orl~ans, mais queue plaisanterie! Fran~ois Jer, mnalgre' la frayeur de son rival, n'en pouvait cependant rien obtenir. A plusieurs -reprises il Iui avait parl6 de l'inve-stiture du duch6 de Milan pour ce m~me duc d'Orldans qui faisait- de si terribles, espi~gleries, mais il n'avait requ que des r6ponses 6vasives. Apres de touchants adieux, apr's mule poettosa ue de la fameuse investiture, 1'empereur Charles-Quint quitta Fran~ois Ier et continua sa route. 11 ne pouvait plus dissimuler son impatience. A mesure qu'il approchait des frontie'res, ii sentait son coeur plus lager et oubliait ses promesses, d'ailleurs toutes. conditionnelles. Enfin il toucha ses domaines. Alors, poussant un long soupir de satisfaction, il dit "'a ceux qui l'entouraient: " Ce soir -pour la premicre fois depuis que j'ai mis le pied en France, je m'endormirai tranquille." Fide'le 'a son Wde, Triboulet inscrivit Fran~ois Jer sur le livre des fous. Anonyrne. 3.Le Chd/eau d.,'If.~ "VenezvoS, me chercber,~?" demanda Dantbs.' "Gui," re'pondit un des gendarmes. "De la parttdc Mlfsje subtiut du procureur du roi? "Mais je l~e-ense - "Bien," ditf antes, " je suis pret a vous suivre."I. Une voiture attendait 'a la porte d~e la rue, le cocher e'ait sur le si6ge, un exempe 6tait assis~pr's du cocher. "Est-ce done pour moi~que cette voiture est Pa?" demanda Dantbs. "C'est pour vous"" 46pondit un des gendarmes, "1montez." Dantbs voulut iaire uqus'Jobservations; mais la porti'ere.j!4 s ouvrit';4ii sentit,~qu oLwoss ait. II n'avait ni la possibilite, ni mme' lintentlorb def re rsistance. II se trouva en un instant assis~ au fond deIa viture entre deux gendarmes les deux autre-s s'assirentsur la banquette de devant, et la pesante? N 96 AFRUENCH READER.. machine se mit en route avec un roulement sinistre. Le prisonnier jeta lesyeuxgsur les ouvertures; elles dtaient grilles fI 4nf ait fait que changer de prison; seulement celle-lh roulait, etle4., p transportait en roulanfvers un but ignord. A travers les barreaux serr6d~a pouvoir a. peineey6passer la main, Dantes reconnut6..npendant quonlongeait la rujCaisserie, et que par la rue SaintLaurent et la rue Tamaris on descendait vers le quai. Bientot il vila traversf ses barreaux i lutet les barreaux du monument pres duquel3il se trouvait, brille'rales lumieres de la Consigne. La voiture s arrfta; une douzandee soldats eniortiren$et se rangerent en haie.* Dantbs voyaIta la lueur des rnverbbres du quai reluireleurs fusilss. "Serait-ce pour moi," se demanda-t-il, " que I onr dploie une pareille force militaire " o C \ e xem epen, touin re quimfermait a clefquoique ' sans prononcer une seule parole, rdpondit a cette question, car Dantes vit entre les deux haies de soldats un chemin m6nage pour lui.de la voiture au port. Les deux gendarmes qui 6taient assisesur la banquette de devant descendirent les premiers, puis onlenfit descendre a son tour, puis ceux qui se tenaient3, ses c6tes lesuivirent. 'On marcha vers un canot, qu'un marinier de la douane maintenait)prks du quai par une chaine. Les soldats regarderent passer Dantbs d'un air de curiositd hdb6te. En un instant il fut installd a la- poupe du bateau, toujours entre ses quatre gendarmes, tandis que l'exempt se tenaiiti la proue. Une violente secousse 6loigna le bateau du bord, quatre rameurs nagerentjvigoureusementrvers le Pillon. A un cri pouss6 de la barque~la chaine qui ferme le port s'abaissa, et Dantks se trouva dans ce qu'on appelle le Frioul, c'est a dire, hors du port. Le premier mouvement du prisonnier, en se retrouvant en plein air, avait dt6 un mouvement de joie. L'air c'est presque la libert6. II respira donc a pleine poitrineAcette brise vivace, qui apporte sur ses ailes toutes ces senteurs inconnuest' e la nult de la mer. Dant s joignitlIes mains, leva les yeux au ciel, et pria. La barque continuait son chemin; elle avait d6pass6 la tete de Maure, elle 6tait en face de l'anse du Pharo. Elle allait doubler 4 la batterie; c'6tait une manoeuvre incomprehensible pour Dantss. '" Mais ou donc me menez-vous?" demanda-t-il. "Vous leksaurez'toute i l'heure." 16 "Mais encore -- " II nouslest interditde vousidonner aucune explication.". '? 1/!-"f.i).^U 3- J..kl., -( lt^1l. ' ' t({ % *-1 — -,.-r + h ^^-Y- t.vJ^ ^ t4Ss o e - u<- ltC 4.W,,^:{, i>] — tt)9 1 (, WViu K t oA b _. rll_ 0~cz~~y ~\v~n L~~ch~~ ~,r L. l~l.tL~f~ LiL ttA, F RA EN-VCH RE,,ADER. 97 4q'-j-F. Dantbs 6tai't h moiti6 soldat: questionner des subordonn~s auxquels iA 4tait d~fendu de r~pondre, lui parut une chose absurde, et il se tut. On avait laiss6 'a droite lFile Ratonneau, ois brftlait un phare, et tout en Iongeant presque la c~te, on 6tait arriv6 'a la hauteur de l'anse des Catalans. Un accident de terrain fit disparailtre la lumibre. Dant'es se retourna et s'apergut que la barque gagnait le large. Pendant qu'il regardait, absorb6 dans sa propre pens~e, on avait substitu6 les voiles aux rames, et la barque s'avan~ait maintenant pouss~e par le vent. Dantes se leva, jpta naturellement les yeux vers le point oiui paraissait se diriger le bateau, et 'a cent toises devant lui il vit s'61ever la roche ~noire et ardue sur laquelle monte le sombre chateau d'If. Cette forme 6~trange, cette prison autour de laquelle r~gne une si profonde terreur, forteresse qui fait vivre depuis trois cents ans Marseille de ses lugubres traditions, apparaissant ainsi tout-Licoup 'a Dant~s qui ne songeait point Li elle, Iui fit l'effet que fait au condamn6 Li mort I'aspect de l'chafaud. Par un mouvement prompt comme l'clair, et qui cependant avait e't prdvenu par l'ceil exerc64 du gendarme, Dante's avait voulu s'61ancer Li la mer; mais quatre poignets vigoureux le retinrent au moment o-h ses pieds quittaient le plancher du bateau. Ii retomba au fond de la barque en hurlant de rage. Presque au m~nae instant, un choc violent 6branla le canot, un des bateliers sauta sur le roc que la proue de la petite barque venait de toucher, une corde grin~a en se d~roulant autour d'une poulie, et Dantes comprit qu'on 6tait arriv6 et qu'on amarrait l'esquif. En effet, ses gardiens, qui le tenaient 'a la fois par les bras et par le collet de son habit, le forc~rent de se relever, le contraignirent 'a descendre 'a terre, et le transport~rent vers les degr&s qui montent Li la porte de la citadelle, tandis que 1'exempt, arm6 d'un mousqueton Li baYonnette, le suivait par derri~ere. Dant~s, au reste, ne fit point une resistance mnutile; sa lenteur venait ptOut& d'inertie que d'opposition. 11 6tait 64tourdi et chancelant comme on homme, ivre. II vit de nouveau des soldats qoi s'&chelonnaient sur le talus rapide, il sentit des escaliers, qui le for~aient de lever les pieds, il s'apergut qo'il passait sous one porte, et quc cette porte se refermait derri~re lui; mais tout cela machinalement, comme Li travers un brooillard, sans rien distinguer de positif. Ii ne voyait m~me plus la mer, cette H 98 98 F.enRENCH READER. immense douleur des prisonniers qui regardent l'espace avec le sentiment terrible, qu'ils sont impuissants ' le franchir. Ii y eut une halte d'un moment, pendant laquelle il essaya de recueillir ses esprits. 11 regarda autour de lui; il 6tait dans une cour carr6e form6e par quatre hautes murailles; on entendait le pas lent et r~gulier des sentinelles, et chaque fois qu'elles passaient devant deux ou trois reflets que projetait sur les murailles la lueur de deux ou trois lumieres qui brillaient dans l'inte'ieur du chateau, on voyait scintiller le canon de leurs fusils. On attendit la' dix minutes 'a peu pro's. Certains que Dantbs ne pouvait plus fuir, les gendarmes l'avaient lAch6; on semblait attendre les ordres: ces ordres arriverent. "Oii est le prisonnier?" demanda une voix. Le voici," 'rpondirent les gendarmes. "Quil me suive:- je vais le conduire 'a son logement." "Allez I" dirent les gendarmes en poussant Dant'es. Le prisonnier s'uivit son guide, qui le conduisit effectivement dans une salle presque souterraine, dont le murailles nues et suantes semblaient imnpr~gn~es d'une vapeur de larmes. Une esp'ece de lampion, pos6 sur un escabeau, et dont la m~che nageait dans une graisse fi~tide, illuminait les parois lustr~es de cet aifreux sdjour et montrait 'a Dant'es son conducteur, esp'ec de geo~lier subalterne, mal v~tu et de basse mine. "1Voici votre chambre pour cette nuit," dit-il. "Ii est tard, et M. le gouverneur est couch6; demain, quand il se r~veillera et qu'il aura pris connaissance des ordres qui vous concernent, peut-8tre vous changera-t-il de domicile. En attendant, voici du pain. II y a de l'eau dans cette cruche, de la paille lhi-bas dans le coin; c'est tout ce qu'un prisonnier peut de'sirer. Bon soir." Et avant que Dante's ef~it song6 h ouvrir la bouche pour lui r6pondre, avant qu'il efit remarqu6 oit le ge6lier posait le pain, avant qu'il se ffit rendu compte de l'endroit oui gisait cette cruche, avant qu'il efit tourn6 les yeux vers le coin oti l'attendait cette paille destin~e 'a lui servir de lit., le geo'lier avait pris le lampion, et refermant la porte, enlev6 au prisonnier ce reflet blafard qui lu avait montre', comme 'a la lueur d'un &clair, les murs ruisselants de sa prison. Alors il se trouva seul dans les tlnb'bres et dans le silence, aussi muet et aussi sombre que ces vou'tes dont ii sentait le froid glacial s'abaisser sur son front br~ilant. Quand FeLRENCH READER. 9 99 les premiers rayons du jour eurent ramen6 un peu de clart6 dans cet antre, le geo'lier revint avec ordre de laisser le prisonnier o-i ii 6tait. Dant~s n'avait point chang6 de place, une main de fer semblait l'avoir clou6 'a lendroit m~me oii la veille il s'6tait arr~t6; seulement son ceil profond se cachait sous une enfleure caus~e par la vapeur humide de ses larmes; il 6tait immobile et regardait la terre. II avait ainsi pass6 toute la nuit, debout et dans dormir un seul instant. Le geo'lier s'approcha de lui, tourna autour de lui, mais Dante~s ne parut pas le voir. II lui frappa sur N'paule; Dant~s tressaillit et secoua la tote. "N'avez vous done pas dormi?" demanda le ge~lier. "Je ne sais pas," r~pondit Dant~s. Le ge6lier le regarda avec t6tonnement. "Navez vous pas faim?" continua-t-il. "Je ne sais pas," r~pondit encore Dantbs. "Voulez-vous quelque chose?" "Je voudrais voir le gouverneur." Le geo'lier haussa les 6paules et sortit. Datitts. l1e suivit -des" yeux, tendit les mains vers la porte entr'ouverte, mais la porte se referma. Alors sa poitrine sembla se d~chirer dans un long sanglot. Les larmes, qui gonflaient sa paupi~re, jaillirent comme deux ruisseaux; il se pr~cipita le front contre terre, il pria longtemps, repassant dans son esprit toute sa vie pass&e, et se demandant 'a lui-m~me quel crime il avait commis dans cette vie si jeune encore, qui m~ritit une si cruelle punition. La journ~e s'6coula ainsi; ~t peine s'il mangea quelques bouch~es de pain et but quelques gouttes d'eau. Tanto't il restait assis et absorb6 dans ses pens~es, tant~t il tournait tout autour de sa prison, comme fait un animal sauvage enferm.6 dans une cage de fer.... 1i supplia un jour le ge6lier de demander pour lui un com.pagnon, quel qu'il fifit, ce compagnon du't-il 8tre cet abb6 fou dont il avait entendu parler. Sous 1'6corce du ge6lier, si rude qu'elle Soit, il reste toujours un peu de l'homme. Celui-ci avait souvent au fond du cceur, et quoique son visage n'en efit rien dit, plaint ce maiheureux jeune homme, ht qui la captivite'6 ait si dure; il transmit la demande du No. 34 au gouverneur; mais celui-ci, prudent comme s'il eu't 6t6 un homme politique, se figura que Dant~s voulait ameuter les prisonniers, trainer quelque complot, s'aider d'un ami dans quelque tentative d'6vasion; et il refusa. 112 1,00 10 RIE NCH READER. Dantbs avait dpuis6 le cercie des ressources humaines. Comme nous avons dit que cola devait arriver, ii se retourna alors vers 'Dieu. Toutes les idWes pieuses 6parses dans le monde, et que glanent les maiheureux courb6s par la destin&e, vinrent alors rafraichir son esprit; ii se rappela les pri'eres que lui avait apprises sa m'ere, et leur trouva un sens jadis ignor6 de lui; car pour 1'homme heureux la pri&re demeuro un assemblage monotone et vide de sens jusqu'au jour ott la, douleur vient expliquer a l'infortun6 ce langage sublime a l'aide duquel ii parle 'a Dieu. Dantbs 6tait un homme simple et sans 6ducation; le pass6 &'ait rost6 pour lni couvert de ce voile sombre que souleve la science. Ii no pouvait, dans la solitude de son cachot et dans le ddsert de sa pensee, reconstruire les Ages rdvolus, ranimer les peuples dteints, rebftir les villes antiques, que l'imagination grandit et po'tise, et qui passent devant les yeux, gigantesques et &'lair6es par le feu du ciel, comme les tableaux babyloniens de Martin; lui n'avait que son passd si court, son pr6sent si sombre, son avenir si douteux: dix-neuf ans de lumi~ere ha m6diter peut-6tre dans une dternelle nuit! Aucnne distraction no ponvait donc lui venir en aide; son esprit 6nergique, et qui n'efit pas mioux ain6 que de prendre son vol ha travers les ages, &'ait force de rester prisonnier comme un aigle dans une cage. La rage succ6da ' a'asc6tisme; il brisait son corps contre les murs do sa prison. ii s'en prenait avec fureur it tout ce qui l'entonrait, et surtont ia lui-m~me de la moindre contraridt6 que lui faisait 6prouver un grain do sable, un f6tu dn paille, un souffle d'air; il so disait quo c'6tait bion la baine des hommes et non La vengeance do Dieu qui l'avait plongd dans l'abime ott il 6tait; ii vonait ces hommes inconnus it tous los supplices dont son ardento imagination lni fournissait l'i'd, et il tronvait encore quo los plus terriblos 6taiont trop doux et surtout trop courts pour our. Prnis do quatre anne's s'etaient 6coules dans los alternatives quo nons avons raconte'es. A la fin do la deuxieme, Dantes avait cessd do compter los jours. "Jo veux mourir," avait-il dit, et s'dtait choisi son genre do mort; alors ii l'avait bien envisag6, et do pour do revenir sur sa decision, il s'6tait fait serment i luim~me do mourir ainsi. "Quand on me servira mon ropas dn matin et mon repas du soir," avait-iL ponse', je jetterai les aliments par La fen~tre et j'aurai l'air do los avoir mang&s." F11;RENCH READER. o 10 II le fit comme -ii s'6tait promis de le faire. Deux fois le jour, par la petite ouverture grill&e, qui ne lui laissait apercevoir que le ciel, il jetait ses vivres.; d'abord gaiement, puis avec r6fiexion, puis, avec regret; il lui fallut le souvenir du serment qu'il s'6tait fait ppur avoir la force de poursuivre ce terrible dessein. Ces aliments qui lui r6pugnaient autrefois, la faim, aux dents aigu'us, les lui faisait paraitre app6tissants 'a lceil et exquis 'a l'odorat; quelquefois il tenait pendant une heure 'a sa main le plat qui les contenait, l'ceil fix6 sur ce morcean de viande pourrie ou sur ce poisson infect, et sur ce pain noir et moisi. C'6taient les derniers instincts de la vie qui luttaient encore en lui, et qui de temps en temps terrassaient sa resolution. Alors son cachot ne lui paraissait plus aussi sombre, son 6tat lui semblait moins d~sesp&r6; il 6tait jeune encore, il. devait avoir vingt-cinq ou vingt-six ans, il lui restait cinquante ans a vivre peut-6tre, c'est-a-dire, deux fois ce qu'il avait v~cu. II usa donc, rigoureux et impitoyable, le peu d'existence qui lui restait, et un jour vint oii il n'eut plus la force de se lever pour jeter par la lucarne de son cachot le souper qu'on lui apportait. Le lendemain il ne voyait plus, il entendait lh peine; le geo~lier croyait 'a une maladie grave, Edmond esp6 -rait dans une mort prochaine. Tout-k-coup, un soir, vers neuf heures, il entendit un bruit sourd l~ a paroi du mur contre lequel il 6tait couch6. Taut d'animaux immondes 6taient venus faire leur bruit dans cette prison, que peu 'a pen Edmond avait habitu6 son sommeil 'a ne pas se troubler de si pen de chose; mais cette fois, soit que ses sens fussent exalte's par l'abstinence, soit que r~ellement le bruit ffit plus fort que de coutume, soit que dans ce moment supreme tout acquit de l'importance, Edmond s'inqui6ta de ce bruit, et souleva sa tate pour le mieux entendre. C'tait un grattement 6gal qui semblait accuser, soit une griffe 6norme, soit une dent puissante, soit enfin la pression d'un instrument quelconque sur des pierres. Ce bruit dura trois heures 'a peu pr~es, puis Edmond entendi't une sorte de croulement, apr~s quoi le bruit cessa. 1i ne voulait plus mourir; il put penser et fortifier sa pens~e avec le raisonnement. Alors il se dit: "II faut tenter 1'6preuve, mai's sans compromettre personne. Si le travailleur est un ouvrier ordinaire, je n'ai qu'ia frapper contre mon mur, aussit6t il cessera sa besogne pour tficher de deviner quel est celui qui frappe, et dans quel but ii frappe. 102 102~F.RENCH -READER. Mais commne son travail sera non-seulement licite, mais encore commands, il reprenda bient6t son travail. Si, au contraire, c'est un prisonnier, le bruit que je ferai, 1'effrayera; il craindra d'etre d6couvert; il cessera son travail, et ne le reprendra, que ce soir, quand il croira tout le monde couch6 et endormi." Atussitot Edmond se leva, de nouveau. Cette fois, ses, jambes nie vacillaient plus et ses yeux 6taient sans 6blouissement. II alla, vers un angle de sa prison, d6tacha une pierre mince par l'humiditd et revint frapper trois coups contre le mu Filendroit m~me oii le retentissement 6tait le plus sensible. ' De's le premier, le bruit avait cess4 comme par enchantement. Edmond e'couta de toute son ame. Une heure se'coula, deux heures s'6coul'erent, aucun bruit nouveau ne se fit entendre. Edmond ava~it fait naitre de l'autre co~t6 de la muraille un silence absolu. Plein d'espoir, Edmond mangea quelques bouch~es de son pain, avala quelques gorg~es d'ean, et grace ht la constitution puissante dont la natuire l'avait dou64, se retrouva k peu pre's comme auparavant. La journ~e s'6coula, le silence durait toujours. La nuit vint sans que le bruit euit recommenc6. " Cest un prisonnier!" se dit Edmond avec une indicite joie. D'es-lors sa teate s'embrasa, la vie lui revint violente 'a force d'6tre active. La nuit se passa. sans que le moindre bruit se fit entendre. Edmond ne ferma pas les yeux de cette nuit. Le jour revint; le ge~lier rentra, apportant les provisions. Edmond avait d6j'a d~vore' les anciennes; il d~vora les nouvelles, e'coutant sans, cesse ce bruit qui ne revenait pas, tremblant qu'il eftt cesse' pour toujours, faisant dix ou douze lieues dans son cachot, 6branlant pendant des heures entibres les barreaux de fer de son soupirail, rendant e'lasticit6 et la vigueur 'a ses membres, par un exercise de'sappris depuis longtemps, se disposant enfin at reprendre corps 'a corps sa. destin6e 'a venir, comme fait, en 6tendant ses bras et en frottant son corps d'huile, le lutteur qui va entrer dans 1'arene. Puis dans les intervalles, de cette activit6 fivreuse, il e'coutait si le bruit ne revenait pas, s'impatientait de la prudence de ce prisonnier que tie devinait point qu'il avait &6 distrait dans son oceuvre de libert6 par un autre prisonnier qui avait an momns aussi grande h~.te d'6tre libre que lui. Trois jours s'6coul~rent, soixante et douze mortelles heures compt~es minute par minute. FRAEINCH RE.ADER.13 T-03 Le ge6lier apportait tous les jours la soupe de Dantes dans, une casserole de fer-blanc. Cette casserole contenait sa soupe et celle d'un second prisonnier, car Dant~s avait remarqu6 que cette casserole 6tait ou entierement pleine on 'a moiti6 vide, selon que le porte-clefs commengait. la distribution des vivres par lui ou par son compagnon. Cette casserole avait un manche de fer, c'6tait ce manche de fer qu'ambitionnait Dant~s, et qu'il eftt pay~, si on les lui avait demande'es, en 6change de dix anne'es de sa vie. Le ge6lier versait le contenu de cette casserole dans l'assiette de Dant~s. Apres avoir mnang6 sa soupe avec une cuiller de bois, Dant4s lavait cette assiette, qui servait ainsi chaque jour. Le soir Dant~s posa son assiette 'a terre, h mi-chemin de la Porte 'a la table; le ge6lier, en entrant, mit le pied sur l'assiette et la brisa en mille morceaux. Cette fois, il n'y avait rien 'a dire contre Dant'es; il avait en le tort de laisser son assiette "' terre, c'est vrai, mais le geo'lier avait eu celui de ne pas regarder 'a ses pieds. Le ge6lier se contenta donc de grommeler, puis il regarda autour de lui dans quoi il pouvait verser la soupe: le mobilier de Dant~s se bornait a cette seule assiette; il n'y avait pas de choix. " Laissez la casserole,"1 dit Dants; "vous la reprendrez en M'apportant demain mon d6jefiner." Ce conseil flattait la paresse du ge6lier, qui n'avait pas besoin ainsi de remonter, de redescendre, et de remonter encore. Ii laissa la casserole. Dante's fr~mit de joie. Cette fois il mangea vivement la soupe, et la viande que, selon l'habitude des prisons, on mettait avec la soupe. Puis, apr~s avoir attendn une heure, pour 6tre certain que le geflier ne se raviserait point, il d6rangea son lit, prit sa casserole, introduisit le bout du manche entre la pierre de taille d6nu6e de son ciment et les moellons voisins, et cornmenga a' faire le levier. Une l6g&e oscillation prouva h Dant~s que la besogne venait h bien. En effet, an bout d'une heure la pierre 6tait tir~e du mur ofl elle laissait une excavation de plns d'un pied et demi de diamatre. Dantes, ramassa avec soin tout le plftre, le porta dans les angles de sa prison, gratta la terre grisatre avec un des fragments de la cruche, et reconvrit le plaitre de terre. Puis, voulant mettre h profit cette nuit o'h le basard, on plut6t la I 04 104 FR"'ENCH READEP). savante combinaison qu'il avait imagin~e, avait remis entre ses mains un instrument si pr6cieux, il continua de creuser avec acharnement. A l'anbe du jour il replaga la pierre dans son trou, repoussa son lit contre la muraille et se concha. Le d6jeflner consistait en un morcean de pain; le geo~lier eutra, et posa ce morceau de pain sur la table. "1Eh bien, vous ne m'apportez pas une autre assiette?" demanda Dantes. " Non," dit le porte-clefs; "1vons 8tes un brise-tout, vous avez d~truit votre cruche, et vous 6tes cause que j'ai cass6 votre assiette; si tons les prisonniers faisaient autant de d~gats que vons, le gonvernement n'y pourrait pas tenir. On vous laisse la casserole, on vous versera votre soupe dedans, de cette fagon vons ne casserez pas votre m~nage, peut-6tre." Dant~s leva les yeux an ciel et joignit ses mains sous sa converture. Ce morcean de fer qui lui restait, faisait naitre dans son coeur un 6lan de reconnaissance plus vif vers le ciel que ne lui avaieut jamais caus6 dans sa vie pass~e les plus grands biens qui lui 6taient survenus. Seulement il avait remarqu6 que depuis qu'il avait commenc6 'a travailler, lui, le prisonnier ne travaillait plus. N'importe, ce n'6'tait pas une raison pour cesser sa ta'che: si son voisin ne venait pas 'a lui, c'6tait lui qui irait 'a son voisin. Toute la journ6e il travailla sans relache, le soir il avait, grace 'a son nouvel instrument, tir6 de la muraille plus de dix poign~es de d6bris de moellons, de plAtre, et de ciment. Lorsqne l'heure de la visite arriva, il redressa de son mieux le manche tordu de sa casserole, et remit le r~cipient 'a sa place accoutum6e. Le porte-clefs y versa la ration ordinaire de soupe et de viande, on pluto~t de soupe et de poisson, car ce jour-l'a &'ait un jour maigre, et trois fois par semaine on faisait faire maigre aux prisonniers. C'efit &t6 encore un moyen de calculer le temps si depuis longtemps Dant~s n'avait pas abandonn6 le calcul. Puis, la soupe vers~e, le porte-clefs se retira. Cette fois Dantes vonlut s'assurer si son voisin avait bien r~ellement cess6 de travailler: ii 6couta. Tout 6tait silencieux comme pendant ces trois jours oii les travaux avaient 6t6 interrompus. Dantes soupira, ii 6tait 6vident que son voisin se d6flait de Mu. Cependant il ne se d6couragea point, et continua de travailler toute la unit. Mais apr~s deux on trois henres de 12i17FlN NCH READER. 5 105 labeur il rencontra un obstacle; le fer ne mordait plus, et glissait sur une surface plane. Dant~s toucha l'obstacle avec ses mains, et reconnut qu'il avait atteint une poutre. Cette poutre traversait, ou, plut6t barrait enti~rement le trou qu'avait commenc6 Dant~s- Maintenant il fallait creuser dessus ou dessous. Le maiheureux jeune homme n'avait point song6 h cet obstacle. " Mon Dieu!" s'6cria-t-iI; " ayez piti6 de moi, ne me laissez pas mourir dans le d~sespoir." " Qui panle de Dieu et de d~sespoir en m~me temps?" articula une voix qui semblait venir de dessous terre, et qui, assourdie par l'opaci6, parvenait au jeune homme avec un accent s6pulcral. Edmond sentit se dresser ses cheveux sur la tate, et il recula sur les genoux. "1Ah! " murmura-t-il, "1j'entends parler un homme: c'est une porte vivante ajout~e 'a sa porte de ch~ne, c'est un barreau de chair ajout6 'a ses barreaux de fer:' " Au nom du ciel! " s'6cria Dant~s, " vous qui avez parlY, parlez encore, quoique votre voix mn'ait 6pouvantd: qui ktesvous?" " Qui 6tes-vous vous-me'me? " demanda la voix. " Un mallieureux prisonnier," reprit Dant'es, qui ne faisait, lui, aucune difficult6 de rdpondre. " De quel pays?" " Fran~ais." "Votre nom "Edmond Dant~s." "Votre profession?" "Manin." "Depuis combien de temps 6tes-vous ici?"' "Depuis le 28 F~vrier, i8I5." "Votre crime?" "Je suis innocent." "Mais de quoi vous accuse-t-on?" "D'avoir conspir6 pour le retour de l'empereur." "Comment! pour le retour de l'empereur! L'empereur n'est donc plus sur le tr~ne?" It Ii a abdiqu6 it Fontainebleau en 1814, et a &6 rel~gu6 'a l'ile d'Elbe. Mais vous-m~me, depuis quel temps 8tes-vous donc ici, que vous ignorez tout cela?". IDepuis i 8 i i." io6; oF-R-ENCH READER. Danths frissonna; cet homme avait quatre ans de prison de plus que lui. " C'est bien, ne creusez plus," dit la voix en parlant fort vite; "C4seulement dites-moi 'a quelle hauteur se trouve l'excavation que vous avez faite." " Au ras de La terre." "Comment est-elle cache?" "Derribre mon lit." "A-t-on d6rang6 votre lit depuis que vous 6tes en prison?" "Jamais." "Sur quoi donne votre chambre?" "Sur un corridor." "Et le corridor i" "Aboutit 'a la cour." "H6las!" murnura la voix. "Oh, mon Dieu! qu'y a-t-il donc?" s'6cria Dantes. "Ii y a que je me suis tromp6, que l'imperfection de mes dessins m'a ahus6, que le d6faut d'un compas m'a perdu, qu'une ligne d'erreur de mon plan a lquivalu 'a quinze pieds en r'alit6, et que j'ai pris le mur que vous creusez pour ceiui de La citadelle!" "Mais alors vous aboutissiez 'a la mer?" "C'6tait ce que je voulais 1" "Et si vous aviez n~ussi?" "Je me jetais ia la nage, je gagnais une des iles qui environnent Le chateau d'If, soit l'ile de Daume, soiL l'ile de Tiboulen, soit meme La cote, et alors j'6tais sauv6." "Auriez-vous done pu nager jusque lit?" "Dieu m'e't donne' la force; et maintenant, tout est perdu 1" Tout?" "Oui! Bouchez votre trou avec precaution, ne travaillez plus, ne vous occupez de rien, et attendez de mes nouvelLes." "Qui 8tes-vous an moins?.... dites-moi qui vous 8tes." " Je suis.... je suis le No. 27." " Vous dlfiez-vous done de moi?" demanda Dantis. Edmond crut entendre comme un rire amer percer La voufue et monter jusqu'k lui. "Oh, je suis bon chr6tien," s'6cria-t-il, devinant instinctivement que cet homme songeait t L'abandonner. "Je vous jure que ie me ferai tuer plutit que de laisser entrevoir 'a vos bour AF.RENCH READER'. 0 107, reaux et aux miens 1'ombre de la v&rit; mai's au nom du ciel ne me privez pas de votre presence, ne me privez pas de votre voix, ou. je vous le jure, car je suis au bout de ma force, je me brise la tate contre. la muraille, et vous aurez ma mort 'a vous reprocher." "1Quel age avez-vous?" reprit l'interlocuteur inconnu. "'Votre voix semble 6tre celle d'un jeune homme." " Je ne sais pas mon Age, car je n'ai pas mesur6 le temps depuis que je suis ici. Ce que je sais, c'est que j'allais avoir dixneuf ans lorsque j'ai &t' arr&6 le 2z8 F~vrier, i 8i 5." "Pas tout-'a-fait vingt-six ans," murmura la voix. "Allons, a cet Age on n'est pas encore un tra-itre." "4Oh, non! non!1 je vous le jure," r~p~ta, Dant~s. "Je vous 1'ai d~jk dit et je vous le redis, je me ferai couper en morceaux plut6t que de vous trahir." "IVous avez bien fait de me parler, vous avez bien fait de me prier,'" reprit la voix, "1car j'allais former un autre plan, et m'61oigner de vous. Mais votre Age me rassure; je vous rejoins Attendez-moi." " Quand cela?" "Ii1 faut que je calcule nos chances; laissez-moi vous donner le signal." " Mais vous ne ma'abandonnerez pas, vous ne me laisserez pas, seul, vous viendrez k moi, ou vous me permettrez d'aller "a vous? Nous fuirons ensemble, et si nous ne pouvons pas fuir, nous parlerons, vous des gens que vous aimez, moi des gens que j'aime. Vous devez aimer quelqu'un?" "Je suis seul an mnonde." "Alors vous m'aimerez, mmi. Si vous 6tes jeune, je serai votre camarade; si vous 6tes vieux, je serai votre fils.....J'ai un p~re qui doit avoir soixante et dix ans, s'il vit encore; je n'aimais que lui et une jeune fille qu'on appelait Merc~d~s. Mon Pere ne m'a pas oubUi, j'en suis sfir; mais elle, Dieu sait si elle pense encore 'a moi....Je vous aimerai comme j'aimais mon Pere." "C'est bien!" dit le prisonnier; "'a demain!" Ce pen de paroles furent dites avec un accent qui convainquit Dant~s; il n'en demanda pas d'avantage, se releva, prit les m~mes precautions pour les d~bris tir~s du mur qn'il avait d6ja' prises, et repoussa son lit contre la muraille. D~s-lors Dant~s se laissa 108 I aS FeR-ENCH READER. aller tout entier a son bonheur; il n'allait plus 8tre seul certainement; peut-6tre m~rne allait-il 6tre libre; le pis aller, s'il restait prisonnier, 6tait d'avoir un compagnon; or la captivit4 partag~e nest plus qu'une demi-captivit'. Les plaintes qu'on met en commun sont Presque des pri~res; des pri~res qu'on fait k deux sont presque des actions de gra'ce. Toute la journe'e Dantes alla et vint dans son cachot le cceur bondissant de joie. De temps en temps cette joie l'6'touffait. Ii s' asseyait sur son 'jit pressant sa poitrine avec sa main. Au moindre bruit qu'il entendait dans le corridor, il bondissait vers la Porte. IUne fois ou deux, cette crainte qu'on le s6parat de cet homme qu'il ne connaissait point, et que cependant il aimait d~ acomme un ami, 2lui passa par le cerveau. Alors ii 6tait d6cid6: au moment oii le geo~lier 6carterait son lit, et baisserait La tote pour examiner l'ouverture, il. Lui briserait la tote avec le pav6 sur 1equel 6tait pos6 sa cruche. On le condamnerait 'a mort, il le savait bien; mais. n'allait-il pas mourir d'ennui et de d~sespoir au moment oii ce bruit miraculeux l'avait rendu hi la vie? Le soir le ge6Lier vint; Dant~s 6tait sur son lit; de lat ii lui semblait qu'il gardait mieux L'ouverture inachev~e; sans doute il regarda le visiteur importun d'un ceil 6trange, car celui-ci lui dit: "Yoyons, allez-vous redevenir encore fou?" Dantes. ne r~pondit rien; il craignait que l'motion de sa voix ne le trah'it. Le ge6'lier se retira en secouant la tote. La nuit arriv~e, Dantes crut que son voisin profiterait du silence et de L'obscurit6 pour renouer la conversation avec lui, mais il se trompait. La nuit s'6coula sans qu'aucun bruit re'pondit 'a sa fidvreuse attente. Mais le lendemain, apr~es la visite du matin, et comme il venait d'&carter son lit de la muraille, ii. entendit frapper trois coups 'a intervalles 6gaux; il se pr~cipita h genoux. " Est-ce vous?" dit-il; "me voilA! " " Votre ge~lier est-il parti?"demanda la voix. "GOui,"' r~pondit Dant~s; "il ne reviendra que ce soir.... Nous avons douze heures de libert6." " Je puis donc agir? " dit la voix. " Oh, oui, oui, sans retard, a l'instant meme, je vous en supplie I " Aussit6t la portion de terre sur laquelle Dant~s, 'a moiti6 perdu dane l'ouverture, appuyait ses deux mains, sembla ceder sous lui; F-RENCH READER.19 log il se rejeta. en arri~re, tandis qu'une masse de terre et de pierres dt~tach6es se pr6cipitait dans un trou qui venait de s'ouvrir au dessous de l'ouverture qu'il avait faite. Alors, au fond de ce trou sombre, et dont il ne pouvait mesurer la profondeur, il vit paraltre une tote, des 6paules, et enfin un homme entier qui sortit avec assez d'agilit4 de 1'excavation pratiqu~e. Dant~s prit dans ses bras le nouvel ami, si longtemps et si impatiemment attendu, et 1'attira vers sa fenktre, afin que le peu de jour qui p~n~trait dans le cachot 1'~clairaft tout entier. C'6tait un personnagge de petite taille, aux cheveux blanchis par la pens~e plut~t que par l'ige, 'a l'ceil p~n~trant, cach6 sous d'6pais sourcils qui grisonnaient, 'a la barbe encore noire, et descendant jusque sur sa poitrine; la maigreur de son visage crens4 par des rides profonides; la ligne hardie de ses traits caract~ristiques, r~v6 -laient un homme plus babitut6 'a exercer ses facults morales que ses forces pbysiques. Le front du nouveau venu 6tait couvert de sueur. Quant 'a son v~tement, il 6tait impossible d'en distinguer la forme primitive, car il tombait en lambeaux. II paraissait avoir soixante-cinq ans au moins, quoiqu'une certaine vigueur dans les mouvements annon~gt qu'il avait momns d'ann~es peut-8tre que n'en accusait une longue captivit6. II accueillit avec une sorte de plaisir les protestations enthousiastes du jeune homme. Son a'me glac~e sembla pour un instant se r6cbauffer et se fondre au contact de cette a~me ardente. II le remercia. de sa cordiality avec une certaine chaleur, quoique sa d~ception eu't 6t grande de trouver un second cachot l'a oii il croyait rencontrer la libert6. " Voyons d'abord,"1 dit-il, "1s'il y a moyen de faire disparalitre aux yeux de nos ge6liers les traces de mon passage. Toute notre tranquillit6 'a venir est dans leur ignorance de ce qui s'est pass6." Alors il se pencba vers l'ouverture, prit la pierre, qu'il souleva facilement malgr6 son poids, et la fit entrer dans le trou. " Cette pierre a &t6 descelli~e bien n~gligemment," dit-il en hochant la tote; " vous n'avez donc pas d'outils? " " Et vous," demanda Dantbs, avec 6tonnement, "cen avezvous donc?" " Je m'en suis fait quelques-uns. Except6 une lime, j'ai tout ce qu'il me faut: ciseau, pince, levier." " Oh! je serais curieux de voir ces produits de votre patience et de votre industrie," dit Dant~s. 110 hO ~F-RENCH.READER. "1Tenez, voici d'abord un ciseau." Eit il lui montra une lam-e forte et aigu6 emmanch~e dans un morceau de bois de he~tre. "Avec quoi avez-vous. fait cela?" dit Dante~s. "Avec une des fiches de mon lit. C'est avec cet instrument que je me suis creus6 tout le chemin qui m'a conduit jus-qu'ici: cinquante pieds 'a peu pries.xl "Cinquante pieds!" s'6cria Dant'es avec une esp'ee de terreur. 'Parlez plus bas, jeune homme, parlez plus bas," dit l'inconnu en regardant derrie're lui; "1souvent il arrive qu'on 6coute aux portes, des prisonniers." "On me sait seul." "N'importe." "lt vous. dites que vous avez perc6 cinquante pieds pour arriver jusqu'ici?" "1Oui, telle est 'a peu pr~es la distance qui sbpare ma chamibre de la v0^tre; seulement j'ai mal calcu.16 ma courbe, faute d'instru-. ments de g~om6trie pour dresser mon 6chelle de proportions: au lieu de quarante pieds d'ellipse, il s'en est rencontr6 cinquante. J e croyais, ainsi que je vous l'ai dit, arriver jusqu'au mur ext6 -rieur, percer ce mur et me jeter 'a la mer. J'ai longe' le corridor contre lequel donne votre chambre, au lieu de passer dessous. Tout mon travail est perdu, car ce corridor donne sur une cour pleine de gardes." "1C'est vrai," dit Dants; "mais ce corridor ne longe qu'une face de ma. chambre, et ma chambre en a quatre." "1Oui, sans doute; mais en voici d'abord une dont le rocher fait la muraille: il faudrait dix ann~es de travail, 'a dix mineurs munis de tous. leurs outils, pour percer ce rocher. Cette autre doit 8tre adoss~e aux fondations de l'appartement du gouverneur: nous tomberions, dans les. caves, qui ferment 6videmment 'a clef, et nous serions pris. L'autre face donne-attendez donc-oit donne l'autre face?" Cette face 6tait celle oii 6tait percde la meurtrilere, 'a travers laquelle venait la lumie're. Cette meurtrie're, qui allait toujours en se r6tr6cissant jusqu'au moment ohi elle donnait entr6e au jour, et par laquelle un enfant n'aurait certes, pas pu passer, 6tait en outre garnie par trois rangs de barreaux de fer, qui pouvaient rassurer, sur la crainte d'une 6vasion par ce moyen, le ge6lier le plus soupgonneux. Cependant le nouveau venu, en faisant cette question, traiina la table au-dessous de la fene~re. " Montez sur FPR-ENCH READERR. l III cette table," dit-il 'a Dant~s. Dantbs ob6it, monta sur la table, et, devinant les intentions de son compagnon, appuya, le dos au mur et lui pr6senta les deux mains, Son compagnon monta alors plus lestement que n'eut Pu le faire pr~sager son age, et avec une habilit de chat ou de 16zard, sur la table d'abord, puis de la table sur les mains de Dant~s, puis de ses mains sur ses 6paules. Ainsi courb6 en deux, car Ia vofite du cachot l'emp&chait de se redresser, il glissa sa tate entre le premier rang des barreaux et put plonger alors de haut en bas. Un instant apr~s, il retira vivement la tote. "1Oh, oh!I" dit-il, "1je m'en 6tais dout6&"1 Et il se laissa glisser le long du corps de Dantbs sur la table, et de la table sauta 'a terre. "1De quoi vous 6tiez-vous dout6? " demanda le jeune homme, en sautant 'a son tour aupr~es de lui. Le vieux prisonnier m~ditait. "1Oui," dit-il, "1c'est cela; la quatrie'me face de votre cachot donne sur une galerie ext~rieure, espece de chemin de ronde oii passent les patrouilles et oit veillent les sentinelles." "CVous en 6tes s-fir?" ICJ'ai vu le shako du soldat et le bout de son fusil, et je ne me suis retir6 si vivement que de peur qu'il ne m'apergfit moimeme." "Ainsi, vous voyez bien qu'il est impossible de fuir par votre cachot." "CAlors? " continua le jeune homme, avec son accent interrogateur. "1Alors," dit le vieux prisonnier, "1que la volont6 de iDieu soit faite!1" Et une teinte de profonde resignation s'6tendit sur les traits du vieillard. Dante's regarda cet homme, qui renon~ait ainsi, et avec tant de philosophie, 'a une esp~rance nourrie depuis Si longtemps, avec un 6tonnement m6l6 d'admiration. "1Maintenant voulezvous me dire qui vous 8tes? " demanda Dant~s"1Oh, mon Dieu!, oui, si cela peut encore vous inte'resser, maintenant que je ne puis vous e'tre hon 'a rien." "1Vous pouvez 6tre hon 'a me consoler et 'a me soutenir, car vous semblez fort parmi les forts." L'abb6 sourit tristement. "IJe suis l'abb6 Faria," dit-il, "Cprisonnier depuis i 8i I, comme vous le savez, au chateau d'If; 1 12 1 [2 F-RENVCH READER. mnais j'dtais de'J'a depuis trois ans renferm6 dans la forteresse de Fenestrnlles. En 181 i iofl m'a, transf&r6 du Pi~mont en France." "Mais ponrquoi 6tes-vous enfermc6, vous? " "Moi? Parceque j'ai rvev ni 0 e projet que Napol~on a voulu r~aliser en Bi 8i; parceque, comme Machiavel, an lieu de tons ces principules qui faisaient de l'talie un nid de petits tyranneaux, j'ai vouiu un grand et seul mailtre, fort, sinon juste." "N'e~tes-vous pas,"-dit Dantbs, commengant a partager l'opinion de son gefflier, qui 6tait l'opinion g6n6rale an chafteau d'If, "ce pr~tre que lVon croit-malade?" "1Que l'on croit fou, vous voulez dire, n'est ce pas?" "CJe n'osais le dire,"~ reprit Dant'es en souriant. ",Oui, oni,"l continua Faria, avec un rire amer; "oni, c'est moi qui passe pour fou, c'est moi qui divertis depuis si longtemps les h6tes de cette prison, et qni r~jonirais les petits enfants s'il y avait des enfants dans le s6jour de la donleur sans espoir." Dantes demeura un instant immobile et muet. "Ainsi vous renoncez a fuir?" lui dit-il. "1Je vois la fuite impossible; c'est se r~volter contre Dieu que de tenter ce que Dieu ne vent pas qni s'accomplisse." "1Pourquoi vous d~courager? Ce serait trop demander aussi 'a la Providence que d'esp~rer r~nssir du premier coup! Ne pouvez-vous pas recommencer dans un autre sens ce que vous avez fait dans celni-ci?" "1Mais savez-vons ce que j'ai fait pour parler ainsi de recoinmencer? Savez-vous qu'il m'a fallu quatre ans pour faire les outils que je poss~ede? que depuis deux ans je gratte et creuse une terre dure comme le granit? Savez-vous qu'il m'a fallu d6chausser des pierres qu'autrefois je n'aurais pas cru pouvoir remuer; que des journ~es tout entieres se sont pass6es dans ce labeur titanique, et que parfois le soir j'6tais heureux quand j'avais enleve' un pouce carre' de ce vieux ciment deveun aussi dur que la pierre elle-me'me? Savez-vous que, pour loger tonte cette terre et tontes ces pierres que j 'enlevais, il m'a falin percer la voi~te d'un escalier dans le tambour duquel tons ces de'combres out 6t6 ensevelis, si bien qu'anjourd'hui le tambour est plein, que je ne saurais plus oii mettre une poign~e de poussi~re? Savez-vous enfin que je croyais toucher an but de tous ines travaux, que je me sentais juste la force d'accomplir cette tache, et que voil'a que Dieu non seulement recule le but, mais le .L FIUNCH REA DER? I 1 13, transporte je ne sais oil? Ali, je vous le dis, je vous le rdp~te, je ne ferais plus rien d6sormais pour essayer de reconqu6rir ma libert6, puisque la volont6 de Dieu est qu'elle soit perdue pour tout jamais. "1Depuis tanto~t douze ans que je suis en prison," continua Faria, "~j'ai repass6 dans mon esprit toutes les 6vasions c~l~bres; je n'ai vu r~nssir que rarement les violentes. Les evasions heureuses, les 6vasions couronn~es d'un plein succ~es, sont les evasions mddit6es avec soin et lentement pr6par6es, c'est ainsi que le duc de Beaufort s'est 6chapp6 du chateau de Vincennes, l'abb de Dubrequoi du Fort-l'Ev~que, et Latude de la Bastille. IIl y a encore celles que le hasard pent offrir-celles-l'a sont les meillenres; attendions une occasion, croyez-moi, et si cette occasion se pr~sente, profitons-en." "1Vons avez Pu attendre, vons," dit Dant~s en sonpirant; " ce long travail vous faisait une occupation de tons les instants, et, quand vons n' aviez pas votre travail pour vous distraire, vous aviez votre esp6rance pour vons consoler." " Cest vrai," dit en sonriant l'abb; "puis dailleurs je ne m'~occupais point qu'1 cela." "Que faisiez-vous donc?" "J'6crivais on j'6tudiais." "On vons donne donc du papier, des plumes, et de l'encre?" "Non, mais je m'en fais." "Vous vous faites du papier, des plumes, et de l'encre?" S'6cria Dant~s. "fOni.") Dant~s regarda cet homme avec admiration; senlement il avait encore peine 'a croire 'a ce qu'il disait. Ifaria s'aper~ut de ce l6ger doute. "Quand vous viendrez chez moi,?' ui dit-il, "je vous montrerai un ouvrage entier, r~snltat des pens6es, des recherches, et des r&Ilexions de toute ma vie, que j'avais m~dit6 h l'ombre du Colis6e 4. Rome, an pied de la colonne Saint-Marc 'a Venise, sur les bords de I'Arno ~ Florence, et que je ne me dontais gubre qu'nn jour mes ge~liers me laisseraient le loisir d'ex~cuter entre les quatre murs du chateau dTH. C'est nn Traife sur la,possibi/IM d'une monarchze ge'nerale en I/a/ic. Cela fera un gTos volume in-quarto." "Et vous l'avez 6crit? x14 FRENCH READER. " Sur deux chemises. J'ai invent6 une pr6paration qui rend le linge lisse et uni comme le parchemin." " Vous etes donc chimiste?" "Un peu. J'ai connu Lavoisier et j'ai dtd lie avec Cabanis." "Mais pour un pareil ouvrage, il vous a fallu faire des recherches historiques. Vous aviez donc des livres?" "A Rome, j'avais 'a peu pres cinq mille volumes dans ma bibliotheque. A force de les lire et de les relire, j'ai d6couvert qu'avec cent cinquante ouvrages bien choisis on a, sinon le resum6 complet des connaissances humaines, du moins tout ce qu'il est utile 'a un homme de savoir. J'ai consacr6 trois ann6es de ma vie a lire et relire ces cent cinquante volumes, de sorte que je les savais a peu prks par ceur lorsque j'ai 6dt arretd. Dans ma prison, avec un ldger effort de memoire, je me les suis rappel6s tout-a-fait." " Mais vous savez donc plusieurs langues?" "Je parle cinq langues vivantes, l'allemand, le frangais, litalien, l'anglais, et l'espagnol; a l'aide du grec ancien, je comprends le grec moderne; seulement je le parle mal, mais je l'6tudie en ce moment." "Vous l'6tudiez?" dit Dantes. "Oui. Je me suis fait un vocabulaire des mots que je sais; je les ai arrangds, combin6s, tourn6s et retourn6s de facon a ce qu'ils puissent me suffire pour exprimer ma pens6e. Je sais 'a peu pres mille mots; c'est tout ce qu'il me faut a la rigueur, quoiqu'il y en ait cent mille, je crois, dans les dictionnaires. Seulement je ne serai pas 6loquent, mais je me ferai comprendre a merveille, et cela me suffit." "Et quand pourrai-je voir toutes vos richesses?" demanda Dantes. "Quand vous voudrez," repondit Faria. "Oh! toute de suite," s'dcria le jeune homme. "Suivez-moi donc," dit l'abbd. Et il rentra dans le corridor souterrain ot il disparut; Dantbs le suivit. Apres avoir passd en se courbant, mais cependant avec assez de facilitd, par le passage souterrain, Dantes arriva 'a lextr6mitd opposde du corridor qui donnait dans la chambre de l'abb. La, le passage se r6trdcissait et offrait a peine l'espace suffisant pour qu'un homme put se glisser en rampant. La chambre de 'LFRENCH READER. 5 3115 NWbb 6tait clall6e; c'6tait en soulevant une de ces clalles plac~e dans le coin le plus obscur qu'il avait commenc6 la laborieuse operation dont Dantbs avait vu la fin. La dalle remise 'a sa place, l'abb6 &tendait dessus, une vieille natte, et cette precaution suflisait pour la d~rober aux yeux des ge6liers. A peine entr6 et debout, le jeune homme examina cette chambre myst6rieuse avec la plus grande attention. Au premier aspect, elle ne pr&sentait rien de particulier. "1Bon," dit l'abb, "1ii n'est que midi un quart, et nous avons encore quelques heures devant nous." IDantes regarda autour de lui, cherchant 'a quelle horloge l'abb avait pu lire l'heure d'une fa~on si pr~cise. " Voyez ce rayon de jour qui vient par ma fen~tre," dit I'abb6; "1et regardez sur ce mur les lignes que j'ai trac6es. Grace 'a ces lignes, qui sont combine'es avec le double mouvement de la terre et I'ellipse qu'elle d~crit autour du soleil, je sais plus exactement l'heure que si j'avais u-ne montre, car une montre se d~range, tandis que la terre et le soleil ne se d6 -rangent jamais." Dant'es n'avait rien compris 'a cette explication; ii avait toujours cru, en voyant le soleil se lever derri~re les montagnes et se coucher dans la M~diterranke que c'6tait liii qui marchait et non la terre. Ce double mouvement du globe, qu'iI habitait, et dont cependant iI ne s'apergevait pas, lui semblait presque impossible: dans chacune des paroles de son interlocuteur il voyait des myst~res de science aussi admirables 'a creuser que ces mines d'or et de diamants qu'il avait visit~es dans un voyage qu'il avait fait, presque enfant encore, 'a Guzarate et 'a Golconde. " Voyons," dit-il 'a I'ahb6; " j'ai hite d'examiner vos tr~sors." L'abb alla vers la chemin~e, d~plaga avec le cisean qu'il tenait toujours 'a la main la Pierre qui formait autrefois I'atre, et qui cachait une cavit6 assez profonde; c'est dans cette cavit6 qn'6taient renferm~s tons les objets dont il avait parl6 'a Dant~s. "Que voulez-vous voir d'abord?" lui demanda-t-il. " Montrez-moi votre grand ouvrage sur la royaut6 en Italie." Faria tira, de l'armoire pr~cieuse trois on quatre rouleaux de linge toiirn6s sur eux-m~mes, comme des feuilles de papyrus; c'6taient des bandes de toile, larges de quatre pouces 'a pen pros, et longues de dix-huit. Ces bandes num~rot~es, 6taient couvertes d'une 6criture que Dantbs put lire, car elle 6tait 6crite dans la 1 2 rx6.TR-ENCH READER. langue maternelle de l'abb, c'est-ha-dire en italien, idiome qu'en sa qualite' de Proven~al Dant~s comprenait parfaitement. "1Voyez," lui dit-il, "1tout est la'; il y a huit jours 'a peu pr~s que j'ai 6crit le mot ' Fin' au bas de la cent soixante-huiti~me bande. Deux de mes chemises et tout ce que j'avais, de mouchoirs y ont pass6; si jamais je redeviens libre et qu'il se trouve dans toute l'talie un imprimeur qui ose m'imprimer, ma r6putatation est faite." "G ui," r6pondit Danties, 'lje vois bien. Et maintenant montrez-moi donc, je vous prie, les plumes avec lesquelles a 6e ecrit cet ouvrage." " Voyez," dit Faria. Et il montra, au jeune homme un petit bAton long de six pouces, gros comme le manche d'un pinceau, au bout et autour duquel 6tait Ui, par un fil, un de ces cartilages encore tach6 par l'encre dont 1'abb6 avait parl6 it Dant~s; il 6'tait allong6 en bec, et fendu comme une plume ordinaire. Dante's l'examina, cherchant des yeux l'instrument avec. lequel il avait pu e~tre WaUl d'une fa~on si correcte. " Ah, oui," dit. Faria; " le canif, n'est-ce pas? C'est mon chefd'oeuvre; je 1'ai fait, ainsi que le couteau que voici, avec un vieux chandelier de fer." Le canif coupait comme un rasoir. Quant au couteau., il avait cet. avantage, qu'il pouvait servir tout 'a la fois de couteau et de poignard. Datnt~s examina ces diffdrents objets avec la m~me attention que dans les boutiques de curiosit~s de Marseille il avait examin4 parfois ces instruments ex~cut~s par des sauvages et rapporte's des mers du sud par les capitaines au long cours. "1Quant it l'encre," dit Faria, "1vous savez comment je proc'ede: je la fais it mesure que j'en ai besoin." "Maintenant je m'6tonne d'une chose," dit Dant~s; ~c'est que les jours vous aient suffi pour toute cette besogne." "J'avais les nuits," r~pondit Faria. "cLes nuits! 1 tes-vous, done de la nature des chats, et voyezvous clair pendant la nuit?" " Non; mais Dieu a donn6 'a l'homme l'intelligence pour venir en aide it la pauvret6 de ses sens: je me suis procur6 de la lumicre." " Comment cela?" " De la viande qu'on m'apporte je s~pare la graisse, je la fais. fondre et j'en tire une esp~ce d'huile compacte. Tenez, voil'a FRENCH READER. I li ma bougie." Et l'abb6 montra 'a Dant'es une esp~ee de lampion pareil 'a ceux qui servent dans les illuminations publiques. "Mais du feu?" "Voici deux cailloux et du liuge brcil." "Mais des allumettes? "Jai fait semblant d'avoir une maladie de peau, et j'ai demand6 du soufre, que l'on m'a accords." Dantbs posa les objets qu'il tenait sur la table, et baissa la tate, 6cras6 Sons la pers~v~rance et ha force de cet esprit. " Ce n'est pas le tout," continua Faria; "1car il ne fant pas mettre tons ses tr~sors dans une seule cachette: refermons, celle-ci." 11s pos~rent ha dalle 'a sa place; Y'abb sema un pen de poussibre dessus, y passa son pied pour faire disparaitre toute trace de solution de continuity, s'avanqa vers son lit et le d&pla~a. Derri~re he chevet, cach6 par une pierre qni he renfermait avec une herm~ticit6 presque parfaite, dtait un trou, et dans ce tron une 6chehle de cordes longue de vingt-cinq ~ trente pieds. Dant~s h'examina; elle 6tait d'une solidit6 'a toute 6preuve. "1Qui vons a fourni la corde n6cessaire 'a ce mrveilheux onvrage?" demanda Dant~s. "1D'abord qnelques chemises que j'avais, puis hes draps de Mon hit, que pendant trois ans de captivit6 'a Fenestrelles j'ai effih&s. Quand on m'a transports an chateau d'If, j'ai trouve' moyen d'emporter avec moi cet effil6; ici j'ai continn6 ha besogne." "1Mais ne s'aper~evait on pas que hes draps de votre lit n'avaient plus d'ourhet?" "Je hes recousais." "Avec quoil? "Avec cette aiguilie."~ Et h'abb, ouvrant un hambean de ses Vetements, montra 8~Dn~ n rte hongue, aigue et encore enfilde, qn'i portait sur lui. "Oni," continua Faria, "1j'avais d'abord song6 'a desceller ces barreaux et "a fuir par cette fen~tre qui est un pen plus large que ha v6tre, comme vous voyez, et que j'eusse 6largie encore an moment de mon 6vasion; mais je me snis aperqu que cette fen~tre donnait sur une cour int~rieure, et j'ai renonc6 ht ce projet, comme trop chanceux. Cependant j'ai conserv& l6chelle pour une circonstance impr6vue, pour une 'de ces 6vasions dont je vous parlais et que he hasard procure." I,8.R-FENCH REA DER. "Etes-vous fort?" demanda un jour 1'abb6 ha Dantbs. Dant~s, sans repondre, prit le ciseau, le tordit comme un for-hcheval, et le redressa. "Vous engagerioz-vous 'a ne tuor la sentinello qu'a' la dernibere extr~mit6? " "Oui, sur 1'honneur." "Alors," dit l'abb6, "nous pourrions exdcuter notre dessoin." "Et combien nous faudra-t-il do temps pour l'exdcuter?" "Un an au moins." Mais nous pourrions nous mettre au travail?" "Toute do suite." L'abb6 montra alors it Dantbs un dessin qu'il avait trac6; c'6tait le plan do sa chambre, do cello do Dantks et du corridor qui joignait l'une i l'autro. Au milieu do cetto galerie, ii dtablissait un boyau pareil i celui qu'on pratique dans les mines; ce boyau menait los deux prisonniors sous la galorie oht so promonait la sentinello. Uno fois arriv6s li, ils pratiquaient une large excavation, descellaient uno des dalles qui formaient le plancher do la galerie; la dallo, it un moment donnd, s'enfonrait sous lo poids du soldat, qui disparaissait englouti dans 1'oxcavation. Dant~s so precipitait sur lul au moment ott, tQut 6tourdi do sa chute, il no pouvait so d6fendre, le liait, le b~illonnait, et tous deux alors, passant par une des fenettres de cotte galorie, descendaiont le long do la muraillo ext~rieure it l'aido do l'6chelle de cordos, et so sauvaiont. Dantks battit des mains, et ses youx dtincel'rent do joie; ce plan 6tait si simple qu'il devait r6ussir. Le mdme jour los mineurs so mirent it i'ouvrago avec d'autant plus d'ardeur quo ce travail succ6dait it un long repos, et no faisait, solon touto probabilit6, quo continuer la pens6o intime et secrbte do chacun d'eux. Rien ne los interrompait que 1'heuro i laquello chacun d'eux 6tait forc6 do rentror chez soi pour recevoir la visite du ge~lior. Ils avaiont, an rosto, pris l'habitudo do distinguor, an bruit imporceptiblo des pas, le moment oii cet hommo descendait, et jamais ni l'un ni 1'autre no fut pris it l'improviste. La terre qu'ils oxtrayaiont de la nouvelle galerio, et qui edit fini par combler l'ancion corridor, 6tait jet~o petit it petit, et avec des precautions inoufos, par l'uno ou 1'autre des deux FV,-REN2CH PEADfER " rig fen~tres du cachot de Dantbs ou dui cachot de Farma; on la pulv~risait avec soin, et le vent de la nuit l' emportait sau loin sans qu'ele laissit de trace. Plus d'un an se passa 'a ce travail, ex6cut4 avec urt ciseau, un couteau, et un levier de bois pour tout instrument. Au bout de quinze mois, le trou 6tait achev4, 1'excavation e'ait faite sous la galerie, on entendait passer et repasser la sentinelle; et les. deux ouvriers, qui 6taient foreds d'attendre unte nuit obscure et sans, lune pour rendre leur evasion plus certaine encore, n'avaient plus qu'une crainte, c'6tait de voir le sol trop M~tif s'effondrer de lui-nw~ne sous les pieds du soldat. On obvia it cet inconvrnient, en pla~ant une espbce de petite poutre qu'on avait trouv6e dans, les, fondations, comme un support. Dantes, 6tait occupe6 'a la placer, lorsqu'il entendit tout-it-coup, I'abb Faria, rest6 darts la chambre du jeune homme, ott ii s'occupait de son c~td 'a aiguiser une cheville destin~e 'a maintenir lXchelle.de cordes, qui l'appelait avec un accent de d~tresse. DantI~s re~ntra vivement, et aper~ut l'abb6 debout am milieu de la chambre, pile, la sueur au front et les mains crisp6es. "Qu'y a-t-il," s'dcria Dant~s, "1qu'avez-vous donc?" "Vite, vite 1" dit l'abb4 "d6coutez-moi." Dant~s regarda le visage livide de Faria, ses yeux cern6s, d'un cerele bleuaftre, ses levres blanches, ses cheveux h~riss~s, et d'6pouvante il laissa tomber a terre le ciseau qu'il tenait 'a la main. "1Maie qu'y a-t-il donr?" s'6cria Edmond. "1Je suis perdu I." dit IYabbd; "16coutez-moi. Un mal terrible, mortel peut-6tre, va me saisir; l'acc?~s arrive, je le sens. Ddjit j'en fus, atteint l'ainn& qui prdc6da mon incarceration. A ce mal il n'est qu'un rem?~e, je vais vous le dire: courez vite chez moi, Ievez le pied du lit; ce pied est creux: vous y trouverez un petit flacon de cristal 'a moitb$ plein d'une liqueur rouge; apportez-le, on plutdt-Je pourrais, Wte surpris ici-aidez-moi it rentrer chez mnoi pendant que j'ai encore quelques, forces. Qui sait ce qui va arriver et le temps que durera I'accbs?" Dant~s, sans perdre la tote, bien que le malheur qui le frappait fit immense, descendit dans le corridor, trainant son mnalheureux compagnon aprlbs lui, et, le conduisant avec une peine infinie jusqu'it lextr~mit6 oppos&t, se retrouva darts la chanmbre de l'abb, qu'il d~posa sur son lit. " Merci," dit l'abb, frissonnant de tous, ses mtembres, comme 12Q I 2Q FRENCH READER. STi sortait d'une eau glac~e; "1 voici le mal qui vient, je vais tomber en catalepsie. Peut-8tre ne ferai-je pas un mouvement; peut-8tre ne jetterai-je pas une plainte, mais peut-6tre aussi j'6cumerai, jem roiderai, je crieai. T'chez que 1'on n'entende pas mes cris, c'est l'important; car alors peuttre me changerait-. on de chambre, et nous serions s~par~s it tout jamais. Quand vous me verrez immobile, froid et mort pour ainsi dire, seulement it cet instant, entendez-vous bien, desserrez-moi les dents avec le cotuteau, faites couler dans ma bouche huit ou dix gouttes de cette liqueur, et peut-6tre reviendrai-je." " Peut-6tre!" s'6cria douloureusement IDante's. " A moi! 'a moi!"s'6cria l'abb "je me... je me m L'acc~s fut si subit et si violent, que le maiheureux prisonnier ne put m~me achever le mot commenc6; un nuage passa sur son front, rapide et sombre comme les tempeftes de la mer. La crise dilata ses yeux, tordit sa bouche, empourpra ses joues; il s'agita, &cuma, rugit; mais, ainsi qu'il l'avait recommand6 lui-m~me, Dant'es 6touffa ses cris sous sa. couverture. Cela dura deux heures; alors, plus inerte qu'une masse, plus p~de et plus froid que le marbre, plus bris6 qu'un roseau fouls aux pieds, il tomba, se roidit encore dans une dernie're convulsion, et devint livide. Edmond attendit que cette mort apparente efit envahi le corps et glac6 jusqu'au coeur; alors. ii prit le couteau, introduisit la lame entre les dents, desserra avec une peine infinie les michoires crisps compta l'une apr~s l'autre dix gouttes de la liqueur rouge, et attendit. Une beure s'6coula sans que le vieillard fit le moindre mouvement; Dante's craignait d'avoir attendu trop tard, et le regardait les deux mains enfonc~es dans ses cheveux; enfin une 16ge're coloration parut sur ses jones; ses yeux constamment rest6s ouverts et atones reprirent leur regard; un faible soupir s'&bhappa de sa bouche; il fit un mouvement. "Sauve', sauv6 1" s'&cria Dante"s. Le malade ne pouvait point parler encore, mais il C'tendit avec une anxi&t6 visible la main vers la porte. Dante's 6couta et entendit les pas du ge6lier. Ii allait 8tre sept heures, et Dant~s n'avait pas eu le loisir de ruesurer le temps. Le jcune homme bondit vers l'ouverture, s'y enfon~a, replaga la dalle au-dessus de sa t~te, et rentra, chez lui. Un instant apre's, sa FRWENCH READER.12 1 2 1 Porte s'ouvrit 'a son tour, et le ge6lier, comme d'habitude, trouva le prisonnier assis sur son lit. A peine eut-il le dos tourn6, 'a peine le bruit des pas se fut-il perdu dans le corridor, que Dant~s, d~vor6 d'inqui~tude, reprit, sans songer "a manger, le chemin qu'il venait de faire, et soulevant la dalle avec sa tofte, rentra dans la chambre de l'abb. Celui-ci avait reprit connaissance, mais ii 6tait toujours 6tendu inerte et sans, force sur son lit. "Je ne comptais plus vous revoir," dit-il 'a Dant~s. "Pourquoi cela?" demanda le jeune homine; "1comptiezvous donc mousrir? " Non, mais, tout est pr~t pour votre fuite, et je comptais que vous fuiriez." La rougeur de l'indignation colora les joues de Dante's. "Sans, vous!" s'e'cria-t-il "m'avez-vous v~ritablement cru capable de cela?" "A pr6sent je vois que je m'6tais tromp6," dit le rualade; "ah, je suis, bien faible, bien bris6, bien an6anti." 11Courage! vos forces reviendront," dit Dantbes, s'asseyant pros du lit de Faria et lui prenant les mains. L'abb6 secoua la tote. "La dernibre fois F'acce's dura une demi-heure, apr~s quoi j'eus faim et me relevai seul. Aujourd'hui je ne puis remuer ni ma jambe ni mon bras droit, ma tete est embarrass~e, ce qui prouve un 6panchement au cerveau; la troisi~me fois, j'en resterai paralys6 enti~rement, ou j'en mourrai sur le coup." "Non, non, rassurez-vous, vous ne mourrez pas. Ce troisie'me acc~s, S'i vous prend, vous trouvera libre; nous vous sauverons comme cette fois, et mieux que cette fois, car nous aurons tons les secours n6cessaires." "Mon ami" dit le vieillard "ne vous abusez pas; la crise qui vient de se passer m'a condamn6 'a une prison perp~tuelle; pour fuir il faut pouvoir marcher."I "Eh bien, nous attendrons hnit jours, un mois, deux mois, s'iIlbe faut; dans cet intervalle vos forces reviendront; tout est pr~par6 pour notre fuite et nous avons la libert6 d'en choisir l'heure et be moment. Le jour ott vous vous sentirez assez de force pour nager, eh bien! ce jour-bla nons mettrons. notre ~.projet 'a ex~cution." 4CJe ne nagerai plus," dit Faria; "ce bras est paralys6, non pas 1 22 122 ~~FREFNCH REA9E.R. pour un jour, mais 'a jamais; soulevez-le vous-m~me et voyez ce qu'il pe'se." Le jeune homme souleva le bras, qui retomba mort et insensible. Ii poussa un soupir. "1Vous &tes convaincu. maintenant, n'est ce pas, Edmond?" dit F~aria; "1croyez-moi, je sais, ce que je dis. Depuis la premi~re attaque que j'ai eue de ce mal, je n'ai pas cess,6 d'y r6fl~chir; je lattendais, car c'est un heritage de famille. Mon p~re est mort "'a la troisi'eme crise, mon a~eul aussi. Le m6decin qui m'a compos6 cette liqueur, et qui n'est autre que le fameux Cabanis, m'a pr6dit le m~me sort." "Le m~decin se trompe," s'6&ria Dants; "quant 'a votre paralysie, elle ne me gene pas, je vous prendrai sur rues 6pa-ules, et je nagerai en vous soutenant."p " Enfant," dit l'abb6', " vous &tes marin, vous ktes nageur, vous devez par consequent savoir qu'un homme charg6 d'un fardeau pareil ne ferait pas cinquante brasses dans la mer. Cessez de vous laisser abuser pas des chim~res dont votre excellent cceur n'est pas me'me la dupe. Je resterai donc ici jusqu"a ce que sonne l'heure de ~na d~livrance, qui ne peut plus 6tre maintenant que celle de la mort. Quant 'a vous, fuyez, partez; vous 8tes jeune, adroit, et fort; ne vous inqui6tez pas de moi, je vous rends votre parole."y "C'est bien," dit Dant~s. "Eh bien!1 alors? "I "Moi aussi, je resterai." Puis se levant, et 6tendant une main solenrnelle sur le vieillard: " Par le sang du Christ, je june de ne vous quitter qu'a' votre mort! " Faria consid~ra ce jeune homme, si noble, Si simple, si Olev6, et lut sur ses traits anim6s, par l'expression du de'vouement le plus pun, la sinc6rit6' de son affection et la loyaut6 de son serment. " Allons," dit le malade, "j'faccepte, menci." Puis Iui tendant la main: "1Vous serez peut-6tre r~compens6 de ce d6vouement si d'sint~ress'," luii dit-il; "mais comme je ne puis et que vous ne voulez pas partin, ili importe que nous bouchions le souterrain fait sous la galerie; le soldat petit d6 -couvnir en marchant la sonorit6 de l'endroit min6, appeler I'attention d'un inspecteun, et alons nous serions d6couverts et s~par6s. Allez faire cette besogne dans laquelle je ne puis maiheureusement vous aider; employez-y toute la nuit s'iI le FRENCH READER. 123 123 faut, et ne revenez que demain matin apr~s la visite du geolier." tne nuit Edmond se r~veilla en sursaut, croyant s'6tre entendu appeler. II ouvrit les yeux et essaya de percer les 4paisseurs de l'obscurit6. Son nom, on plutOt une voix plaintive qui essaya d'articuler son nom, arriva jusqu'h lii. Il se leva sur son lit, La sueur de l'angoisse au front, et 6couta. Plus de doute, la plainte venait du vieiflard; ",serait-ce?".... Et il d&pla~a son lit, tira la pierre, s'6langa dans le corridor, et parvint h 1'extrlmit6 oppos6e; la dalle 6tait lev~e. A la lueur de cette lampe informe et vacillante dont nous avons parld, Edmond vit le vieiflard pale, debout encore, et se cramponnant au bois de son lit. Ses traits Ataient bouleversds par ces horribles sympt6mes qu'il connaissait d~jh et qni l'avaient tant 6pouvant lorsqu'ils 6taient apparus pour la premi~re fois. La crise fut terrible: des membres tordus, des paupieres gonfl6es, une 6cume sanglante, un corps sans mouvement, voilk ce qni resta sur ce lit de douleur ' la place de l'8tre intelligent qui s'y 6tait conch6 un instant auparavant. Dant~s prit la lampe, la posa au chevet du lit, sur une pierre qui faisait saillie, et d'oii sa lueur tremblante 6clairait d'nn reflet 6trange et fantastique ce visage d6compos6 et ce corps inerte et roidi. L'a, les yenx fix6s, ii attendit intrepidement le moment d'administrer le rem~de sauveur. Lorsqu'il crut le moment arriv6, il prit le contean, desserra les dents, qni offrirent moins de resistance que la premibre fois, compta l'nne aprbs l'autre douze gouttes et attendit; la fiole contenait le double encore t pen prks de ce qn'il avait vers6. Il attendit dix minutes, un quart d'heure, une demi-henre, rien ne bongea. Tremblant, les cheveux roidis, le front glac6 de sneur, ii comptait les secondes par les battements de son cceur. Alors ii pensa qu'il dtait temps d'essayer la derni~re 6preuve: ii approcha la fiole des lbvres violettes de Faria, et sans avoir besoin de desserrer les michoires, rest6es ouvertes, ii versa toute la liqueur qn'elle contenait. La remide produisit un effet galvanique, un violent tremblement secoua les membres dn vieillard; ses yenx se rouvrirent, effrayants It voir, ii poussa un soupir qui ressemblait I un cri, puis tout ce corps frissonnant rentra peu 'a pen dans son immobilit4; les yeux seuls rest~rent ouverts. 124 124 FR111ENCH -REAPE.R. Une demi-heure, une heure, une heure et demie s'6'coulerent. Pendant cette heure et demie d'angoisse, Edmond, pench6 sur son ami, la main appliqu~e 'a son eceur sentit successivement ce corps se refroidir, et ce eceur 6teindre son battement de plus en plus sourd et profond. Enfin rien ne surve'ut, le dernier fre'missement du cceur cessa, la face devint livide, les yeux resterent ouverts, mais le regard se ternit. IL 6tait six heures dui matin, le jour commengait 'a paraitre, et son rayon blafard, envahissant le cachot, faisait p~lir in lumie're mourante de la lampe. Des refiets 6tranges passaient sur le visage du cadavre, luii donnant de temps en temps des apparences de vie. Tant que dura cette lutte du jour et de la nuit, Dant~s put douter encore; mais de's que le jour eut vaincu, il comprit qu'il 6tait seul avec un cadavre. Alors une terreur profonde et invincible s'empara de lui; il n'osa plus presser cette main qui pendait hors dui lit; il n'osa plus arr~ter les, yeux sur ces yeux fixes et blancs, qu'il essaya, mais inutilement, de fermer, et qui se rouvraient toujours. II 6teignit la lampe, la cacha soigneusement et s'enfuit, rcpla~ant de son mieux la dalle an-dessus de sa tate. D'ailleurs il 6tait temps, la~ ge~lier allait venir. Cette fois ii commenga, sa visite par Dant~s: en sortant de son cachot, ii allait passer dans celui de Farma, auquel il portait 'a d6jeuiner et du liuge. Rien d'ailleurs n'indiquait chez cet homme qu'il eut connaissance de l'accident arriv6. Ii sortit. Dant~s fut alors pris d'une indicible impatience de savoir ce qui allait se passer dans le cachot de son maiheureux ami: il rentra, donc dans la galerie souterraine et arriva 'a temps pour entendre les exclamations du porte-clefs qui appelait 'a l'aide. Bient6t les autres porte-clefs entr~rent, puis on entendit ce pas sourd et r~gulier habituel aux soldats me'me hors de leur service. Derrie're les soldats arriva le gouverneur. Edmond entendit le bruit du lit sur lequel on agitait le cadavre; il entendit la voix du gouverneur qui ordonnait de lui jeter l'eau au visage, et qui, voyant que malgr6 cette immersion he prisonnier ne revenait pas, envoya chercher he me'decin. Le gouverneur sortit, et quelques paroles de compassion parvinrent aux oreilles de Dantbs, m&1es 'a des rires de moquerie.I Biento't les voix s'6teignirent, et il lui sembla que hes assistants quittaient in chambre. Cependant il n'osa y rentrer, on pouvait avoir laiss6' quelque porte-clefs pour garder he mort. Ii resta FREN-71CH READER. 2 125 donc muet, 'immobile, et retenant sa respiration. Au bout d'une heure,?~ peu pr~s, le silence s'anima d'un faible bruit qni alla croissant. C'6tait le gouverneur qui revenait, suivi du m~decin et de plusieurs officiers. II se fit un moment de silence; il 6tait 6vident que le m~decin s'approchait du lit et examinait le cadavre. Biento't les questions commengerentt. Le m~decin analysa le mal anquel le prisonnier avait succomb6 et d~clara qu'il 6tait mort. IDe nouvelles a~lles et venues se firent entendre: un instant aprbs un bruit de toile froiss6e parvint aux oreilles de Dant~s, le lit cria sur ses ressorts, un. pas alourdi comme celni d'un homme qui soule've un fardeau s'appesantit sur la dalle, puis le lit cria de nouveau sous, le poids qu'on lui rendait. "A ce soir," dit le gouverneur. "Y anra-t-il une messe?" demanda un des officiers. Impossible," r~pondit le gouverneur. " Le chapelain du chateau est venu me demander hier un cong6 pour faire un petit voyage de huit jours 'a Thiers. Je lui ai r6pondu de mes prisonniers pendant tout ce temps-la'; le pauvre abb6 n'avait qu'a' ne pas taut se presser et il aurait en son requiem." Un 6clat de rire suivit cette mauvaise plaisanterie. Pendant ce temps-lh l'op6ration de l'enisevelissement se poursuivait. "1A ce soir," dit le gouverneur, lorsqu'elle fut finie. "A quelle heure?" demanda le guichetier. "Mais vers dix on. onze heures." "Veillera-t-on le mort?" I "Pourquoi faire? On fermera le cachot comme s'il 6tait vivant, voilh tout." Alors les pas s'61oignbrent, les voix allrent s'affaiblissant, le bruit de la porte avec sa serrure criarde et ses verrous gringants, se fit entendre. Un silence plus morne que celni de la solitude,' le silence de la mort, envabit tout jusqu'a l'1me glac~e du jeune homme. Alors ii souleva lentement la dalle avec sa tote et jeta un regard investigateudr dans la chambre; la chambre 6tait vide. Dantbs sortit de la galerie. Sur le lit, couch6 dans le sens de sa lonugeur, et faiblement 6clair6 par un jour brumeux qui pdn~trait 'a travers la fene're, on voyait un sac de toile grossi~re, sons les larges plis duquel se dessinait confus~ment une forme longue et roide: c'6tait la le dernier linceul de Faria. Ainsi tout 6tait fini: une separation F1REINCH REA DER. mat~rielle existait d~j'a entre Dante~s et son vieil ami; il ne pouvait plus voir ces, yeux qui 6taient rest~s ouverts comme pour regarder au-delk de la mort; il ne pouvait plus serrer cette main industrieuse qui avatit soulev6 pour lui le voile qui couvrait les choses cach~es. Faria, Futile, le bon compagnon anquel il s'6tait habitu6 avec tant de force, n'7existait plus que dans son souvenir! Alors il s'assit au chevet de ce lit terrible et se plongea dans une sombre et am~re m~lancolie. Tout-a-coup il se leva, porta la main 'a son front comme s'il avait le vertige, fit deux on. trois pas dans la chambre, et revint s'arr~ter devant le lit. "Oh, oh!"murmura-t-il, NWu m'envoie cette pens~e? Est-ce vous, mon Dieu? Puisqu'il n'y 'a que les morts qui sortent librement d'ici, prenons la place des morts." Et sans prendre le temps de revenir sur cette d~cision, comme pour ne pas donner 'a la pens6e le temps de d~trnire cette resolution d~sespe'6e, il se pencha vers le sac hideux, l'ouvrit avec le couteau que Faria avait fait, retira le cadavre du sac, l'emporta chez Ini, le coucha dans son lit, le coiffa du lambeau de linge dont il avait l'habitnde de se coiffer lui-me'me, le couvrit de sa converture, baisa une dernie're fois ce front glac6, essaya de refermer ces yeux rebelles qni continue~rent de rester ouverts, effrayants par l'absence de Ia pens~e, tourna la te'te le long du mur, afin que le geo'lier, en apportant son repas du soir, ne put s'apercevoir du changement op~r6, rentra dans la galerie, tira le lit contre la muraille, rentra dans l'autre chambre, prit dans l'armoire l'aignille et le fill, jeta ses haillons pour qu'on sentit bien sons, la toile les chairs nues, se glissa dans le sac 6ventr6, se pla~a dans la situation oit 6tait le cadavre, et referma la couture en dedans. On aurait pn entendre hattre son cceur, si par malheur on f-ftt entr6 en ce moment. Dante~s aurait bien pu attendre apr~s Ia visite du soir; mais il avait peur que d'ici l1t le gouverneur ne changea~t de resolution et qn'on n'enlev~t le cadavre. Alors sa derniere esp6rance 6tait perdue. En tout cas maintenant son plan 6tait arr&t6. Voilat ce qu'il comptait faire. Si pendant le trajet les fossoyeurs reconnaissaient qu'ils portaient un vivant an lieu de porter un modt, Dantes ne leur donnait pas le temps de se reconnaitre;- d'un vigoureux coup de coutean il onvrait le sac depuis le hant jusqu'en has, profitait de leur terreur et s'6chappait; s'ils voulaient l'arr~ter, il jouait du contean. S'ils le conduisaient .F'REN-CH R EA DJAR.12 127 jusqu'au cimeti~re et le c1~posaient dans une fosse, il se laissait couvrir de terre; puis comme c'6tait la nuit, 'a peine les fossoyeurs avaient-ils le dos tourn6, qu'il s'ouvrait un passage "'a travers la terre muolle et s'enfuyait; il esp6rait que le poids de la terre ne serait pas trop grand pour qu'il pfit le soulever. S'iI se trompait, si, an contraire, la terre 6tait trop, pesante, il mourait 6touff. Eb, tant mieux, tout 6tait fini!1 Dant~s n'avait pas mnang6 depuis la veille, mais il n'avait pas song,6 'a la faim le matin, et il n'y songeait pas encore. La position 6tait trop prt~caire pour lui laisser le temps d'arr~ter sa pens~e sur aucune autre ide. Le premier danger que courait Dan t~s, C'6tait que le ge6lier en lui apportant son souper de sept heures, s'apercftt de la substitution op~r~e. Lorsque sept hem-es du soir approch~erent, les angoisses de Dante's commencerent v&itablement. Sa main appuy~e sur son cceur essayait d'en comprimner les batternents, tandis que de l'autre il essuyait la sueur de son front qui ruisselait de long de ses tempes; de temps en temps, des frissons lui passaient par tout le corps, et lui serraient le cceur comme dans, un 6tau glac6. Alors il croyait quTi allait mourir. Les heures s'6coulrent sans amener ancun mouvement dans le chateau, et Dant~s comprit qn'il avait 6chapp6?t ce premier danger. C'6tait d'un bon augure. Enfin, vers l'henre fix6e par le gouverneur, des pas se firent entendre dans I'escalier. Edmond comprit que le moment 6tait venu, rappela tout son courage, retenant son haleine, heureux s'il efit pu retenir en m~me temps et comme elle les pulsations pr6cipit6es de ses arte'res. On s'arrkta 'a la porte; le pas 6tait double. Dant~s devina que~c'6taient les deux fossoyeurs qui le venaient chercher. Ce soup~on se changea en certitude quand il entendit le bruit qu'is faisaient en d~posant la civi~re. La porte s'ouvrit, une lumi~re voih~e parvint aux yenx de Dantbs; an travers de la toile qui le couvrait, il vit deux ombres s'approcher de son lit. Une troisie'me restait "a la porte, tenant un falot 'a la main. Chacun des deux hommes qui s'6taient approch~s, du lit saisit le sac par une de ses extr~mit~s. " C'est qu'il est encore lourd pour un viefilard si maigre," dit l'un d'eux en le soulevant par la tote. " On dit que chaque ann6e ajoute une demill~ivre au poids des Os," dit l'autre en le prenant par les pieds. "As-tn fait ton noceud?" demanda le premier. X28 ~~28 FI.AtNCH -PEA DElR. "1Ce serai't bien b~te de nous charger d'un poids inutile," dit le second; "1je le ferai la-bas." "Tu as raison, partons alors." "Pourquoi ce nceud?" se demanda Dantes. On transporta le pr~tendu mort du lit sur la civiZ~e. Edmond se roidissait pour mieux jouer son ro~le de tr~pass6. On le posa sur la civiere, et le cort~ge, e'lair6 par l'homme au falot qui marchait devant, monta l'escalier. Tout-a-coup l'air frais et fipre de la nuit l'inonda. Dant~s reconnut le mistral. Ce fut une sensation subite, pleine 'a la fois de d~lices et d'angoisses. Les porteurs firent une vingtaine de pas, puis uls s'arr&t&ent et d6pose'rent la civi~re sur le sol. Un des porteurs s'6loigna et Dante's entendit ses souliers retentir sur les dalles. "Oii suis-je donc?" se demanda-t-il. "Sais-tu qu'il n'est pas l6ger du tout?" dit celni qui 6tait resti pres de Dante's en s'asseyant sur le bord de la civi~re. Le premier sentiment de Dant~s avait 6t6 de s'61oigner; heurensement iA se retint. " Eclaire-moi donc, animal," dit celui des porteurs qui s'e'tait 6loign6, " on je ne trouverai jamais ce que je cherche." L'homme an falot ob6it 'a l'injonction, quoique, comme on l'a vn, elle Mt faite en termes pen convenables. "1Que cherche-t-il donc?" se demanda Dant'es; "1une be'he sans doute." Une exclamation de satisfaction indiqua que le fossoyeur avait trouv6 ce qu'il cherchait. "Enfin," dit I'antre, "1ce n'est pas sans peine." "GOui," r~pondit-il, "mais il n'anra noen perdu pour attendre." A ces mots il se rapprocha d'Edmond, qui entendit d~poser pres de lni un corps lourd et retentissant: an m~me moment une corde entonra ses pieds d'une vive et donlourense pression. "Eh bien!1 le nceud est~il fait?" demanda celni des fossoyeurs qui &'ait rests inactif. "Et bien fait," dit l'autre, "jie t'en r~ponds." " En ce cas, en route." Et la civi~re souleve'e reprit son chemin. On fit cinquante pas 'a peu pr~es, puis on s'arre'ta pour onvrir une porte, puis on so remit en route: le bruit des flots se brisant contre le rocher sur lequel est ba~ti le chaiteau, arrivait plus distinctement 'a l'oreille de Dant'es 'a mesure que l'on avangait. ZFRZI"ENCH READER.1 129 "Mauvais temps!" dit un des porteurs; "i ne fera pas bon 6tre en mer cette nuit." "1 Oui, 1'abb6 court grand risque d'8tre mouill6," dit l'antre. Et uls &lat~rent de tire. Dantes ne comprit pas tr~s-bien la plaisanterie, mais ses cheveux ne s'en dresshrent pas moins sur sa tote. "1 Bon! nous voila arriv6s," reprit le premier. "Plus loin," dit l'autre; "tu sais bien que le dernier est rest6 en route, bris6 sur les rochers, et que le gouverneur nous a dit le lendemain que nous &tions des fain6ants." On fit encore quatre on cinq pas, montant toujours, puis Dant~s sentit qn'on le prenait par la tote et par les pieds et qu'on le balan~ait. "Une!" dirent les fossoyeurs, "deux, trois 1" En m~me temps Dant~s se sentit lanc6 en effet dans un vide 5norme, traversant les airs comme un oisean bless6, tombant toujours avec une 6ponvante qui lui glagait le cotur. Quoique tin4 en bas par quelque chose de pesant qui prtcipitait son vol rapide, il lui sembla que cette chute durait "un si~cle. Enfin, avec un bruit 6pouvantable, il entra comme une fi~che dans une ean glac6e qui lui fit pousser un cri 6touff6 gtl'instant m~me par l'immersion. Dant~s avait 6t6 lanc6 dans la mer, au fond de laquelle l'entrainait un boulet de trente-six, attach 'a ses pieds. La mer est le cimetiere dn chfitean d'If. Dants, 6tourdi, presque suffoqu6, eut cependant la pr6sence d'esprit de retenir son haleine, et comme sa main droite, ainsi que nous lavons dit, pr6par4- qu'il dtait? toutes les chances, tenait son couteau tout ouvert, il dventra rapidement le sac, sortit le bras, puis la t~te; mais alors, malgr6 ses mouvements pour soulever le boulet, il continua de se sentir entrain6; alors il se cambra, cherchant la corde qni liait ses jambes, et par un effort supteme il la trarcha pr~cisement an moment ott il suffoqnait. Alors, donnant un vigoureux coup de pied, il remonta libre t la surface de la met, tatdis que le bonlet entrainait dars les profondeurs inconnues le tissu grossier qui avait failli devenir son linceul. Dantls ne prit que le temps de respirer, et replongea une seconde fois, car la ptemihre precantion qu'il devait prendre 6tait d'dviter les regards. Lorsqu'il reparut pour la seconde fois, ii 6tait dtji' 'a cinquante pas an moins du lieu de -sa chute: ii vit an-dessus do sa tete un K PRENCH READER. ciel noir et temp~tueux, la surface duquel le vent balayait quelques nuages rapides, d6couvrant parfois un petit coin d'azur rehauss6 d'une 6toile. IDevant Iui s'6tendait la plaine sombre et mugissante dont les vagues commenc'erent 'a bouillonner comme 'a I'approche d'une temp~te, tandis que derrie're lui, plus noir que la mer, plus noir que le ciel, montait comme un fant~me menagant le gdant de granit, dont la pointe sombre semblait un bras 6tendu pour ressaisir sa proie. Sur la roche la plus haute e'tait un falot e'lairant deux ombres. II lui semblait que ces deux ombres se penchaient sur la mer avec inqui~tude. En effet, ces 6tranges fossoyeurs devaient avoir entendu le cri qu'il avait jet6 en traversant l'espace. Dant'es plongea. donc de nouveau et fit un trajet assez long entre deux eaux. Cette manceuvre lui 6tait jadis familie're, et attirait d'ordinaire autour de lui, dans l'anse du Pharo, de nombreux admirateurs, lesquels l'avaient proclam6 bien souvent le plus habile nageur de Marseille. Lorsqu'il revint 'a la surface de la mer, le falot avait disparu. Ii fallut s'orienter. De toutes les 'lles qui entourent le chateau d'If, Ratonneau et Pome'gue sont les plus proches; mais Ratonneau. et Pomegue sont habite'es; il en est ainsi de la petite ie de Daume. L'ile la plus sfire 6tait donc. celle de Tiboulen on de Lemaire. Les Ilies de Tiboulen ou de Lemaire sont 'a une lieue du chafteau d'If. Dant~s ne r~solut pas momns de gagner une de ces deux ies. Mais comment trouver ces. iles au milieu de la nuit qui s'lpaississait 'a chaque instant autour de iui? En ce moment il vit briller comme une 6toile le phare de Pianier. En se dirigeant droit sur ce phare ii laissait Il'le de Tiboulen un peu. 'a gauche; en appuyant un peu 'a gauche, il devait donc rencontrer cette Lie sur son chemin. Mais nous, l'avons dit,2 il y avait une lieue au momns du chAteau d'If 'a cette i~e, ISouvent, dans la prison, Faria r6pltait au jeune homme, en levoyant atbattu et paresseux: " Dantes, ne vous laissez pas alier 'a cet amollissement; vous vous, noierez si vous essayez de vous enfuir et que vos forces n'aient pas 6t6 entretenues." Sous l'onde sourde et ame're, cette parole 6tait venue tinter aux oreilies. de Dant~s; il avait eu hafte de remonter alors et de fendre les lames pour voir si effectivement ii n'avait pas perdu de ses forces; ii vit avec joie que son inaction ne iui avait rien Otd de son agilit6, et sentit qu'il 6tait toujours maitre de l'element F7RENCH READER.13 13 L oil, tout enfant, il s'6tait jou6. D'ailleurs, la peur, cette rapide pers~cutrice, doublait la vigueur de Dant~s- Ii 6coutait, pench6 sur la cime des fiots, si aucune rumeur n'arrivait jusqu'a' li. Chaque fois qu'il s'6levait 'a Fextr6mit6 d'une vague son regard rapicle embrassait l'horizon visible, et essayait de plonger dans 1l6paisse obscurit6. Chaque fiot un peu plus 6lev6 que les autres fiots lui semblait une barque 'a sa poursuite, et alors il redoublait d'efforts, qui lHloignaient sans doute, mais dont la rt~p6tition devait promptement user ses forces. II nageait cependant, et d~ja' le chateau terrible s'6tait un pen fondu dans la vapeur nocturne. 1I ne le distinguait plus, mais il le sentait toujours. Une heure s'6coula pendant laquelle Dantes, exalts par le sentiment de la libert6 qui avait envahi toute sa personne, continua de fendre les flots dans la direction qu'il s'6tait faite. " Voyons," se disait-il, "1voil'a bient6t une heure que je nage; mais comme le vent m'est contraire, j'ai dft perdre un quart de ma rapidit6. Cependant, 'a momns que je ne me sois tromp6 de ligne, je ne dois pas 8tre loin de Tiboulen maintenant. Mais si je m'6tais tromp6." Un frisson passa par tout le corps du nageur. IL essaya de faire un instant la planche pour se reposer; mais la mer devenait de plus en plus forte; et il comprit biento~t que ce moyen de soulagement sur j'irai jusqu'au bout, jusqu'a' ce que mes bras se lassent, jusqu'a' ce que mes jambes se roidissent, jusqu'a ce que les crampes envahissent mon corps, et alors je coulerai 'a fonds." Et il se remit 'a nager avec la force et L'impulsiori du d~sespoir. Tout-'a-coup, il lui sembla que le ciel, d~ja' si obscur, s'assombrissait encore, qu'un nuage 6pais, lourd, compacte, s'abaissait vers lui; en me'me temps il sentit une violente douleur an genou. L'imagination avec son incalculable vitesse, lui dit alors que c'6tait le choc d'nne balle, et qu'il allait imm6diatement entendre L'explosion du coup de fusil, mais 1'explosion ne retentit pas. Dant~s allongea la main et sentit une resistance. IL retira son autre jambe 'a lui et toucha la terre. IL vit alors quel 6tait l'objet qu'iI avait pris pour un nuage. A vingt pas de lui s'levait une masse de rochers aux formes bizarres qn'on prendrait pour un foyer immense p~trifi6 an moment de sa plus ardente combustion. C'6tait L'ile de Tiboulen, Dante~s se releva, fit quelques pas en Avant, et s'6tendit en 13 2 132 -F-R-ENCIJf READER. remerciant Dieu, sur ces pointes de granit qui lui semblbrent 'a cette heure plus douces que ne lui avait jamais paru le lit le plus doux. Puis, malgr6 le vent, malgr6 la temp~te, malgr6 la pluie qui commencait 'a tomber, tout bris6 de fatigue qu'il 6tait, il s'endormit de ce d~licieux sommeil de l'homme chez lequel le corps s'engourdit, mais dont l'ame veille avec la conscience -d'un bonheur inesp~r6. Au bout d'une heure, Edmond se 6 veilla sous le grondement d'un immense coup de tonnerre; la tempefte 6tait d~cha'in~e dans l'espace et battait l'air de son vol 6clatant. De temps en temps un &clair descendait du ciel comme un serpent de feu, 6clairant les fiots et les nuages, qui roulaient les uns au-devant des autres comme les vagues d'un immense chaos. Dant~s avec son coup d'zeil de marin ne s'6tait pas tromp6: il avait abord6 'a la premie're des deux iles, que est effectivement celle de Tiboulen; il la savait nue, d&couverte, et n'offrant pas le moindre asile. Mais quand la tempe~te serait calm6e, il se remettrait 'a la mer, et gagnerait 'a la nage l'ile de Lemaire, aussi aride, mais plus large et par consequent plus hospitalire. Une roche qui surplombait offrit un abri momentan6 'a Dante's; il s'y r~fugia, et presque au meme instant la tempefte 6clata dans toute sa fureur. Edmond sentait trembler la roche sur laquelle il s'abritait; les vagues en se brisant c9ntre la base de la gigantesque pyramide rejaillissaient jusqu'a' lui. Tout en sfret6 qu.'il 6tait, au milieu de ce bruit profond, au milieu de ces 6blouissements fulgurants, pris d'une espke de vertige, il lui semblait que l'ile tremblait sous lui, et d'un moment 'a l'autre allait, comme un vaisseau 'a lancre, briser son c~ble et l'entra'iner au milieu de l'immense tourbillon. Ii se rappela alors que depuis vingt-quatre heures il n'avait pas mang6; il avait faim, il avait soif. Dant~s eftendit les mains et la tote, et but l'eau de la tempke dans le creux du rocher. Comme il se relevait, un 6clair qui semblait ouvrir le ciel jusqu'au pied du tr~ne 6blouissant de Dieu, illumina l'espace. A la lueur de cet 6clair, entre Il'le de Lemaire et le cap Croiselle, 'a un quart de lieue de lui, Dante's vit apparaitre comme un spectre, glissant du haut d'une vague dans un abime, un petit bitiment p~cheur emport6 'a la fois par lForage et par le flot. Une seconde apr~s, 'a la cime d'une autre vague, le fant6me reparut, s'approchant; Dant~s aurait voulu avoir quelque lambeau de linge 'a agiter en l'air pour leur faire voir qu~ils se perdaient; FRE N CH R EA D ER. ~ I 3 3 rTiais ils le voyaient bien etix-m~mes. A la lueur d'un autre 6clair, le jeune homme vit quatre homnmes cramponn6s aux mats et aux 6tais; u-n cinquieme se tenait 'a la barre du gouvernail bris6. Ces hommes qu'il voyait le virent aussi sans doute, car des cris d~sesp~r&s, emport&s par la rafale siffiante, arriv'erent it son oreille. Au-dessus du mat, tordu comme un roseau, claquait en l'air 'a coups pr6cipit&s une voile en lambeaux. Tout-'a-coup les liens qui la retenaient encore se rornpirent, et elle disparut, emport~e dans les sombres profondeurs du ciel, pareille it ces grands oiseaux blancs qui se dessinent sur les nuages noirs. En m~me temps un craquement effrayant se fit entendre, des cris d'agonie arriv~rent jusqu'at Dant~s. Cramponn6 comme un sphinx it son rocher, d'oit il plongeait sur l'abime, un nouvel 6clair mlu montra le petit bAtiment bris6, et parmi les d~bris, des totes au visage d~sesp&r6, des bras 6tendus vers le ciel. Puis tout rentra dans la nuit, le terrible spectacle avait eu la dur~e Dant~s se pr~cipita sur la pente glissante des rochers, au risque de rouler lui-m~me dans la mer. 1i regarda, il 6couta, mais il n'entendit et ne vit plus rien; plus de enis, plus d'efforts humains, la temp~te seule, cette grande chose de Dieu, continuait de rugir avec les vents et d'6cumer avec les flots. Peu. it peu le vent s'abattit, le ciel roula vers l'occident de gros nuages gris et pour ainsi dire d~teints par lForage; l'azur reparut avec les 6toiles plus scintillantes que jamais; bient t vers l'est une longue bande rougeitre dessina it lhorizon des ondulations d'un bleu noir, les flots bondirent, une subite Iueur courut sur leurs cimes 6cumeuses en crini'Cre d'or. C'6tait le jouar. Dant~s resta immobile et muet devant ce grand spectacle, comme s'il voyait pour la premi~re fois; en efret, depuis le temps qu'il 6tait au chateau d'lf, il l'avait oubli6. II se retourna vers 1a forteresse, interrogeant it la fois d'un long regard circulaire la terre et la mer. Le sombre bitiment sortait du sein des vagues avec cette imposante majest6 des choses immobiles, qui semblent it la fois surveiller et commander. Ii pouvait 6tre cinq heures du matin; la mer continua de se calmer. CC Dans, deux ou trois heures," se dit Edmond, "1le porte-clefs va rentrer dans ma chambre, trouvera le cadavre de mon pauvre ami, le reconnaltra, me cherchera vainement, et donnera l'alarme; alor's on trouvera le trou, la galerie; on interrogera les hommes qui 134 '34 FRENCH READER. m'ont lanc6 'a la mer et qui ont dft entendre le cri que j'ai pouss6. Aussitot des barques remplies de soldats arm&s courront apr~s le maiheureux fugitif, qu'on sait bien ne pouvoir 6tre loin. Le canon avertira toute la cote qu'il ne faut point donner asile 'a un homnme qu'on rencontrera errant, nu et affam6. Les espions et les alguazils de Marseille seront avertis et battront la cO~te tandis que le gouverneur du chateau d'If fera battre la mer. Alors, traqu6 sur l'eau, cern6 sur terre, que deviendrai-je? J'ai faim, j'ai froid, j'ai la~ch6 jusqu'au couteau sauveur qui me genait pour nager; je suis 'a la merci du premier paysan qui voudra gagner vingt francs en me livrant; je n'ai plus ni force, ni ide, ni r~solution. Oh!1 mon Dieu, mon Dieu, voyez si j'ai assez souffert, et si vous pouvez faire pour moi plus que je ne puis faire moi-meme." Au moment oi'i Edmond, dans une espece de d~lire occasionn6' par 1'6puisement de sa force et le vide de son cerveau, pronongait, anxicusement tourn6 vers le chateau d'If, cette pri~re ardente, il vit apparailtre 'a la pointe de lFile de Pom~gue, dessinant sa voile latine 'a l'horizon, et pareil 'a une mouette qui vole en rasant le flot, un petit baftiment que l'oeil d'un marnn pouvait seul reconnaitre pour une tartane g6noise sur la ligne encore a'a demi obscure de la mer. Elle venait du port de Marseille et gagnait le large en poussant 1'6cume 6tincelante devant la proue aigu, qui ouvrait une route plus facile 'a ses flancs rebondis. " Oh!1" s'6cria Edmond, "dire que dans une demi-heure j'aurais rejoint ce navire, si je ne craignais pas d'6tre questionn6, reconnu pour un fugitif et reconduit 'a Marseille! Que faire? que leur dire? quelle fable inventer dont ils puissent 6tre la dupe? Ces gens-l1a sont tous des contrebandiers, des demi-pirates. Sous pr~texte de faire le cabotage, ils 6cument les c6tes; us aimeront mieux me vendre que de faire une bonne action stlrile. Attendons.... Mais attendre est chose impossible, je meurs de falim; dans quelques heures le peu de force qui me reste sera evanoui; dailleurs l'heure de la visite approche, l'veil n'est pas encore donn6, peut-6tre ne se doutera-t-on de rien, je puis me faire passer pour un des matelots de ce petit baktiment qui s'est bris6 cette nuit; cette fable ne manquera point de vraisemblance, nul ne reviendra pour me contredire, ils sont bien engloutis tous:- allons!" FRIEINCH READER.'3,135 ]Ft11 tout en disant ces mots, Dantes tourna les yeux vers 1'endroit oih le petit navire s'6tait bris6, et tressaillit. A l'ar~te d'un rocher 6tait rest6 accroch6 le bonnet phrygien d'un des matelots naufrag~s; et tout pr~s de I't flottaient quelques debris de la car~ne, solives inertes que la mer poussait et repoussait contre la base de I'ile quelles battaient comme d'impuissants b~1iers. En un instant la resolution de Dant'es fut prise; it se remit h la mner, nagea vers le bonnet, s'en couvrit la tate, saisit une des solives, et se dirigea pour couper la ligne que devait suivre le bitiment. "1Maintenant je suis sauv6,"7. murmura-t -il. Et cette conviction lui rendit ses forces. Bient6t ii aper~ut la tartane qui, ayant le vent presque debouat, courait des bord~es entre le chateau d'If et la tour de Flanier. Un instant Dantbs craignit qu'au lieu de serrer la cote, le petit b~timent ne gagnft le large, comme il efit fait, par exemple, si sa destination efit &t6 pour la Corse ou pour la Sardaigne; mais 'a la fa~on dont il manceuvrait, le nageur reconnut biento't qu'il dt~sirait passer, comme c'est l'habitude des bitiments qui vont en Italie, entre I'i'e de Jaros et Il'le de Calaseraigne. Cependant le navire -et le nageur approche'rent insensiblement l'un de l'autre; dans une de ses bord~es, le petit baftiment vint meme 'a un quart de lieue 't peu prLbs de Dantbs. IL se souleva alors sur les flots, agitant son bonnet en signe de d6tresse, mais personne ne le vit sur le batiment, qui vira de bord et recomnmenca une nouvelle bord&e Dantbs songea 'a appeler, mais ii mesura de l'oeil la distance et comprit que sa voix n'arriverait point jusqu'au navire, emport~e et couverte qu'elle serait auparavant par la brise de la mer et le bruit des flots. Ce fut alors, qu'il se f~licita de cette precaution qu'il avait prise de s'6tendre sur une solive. Affaibli conmme il l'tait, peut-8tre n'efit-il pu se soutenir sur la mer jusqu'a' ce qu'il efit r,~joint la tartane, et, 'a coup su'r, si la tartane, ce qui &tait possible, passait sans le voir, il n'e-ftt pas pu regagner la c~te. Dantbs, quoiqu'il ffit 't peu pr~s certain de la route que suivait le baitiment, L'accompagna des yeux avec une certaine anxi&t6 jusqu.'au moment oii il liii vit faire son abat6e et revenir 'a lui. Alors ii s'avan9a 'a, sa rencontre; mais avant qu'is se fussent joints, le baftiment cornmnenqa 'a virer de bord. Aussit~t Dant~s, par un effort supreme, se leva presque debout sur I'eau, agitant son bonnet, et jetant 136 136 ~FROENCH READER. un de ses cris lamentables, comme en poussent les marins en d~tresse, et qui semblent la plainte de quelque g~nie de la mer. Cette fois on le vit et on l'entendit. La tartane interrompit sa manoeuvre et tourna le cap de son c&t6; en m~me temps il vit qu'on se pr6parait 'a mettre une chaloupe 'a la mer. Un instant apr~s, la chaloupe, mont~e par deux hommes, se dirigea de son c6te', battant la mer de son double aviron. Dant~s alors laissa glisser la solive, dont il pensait n'avoir plus besoin, et nagea vigoureusement pour 6pargner la moitie6 du chemin 'a ceux qui venaient 'a lui. Cependant le nageur avait compt6 sur des forces presque absentes; ce fut alors qu'il sentit de quelle utilit lui avait 5t6 ce morceau de bois qui flottait d~ja' inerte 'a cent pas de Mi. Ses bras commen~aient 'a se roidir, ses jambes avaient perdu leur flexibilit6, ses mouvements devenaient durs et saccad~s, sa poitrine dtait haletante. 11 poussa un second cri, les deux rameurs redoubl~rent d'6nergie, et 1'un des deux lui cria en italien, "1Courage!" Le mot lui arriva an moment oui une vague, qu'il n'avait plus la force de surmonter, passait au-dessus de sa tote et le couvrait d'6cume. 11 reparut, battant la mer de ces mouvements in~gaux et d6sesp6r6s d'un homme qui se noie, poussa un troisie'me crn, et se sentit enfoncer dans la mer, comme STi efit encore eu au pied le boulet mortel. L'eau passa par-dessus sa tate, et 'a travers I'eau il vit le ciel livide avec des taches noires. Un violent effort le ramena 'a la surface. II Ini sembla alors qu'on le saisissait par les cheveux, puis il ne vit plus rien, il n'entendit plus rien, il 6tait 6vanoui. Lorsqu'il rouvrit les yeux, Dant~s se retrouva sur le pont de la tartane qui continuait son chemin; son premier regard fut pour voir quelle direction elle suivait: on continuait de s'~oigner du chateau WEIf Dan t~ ait tellerTint 6puis6 que 1'exclamation de joie qu'il fit fut prise pour un soupir de douleur. Comme nous l'avons dit, il 6tait couchM sur le pont: un matelot lui frottait les, membres avec une couverture de lamne; un autre qu'il reconnut pour celui qui lui avait cri6 courage, lui introduisait l'orifice d'une gourde dans la bouche; un troisieme, vieux manin, qui 6tait 'a la fois le pilote et le patron, le regardait avec ce sentiment de piti6 ~goYste, qu'6prouvent en g~n~ral les hommes pour un maiheur auquel ils out 6chapp6 la veille et qui peut les atteindre FRV.EN.zCH -READER.I 137 le lendemain. Quelques gouttes du rhum que contenait la gourde ranimbrent le cceur d~faillant du jeurte homme, tandis que les, frictions que le matelot 'a genoux devant hui continuait d'op6rer avec de la laine rendaient. 1'61asticit 'a ses membres. "Qui ktes -vous?" demanda en mauvais frangais, le patron. "Je suis," r6pondit Dante~s en Mauvais italien, " un matelot maltais; nous venions de Syracuse, nous 6tions charg6s de vns, et de panoline. Le grain de cette nuit nous a surpris au cap Morgion, et nous avons &6 bris~s contre ces, rochers, que vous voyez 1'a-bas." " D'oii venez -vous? " De ces rochers oii j'avais en le bonheur de me cramponner, tandis que notre pauvre capitaine s'y brisait la tate. Nos trois, autres, compagnons se sont noy~s. Je crois que je suis le seul qui reste vivant; j'ai aperqu votre navire, et craignant d'avoir longtemps a attendre sur cette 'Ile isol6e et d6serte, je me suis, hasardt6 sur un d~bris de notre bitiment pour essayer de venir jusqu'a' vous. Merci," continua Dant~s, " vous m'avez sauv6 la vie; j'6tais perdu quand l'nn de vos matelots m'a saisi par les cheveux." "1C'est moi," dit un matelot 'a la figure franche et ouverte, encadr~e de longs favoris noirs, " et il 6tait temps, vous couliez." " Oui," dit Dant~s, en lui tendant la main; "1oni, mon ami, et je vous remercie une seconde fois." " Ma foi! " dit le marn " 1j'hsitais presque; avec votre barbe de six pouces de long, et vos cheveux d'un pied, vous aviez plus l'air d'un brigand que d'nn honn~te homme." Dantbs se rappela effectivement que depuis qn'il 6tait au chateau d'If il ne s'6tait pas conp6 les cheveux et ne s'6tait point fait la barbe. " Oni," dit-il, " c'est un vceu que j'avais, fait 4 Notre Dame del Hie di Grotta, dans un moment de danger, d'6tre dix ans sans couper mes cheveux ni ma barbe. C'est aujourd'hui 1'expiation de mon vceu, et j'ai failli me noyer pour mon anniversaire." " Maintenant qu'allons nous faire de vous?" demanda le patron. "1H6las!"r~pondit Dantbs, "1ce que vous voudrez. La felouque que je montais est perdue, le capitaine est mort. Comme vous le voyez, j'ai 6chappe' an mome sort, mais absoln.ment nun. Heureusement je suis assez bon matelot. jetez-moi T38 Z38 ~F-RENCH READER. dans le premier port oui vous relicherez, et je trouverai toujours de I'emploi sur un baftiment marchand." "Vous connaissez la M~diterran&e?" "J'y navigue depuis mon enfance." "Vous savez les bons mouillages?" "II y a peu de ports, m~me des plus difficiles, dans lesquels je ne puisse entrer, ou. dont je ne puisse sortir les yeux ferm&s." "IEh bien! dites donc, patron," demanda le matelot qui avait cri6 courage 'a Dant~s, " si le camarade dit vrai, qui cmp~che qu'il ne reste avec nous? "IOui, s'il dit vrai," dit le patron d'un air de doute; "mais dans l'&'at oia est le pauvre diable, on promet beaucoup, quitte ~L tenir ce qu'on peut." " Je tiendrai plus que je n'ai promis," dit Dant~s. "Oh, oh!" fit le patron en riant, " nous verrons." "Quand vous voudrez," reprit Dant~s en se relevant. "Oii allez-vous? " "A Livourne." "Eh bien 1 alors, au lieu de courir des borde'es qui vous font perdre un temps pr~cieux, pourquoi ne serrez-vous pas tout simplement le vent au plus pres?" "Parce que nous irions donner droit sur lFile de Rion." "Vous en passerez 'a plus de vingt brasses." "Prenez donc le gouvernail," dit le patron, " et que nous jugions de votre science." Le jeune homme alla s'asseoir au gouvernail, s'assura par une bfgere pression que le b~timent 6tait obeissant, et voyant que, sans 6tre de premi~ere finesse, ii ne se refusait pas, " Aux bras et aux, boulines," dit-il. Les quatre matelots qui formaient 1'quipage coururent 'a leur poste, tandis que le patron les regardait faire. "1Halez,"i continua Dant~s. Les inatelots ob6irent avec assez de pr6cision. "IEt maintenant, amarrez; bien." Cet ordre fut ex~cut6 comme les deux premiers, et le petit b~timent, au lieu de continuer 'a courir des bord~es, commenta de s'avancer vers l'ile de Rion, pres de laquelle il passa comme l'avait pr~dit Dant~s, en la laissant par tribord 'a une vingtaine de brasses. "IBravo 1" dit le patron. "1Bravo 1" r~p&t~rent les matelots, Et tous regardaient 6merveill6s cet homme dont le IFREUNCH READER.'3 139 regard avait retrouv6 une intelligence et le corps une vigueur qu'on 6tait loin de soupgonner en lui. "1Vous voyez," dit Dantks en quittant la barre, que je pourrai vous 8tre de quelque utilit6, pendant la travers~e du moms; si vous ne voulez pas de moi 'a Livourne; eh bien! vous me laisserez lIt, et sur mes premiers mois de solde je vous rembourserai ma nourriture jusque-la', et les habits que vous allez me pr~ter." " Cest bien!1 c'est bien!"dit le patron; "nous pourrons nous arranger si vous 6tes raisonnable." "Un homme vaut un homme,"$ dit Dantl~s; " ce que vous donnez aux camarades, vous me le donnerez, et tout sera dit." " Ce n'est pas juste," dit le matelot qui avait tir6 Dant~s de la mer; " car vous en savez plus que nous." "Et en quoi cela te regarde-t-il, Jacopo? " dit le patron; "9chacun est libre de s'engager pour la somme qui lui convient." "1C'est juste," dit jJacopo; "1 c'6tait une simple observation que je faisais." " Eh bien! tu ferais bien mieux encore de pr~ter it ce brave gargon un pantalon et une vareuse, si toutefois tu en as de rechange." "Non," dit Jacopo; "1mais j'ai une chemise et un pantalon." "C'est tout ce qu'il me faut," dit Dant~s. " Merci, mon ami." Jacopo se laissa glisser par 1'6coutille et remonta un instant apr~s avec les deux, v~tements, que Dant~s rev~tit avec un indicible bonheur. "1Maintenant vous faut-il encore autre chose?" demanda le patron. "1Un morceau de pain et une seconde gorg~e de cet excellent rhum, dont j'ai d~jit gofite', car il y a bien longtemps que je n'ai rien pris." En effet, il y avait quarante heures it peu pr~s. On apporta it Dantbs un morceau de pain, et Jacopo Iui pr~senta la gourde. "1La barre it babord! " cria le capitaine en se retournant vers, le timonier. Dant~s jeta un coup dkceil du meme cot6 en portant la gourde it sa bouche, mais la gourde resta 'a moit6 chemin. "1Tiens," demanda le patron, "que se passe-t-il donc au chateau d'If?" 140 140 FRENCH READER. En effet, un petit nuage blanc, nuage qui avait attir6 l'attention de Dant'es, venait d'apparaitre, couronnant les cr~neaux du bastion sud du chfiteau d'If. Une seconde apre's, le bruit d'une explosion lointaine vint mourir 'a bord de la tartane. Les matelots lev'erent la tote en se regardant les uns les autres. " Que veut dire cela?" demanda le patron. " II se sera sauv6 quelque prisonnier cette nuit," dit Dante's "et l'on tire le canon d'alarme." Le patron jeta un regard sur le jeune homme qui en disant ces paroles avait port6 la gourde 'a sa bouche; mais il le vit savourer la liqueur qu'elle contenait avec taut de calme et de satisfaction que s'iI avait un soup~on quelconque, ce soupyon ne fit que traverser son esprit et mourut aussit6t. Sous le pr~texte qu'il 6tait fatigu6, Daut'es demanda alors 'a s'asseoir au gouvernail. Le timonier, enchants d'6tre relays daus ses fonctions, cousulta de l'ceil le patron, qui lui fit de la tefte signe qu'il pouvait remettre la barre 'a son nouveau cornpagnon. Dant~s ainsi plac6 put rester les yeux fix~s du c6t6 de Marseille. "Quel quanti~me du mois tenons-nous? " demauda Dant'es 'a Jacopo, qui 6tait veuu s'asseoir prt's de lui, en perdaut de vue le chateau d'IM "Le 2 8 de F6vrier," r6pondit celuici " De quelle anu~e?" denianda encore Dant~s. " Comment, de quelle annie? vous demandez de quelle annie? " "GOui,"l reprit le jeune homme; "je vous demande de quelle ann~e." " Vous avez oubli I'ann~e ou nous sommes " Que voulez-vous! j'ai eu si grand peur cette nuit," dit en riant Dant~s, "1que j'ai failli en perdre I'esprit, si bien que ma m~moire en est demeur~e toute troubl~e; je vous dernande donc le 2 8 F~vrier de quelle ann~e nous sommes " De I'aunne 18 2 9," dit Jacopo. II y avait quatorze aus, jour pour jour, que Dant~s avait 6t6 arret6. Ii 6tait entr6 'a dix-neuf ans au chateau d'Jf; il en sortait a treute-trois ans. A. Durnas. FR"XENCH READER.,4 14-1 36. La Garde Noire, Trois nuits encore de marches forcdes et les compagnies, apr?~s avoir &vit Carlisle, atteignirent 1'extr~mit6' septentrionale du comt6 de Cumberland et les confins de l'Angleterre. Saunder Ogilvie voulait gagner au nord-est vers Selkirk, 6loign6 'a peine de quinze lieues, mais l'influence de l'enseigne Duncan avait grandi ces derniers jours et lYon se flait de plus en plus h sa parfaite connaissance du pays. Bien qu'aucun passage de troupes n'e-ftt &t6 signale' depuis le bivouac d'Halifax, on avait dt~sormais la certitude d'6tre poursuivis. Duncan d~clara qu'iI savait un chemin 'a la fois plus court et plus sfir en c~toyant vers le nord-ouest les terrains appel~s Solway morass. Le quatri~me jour, apr'es une traite de quelques heures seulement, les six compagnies furent obligdes de s'arr~ter, parceque le passage devenait impraticable. La colonne s'6tait 6gar6e et avait dounn en plein marais. La nuit 6tait noire et sans lune; rebrousser chemin au milieu de ces champs de roseaux oii l'on enfongait jusqu'au genou, ed't 6t6 une extravagante entreprise. On campa sur un tertre que les vieilles souches de saules, avaient 61ev6 au-dessus du niveau humide, et l'on attendit la lumie'e. On devait profiter du petit jour pour regagner l'abri des bois. Duncan avait coutume de coucher sur un brancard. Quand les, premi~res lueurs de I'aube blanchirent les nuages, on alla reveiller l'euseigne. Sa liti~re 6tait vide. Ii avait disparu. L'tranget6 du fait s'augmentait par cette circonstance que l'enseigne ne pouvait faire un pas sans l'aide de deux amis qui le soutenaient 'a droite et 'a gauche. Cependant, il avait disparu seul. Personne except6 lui ne manquait 'a l'appel. Le cr~puscule 6clairait ddja' les objets voisins, tandis qu'une brume l1g&e et floconneuse cachait l'horizon comme un voile. Nos fugitifs, regardant autour d'eux, virent qu'ils 6taient au milieu d'une mer de roseaux dont les tiges halanc6es ondulaieut lentement 'a la brise du matin. II dtait facile de retrouver sa route, car la marche nocturne avait laiss6 dans ce vert oc6an une noire et large trou~e. Les gens du Reicudan Dhu (Black Watch) firent rapidement leurs pr~paratifs de d~part. A l'instant ofi l'avant-garde allaitquitter le tertre pourrentrer dans les mardcages, 142 142 ~FRENCH REA DER. un rafale balaya le brouillard vers le nord-ouest et montra, les eaux de la Solway, r~fle'hissant l'aurore comme un miroir immense. Selon l'assertion de Duncan,' souvent re'p6t6e pendant 1e'tape de 14 veille, on devait e~tre hi douze ou quinze milles de la mer. Vingt bouches 'a la fois murmure'rent le mot " trahison;"et comme Saunders Ogilvie, obstin6' dans sa confiance se faisait encore l'avocat du MacAlpine, plus d'un regard soup~onneux se ddtourna de lui. Ou se souvenait des voix entendues dans sa retraite, la seconde nuit pass~e au bivouac d'Halifax. La brume allait toujours devant le vent, de'ouvrant peu 'a peu 1'horizon. Il y avait de l'eau au nord et 'a louest; de l'eau encore, une eau terne et bourbeuse, vers l'est. Le sud seul $tait ouvert. Le soldat MacRea dit tout-it-coup: "1Je ne sais si je rave. Ii me semble voir des canons de mousquets briller fla-haut dans la bruye're 1" Son doigt 6tendu montrait la colline qui s'6tendait vers le midi, dans la direction de Carlisle. "1Des carabiiies et des casques I" ajouta l'enseigne MacPherson. "1Que Dieu nous sauve, car l'homrne nous a trahis I" Trois cavaliers descendaient la mont~e au galop. Le premier, qui portait un costume d'offlcier, agitait dans sa main un drapeau parlementaire. Une derniere rafale balaya. au loin le nuage qui couvrait un tiers de l'horizon, et la montagne tout entie're resplendit aux rayons obliques du soleil levant, car de la base an sommet il y avait du cuivre, de l'acier, ou de l'or; deux escadrons de dragons de Bedford, le 7me, r6giment d'infanterie de ligne (dit le 2e irlandais), et trois batteries d'artillerie le'gere dont les noirs canons avaient leurs gueules de bronze ouvertes sur le bivouac m~me du Reicudan Dhu. Sir Henry Stapleton, du cornt6 de Surrey, capitaine-lientenant aux dragons de Bedford, arrefta son cheval. an pied du tertre, et dit: "1Gentlemen, rendez-vous au nom du roi l Vous ktes soldats, et il ne vous faut qu'un coup dkeil pour voir que la retraite vous est ferme'e. Nous sommes soldats, et nous vous traiterons dans votre malheur selon les lois de la fraternitt6 militaire." Ce fut le i 6 Octobre que les six compagnies de la Garde Noire d~poserent les armes dans les marais de la Solway en vue de ces montagnes sombres et couvertes de grands pins qui fermaient l'horizon vers le nord, et qui 6taient d~ja.t 1Ecosse. La majorit6 des officiers et soldats avait r~solu de combattre jusqu'~a la mort FPRENCH READER.'4 143 plut6t que de se soumettre, mais, Saunder Ogilvie changea leur dessein par ces seuls mots: " Le roi nous a tromp6s, mais ceux-P'a sont des chr~tiens, et des frbres qui accomplissent leur devoir d'ob6issance. 1I n'est pas bon de mourir avec les main rouges de sang innocent." La promesse faite fuat tenue; on les traita honorablement tant que dura la marche sur Londres. A Londres, oii us, arriv'erent le 23 Octobre, une cour martiale 6tait assemblke d'avance pour les juger comme d~serteurs en masse. Le premier t6moin entendua fut Alpine MacAlpine de Duncan, qui marchait maintenant d'un pas solide, et qui paint devant la cour avec l'uniforme de capitaine des fusiliers 6cossais. Le payement du service rendu ne s'6tait pas fait attendre. Mac Alpine d~clara sous serment que ses camarades du Reicudan Dhn, et principalement les gens du clan Ogilvie, agissant sous l'influence du sergent Saunder, avaient abus,6 de son 6tat de maladie pour l'entraliner dans leur d6sertion. Il affirma que le m~me Saunder Ogilvie 6tait le chef r6el des six compagnies, fugitives. Ii accusa, hautement le m~me Saunder Ogilvie d'avoir provoqu6 la d6sertion en masse dans le but de Iivrer la Garde Noire, avec armes et bagage, au pr~tendant Charles Edouard, qui en aurait fait le noyau de son arm~e insurrectionnelle. A l'appui de cette derni~ere assertion, il sp~cifia que, dans, la nuit du 12 aia I 3 Octobre, en un bois taillis des environs d'Jialifax, oii le Reicudan Dhu avait bivouaqu6, le sergent Saunder Ogilvie avait requ et cach6 dans sa tente de feuillages, trois mis6rables papistes, connus par l'audace de leurs machinations criminelles: Douglas de Glencairn, Duncan de Lenagh, et le tra~itre Evan Macgregor Campbell de Dundas, ancien lieutenant du fameux comte de Mar et pr~sentement p~re de la compagnie de J6sus. Comme complices directs dua sergent, il nomma le caporal MacRea et Allan Blane, le sonneur de cornemuse. Parmi ces Ames simples, et loyales, pour qui le parjure 6tait le plus l~che des crimes, une pareille deposition ne pouvait faire. naitre un autre sentiment que le de'goukt Les accuses, d'un commun accord, refus'erent de discuter les paroles du t6moin et ce seul mot, "1Menteur I" tomba de leurs bouches. N~anmoins 1'enseigne MacPherson d~clara qu'il ne pouvait en conscience I44 FRENCH' READER. repousser l'imputation ayant trait aux trois dmissaires papistes, car on avait entendu, en effet, des voix dans la tente de Baderaigh; Baderaigh avait refuse de r6pondre aux questions de ses compagnons. Saunder Ogilvie se leva et dit:"Pett a Dieu, pour moi et pour mes freres, que j'eusse 6cout6 ceux qui sont venus a nous la nuit du 12 au 13 Octobre! Si je ne m'dtais pas mis souvent entre mes camarades et ce traitre, qui vient de mentir a la face de Dieu, il n'aurait pu ni jouer son r61e de Judas, ni gagner le grade de capitaine qu'il ddshonore. J'ai fait de mon mieux, mais je ne me plains pas, car ohi est Fhomme qui n'a pas assez pdch6 pour etre puni?" Le lord chef-juge lui demanda:"Sergent Ogilvie, vous reconnaissez-vous coupable d'avoir pris le commandement des six compagnies et de les'avoir dirig6es sur l'Ecosse, contrairement aux ordres du roi?" " II y avait entre le roi et nous un contrat. C'est moi qui ai dit le premier: 'Le mensonge du roi dechire notre contrat et nous fait libres.' J'affirme, sur ma foi, que je n'ai rien promis au roi, sinon de garder fidelement la frontiere depuis Inverary jusqu'a Stirling." " Quelle est votre foi?" "La foi de nos pbres, qui, grace a Dieu et a la Vierge, ont vdcu et sont morts en chr6tiens et en gentilshommes, comme j'ai vicu et comme je vais mourir." Ce disant, Saunder Ogilvie fit le signe de la croix. Tous les accus6s 6tbrent leurs toques et s'inclinerent. Parmi les juges, plusieurs palirent sur leurs sidges. Is 6taient lt pour condamner. Comme les accus6s revenaient a la Tour, ignorant encore la sentence port&e, le vieil Allan Blane, qui marchait entre Baderaigh et MacRea, dit: "Nul n'dchappe a son sort. La nuit de l'affuft une biche resta sur l'herbe. C'etait signe du grand malheur qui nous menace." La populace de Londres hurlait des invectives et des outrages. Le 27 Octobre au matin, une foule immense encombra Trinity Square et tous les abords de la Tour, bien avant le lever du soleil. Quand les rayons de l'aube dessinerent les lugubres profils de la forteresse, batie par l'6vque Gandolphe, on put voir une quadruple ligne d'uniformes qui entouraient completement la vaste circonfdrence de Tower Hill. I1 y avait lat quatre -FRENCH READER.'4 145 r~giments de la garde, huit bataillons de grenadiers 'a pied, six escadrons de dragons, et le r~giment des fusiliers 6cossais, tambours en deuji et crepe noir au drapeau. Le roi donnait spectacle. La Porte de la prison s'ouvrit. Quatre cents soldats de la Garde Noire sortirent sans armes. Ceux-l'a 6taient condamn~s au banissement, ce qui signiflait alors, le travail forc4 dans les, colonies. Derribre eux- venaient Saunder Ogilvie, Daniel 'MacRea, et Allan Blane, sans plaids, sans kilts, et totes. nues. Leurs mains 6taient lies. Au-devant de chacun d'eux quatre hommes portaient un cercueil ouvert. Les tambours voil6s des fusiliers 6cossais, donnbrent leur roulement sourd et prolongs, tandis que la musique des horseguards jouait une marche fune'bre. La foule, ameut6e derri~re les troupes, vocif~ra des sauvages bravos. Les quatre cents d6port6s furent rang~s sur deux haies. Avant de partir pour l'exil, la sentence de la cour mnartiale, les condamnait 'a 6tre t6rnoins du supplice de leurs, freres. Le reste des compagnies 6tait en marche sur Kent, oui se faisaient les embarquements pour la Flandre. Les trois cercueils s'arr&tbrent 'a cent pas de la Tour et sonnb~rent creux en heurtant le sol. Ii y avait l'a trois poteaux, entour~~s de serge noire. Chaque cercueil fut plac6 en long devant celui dont la d~pouille mortelle devait l'emplir. La musique des gardes se tut; le tambour des fusiliers 6cossais fit silence. Pen 'a peu tous les bruits sk6teignirent 'a lentour, m~me le murmure impie de la populace anthropophage. II y avait du monde 'a toutes les fenetres de toutes les maisons, du monde encore sur les toits et jusque sur les, chemin~es. Le long des murailles perpendiculaires, des mains convulsives se crispaient. Partout oii croissait un arbre on voyait dans les branches des grappes de figures diabolicjues. C'6tait le vieux Londres: hommes, femmes, enfants, ivres de gin, malgr6 lFheure matinale, et horriblement alt~r~s de sang. Le roi savait ce qu'il fallait pour amuser sa bonne ville. Au-dessus de cette cohue, mnuette maintenant, un commandement militaire vibra 6clatant et bref. Un d~tachement de vingt fusiliers 6cossais, sortit des lignes, F-RENCH REtADER. marchant sur deux rang-s. 11s e'taient commandos par le capitaine Alpine MacAlpine de Duncan. Les trois patients mirent ensemble un genou en terre et prierent 'a haute voix. Les quatre cents d6port~s, le bonnet 'a la main, r~pondirent l'oraison, piles et les yeux baiss~s. " Portez armes! commanda Alpine le Rouge. En respirant la cohue fit un grondement sourd. Les trois condamn6s se relev~rent et repousserent le bandeau. qu'on voulait mettre sur leurs fronts. Leurs trois totes 6taient droites, et Baderaigh, regardant en face le capitaine MacAlpine, dit sans emphase ni col~re, " Duncan, je ne changerais pas de place avec vous." Le MacAlpine 6tait livide, mais il souriait. II fit le commandement de pr~parer les armes. II s'6tait rapproch6 des condamn6s, en ayant soin de se tenir en dehors de la ligne du tir. " Genou-terre!" prononga la voix stridente du MacAlpine. Le d~tachement des fusiliers 6&ossais 6tait 'a vingt-cinq pas. Les crosses des vingt mousquets heurt'erent le sol, tandis que le premier rang mettait un genou 'a terre. " Joue! Fe! " L'horlogre de l'glise Saint-Olave sonnait huit heures. Vingt coups de mousquets retentirent. Baderaigh resta debout le dernier, oscillant comme un che~ne dont le bficheron a tranch6 la base. II tomba, et les tambours battirent. Ronald Ogilvie et deux autres hommes du clan mirent les trois corps au cercueil, pendant que la foule s'e6coulait. Ronald coupa une boucle des cheveux blonds de Baderaigh, et lui creusa une tombe sous les murailles de la Tour de Londres, loin, bien loin, h~las! du champ b6ni oii les aieux e'cossais dorment sons la bruye~re. Paud Fe'al. 37. Conmba/ d'un Gladia/eur con/re un T7igre. On avait 6tabli, selon' l'usage, surtout sous le ciel d'Afrique, an haut des gradins, des poteaux surmont6s de piques dor~es, auxquels &taient attach~es des voiles de pourpre retenues par des FR-ENCH READER.'7 1147 nceuds de soie et d'or. Ces voiles 6tendues formaient, andessus des spectateurs, une vaste tente circulaire, dont les reflets 6clatants donnaient 'a tous ces visages africains une teinte anim~e,' en parfaite harmonie avec leur expression vive et passionn~e. Au-dessus de l'ar~ne, le ciel 6tait libre et vide, et des flots de lumi~re, qui en descendaient, comme par la coupole dans la Panth~on d'Agrippa, se r~pandaient largement de tous les co't~s, et ne laissaient rien perdre aux. yeux ravis, ni des colonnes, ni des statues, ni ties vases de bronze et d'or, ni de ces joyaux brillants dont le sein des femmes et des jeunes filles Soixante mille spectateurs avaient trouv6 place; soixante mille autres erraient autour de l'enceinte, et uls se renvoyaient les uris aux autres ce vague tumulte oii rien n'est distinct, ni fureur ni joie; l'amphith~fitre ressemblait 'a un vaisseau dans lequel la vague a p6n~tr6, et qu'elle a rempli jusqu'au pont, tandis que d'autres vagues en battent 1'ext6rieur, et se brisent, en mugissant, contre lui. Un horrible rugissement, auquel r6pondirent les cris de la foule, annonga l'arriv6e du tigre; car on venait d'ouvrir sa loge. A l'une des extr~mit~s, un homme 6tait couchM sur le sable, riu et comme endormi, taut il se montrait insouciant de ce qui agitait si fort la multitude; et tandis que le tigre sN'lan~ait de tons cot~s clans l'arene, vide, impatient de la proie attdndue, Iui, appuy6 sur un coude, semblait fermer ses yeux pesants, comme un moissonneur, qui, fatigu6 d'un jour d'&t6, se couche et attend le sommeil. Cependant plusieurs voix parties des gradins demandent 'a l'intendant des jeux de faire avancer la victime en la voyant si lache. Les pr~pos~s de l'ar'ene, arm~s d'une longue pique, ob6issent 'a la volont6 dui peuple, et, du bout de leur fer aigu excitent le gladiateur. Mais 'a peine a-t-il ressenti les atteintes de leurs lances, qu'il se le"ve avec un cri terrible, auquel r~pondent, en mugissant d'effroi, toutes les b~tes enferm~es dans les cavernes de l'amphith~gtre. Saisissant aussito't rime des lances, qui avait erisanglant6 sa peari, il l'arracbe d'uri seul effort 'a la main qui la tenait, la brise en deux portions, jette l'une 'a la tate de l'intendant, qu'il renverse; et gardant celle qui est garnie de fer, il va lui-m~me avec cette arme au-devant de son sauvage emniemi.. L! F-RENCH REA DE.R. DMs qu'iI se fut lev6, et que le regard des spectateurs put mesurer sur le sable I'ombre que projetait sa taille colossale, un murmure d'tonnement circula dans toute l'assembl6e, et plus d'une femme le montrait du doigt avec, une sorte d'orgueil, le nommait par son nom et racontait tons ses exploits du cirque et ses violences dans les s~$ditions. Le peuple 6tait content; tigre et gladiateur, il jugeait les deux adversaires dignes Fun de l'autre.....Pendant ce temps le gladiateur s'avan~ait lentement dans l'are'ne, se tournant parfois du cotd de la loge imp~riale, et laissant alors tomber ses bras avec: une sorte d'abattement, on creusant du bout de sa lance la terre qu'il allait bient6t ensanglanter. Comme il 6tait d'usage que les criminels ne fussent pas arm~s, quelques voix. cri~rent: "1Point d'armes au bestiaire! le bestiaire sans armes! Mais lui, brandissant le trongon qu'il avait gard6, et le montrant at cette multitude: "1Venez le prendre," disait-il, mais d'une bouche contract~e, avec des IRvres pailes et une voix. rauque, presque 6touff6e par la col'ere. Les cris ayant redouble' cependant, il leva la tote, fit du regard le tour de I'assembl~e, lui sourit d6daigneusement, et brisant de nouveau entre ses mains l'arme qu'on lui demandait, il en jeta les debris 'a la ta~te du tigre, qui aiguisait en ce moment ses dents contre le socle d'une colonne. Ce fut lit son d~fi. L'animal, se sentant frapp6, d6tonrna la tote, et voyant son adversaire debont an milieu de l'arbne, d'un bond il s'61an~a sur ui; mais le gladiateur e'6vita en se baissant jusqu'ia terre, et le tigre alla tomber en rugissant it quelques pas. Le gladiateur se releva, et trois fois il trompa par la me~me mancenvre ia fureur de son sauvage ennemi; enfin le tigre vint it lui it pas compt6s, les yeux 6tincelants, la queue droite, inl langue d~j'a sanglante, montrant les dents et allongeant le museau.; mais cette fois ce fut le gladiateur qui, an moment oit il, allait le saisir, le franchit d'un saut, aux applaudissements de la foule, que l'motion de cette lutte mai'trisait d~jit tout enti~re. Enfin, apre's avoir longtenips fatigu.6 son ennemi furienx, plus exc~d6 des encouragements que la fonle semblait lui donner que des lenteurs d'un combat qui avait sembhM d'abord si in~gal, le gladiateur l'attendit de pied ferme; et le tigre, tout haletant, courut it lui avec un rugissement de joie. Un cri d'horreur, ou F-RENCH READE.R. 9 149 peut-ktre de jolie, partit en m~me temps de tous les gradins quand 1'animal, se dressant sur ses pattes, posa ses griffes Sur les 6paules nues du gladiateur, et avanga sa tote pour le de'vorer; mais celui-ci jeta sa tote en arri~re, et, saisissant de ses deux bras raidis le cou soyeux de l'animal, il se serra avec une telle force, que, sans la~cher prise, le tigre redressa son museau et le leva violemment pour faire arriver un peu. d'air jusqu'a' ses poumons, dont les mains du gladiateur lui fermaient le passage comme deux tenailles de forgeron. Le gladiateur cependant, sentant ses forces faiblir et s'en aller avec son sang, sous les griffes tenaces, redoublait d'effort pour en finir au plus t6t; car la lutte, en se prolongeant, devait tourner contre lui. Se dressant donc sur ses deux pieds, et se laissant tomber de tout son poids sur son ennemi, dont les jambes ploy~rent sous le fardeau, il brisa ses c6tes, et fit rendre ~ sa poitrine 6cras~e un son qui s'6chappa de sa gorge longtemps 6treinte avec des fiots de sang et d'cumne. Se relevant alors tout-a'-coup 'a moiti6, et de'gageant ses 6paules dont un. lambeau demneura attach6 'a lune des griffes sanglantes, il posa un genou. sur le fianc pantelant de l'animal, et le pressant avec une force que sa victoire avait doubl6e, il le sentit se d~battre un moment sous lui; et, le comprimant toujours, il vit ses muscles se raidir, et sa tote, un moment redress~e, retomnber sur le sable, la gueule entr'ouverte et souill~e d'6cume, les dents serr~es et les yeux &teints. Une acclamation g~n~rale s'61eva aussito't, et le gladiateur dont le triomphe avait ranim6 les forces, se redressa sur ses pieds, et, saisissant le monstrueux cadavre, le jeta de loin, comme un hommage, sons la loge imp~riale. Alexandre Guiraud. 38. Chzasse an Lion en Afrique. Sur des renseignements qui me furent. donn~s contre un grand viieux lion qui cofitait cher a ses voisins dans les environs du camp de Dr~an, je fis venir mes armes de Ghelma et quittai Bo'ne le 26 F~vrier. Le 27, 'a cinq heures du soir, jarrivai 4 un donar de OuledBou-Azizi, situ6 'a une demni-liene du repaire de ma b~te, qui, au 150 FRENCH REA DER. dire des viejillards, avait 61u domicile dans le Jebel-Krounega depuis plus de trente ans. J'appris en arrivant que tous les soirs au coucher du soleil le lion rugi~sait en quittant son repaire, et qu'a' la nuit il descendait dans la plaine, toujours rugissant. La rencontre me parut presque infaillible; aussi m.'empressai-je de charger les deux fusils que j'avais. A peine avais-je termin6 cette op6ration, que j'entendis le lion rugissant dans la montagne. Mon ho~te s'offrit de m.'accompagner jusqu'au gu6 que le lion devait franchir en quittant la montagne; je lui donnai mon second fusil, et nous partImes. Il faisait noir 'a ue pas se voir 'a deux pas. Apr~s avoir march6 pendant un quart d'heure environ 'a travers bois, nous arrivames sur le bord d'un ruisseau qui coule au pied du JebelKrouwiega. Mon guide, tr'es-6mu par les rugissements qui se rapprochaient, me dit, " Le gu6 est I'a." J e cherchai 'a reconnaitre la position: tout autour de moi 6tait noir; je ne voyais MeMe pas mon Arabe, qui me touchait. Ne pouvant rien distinguer par les yeux, je me mis 'a descendre jusqu'au ruisseau, pour rencontrer, en tatant avec la main, quelque voie de cheval on de tronpeau. C'e'tait bien un gu6 tr~s-encaiss6 et dont les abords 6taient difficiles. Ayant trouv6 une pierre qni ponvait me servir de si~ge, tout-li-fait an bord du ruisseau et un peu en dehors du gu6, je renvoyai mon guide, qui ne demandait pas mieux. Pendant que je cherchais 'a prendre connaissance du terrain, ii ne cessait de me dire: " Rentrons au donar, la nuit est trop noire; nous chercherons le lion demaiu pendant le jour." N'osant se reudre au douar tout seul, il se blottit dans un massif de lentisques, 'a une cinquantaine de pas de moi. Apr~s lui avoir ordonn6 de ne pas bouger, qnoiqu'il puft entendre, je pris position sur ma pierre. Le lion rugissait toujours et se rapprochait doucement. Ayant tenn mes yeux ferm~s pendant qnelques minutes, je finis par voir, en les ouvrant, qu'a mes pieds 6tait un talus vertical cr66 sans doute par un d6bordement du ruisseau qui conlait ht plusieurs m.'tres plus has; 'a ma gauche, et au bout du canon de mon fusil, se trouvait le gu6': mon plan fut aussit6t arrkt6. S'il mn'6tait possible de voir le lion dans le lit du ruissean, je devais le tirer lit, le talus -FR-ENCH READER.15 151 me pouvant sauver si j'tais assez heureux pour le blesser gribvement. II pouvait 8tre neuf heures, quand un rugissement se fit entendre 'a cent me'tres, au-del'a du ruisseau. J'armai mon fusil, et, le coude sut le genou, la crosse 'a I'4paule, les yeux fix~s sur l'eau, que je distinguais par moments, j'attendis. Le temps commencait 'a me parailtre long, quand, de la rive oppos6e dui ruisseau et juste en face de moi, s'6chappa un soupir long, guttural, qui avait qnelqne chose du ra~le d'nn homme 'a Vagonie. Je levai mes yeux dans la direction de ce son 6trange, et j'aper~us, braqu~s sur moi comme deux charbons ardents, les yeux dn lion. La flxit6 de ce regard, qui jetait une clatt6, n'6clairant rien autour de lui, pas m~me la tote 'a laquelle il 6tait attachK fit refluer vers mon coeur tout ce que j'avais de sang dans les veines. IUne minute avant je grelottais de froid, maintenant la sueur ruisselait sur mon front.... Je venais de titer mon poignard du fourrean et de le planter dans la terre 'a pott6e de la main, quand les yenx. du lion comnmencbrent 'a descendre vets le ruissean. je fis mentalement mes adieux et la promesse de bien mounr 'a ceux. qui me sont diets, et lorsque mon doigt chencha doncement la d~tente, j'6tais momns 6mu que le lion qui allait se mettre 'a l'ean. J'entendis son premier pas dans le rnisseau, qui conrait rapide et brnyant, puis..... plus rien. S'6tait-il art~t6? Marchait-il vets moi? Voil'a ce que je me demandais en cherchant 'a percer le voile noir qui enveloppait tout autour de moi, lorsqn'il me sembla entendte, la', tout pr~s, 'a ma gauche, le bruit de son pas dams la bone. II 6tait en effet sorti dui ruissean et montait doncement la r-ampe du gu6, lorsqne le mouvement que je venais de faire le fit s'y arr~ter. 1I 6tait 'a quatre on cinq pas de moi et ponvait arriver d'nn bond. It est inutile de chercher le guidon lorsqu'on ne voit pas le canon de son fusil. Je tinai an juger, la tote haute et les yenx ouvents; an coup de fen je vis une masse 6norme, sans forme ancnne et 'a tous crins. Un nugissement 6ponvantable de'chira Fair; le lion 6tait hots de combat. Au premier cri de douleur sncc~daient des plaintes sourdes, menagantes. J'entendis I'animal se d~battre dans la boue, snr le bond dui nuisseau, puis il 152 152 FRENCH REAVIJIR. se tut. Le croyant mort, ou tout au moins hors d'tat de se tirer de lia, je rentrai au douar avec mon guide qui, ayant tout entendu, 6tait persuad6 que le lion 6tait 'a nous. Il va sans dire que je ne fermai pas l'ceil dans la nuit. A la pointe du jour, nons arriva'mes au gu6: point de lion; un os, gros comme le doigt, que nous trouva~mes au milieu du sang, que l'animal avait perdu en abondance, me fit juger qu'il avait une -6paule cass6e. Une racine 6norme avait 6t6 coup~e par la gueule du lion contre le talus du gn6 'a un demi-m~tre de 1'endroit out jk4tais assis. La douleur qu'il dut 6prouver dans ce mouvement offensif qui le renvoya en arri~re, cansa sans doute les plaintes, que ij'avais entendues, et le fit renoncer 'a une seconde attaque. Nons suiv'imes en vain ses traces par le sang; le ruisseau qu'il avait descendu nous les fit perdre ce jour-la'. Le lendemain les Arabes du pays, qui avaient des griefs contre leur h6te, persuad&s, du reste, qu'ils le trouveraient mort, vinrent me proposer de le chercher avec moi. Nous 6tions soixante~-les uns it pied, les autres it cheval. Aprbs qnelques heures de recherches inutiles, je rentrai an douar et me disposais it partir, quand j'entendis plnsieurs coups de fen et des hourrahs du c6t6 de la montagne. Il n'y avait pas it en douter; c'&tait mon lion. Je partis an galop, et ne tardai point it me convaincre que mon esp~rance ne serait pas tromp~e cette fois. Les Arabes fuyaient dans tontes les directions en criant comme des forcen~s. Que~ques-uns avaient mis le ruissean entre le lion et eux; d'autres, plus hardis parceqn'ils 6taient it cheval, l'ayant vu se trainer avec peine vers la montague, qu'il cherchait it gagner, s'6taient re'unis an nombre de dix pour l'achever (disaient-ils): le cheik les commandait. J e venais de passer le ruisseau, et j'allais descendre de cheval, Iorsque je vis les cavaliers, cheik en tote, tourner bride an galop de charge. Le lion, avec ses trois jambes, franchissait derri'ere eux, et rnieux qu'eux, les rochers et les lentisques, et poussait des rugissements qni mirent les chevaux dans un 6tat tel que les cavaliers n'en 6taient plus les mailtres. Les chevaux couraient toujours, mais le lion s'6tait arrWt dans une clairii~re fier et mena~ant. Qu-'il 6tait beau avec sa gueule b~ante, jetant it tons ceux qui 6taient ita des menaces de mort! Qu'iI 6tait beau FRENCH REA4DER. 3 1.53 avec sa crini~re noire h~riss~e, avec sa queue qui frappait ses fiancs de co1ere! IDe la place oi~t j'e'tais, il pouvait y avoir trois cents pas; je mis pied hi terre et appelai un des Arabes qui se tenaient 'a l'&cart pour prendre mon cheval. Plusieurs accoururent, et force me fut, pour ne pas e're remis sur mon cheval. et emmen6 au loin, de laisser entre leurs mains le bournous par lequel uls me tenaient. Quelques-uns essay~rent de me suivre pour me dissuader; mais a mesure que je doublais lFallure en marchant vers le lion, leur nombre diminuait. Un seul resta, c'&tait mon guide du premier jour.... Le lion avait quitt6 la clairi~re pour s'enfoncer dans un massif ~ quelques pas de la'. Marchant avec precaution, toujours, pre't 'a faire feu, j'essayai en vain d'en revoir la trace par le pied; le sol 6ta-it rocailleux et l'animal ne laissait plus de sang. Je venais de fouiller un 'aun les arbres du massif, lorsque mon guide, qui 6tait rest6 en dehors, me dit: " La mort ne veut pas de toi; tu as pass4 pre's du lion 'a le toucher; si tes yeux s'6taient rencontr6s avec les siens, tu 6tais mort avant d'avoir pu faire feu." Je lui ordonnai de jeter des pierres dans le repaire; 'a la premi~re qu'il jeta, un lentisque s'ouvrit, et le lion, apr~s avoir regards de tous co't~s, fit un bond vers moi. Ii 6tait 'a dix pas, la queue droite, la crinib're sur les yeux, le cou tendu; sa jambe cass6e, qu'il tenait en arri~re, les ongles renvers6s, lui donnait un faux air de chien 'a 1'arr~t. D~s qu'il avait paru, je m'&tais assis, cachant. derri'ere moi l'Arabe, qui me g~nait par les "Feu! feu! feu donc 1" qu'il m~lait 'a ses pri~res. A peine avais-je 6paul6 mon fusil, que le lion se rapprocha par un petit bond de quatre 'a cinq pas, qui allait probablement 8tre suivi d'un autre, lorsque, frapp6 'a un pouce an-dessus de l'ceil droit, il tomba. MonArabe rendait d6j'a graces 'a Dieu, quand le lion se retourna, se mit sur son se'ant, puis se leva debout sur ses jarrets comme un cheval qui se cabre. Une autre balle, plus heureuse, trouva le cceur et le renversa cette fois, raide mort. Jules Ge'iard. 154 '54 ~F-RENCH READER. 39. Chasses dans 7inde. Au mois de Septembre, i 86o, je tirais des grouses sur les bruy~res dorees qui bordent la belle forkt d'Invercauld, an milieu des Monts Grampians. Au mois de D~cembre un steamer de la " Peninsular and Oriental Company," me ber~ait sur les eaux limoneuses de l'ooghly, et le d6placement avait &6 si impr~vu, si promptement r~alis6, que je me demandais en me frottant les yenx si j'6tais r~ellement 'a Calcutta. Mes doutes furent lev~s d'une mani~re p~remptoire et sinistre par la vue d'un cadavre qui descendait le flenve, sa face blame expos~e an soleil, les bras 6tendns en croix et servant de perchoir 'a une demidouzaine de buses voraces. Evidemment nous e~tions arriv~s. Le soir m~me, en effet, je conchais dans une chambre qn'on avait retenue pour moi an Bengal Club, dont j'6tais, depuis un mois d6ja', membre honoraire. Le Bengal Club, qui donne sur l'esplanade, en face de la Chowringhee, est une belle et fraiche maison, close de tons cot6s. On y vit dans l'ombre et le silence. An milien de ses salons, garnis de sofas, le ba'illement d'un lecteur ennuy6, le froissement du journal qui l'ennuie, semblent des bruits tumultneux. Sans les &chos dn billard qni nous renvoyaient de temps en temps le choc de deux billes d'ivoire, et le murmure lointain du d6bat ouvert sur qnelqne carambolage 6quivoque, on efit pu se croire dans un convent de Trappistes. Aussi quand mon serviteur Allagapah, qni 6tait 'a la fois mon khansumah on intendant, mon sirdar on valet de chambre, mon khidmutgar on valet de table, mon p~on on messager, mon hookahburdar on valet de pipe, mon dhobee on blanchisseur, mon durzee on tailleur, Mon bheestee on porteur d'eau, mon bobachee on cuisinier, venait, veritable l6vite h~bren, en longue tunique blanche, les bras crois~s sur sa poitrine, s'incliner devant moi, j'attendais de ce solennel valet quelque chose comme le " Fr~re, il fant monrir!" mais non, Allagapah venait m'avertir que le diner 6tait servi, on que le capitaine Shakspeare m'attendait avec son boghey pour me mener sur l'esplanade. C'6tait bien lia le type dn Nemrod britannique, tremp6 comme une lame de Sheffield, t~tu. comme un bweuf de I'Ayrshire, nullement ami des drames fabuleux on des r6cits 'a effet, et FR, 1ENCH READER.'5 155 v~ridique, positif, pr~cis, comme STi n'6tait pas chasseur. On voudra bien se figurer, d~j'a un peu a# mais alerte, dispos, libre de tout facheux embonpoint, ce capitaine de cavalerie irr6gu~ire, p~rorant presque 'a voix basse, dans les frais salons du Bengal Club. Et ceci dit, par mani~re d'introduction je lui c~de la parole " Je ne me donne pas, sachez-le bien, pour un chasseur de tigres de la premi~re vol~e, et je proc'ede ordinairement contre eux par les vojes les plus fray6es; mais on n'a pas toujours le choix, t6moin ce qui m'arriva le 22 Aoftt, 1856, 'a Doon-Gurghur." " Que vous arriva-t-il?" demandai-Je an capitaine. CcAh bien!-vous voil'a comme tant d'autres: des exemples plut6t que des conseils, des historiettes plut~t qu'un traitd en bonne forme. Enfin-mais je serai bref. "J'6tais en tourn~e d'inspection dans le district de Raipore (province de Nagpore), et je me rendais par la voie la plus directe, de Belaspore 'a Bhundarah. Nous faisions vingt-cinq mulles 'a la journ~e, malgr6 une chaleur dont vous aurez quelque ide'e si je vous dis que, dans un ravin oiti j'6tais 'a lafffit, il m'arriva de vider 'a l'int6rieur de mes bottes, oiui mes pieds cuisaient, le pr~cieux contenu de mon 'chagul,' rempli d'une eau fraiche et pure. Or chaque goutte de cette eau valait presque une goutte de mon sang. "Du I er au 14~ Avril, voyageant ainsi, j'avais tu6 deux tigres, huit ours, dont sept en pleine croissance, cinq chevreuils ou daims de diverses especes, plus un loup, compt6 pour m~moire: total, seize totes. Mes hommes et moi, nous 6tions sur les dents. Nous avions, fait halte 'a Painderdee, quand on me vint dire qu"a vingt-cinq mulles de l'a, certaine bourgade appel6e Doon-Gurghur 6tait lit6ralement envahie par deux tigres, I'man-eaters,' qui avaient d~vor6 une partie des habitants et mis l'autre en fuite. J'6tais le lendemain soir 'a Doon-Gurghur. Le rajah, ou plutdt le zemindar, sur les terres duquel ce malheureux village 6tait situ6, avait essays quelque temps auparavant, avec ses deux 616phans et ses hommes d'armes, de chasser les deux tigres; mais il 6tait revenu. bredouille. Aussi m'offrait-il tout son attirail, bUtes et gens, comptant bien que j'6chouerais comme lui. Je crus de ma 19dignit6 de refuser. '~ Sur ma route, je rencontrai deux ' shikarees,' e'idemment envoy6s par le rajah pour surveiller mes operations. L'un 6tait j56 J56 ~F-R-ENVCH READER. perch6 sur un baobab, l'autre cach6 dans les hantes racines du n-~me arbre. Questionne' par moi, ils ni~rent qu'ils eussent jamais chass6 le tigre. Us guettaient, disaient-ils, la ' chikarah,' qui est 'a pen pres la gazelle arabe. J'examinai leurs, fusils 'a meche, dora je leurs fis compliment, et moiti6 figne, moiti6 raisin -c' est-it-dire en m~lant quelqnes flatteries 'a mes prescriptionsje les emmenai un pen malgr6 eux. " Doon-Gurghur est au bord d'un charmant petit 6tang. Les huttes jaunes, en glaise cuite au soleil, 6taient closes et semblaient d6sertes. Il en sortit pourtant, 'a grand'peine, deux hommes et un enfant. Le plus jeune des deux hommes 6tait un ' chuprassee ' on messager du rajah; le plus a~g un vigneroncabaretier, qui avait sans, donte trouv6' an fond de sa cave le courage de rester chez lui. Je distribuai dn tabac Na tout ce monde,' et fis servir un bon repas 'a mes deux shikarees, deux basses-castes, gens 6prouv~s, qui avaient confiance en moi, et en qui j'avais, confiance. " Vers denx heures, an plus chaud du jour-c'est le moment oii lon risque le momns d'8tre attaqu6 par les tigres-le duffadar (brigadier) de mon escorte, un lancier expert qni se me'lait aussi de chasse qnelqne pen, se chargea de m'aller installer un mechann an pied de la montagne voisine, et tout "a c6t6 d'nn petit mar~cage bonrbenx. Ii emmenait nn bouvillon, d'nne vingtaine de mois, destind 'a servir d'appat. Le tig~re, auquel on offrait cette victime avait pen de jours, anparavant d6vor6 le pre~tre de l'endroit. Il 6tait de taille et de force 'a prendre nn homme dans sa gueule pour l'emporter dans la montagne. Ainsi faisait-il, et jamais on n'avait retrouv6 le moindre d6bris de ses, horribles festins. "L'endroit choisi pour y 6tablir l'afffit en question n'6tait pas a plus de 400 m'etres de ma tente, et par consejnent du village. Le duffadar s'6tait arms d'nn de mes fusils 'a deux coups. Les antres avaient leurs lances. A cinq heures de I'apres-midi le duffadar reparailt fort effray6. Un des shikarees, occup6 dans le voisinage imm~diat de l'arbre 'a conper des branchages pour l'espe'ce de rideau. qni d~robe aux regards du tigre le chasseur cach6 dans le mechaun, avait subitement disparn. Persnad6 que c'e'tait Pa' un nouveau tour du man-eater, je pars avec mes deux acolytes, Mangkalee et Nnrsoo, bien d~cid6 "a retronver, sinon l'omme vivant, au momns son cadavre. J'arrive an pied de fIR ENCHI READER. 5 157 1'arbre, oit mes gens &taient fort effarouch~s, n'osant plus quitter le mechaun, o~it is s'6taient h~t~s de se mettre 'a l'abri. A les entendre, le tigre les attendait en bas. Mes yeux pourtant ne distinguaient rien dans 1'6paisseur du jungle. En revanche, les daims poussaient -le eni particulier qui trahit leur terreur 'a 1'approche du tigre. Ajoutez que la nuit arrivait 'a grands pas. Aussi affectais-je de parler tr~s-haut et de mener le plus de bruit' possible. Ce fut ainsi que je fis descendre rnes hornmes et les. ramenai an campement, sans plus de d~sastres. Quant au shikaree perdu, ii se retrouva le lendernain: le dr6le, pris de penr apr~s nous avoir suivi de son plein gre', s'e'tait enfui dans un village 'a trois ou quatre milles du n6tre. "II1 fallut pour la nuit prendre ses pr~cautions en rbgle. Boeufs, rmoutons, chevaux furent r~unis de maniR're it occuper le momns d'espace possible. Les chariots formaient autour d'eux une espece d'enceinte, et de vingt yards en vingt yards on avait allum.6 de grands feux. Je ne parle pas des sentinelles, qui se relevaient toutes les deux heures. Sur une chaise, aupr~s de mon lit de camp, mes deux carabines doubles 6taient posies, et autour du point de mire, qui dans I'obscurit6 ne se voit plus, j'avais coWI it la cire un petit fragment de l'ouate la plus blanche: petite pratique que je prends la libert6 de vous recommander en passant. Au surplus, je connaissais trop les brusques allures du man-eater pour compter qu'il me laisserait le temps de le tirer; mais en cas d'attaque, j'aurais d'abord fait feu, dans n'importe quelle direction, avec mon fusil 'a un coup, de gros calibre, et portant double charge de poudre. Une detonation un pen. forte 6tonne le tigre, qui souvent la'che alors sa proie. Si du premier elan et du premier coup il ne l'a pas tu~e, on peut la tirer d'affaire. Les cris, les sifilements des langours perch~s sur la lisi~re du bois 'a deux pas de notre camp, nous tinrent 6veill~s toute la nuit. Ce sont les babonins de l'Inde, hauts de cinq pieds 'a cinq pieds et demi. Ils habitent les montagnes, m~ls aux tigres et aux pantb~res, dont ils 6pient et d~noncent la marche avec une singi~ire tenacit6, ne les perdant jamais de vue, et les accompagnant partout, oit, sautant d'une branche 'a lFautre, uls peuvent le faire sans p~ril. Que d'animaux et d'hommes ils sauvent ainsi!1 Aussi, ne vous en d~plaise; c'est cas de conscience que de tuer un langour. ccLLaurore, que j'attendais avec anxi&6, parut enfin. J'enlevai 158 158~F-REPNCH READER. mes mires de coton, et r~veillant mes hommes, je partis sans d6lai pour l'endroit ott mone bouvillon 6tait 1i. Le kullal on cabaretier dont je vous ai parle' nous servait de guide et en meme temps de porteur d'eau. Nous n'avions pas fait deux cents pas qu'un rugissement 6pouvantable nous d6chira, les oreilles. I'Wuh hai!1' (Le voil'a!) murmurait en frissonnant le pauvre villageois. 'Voil'a notre maitre 'a tous! Et ii avait bonne envie de gagner du pays. 'Si vous fuyez,' lui dis-je, 'vous efes perdu. Passez derrie're nous!' Et je pla~ai en avant mon fid1e'l Mangkalee, dont la vue est excellente. La mienne, dans le crlpuscule, me trompe souvent. " Arriv6s 'a des rochers du haut desquels nous dominions l'afffit organis6 la veille, j'arr~tai Mangkalee, et passant devant lui, je regardai mon pauvre bouvillon, que sa peau blanche me fit reconnaitre, gisant par terre, mort en apparence. Mangkalee, malgr6 ses bons yeux, le crut comme moi, et me le dit 'a loreille. Nursoo 6tait un peu en arriore, 'a notre gauche. Soixante yards tout au plus nous siparaient de la pauvre b~te, dont nous 6piions le moindre mouvement, tout en guettant le tigre, qui ne devait pas 6tre loin. Tout-h-coup la queue du bonvillon me sembla bouger, et Nursoo, imitant du doigt le mouvement qn'elle avait fait, m'indiqua ainsi que je ne m'6tais pas tromp6. En meme temps il passa parmi nous comme un frisson 6'lectrique. Nous venions tous d'apercevoir le tigre couch6', coll6 sur sa victime, dont ses pattes 6normes pressaient le corps, et dont le cou, entr'ouvert sans doute, 6tait comprim6 entre ses machoires distendues. "Entre nous et lui, pas une tonife de gazon, pas un buisson, pas une fenille; hvingt yards en-de~ah du groupe sanglant, de notre cot6, un seul arbre, dont la branche la plus basse 6tait "a trente pieds du sol. Le terrain, vous le voyez, ne m'6tait pas des plus favorables. Je repoussai cependant Mangkalee, qui voulait rester devant moi, et me d6robant du mienx que je pus 'a laide de 1'arbre en question, j'avangai rapidement. Si une fois je suis abrit6 pas ce tronc, disais-je mentalement 'a mon ennemi, je ne te garantis pas une longue suite d'ann6es. Le tigre heureusement 6tait tout 'a son affaire. Ii ne m'entendit pas, et je pus, sans qu'il bougeit, appuyer mon fusil an tronc d'arbre qui me cachait; mais uine fois lah il fallut attendre. Les deux animaux 6taient, je l'ai dit, comme coll~s l'un 'a lautre, leurs queues dans notre direction. FPR-ENCH READER.15 Le dos du tigre abritait sa tote, et aucune de ses parties nobles ne s' offrait 'a mes balles. A -quarante yards d'ailleurs, une carabine ray6e ordinaire ne porte pas toujours juste. La force de la charge fait varier de quatre 'a six pouces la hausse du coup. Le bonheur voulut que j'eusse ce jour-l'a mon 'Wilkinson,' dont j'avais tout r~cemment 6prouv6 le tir, et qui portait de but en blanc 'a quatre-vingt-dix yards sans aucune parabole appreciable. " Enfin, apr~s une minute ou deux d'anxi&t6, le bouvillon fait un mouvement convulsif, et lance une ruade au tigre. Celui-ci 1'6treignant, l'touffant de plus belle, recourbe son dos, s'arque au-dessus de sa victime, et dans ce mouvement expose de mon c6t6 son ventre au blanc pelage.' C'est I'a que je vise, en prenant soin de ne pas brusquer la d~tente; et comme le tigre 6tait un peu inclin6 'a gauche, j'avais chance de le frapper au cceur. Figurez-vous que vous avez pour cible un joli petit ceuf, et que le prix 'a gagner est de mulle guin~es: vous aurez peut-etre quelque ide du soin que j'apportais 'a cette op~ration d6licate. "IMa balle, sans, nulle doute, alla oti je l'envoyais; mais-'a ma. tr~s-grande surprise-le tigre avec un cri de rage bondit 'a quelques pieds en l'air, et retombant, roule plusieurs fois sur luim~me dans la direction que lui imprime la pente du terrain-c'est'a-dire, vers moi; puis, comme si de rien n'6tait, il se remet sur ses pattes, et d~vale, toujours de mon c&t6, vers la montagne, dont les roches. les plus voisines n'6taient pas 'a plus de quarante yards. "IJe vous l'avouerai, mon cceur en cc moment battait un peu plus vite qu'a' son ordinaire; mais bah! pensais-je, aucune b~te, si f~roce ffit-elle, n'a vu mon dos, et ne peut dire si je suis bossu. Aussi, quittant l'arbre qui me couvrait, et jetant au tigre le m~me regard de m6pris qu'un mouton euit obtenu de moi, je le tirai au moment oit il passait devant moi, le poil hWriss6, poignardant l'air de sa moustache blanche, et dardant le feu par ses, prunelles dilate'es. Cette fois, du coup qui me restait, je lui traversai le cceur. II fit encore deux ou trois bonds de douze 'a quinze pieds chacun, apr~es quoi il alla donner de la tote sur un des rochers, parmi lesquels ii avait son antre. Sa queue 6paisse et noueuse battait encore l'air. Je pris une autre carabine, et m'larr~tant 'a quinze yards de lui-le gaillard respirait et haletait encore-je lui cassais les, reins d'une derni~re balle. Pour le coup, il 6tait bien mort. Le kullal pourtant n'osait approcher. x6o x~~o FRE9NCH REA DER. I Allons, mon vieux camarade,' lui dis-je en mlu frappant sur l'Paule, ' voila' ce que nous avons fait de votre ennemi! Et maintenant oit est la tigresse? '-' La tigresse?' r~pondait-il tout tremblant; 'je ne sais rien de la tigresse; voici bien le maitre de notre village. La tigresse se d~saltere bien loin d'ici, dans une tout autre direction.' "1Mon man-eater, que j'examinai tout 'a loisir an camp apr~s avoir pris le th6, 6tait d'une taille et d'une force extraordinaires. Ii m6snrait, 6tendu mort 'a mes pieds, une longueur de dix pieds huit pouces. Sa queue, remarquablement courte, n'avait que trois pieds trois pouces; elle 6tait d'une grosseur tout-it-fait disproportionn~e 'a sa longueur. Sa ta'te d'tait 6norme. Ses puissantes griffes 6taient presque toutes 6point6es. Les villageois acconraient de tous c6t6s pour assister au d~pe~age du terrible animal.... "cLa Panthiere est d'une intr6pidit6 qui la rend sp6cialement redoutable, et en deux ou trois occasions elle a failli m'6tre fatale. Un jour entre antres, le chameau de chasse sur lequel j'6tais mont6 avec, Mangkalee regut la charge d'une de ces h6tesses du jungle, qui le prit an con et s'y cramponna ddsesp~r6ment. Elle y eftait it labri de mes balles, et d'ailleurs notre monture 6pouvant~e se dd'menait de mani~ere 'a ne pas me laisser d'antre prloccupation que celle de me maintenir sur son dos. Mangkalee, momns tenace cavalier, fut biento't lanc6 it terre avec tout son attirail de chasse. De plus, une des cordes 'a nez qni servent de r~nes an chamean, 6tant venue 'a se briser, il fallut songer it descendre. Or, j'avais des 6perons, et l'un d'eux s'engagea dans le cuir mon de la selle, de telle sorte que, manquant mon 61an, je glissai autour du con du chameau, justement 'a la place tout-a'-l'henre encore occnp~e par la p'anth're, qn'il venait heureusement de secouer an moyen d'un effort vigonreux. Je ne sais s'il se crut attaqu6 de nouveau; mais il se remit it joner des pieds de devant, et en pen d'instants il me faussa trois c6tes. Mon rifle 6tait, dans la bagarre, alld Dieu sait ott. J'arrivai donc it terre, fort monlu. daillenrs, sans antre arme que mon sabre, bien d6cid6 'a d6couper tout ce qui me tomberait sons la main, panth~ere on chamean; mais ma bonne volont6 demeura pour cette fois inutile, et je n'ens d'autre ressource que de mu'aller faire panser. "~Encore une autre histoire. C'6tait it Simniriah, dans le district FPRENCH READER. r f6t de Chindwarrah, et le 28 D6cembre, 1858. On y faisait campagne, et la chore 6tait m6diocre. Nous sortimnes un matin du camp, moi et deux autres officiers, pour tirer quelques paons, le seul gibier qu'on nous promit aux environs. Je ne pris, point ma grosse carabine; je n'emmenai point mon shikaree, qui, ayant les pieds malades, demandait It rester au camp. Je n'emportais qu'un simple fusil de chasse, cjiarg6 It plomb, et ma petite carabine-revolver. Arriv6s It peine sur le terrain, un nilghay part devant nous. Je glisse une balle dans un de mes canons, et nous voilat bient~t 6parpilIls dans la plaine avec un shikaree de village et trois paysans. Je m'engage dans, un jungle montueux.....A la lisi~re de ce vaste fourr6, je tombe inopin6ment sur deux panth~res, dont une 6norme.....Avant que j'eusse Pu mettre pied It terre, elles rentrent dans le jungle et se mettent It gravir la colline. Je pousse mon cheval sur la hauteur. Je descends et m'embusque sur le point oii je supposais qu'elles viendraient aboutir. Mes trois batteurs regoivent, ordre de jeter des pierres dans les buissons d'alentour. Presqu'aussit~t d~bouche la plus petite des deux panth~res, la queue haute et venant It moi. Quand elle fit halte tout-It-coup, je ne voyais gu~re que son cou et son 6paule gauche; je lui envoie une balle It douze yards; elle tombe morte en apparence. Pour plus de sfiret6, je lui exp~die dans le dos ma vol~e de gros plomb. A ma grande stup6faction elle se rel~ve et descend Ia colline, donnant parfois du nez par terre. Je recharge mon arme, et ne trouvant sur moi qu'une balle, un des canons resta garni de gros plomb. Au shikaree dont j'ai parl6, et qui 6tait arms d'un pesant 6pieu, je donne l'ordre de me suivre pas It pas, et nous voilht sur les traces de la panth~re bless&e. Un des batteurs post6 de mani~re It nous dominer me fait un signe; je suis du regard la direction de son doigt, et, assise entre deux huissons, ne cherchant pas It se cacher, It douze yards tout an plus, que vois-je?.... la grosse panth~ere. Pendant que je cherchais encore Itbe ~er sattelle fond sur moi rugissante. Je lui la'che ma balle en plein corps, et an moment oii elle me sautai't dessus, j'allais lui envoyer mon plomb dans la to~te; mais elle tenait d~j't mon bras gauche et mon fusil, qui d~sormais ne pouvait plus me servir, m~me comme massue; je r~ussis en revanche It le placer en travers dans la gueule de 1'animal, dont les dents travers~rent en plus d'une place le bois de ce baillon i62 62 F-R-ENCH READEZ~ improvise', qui ne l'emp~chait pas de labourer de sa machoire sup~rieure mon bras et ma main. Les griffes de derrie're s'enfon~aient profond6ment dans ma cuisse gauche, et ce ne fut pas sa faute si je ne tombai pas 'a la renverse sous ses chocs r6p~t~s. Le shikaree, qui aurait si bien Pu me pr~server en opposant la pointe de sa lance 'a e'~lan de l'animal, s'6tait jets h, quelques pas sur ma gauche, et au lieu de piquer bravement la panthcre, il se bornait 'a la frapper de sa lance comme d'un ba~ton en criant "' tue-tote, ce qui n'avangait gubre les choses. Cependant 'a la longue elle s'e6langa sur lui, et en un clin-d'oeil lui enleva non-seulement sa lance et son turban, mais mon havresac et ma carabine-revolver. Je le vis, ainsi de'pouilh6, se sauver les bras en sang. "1La panth'ere cependant s'e'tait tranquillement accroupie 'a cinq pas devant moi, au milieu des de'pouilles du shikaree. Ma seule chance, je le savais bien, 6'tait de la tenir fascin6e sous mon regard, tandis que je m'&carterais d'elle 'a reculons. Par malheur, 'a mon premier pas en arribre, glissant sur le roc poli, je tombe dans un buisson 6pineux, les quatre fers en l'air, et parfaitement 'a la merci de l'animal que j'e'tais bien stir de n' avoir pas mis hors de combat. La Providence me vint en aide. La, panthe're, qui d'un seul bond serait tombe'e sur ma poitrine, ne tira aucun parti de ses avantages et me laissa me relever. je reculai, la regardant toujours, jusqu'a' l'endroit oii mon cheval m'attendait avec les batteurs, ai une quarantaine de pas environ. Lah, je rechargeai avec une balle, que je retrouvai par hasard, et du gros plomb, comnme la premrnire fois. " Sachant bien en quel imminent danger se trouve un homme blcss6 comme je l'~tais, je tenais 'a voir, avant de mourir, la fin de lFaffaire. Les morsures de mon bras saignaient "a bouillons, les tendons de ma main gauche C'taient d6chir~s; j'avais cinq profondes entailles de griffes dans la cuisse. Le pauvre shikaree avait aussi un bras en fort mauvais 6tat, et courait d'ailleurs un danger de plus que moi: si on ne tuait pas la panthe're, une superstition du pays le condamnait 'a pe'rir. J'obtins donc, non sans quelque peine, de l'homme qui tenait mon cheval-il 6tait arms d'un 4pieu 'a sanglier-qu'il me prkit assistance, et nous revinmes du cO~t6 de la panth~re, que nous trouv~mes toujours accroupie, mais cette fois 'a quelques pas au-del'a des de'pouilles du shikaree, Je ne distinguais pas bien sa te~e; aussi la tirai-je YPEATCH READE'R.16 j63 au d~faut de l'paule; I a seconde d'aprbs elle fondait sur moi, et ce fut sans avoir le temps de viser que je lui campai en plein mufle, je suppose, ma charge de plomb. Le valet d'6curie, au lieu de se servir de son arme, se laissa choir sur le dos. La panth~re alors saisit entre ses dents mon pied gauche et se mit 'a m'-entraliner.....Je la frappais de mon fusil vide; elle prit les canons dans sa gueule. Ce fut, 'a vrai dire, son effort supre~me. Je pu~ me relever, arracher h mon compagnon l'arme qui lui servait si peu, et des deux mains la plonger dans les flancs de la panthe're, qui cette fois y resta. "IMon premi~r soin ensuite fut de me faire enlever ma botte. Le sang ruisselait de mon pied gauche, dont.6tre~s-heureusement les muscles essentiels se trouv~rent sains et saufs, bien que les dents de la panthe're s'y fussent lit~ralement rejointes. Ensuite j'examinai cette rude ennemie. Elle mesurait huit pieds deux pouces de longueur, et je n'en rencontrai jamais d'aussi d~termin~e. J'eus d'ailleurs la consolation de penser que pas un de mes coups n'avait &6 perdu," Revue des Deux ilondes. 40. Le Massacre de la SainI-Barthe'Zemy. Le soir du 24 Aofit une compagnie de chevau-16gers entrait dans Paris par la porte Saint-Antoine. Les bottes et les habits des cavaliers tout couverts de poussiere annongaient quils venaient de faire une longue traite. Les dernie'res heures du jour expirant 6clairaient les visages basan~s de ces soldats; on y pouvait lire cette inqui~tude vague qui se fait sentir 'a l'approche d'un &v6nement que l'on ne connait point encore, mais que l'on soupgonne 8tre d'une nature funeste. La troupe se dirigea an petit pas vers un grand espace sans maisons, qui s'e'tendait atiPres de l'ancien palais des Tournelles. L'a le capitaine ordotina le faire halte, puis envoya en reconnaissance une douzaine d'hommes commandos par son cornette, et posta lui-m~me 'a lentr6e des rues voisines de8 sentinelles 'a qui ii fit allumer la mbche, comme en presence de l'ennemi. Apr~s avoir pris cette precaution extraordinaire il revint devant le front de sa compagnie..(4Sergent!" dit-il, d'une voix plus dure et plus imp~rieuse que de coutume. i64 164 ~.F.RE-NCH REAOiER. Un. vieux cavalier, dont le chapeau 6tait ornd d'un galon d'or, et qui portait une 6charpe brod6e, s'approch4 respectueusement de son chef "Tous nos cavaliers sont pourvus de meches?" "Les flasques sont-elles garnies? y a.-t-il des balles en quantit$ suffisante?" GPui, capitaine." 41Bien." Ii fit marcher au pas sa jument devant le front de sa petite troupe. Le sergent le suivait 'a la distance d'une longueur de chevad. Ii s'6tait aperqu de 1'humeur de son capitaine, et ii h6sitait 'a l'aborder. Enfin il prit courage: "1Capitaine, puis-je permettre aux cavaliers de donner 'a manger 'a leurs betes? Vous savez qu'elles n'ont pas mang6 depuis ce. matin." Non."~ "Une poign~e d'avoine? cela serait bien vite fait." "Que pas un cheval ne soit d6brid." "Cest que si l'on a besoin de les faire travailler cette nuit. *. Cpmme Von dit.....Que peut-"tre... L'officier fit un geste d'inmpatience. "IRetournez 'a votre poste," dit-il sechement; et il continua de se promener. "Tiens, voici des cavaliers qui viennent 'a nous au grand galop; Clest sans doute un ordre que lYon nous apporte." "Ils ne sont que deux, ce me semble;" et le capitaine et le cornette vont 'a leur rencontre. Deux- cavaliers se dirigeaient rapidement vers la compagnie de chevau-16gers. L'un superbement v~tu, et portant un chapeau couvert de plumes et une 6&harpe verte, montait un cheval de bataille. Son compagnon 6tait un homme gros, court, ramasse' dans sa petite taille; il 6tait v~tu d'une robe noire, et portait un grand crucifix de bois. "1On va se battre, sfir," dit le sergent; "Ivoici un aumo~nier qu'on nous envoie pour confesser les bless~s." "1II n'est gu~re agr6able de se battre sans avoir dilnt," murmura tout bas Merlin. Les deux cavaliers ralentirent l'allure de leurs chevaux, de manie're qu'en joignant le capitaine ils purent les arr~ter sans effort. IFRENCH READEgR. 6 165 "Je baise les mains de M. de Mergy," dit l'homme h l'&harpe verte. "1Reconnait-il son serviteur, Thomas de Maurevel?" Le capitaine ignorait encore le nouveau crime de Maurevel, il ne le connaissait que comme l'assassin du brave De Mouy. Ii lui repondit fort s'echement: "jje ne connais point M. de Maurevel. J e suppose que vous venez nous dire enfin pourquoi nous sommes ici." " 11 s'agit, monsieur, de sauver notre bon roi et notre sainte religion du pfril qui les menace." "Quel est donc ce p~ril?" demanda George d'un ton de m~pris. "1Les Huguenots ont conspire contre sa majest6; mais leurs complots, ont &6 d6couverts "a temps, grace 'a Dieu, et tous, les bons chr6tiens doivent se r~unir cette nuit pour les exterminer pendant leur sommeil." "Comme furent extermin~s les M6dianites par le fort G6d&or," dit l'homme en robe noire. "Quentends-je?" s'6cria Mergy, fr~missant d'horreur. "Les bourgeois sont arm~s," poursuivit Maurevel; "1les gardes frangaises et trois mule Suisses sont dans la ville. Nous avons pres de soixante mulle hommes 'a nous; 'a onze heures le signal sera donn6, et le branle commencera." "1Mis6rable coupe-jarret! Quelle infAme imposture viens-tu nous d~biter? Le roi n'ordonne point des assassinats,';. et tout au plus, il les paie." Mais en parlant ainsi George se souvint de l'trange conversation quil avait eue quelques jours auparavant avec le roi. "Pas d'emportement, M. le capitaine; si le service du roi ne r6clamait tous mes soins, je r~pondrais 'a vos injures. Ecoutezmoi; je viens de la part de sa majest, vous requ6rir de m'accomnagner avec votre troupe. Nous sommes chargds de la rue S~aint-Antoine et du quartier avoisinant. Je vous apporte une liste exacte des personnes qu'il nous faut exp~dier. Le re'v~rend p~re Malebouche va exhorter vos gens, et leur distribuer des croix blanches comme en portent tous les catholiques, afin que dans I'obscurit on ne prenne pas des fid~es pour des h~r6, tiques." "1Et je consentirais 'a pr~ter mes mains pour massacrer des gens endormis 1 " "-1Etes-vous catholique, et reconnai'ssez-vous Charles IX. pour votre roi.? Connaissez-vous la signature du mar~chal de Retz, A6 FRWENCH -READER. a qui vous devez ob6issance?" et il lui remit un papier qu'il avait asa ceinture. Mergy fit approcher un cavalier, et, 'a la ineur d'une torche de paille allum6e 'a la mbeche d'une arquebuse, il lut un ordre en bonne forme, enjoignant de par le roi au capitaine Mergy de pr~ter main-forte 'a la garde bourgeoise, et d'ob~ir 'a M. de Maurevel, pour un service que le susdit devait lui expliquer. A cet ordre 6tait jointe une liste de noms. avec ce titre: " Liste des hUr6 tiques qui doivent e'tre mis "a mort dans le quartier Saint-Antoine." La lueur de la torche qui brfilait dans la main du cavalier montrait h tous les chevau-16gers 1'6motion profonde que causait "a leur chef cet ordre qu'ils ne connaissaient pas encore. " Jamais mes cavaliers ne voudront faire le m6tier d'assas, sins," dit George, en jetant le papier au visage de Maurevel. "Braves gens," s'6cria Maurevel, en 6levant la voix et s'adressant aux chevau-16gers, " les Huguenots veulent assassiner le roi et les catholiques, il faut les pr~venir; ce soir nous irons les, tuer tons pendant qu'ils seront endormis; et le roi vous, accorde le pillage de leurs maisons!1" Un cri de joie f6roce partit de tons les rangs: Vive le roil Mort aux Huguenots!I" " Silence dans les, rangs I " s'&cria le capitaine d'une voix tonnante. " Seul ici j'ai le droit de commander 'a ces, cavalier. Camarades, ce que dit ce mis6rable ne pent 6tre vrai; et le roi l'euXt-il ordonn6, jamais mes chevau-16gers ne voudraicut tuer des gens qui ne se d~fendent pas. Les soldats garde'rent le silence. " Vive le roil! Mort aux Huguenots I"s'6ri~erent 'a la fois Maurevel et son compagnon; et les cavaliers re'p&trent un instant apres eux: " Vive le roil1" "Eh bien, capitaine, ob~irez-vous?" dit Maurevel. "Je ne suis plus capitaine!" s'ecria George; et il arracha son hausse-col et son 6charpe, insignes de sa dignit6. " Saisissez-vous de ce traitre! " s'6cria Maurevel en tirant son 6pe'e; "1tuez cc rebelle qui d6sob~it "a son roil1" Mais pas un soldat n'osa lever la main contre son chef., George fit sauter 1'6p6e des mains de Maurevel; mais au lieu de le percer de la sienne, il se contenta de le frapper du pommean an visage si violemment qu'il le fit tom'ber 'a bas de son cheval. "'Adieu, ladihes I" dit-il hi sa troupe; "1je croyais avoir des F"R.ENCH REA DER.17 i 6'7 soldats, et je vois que je n'ai que des assassins." Puis se tournant vers son cornette: "Alphonse, si vous voulez 6tre capitaine, voici une belle occasion. Mettez vous ~ la tote de ces brigands." A ces mots il piqua des deux, et s'61oigna au galop, se dirigeant vers l'int~rieur de la ville. Le cornette fit quelques pas comme pour le suivre, puis bient6t il ralentit Yallure de son cheval, le mit au pas, puis enfin ii s'arr~ta, tourna bride, et revint 'a sa compagnie, jugeant sans doute que le conseil de son capitamne, pour 6tre donn6 dans un moment de col~re, n'en 6tait pas momns bon ~ suivre. Maurevel, encore un peu 6tourdi du coup qu'il avait requ, remontait 'a cheval en blasph~mant; et le moine, 6levant son crucifix, exhortait les soldats hi ne pas faire grace 'a un seul Huguenot, mais ht noyer 1'hMr~sie dans le fiots de son sang. Les soldats avaient &6 un moment retenus par les reproches de leur capitaine, mails se voyant d~barrass~s de sa pr~sence, et ayant sous. les yeux la perspective d'un beau pillage, uls brandirent leurs sabres au-dessus de leurs totes, et jure'rent d'ex~cuter tout ce que Maurevel leur commanderait. Apr~s avoir quitt6 sa compagnie, le capitaine George courut asa maison, esp~rant y trouver son fr~re; mais il l'avait d~j'a quitt~e apr~s avoir dit aux domestiques qu'il s'absentait pour toute la nuit. George en avait conclu sans peine qu'il 6tait chez Ia comtesse, et il s'6tait empress6 de l'y chercher. Mais d~ja' le massacre avait commenc6; le tumulte, la presse des assassins, et les chafines tendues an milieu des rues l'arrktaient.a chaque pas. 11 fut forc6 de passer aupr~s dui Louvre, et c'6tait la' que le fanatisme ddployait toutes ses fureurs. Un grand nombre de Protestans habitaient ce quartier, envahi en ce moment par les bourgeois catboliques et les soldats des gardes, le fer et la fiamme 'a la main. Lai, pour me servir de l'expression 6nergique d'un 6crivain contemporain, "1le sang courait de tons c6t6s cherchant la rivi~re,"I et l'on ne pouvait traverser les rues sans courir le risque d'8tre dcras64 'a tout moment par les cadavres que l'on pr6cipitait des fen~tres. Par une pr~voyance infernale, la pinpart des bateaux qui d'ordinaire 6taient amarr6s le long dui Louvre, avaient &t6 con i68 ~ FRENCZJ' READEJR. duits sur l'autre rive; de sorte que beaucoup de fugitifs, qui couraient au bord de la Seine, esp~rant s'y embarquer et se cl~rober aux coups de leurs ennemis, se trouvaient n' avoir 'a choisir qu'entre les flots on les hallebardes, des soldats qui les poursuivaient. Cependant, 'a lune des fenkres de son palais, on voyait, dit-on, Charles IX., arm6 d'une longue arquebuse, qui giboyait aux pauvres passans. Le capitaine, enjambant des corps morts, et s'6claboussant avec du sang, poursuivait son chemin, expos6 'a. chaque pas 'a tomber victime de la m~prise d'un ruassacreur. Ii avait remarqu6 que les soldats et les bourgeois arme's portaient tous une 6charpe blanche au bras, et une croix blanche au chapeau. Il aurait Pu facilement prendre ce signe de reconnaissance; mais l'horreur que lui inspiraient les assassins s'etendait jusqu'aux marques qui leur servaient 'a se faire reconnaitre. Sur le bord de la rivi'ere pr~s du Chaftelet il s'entendit appeler. Il tourna la tote, et vit un homme arm6 jusqu'aux dents, mais qui ne paraissait pas faire usage de ses arrmes, portant d'ailleurs la croix blanche 'a son chapeau et roulant un morceau de papier entre ses doigts d'un air tout-'a-fait d6gag6. C'6tait Bhiille. Ii regardait froidement les cadavres et les hommes vivans que l'on jetait dans la Seine, par-dessus le pont an Meunier. "1Que diable fai's-tn ici, George? Est-ce un miracle, on bien est-ce la gratce qni te donne ce beau z~ele, car tu m'as l'air d'aller 'a la chasse aux Hiuguenots?" "Et to-mme, que fais-tn anLimilieu de ces misdrables?" "Moi? parbien! je regarde, c'est un spectacle. Et sais-tn le hon tour que j'ai fait? Tn connais bien le vieux Michel Cornabon, cet usurier Huguenot qni m'a tant rangonnl?" "1Tn l'as tn6, maiheureux!" "tMoi! Fi donc! Je ne me me^Ie point d'affaires de religion. Loin de le tuer, je l'ai cach6 dans ma cave, et lui m'a donn6 quittance de tout ce que je lui dois. Ainsi j'ai fait une bonne action, et j'en snis r~compens6l. Il est vrai que pour qn'il signaft plus facilement la quittance, je lui ai mis le pistolet 'a la tote, mais le diable m'emporte si je l'aurais tu6.....Tiens, regarde donc cette femme arr~t~e par ses jupons 'a une des pontres du pont. Elle tombera. -...Non, elle ne tombera pas. Peste! ceci est curienx, et me'rite qn'on le voie de plus pr~s." George le quitta, et il se disait, en se frappant la tote, "1Et .F.RENCH READER. 9 09 voil~ tin des plus honn~tes gentilshommes que je connaisse aujourd'hui dans cette ville." II entra dans la rue Saint-Josse, qui 4tait d~serte et sans lumiere; sans doute pas uin seul rfform6 ne l'abitait. Cependant, on entendit distinctement le tumulte qui partait des rues voisines. Tout-a-coup les murs blancs sont 4claire's par la lumi~re rouge des torches. II entend des cris per~ans, et il voit une femme 'a demi-nue, les cheveux ~pars, tenant un enfant dans ses bras. Elle fuyait avec tine vitesse surnaturelle. IDeux hommes la poursuivaient, s'animant l'un l'autre par des cris sauvages, conime des chasseurs qui suivent tine b~te fauve. La femme allait se jeter dans une alle'e ouverte, quand un de ses poursuivans fit feu stir elle d'une arquebuse dont il 6tait arms. Le coup 1'atteignit dans le dos, et la renversa. Elle se releva aussit6t, fit un pas vers George, et retomba sur les genoux; puis, faisant un dernier effort, elle souleva son enfant vers le capitaine, comme si elle le conflait 'a sa g6n~rosit6. Elle expira sans prof6rer une parole. "Encore tine de ces chiennes d'h6r~tiquies 'a bas," s'6cria l'omme qui avait tir6 le coup d'arquebuse. "Je ne me repo.. serai que lorsque j'en aurai exp~di6 douze." "Mis6rable!" s'6cria le capitaine, et il lui lUcha "a bout portant tin coup de pistolet. La tate du sc4V~rat frappa la muraille oppos~e. Ii ouvrit les yeux d'une mani~re effrayante, et glissant sur les talons tout d'une piece, ainsi qu'une planche mial appuy6e, il tomba par terre roide mort, "Comment! tuer tin catholique!" s'6cria le compagnon du mort, qui tenait tine torche d'une main et tine 4p~e sanglante de l'autre. "1Qui donc 8tes-vous? Par la messe! mais vous 8tes des chevati-l6gers du roi. Mordieti! il y a m6prise, mon officier." Le capitaine prit 'a sa ceinture son second pistolet, et l'arma. Ce mouvement et le 16ger bruit du ressort furent parfaitement compris. Le massacreur jeta sa torche, et prit la fuite 'a toutes jambes. George ne daigna pas tirer stir lui. Ii se baissa, examina la femme 6tendue par terre, et reconnut qu'elle 6tait morte. La balle l'avait per96e de part en part; son enfant, les bras pass~s autour de son coti, criait et pleurait; il dtait couvert de sang, mais par miracle il n'avait pas 6t6 bless6. Le capitaine 17Q I ~~'FRENCH READER. e-qt quelque peine 'a l'arracher 'a sa mere, qu'il serrait de toute sa force, puis il l'enveloppa dam~s son manteau. Et, rendu prudent par la rencontre qu'il venait de faire, il ramassa le chapeau du mort, en 6ta la croix blanche, et la mit sur le sien. Dte la sorte il parvint, sans 6tre arr&t6, jusqu'a' la maison de la comtesse. Les deux fr'eres tombe'rent dans les bras l'un de l'autre, et pendant quelque temps se tinrent 6troitement embrass~s sans pouvoir parler. Enfin le capitaine rendit compte en peu de mots de 1k6tat oit se trouvait la yulle. Bernard maudissait le roi, les Guises, et les pr~tres; il voulait sortir et chercher 'a se r~unir ases fr~res s'ils essayaient quelque part de r6sister 'a leurs ennemis. La comtesse pleurait ct le retenait, et l'enfant criait et demandait sa m'ere. Apr~s beaucoup de temps perdu ~ crier, g6mir, et pleurer, il fallut enfin prendre un parti, Quant Lt l'enfant, l'6'cuyer de la comtesse se chargea de lui trouver une nourrice. Pour Mergy, il ne pouvait fuir dans ce moment. D'ailleurs, ohi se rendreI? et savait-on si le massacre ne s'6tendait pas d'un bout Lh lautre de Ja France? Des corps-de-garde nombreux occupaient les ponts par lesquels les r6form.6s auraient Pu passer dans le faudbourg Saint-Germain, d'oii uls pouvaient plus facilement s'6chapper de la yulle, et gagner les provinces du midi, de tout temps affectionn~es h leur cause. D'un autre cotW, il paraissait peu probable, et me~me imprudent, d'implorer la piti6 du monarque dans un moment oci, 6chauff6 par le carnage, il ne pensait qu'a faire de nouvelles victimes. La maison de la comtesse, a cause de sa reputation de d6votion, n'6tait pas exposde 'a des recherches s~rieuses de la part des meurtriers, et Diane croyait 8tre suire de ses gens. Ainsi Mergy ne pouvait nul part trouver une retraite ott il courutt momns de risques. II fq~t resolu quTi s'y tiendrait cach6 en attendant 1\6v~nement. Le jour, au lieu de faire cesser les massacres, sembla plut6t les accro'itre et les r~gulariser. IL n'y eut catholique qui, sous peine d'8tre accus6 d'h6r~sie, ne prit la croix blanche, et ne s'armat, ou ne d6nonqat les JHuguenots qui vivaient encore. Cependant le roi, renferm6 dans son palais, 6tait inaccessible pour tous autres que les, chefs des massacreurs. La populace, attirde par l'espoir du pillage, s'6tait jointe 'a la garde bourgeoise et aux soldats, et les pr~dicateurs exhortaient dans les 6glises at redoubler de cruaut~s. "Ecrasons, en une fois," disaient-ils, FRENCH READER,?X7 "toutes les to'tes de l'hydre, et mettons fin pour toujours aux guerres civiles." Et pour persuader h ce peuple avide de sang et de miracles que le ciel approuvait ses fureurs, et qu'il avait voulu les encourager par un prodige 6clatant: "1Allez au cimeti~re des Innocens," criaient-ils, " allez voir cette aub~pine qui vient de refleurir, comme-rajeunie et fortifi6e pour e'tre arros~e d'un. sang h~r~tique.U Des processions nombreuses de massacreurs en armes allaient en grande c~r~monie adorer la sainte e~pine, et sortaient du ucimeti~re anim~s d'un nouveau A~le pour d~couvrir et mettre 'a mort ceux que le ciel condaranait ainsi manifestement. Un mot de Catherine 6tait dans toutes les bouches;- on se r~p~tait en 6gorgeant les enfans et les femmes, " Che pieth lor ser crudele, che crudeMlto r ser pietoso" (aujourd'hui il y a de l'humanit6 'a 8tre cruel, de la cruaut6 'a 6tre humain). Chose &trange! Parmi tous ces Protestans, il y en avait peu qui n'eussentfait la guerre,et n'eussent assist~ i, des batailles acharn~es, oih'ius avaient essays, souvent avec succe's, de babancer l'avantage du nombre par la valeur; et pourtant, durant cette tuerie, deux seulement oppos~rent quelque resistance 'a leurs assassins, et de ces deux hommes un seul avait fait la guerre. Peut-6tre l'habitude de combattre en troupe et d'une mani~re r~gulire les avait-elle priv~s de cette 6nergie individuelle qui pouvait exciter chaque Protestant 'a se d~fendre dans sa maison comme dans une forteresse. On voyait, tels que des victim~s d~vou6es, de vieux guerriers tendre leur gorge 'a des mis~rables, qui la veille auraient trembl6 devant eux. Ils prenaient leur resignation pour du courage, et pr~f~raient la gloire des martyrs 'a celle des soldats. Quand la premi~re soif de sang fut apais~e, on vit bes plus cl~mens massacreurs offrir la vie 'a leurs victimes pour prix de leur abjuration. Un bien petit nombre de Calvinistes profita de cette offre, et consentit 'a se racheter de la mort, et m~me des tourmens, par un mensonge excusable. Des femmes, des enfans, rep6taient leur symbole au milieu des 6p6es lev~es sur leur tote, et mouraient sans prof~rer une plainte. Apr~s deux jours be roi essaya d'arr~ter le carnage, mais quand on a lach6' la bride aux passions de la multitude il n'est plus possible de l'arr~ter. Non seulement les poignards ne cess~rent point de frapper, mais be monarque lui-m~me, accus6 d'une compassion impie, fut oblig6 de r~voquer ses paroles de 173 172 F-RENCH READER. cl~mence, et d'exag~rer jusqu"a sa m6chancete', qui faisait cependant un des traits principaux de son caract~re. Pendant les premiers jours qui suivirent la Saint-Barth~lemy, Mergy fut visit6 r~gu~irement dans sa retraite par son frere, qui lui apprenait chaque fois de nouveaux d6tails sur les sc~enes horribles, dont il 6tait te'moin. " Ah, quand pourrai-je quitter ce pays de meurtre et de crime?" s'6criait George. "J'aimerais mieux vivre au milieu des b~tes sauvages que de vivre parmi les Fran~ais." "1Viens avec moi 'a la Rochelle," disait Mergy; "j'esp~re que les massacreurs ne l'ont point encore. Viens mourir avec Moi, et faire oublier ton apostasie en d~fendant ce dernier boulevard de notre religion." A/eimee. 41. Con/re la Faine'an/zse. L'empereur Vespasien, 6tant malade de la maladie dont il mourut, ne laissait pas de vouloir entendre e'6tat de l'empire, et dans son lit me~me d~p~chait sans cesse plusieurs affaires de consequence; et son m~decin l'en tangarit, comme de chose nuisible 'a sa santd "11 faut," disait-il, qu'un empereur meure debout." Voil'a un beau mot, ' mon gre, et digne d'un grand prince. Adrian, l'empereur, s'en servit depuis 'a ce meme propos; et le devrait-on souvent ramentevoir aux rois, pour leur faire sentir que cette grande, charge qu'on leur donne du commandement de taut d'hommes, n'est pas une charge oisive, et qu'il n'est rien qui puisse si justement d~gou'ter un sujet de se mettre en peine et en hasard pour le service de son prince, que de le voir appoltroni cependant lui-m~me 'a des occupations Itches et vaines, et d'avoir soin de sa conservation, le voyant si nonchalant de la no~tre. Moley Moluch roi de Fez, qui vient de gagner contre Sebastian roi de Portugal cette journ~e fameuse par la mort de trois rois, et par la transmission de cette grande couronne "a celle de Castille, se trouva gribvement malade d~es lors, que les Portugais entr~rent 'a main arme'e en son 6tat, et alla toujours, depuis en empirant vers la mort, et la pr6voyant. jamais homme ne se servit de soi plus vigoureusement et bravement. Ii se trouva faible pour soutenir la pompe c6r6monieuse de 1'entr~e de son AzFRVENCH! READER. J' 173 camp, qui est, selon leur mode, pleine de magnificence, et charg~e de tout Plein d'action, et r~signa cet honneur 'a- son fre're; nmais ce fut aussi le seul office de capitaine qu'il r~signa; tous les autres n~cessaires et utiles il les fit tr~s-laborieusement et exactement, tenant son corps couch6, mais son entendement et son courage debout et ferme jusques au dernier soupir. Ii pouvait miner ses ennemis, indiscre'tement avanc6s en ses terres; et lui poisa merveilleusement qu'a faute d'un peu de vie, et pour i'avoir qui substituer 'a la conduite de cette guerre et aux affaires d'un 6tat troubl6, il eut 'a chercher la victoire sanglante et hazardeuse, en ayant une autre pure et nette entre ses mains; toutefois ii m~nagea miraculeusement la dur6e de sa maladie, 'a faire consumer son ennemi, et l'attirer loin de l'arm~e de mer et des places maritimes qu'il avait en la c~te d'Afrique, jusques an dernier jour de sa vie,' lequel par dessein il ernploya et r~serva 'a cette grande journ~e. 11 dressa sa bataille en rond, assi~geant de toutes parts l'ost des Portugais; lequel rond venant 'a courber et serrer, les emp~cha non seulement au conflit (qui fut tr'es-a'pre par la valeur de ce jeune prince assaillant), vu qu'ils avaient 'a montrer visage 'a tout sens, mais aussi les empkcha, 'a la fuite apr~s leur route, et trouvants toutes les issues saisies et closes, ils furent contraints de se rejeter 'a eux-m~mes, " coacervanturque non solum coede, sed etiam fugfl," et s'amonceler les uns sur les autres, fournissants aux vainquenrs une tr~s-meurtri'ere victoire et trbs-entie"re. Mourant, il se fit porter et tracasser oii le besoin l'appelait, et, conlant le long des files, exhortait ses capitaines et soldats, les uns apr~s les autres; mais un coin de sa bataille se laissant enfoncer, on ne le put tenir qu'il ne montaft 'a' cheval 1'6p6e au poing; il s'efforgait pour s'aller m~lr, ses gens l'arr~tant, qui par la bride, qui par sa robe, et par ses 6triers. Get effort acheva d'accabler ce pen de vie qui lui restait; on le recoucha. Lui, se ressuscitant comme en sursaut de cette pfimoison, toute autre facult lui d~faillant, pour avertir qn'on tfit sa mort, qui 6tait le plus n6cessaire conmmandemeitt qu'il efit lors 'a faire, afin de n'engendrer quelque d~sespoir aux siens par cette nouvelle, expira, tenant le doigt contre sa bouche close, signe ordinaire de faire silence. Qui ve'cut oncqnes si long temps, et si avant en la mort? qui mourut oncques si debout? Mionlazgne. 174 '74 FRL'11NCH READEA. 42. Etudes philosopkigues sur Calherilne de Afe'decir. Ii existait un homme 'a qui Catherine tenait plus qu'a' ses enfants; cet homme 6tait Cosine Ruggieri. Elle le logeait "a son ho~tel de Soissons; elle avait fait de lui son conseiller supreme, charge' de lui dire si les astres ratifiaient les avis et le bons sens de ses conseillers ordinaires. De curieux ant&&ldents justifiaient l'empire que Ruggieri conserva sur sa ma~itresse jusqu'au dernier moment. Un des plus savants hommes du seizi~me siecle fut certes le m6decin de Laurent de MWdicis, duc d'Urbin, pere de Catherine. Ce m6decin fut appel6 Ruggiero le Yieux (vecchio Ruggier et Roger I'ancien chez les auteurs frangais qui se sont occup6s d'alchimie) pour le distinguer de ses deux fils, de Laurent Ruggiero, nomm6 le Grand par les auteurs cabalistiques; et de Cosine Ruggiero, lastrologue de Catherine, 6galement nomm6 Roger par plusieurs historiens franails. Ruggiero le Vieux donc e~tait si consid~r6 dans la maison de M~dicis, que les deux ducs Cosine et Laurent furent les parrains de ses deux enfants. II dressa, de concert avec le fameux math~maticien Bazile, le the'me de nativit6 de Catherine, en sa qualit6 de math~imaticien, d'astrologue et de m~decin de la maison de M~dicis, trois qualities qui se confondaient souvent. A cette 6poque les sciences occultes se cultivaient avec une ardeur qui peut surprendre les esprits incre'dules de notre siecle si souverainement analyste. L'universelle protection accord~ee a~ ces sciences par les souverains de ce temnps e'tait d'ailleurs justifi~e par les adinirables creations des inventeurs qui partaient de la recherche du grand ceuvre pour arriver 'a des re'sultats 6tonnants. Aussi jamais les souverains ne furent-ils plus avides, de ces myst~res. Les Fugger, en qui les Lucullus modernes reconnaitront leurs mailtres, en qui les banquiers reconna'itront leurs princes, 6taient certes des calculateurs difficiles 'a surprendre; eli! bien, ces hoinmes si positifs qui pr~taient les capitaux de l'Europe aux souverains du seizie'me sikcle endett~s, aussi hien que ceux d'aujourd'hui, ces illustres hotes de CharlesQuint, commanditerent les fourneaux de Paracelse. Au commencement du seizi~ine siccle Ruggiero le Vieux fut le chef de cette universit6 secrete d'oiui sortirent les Cardan, les Nostradamus, et les Agrippa, qui tour 'a tour furent m~decins des F1nre NCH PEA PEP. 7 its Valois; enfin tous les astronomes, les'astrologues, les alchimistes qui entour'erent "' cette 6poque les princes de la chrdtient6, et qui furent plus particulierement accueillis et prot~g~s en France par Catherine de MWdicis. Dans le th~eme de nativit6 que dress'erent Bazile et Ruggieri le Vieux, les principaux &v6nements de la vie de Catherine furent pr6dits avec une exactitude d~ses-. p~rante pour ceux qui nient les sciences occultes. Cet horc* scope annoncait les maiheurs qui pendant le si~ge de Florence signalhrent le commencement de sa vie, son maniage avec un fils de France, l'av~nement inesp&r6 de ce fils au tro~ne, la naissance de ses enfants, et leur nombre. Trois de ses fils devaient 6tre rois, chacun 'a leur tour, deux filles devaient 6tre reines, et tous devaient mourir sans post~rit6. Ce thrme se r6alisa si bien, que beaucoup d'historiens l'ont cru fait apr~es coup. Chacun sait que Nostradamus produisit, au chateau de Chaumont, oii Catherine alla lors de la conspiration de la Renaudie, une femme qui poss~dait le don de lire dans I'avenir. Or, sous le rZgne de Frangois II., quand la reine voyait ses quatre fils en bas age et bien portants, avant le maniage d'Elisabeth de Valois avec Philippe IL roi d'Espagne, avant celui de Marguerite de Valois avec Henri de Bourbon roi de Navarre, Nostradamus et son amie confirm~rent les circonstances du fameux th~me. Cette personne, douse sans doute de seconde vue, et qui appartenait 'a la grande 6cole des infatigables chercheurs du grand ceuvre, mais dont la vie secr~ete a 6chapp6 hIt 'histoire, affirma que le dernier enfant couronn6 mourrait assassins. Apr'es avoir plac6 Ia reine devant un miroir magique ohse r6fi~chissait un rouet, sur une des pointes duquel se dessina la figure de chaque enfant, la sorci~re imprimait un mouvement au rouet, et Ia reine comptait le nombre des tours qu'il faisait. Chaque tour 6tait pour chaque enfant une annie de r~gne. Henri IV. mis sur le rouet fit vingt-deux tours. Cette femme dit 'a la reine effray6e que Henri de Bourbon serait en effet roi de France et r~gnerait tout ce temps. La reine Catherine voua d&s lors au BWarnais une haine mortelle en apprenant qu'il succ~derait au dernier des Valois assassin6. Curieuse de connaitre quel serait le genre de sa mort 'a elle, il lui fut dit de se d~fier de Saint-Germain. D~s ce jour, pensant qu'elle serait renferm~e ou violent~e au chafteau de Saint-Germain, elle n'y mit jamais le pied, quoique ce chateau fut infiniment plus convenable 'a ses 176 176 FRENCH READER. desseins par sa proximite' de Paris, que tous ceux oii elle alla se r~fugier avec le roi durant les troubles. Quand elle tomba mnalade quelques jours apr'es l'assassinat du duc de Guise aux 6tats de Blois, elle demanda le nom du pr~lat qui vint l'assister. On lui dit qu'il se nommait Saint-Germain. " Je suis morte!" s'6cria-t-elle. Elle mourut le lendemain, ayant d'ailleurs accompli le nombre d'ann~es que lui accordaient tous ses horoscopes. Ce fut pour Cosine Ruggieri, son math~maticien, son astronome, son astrologue, son sorcier si l'on veut, que Catherine fit lever la colonne adoss~e 'a la Halle-au-Bb, seul d~bris qui reste de l'ho~tel de Soissons. Cosine Ruggieri poss~dait, comme les confesseurs, une myst6rieuse influence, de laquelle il se contentait comme eux. Il nourrissait d'ailleurs une ambitieuse pens~e sup~rieure 'a lambition vulgaire. Cet homme, que les romanciers d~peignent comme un bateleur, poss6dait la riche abbaye de Sainte-Mah6 en Basse-Bretagne, et avait refus6 de hautes dignit~s eccl6siastiques; l'or que les passions superstitieuses de cette 6poque lui apportaient abondamment suffisait h sa secrkte entreprise, et la main de la reine, e'tendue sur sa tate, en pr6servait le moindre cheveu de tout mal. Charles IX. se distinguait alors, plus qu'en aucune 6poque de sa vie, par une majest sombre qui ne messied pas aux rois. La grandeur de ses pens~es secr'etes se r~fl~tait sur son visage, remarquable par le teint italien qu'iI tenait de sa m~re. Cette pa'leur d'ivoire, si belle aux lumi~res, si favorable 'a l'expression de la m6lancolie, faisait rigoureusement ressortir le feu de ses yeux d'un bleu noir, qui, press&s entre des paupi'eres grasses, acque'aient ainsi la finesse ac6r~e que I'imagination exige du regard des rois, et dont la couleur favorisait la dissimulation. Les yeux de Charles IX. 6taient surtout terribles par la disposition de ses sourcils 6lev6s, en barmonie avec un front d~couvert, et qu'il pouvait hausser et baisser 'a son gre. Ii avait un nez large et long, gros du bout, un v6ritable nez de lion; de grandes oreilles, des cheveux d'un blond ardent, une bouche quasisaignante comme celle des poitrinaires, dont la levre sup~rieure 6tait mince, ironique, et l'inf6rieure assez forte, pour faire supposer les plus belles qualit~s de eceur. Les rides imprim~es sur ce front, dont la jeunesse avait <t6 d~truite par d'effroyables soucis, inspiraient un violent int~r~t; les remords caus6s par Iinutility de la Saint-Barthelemy, mesure qui lui fut astucieuse .Zq'R"ENCH REA DER.'7 177 Ment arrach~e, en avait caus4 plus d'une; mais il y en avait deux autres dans son visage qui etissent &6 bien 6loqtientes pour tin savant 'a qui un g~nie sp~cial aurait permis de deviner les 616ments de la physiologie moderne. Ces deux rides produisaient un vigoureux sillon allant de chaqite pomnmette at chaque coin de la bouche, et accusaient les efforts int~rieurs d'une organisation fatigu~e de fournir aux travatix de la pens&~ et auxc violents plaisirs du corps. Si Catherine avait sti l'effet de ses intrigues stir son ills, peut-6tre aurait-elle recu16? Quel aifreux spectacle!1 Ce roi si vigouretix 6tait devenu. de'bile, cet esprit si fortement tremp6 se trouvait plein de doutes; cet homme, en qui r6sidait I'atitorit, se sentait sans appui; ce caract~re ferme avait peti de confiance en lui-me'me. La valeur guerrie're s'6tait chang~e par degr~s en f~rocit6, la discr6tion en dissimulation. Ce grand bomme m~connu, perverti, tis6 sur les mulle faces de sa belle qme, roi sans pouvoir, ayant tin noble czetir et n'ayant pas tin ami, tiraiII6 par mulle desseins contraires, offrait la triste image d'un homme de vingt-qtiatre ans d~sabus6 de tout, se d~fiant de tout, d~cid6 it totit jouer, me'me sa vie. Depuis peti de temps il avait compris sa mission, son pouvoir, ses ressources, et les obstacles que sa mere apportait 'a la pacification du royatime; mais cette lumie're brillait clans tine lanterne bris6e. De Baizac: Catherine de XZJe'diczsx" 43. De /'EsrzY Chagrin. L'esprit chagrin fait que l'on n'est jamais content de personne, et qtie l'on fait aux autres mille plaintes sans fondement. Si quelqu'un fait tin festin, et qu'il se souvienne d'envoyer tin plat a tin homme de cette humeur, il ne reqoit de lui potir tout remercilment qtie le reproche d'avoir &t6 oubli6. " Je n'6tais pas digne," dit cet esprit querelleur, "1de boire de son vin, ni de manger 'a sa table." Tout lui est suspect jusques atix caresses que lui fait sa maitresse. " Je doute fort," lui dit-il, " que vous soyez sinecure, et que toutes ces demonstrations d'amiti partent du cwutr." Apr~s tine grande s~cheresse, venant 'a pleuvoir, comme il ne petit se plaindre de la pluie, ii s'en prend ati ciel de ce q~u'elle n'a pas commenc6 plus 'tot Si le hasard lui fait voir tine bourse clans son chemin, il s'incline "11 y a des gens," ajotite 178 P7ERENCH READER. t-il, qui ont du bonheur; pour moi, je n'ai jamais eu celui de trouver un tr6sor." Une autre fois ayant envie d'un esclave, il prie instamment celui a qui il appartient d'y mettre le prix; et des que celui-ci, vaincu par ses importunites, le lui a vendu, il se repent de l'avoir achet. " Ne suis-je pas tromp6?" demandet-il; " exigerait-on si peu d'une chose qui serait sans d6fauts?" A ceux qui lui font les compliments ordinaires sur la naissance d'un fils, et sur l'augmentation de sa famille: " Ajoutez," leur dit-il, pour ne rien oublier, sur ce que mon bien est diminue de la moiti6." Un homme chagrin, apris avoir eu de ses juges ce qu'il demandait, et lavoir emport6 tout d'une voix sur son adversaire, se plaint encore de celui qui a 6crit ou parl6 pour lui, de ce qu'il n'a pas touch6 les meilleurs moyens de sa cause; ou lorsque ses amis ont fait ensemble une certaine somme pour le secourir dans un besoin pressant, si quelqu'un l'en f6licite, et le convie a mieux esperer de la fortune: " Comment," lui r6pond-il, " puis-je etre sensible a la moindre joie, quand je pense que je dois rendre cet argent Ba chacun de ceux qui me l'ont pret6, et n'tre pas encore quitte envers eux de la reconnaissance de leur bienfait?" La Bruyere. 44. La Valeur. La parfaite valeur et la poltronnerie complete sont deux extr6mit6s ou l'on arrive rarement. L'espace qui est entre elles est vaste, et contient toutes les autres especes de courage. I1 n'y a pas moins de diff6rence entre elles qu'entre les visages et les humeurs. I1 y a des hommes qui s'exposent volontiers au commencement d'une action, et qui se relachent et se rebutent ais6ment par sa dur6e. I1 y en a qui sont contents quand ils ont satisfait a l'honneur du monde, et qui font fort peu de chose audela. On en voit qui ne sont pas toujours 6galement maitres de leur peur. D'autres se laissent quelquefois entrainer a des terreurs g6ndrales; d'autres vont ia la charge parcequ'ils n'osent demeurer dans leurs postes. I1 s'en trouve a qui lhabitude des moindres p6rils affermit le courage et les prepare a s'exposer i de plus grands. I1 y en a qui sont braves Ba coups d'6p6e, et qui craignent les coups de mousquet; d'autres sont assur6s aux coups de mousquet et appr6hendent de se battre a coups d'6p6e. Tou' ces courages de diff6rentes especes conviennent en ce que FRENCH READER, la nuit augmentant la crainte et cachant les, bonnes 'et les. mauvaises actions, elle donne la libert6 de se m~nager. II y a encore un autre management plus g6n~ral, car on ne voit point d'homme qui fasse tout ce qu'il serait capable de faire dans, une occasion, STi 6tait assu6 d'en revenir; de sorte qu'il est visible que la crainte de la mort 6te quelque chose de la valeur. La parfaite valeur est de faire sans t6moins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde, La Rochefoucauld. 45. Assassinat dui Cornie Bossi, Nov. 15, 1848. La faction violente qui avait d6j~t d~suni l'italie allait achever de la perdre. Elle vit un obstacle ~ ses desseins dans le ministre habile de Pie IX. Elle s'attacha 'a le rendre suspect auprbs du parti national comme un e'tranger, tandis qu~on le d~cri'ait auprbs du peuple comme un hlr~tique, et elle r6solut ensuite de se d~faire de lui. Le 15 Novembre, jour m~me oit M. Rossi devait paraitre ~ l'assemblee des d~putt~s, dans le palais de la chancellerie, fut marqu6 pour l'ex6cution du complbt. Les projets sinistres des partis ne restent j~kmaiis enti'erement myst~rieux; la timidit6 les divulgue, et l'orgueil les annonce. Ce jour fatal M. Rossi fut averti quatte fois. Une lettre anonyme le prlvint d'abord du danger; it la d6daigna. Effray~e des bruits ou des pressentiments publics, la femme d'un de ses colle'gues lui 6crivit pour lui expri'mer ses inqui~tudes et lui conseiller d'utiles precautions. Ii lui r~pondit, moiti6 en italien, moiti6 en frangais, une Iettre pleine d'une abnegation enjou~e et d'une s~curit6 reconnaissante. Avant de se transporter au palais de la chancellerie, il se rendit au Quirinal, et la, un cam6rier du pape lui renouvela les m~mes avertissements et lui lfit part des m~mes craintes. Sa fermet6 ne fut point 6branl~e, et il quitta le Saint-Pe're en le rassurant. Mais ~t sa sortie du cabinet pontifical, ii rencontre un pr~tre, qui lFattend. pour l'instruire du redoutable projet. "1Je n'ai pas le temps de vous scouter," lui dit M. Rossi; "1il faut que j'aille sur le champ an palais de la chancellerie." "Ii1 s'agi't de votre vie," ajouta le prfitre, en le retenant par le bras. " Si vous y allez, vous 6tes mort I" Frapp6 de ces avis successifs, M. Rossi s'arr~te un instant, r~fi~chit en silence, puis il continue sa marche en disant, "La cause du Pape est la cause de Dieu; Dieu m'aidera." Et ili N 2 i8o x~~ F-R-ENCH READER. se rend oit la fatalit6 de sa situation l'appelle, ott la grandeur de son courage le conduit. Arrivd sur la place du palais, que semblent prot6ger deux bataillons de ia garde civique, ii entend sortir de la foule des cris qui n'ont pas le pouvoir de l'agiter et qui le font dddaigneusement sourire. II s'avance jusque sous le p6ristyle de ia chancellerie d'un pas ferme et avec un visage calme. C'est Pt que les conjur6s l'attendaient; les uns sous in colonnade qu'il devait traverser, les autres sur les marches de l'escalier par o-h il devait monter dans la salle oh' si6geaient les ddput&s ddjat rdunis. En le voyant, les premiers se serrent autour de fiui et les seconds s' avancent 'a sa rencontre. Entourd de ses ennemis, MI. Rossi, sans se trqubler, cherche 'a se frayer un passage au milieu d'eux. C'est alors qu?nvec une horrible habilitd, et pour faciliter an meurtrier des coups plus stirs, l'un des conjurds le touche brusquement it 1'6paule, et tandis que 1'infortund M. Rossi se retourue vers lu avec toute in fiertd de son regard et l'assurance de son courage,, il tend le cou au meurtrier, qui lui enfonce un poignard dans in gorge et le frappe ntortellement. Ce crime, atiquel la garde civique assista, pour ainsi dire, sans l'emp6cher, que les deputd's apprirent sans s'emouvoir, ne resta pas seulem~ent impuni; ii fut loud. Le parti qui l'nvait fait commettre osa i'avouer, et se hMta de s'en servjr. 11 outragea de sOn nld~gresse in famille dperdue et menacde de l'6minente victime. Ii assidgen dans le Quirinal, avec une ingratitude insensde, le vdndrabie Pie TX., et il ddpouilla de son autoritd temporelle, apr~s l?avqir cQntraint it fuir de Rome, le premier pape qui se fttt montr6 rdformateur, et qui eiht fait luire sur ses peuples les nouveiles clartd's politiques. Les prospd'ritds de la violence ne sauraient 6tre durables, et il n'dftzit pas rdservd it une domination commencde, par le meurtre, poursuivie dans le ddsordre, aboutissant it in dictature, et se mettant en guerre avec le monde civilisd, de subsister longtemps. Mais en frappant M. Rossi, elle avait fait ita l'Jtalie un mai irrdparable. Elie l'avait privde d'un de ses plus glorieux enfants. Elle avait enievd it un pays qui manque d'hommes expdrimentds et habiles le grand serviteur dont l'esprit fdcond, le savoir exerced, ia forte prdvoyance, et l'incontestable ascendant pourraient eftre aujourd'hui si utiles it in conduite de ses, affaires et H'tablissement de sa libert6. Fyranfois 4. Alzwlnet: "Eloge historique de Rossi?'. FRENUH.READE2.R 46. Mort de Schililer....Rien de plus tonchant que la mort d'un grand pobte: frapp6 dans la force de I'Age et du g6nie, il conserva. jusqu'au moment supreme une s~r~nit6 victorieuse, songeant aux siens plus qu'a lui-m~me, fid~le ht toutes les amiti6s, fid~le 'a la po~sie et doux envers la mort. II y avait plusieurs arnn~s d~j'a que sa poitrine 6tait gravement atteinte; tons ses beaux drames qui se succ6d&rent si vite de Wallenstein ~ Guillaume Tell, il les avait 6crits dans les intermittences du mal qni le d~vorait. L'ann~e I1804 lui fut particulie'rement manvaise. Pendant le s~jonr qu'il fit 'a j~na an mois de juillet, nne crise terrible, amen~e par un refroidissement, fut le signal des perturbations meurtri~eres. C'6tait la p6riode supr~me de la phthisie. Cependant il luttait toujours; tant6t il poursuivait son DWmetrius, tant6t il faisait maints projets de voyage pour l'ann6e suivante. On voit par ses lettres 'a Koerner combien &tait vive sa sollicitude pour sa femme et pour tons les siens. IL se sentait n6cessaire 'a ses enfants, dont le plus jeune venait de nate il ne pouvait croire que le momentai eIfit venn de se s6parer d'eux. La vie ne lui devait-elle pas encore bien des inspirations poftiques et bien des joies de famille? Le ii Octobre il 6crivit 'a Koerner qn'il se sentait assure' de la gu~rison; h ce moment-kL m~me sa belle -sceur, Madame de Wolzogen, remarqnait avec des larmes la d~croissance visible de ses forces et l'effrayante paileur de son visage. Ce furent pendant tout l'hiver des alternatives de crises et de p6riodes plus calmes. Son D~mdtrius exigearnt une ardeur d'inspiration que lui interdisaient ses sonifrances, il s'&tait charg6 de travaux qui pouvaient occuper son esprit sans 6pniser ses forces. Au mois de Novembre il avait 6crit l'Homage des Arts pour la princesse Panlowna; il travailla pendant le mois de D~cemnbre 'a nue traduction de Ia Ph~dre de Racine, qni fut repr~sentle le 30 j anvier, i8o5. A No6, an jour de l'an, ses d'&ileurs e'taient devennes plus vives. II cherchait tonjours 'a dissimuler son 6tat aux personnes qni lui 6taient chores. Henri Voss, le fils du po~tique anteur de Louise, qni a en l'honnenr d'6tre le compagnon assidu, le garde-malade de Schiller pendant les six derniers mois deQ sa vie, nons a laiss4 4t ce snjet de bien touchants d~tails. Un 18 -) 132 1PREXCH READE.R. soir, Charlotte (imitons les &crivains de l'Allemagne qui, parlant de la femme de Schiller, la de'signent par son nom de bapte'me, comme une figure ideale que la po~sie a consacr6e), un soir, dis-.je, Charlotte veillait avec Henri Voss pres du lit du malade. Vers minuit Schiller la supplia de se retirer et d'aller prendre du repos; clle s'y refusa d'abord, mais vaincue enfin par ses instances elie sortit. A peine avait-elle ferme la porte que le malade tomba sans connaissance entre les. bras de son ami. Henri Voss 6tait accoutum6 'a liii donner tous les soins que reclamait son 6tat; d'es que Schiller fut revenu h lui, sa premi~re pens6e fut pour Charlotte. "1Voss," dit-il, 'a voix basse, " ma femrne s'est-elle aperque de quelque chose?" Ayant senti s'approcher la crise, il avait fait en sorte qu'elle ne se doutaft de rien. Pendant ce temps-P'a Goethe 6tait retenu. au lit par une maladie violente qui faillit l'emporter. Plus d'entretiens, plus de correspondance; c'6ait Pa un de leurs grands chagrins. L'amith cependant venait en aide 'a lamiti6. Henri Voss, comme un messager pieux, allait sans cesse de Schiller 'a Goethe et de Goethe 'a Schiller. Vers la fin du mois de Mars, Schiller cut quclques bonnes journ6es, et aussito't il se remit 'a son De'm~trius avec une impatiente ardeur. H6las! ce n'6taient que des &cIairs dans ime nuit qui devenait toujours plus sombre. Ii sembla se ranimer un instant aux premieres bouff6es printani~res. Avec quelle joie il quitta sa chambre de malade, accompagn6 de Charlotte et de sa bclle-soeur Caroline, pour se re'chauffer au doux soleil d'Avril! Sa premi'ere visite fut pour Goethe, qui commengait 'a se r~tablir de ses violentes secousses. Henri Voss assistait 'a l'e trevue~ et il ne pouvait y penser sans larmes, Les deux po~tes se jet~rent dans les bras l'un de l'autre, et se tinrent ainsi Iongtemps et cordialement embrass6s, avant, de se dire une seule parole. Pas un mot de ce qu'is avaient souffert; tout entiers au bonheur de se retrouver, uls 6cartaicnt les pens~es douloureuses et les pressentiments sinisteres. Schiller, heurcux de revivre, reprenait son activit6 d'autrefois. Ses travaux et ceux de ses amis occupaient de nouveau son imagination, comme 'a l'e'poque oiti il d~ployait toutes ses forces avec un juvenile enthousiasme. Ii 6crivit 'a Koerner, 'a Guillaume de Humboldt, et s'il leur parlait de sa sant6, ii les entretenait surtout des choses de l'art, de tout ce qui' 6tait la nourriture de leur intelligence. Son dernier billet it -F.RJENCIH READLFR,18 I 83 Goethe, date' du 24 Avril, est consacr6 au Neveu de Rameau, et aux curieuses notes que Goethe venait d'ajouter "a sa, traduction de Diderot. L'6criture est d'une main ferme, les caract~res sont beaux et hardis, selon l'expression de Goethe. "'Voyez!! disait Goethe plus tard, montrant comme une sainte reliqule cette page si nettement trace'e quinze jours avant la molt, "1c'6tait une, cr~ature magnifique, il nous a quitt~s dans la pIknitnde de sa force." Le lendemain, 25 Avril, il adressa 'a Koerner une lettre qui confirma, les paroles de Goethe. C'est la dernie're que Koerner ait requ de son ami. Le 28 Avril il se rendit 'a la cour, et Henri Voss, qui l'aidait 4 s'habiller, se r~jouissait de lui voir si bonne mine dans son habit de gala: il ne devait plus remettre ces Vetements de fete, et c'e'tait la derni~ere visite qu'il faisait 'a ses augustes h6tes. Le lendemain, 29, Goethe vint le voir dans la soiree: Schiller avait forms le projet d'aller an th~tre; Goethe, qui se sentait encore malade, ne put l'accompagner; les deux amnis se s~par~rent an seuil de la maison, et ne se revirent plus dans ce monde, Le ier Mai, pendant que Goethe 6tait retenu an lit par de vives souifrances, Schiller avait senti plus profond~ment les atteintes de la maladie. "1Me voilih de nouveau frapp6," dit-il ~ Henri Voss, qui l'avait vu la veille plein d'ardeur et d'espoir. Sa fille Caroline, ses fils Charles et Ernest, 6tant entre's dans sa chambre en m~me temps qu'Henri Voss, il fit 'a peine attention 'a leur pr~sence. C~dtait un grave sympto~me chez ce p~re excellent, qui aimait Lh jou~r avec ses enfants comme un 6colier joyeux. Le 6 Mai il eut plusieurs acces de d~lire. Henri Voss, ce jour m~me allant donner 'a Goethe des nouvelles de son ami, le trouva tout en larmes. Goethe 6tait d~jii informs de la situation: "Ah!" dit.-il, "1le destin est impitoyable, et l'homme est bien pen de chose." Pendant les dernib'res, nuits le malade r~vait souvent, parlait tout hant, et Von entendit plusieurs fois sur ses lbvres le nom de D~m~trius. Dans la matin6e du 8 Mai sa belle-sceur Caroline lui ayant demands' comment il se trouvait, il r~pondit: "1Toujours mieux, toujours plus calme." C'6tait le r~snm6 de son existence tout enti~re, La pens~e de l'autre vie avait dft apporter it son aime de viriles consolations... Son agonie commenga le 9 Mai;- vers trois heures cle 1apr~esminii sa respiration 6tait irr~guli~re et haletante. Madame de FR LNE1VCH REA DL'R. Woizogen 6tait 'a lextrlmit6 du lit avec le nm6decin, occup6 h richauffer les pieds du mourant, essayant de rappeler encore la vie dans ses membres glacls par le tr~pas. Charlotte, tenant la main de son~ mani, i'tait agenouillde pres du chevet, ainsi que sa fille Caroline; on avait emmcn6 la petite Emilie, a~gle de neuf mois. Lies deux fils, Charles et Ernest, sanglotaient en silence. Toute la chambre 6tait pleine de larmes et de g6missements, etouffls. Vers le coucher du soleil la respiration devint plus douce, plus faible, et bient t on n'entendit plus rien. Une menveilleuse expression de s~r6nit6 couvrit tout-ti-coup le visage de l'agonisant. Schiller semblait endormi lilme immontelle ve-nait de prendre son vol vers les cieux.' Le soir m~me le funeste message fut porti dans la maison de Goethe, mais nul n'osa le lui transmettre. Le peintre Meyer se tronvait en ce moment aupr~s du po'ete; on l'appela, ii sortit; d~es qu'il sut la nouvelle, il n'eut pas le courage de rentrer. Goethe comprit tous ces sympto~mes. "On me cache quelque chose," dit-il; "1 Schiller doit re bien malade." Pendant la nuilt on l'entendit sangloter. Le lendemain ii dit 'a sa compagne: "N' est-ce pas, Schiller 6tait bien malade hier?" Il y avait Un tel accent dans sa demande que Christian ne put retenir ses, larmes. "IL est mort?" s'6&ria-t-il. "Vons l'avez dit vous-mc'me.""1 est mort 1" Disant cela, il inclina la tete, comme fnapp6 d'un coup, et se couvrit le visage de ses deux mains. 47. (Jour d'Angle/erre en 10-4. M. de Vieilleville sljounna six jours 'a Londres, durant lesquels ii fut fort magnifiquement festoy6 des princes et milords, et principalement en un festin royal oii il dina entre le roi et le duc de Somerset. Et servirent les milords chevaliers de l'ordre de la jarretie're, portant les plats apncs le grand-maitre, les totes nues; mais, approchant de la table, ils se mettaient "'a genoux, et venait le grand-mailtre prendre le service de leurs mains, 6tant ainsi agenouill's; ce que nous trouva~mes fort 6tranges de voir si anciens chevaliers, gens de valeur et grands capitaines, des plus illustres maisons d'Angleterre faire 1'6tat que font les enfants d'honneur et les pages de la chambre devant notre roi, qui ont seulement les t~tes nues pontants le service, mais ils ER ENCII' REA DE.R. is ne s'agenouillent nullement, et en sont quittes pour une rdv~rence d'entr6e et d'issue de la salle o-i se fait le festin. Et 6tant en difflcult6 de juger de qui approchait le plus cette fa~on, on. de la tyrannie ou de 1'idolitrie, un. gentilhomme anglais qui nous 6coutait nous y satisfait fort promptement, disant en bon langage frangais qu'elle participait de toutes les deux. M. de Viejilleville n'oubliera pas de quelles sortes de passe-temps les anglais le recr6~rent, qui ne furent pas de jofites, tournois, courses de bagues; mais ils le men~erent en un parc peupl6 de dairns et de chevrenils, et lui ayant fait amener un cheval sarde fort richement en ordre, accompagn6 de quarante ou cinquante qui milords, qui gentilshommes du pays, tu~rent qninze on vingt beftes 'a course de cheval; et il y avait un extr~me plaisir de voir les Anglais courir ht toutes brides en cette chasse, 1'6p~e au poing, car s'ils eussent suivi la victoire de quelque bataille gagn&e, As n'eussent plus cri6, ni us6 des mots qui leur sont propres et ordinaires. Une autre journ~e ils lui donn~rent le plaisir du combat des dogues contre les ours et les taureaux,l'un aprbs l'autre; et sur chacnn de ces animaux ils lachaient une douzaine de dogues, 'a la fois: passe-temps assez agr~able, mais celui du taureau plus que l'autre. Qui fut cause que M. de Vieilleville, se delectant de tels combats, fit acheter des dogues en bon nombre; aussi on lui en donna, qu'iI fit passer la mer, avec un puissant taurean et bien aguerri; et fut le premier qui amena ce plaisir en France, que le roi aima infiniment et continua toute sa vie, car il n'y avait prince ni seigneur en la cour qui n'efit une demie-douzaine de dogues pour entretenir tels combats; et amenait-on des taureaux de Provence, et dura ce passe-temps depuis le commencement du Zregne de Henri jusques 'a quatre ou cinq ans dedans celui de Charles son fils; mais la continuation de nos guerres civiles le fit 6vanonir, Le jour que partit M. deVieilleville de Londres il fut accompagn6 du duc de Somerset et de l'amiral son fr~re, jusques Grenouych, qni lui firent voir environ deux cents navires arm~s en guerre, et grand nombre d'autres vaisseaux tous en bataille, 'a la tote desquels y avait quatre navires d' une immense grandeur, dont 1'un se nommait le Grand Harry, l'autre Marie-Rose, le tiers Rose-Blanche, et le quatrieme LUopard; et sur le tillac des dits vaisseaux, mariniers et soldats se pr6sentaient, mais avec un i86 ~~86 ~ F-R-ENICHS IEA DER. merveilleux silence, encore qu'il y en eut plus de six mille. Et quand se vint au congo prendre, on n'ouit jamais un si grand tonnerre de canonnades, que ceux qui commandaient Iladedans firent aussi industrieusement filer de navire en navire que pourraient faire dix mulle arquebusiers des vieilles bandes; et ce plaisir dura une heure pour le mons; qui fit bien juger 'a M. de Viefileville et ht tous les gentilshommes qui l'avaient accompagn6 en ce voyage, que le roi d'Angleterre 6tait un tr~s-puissant prince sur la mer. Vz'zc. Carloixr, Secre'/azre du ZIare'hal de Viziz'levzille. 48. -Le Soldaf Brz~anrnzjue, Le caractere du soldat britannique se rapproche sur certains points et s'61oigne sur d'autres du caract~re qu'on pr~te au soldat dans les autres pays. Je n'indiquerai que les diff~rences. L'arm&e Anglaise est foncie'rement protestante. Cette observation n'avait point 6chapp6 'a 1'esprit p~n~trant d'Olivier Goldsmith, De son temps on parlait d~ja'. d'invasion 6trang'ere. Dans ses " Lettres d'un Citoyen du Monde " il met en sc'ene trois personnages: un prisonnier pour dettes, un portefaix, et un soldat, qui causent entre eux et se communiquent les craintes que leur inspire I'arriv6e plus ou. moins probable des Frangais dans la GrandeBretagne. Le prisonnier pour dettes tremble pour la libert6, le portefaix pour les charges que les Frangais imposeront au pays, et le soldat pour la religion. Je serais tent6 de croire que cette foi dans les grandeurs de la re'forme Anglicane a 6t6 imprim~e a larm6e d'outre-mer par la forte main de Cromwell. Quoi qu'il en soit, les Fran~ais eux-me~mes, du temps du premier empire, avaient d~couvert ces armes spirituelles, et uls essay~rent, dans plus d'un cas, de les tourner contre leurs ennemis. Ii est 'a remarquer que la plupart des batailles de la Peninsule, et enfin la fameuse bataille de Waterloo, ont 6t6 livr~es le Dimanche. Connaissant le respect des Anglais pour le repos du septie'me jour, tes g~ne'raux franqais esp~raient en tirer parti dans leurs attaques. J'avoue qu'ils n'eurent pas toujours 'a se louer de leur calcul; les troupes anglaises viole'rent glorieusement, le Sabbat. Elles donne'rent ainsi raison 'a ce proverbe qui a cours dans la Grande-Bretagne: " Mieux vaut le jour, mieux vaut l'action (the better the day, the better the deed)." PPJENCH RE ADER. 8 187 J'insiste sur ce caractbre parceque si jamais, ce q't" i'i hun plaise, une guerre europ~enne se rallumait et que I'arm6e anglaise y intervint, le sentiment religieux pourrait encore bien exercer sur elle une s~rieuse influence. Le fanatisme militaire n'existant point dans la nation, il nous faut chercher ailleurs les mobiles qui 6branlent 'a un moment donn6 les forces britanniques. La gloire est un mot qui trouve assez peu d'6cho dans le cceur du soldat anglais. Parlez-lui du devoir, et il se passionnera jusqu'k 1'h6rofsme. Un ide qui le poursuit 'a travers les solitudes de l'ancien et du nouveau monde est I'Md& de la patrie absente. "1Que pensera-t-on de nous, en Angleterre?" se demandent. sur tons les champs de bataille des hommes qui ne reverront peut6tre plus le sol natal. Ce patriotisme a en quelque sorte pass6 dans le sang. Un jeune tambour anglais tombe entre les mains de l'ennerni. Pour s'assurer si l'enfant 6tait bien un prisonnier de guerre ou un espion d~guis6 en tambour, on lui ordonne de battre la retraite. "1La retraite?" s'6cria-t-il, "je ne sais pas ce que vous voulez dire. Nous ne connaissons point ce mot-l'a dans l'arm~e anglaise." Le soldat anglais est brave; mai's it y a plus d'un genre de courage. Les Anglais ont un mot 'a eux. qui n'est guere usit que dans le langage familier, et qui pourtant exprime bien la nuance d'intr~pidi6 qui distingue la race. Ce mot, d~riv6 de l'ancien Saxon, c'est le mot " pluck;" il indique I'ide d'un effort 6nergique, et s'entend aussi bien de l'hormne qui d~racine un arbre que de celui qui arrache un obstacle dans l'ordre morale. On s'en sert pour signifier le courage, mais le courage uni 'a la fermnet6, 'a l'obstination, au sang-froid, 'a une resolution croissante et qui ne c~de jamais. Les soldats anglais out d'autres ennemnis 'a combattre que les arm~es &trang~res; uls out les temp~tes, les naufrages, les climats, les d~serts; il leur faut 8tre 'a la fois braves contre les hommes et contre les choses. Tout cela est le "1pluck." Le rude mot saxon indique en outre un genre de valeur soumnis 'a la r6fiexion et au contro'le du devoir, On s'6tonnera peut-6tre qu'en parlant de la vie des camps et des casernes je n'ai'e rien dit du duel; c'est qu'il est 'a-peu-pr~s inconnun dans l'arm6e anglaise. Les armes que la GrandeBretagne remet aux mains du solclat sont pour soutenir le point d'honneur de la nation, et non pour servir des vengeances particulires. 188 i88 FRENCHJ READ~ER, Ce que la nation Anglaise admire pour le momns ht 1'egal du courage dans l'esprit militaire, c'est une certaine grandeur d'Ame et un~e sorte de d6sint~ressement qui 6l~ve l'homme au-dessus de l'amour-propr,~. Un fait l'expliquera mieux que tous les commentaires. Vers 1837, Wellington, qui sprtait un soir d'Apsley House, fut abord6 par deux gentlemen dont le visage lui 6tait inconnu. Es lui annonce'rent qu'ils, 6taient les ex6cuteurs d'un testament fait par un ami d'un tour d'esprit fort excentrique, et qui avait 1aiss6 5oo livres sterling 'a l'homme le plus brave de l'arm6e anglaise, Leur intention, ajout~rent-ils, 6tait de remettre au due un bon (check) pour toucher cette somme chez le banquier, bien convaincus qu'ils 6taient l'un et l'autre d'ex~cuter en cela les volont&s du mort. Le duc les remercia, mais, refusa le legs, donnant pour raison qu'il connaissait dans l'arm~e anglaise beaucoup, d'hommes aussi braves que lui. On le pressa du momns de se poser en arbitre, et de d~signer celui qu'il consid6rait comme le plus digne de r~pondre au vceu du testateur. Il y consentit, mais demanda quelques jours pour r~fl~chir. Apre's avoir bien cherch6, car la taiche 6tait, selon lui, plus difficile qu'iI ne l'avait cru tout d'abord, il nomnma le major-g~ne'ral Sir James Macdonnell. Ce dernier commandait en 18i- 'a Hougoumorpt une poste qui avait 6t6 la clef de la bataille de Waterloo. Les ex~cuteurs se rendirent chez Sir James Macdonnell, et aprIs lui avoir fait connaftre le choix du due, lui pr~sent~~rent l'argent. Sir James re'pondit qu'il ne discuterait. point une decision si honorable pour lui, mais qu'il connaissait un homme dont la conduite avait 6t6 pour le momns aussi m~ri — toire que la sienne dans cette journ~e; c'6tait un sergent-major des Coldstream guards, un certain Fraser. Au moment oii les, Frangais s'6taient 6lanc~s sur Hougoumont avec une telle furie que les portes de la ferme s'ouvrirent et que la position 6tait mena~e, ce sergent avait aids le g6n6ral 'a refermer, par un prodige de force et d'audace, les portes sur l'ennemi. Sir James d~clara en cons~quence qu'il recevrait les 50o livres sterling, mais, qu'il en remettrait 250 au brave sergent, avec lequel il entendait partager la recompense, comme il avait partag6 le p~ril. De tels faits sont de nature 'a appeler l'int&r& du pays sur la classe des muilitaires. Alp~honse Esgzdros, PPENCI -READER.18 I89 49. Decouver/e des Troz's Oce'ans. Qui a dedcouvert aux hommes la grande navigation? qui r&vdla la mer, en marqua les zones et les vojes? enfin, qui d~couvrit le globe? La baleine et le baleinier: tout cela bien avant Colomb et les farneux chercheurs d'or qui eurent toute la gloire, retrouvant ii grand bruit ce qu'avaient trouv6 les p~cheurs. La travers6e de l'Oce'an, que l'on c~lh'bra tant au xv~ sikle, S'etait fait souvent par le passage 6troit d'Islande en Gro~nland, et me'me par le large, car les Basques allaient 'a Terre-Neuve. Le moindre danger 6tait la travers&e pour des gens qui cherchaient au bout dui monde ce supreme danger, le duel avec la baleine. S'en aller dans les niers du Nord, se prendre corps 'a corps avec la montagne vivante, en pleine nuit, et on peut dire en plein naufrage, le pied sur elle et le gouffre dessous, ceux qui faisaient cela &taient assez tremp6s de coeur pour prendre en grande 'insouciance les 6v~nements ordinaires de la mrer. Noble guerre, grande 6cole de courage, cette p~che n'&tait pas comme aujourd'hui un carnage facile qui se fait pnudemment de loin avec une machine: on frappait de la main, on risquait vie pour vie. On tuait peu de baleines, mais on gagnait infiniment en habilet4 maritime, en patience, en sagacit6, en intrepidit6. On rapportait momns d'huile et plus de gloire. On doit beaucoup 'a la baleine: sans elles, les p&beurs se seraient tenus 'a la c6te, car presque tout poisson est riverain; c'est elle qui les 6mancipa, et les mena partout. Els allierent, entrain~s, an large, et, de proche en proche, si loin, qu'en suivant toujours ils se trouvierent avoir pass6, at leur insu, d'un monde 'a l'autre. Le Groenland ne les s~duisit pas; ce n'est pas la terre qu'ils cherchaient, mais la men seulement et les routes de la baleine. L'Oc~an est son glite, et elle s'y prom~ne, en large surtout. Chaque espbce habite de pr~f~rence une certamne latitude, une zone d'eau plus on momns froide. Voilit ce qui traga les grandes divisions de I'Atlantique. Si l'on avait voulu, on efit fait bien plut6t les grandes d&couvertes du xve siecle. 11 fallait s'adresser aux r~deurs de la mer, mais pour des raisons diverses on s'en d6fiait. Les Portugais ne voulaient employer que des bommes it eux, et de 1'6cole" qu'ils avaient formde. IEs craignaient nos Normands, qu'ils chassaient et d~poss~daient de la c~te d'Afrique, D'autre part, les Igo 190~FIRENCH READER. rois de Castille tinrent toujours pour suspects leurs sujets les Basques, qui, par leurs privileges, 6taient comme une r~publique, et de plus passaient pour des teotes dangereuses, indomptables. C'est ce qui fit manquer 'a ces princes plus d'une entreprise. Ne parlons que d'une seule, l'invincible Armada. Philippe II, qui avait deux vieux amiraux basques, la fit commander par un Castillan. On agit contre leur avis: de Ra le grand de'sastre. Une maladie terrible avait e'clat6 au xvo sie'cle: la faimn, la soif de l'or, le besoin absolu de l'or. Peuples et rois, tons pleuraient pour l'or. Ii n'y avait plus aucun moyen d'6quilibrer les d&penses et les recettes. Fausse monnaie, cruels proce's, et gnerres atroces, on employait tout; mais point d'or. Les alchimistes en promettaient, et on allait en faire dans peu; mais il fallait attendre. La I6gende qui, au xv3 sie'le, brouillait toutes les cervelles, 6tait un r~chauff6 de la fable des Hesp~rides, un Eldorado, terre de l'or, qu'on pla~ait dans les Indes, et qn'on soupgonnait 6tre le paradis terrestre, subsistant toujours ici-bas. Ii ne s'agissait que de le trouver. On n'avait garde de le chercher au nord: voilai pourquoi on fit si peu. d'usage de la d6couverte de Terre-Neuve et du Groeinland. Au midi, au contraire, on avait d~j'a tronv6 en Afrique de la poudre d'or; cela encourageait. Les re'veurs et les 6rudits d'un sie'le p~dantesque entassaient, commentaient les textes, et la d~couverte, pen difficile d'elle-mn~me, le devenait 'a force de lectures, de r~flexions, d'ntopies chim~riques. Cette terre de l'or 6tait-elle, n'letait-elle pas le paradis? Etait-elle 'a nos antipodes, et avionsnous des antipodes?.... A ce mot, les docteurs, les robes noires, arrefaient les savans, leur rappelaient que la-dessus la doctrine de l'6glise 6tait formelle, l'h~r~sie des antipodes ayant 6te express~ment condamn~e. Voila' une grave difficul61t1 On, 6tait arrWt court. Pourquoi I'Am~rique, d~j'a d6couverte, se trouva-t-elle encore si difficile 'a d~convrir? C'est qu'on d~sirait 'a la fois et qn'on, craignait de la tronver. Le savant libraire italien Colomb 6tait bien sfir de son affaire. Ii avait &6 en Islande recneillir les traditions, et d'autre part les lBasques lui disalient tout ce qu'ils savaient de Terre-Neuve. Un Galicien y avait &d jet6 et y avait habit6. Ni Basques, ni Normands n'auraient pu, en leur propre nom, se faire autoriser par la Castille. Ii fallut un Italien babile et 6loquent, un G~nois YIRIEACH READER. f r9f obstind, qui poursuivit quinze ans, la chose, qui trouv~t le moment unique, saisit l'occasiQn, sfit lever le scrupule. Le moment fut celui oii la ruine des Maures coiftta si cher 'a la Castille, oii l'on criait de plus en plus: "1De l'or!" Le moment fut celui oii l'Espagne victorieuse fr~missait de sa guerre de croisade et d'inquisition. L'Italien saisit ce levier, fuat plus d~vot que les d~vots; il agit par 1'6gli~e m~me: on fit scrupule 'a Isabelle de laisser tant de nations paYennes dans les ombres de la mort. On lui d~montra clairement que d~couvrir la terre de 1'or, c'&tait se mettre 'a m~me d'exterminer le Turc et de reprendre j6rusalem. Mais la plus difficile de toutes les d~couvertes 6tait l'entreprise de Magellan, et de son pilote le Basque S6bastien del Cano. Est-il vrai que Magellan ait vu le Pacifique marqu6 d'avance sur un globe par l'Allemand Behaim? Non; ce globe qu'on a ne le montre pas. Aurait-il vu chez son mailtre, le roi de Portugal, une carte qui l'indiquait? On l'a dit, non prouY6. II est bien plus probable que les aventuriers qui d6j'a, depuis une vingtaine d'ann~es, couraient le continent Americatin, avaient, de leurs, yeux, vu le Pacifique. Ce bruit qui circulait s'accordait 'a merveille avec l'id&e (que donna le calcul) d'un tel contrepoids, n~cessaire 'a l'hmisph'ere que nous babitons et 'a l'quilibre du globe. Il n'y a pas de vie plus terrible que celle de Magellan; combats, navigations lointaines, fuites et proce's, naufrages, assassinat manqu6, enfin la mort chez les barbares. Ii se bat en Afrique, il se bat dans les Indes; il se marie chez les Malais, si braves et si f~roces. Lui-mn~me semble avoir &6 tel. Dans son long s~jour en Asie,, ii recueille toutes les lumi~re~, prlpare sa grande exp~dition, sa tentative d'aller par I'Am~lrique aux Iles m~mes des 6pices, aux Moluques. Les prenant 'a la source, on 6tait sfir de les avoir 'a meilleur prix qu'en les tirant de 1'Occident de l'Inde. L'entreprise, dans son ide originaire, fut ainsi toute commerciale. Un rabais sur le poivre fut l'inspiration primitive du voyage le plus hlroYque qu'on ait fait sur cette plan~te. L'esprit de cour, l'intrigue, dominaient tout alors en Portugal. Magellan, maltrait6, passa alors en Espagne, et magnifiquement Charles-Quint lui'donna cinq vaisseaux; mais il n'osa se fier tout-'a-fait an transfuge portugais, i'l lui imposa un associ'6 castillan. Magellan partit entre deux dangers,1Ia malveillance 192,FRENCIH READJER. castillane, et la vengeance portugaise, qui le cherchaieni pour l'assassiner. 1I eut biento une j6volte sur sa, flotte, et d6ploya un terrible hlro~sme, indomptale et barbare. II mit aux fers l'associ6, se fit seul chef. II fit poignarder, 6(gorger, &corcher les r~calcitrans. A travers tout cela, naufragc, et des vaisseaux perdus! Personne ne voulait plus le suivre, quand on vit 1'effrayant aspect de la poirte de l'Am6rique, la d6sol6e Ter-re de Feu. et le fun'ebre cap Forward. Cette contr~e, arrach~e du continent par de violentes convulsions, par la furieuse Ebullitiori de mule volcans, semble une tourmente de granit. Boursouffl~e, crevass~e par un refroidissement subit, elle fait horreur. Ce sont des pics aigus, des clochers excentriques, d'affreuses et noires mamelles, des dents atroces, 'a trois pointes, et toute cette masse de lave, de basalte, de fontes de feu, est cojiffe de neige lugubre. Tons, en avaient assez. IL dit: " Plus loin!" II 1 chercha, il tourna, il se d~me~la de, cent iles, entra dans, une mer sans bornes, ce jour-l1hpacifique, et qui en a gard6 le nom. Ii p~rit dans Ies Philippines, quatre va seaux p6rirent: le seul qui resta, la Vic'ai~e lta fin n'eut plus que treize hommes; mais il avait son grand pilote, l'intr~pide et L'indestructible, le Basque S6bastien del Cano, qui revint seul ainsi (1 52i), ayai4 le premier fait le tour du moi~zde. Rien de plus grand. Le globe 6tait sAT dt~sormais de sa sph&ricit6. Cette merveille physique de L'eau, uniform~ment 6tendue sur une boule oi elle adh~re sans, s'6arter, ce miracle 6tai1t. d~montr6; le Pacifique enfin 6tait connui, le grand et myst~rieux. laboratoire oii, loin de nos yeux, la nature travaille, profond~menik la vie, nous 6labore des mondes, des continens nouveaux!1-... R~ve'1ation d'immense port~e, non mate'rielle seulement, mais morale, qui centuplait L'audace de l'homme et le lan~ait dans un autre voyage, sur le libre oc~an des sciences, dans l'effort (te'm6 raire, f~cond) dle faire le tour de l'infini! 1ichdelet. 5o. Dinuer Aus/ralien. Pendant trois mortelles heures nous entendimes, la monte derri~re nous; le pas de nos chevaux s'6touffait sur le sable fnond6 par l'averse, de sorte que nous, pouvions, pr~ter L'oreille tout en courant. Nous avions sur nos talons une douzaine de FRTA"ENCH READER.19 1193 soldats de la police blanche et tout un essaim, de noirs. L'orage, loin de dimninuer, allait en augmentant, et parfois, hi la lue'ur de ces gigantesques 6clairs des cieux voisins, du tropique, l'horizon tout, entier sautait 'a nos yeux. Nous allions droit ht louest pour sortir des fourr&s bas qui g~naient notre marche et gagner les futaies de gommiers. En l'absence des 6toiles, nous 6tions guid6s seulement par le vent, qui au moment de notre d~part soufflait plein sud; nous le gardions sur notre joue gauche, expos6s ainsi 'a revenir, sur nos pas peut-6tre, pour peu qu'il arrivat un changement de courant dans l'air. Nous n'avions pas encore 6chang6 une parole; nous sentions nos chevaux solides et ardents entre nos jambes; nous, avions la certitude de gagner du terrain, lentement mais sarement. Au bout des trois premieres heures nous atteignImes ufl espace compibtement d~couvert, et l'ouragan perga une trou~e parmi les nuages. Nous pfimes voir un instant le firmament, et cela suffit pour no-us confirtuer dans notre route. Nos bons chevaux prirent d'eux-mtmes le galop de course sur ce terrain favorable, et quand nous nous arr~tarmes, apre's avoir soutenu cette allure pendant trois quarts d'heure environ, tout 6tait silence autour de nous. Nous flimes halte. La pinie avait cesse'. Nos chevaux burent l'eau des mares et brout~rent l'herbe mouille. Percy me demnanda: " Est-ce que vous avez aussi des raisons de fuir?" Sur ma r~ponse n~gative, il m'engagea chaudement 'a retourner 'a Newcastle pendant qu'il en 6tait temps encore. * Nous recharge~mes nos pistolets chemin faisant, et chemin fai'sant aussi nous soupames, car il y avait des provisions dans les valises. Nos chevaux, remis 'a une allure mod~r~e, ne commenc~rent 'a donner signe de fatigue qu'au. petit jour. Le cr6 -puscule nous montrait justemnent des cultures ou du momns des essais de culture sur les rives d'un petit 6tang oii se miraient d'assez vastes constructions. C'6tait une station de squatter ou colon s6dentaire. Je fis sauter d'un coup de pied le p~ne hors de la serrure de l'curie, et en pr6sence du palefrenier 6pouvant6, j'op6rai un troc entre nos deux vaillantes b~tes et les deux mneilleurs chevaux du squatter. Le squatter y gagna moiti6, mais nous e-fimes des montures fraiches et nous fimes plus de quinze lieues ce jour-l1t. 194 194 ~.F-RENCH READE.R. Pendant huit jours, reprit le jeune comte, nous allames 'a l'ouest en directe ligne. Nous ne rencontrions pas tons les soirs une station pour y prendre nos relais; mais Percy avait d~sormais foi dans son 6toile. En effet., le hasard nons semblait guider par les mains; s'il y avait une maison dans ces solitudes, nous y arrivions tout droit, et le maitre nons disait, " Qui vous a enseign6 la route?" Le neuvi~me jour nous trouv~mes chez un squatter du Rhode Stream, 'a qnatre-vingts lienes de Newcastle, un journal de Sydney, qni promettait cent guin6es pour la tote de Percy. Cela nous 6tonna. Qni donc avait pu faire plus grande diligence que nous? Le Rhode Stream est un petit affluent de la rivie're Macquarie. Notre squatter nous dit que le journal avait 6t6 apporte" par nn tribu de noirs errants qui avaient ensuite descendu la Macqnarie. Nous primes notre repas 'a sa table, et nous acceptames son hospitality pour la nuit, afin de laisser aux noirs le temps de s'61oigner. Nous 6changea~mes nos chevaux contre les deux meilleurs de son 6curie, moyennant dix guin~es de retour, et nous part'imes. Nous, avions 'a choisir entre deux voies: conper I'Australie dans tonte sa largeur, du sud-est au nord-onest, pour gagner le port Keats en traversant les terres inconnues; ou rabattre vers le sud en 6vitant la ville de Bathurst, traverser la rivie're Macquarie et atteindre le Lachlan, qui devait nous mettre dans la rivie're Muiray et nous conduire 'a AdelaYde. Nous nous arrtimes it ce dernier parti, et nous commcn~;imes notre voyage avec nos valises compl~tement ravitailhles, le cceur 16ger, la chanson aux le'vres. Nons pensions que la tribu errante devait 8tre loin dt~ja' derrie're nous. D~s ce premier jour, cependant, nous vimes an loin dans le "1bush," des colonnes de fum~e, blanches sur le ciel plomb6. Nous poussaimes nos montures; ces trihus vont 'a pied; nons devions les gagner de vitesse. Il en fut ainsi en effet: nous traversa'mes la Macquarie 'a quinze on. vingt lienes de Bathurst sans eftre inqui~t~s, et nous ne v~imes pas l'ombre d'nn noir; mais tous les matins 'a notre reveil, nous pouvions apercevoir an loin derrie're nous cette fum.6e qui semblait nous poursnivre. Ii devenait 6vident pour nons que les noirs &taient snr notre piste. Nous avions nos pistolets et des munitions en abondance. Tant ue~ nos chevaux pouvaient nous porter, la bat~aille 6tait FREN'MACH. REA DER.'9 19.1 D soutenable et la victoire possible. Mais nous devinions bien que les coquins, attendaient pr~cis6ment l'heure oii nos chevaux ne pourraient plus nous porter. Celui-ci de Percy tomba la cinqui~me jour apr~s notre d~part de la station du Rhode Stream. Nous, avions, travers6 depuis, quarante-huit heures, un espace de trente lieues, sans, rencontrer un brin d'herbe. Percy mnonta en croupe derri~re moi avec sa valise, et ma brave b~te marcia encore deux jours, sous le double fardeau. Nous l'ensablaimes quand 'a. son tour elle tomba, et nous continuames notre route charg~s, de nos valises. Nous pensions 6tre pr~s du Lachlan, ou'z d~jk bon nombre de stations s'6tablissaient. Le lendemain, vers le soir, comme nous nous, arr~tions, accabl~s de fatigue et aussi de faim 'a la lisiere d'un bouquet de pins, je me retournai par hasard et je vis, des points noirs, qui se mon. traient dans la plaine de sable. Je les montrai du doigt 'a Percy, qui me dit en Tiant " Cest notre veille d'Austerlitz I Nous nous, battrons, demain. Cherchons, un bon lit pour dormir."I 1i restait une demi-heure de jour environ. Nous savions, que nous n'lavions aucun risque ih courir pour la nuit, attendu qu'on ne peut suivre une piste apr~s le soleil couche'. Au lointain, vers le sud, nous apercevions une ligne noire qui nous annongait les gommiers et par consequent le voisinage de l'eau. Nous attendimes, la brume, et, malgr6 notre fatigue, rechargeant nos valises, nous, primes notre course vers la futaie. Deux heures apr~s nous, 6tions sons, une vofite trois fois haute com'me celle de la plus haute cath~drale. Nous. nous arret~mes an pied d'nn gommier g~ant dont le tronc lisse et brillant n'aurait pu 6tre embrass6 par six hommes. " Si nous 6tions une fois, sur la t~e de ce moftstre)" m e dit Percy, " nous pourrion ssoutenir un sifge contre tous les noirs de l'Australie! ".Je sortis de ma valise une paire de gants d'acier, munis de leurs, griffes, et une paire d'ergots avec leurs courroies., J'avais achet6 ces objets 'a Sydney d~s mon arriv66e par I'ide que j'avais de tenter une excursion 'a l'int~rieur. Je bonclai mes 6perons, d'abord, puis je me gantai; trois minutes apr~es jy'&ais 'a cheval sur la premi~re branche 'a quatre-vingt dix pieds de terre. Je laissai tomber mes engins sur le sable et Percy me rejoignit. A l'endroit oit les maitresses branches' du gommier sortaient 0 2 i96 196WFRENCH READER. du tronc, ii y avait des aisselles profondes, assez larges pour coucher un homme tout de son long en travers. Nous soupames, h~las! du reste de no0 provisions, et nous nous endormimes paisiblement sur des matelas faits de nos manteaux. Le lendemain, i notre r~veil, dans le large cercle ott l'ombrage de notre gommier 6touffait La v6g6tation, nous vimes grouiller une foule noire. Il faisait grand jour. La tribu avait suivi nos traces. Ils &taient au moins deux cents hommes, femmes et enfants. Es avaient une vingtaine de chiens pel6s, maigres, malades, mais plus hauts sur jambes que des loups, et dont l'aspect indiquait une terrible fdrocit6. Les noirs nous apergurent au moment ott nous nous penchions sur nos balcons pour les examiner avec curiositd: ils se mirent i parler tous 'a la fois et ceux qui avaient des arcs nous vis~rent; une fleche vint se nicher ia quelques pouces an-dessus de ma tote. Mais le danger n'6tait pas grand: d&s que nous le voulions, la saillie de nos branches nous protdgeait. D'ailleurs nous 6tions encore i plus de-quarante pieds du sommet de l'arbre, dont le faite nous offrait un abri assur6, Mon premier soin, en d6barquant 'a Port Jackson, avait 46 d'6tndier la langue indigene. Je comprengis parfaitement tout ce que nos noirs disaient. Ils venaient de loin; ils avaient travers6 les montagnes bicues; ii parlaient d'argent, et disaient ce mot en anglais. C'dtaient des sauvages en train de se civiliser, puisqu'ils comprenaient d6ja' quTil est bon de vendre pour une poign6e de livres sterling le sang de deux crdatures hunaines. Es se promettaient de revenir it Sydney avec nos tOtes et d'acheter pour cent livres de brandy. Ils avaient allumd leur fen et dansaient tout i l'entour, fetant par avance le brandy, qui devait nous cofger si cher. Outre les trente guerriers, la tribu se composait d'une vingtaine de vieillards, de cinquante ou spixante enfants, d'une quarantaine de femmes jeunes et viejiles, et d'une classe d'individus toute sp6ciale it l'Australie, que les Anglais appellent des "cripples" on infirmes. Des coups de hache qui retentissaient contre le tronc coupirent nos observations. Nous crttmes d'abord qu'ils essayaient d'abattre l'arbre, entreprise qui ettt demand6 plus d'une semaine, mais ils prenaient seulement de larges piices d'6corce pour former les toits de leurs tentes. Ce travail dura une heure FR.LENCH READP~R.'7 197,environ, aprbs quoi leur camp fut 6tabli. Un feu. 6tait allum6 devant chaque hungar ou. tente. L'heure du repas venait; leur cuisine commenga. Ii n'est pas au monde de contr~e o-h la terre soit plus avare de productions comestibles. A part les kangaroos, qui vont diminuant sans cesse, les chiens sauvages ou. " dingoes," les 6cureuils, les opossums, quelques especes de singes, les perroquets et de rares oiseaux d'eau., les for~ts sans fin de la Nouvelle Hollande n'ont pas de gibier: le sol ingrat, couvert partout de myrtac~es, grands, moyens, et petits, ne donne naissance h aucun l6gumne sauvage; les buissons produisent des baies qui sont dui bois, les arbres eux-m~mes, cette splendide g~n~rosit de Dieu, les arbres ont des fruits qui sont des pierres!1 Cependant notre espoir de voir nos assi~geants pris par la famine fut cnuellement trompe'. Chaque feu, r6duit 'a 1'6tat de fdyer ardent, fut couvert de larges et belles tranches de viande qui semblaient coup6es dans in animal de grande taille. Le fumet de ces grillades montait jusqu'a' nous et n'6tai't pas sans aiguullonner notre app6tit naissant. Les coquins avait d~terr6 mon cheval, et tous ces bifteks qui chantaient, fr~missants sur les charbon's, 6taient ma propri&6. 1I y avait un infirme imm~diatement au.-dessous de moi. Sa tente se composait d'une femme ~t cheveux h~riss~s et de trois enfants qui rampaient comme des 16zards autour de lui. Les bras, aff-ect~s d'enflure, 6taient gros comme des tuyaux de poole, et ses jaxbes 6tiques ressemblaient 'a deux fl~aux. II avait avec cela une belle tote r~guui'bre et un admirable torse d'athl~te. Cet homme avait pour sa part cinq morceaux de mon cheval, qu'il mangea de bon app~tit, jetant brutalement les os sa femme et ~t ses enfants qui les rongeaient pour les rejeter ensuite aux chiens maigres, dont les yeux sanglants d~voraient les foyers p~tillants sous la graisse. C'6tait ainsi dans tous les hangars. L'homme mangeait tout: il donnait le reste 'a sa. famille, qui octroyait le surplus aux b~tes. Le repas dui reste ne se composait pas seulement de viande de cheval; on y joignit le produit de Ia chasse, qui consistait en deux dingoes r~duits 'a 1'6tat de squelette, une douzaine de perroquets, un panier de petits batraciens semblables 'a nos crapauds, plusieurs jattes de vers de terre tout vivants, des couleuvres, des scorpions, et un chapelet de magnifiques araign~es. Ces dernibres friandises 6taient I98 198 ~FRENCH READER. nmangees crues, et memes vivantes, car nous puimes voir- les longs vers de terre se tordre dans les bouches, comme autant de macaronis anim~s. Les femmes n'avaient point de tout cela. Notre voisin l'infirme, gastronome de premicre force, avala voluptueusement, pour son dessert, toute une brochette de grosses chenilles veh~es. ~,a femme le regardait avec des yeux de louve, morte de faim. Apr~s le repas on dansa encore, puis, on se battit. Il y cut un combat acbarn6' surtout entre deux invalides, pour une boucbde de mon cheval. L'un d'eux, un cripple-je me souviens de ce d~tail horrible et burlesque-eut la jambe cass&e comme un ba~ton de bois sec. Le morcean. tomba, et fut aussit6t d~vor6 par les chiens affam6s. Les dr6les ne s'occupaient pas du tout de nous et semiblaient comprendre parfaitement qu'il ne s'agissait que d'attendre. Vers. deux heures a-prbs midi uls nous envoycrent une vol~e de fleches et s'a~e'n-drent les pieds an feu pour faire un somme. Percy me dit: "1J'ai faim, et je vais 'a la chasse." 11 monta. Je le suivis de branche en branche, d6sireu~x de connalitre au moins l'tendue de notre domaine. En arrivant au sommet de l'arbre, qui faisait plate-forrne au-dessus de ses voisins, car le hasard nous avait plac6 sur 'le doyen de la foreft, un spectacle inattendu s'offrit 'a nos yeux. Nous 6tions tout an plus 'a quatre cents pas du Lachlan, dont le lit, grossi par les pluies, roulait impx~ueusement ses eaux noiritres. La futaie coulait le long des bords, 6paisse d'un demi-mille tout an plus. A un mille vers le sud le Lachlan faisait un conde brusque et se perdait derriere une colline. A droite de ce coude le bois avait 6t6 6clairci de main d'homme, et Yon apercevait d'assez vastes constructions, dont les rnombreuses chemin6es fumaient. Une demi-heure de plus la veille, et nous aurions 6te' sauv~s! Pendant que je regardais c~tte demeure dont nous 6tions 'a la fois si pr~s et si loin, un coup de pistolet tir6 presque dans mon oreille faillit me faire de'gringoler du haut en bas de l'arbre. Un cri de triomphe pouss6 par Percy suivit le coup de pistolet, tandis qu'une clamour diabolique s'61evait du camp r&veill en sursaut. Percy venait de tuer an gilte, dans, le trou d'une grosse branche, un opossum de la plus grande esp~ce, qui devait peser presqu'autant qu'un livre. Le bois mort no manquait pas autour de nous. L'opossum fut d~pec6 'a l'aide de mon coutean de chasse, et l'instant d'apr~s il r6tissait devant un bon feu, FRENCH READER.19 199 allum6 dans I'aisselle d'une branche verte. C'6tait i5. notre tour de diner, ce que nous fimes d'un vaillant app~tit. Apre's quoi nous nous mimes au balcon pour fumer notre cigare. Paul Fflval. 5 i. Les Volonlaires de 1 80o3. L'invasion des iles Britanniques n'est pas non plus dans 1'istoire militaire de la France une id6e nouvelle. Ii existe 'a ce sujet dans les cartons de notre minist~re de la guerre des plans et des 6tudes qui, si je suis bien informs, remontent 'a Louis XIV. Les th6ories des hommes de guerre furent m~me soumises par deux fois 'a l'preuve de la pratique. Vers la fin du dernier si~cle les circonstances 6taient extr~mement favorables. au succbs d'une telle entreprise, et il me suffira de les rappeler en peu de mots. La guerre d'Am6rique venait de finir, non tout'a-fait "'a lhonneur des armes Anglaises. Le roi Georges IlL, penchait 'a la d~mence; l'Irlande s'agitait et menaqait de 'se s~parer du Royaume-Uni. Une publication r~cente vient de jeter une lumi~re iniattendue sur ces temps de corruption, qui ne pouvait dominer enti~rement le g6nie de William Pitt, sur les faiblesses de la cour, sur la juste impopularit6 du Prince de Galles, sur le faux syst~me strat~gique de David Dundas et de ses cr6atures, sur le triste 6tat de 1Farm~e, dont le roi s'obstinait at garder le monopole, sur L'incapacit6 des g~n6raux et des officiers, qui devaient presque tous leur i6L6vation it la faveur, sur I'indiscipline et les d~sordres des soldats, devenus pour tout le monde, excepts pour 1'ennemi, un objea d'alarme et d'6pouvante. C'est au milieu de ces causes d'affaiblissement qu'en 1 796 une flotte fran~aise, command~e par I'amiral de Galle, fit voile du port de Brest, vers les c6tes de l'Irlande, portant avec elle le g~n~ra1 Hoc'he et quinze mille hommes. De furieux coups de vent (on dtait alors en De'cembre) disperserent les vaisseaux, et une partie seulement de 1'exp6dition atteignit Bantry Bay. A l'entreprise ainsi travers~e par les col'eres du ciel et de l'oc6an, il manquait au point de rendezvous le navire sur lequel 6tait mont6 Hoche. Celui-ci, aprbs avoir lutt6 plusieurs jours contre la temp~te et le brouillard, regagna les c6tes de la France, oii il trouva le reste de la flotte, qui 6tait revenue avant lui, non sans avoir tent6 une descente en Irlande. Parmi les vaisseaux, les uns avaient manqu6 de faire 200 200~F-RENCH -READE.R. naufrage contre les ba-ncs de sable, les autres avaient couru le risque de tomber aux mains de l'ennemni. Les Irlandais, sur lesquels on comptait pour aider le d~barquement, ne s'e'taient montr&s nulle part. La tentative, quoique maiheureuse, n'avait pourtant point tellement 6chou6 qu'on ne pu~t accuscr de cet insucc'es l'intraitable caprice des 616ments, et qu'on ne garda~t des espe'ances pour l'avenir. Un fait 6tait du momns acquis: c'est que, grace peut-6tre 'a lincurie du gouvernement d'alors, une force de quinze mulle Fran~ais avait Pu sillonner les mers et atteindre les rivages d'une 'Ile britannique sans 6tre vue ni contrari~e en chemin par les croisi~res anglaises. En 1798 (deux ans apr~s) l'insurrection irlandaise avait 6clate'. S'i faut en croire lord Cornwallis, " la violence des hommes au pouvoir et le caract~ere religieux qu'ils avaient eu la folie d'imprimer 'a la guerre contre les rebelles, ajout~erent encore 'a la f~rocit6 des troupes anglaises, et rendirent plus difficile tout essai de r~conciliation." Un tel 6tat de choses 6tait bien de nature k renouveler des projets d~invasion qui de la part de la France n'avaient point 6t6 abandonn~s malgr6 le dernier 6chec. Le 2 2 AQot de la me'me annde (1798) trois fr~gates se gliss~rent sous les couleurs anglaises das la baie de Killala. Elles jet~rent l'ancre, et comrne l'ancien cheval de Troie, elles ne tard~rent point 'a accoucher d'une force arm~e. On vit descendre a terre onze cents soldats frangais, qui, commandos par le g~n~ral Humbert, s'empar~rent de Killala presque sans resistance, et 6tablirent leur quartier-g~n~ral dans le palais de l'6vque protestant, le docteur Stock. Ce dernier a laiss6 un journal intdressant de tout ce qui se passa, dans la yulle durant l'occupation des Frangais, et c'est 'a cette source que je puiserai quelques renseignements sur le caract~re d'une exp~dition si strange et trop peu. connue. II est curieux de retrouver dans ce r~cit l'tonnement naif des habitants de Killala et du bon Mvque lui-m~me 'a la vue de nos soldats de la r~publique, pailes, maigres, presque livides, mal v~tus. La moiti6 d'entre eux avaient servi en Italie, les autres 6taient les restes de I'armn~e du Rhin; tous portaient dans leur constitution alt~r~e les traces de glorieuses souffrances et de campagnes qu'avait suivies la victoire. A premirwe vue, on aurait dit que ces homrnes de petite taille, avec cet air de faiblesse, 6taient incapables de supporter les fatigues et les FR.I-EN-ZCH READER. 0 201 privations de la guerre. Leur conduite donnait pourtant le plus 'vigoureux d~menti aux apparences: ils vivaient de pain et de pommes de terre, buvaient de l'eau, faisaient leur lit des pierres cle la rue, dormaient sans autre couverture que leurs v~tements, et n'avaient pour toit que la tente du ciel. L'v&8que rend pleine justice 4 leur intelligence, 'a leur activit6, 'a leur patience invincible, 'a leur courage, qui s'associait 'a un fort sentiment de la discipline. II les pr~f~re de beaucoup 'a leurs alli6s les Irlandais. Hiumbert avait d~clar6 que ses soldats s'abstiendraient de toute violence, et qu'ils ne prendraient que ce qui 6tait strictement n~cessaire pour leur nourriture. Cette promesse fut religieusement observ~e. On eut me'me devant les yeux 1'6tonnant spectacle d'un 6v~que anglais gard6 ainsi que son petit troupeau par les envahisseurs et prot6g6 par eux contre la rapacit6 des rebelles irlandais, qui continuaient d'agiter le pays. C'~ait pourtant sur l'insurrection irlandaise que le g~n~ral Flumbert comptait appuyer son coup de main. A ce point de vue, il venait trop tard: la tote du mouvement avait &6 tout r~cemment abattue par une sanglante d~faite. La place du d~barquement &tait, d'ailleurs, mal choisie: c'6tait plus au nord qu'il eut fallu jeter cette force envahissante pour trouver une base d'op6rations dans l'tat des esprits et dans les bandes d'insurg~s qui resistaient encore. Le g6n~ral frangais avait apport6 dans son vaisseau des armes, des munitions, et des uniformes qu'il distribua aux paysans de Mayo; mais c'6tait une race simpleyet presque sauvage qui ignorait l'usage des armes 'a feu, et que le bruit du canon devait mettre en fuite 'a la premie're rencontre. RWduit 'a ses faibles ressources, Humbert n'hWsita point, et, sans regarder en arriere, il s'61anga le lendemain de son arriv~e sur Ballina. La garnison anglaise de Ballina s'enfuit it l'approche des Frangais, et Humbert, encourag6 par ce succ~s, poussa jusqu'it Castlebar. Sa petite arm~e 6tait maintenant r~duite 'a huiti cents hommes; 11 avait fallu en effet laisser deux cents soldats 'a Killala et cent it Ballina pour garder ces deux villes. Cependant le g~n~ral anglais Lake, qui avait requ la nouvelle du d~barquement et de la marche des Fran~ais, les attendait pr~s de Castlebar avec au momns dix-huit cents hommes d'infanterie et de cavalerie, dix pieces de canon, et un obusier. L'action s'engagea au lever du soleil. La position des Fran~ais 6tait extr~mement critique:ils allaient combattre un ennemi tr~s-sup~rieur en 202 202 ~~.F RVENCH REA.4DER. nombre, et, dans le cas de d~faite, la retraite sur Killala et sur Ballina se trouvait d6j'a coup~e par deux corps d'arm~e, celui de Sir Thomas Chapman et celui du g~n~ral Taylor. Humbert pourtant ne craignit point d'entamer l'attaque-l'une des plus audacieuses et des plus d~sesp~r~es que jamais ait enregistr~es l'histoire. Les Fran~ais rest~rent maitres du champ de bataille; toute l'artillerie de Lake tomba entre leurs mains, et les troupes anglaises se r6tire'rent dans la plus grande confusion. Lord Cornwallis, ayant appris le mouvement d'invasion et la d~faite des Anglais 'a Castlebar, r~solut de marcher en personne contre l'ennemi, at la tate de toutes les troupes qu'il pourrait rassembler. Aussi Humbert, qui avan~ait toujours, essuyant ~ia et lIt diverses escarmouches oiX iA remportait constamment l'avantage, se trouva-t-il, le 8 Septembre, 1798, dans les plaines de Ballynamuck, envelopp6 par 25,000 hommes. Avec un sang-froid extraordinaire, il forma sa petite arm6e en ordre de batai'lle. Son arrie~re-garde, attaqu~e par les, forces de Crawford, se rendit; mais le reste des Frangais se d6fendit pendant une demi-heure et chercha me'me it faire des prisonniers; enfin, 6cras~s'par le nombre, accabl~s, non vaincus, les soldats de la r~publique d~pos~rent les armes. IEs avaient perdu environ 200 hommes depuis leur arriv6e en Irlande. Cette hasardeuse entreprise, dont le succ'es n' avait &6 interrompu que par de circonstances d~favorables et par d'imposantes forces militaires lentement re'unies, jeta une sorte de consternation dans le pays. On se demanda ce que I'Angleterre n'avait point it craindre de son gouvernement et de son arm~e, si une poign6e d'envahisseurs avait pu mettre en de'route des troupes d'61ite, prendre diff~rentes villes, s'avancer it plus de cent-vingt milles Anglais dans l'int~rieur du pays, et se maintenir dix-sept jours, les armes it la main, dans un royaume qui comptait alors, plus de i50,000 soldats. La nation anglaise n'avait, d'ailleurs, pas attendu cet e'v6nement pour aviser elle-meme aux moyens de d~fense. De~s 1777, apre's Ia reddition de Bourgoyne it Saratoga, une grande agitation s'6tait repandue dans le pays, qui avait propos6 de venir en aide it la couronne en lui fournissant des troupes. Manchester et Liverpool avaient d&s-lors form6 chacun un regiment de mille hommes. Dans quelques autres villes et jusque dans les cam FR.AENCH READER. 0 203 pagnes, des "Imeetings " avaient sugg&r6 FMid& d'une lev~e en masse. A Londres pourtarnt et dans la plupart des comt~s, le cri, "Aux armes!" avait rencontr6 peu d'6chos; on s'6tait contents d'ouvrir des souscriptions, afin d'enro'ler des recrues pour le service. Le mouvement ne se developpa que vers la fin du dernier siecle (i 798-99). Cette fois tous les yeux s'ouvrirent aux. dangers qui menagaient le pays. Le trait6 de Campo-Formio venait de laisser I'Angleterre seule debout et l'6p6e au poing en face de la France, qui avait conquis ou. r~duit au silence les autres nations humili~es. Une arm6e frangaise de 270,000 hommes dispos~e de long les c~tes du d~troit, 6tait 4i un jour de marche des divers points d'embarcation. Ces pr6paratifs, selon le langage des Anglais, firent IIlever le lion," et le sentiment national 6clata en actes de d~vouement. On accrut l'arm~e, la fiotte, la milice, et de plus un bill du parlement engagea les citoyens hi lever des corps de volontaires dans toutes les parties dui royaume. Un immense enthousiasme r~pondit 'a cet appel de la patrie en danger, et s'6tendit bient6t 'a toutes les classes. L'6ve'que de Winchester autorisa le clerg6 du Hampshire, et surtout celui de lPile de Wight ht prendre les armes. Quoique tons les rangs de la soci~t6 offrissent leurs services, on crut alors utile de faire un choix. Les citoyens connus et respectables furent seuls admis dans la nonvelle phalange. Les officiers devaient jonir d'nn revenu d'an momns cinquante livres sterling par an, fourni par une propri6t4 territoriale, et r~sider dans le comt6 oii le corps avait 6t6 levi. Malgr6 ces restrictions, qui repr~sentent bien l'esprit d~fiant du gonvernement d'alors, en moins de trois semaines 150,000 volontaires 6taient enr6lAs et arm~s. IEs faisaient l'exercice six henres par semaine, et ceux qni le jugeaient 'a propos &taient libres de r~clamer un schelling pour le temps qu'ils consacraient 'a apprendre le m~tier de soldat. Les frais auxqnels donna lieu la nouvelle force arm~e figurent an budget de T799 pour la somme de 350,000 livres sterling. Sept mois s'6taient h peine 6coul~s depuis cette prise d'armes, quand le roi d~clara, dans son discours 'a l'ouverture dn parlement, que "la d6monstration. de z~le et de vigueur parte de tons les rangs de la nation avait emp6h6 l'ennemi de mettre a ex~cution de vaines menaces." Fant-il ajonter sur ce point une foi enti~re au langage officiel? J e dois avoner que, si je consulte l'opinion des g6n~raux Anglais 204 204 FR11ENCH PEA DER. dia temps, il me sera difficile, de me former une grande ide'e de ces, troupes irr~gulie'res. Ne peut-on pas, ii est vrai, expliquer la s6v&it6 de leurs jugements par l'espkce de d~dain avec lequel. les hommes de guerre regardent les combattants qui ne sont pas du m~tier? Des officiers plus impartiaux conviennent que ces lev~es fraiches, mal disciplin~es et peuw exerc~es au maniement des armes, auraient oppos6 une faible resistance aux bataillons fran~ais; mais uls soutiennent que, dans le cas d'une retraite, elles auraient pes6 comme un chaftiment sur les flancs de l'arm6e vaincue. Le mouvement des anciens volontaires se ralentit de 17-99 'a i803, avec le danger d'invasion 6trang~e qui s'61oignait. La d~claration de guerre de Bonaparte au peuple anglais rallurna tout-it-coup une ardeur qui commen~ait 'a s'6teindre. Des placards coll~s aux murs des villages les plus 6loign&s annonc~rent que l'ennemi allait peut-ktre venir. On distribua aux paysans quatre-vingt-dix mille piques. Les fermiers s'engagerent volontairement 'a fournir des hommes, des chevaux, et des charrettes pour transporter les troupes sur lcs co~tes. Une chaine de signaux charg~s de matiieres combustibles non seulement courait le long des rivages de l'Angleterre, mais traversait lFile et se rattachait 'a chaque colline. A la moindre alerte on y mettait le feu, et les Anglais de ce temps-lI' qui vivent encore parlent avec 6motion du tumulte arm6 qui se r6pandait aussito't sur le pays, convert par une flamme lugubre. A Pevensey, des bandes d'ouvriers terrassiers se tenaient pre~ts 'a couper les digues de mer et 'a inonder toute la campagne environnante, sans doute en souvenir de la glorieuse Hollande. Dans les comt&s maritimes les d6put6s-lieutenants faisaient abattre les chevaux qui, dans le cas d'une surprise, anraient pu tomber aux mains de l'ennemi, scier les cssienx des voitures, d~trnire le bW et le b~tail que l'on ne pouvait pas emporter. Es promettaient aux propri~taires que NWta les indemniserait plus tard; mais on ne voulait pas me~me les entendre, car chacun oubliait ses int~rks et n'avait 'a cceur que le saint du pays. Les officiers de donane regurent 1'ordre de transporter dans l'int6rieur on autrement de laisser couler 'a la premi'ere alarme tous les vin, eaux-de-vie, ou autres liqueurs spirituenses qui 6taient en tonneaux sur les c6tes. Les 6glises et les th~atres furent convertis en casernes. Des patrouilles de citoyens dans les villes maritimes traversaieut jour FREN-MCH READER.20 205 et nuit' les rues, les jet~es, et les dunes. C'est surtout quand la mar~e 6tait haute, la brise douce, et le broujillard 6pais, que tous les yeux. s'attachaient sur la mer avec une inqui~tude fi~vreuse. A chaque moment on s'attendait 'a voir paralitre la fiotte ennemie, et tons les vaisseaux de guerre anglais se tenaient pr~ts 'a couper leur c~ble. Dans le comt6 de Norfolk les nobles avaient plac6 des perches au toit de leurs maisons, et devaient arborer, en cas de danger, une bannu~re rouge, pour dormer 'a leurs tenanciers le signal de courir aux armes. La vigilance et l'ardeur martiale n'6taient pas moins grands 'a lint~rieur de l'ile. Dans les villes de province, des maires, excit~s par la sainte fureur du patriotisme, couraient les rues, battant eux-m~mes le tambour, afin d'appeler les volontaires sous les drapeaux. Ceux-ci afflu~rent de toutes parts, et un rapport dui ministere de la guerre, dat6 dui i i Novembre, 1 803, porte leur nombre 'a 35,3 07. Les vieillards tout'a-fait incapables de servir prenaient le bafton de constable, afin de garder les villes, pendant que leurs concitoyens iraient rencontrer l'ennemi en pleine campagne. Ceux. qui ont vu alors l'e'tat dii pays disent qu'on ne peut se faire une ide des fr& missements d'enthousiasme, des terreurs, des sombres d~fis, des alarmes, en un mot, de tous les sentiments confus dont 6tait alors agitle comme par secousses cette population, non momns grondante et non momns troubl~e dans son lie que le flux et le reflux de la mer qui l'enveloppait en mugissant. Le cri "1Aux armes!" retentissait peut-6tre avec plus de force encore, et comme d'&ho en 6cho, le long des montagnes de l'Ecosse. Le duc d'York fit un appel 'a la loyaut6 des anciennes families, et leva un grand nombre de bataillons ayant chacun 'a sa tote le chef patriarcal du clan. C'est ainsi que les Macdonalds, les Macleods, les Mackenzies, les Gordons, lp~ Caxnpbells, les Frasers, et d'autres tribus, s'enr6lerent sous leurs banni~res respectives, formant tous ensemble un rempart vivant pour couvrir le nord de la Grande-Bretagne. A Edimbourg les volontaires accoururent sous les ordres du lieutenant-colonel Hope. Dans ce r6giment les officiers ne jouissaient d'aucune immunit6 ni d'aucun pnivi1~ge sur les soldats; uls marchaient bravement avec, tous leurs bagages sur le dos, et le colonel donnait lui-m~me l'exemple, ne montant jamais 'a cheval que pour les besoins du commandement. 11 n'y avait aucune distinction de chambres dans les 1_o6 206 ~FREN.CH READER. casernes, ni' de tentes au milieu des camps. Les habitants de Liddesdale, le point le plus 6loign6 vers l'ouest qu'atteignit le eni d'alarme, craigI~irent taut d'arriver trop tard au rendez-vous, qu'ils mirent en requisition tous les chevaux qu'on put trouver. Apres avoir fait une marche forc6e hor~s de leur pays, uls la~ch'rent ces chevaux, qui retrouv~rent eux-m~mes leur chemin 'a travers les montagnes, et retourn~rent tons sains et saufs dans les &curies. Sir Walter Scott servait comme adjutant dans un r~giment de cavalerie qui portait le nom de Royal Mid-Lothian. Son infirmit6, car Walter Scott, comme on sait, 6'tait boiteux, n'avait point &6 un motif d'exemption, d'autant plus qu'a' cheval il faisait grande et bonne contenance. Son ze'le, son exactitude, et sa joyeuse humeur le rendirent tres-populaire dans son r6giment. L'adjntant Scott composa m~me alors un chant de guerre qui a 6t6 publi6 plus tard dans le " Border Minstrelsy;" mais comme le po~te n'6tait point reconmu encore dans ce temps-la, son chant ne fut, pour la plupart des officiers et des soldats, qn'un objet de ridicule. On r6p6tait pendant la nuit dans les bivacs le commencement de cette piece lyrique: "A cheval! 'a cheval!" avec des rires et une expression grotesque. Nul n'est prophe'te dans son r~giment, et ceux-l'a m~mes qui rendaient justice aux qualit~s militaires dn jenne officier traitaient ses vers avec le plus supreme d~dain. Walter Scott n'en fut pas momns en mesure d'observer de pr~s -le monvement des volontaires &cossais, sur lequel il a 6crit dans la suite des pages intdressantes. Il loue surtont la marche des habitants du Selkirkshire, dont la demeure 6tait sonvent 'a une longue distance des divers points de r~union, mais qui ne se rassemble'rent pas momns an premier signal, et s'avanc~rent a~ travers de mauvais chemins, faisant trente on quarante mulles sans d~brider. IDeux membres de ce corps de cavalerie 6taient absents et se trouvaient alors pour affaires 'a Edimbourg. La femme d'un de ces gentlemen, nouvellement mari~e, et la m~re de l'autre, une veuve, envoy~rent les armes, l'uniforme, et les chevaux des deux volontaires, pour qu'ils pussent rejoindre leurs camarades 'a Dalkeith. Walter Scott fut tr~s-frapp6 de la r~ponse d'une de ces deux femmes, la m~re, 'a laquelle il adressait des 6loges sur l'empressement qn'elle avait montr6 a mettre son fils en face du p6ril, quand elle aurait pu lui laisser une bonne excuse pour prolonger l'absence. " Monsieur," s'6cria-t-elle avec l'ardenr d'une matrone romaine, " nul mieux que vons ne F"REINCH READER.20 207 peut savoir que mon fils est le seul soutien sur lequel s'appuie notre famille depuis la mort de son p~re; mais j'ainierais mieux le voir 6tendu roide et sans vie sur le plancher de cette chambre, que d'entendre dire qu'il a &6 de la longueur d'un cheval en arri~re de ses camarades, dans la d~fense de son pays." Quand on songe que cette lutte contre un ennemi formidable qu'on croyait rencontrer partout, et qui ne se montrait nulle part, a dur6 plus de dix ann~es sans se ralentir, on ne saurait avoir qu'une grande Wde de 1'6nergie et de la persistance de la race anglo-saxonne. La d~fense ne faisait m~me que s'accroitre de jour en jour, d'ann~e en ann~e. Une proclamation de Bonaparte, qui circula dans tout le royaume-uni, jeta encore de la Poudre sur le feu. " Soldats," disait cet ordre du jour, "1nous avous pass6 la mer!1 Les barri'eres de la nature ont c6d6 au g~nie et 'a la fortune de la France. La hautaine Angleterre g6mit sous le joug de ses conqu~rants. Londres est devant vous! Le PWrou de l'ancien monde est votre proie; dans vingt jours [il n'y avait pas alors de chemins de fer] je planterai le drapeau. tricolore sur les murs de son ex~crable Tour I En avant!1 Villes, champs, provisions, bMail, or, argent, femmes, je vous abandonne tout. Occupez ces nobles manoirs, ces fermes riantes. Une impure race, r~prouv~e du ciel, qui a os6 se d6clarer l'ennemie de Bonaparte, va expier ses crimes et disparaitre de Ia surface de la terre. Oui, je vous jure que nous serons terribles!-BONAPAP.TE." Elle fut revue par l'Angleterre comme l'avait &6 par la France le manifeste du duc de Brunswick en i 793: un cri d'ex~cration et le cliquetis des armes y r~pondirent au del'a du d~troit. Le duc de Cornwall avait demands mille, hommes au district des mines; la sombre et hardie population des Cornouailles en fournit cinq mille. En offrant leurs services, ils s'engag~rent tous, par une declaration solennelle, 'a ne jamais quitter le poste qui leur serait assign6 dans l'action tant qu'un seul soldat Fran~ais sons les armes se trouverait 'a port~e de leurs fusils. Dans le comt6 de Northumberland, une lady, remarquable par son rang et par sa beaut6, pr~senta une paire de drapeaux ~ un r~giment de volontaires. Le jeune porte-enseigne lui dit avec une concision toute britannique: " Je regois vos couleurs avec joie, je les dMendrai avec, courage, et quand les balles auront arrach6 toute la~ viejlk soie, je vous rapporterai le baton." IFRT."ENCH READE.R. La ville de Londres ne resta pas en arri~re du mouvement; dans un temps oti la population etait au-dessous d'un million, il se forma trente-cinq corps de volontaires qui comprenaient plus de quarante mille hommes. Un Anglais de mes amis conserve encore comme relique un vieux. tambour qui a battu la charge 'a la t~te d'un de ces regiments. On ne voyait dans la ville et autour des miurs de la ville que parades, manceuvres, escarmouches, petites guerres. Le district de Londres brufflait 'a lui seul sept tonnes de poudre par semaine. Qu'on ne s'6tonne pas si de terribles accidents r6sult~rent alors de l'inexp6rience des citoyens qui s'essayaient pour la premiere fois au m~tier de soldat, et 'a l'usage des armes 'a feu. Rien pourtant ne d~concerta 1'ardeur de ces graves boutiquiers; un bill autorisait les volontiers 'a faire l'exercice et 'a tirer le fusil dans la journ~e du dimanche. Pour quiconque connalit les mceurs et les usages religieux de l'Angleterre, une telle derogation 'a la loi proclame bien la gravit6 des circonstances. II n'y avait qu'un danger imminent et la saintet6 d'un devoir national qui pussent faire toledrer au gouvernement cette violation dui sabbat. Tous les rangs de la soci&t6 se m~laient et se confondaient dans le mouvement de d~fense nationale. Presque tous les ministres du roi s'6taient engag~s dans un des r~giments de volontaires, et le duc de Clarence lui-m~me (in des fils du roi) servait comme simple soldat dans le Teddington corps. D'un autre c&6t, les opinions politiques s'effagaient ou se rapprochaient sur le terrain commun du patriotisme. A un banquet civique, l'alderman Shaw proposa la sant6 du plus grand homme d'Angleterre, William Pitt, colonel des Cinque Ports volunteers. Quand le tumulte d'applaudissements qu'avait excit6 ce toast se fut apais6, Sheridan se leva et dit: "1Geintlemen, permettez-moi aussi de vous proposer un toast. Je fais un appel aux, verres pour boire IL la saut6 de Charles Fox, simple soldat dans les Chertsey volunteers, le plus bonn~te homme d'Angleterre! Ce second toast fit aissi couvert d'applaudissements, et tous, whigs et tories, fraternis~rent ce joir-lIL 'en face des dangers qui menagaient le pays. Un autre jour, William Pitt entendit un forgeron de son r6giment murmurer contre les hausse-cols de cuir qu'on venait de distribuer, selon l'usage d'alors, aix volontaires des Cinque Ports, et qui tenaient le cou roide comme dans un carcan." " Voyez," dit le premier ministre, "j'fen porte in comme vous, AFR EACH READER. 209:209 et je ne me plains pas." "'Ah, colonel," r6pondit le forgeron, "le cas est bien diff6rent; votre con doit 6tre le plus long, puisque votre t~te est La plus haute de toute La Grande Bretagne." Nul ne peut dire quelle nesistance les volontaires de 1803, d6j'a mieux dressis et plus aguerris que ceux de i198, auraient oppos6e 'a une arm6e d'invasion. Heureusement pour l'Angleterre et peut-8tre pour La France, cette force nationale ne fut pas alors mise i l'apreuve. Si j'en crois les M~moires de M. de Bourrienne, Napol6on n'aurait jamais eu l'intention s6rieuse de tenter un d6barquement en Angleterre. Ii savait trop bien qu'efit ii r6ussi it jeter cent mille hommes sur les c~tes de la Grande-Bretagne-et l'entreprise 6tait difficile-il aurait perdu au moins les deux tiers de son arm6e avant d'arriver i Londres, tandis que La mer, ferm6e derri~re lui par les vaisseaux Anglais, l'aurait emp~ch6 de recevoir des renforts, et m~me, en cas de succbs, l'aurait emprisonn6 dans sa victoire. Napol~on luimeme a reconnu que ce projet pr~sentait des obstacles au-dessus de la volont6 humaine. " Si j'avais r6ussi," a-t-il dit plus tard, " c'e-ft 6t6 en faisant tout le contraire de ce qu'on attendait." La pens6e de l'empereur s'est, on le voit, couverte sur ce point, et peut-Ctre i dessein, d'un nuage que je ne chercherai point it p6n6trer. Telle est l'histoire des anciens volontaires, qui s'6teignirent aprbs les 6v6nements de i8x5, laissant debout, comme trace de leur passage dans les comt6s agricoles, quelques rares r6giments de cavalerie. Alphonse Esqu~iros. 52. Les Chouans, La Bretagne est, de toute la France, le pays ot les mceurs gauloises ont laiss6 les plus fortes empreintes. Les parties de cette province, ott, de nos jours encore, La vie sauvage et l'esprit superstitieux de nos rudes aieux sont rest6s, pour ainsi dire, flagrants, se nomme Le pays de Gars. Le mot gars, que l'on prononce ga, est un d6bris de La, langue celtique, 1i a pass6 du bas breton dans le frangais, et ce mot est, de notre langage actuel, celui qui contient Le plus de souvenirs antiques. Le gais 6tait L'arme principale des Gadls ou Qaul~ois; gaisde signiflait arm6; gais, bravoure; gas, force. Ces P 2IO FRENCH READER. rapprochements prouvent la parente du mot gars avec ces expressions de la langue de nos ancetres. Ce mot a de l'analogie avec le mot latin vir, homme, et virtus, courage, force. Lorsqu'un canton est habit6 par nombre de sauvages semblables a celui qui va comparaitre dans cette scene, les gens de la contr6e disent, les gars de telle paroisse; et ce nom classique est comme une recompense de la fid6lit6 avec laquelle ils s'efforcent de conserver les traditions du langage et des moeurs gaeliques; aussi leur vie garde-t-elle de profonds vestiges des croyances et des pratiques superstitieuses des anciens temps. La, les coutumes feodales sont encore respect6es. La les antiquaires retrouvent debout les monuments des Druides. La, le g6nie de la civilisation moderne s'effraie de p6n&trer a travers d'immenses forets primordiales. Une incroyable f6rocit6, un entetement brutal, mais aussi la loi du serment; l'absence complete de nos lois, de nos mceurs, de notre habillement, de nos monnaies nouvelles, de notre langage, mais aussi la simplicite patriarcale et d'heroiques vertus s'accordent a rendre les habitants de ces campagnes plus pauvres de combinaisons intellectuelles que ne le sont les Mohicans et les Peaux-rouges de l'Am6rique septentrionale mais aussi grands qu'eux. La place que la Bretagne occupe au centre de 'Europe la rend beaucoup plus curieuse 'a observer que ne l'est le Canada. Entoure de lumieres dont la bienfaisante chaleur ne l'atteint pas, ce pays ressemble a un charbon glac6 qui resterait obscur et noir au sein d'un brillant foyer. Les efforts tent6s par quelques grands esprits pour conqu6rir a la vie sociale et a la prosp6rit6 cette belle partie de la France, si riche de tresors ignores, tout, meme les tentatives du gouvernement, meurt au sein de l'immobilitd d'une population voude aux pratiques d'une imm&moriale routine. Ce malheur s'explique assez par la nature d'un sol encore sillonn6 de ravins, de torrents, de lacs et de marais; h6riss6 de haies, espbces de bastions en terre qui font de chaque champ une citadelle; priv6 de routes et de canaux; puis, par l'esprit d'une population ignorante, livr6e a des prdjuges dont les dangers seront accuses par les d6tails de cette histoire, et qui ne veut pas de notre moderne agriculture. La disposition pittoresque de ce pays, les superstitions de ses habitants, excluent et la concentration des individus et les bienfaits amends par la comparaison, par l'change des idles. L'a a6 F-RENCH READER. 1 2 1 1 point de villages. Les constructions pr~caires que lPon nomme des logis sont clairsem6es it travers la contr~e. Chaque famille y vit comme dans un d~sert. Les seules r~unions connues sont les, assemblies 6ph6m'eres que le dimanche on les fetes de la religion consacrent 'a la paroisse. Ces r6unions silencieuses, dominoes par le recteur, le seul malitre de ces esprits grossiers, ne durent que quelques heures. Apr~s avoir entendu la voix terrible de ce pr~tre, le paysan retourne pour une semaine dans sa demeure insalubre; il en sort pour le travail, il y rentre pour dormir. STi y est visit4, c'est par ce recteur, l'1me de la contr~e. Aussi, fut-ce 'a la voix de ce pr~tre que des rnilliers d'hommes se ru~rent sur la r6publique, et que ces parties de la Bretagne fournirent cinq ans avant l'C'poque 'a laquelle commence cette histoire des masses de soldats l~ a premi~re chouannerie. Leso fr~res Cottereau, hardis contrebandiers qui donn~erent leur nom, h cette guerre, exerqaient leur p6rilleux m~tier de Laval 'a Foug'eres. Mais les insurrections de ces campagnes n'eurenit rien de noble; aussi peut-on dire avec: assurance que si la Vend&e fit du brigandage une guerre, la Bretagne fit de la guerre un brigandage. La proscription des princes, la religion d~truite ne furent pour les Chouans que des pr~textes de pillage, et les &v6nements de cette lutte intestine contracte"rent quelque chose de la sauvage fipret6 qu'ont les mceurs en ces contr~es. Aussi, quand de vrais d~4fenseurs de la monarchie vinrent recruter des soldats parmi ces populations ignorantes et belliqueuses, essay~rent-ils de donner, sous, le drapeau. blanc, quelque grandeur it ces, entreprises qui avaient rendu la chouannerie odieuse. Leurs nobles efforts furent inutiles, les Chouans sont rest~s comme un m~morable exemple du danger de remuer les masses peu. civilis~es d'un pays. Le tableau de la premil~re vall6e offerte par la Bretagne aux yeux du voyageur, la peinture des hommes qui composaient le d~tachement des r6quisitionnaires, la description du gars apparu sur le sommet de la Pdlerine, donnent en raccourci une fid~le image de la province et de ses habitants. Une imagination exerc~e peut, d'apr'es ces d~tails, concevoir le th~a'tre et les instruments de la guerre. Lit, en 6taient les 616ments. Les haies si fleuries de ces belles vall~es cachaient alors d'invisibles agresseurs. Chaque champ 6tait alors une forteresse, chaque arbre m~ditait un pi6ge, chaque vieux tronc de saule creux gardait un stratag~me. Le lieu du P 2 211.FRENCH READER. combat dtait partout. Les fusils attendaient au coin des routes les Bleus que de jeunes filles attiraient en riant sous le feu des canons, sans croire etre perfides; elles allaient en p6lerinage avec leurs peres et leurs freres demander des ruses et des absolutions a des vierges de bois vermoulu. La religion ou plutot le fetichisme de ces creatures ignorantes d6sarmait le meurtre de ses remords. Aussi une fois cette lutte engagee, tout dans le pays devenait-il dangereux; le bruit comme le silence, la grace comme la terreur, le foyer domestique comme le grand chemin. I1 y avait de la conviction dans ces trahisons. C'6tait des sauvages qui servaient Dieu et le roi, at la maniere dont les Mohicans font la guerre. Mais pour rendre exacte et vraie en tout point la peinture de cette lutte, l'historien doit ajouter, qu'au moment ou la paix de Hoche fut sign6e, la contr6e entibre redevint et riante et amie. Les familles qui la veille se d6chiraient encore, le lendemain souperent sans danger sous le meme toit. H. de Balzac: " Les Chouans." 53. Hadrien. Pour les curieux en fait d'histoire, ce doit etre un regret qu'il nous reste si peu de chose d'Hadrien et de son 6poque. De ce prince lettr6, vivant au milieu d'une cour lettr6e, dans un siecle trop lettr6, on peut le dire, il ne nous est demeure qu'une spirituelle missive a un sien allid que plus tard il fit mourir, et une douzaine de vers 6pigrammatiques. De ses contemporains qui ont dcrit l'histoire, il ne nous est restd rien du tout. Des historiens post6rieurs qui ont parld de lui, nous avons une quinzaine de pages de labrdviateur Xiphilin, moine du onzibme si&cle, une douzaine de pages de I'abrdviateur Spartien, plus des paragraphes et des demi-lignes de quatre ou cinq autres abrdviateurs. Les m6dailles et les inscriptions viennent, il est vrai, a notre secours, et peuvent, a la rigueur, nous apprendre les ann6es des consulats, les dates de naissance et l'ordre des faits, ce qui n'emp$che pas la chronologie d'tre fort hesitante sur beaucoup de points. Et cependant comme la vie d'un tel prince et le tableau d'un tel regne, seraient, vus par le d6tail, je ne dirai pas beaux, mais curieux! Comme le peu que nous en savons nous fait entrevoir une nature singuliere, bizarre, puissante, dans le petit-neveu, soi-disant fils adoptif de Trajan! FRENCH READER.?' '3 Qu'on me permette une comparaison. Figurez-vous tin Italien de la Renaissance, n4 entre 1450 et 1550 'a cette 6poque qui a &t6, aprs, l'enfance du moyen age, comme 1'adolescence des nations modernes, ~poque d'e'lan, d'effervescence, de crise, de p~ril, d'e'garements, de chutes. Figurez-vous un de ces, hommes dont l'intelligence, comme subitenient 6veille'e et fraiche de son long sommeil, s'6tait ouverte 'a la fois, 'a toute chose, un de ces honmnes qui 6taient en m~me temps po'etes, peintres, musiciens, sculpteurs, architectes, ing6nieurs, soldats. Ii lira les manuscrits. de 1'antiquit6 avec le Pogge et Bembo; il sera pobte avec 1'Arioste, peintre avec le PNrugin, architecte avec Brainante; il devinera l'Am6rique avec Colomb. Ii vivra de toute la vie intellectuelle de cet age si f~cond pour l'intelligence. Habile en toutes choses, ce contemporain de Machiavel ne sera pas 6tranger 'a Fart de gouverner les, hommes, et pour les. dominer il saura faire tout, me'me le bien. Seulement le bien en lui sera plut6t un calcul de son habilete' qu'une impulsion de son cceur ou une inspiration de sa foi. J et6 an milieu d'un monde oii boujillonnent toutes les passions aussi bien que toutes les, Wdes; oi' le paganisme renaissant se mole aux luttes du christianisme d~chir6; oji, parfois, idolitre par les, souvenirs, par les admirations, par les, mceurs, on n'est plus chr6tien que par la controverse; un tel homnme, vivant surtout par l'intelligence, vivra pen par la conscience. Ce ne sera pas la noble, idale, mnais exceptionnelle puret6 de MichelAnge; ce sera bien pluto't l'aventureuse et libertine hardiesse de Cellini. Les mceurs, seront corrompues, comme elles le furent si souvent "'a cette e'poque. IL sera capable me'me de crimes; l'orgueil bless6 de lartiste mania plus d'une fois le poignard. Enfin, 'a travers ces grandeurs et ces vices, il aura les petitesses, de son temps, les p~dantismes, les sophismes, les jeux acad6 -miques; au lieu de la foi qui s'61oigne des cceurs souill~s, il aura ces, superstitions que l'imagination alimente bien plus que le coeur; il s'enfoncera dans le d~dale des sciences occultes, ii pratiquera la magie, l'astrologie, ces choses, si approprides, 'a la,curiosit6 de l'esprit et 'a la corruption de l'ame. En cet homme l'int~lligence sera sup6rieure, la raison puissante, l'amour-propre exalt6, la volont6 forte, l'action sur autrui efficace; mais la conscience sera muette, la superstition pu~rile, le cceur ga6. L'homm~e sera merveilleux et m~prisable. 214 214 j FRENCH READER. Mais prenez cet homme et transportez-le en un autre sikcle. Faites-lui trouver en sa propre nature cette excitation vers toutes les. connaissances humaines que 1'homme du seizie'me si~cle trouvait dans 1'esprit de son temps. Mettez-lui la toge et le laticlave; jetez -li la pourpre sur les 6paules. Donncz-lui l'empire romain agrandi par Trajan, pour y r~gner, mais aussi pour en jonir; pour satisfaire avec ses tre'sors artistiques et intellectuels l'insatiable curiosite' de sa pensde; pour faire 'a travers tant de peuples, tant de pays, tant de grandeurs, de magnifiques voyages d'arti'ste et d'antiquaire, rev~tu de la pourpre et une legion derrie're lui: pour faire 6clore les splendeurs et les monuments sons ses pas, pour embellir le monde en me'me temps qu'il le rdgira d'une main forte et le maintiendra un, paisible, prosp~re, par la puissance de sa volont6. Voil'a Hadrien! Son regne ne fut que la re'alisation de cette fantaisie de Mulle et une Nuits. Sa vie fut un voyage "'a travers tous les peuples, tous les chefs-d'ceuvre, tons les souvenirs, 'a une 6poque oii tons les peuples 6taient un, tons les, chefs-d'cenvre debont, toutes les, pompes d'une civilisation de vingt si~cles encore intactes. Quelle vie splendide, je ne dis pas souhaitable! Hadrien~tait merveillensement propre'acette vie. Il avait d'abord le plus grand et le plus indispensable des dons de l'intelligence, celni qni fait la moitic' de tons les grands g~nies, la me'moire. Il lisait un livre pour la premilre fois ct le savait par comur. G6ndral, il se rappelait le nom. de soldats depuis longtemps retire's du service; empereur, il reconnaissait jnsqu'au dernier ceux qui venaient le saluer, et soufflait leurs noms an nomenclateur charg6 de les lni sonffler. II lni arriva parfois, an me~me moment, d'entendre une lecture, d'6crire, de dicter, et de causer avec ses amis. Aussi sut-il ktre l'homme de tons les, talents, sinon de tontes. les glolires. Au camp et dans, la politique il fut l'dl~ve de Traj.an. Sans aimer la gnerre, ili aima le soldat et sut s'en faire aimer et obdir; on lui attribne nn 6crit sur la tactique. Trajan lui avait appris aussi 'a. ne pas m~priser les exercices du corps qni faisaient l'homme, le Romain, le soldat. Ii faisait des armes probablement beancoup mienx que Trajan; il chassait avec passion comme Trajan; il tronva moyen de se ddmettre une d~panle et de se casser une jambe 'a la chasse. Mais, si Trajan lui avait appris la politique, la gnerre, et la chasse, il avait en d'autres mailtres, encore que le pen lettr6 Trajan. A -FRENCH READER.21 215 quinze ans, fornis par le s6jour d'Athbnes aux, lettres et lh la corruption hell6nique, on l'appelait le Petit Grec. Pas un genre de curiosit6 ne lui rnanqua. Ii fut pobte, et po~te avec esprit; il fut peintre, scuipteur, graveur, chanteur, musicien, grammairien; il fut g6om~tre, math~maticien, me'decin, jurisconsulte, antiquaire, et, plus que tout le reste, astrologue. II y avait de quoi exalter un pen l'orgueil, de se voir tout cela 'a la fois et empereur romain par-dessus le march6. Mais il eut une passion, la, plus vilaine de toutes, et qui cependant est presque toujours celle des hommes de talent.,'envie est la maladie des artistes, M. de Voltaire le remarque, tcette remnarque pent faire croire qn'il rentrait parfois en lnime~me. Hadrien 6tait envienx de toutes les mani~res comme il 6tait dou6 dans tons les genres et ambitienx de toutes les gloires. Dans la politique il fut jaloux de Trajan et jona le plus de manvais tours qu'il put 'a la m~moire de son pare adoptif. Dans les lettres, jaloux de tous les g6nies, il pr6fra 'a. Hombre un certain po'ete obscur, appeh4 Antimaq-ue, 'a Cic6ron Caton, 'a Virgile Ennius; gloires paradoxales qui ne lni faisaient pas ombrage. II aimait 'a voir des savants autour de Iui; mais pour les prendre en d~faut; s'il n'y pouvait r6ussir, pour les pers~cuter. II leur suscitait des rivaux. II les aimait beaucoup quand ils 6taient m~diocres, il 6tait capable de les tuer quand ils 6taient gens de talent. Entre l'architecte Apollodore et l'architecte Hadrien il y ent une lutte d'art et de critique; mais 'a ce jen Apollodore jouait sa tote et la perdit. Un envieux est un malade, et il y a en effet dans le g~nie d'Hadrien quelque chose de maladif et de tourment6 en in~me temps que de pu~ril. Son amour-propre est malveillant et bilieux. II pousse sa fantaisie de gloire 'a 1'exclbs, et, en l'exag~rant, il la d~prave. Ce n'est pas assez pour lui de mener par le monde des chasses splendides, et hardies; il faut qu'il en &ternise la m~moire par des tombeaux e'rig6s 'a son chien et 'a son cheval. Ce n'est pas assez de savoir se servir de I'6p~e, il faut qu'il sache manier m~me le ~glaive du gladiateur. Ce n'est pas assez de la curiosite' de grandes choses, il Mi faut celle des petites; il fait espionner ses amis, se fait livrer les correspondances par les messagers, parle malignement aux manis des reproches que leur font leurs femmes. Ce n'est pas assez de la science du possible, ii lui faut celle de l'impossible. Ill se jette, avec tout F-RENCH 1?EADER, son, gi~ce du reste, dans les incantations, les divinations, les oracles, les songes, les sorcelleries, se fait initier ' tous les mystercs, se met 'a l'cole de tous les imposteurs. L'astrologie, qu'un de ses oncles lui a enseign~e, est pour lui une gloire de famille; il prend sans cesse son th'eme de nativit6 et celui de ses amis; il le leur envoie, agr6able on non. Le soir dui 3i Deembre il consulte les astres, et, d'aprbes leur avis, met pas 6crit, jour par jour, les &v6nements d6 l'ann~e qui va commencer. Seulement, au commencement de la vingt-deuxie'me ann~e de son rbgne, il ne dressa son horoscope que jusqu'au io Juillet, et c'est le 10o Juillet qu'il mourut. Ainsi le raconte son historien. Sa conduite est pleine de bizarreries comme son esprit. Tantolt il pardonne les injures. "1Te voil'a sauv6!" dit-il au d6but de son ~gn, ~un homme qui a '6son ennemi: mot plus fin et pens6e aussi g6ne'reuse que celle de Louis XII. Tant6t, an contraire, il est d'une implacable m~moire; il se rappellera au bout de quarante ans que Servianus a dlnonc6 ses de'r6glements 'a Trajan, et II se vengera par un crime. Ii ne pardonne m~me pas toujours les services qu'on'lui a rendus, et les gens qui, honneftement ou malhonn~tement, out aid6 h sa fortune., finiront par 6tre trait~s par lui comme des ennemis. Plein de cle'mence an dlbut de son r'egne, il est cruel 'a la fin. Simple dans ses habitudes comme Trajan et comme Auguste, i1 est, cependant, le premier empereur qui ait employs dans sa maison, au lieu d'affranchis, des chevaliers romains:- les, charges du palais n'6taient jusque-la' que de simples offices domestiques et la maison du prince une maison priv6e. Ii se refuse le yin 'a son repas; philosophe et raisonneur, il n'en est pas moins adepte des sciences occultes. Adorateur longtemps exclusif des dieux romains, il finjt par leur associer son dieu Antinotis, ptitre de Bithynie. Initi6 d'Eleusis, oit 1',;me acquiert, disait-on, la certitude de son bonheur 'a venir, il meurt en raillant sur l'incertitude du sort de son time. Ii a proscrit les sacrifices humains et il a accept6 l'immolation d'Antinotis. 11 a rendu justice au christianisme plus que jamais ne le fit empereur paTen (Alexandre S&v~rc except6), et cependant il en viendra, non seulemeut 4' pers~cuter les chr~tiens, mais encore 'a profaner de parti pris Betbhleem et le Calvaire. Affectant, pour bltimer indirectement Trajan, de n'6crire son propre nom sur aucun monument, et donnant son nom na ne vingtaine de villes; accordant quand on FRENCH READER.21 2 I I ne lui demande pas, refusant quand on lui demande: n'aimant pas, dit-il, qu'on sorte triste de son audience et renvoyant souvent fort tristes les gens qui lui ont parMt, "1sdvere et joyeux, courtois et mnaussade, le'ger et r~fl6chi, parcimonieux et lib6ral, divers en toutes choses;" il a tous les dons et tontes les faiblesses, toutes les grandeurs et toutes les pu~rilit~s, tontes les ambitions, et toutes les hontes. Comte' de Cham'pagny "Les A ntonins." 54. Les Liberles de l'Enq~pire Romazbz. Quelle 6tait pour le sujet romain d'alors la mesure de la libert6? Jusqu'it quel. point, avec ou sans inconvenient, lui 6taitil possible d'tre libre? J e ne vondrais pas offusquer les nations modernes (je ne dis pas les nations chr~tiennes); elles sont libres, tr~es-libres. Elles ont la presse, effr6n~e jusqn'ia la licence quand elle n'est pas entrav~e jusqu'it la servitude; et l'antiquit6 ne l'avait pas. Elles ont le vote universel et r~gulier; et l'antiquit6, quand elle l'avait, l'avait partiel, irr~gulier, tumnltueux. Elles ont la tribune, et le monde romain ne I'avait plus. Elles ont des chartes, des constitutions, des habeas corpus, des libert6s sans fin consignees sur le papier; I'antiquit6 n'en avait aucune. J'ose douter cependant que l'Europe du dix-neuvie'me si'ecle, 'a l'heure qu'il est, soit beaucoup plus libre qne n'6tait l'antiquit6, m~me l'antiquit6 romaine et imp~riale (les esclaves mis it part bien entendu). A certains moments, sans donte, l'Europe du dix-neuvi'emo sikcle est l6galement et politiquement tr~es-libre. Pour pen que notre pays soit dans une de ses veines constitutionnelles et parlementaires, nous votons, nons &crivons, nons imprimons, nous p6rorons avec une parfaite licence, sans l'attache du pouvoir, sans sa permission, 'a son insu, contre son gr6, contre ce qn'il a de plus cher, contre ses ministres, contre lui-m~me, 'a son grand d~sespoir, et 'ason grand d~triment. Nous faisons, on nous avons fait en ce genre, des choses extraordinaires dont la seule pens~e euit fait frissonner de la t~te aux pieds un snjet de l'empire romain. Mais, d'nn antre c6t6, m~me en nos jours de plus grande iibert6, les actes les plus ordinaires, les plus jounraliers, les plus 6l6mentaires de notre vie sont dans la d~pendance de ce souverain, et non-senlement de lui, mais de ses m-inistres, de ses pr6fets, de ses adjoints 2I8 2 i8 FRENCH REA DER. et de ses, gardes champ~tres. Nous, citoyens, si fiers d'une monarchie parlementaire et representative, qui nous, re'voltions quaind on s'avisait de nous appeler sujets, nous 6tions, cependant et nous sommes sujets 'a toutes, les heures et par tons les coins de notre vie. Nous. ne pouvions et nous ne pouvons ni aller de Paris 'a Neuilly, ni diner ensemble vingt et une personnes, ni avoir dans notre malle trois exemplaires, de la me~me brochure, ni prefter un livre 'a un ami, ni ajouter une poign~e de plaftre 'a une maison situ~e sur la rue, ni tuer une perdrix, ni planter un arbre sur le bord d'un chemin, ni prendre du charbon dans notre propre terrain, ni enseigner 'a lire 'a trois on quatre enfants, nii r~unir des voisins, pour une priere, ni avoir cbez nous un oratoire (qu'est-ce qui constitue un oratoirei') ni saigner un malade, ni lui rendre un remMe, ni (en certains, pays) nous, marier, ni faire mille autres choses, dont 1'6num6ration remplit des volumes et n'est compl~ete nulle part, sans, lautorisation du gouvernemnent, laquelle (on a soin de nous, en avertir) est toujours et essentiellement r~vocable. Les trois quarts du temps, il est vrai, le gouvernement n'autorise ni interdit; il tolere: nous vivons par tol6rance, nous naissons, nous avons une demeure, une famille, nous, 6levons des enfants, nous, avons, un Dieu, nous avons une religion, grace 'a lindulgente et mise'ricordieuse, mais, toujours, r~vocable, tolerance du pouvoir. Il n'y a qu'une seule des actions humaines, sur laquelle le gonvernement n'ait pas autorit6; nous, nen avons pas besoin pour nous faire enterrer. Souverains, an momns 'a certaines 6poques, dans les grandes choses et dans. les, choses publiques, nous, sommes sujets dans les petites, choses et dans les choses priv~es. Maiheureusement c'est des 'petites choses que la vie- est faite, et ce sont les choses priv~es qui sont les choses impertantes de la vie. Voill~ donc nos servitudes et nos libert~s. Disons maintenant ce qu'6taient les libert~s, et les, servitudes de l'empire romain. L'empire romain n'avait pas de charte constitutionnelle; on pluto't il en avait une; c'e'ait le s~natus-consulte renouvel6 'a chaque r~gne qui ne stipulait pour le peuple rien et donnait au prince tout. L'empire romain n'avait aucune assembl~e' d6lib6 -rante 'a la moderne; le s~nat, quoique inamovible de droit et h~re'ditaire de fait, on pen s'en faut, le s6nat n'avait ni ind~pendance, ni publicit6, ni prerogative bien d~termin~e. Il 6tait, constitutionnellement parlant, le vrai souverain de l'empire, comme FRENa_-zCH PEADIER.29 2 19 le dalfri du Japon en est le souverain; mais comme celui-ci ii s'6tait donn6 un lieutenant qui pouvait tout, m~me contre mui. L'empire romain n'avait pas une seule loi protectrice de sa libert6. Non, je ne sais pas dans l'empire une seule loi protectrice de sa libert:6, pas une, si petite qu'elle soit, qui puisse passer pour une restriction de la puissance implriale. Voil'a quelles 6taient les servitudes de l'empire romain. Quelles 6taient ses libertds? Les libertis, je viens de le dire, n'6taient point des lois; c'&taient plus on moins que des lois; c'6taient des faits. Et ces faits peuvent se rdsurner en un seul: l'art du gouvernement 6tait momns perfectionne' alors qu'il ne l'est aujourd'hui. On e'tait plus libre parcequ'on &tait momns civilis6. Ainsi l'empire romain avait sa libert6 individuelle. Le mot pent parailtre dtrange sous les U~sars, et je conviendrai m~me que les lois Porcia et Sempronia qui, sons la ripublique, avaient 6t6 une esp~ce d'habeas corpus, avaient perdu de leur puissance sous les empereurs. Mais observez, que CUsar (outre qu'il n'avait, point de t6I~graphe ni de chemins de fer) n'avait pas m~me, premiere lacune, d'administration constitule; il n'avait pas une hi~rarchie de fonctionnaires d~pendant les uns des autres, promovibles et amovibles les uns par les autres et tous par le mailtre commun. Les proconsuls eux-m~mes et les propr~teurs, mutnellement ind~pendants, 'a demi 6lectifs, nomm~s pour trois ans environ, et an bout de ce temps accusables par leurs administr6s, etaient demeuris jusqu'Ik un certain point dans les conditions de libert6 et de responsabilit6 personelle des roagistrats de la ripublique. Par suite, seconde lacune, CUsar n'avait point et ne pouvait point avoir de police, il n'avait que ces espions volontaires, nomm~s d6lateuirs, instruments mal commodes et m~me dangereux, qu'il fallait exciter, encourager, ricompenser, avec lesquels il fallait compter, marchander, d6 -battre. Le coeur eu't bondi de joie 'a Tib~re 'a l'id~e d'un grand syst~me de d6lation et d'espionnage administratif, constitu6 d'en haut et rayonnant jusque tout en bas, tel que nous le devons, je crois, h M. de Sartines. Le czeur lui ellit bondi, mais la bourse lui eflt fait d~faut; car, troisi~me lacune, CUsar n'avait pas de budget; l'art fiscal 6tait dans son enfance. Ces vastes contr6es, en moyenne aussi riches qu'elles le sont anjonrd'hni, et qni, sans trop crier, donnent un budget total de cinq milliards au momns 'a *- 20 FtRENCH READER. leurs souverains actuels, ne donnaient pas B Cesar 400 millions; et comme les contributions qui produisaient ces 400 millions etaient prdalablement tamisdes par les mains d'une cinquantaine de mille publicains ou agents fiscaux, les contribuables, payant peut-8tre le double de ce que recevait l'empereur, criaient epouvantablemcnt. Enfin, si Cdsar, voulant trop forcer la main a son peuple, eut amend un soulbvement un peu serieux, il eut etd impuissant a le rdprimer; car, quatrieme lacune, Cdsar, n'ayant pas de budget, n'avait point d'armee. Ces contrdes, qui ne levent pas aujourd'hui moins de trois millions de soldats, alors, sans 8tre beaucoup moins peupldes qu'elles ne le sont, ne fournissaient pas plus de 300,000 hommes, et ces 3oo,ooo hommes etaient absorbds par la garde des frontieres. I1 y avait des provinces entieres sans un soldat. Cet empire sans administration, sans police, sans budget, sans armde, ferait par sa pauvretd militaire, fiscale, administrative, hausser les dpaules au dernier commis de la prefecture de police, de la prefecture de la Seine, du ministbre de la guerre ou du ministere des finances: je le sais. Mais qu'eussent pensd de nos monarchies si bien constituees, si vigilantes, si riches, si fortement armdes, je ne dirai pas les commis, mais les sujets de l'empire romain? N'eussent-ils pas un peu bdni cette impuissance et cette indigence du pouvoir romain qui dtait pour eux le plus sur des habeas corpus et la meilleure garantie de la libertd individuelle? Avec la libertd individuelle, l'empire romain avait encore, par suite de cette indigence et de cette impuissance du pouvoir, la libertd de la propridt6. Le droit de propridtd dtait absolu, autrement, je le crois, qu'il ne l'est dans les cites modernes. Auguste avait trouvd le droit de propridtd ebranle par la perturbation des guerres civiles; il s'6tait fait honneur de le respecter et de le relcver. II se vante d'avoir fondd des colonies de vdtdrans, et de les avoir fonddes en grand nombre, non comme il s'dtait fait sans cesse depuis Sylla sur un sol usurpe par la force, mais sur un sol achete de ses deniers; il est le premier, dit-il, qui ait agi avec ce scrupule. I1 se vante aussi d'avoir achetd a des particuliers le terrain ou devait s'dlever son forum et son temple de Mars Vengeur; il est certain, en effet, et par le temoignage des historiens et par la forme tourmentde que presente encore l'enceinte ruinde de ce forum, qu'Auguste avait restreint et modifid le plan.de ses architectes pour ne pas FRENCH READER. 2 22 1 faire violence aux ent~tements de la propri&t6: Auguste nous a laiss6 la son moulin de Sans-Souci. Ii ne faut pas m~me s'imaginer, qu'apres lui, sous les tyrans, le principe de la propri&t6 ait p~ri. Si le droit d'expropriation e-ht 6t6 tenu pour absolu, on ne se fMt donn6 la peine ni de d6noncer les riches pour arriver 'a la confiscation de leurs biens, ni de supposer ou dextorquer des testaments pour s'emparer des patrimoines, ni de brliler Rome pour la rebqtir plus belle. Comte de Champagny: "Les Antoninzs." 55. Marc-Aure'le. Son enfance a 6t6 grave, s6vere, s6rieuse; il a pin par ce contraste m~me 'a la cour d'lladrien; Hadrien l'a aimd et a chang6 son surnom patronymnique de Veins en celui de Verissimus. Une sorte de saintet6, comnme des patens la pouvaient comprendre, l'a approch6 de bonne henre des temples et des autels; 'a six ans, Hadrien l'a reve'tu d'une fonction sacerdotale; ii l'a remplie avec gravit6 et conscience, tenant 'a savoir par cceur les formules d'invocation que d'ordinaire les princes se font souffler. Tous les sages de son temps, moins sages que mui, lui ont prodigue6 des legons qu'il a reques plut6t avec trop de docilit6. Son corps et son esprit se sont exerc~s h tout; la palestre a fortifi sa constitution, que l'6tude et les aust~rit~s devaient affaiblir; il n'a pas d~daign6 la chasse, ce divertisse, ment imp~rial mis en honneur par Trajan; la peinture ne lui a pas &t6 64trang~re; la rh~torique, cette manie de son si~cle, l'occnpera jusque sous la pourpre; la jurisprudence, cette science bien imp~riale et bien romaine, lni est devenue famnilire. Mais la philosophie surtout a mis la main sur lui comnme sur son bien. Elle l'a d~goeit et des amusements de la po~sie et des mensonges de la rh~toriqne, et des subtilit~s de la logique, et des curiosit~s m~me de la science; il se f~licite de ne s'y 6tre pas adonn6 ou m~me de nWy avoir pas r6ussi. A douze ans, ii a port6 le manteau du stoYque; il a voulu. concher sur la dure, et sa mbre a obtenu 'a grand'peine qu'il e-ftt un lit couvert d'une peau. Il a pris ainsi de la philosophie ce qn.'elle pouvait avoir de plus dur pour l'enfance, la mortification corporelle. Gra~ce 'a elle, et encore plus grnfce h sa bonne nature, ii s'est d~pouillM de bonne heure de cette preoccupation de soi-m~me, inevitable dans les premilbres ann~es de la vie. Encore enfant, ii recoin 222 222 FRENCP-1VH READER. mancle aux intendants de ses domaines de ne pas abuser de ses droits contre le pauvre. A seize ans il renonce en faveur de sa sceur l'hMritage paternel; et aux remontrances de sa m'ere il. repond: "J'ai la fortune de mon aveul; elle me suffit, donne aussi ton bien 'a ma sceur, afin qu'elle ne soit pas au-dessous de son marl." Ii s'opcre en lui une bien autre merveille: ce jeune homme, ce Cesar traverse la cour dissolue d'Hadrien et vingt ans de demi-royaut sons Antonin, sans y perdre ses mceurs. Incontestablement, c'.7est une ame d'61ite. Ce sens moral, ce gofit des biens de lFaime, beaucoup plus instinctif qu'il n'est logique, et qui perce chez S6ne'que, chez Musonius, chez Epictke, ih travers leur philosophie et souvent malgr6 leur phulosophie, n'est nulle part aussi puissant que chez MarcAure'le. Ii y a chez lui une sinc~rit6, une volont6 du bien. Les pens6es qu'il nous a laisse's ne sont pas faites pour le public, pas me~me pour un ami: ce sont des notes 6crites h la halte, sans ordre, sous la tente plus souvent que dans le palais, et que nul ne doit lire, si ce n'est celui qni les &crit. Ce sont des traces laiss6es par une aime qui s'est examin6e, consult~e, interrog6e, qui a mesur6 son progre's dans le bien, qui a g~mi sur ses faiblesses, qui s'est elle-m~me r~primand~e, chati~e, mortifie'e par le jefine, puis encourag6e, rectifi~e, relev~e. La sinc~rit6 de cette interrogation solitaire en fait un des plus pr~cieux monuments de l'antiquit6. Cette Ame qui se juge ainsi a le m~rite de ne pas se faire honneur 'a elle-me'me des biens qu'elle trouve en cdie. C'est de toutes les vertus paYennes celle qui sent le momns l'orgueil. Marc-Aur'ele a le don de reconnaitre en toute chose le m~rite d'auLtrui plutd't que le sien. Fronton cst ami de Marc-Aur'ele, He~rode Atticus l'est aussi. Oui, mais tons deux sont rh6teurs, tons deux illustres, par suite jaloux, presque ennemis. Voyez quelle peine Marc-Aur'elc se donne pour les r6concilier. La m~moire des morts ne lui est pas momns che're; celle de son pere, quoiqu'il 1'ait 'a~ peine conun; celle de son grand-pere, quoiqn'il ait 'a se f~liciter d'avoir quitt6 sa maison, celle d'Antonin, sur 1'61oge duquel il revient sans cesse, et qu'il n'a pas quitt6 plus de deux units pendant ses vingt ans de re'gne. C'est bien lit cette pi&t6 envers les siens it laquelle Antonin it dU' son surnolim Et comme ce mot de pi&t6, FR.ENVCH READER.23 223 si beau qu'il soit, n'exprime pas assez, au gr6 de Marc-Aur~le, cet amour presque passionn6 des siens qui est un trait 6minent de son caracte're, il en cherche le nom. dans la langue grecque, plus riche et moins s~v'ere que la langue romaine. Il y trouve le mot de philostorgia, et ce mot devient usuel entre lui et Fronton: I IL'amour des siens, la philostorgia," dit Fronton, I"In'est pas une vertu romaine, et je n'ai gue're trouv6 'a Rome un homme qui fut v~ritablement philostorgos. Voila pourquoi cette vertu n'a pas de nom. dans notre langue." En r~sum6, et en religion et en morale Marc-Aur~de a I'instinct du bien pluto~t que la possession du vrai. La raison qu'il donne de sa vertu, loin de la fortifier, la gafte et l'affaiblit. C'est une Ame honn~te et sinc~re en m~me temps que douce et tendre, mais, 'a laquelle manque une certaine force dans la volont6, une certaine d6cision dans l'esprit. Marc-Aurble fut sonvent faible envers les hommes; tr~s-61oign6 de l'esprit antique qni pe'chait par inaffection, duret6, ingratitude, il prodigua au contraire, et ~ sa famille et 'a sa maison, et aux strangers, parfois aux coupables, l'indulgence, le management, le respect, l'amour, pouss6s an point oii la faiblesse commence. Marc-Aur~Ie fut surtout ce que l'antiquit4 aurait Pu appeler faible envers ses dieux. Ce perp~tuel 6tudiant de la philosophie ne fut jamais assez philosophe pour envisager hardiment et de sang-froid Ve'~difice insontenable et d~mantel6 du polyth~isme. Sto~cien, mais pas assez pour m~priser la th6urgie n6o-platonicienne; platonicien quelquefois, mais pas assez pour rejeter le panth6isme des stoYques; Epict'ete, qu'il remercie tant Rusticus de Iui avoir fait lire, ne lui a pas appris 'a s'61ever au-dessus des c&r~monies sacr~es par 1'essor d'nne Ame naturellement religiense; Maxime de Tyr, qn'il a tant aims, n'est point parvenu 'a li donner la notion certaine du Dieu un et personnel, de 1'a'me immortelle, de l'invocation, de la pri~re. Ii n'ose pas s'avoner, m~me dans la mesure oii S~n~que et Epict~te l'ont fait, que cette th6urgie sans dogme et meme sans Dieu dans laquelle il se laisse envelopper, ne pent 6tre qne risible on funeste, supercherie de l'homme on prestige d~moniaque, duperie on sacril~ge. STi Pefit O'6 il serait arriv6 au monoth~isme dn philosophe, sinon an monoth6isme du chr~tien. Il n'efit peut-8tre pas &6 pros~lyte de e'6glise, il nen efit pas du momns 6t6 pers6cuteur. Mais par maiheur son a&me et son esprit ,224 224 FRENCH READER. s'inclitiaient trop timidement devant ses maitres, devant son peuple, devant ses dieux. Voilt pourquoi ce prince cl6ment, honntte, plus chaste que tout son si'cle, et qui avait avec le christianisme plus de points de contact qu'ancun de ses prdd6 -cesseurs, fut envers le christianisme plus intolerant qu'aucun de ses prdd6cesseurs depuis la mort de Domitien. Voil'a ponrquoi aussi avec lui finit cette halte entre Domitien et Commode, que la Providence par un singulier concours d'dvdnements, avait mdnagde an monde romain. Le ddclin ne commen~a pas, nous le verrons, aprks Marc-Aurele, mais sons lui; et qnoique les maux ext6rienrs de l'empire y soient pour quelqne chose, le caractbre de l'homme, ce caractbre trop bien fagonnd peut-tre, y est pour beaucoup. Corn/c de Chamnpagny: "Les Anlonins." 5 6. Le Coq et la Perle. Un jour un coq de'ournu Une perle, qu'il donna Au beau premier lupidaire. Je lu crois fine, dit-il; Muis le moindre grain de mil Serait bien mieux mon affuire. Un ignorant hdrita D'nn manuscrit, qn'il porta Chez son voisin le libruire. Je crois, dit-il, qn'il est bon; Mais le moindre ducuton Seruit bien mieux mon uffuire. La Fon/aine. 57. Le c/dien 911 kkche sa Prolepour lOrnbre. Chacun se trompe ici-bus: On voit conrir upr~s l'ombre Tant de fous qn'on n'en suit pas, La plupurt du temps, le nombre; Au chien dont parle Esope ii faut les renvoyer. Ce chien voyant sa proie en l'ean reprdsent6e, La quitta pour l'imagre, et pensa se noyer; FRENCH READER.2 2 12 5 La rivibre devint tout d'un coup agit&e; A toute peine il regagna les bords, Et n'eut ni l'onbre ni le corps. La Fontai~ne. 58. Le Rat de Ville el le Rat des Cham~ps. Autrefois le rat de ville Invita le rat des champs, D'une fa~on fort civile, A des reliefs d'ortolans, Sur un tapis de Turquie Le couvert se trouva, mis; 3 e laisse 'a. penser la vie Que firent ces deux amis. Le r~gal fut fort honnkte; Rien ne manquait au festin: Mais quelqu'un troubla la fete Pendant qu'ils 6taient en train. A la porte de la salle Ills entendirent du bruit; Le rat de viule d~tale, Son camarade le suit. Le bruit cesse, on se retire, Rats en campagne aussit6t; Et le citadin de dire, "1Achevons tout votre rot""C C'est assez, dit le rustique; Demain vous viendrez chez moi. Ce n'est pas quie je me pique De tons vos festins de roi: Mais rien ne vient m'interrompre; Je mange tout 'a loisir. Adieu donc. Fi du plaisir Que la crainte pent corrompre! La Fontaine. 2 A 226 ~FRENCH READE.R. 59. La Perdrix el/les Cop's. Parmi de certains coqs, incivils, peu galants, Toujours en noise, et turbulents, Une perdrix e'tait nourrie. Son sexe et 1'hospitalit6, De la part de ces coqs, penpie 'a l'amonr port6', Lui faisaient espe'rer beaucoup, dhonneftet6: Ils feraient les honneurs de la rr6nagerie. Ce peuple, cependant, fort souvent en furie, Pour la dame 6trange'e ayanit peu de respect, Lui donna fort souvent d'horribles coups de bec. D'abord elle en fut afflig6e; Mais sitO~t qn'elle efit vu cette troupe enrag~ee S'entre-battre elle-me~me et se percer les flancs, Elle se consola. Ce sont leurs mceurs, dit-elle; Ne les accusons point, plaignons pluto"t ces gens: Jupiter snr un seul mode'le N'a pas forme' tons les esprits; Ii est des naturels de coqs et de perdrix. STi d~pendait de moi, je passerais ma vie En pius honn~te compagnie. Le maitre de ces lieux en ordonne autrement; II nous prend avec des tonnelles, Nous loge avec des coqs, et nous coupe les ailes: C'est de 1'homme qn'il faut se plaindre seulement. La Fonlaziie. 6o. La F/cur cl/ce Pa'p//on. La pauvre fleur disait an papillone Celeste: Ne fuis pas! Vois comrne nos destins sont diff~rents. Je reste, Tu. t'en vas! Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes Et loin d'eux, Et nous nous ressemblons, et l'on dit quo nous sommes Fleurs tons deux! FPRENCH READER.27 2z7 Mai's, h~las! l'air t'emporte et la terre m'enchaine: Sort cruel! J e voudrais embaumer ton vol de mon haleine Dans le ciel!1 Mais non, tu. vas trop loin. Parmi des fleurs sans nombre Vous fuyez, Et moi je reste seule 'a voir tourner mon ombre A mes pieds! Tu fuis, puis tu reviens, puis tu t'en vas encore Luire ailleurs. Aussi me trouves-tu toujours 'a chaque aurore Toute en pleurs!1 Oh! pour que notre amour coule des jours fide'les, 0 mon roi, Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes Comme 'a loi. Vic'dor Vugo. 61. ts~oir en Di'eu. IEspere, enfant! demain!1 et puis demain encore! Et puis toujours demain I croyons dans l'avenir. Espere! et chaque fois. que se I~ve l'aurore, Soyons I'a pour prier comme Dieu pour b~nir! Nos fautes, mon pauvre ange, ont ca~us6 nos souffrances. Peut-6tre qu'en restant bien long-temps 'a genoux, Quand il aura b~ni toutes les innocences, Puis tous les repentirs., Dieu finira par nous. Vic/or Hugo. 62. La Z'ombe ef la Rose. La tombe dit 'a la rose: Des pleurs dont l'aube t'arrose Que fai's-tu, fleur des amours? La rose dit 'a la tombe: Que fais-tu de ce qui tombe Dans ton gouffre ouvert toujours? ')22 -FRENCH READER. La rose dit: Tombeau sombre, De ces fleurs je fais dans l'ombre Un parfum d'ambre et de mid., La tombe dit: Fleur plaintive, De chaque a~mc qui m'arrive Je fais, un ange du ciel. J7~ior Hugo. 63., Ode. Dieu vous garde, messagers fide'les — Dui printemps, gentes hirondelles, Iluppes, cocus, rossignolets, Tourtres, et vous oiseaux sa-uvages, Qui de cent sortes de ramages Animez les bois verdelets. Dieu vous garde, belles paquerettes, Belles roses, belles fleurettes De Mars, et vous boutons connus Dui sang d'Ajax et de Narcisse; Et vous, thym, anis, et m'61isse, Vous soyez les bien revenus. Dieu vous garde, troupe diapr6e De papillons, que par le pr6 Les douces herbes su~otez; Et vous, nouvel essaim d'abeilles Qui les fleurs jaunes et vermeilles indiffe'remment baisotez. Cent mille fois je resalue Votre belle et douce venue; 0 que j'aimne cette saison Et ce doux caquet des rivages, Au prix des vents et des orages Qui mi'enfermaient en la maison Ronsard (I 524-,589). 64. Avrdl. Avril, 1'honneur et des bois, Et des mois: -PREATCH READER. Avril, la douce esp6rance Des fruits qui sous le coton Du bouton Nourrissent leur jeune enfance, Avril, 1honneur des pr6s verts, Jaunes, pers, Qui d'une humeur bigarr~e Emaillant de mile fleurs De couleurs Leur parure di'aprde. Avril, c'est ta douce main, Qui du sein De la nature desserre Une moisson de senteurs, Et de fleurs, Embaumant 1'air et la terre. Avril, la grace et le ris De Cypris, Le flair et la douce haleine Avril, le parfum des dieux, Qui des cieux Sentent l'odeur de la plaine. C'est tol, Courtois et gentil, Qui d'exil Retires ces passageres, Ces hirondelles qui vont, Et qui sont Du printemps les messag'eres. L'aub~pin et l'glantin Et le thym, Lkoeillet, le lis, et les roses En cette belle saison, A foison,9 Montrent leurs robes 6closes. 22-)9 230 FRENCH READER. Le gentil rossignolet Doucelet, Dcoupe dessous I'ombrage Mille fredons babillards, Fr6tillards, Au doux chant de son rainage. Tu vois en ce teimps nouveau L'essaini beau De ces pillardes, avettes Voleter de fleur en fleur, Pour l'odeur Quils mussent en leurs cuissettes. Mai vantera ses fraicheurs, Ses fruits mtirs, Et sa, f6conde roske, La manne et le sucre doux., Le miel roux, Dont sa grace est arrosee. Mais moi je donne ma voix A ce mois, Qui prend le surnom de celle Qui de l'cumeuse mer Vit gerruer Sa. naissance inaternelle. Re'mi Belkeam4 65. Le Cor. J'aime le son du cor, le soir an fond des bois, Soit qn'il chante les pleurs de la biche aux abois, On IYadieu dn chasseur que l'cho faible accueille, Et que le vent dn nord porte de fenille en fenille, Que de fois seul dans 1'ombre ha minuit demeur',, J'ai souri de l'entendre, et plns souvent pleur6 I Car je croyals oufr de ces bruits proph6tiques Qui pr6c6daient la mort des paladins antiques. -FARENCH READZER. 3 '2 3 -1 o montagnes d'azur! 6 pays ador6! Rois de la Frazona, cirque du Marbor6 Cascades qui tombez des neiges entrain~eg, Sources, gaves, ruisseaux, torrens des Pyr~n6es; Monts ge1~s et fleuris, tr~ne des deux saisons, Dont le front est de glace et les pieds de gazons! C'est Ila qu'il faut s'asseoir, c'est Ia' qu'il faut entendre Les airs lointains d'un cor m6lancolique et tendre. Souvent un voyageur, lorsque 1'air est sans bruit, IDe cette voix d'airain fait retentir la nuit; A ses chants cadenc6s autour de Iui qui se mole L'harmonieux grelot du jeune agneau qui bole. Une biche attentive, au lieu de se cacher, Se suspend immobile au sommet du rocher, Et la cascade unit, dans une chute immense, Son 6ternelle plainte au chant de la romance. Ames des chevaliers, revenez-vous encore? Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor? Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre vall~ee L'ombre du grand Roland n'est donc pas consol6e! Aj'fred de Vzgny. 66. Les Efozies qzdfilenl. " Berger, tu dis que notre 6toile R~gle nos jours et brille aux cieux? " Oui, mon enfant; mais dans son voile La nuit la d6robe 'a nos yeux."P "Berger, sur cet azur tranquille, De lire on te croit le secret: Quelle est cette 6toile qni file, Qui file, file, et disparailt?" "Mon enfant, un mortel expire, Son 6toile tombe 'a l'instant, Entre amis que la joie inspire, Celui-ci buvait en chantant; 232 I'FRENCH READE-R. Heureux, il s'endort immobile Aupr~es du yin qu'il c6l~hrait.. Encore une 6toile qui file, Qui file, file, et disparait. "Mon enfant, qu'elle est pure et belle!1 C'est celle d'un objet charmant, Fille heureuse, amante fid~le, On l'accord au plus tendre amant. Des fleurs ceignent son front nubile, Encore une 6toile qui file, Qui file, file, et disparalt "Mon fils, c'est 1'6toile rapide IDun tr~es-grand seigneur nouveau-ne; Le berceau qu'il a laiss6 vide D'or et de pourpre etait orn6. Des poisons qu'un fiatteur distille Encore une 6toile qui file, Qui file, file, et disparait. "Mon enfant, quel dclair sinistre! C'6tait l'astre d'un favori, Qui se croyait un grand ministre Quand de nos maux il avait ri. Ceux qui servaient ce dieu fragile Ont d~j'a cacb6 son portrait. Encore une stoile qui file, Qui file, file, et disparait. "Mon fils, quels pleurs seront les n6tres! D'un riche nous perdons l'appui; L'indigence glane chez d'autres, Mais elle moissonnait chez lui. Ce soir m~me, sfir d'une asile, A son toit le pauvre accourait. Encore une e6toile qui file,.Qui file, file, et disparalit. FR""ENCH READER.23 233 "C'est celle d'un puissant rnonarque;. Va, mon fils, garde ta candeur; Et que ton 6toile ne marque Par I'clat ni par la grandeur. Si tu brillais sans 8tre utile, A ton dernier jour on dirait: Ce n'est qu'une 6toile qui file, Qui, file, file, et disparait." Be'ranger. 67. Mort dejeanne d'Arc, le 30 Mai, -143I1. Silence au camp! la vierge est prisonni'ere; Par un injuste arr~t Bedford croit la fi6trir: J eune encore, elle touche 'a son heure derni~re; Silence au camp! la vierge va. p~rir... Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l'image; Ses longs cheveux 6pars flottaient au gr6 des vents; Au pied de l'chafaud, sans changer de visage, Elle s'avan~ait 'a pas lents. Tranquille, elle y monta; quand, debout sur le falite., Elle vit ce bficher qui l'allait d6vorer, Les bourreaux en suspens, la flamme d6j'a prkte, Sentant son cceur faillir, elle baissa la teote, Et se prit 'a pleurer. Ah! pleure, fille infortune'e! Ta jeunesse va se fl6trir, Dans sa fleur trop to~t moissonn~e! Adieu, beau ciel, il faut mourir. Ainsi qu'une source affaiblie, Pr~s du lieu m~me ou nait son cours, Meurt en prodiguant ses secours Au berger qui passe et l'oublie. Ainsi dans l'gge des amours Finit ta chaste destin~e, Et tu p~ris abandonn~e Par ceux dont tu sauvas les jours. 234 FRENCH READER. Tu ne reverras plus tes riantes montagnes, Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs, Et ta chaumiere et tes compagnes, Et ton pere expirant sous le poids des douleurs. Chevaliers, parmi vous qui combattra pour elle? N'osez-vous entreprendre une cause si belle? Quoi I vous restez muets! aucun ne sort des rangs? Aucun pour la sauver ne descend dans la lice! Puisqu'un forfait si noir les trouve indiff6rents, Tonnez, confondez linjustice, Cieux, obscurcissez-vous de nuages 6pais; Eteignez sous leurs flots les feux du sacrifice, Ou guidez au lieu de supplice, A defaut de tonnerre, un chevalier fran9ais. * * * * *- * Apres quelques instants d'un horrible silence, Tout-a-coup le feu brille, il s'irrite, il s'dlance, La flamme l'environne, et sa voix expirante Murmure encore: "O! France! 6 mon roi bien-aime!" Que faisait-il ce roi? Plong6 dans la mollesse, Tandis que le malheur reclamait son appui, L'ingrat, il oubliait aux pieds d'une maitresse La vierge qui mourait pour lui! Ah! qu'une page si funeste De ce regne victorieux Pour n'en pas obscurcir le reste, S'efface sous les pleurs qui tombent de nos yeux! Qu'un monument s'6leve au lieu de ta naissance, O toi, qui des vainqueurs renversas les projets! La France y portera son deuil et ses regrets, Sa tardive reconnaissance; Elle y viendra gemir sous de jeunes cypres' Puissent croitre avec eux ta gloire et sa puissance! Que sur l'airain funebre on grave des combats, Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes. Venez, jeunes beaut6s: venez, braves soldats; Semez sur son tombeau les lauriers et les roses! -FRE~NCIJ READE~R,23 235 Qu'un jour le voyageur, en parcourant ces bois, Cuejille un ramneau sacr6, l'y depose et s'&crie: " A celle qui sanva le tro~ne et la patrie, Et n'obtint qu'un tombeau pour prix de ses exploits! C. -Delavegne. 68. La Relraile. Je sais, sur la colline lUne blanche maison; Un roche la domine Un buisson d'aub~pine Est tout son horizon. LVa jamais, ne s'61bve Bruit qui fasse penser; Jusqu' a ce qu'il s'achbve On pent mener son rave Et le recommencer. Le clocher du village Surmonte ce s~jour, Sa voix comme un hommage Monte an premier nuage Que colore le jour. Signal de la pribre, Elle part du saint lieu, Appelant la premi~re L'enfant de la chaumie're A la maison de Dieu! Aux sons que l'cho ronle Le long des e~glantiers, Vous voyez l'humhle foule Qni serpente et s'6coule Dans les pieux sentiers; C'est la panvre orpheline Pour qni le jour est court, Qni d~ronle et termine Pendant qu'elle chemine Son fusean d~j lourd; F-RENCH READER. C'est l'aveugle que guide Le mur accoutumne, Le mendiant timide Et dont la main di'vide Son rosaire enfum6; C'est 1'enfant qui caresse En passant chaque fleur, Le viejillard qui se presse: L'enfance et la viefilesse Sont amis du Seigneur! La fentre est tourn~ee Vers le champ des tombeaux, Ou 1'herbe moutonn~ee Couvre apre's la journ~ee Le sommeil des hameaux. Plus d'une fleur nuance Ce voile du sommeil; L'a tout fut innocence, Lh tout dit: espe'rance! Tout parle de r~veil! Mon ceil, quand il y tombe, Voit 1'amoureux, oiseau Voler de tombe en tombe Ainsi que la colombe Qui porta le rameau; On quelque pauvre veuve Aux longs rayons du soir Suir une pierre neuve, Signe de son 6preuve, S'agenouiller, s'asseoir; Et 1'espoir sur la bouche Contempler du tombeau, Sous les cypr~s qu'il touche, Le soleil qui se couche Pour se lever plus beau. FRENCH READER.23 237 Paix et mdlancolie Veillent 1l4 pre's des morts, Et 1'me recuejilie Des vagues de la vie Croit y toucher les bords! Laynar/ine. 69. Ode a' Lord Byron. Toi dont le monde encore ignore le vrai nom, Esprit myste'rieux., mortel, ange on demon, Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal g~nie, J'aime de tes concerts la sauvage harmonie, Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents Se m~lant dans l'orage 'a la voix des torrents! La nuit est ton sdjour, l'horreur est ton domaine; L'aigle, roi des d6serts, d6daigne ainsi la plaine, Ii ne veut, comme toi, que des rocs escarp~s Que l'hiver a blanchis, que la foudre a frappe's; Des rivages couverts des d~bris du naufrage. On des champs tout noircis des restes du carnage; Et, tandis que l'oiseau qui chante ses douleurs, Baftit au bord des eaux son nid parmi les fleurs, Eni des sommets d'Athos franchit l'horrible cime, Suspend aux flancs des monts son air sur I'ablime, Et ka", seul, entour6 de membres palpitants, Trouvant sa volupt6 dans les cris de sa proie, Berce' par la tempefte, il s'endort dans la joie. Lamar/m'e. 7 0. Rap~pelle-/oi. Rappelle-toi quand l'aurore craintive Ouvre an soleil son palais encbant6; Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive Passe en r~vant sons son voile argent6; A l'appel du plaisir lorsque ton sein palpite Aux doux songes du soir lorsque l'ombre t'invite, Ecoute an fonds des bois Murmurer une voix: Rappelle-toi. 238 238~PFR-ENCH READER. Rappelle-toi, lorsque les destin6es M'auront de toi pour jamais s~par6; Quand le chagrin, l'exil et Ies ann~es Auront fl~tri ce cceur d~sesp&r6; Songe 'a mon triste amour, songe 'a l'adieu supreme! L'absence ni le temps ne sont rien lorsqu'on aime: Tant que mon cceur battra Toujours il te dira: Rappelled oi! Rappelle-toi, quand sous la froide terre Mon cceur bris6 pour toujours dormira; Rappelle-toi, quand la fleur solitaire Sur mon tombeau doucement s'ouvrira. J e ne te verrai plus, mais mon Ame immortelie Reviendra pr~s de toi comme une sceur fid'ele. Ecoute, dans la nuit, Une voix qui ge'mit: Rapplle-oi.? Al~fred de Mussel. 71. Le vieu Drpeau. De mes vieux compagnons de gloire Je viens de me voir entour6, Nos souvenirs m' ont enivre6, Le yin m.'a rendu la m~moire; Fier de mes exploits et des leurs, J'ai mon drapeau dans ma chaumie're. Quand secouerai-je la poussie're Qui ternit ses nobles couleurs? Il est cacM sons l'humble paille Oii je dors, pauvre et mutil, Lui qui, sfir de vaincre, a vo16 Vingt ans de bataille en bataille! Charg6 de lauriers et de fleurs, Il brilla sur l'Europe entiere. Quand secouerai-je la poussi~re Qui ternit ses nobles couleurs? 7RDENCH READER.23 239 Ce drapeau payait h la France Tout le sang qu'il nous a oeSur le sein de la Libert6 Nos fils jouaient avec sa lance. Qu'il prouve encore aux oppresseurs Combien la gloire est roturi~ere. Quand secouerai-je la poussi~ere Qui ternit ses nobles coufleurs?. Son aigle est rests dans la poudre, Fatigu6 de lointains, exploits. Rendons-Ini le coq des Gaulois: IL sut ainsi lancer la foudre. La France, oubliant ses douLeurs, Le reb6nira, libre et fibre. Quand secouerai-je la poussi~re Qui ternit ses nobles couleurs? Las d'errer avec la victoire, iDes Lois il deviendra L'appui. Chaque soldat fuat, grace 'a lui Citoyen auxi bords de la Loire. Seul il pent voiler nos maiheurs; D6ployons-le sur la frontiere. Quand seconerai-je la poussie're Qui ternit ses nobles couLeurs? Mais il est la, pr~es de mes armes, Un instant osons L'entrevoir. Viens, mon drapeau, viens, mon espoir! C'est 'a toi d'essuyer ines larmaes. D'un guerrier qui verse des pleurs Le ciel entendra la pri~re. Oui, je seconerai la poussi~re Qui ternit tes nobles couLeurs. Thfranger. 72. Les IHzrondelles. Captif an rivage du Manre, Un guerrier, courb6 sons ses fers, Disait: -Je vous revois encore, Oiseaux, ennemis des hivers. 240 240 ~FRZENCH READER. Hirondelles, que 1'esp~rance Suit jusqu'en ces brufflants climats, Sans doute vous quittez la France: De mon pays ne me parlez-vous pas? Depuis trois ans je vous conjure De m'apporter un souvenir Du vallon, oiui ma vie obscure Se berqait d'un doux avenir. Au d6tour d'une eau qui chemine A flots purs, sous, de frais lilas, Vous avez vu notre chaumine: De ce vallon ne me parlez-vous pas? L'une de vous peut-6tre est n~e Au toit oii j'ai requ le jour; Lat, d'une m'ere infortun~ee Vous avez dfi plaindre 1'amour. Mourante, elle croit a~ toute heure Entendre le bruit de mes pas; Elle &coute, et puis elle pleure: De son amour ne me parlez-vous pas? Ma sceur est-elle mari&e? Avez-vous vu de nos garqons La foule, aux noces convi~e, La c~l~brer dans leurs chansons? Et ces compagnons du jeune age Qui m'ont suivi dans les combats, Out-uls revu tous le village De taut d'amis ne me parlez-vous pas? Stir leurs corps 1'tranger peut-6tre Du vallon repreud le chemin; Sous mon chaume il commaude en ma'itre, De ma soeur il trouble l'bymen; Pour moi plus de ma're qui prie Et partout des fers ici-bas. Hirondelles de ma patrie, De ses malheurs ne me parlez-yous pas? Be'ranger. FR"VEN-ZCB -READE.R.24 2 4 I 73. Vers compose's a' l'heure de la Mlort de l'Auleur, el in/errompus par le Bourreau. Comme un dernier rayon, comme un dernier z6phyre Anime la fin d'un beau jour,~ Au pied de le'chafaud j'essaie encore ma lyre. Peut-8tre est-ce bient t mon tour. Peut-6tre avant que l'heure en cercie promen~ee Ait pos6, sur l'6mail brillant, Dans le soixante pas oii sa route est born~e, Son pied sonore et vigilant, Le sommeil du tombeau pressera mes, paupieres. Avant que de ses deux moiti6s Ce vers que je commence ait atteint la derniere, Peut-ktre en ces mur effray6s Le messager de mort, noir recruteur des ombres, Escort6 d'infames soldats, Remplira de mon nom ces longs corridors sombres. A ndre Che'nzier. 7 4. La Fregrale la Se'rzeuse. I. Qu'elle 6tait belle ma fr~gate, Lorsqu'elle voguait dans, le vent! Elle avait, au soleil levant, Toutes, les couleurs de l'agate; Ses voiles luisaient le matin Comme des ballons, de satin; Sa quille mince, longue et plate, Portait deux bandes d'6carlate Sur vingt-quatre canons cacb&s; Ses mats, en arribre pench&s, Paraissaient 'a demi couch~s. Dix fois plus vive qu'un pirate, En cent jours du Havre 'a Surate' Elle nous emporta souvent. Qu'elle 6tait belle ma fr~gate, Lorsqu'elle voguait dans le vent! RP 242 FRENCH READER. II. Le Combat. Ainsi pres d'Aboukir reposait ma frigate; A l'ancre dans la rade, en avant des vaisseaux, On voyait de bien loin son corset d'6carlate Se mirer dans les eaux. Ses canots l'entouraient, a leur place assignee, Pas une voile ouverte, on etait sans dangers; Ses cordages semblaient des filets d'araignee, Tants ils 6taient ldgers. Nous etions tous marins. Plus de soldats timides Qui chancellent a bord ainsi que des enfants; Ils marchaient sur leur sol, prenant les Pyramides, Montant des dlephants. I1 faisait beau. La mer, de sable environnee, Brillait commc un bassin d'argent entour6 d'or; Un vaste soleil rouge annonga la journee Du quinze Thermidor. La Serieuse alors s'dbranla sur sa quille: Quand venait un combat, c'dtait toujours ainsi; Je le reconnus bien, et je lui dis: Ma fille, Je te comprends, merci. J'avais une lunette exerc6e aux etoiles; Je la pris, et la tins ferme sur l'horizonUne, deux, trois-je vis treize et quatorze voiles: Enfin, c'6tait Nelson. I1 courait contre nous en avant de la brise; La Serieuse a l'ancre, immobile s'offrant, Re9ut le rude abord sans en etre surprise, Comme un roc un torrent. Tous passbrent pres d'elle en lichant leur bordee; Fiere, elle repondit aussi quatorze fois, Et par tous les vaisseaux elle fut d6bord6e, Mais il en resta trois. F-RENCH -READEYR.24 243 Trois vaisseaux de haut bord-combattre une fr6gate! list-ce l'art d'un marnn? le trait d'un amiral? Un 6cumeur de mer, un. forban, un pirate, N'eiftt par agi si mal.l N'importe!1 elle bondit dans son repos troubl~e, Elle tourna trois fois, jetant vingt-quatre sclars, lit rendit tous les coups dont elle e'ait cribli~e, Feux pour feux, fers pour fers. Ses boulets enchaln&s fauchaient des mits 6normes, Faisaient voler le sang, la poudre et le goudron, S'enfoncaient dans le bois, comme an cceur des grands ormes Le coin du bficheron. Un brouillard de fum6e oji la flamme 6tincelle L'entourait; mais, le corps briM16, noir, 6charp6, Elle tournait, roulait, et se tordait sous elle, Comme un serpent coup6. Le soleil. s'6&lipsa dans l'air plein de bitume; Ce jour entier passa dans le feu, dans le bruit; lit lorsque la nuit vint, sons cette ardente brume On ne vit pas la nuit. Nous 6tions enferm~s comme dans un orage: Des deux flottes au loin le canon s'y m~lait; On tirait en aveugle Li travens le nuage, Toute la men bru'lait. Mai's quand le jour nevint, chacun connut son ceuvre; Les trois vaisseaux flottaient d~m~ts, et si las Qu'ils n'avaient plus de force assez pour la manceuvre: Mais le fn~gate, h~las! Elle ne voulait plus ob~ir Li son maitre; Mutil~e, impuissante, elle allait an hasand; Sans gouvennail, sans mits, on n'eiftt pu reconnaitre La merveille de 1'art! lingloutie 'a demi, son large pont 'a peine S'affaissant par degr6s, se montnait sun les flots; lit I'a ne restaient. plus, avec moi capitaine, Que douze matelots. 112 244 244 FR't"ENACH READER. J e les fis mettre en nier h bord d'une chaloupe, Hors de notre eau tournante et son tourbillon; Et je revins tout seul me coucher sur la poupe Au pied du pavilion. J'aper~us des Anglais les figures livides, Faisant pour s'approcher un inutile effort, Sur leurs vaisseaux flottans comme des tonneaux vides, Vaincus par notre mort. La S~rieuse alors semblait 'a Iagonie, L'eau dans ses cavit~s boujillonnait sourdement; Elle, comme voyant sa carrie're finie, Ge'mit profonddment. J e me sentis pleurer, et ce fut un proclige, Un mouvement honteux; mais biento~t N'touffant: Nous nous sommes conduits comme il fallait, lui dis-je; Adieu donc, mon enfiant. Elie plongea d'abord sa poupe et puis sa prone, Mon pavilion noy6 se montrait en dessous; Puis elle s'enfonga tournant commie une roue, Et la mer vint sur nous. III1. TJ6las! deux mousses d'Angleterre Me sauv'erent alors, dit-on, Et me voici sur un pontonJ'aimerais presque autant la terre! Cependant je respire ici L'odeur de la vague et des brises. Vous 6tes marins, Dieu merci! Nous causons de combats, de prises, Nous fumons, et nous prenons 1'air Qui vient aux sabords de la mer. Votre voix m'anime et me flatte, Aussi je vous dirai souvent: Qu'elle e'tait belle, ma fr~gate, Lorsqu'elle voguait dans le vent! Aif(red de Vzkny (1828). -FR-ENCH READER. ~ 4 '74 4 5 75. Napole'n dans sca Teite. Napoldon veillait, seul et silencieux: La fatigue inclinait cette tate puissante Sur la carte immobile oii s'attachaient ses yeux: Trois guerrieres, trois sceurs, parurent Sons sa tente. Pauvre et sans ornements, belle de ses hauts faits, La premi~re semblait une vierge romaine Dont le ciel a bruni les traits. Le front ceint d'un rameau de ch~ne, Elle appuyait son bras sur un drapeau franqais. Ii rappelait un jour d'6ternelle m~moire; Trois couleurs rayonnaient sur ses lambeaux sacr~s, Par la foudre noircis, poudreux et d~chir~s, Mais d~chir~s par la victoire. Je t'ai connu, soldat; salut; te voilah roi. De Marengo la terrible journde Dans tes fastes, dit-elle, a pris place apre's moi; Salut; je suis ta sceur aiin&e J e te guidais au premier rang; Te prot6geai ta course et dictai la parole Qui ranima des tiens le courage expirant, Lorsque la mort te vit si grand, Qu'elle te respecta sous les foudres d'Arcole. Tu changeas mon drapeau contre un sceptre d'airain; Tremble; je vois pftlir ton 6toile 6clips~e. La force est sans appui du jour qu'elle est sans frein; Adieu I ton r~gne expire et ta gloire est pass~e. La seconde unissait aux palmes des d6serts Les d~pouilles d'Alexandrie; Les feux dont le soleil inonde sa patrie De ses bruiliants regards allumaient les 6clairs; Sa main, par la conqu~te arm~e, D~gouttante du sang des descendants d'Omar, Tenait le glaive de CUsar Et le compas de Ptol~m~e. '246 246 FR."EINCH READER. La dernie're....0 piti6! des fers chargeaient ses bras L'ceil baissd' sur la terre o-h chacun de ses pas Laissait une empreinte sanglante, Elle s'avangait chancelante En murmurant ces mots: " Meurt et ne se rend pas!" Loin d'elle les trdsors qui parent la conqu~te, Et l'appareil des drapeaux prisonniers, Mais des cypre's beaux comme des lauriers De leur sombre couronne environnaient sa teate. C. Delavzgne: "Les -Messe'niennes." 7 6. Maze~ppa. Ainsi, quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure, A vu ses bras, ses pieds, ses flancs, qu'un sabre effleure Tous ses membres lids Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines, Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines Et le feu de ses pieds. Quand il s'est dans ses nceuds roule' comme un reptile, Qu'il a bien rdjoui de sa rage inutile Ses bourreaux, tout joyeux, Et qu'il retombe enfin sur la croupe farouche, La sueur sur le front, l'cume dans la bouche, Et du sang dans les yeux; Un cri part, et soudain voila' que par la plaine Et l'homme et le cheval, emportds, hors d'haleine, Sur les sables mouvants, Seuls, emplissant de bruit un tourbillon de poudre Pareil au noir nuage oii serpente la foudre, Volent avec les vents! Ils vont. Dans les vallons comme un orage uls passent, Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent, Comme un globe de feu; Puis d6ja' ne sont plus qu'un point noir dans la brume, Puis s'effacent dans lFair comme un flocon d'edcume Au vaste ocdan bleu. FR1"ENCH READER.24 " 47 Ils vont. L'espace est grand. Dans le d~sert immense, IDans l'horizon sans fin qui toujours recommence, Ils se plongent tous deux. Leur course comme un vol les emporte, et grands che'nes, Villes et tours, monts noirs lids en longues chaines, Tout chancelle autour d'eux. Et, si l'infortune', dont la tete se brise Se de'bat, le cheval, qui devance la brise, D'un bond plus effraye' S'enfonce au d~sert vaste, aride, infranchissable, Qui devant eux s'6tend, avec ses plis de sable, Comme un manteau rays. Tout vacille et se peint de couleurs inconnues: Ii voit courir les bois, courir les larges nues. Le vieux donjon d~truit, Les monts dont un rayon baigne les intervalles; 11 voit, et des troupeaux de fumantes, cavales Le suivent 'a grand bruit! Et le ciel, oii d~ja les pas du soir s'allongent, Avec ses oc~ans de nuages oti plongent Des nuages encor, Et son soleil qui fend leurs vagues de sa proue, Sur son front 6bloui tourne comme une roue De marbre aux veines d'or! Son ceil s'6gare et luit, sa chevelure traine, Sa to~te Pend; son sang rougit la jaune are'ne Les buissons 6pineux; Sur ses membres gonfl&s la corde se replie, Et comme un long serpent resserre et multipli'e Sa morsure et ses nceuds. Le cheval, qui ne sent ni le mors, ni la selle, Toujours fuit, et toujours son sang coule et ruisselle, Sa chair tombe en lambeaux; I-6las l voici d~j'a qu'aux cavale's ardentes Qui le suivaient, dressant leurs crini~res pendantes, Succ~dent les corbeaux! 248 248 FRENCH READER. Les corbeaux, le grand duc 'a l'ceil rond, qui s'effraye, L'aigle effar6' des champs de bataille, et l'orfraie Monstre au jour inconnu; Les obliques hiboux, et le grand vautour fauve, Qui foujille au flanc des morts, oii son con rouge et chauve Plonge comme un bras nu! Tons viennent e'largir la fune'bre voI~e; Tons quittent pour le suivre et l'yeuse isoldee Et les nids de manoir. Lui, sanglant, 6perdu, sourd 'a leurs cris de joie, Demande en les voyant: Qui donc la'-haut deploie Ce grand e'ventail noir? La nuit descend, lugubre et sans robe 6toile'e; L'essaim s'acharne, et suit, tel qu'une meute ailee, Le voyageur fumant. Entre le ciel et lui, comme tin tourbillon sombre Ii les voit, puis les perd, et les entend dans l'omrbre Voler confus6ment. Enfin, apre's trois jours d'une course insense'e, Apres avoir franchi fleuves 'a lean glace'e, Steppes, forkts, d~serts, Le cheval tombe aux cris des mulle oiseaux de proie, Et son ongle de fer stir la pierre qn'il broie Eteint ses quatre e&lairs. Voili'a linfortun6, gisant, nu, mis6rable, Tout tachete' de sang, plus rouge que l'rable Dans la saison des fleurs. Le nuage d'oiseaux stir lui tourne et s'arrkte; Maint bec ardent aspire 'a ronger dans sa tefte Ses yenx brfil~s de pleurs. Eh bien, ce condamn6 qui hurle et qui se tralne, Ce cadavre vivant, les tribus, de l'Ukraine Le feront prince tin jour. Un jour, sernant les champs de morts sans s~pultures, 1l de'dommagera par de larges pfitures L'orfraie et le vautour. -FRENCH REA-DER.24 249 Sa sauvage grandeur naitra de son supplice; Un jour des vieux hetmans il ceindra la pelisse Grand 'a l'ceil 6bloui: Et quand il passera, ces, peuples de la tente Prostern~s, enverront la fanfare 6clatante Bondir autour de luil1 V. Hugo. 77. Les Ressources de Qubiaol. SCENE VIII. Les pr&cedenis, la REINIE, le Roi, la MARQUT5E de MONTDEGAR, le GRAND INQTJISITEUR, toute la Cour. Phkzi~pe II. Messieurs, nous allons prier Dieu qui vient de frapper 1'Espagne. L'Angleterre nous 6chappe, l'Armada s'est perdue, et nous ne vous en voulons point. Amiral (il se lourne vers 1'amiraiO, vous n'aviez pas mission de combattre les temp~tes. Quinola. Sire! (Ii pie un genou.) Phzllope IL. Qui est tu? Quinola. Le plus petit et le plus d6vou6 de vos sujets, le valet d'un homme qui g6mit dans les prisons du Saint-Office, accus6 de magie pour vouloir donner 'a Votre Majest les moyens d'eviter de pareils d6sastres..... Phzizjpe II. Si tu. n'es qu'un valet, I~ve-toi.- Les grands doivent seuls ici fle'chir devant le roi. Quinola. Mon ma~itre restera done 'a vos genoux. Phzhzfpe IL. Explique-toi promptement: le roi n'a pas dans sa vie autant d'instants qu'il a de sujets. Quhnola. Vous devez alors une heure 'a un empire. Mon maitre, le seigneur Alfonso Fontanar~s, est dans les prisons du Saint-Office. Pztpe IL. (au Grand Inyusilieur). Mon pZre (le Grand Inquisileur s'a~pproche), que pouvez-vous nous dire d'un certain Alfonso Fontanar~s? Le Grand Inqusz~zleur. C'est un 6lbve de Galilde, il professe sa doctrine condamn~e, et se vante de pouvoir faire des prodiges en refusant d'en dire les moyens. Ii est accus6 d'tre plus Maure qu'Espagnol. 250 250 ~F-RENCH READER. Quinola (a'fpart). Cette face bleame va tout g~ter..... (Au Roz) Sire, mon malitre, pour toute sorcellerie, est amoureux fou, d'abord de la gloire de Votre Majest6, puis d'une fille de Barcelone, h~ritiere de Lothundiaz, le plus riche bourgeois de la yulle. Comme il avait ramass6 plus de science que de richesse en e'udiant les sciences naturelles en Italie, le pauvre gargon ne pouvait r~ussir 'a 6pouser cette fille que couvert de gloire et d'or..Et voyez, sire, comme on calomnie les grands hommes: il fit, dans son dlsespoir, un pbelerinage 'a Notre-Dame-del-Pilar, pour la prier de l'assister, parce que celle qu'il aime se nomme Marie. Au sortir de l'6glise il s'assit fatigu6 sous un arbre, s 'endormit; la madone lui apparut et lui conseilla cette invention de faire marcher les vaisseaux sans voiles, sans rames, contre vent et mare'e. Ii est venu vers vous, sire; on s'est mis entre le soleil et lui; et apres une lutte acharn6e avec les nuages, il expie sa croyance en Notre-Dame-del-Pilar et en son roi. Ii ne lui reste que son valet assez courageux pour venir mettre 'a vos pieds l'avis qu'il existe un moyen de rlaliser la domination universelle. Pihzh~pe IL. Je verrai ton maitre au sortir de la chapelle. Le Grand Inquisiteur. Le roi ne court-il pas des dangers? Phdz'lpfe II. Mon devoir est de l'interroger. Le Grand Inquiszteur. Le mien est de faire respecter les privileges du Saint-Office. Phibjppe IL. Je les connais. Ol),6s et tais-toi. Je te dois un otage, je le sais..... (11 regarde). Out donc est le duc d'Olme'do? Quinola (a parli. AMe, are! La Afarquz~e (cfipart). Nous sommes perdus. Lie Ca Pztazie des Gardes. Sire, le duc n'est pas encore.... arriv6.... Philzppe IL. Qui lui a donn6 la hardiesse de manquer aux devoirs de sa charge? (A part.) Ii me semble que l'on me trompe. (Au Ca~pitaine des Gardes). Tu lui diras, s'il arrive, que le roi l'a commis 'a la garde d'un prisonnier du Saint-Office. (Au Grand lnquzsi/eur.) Donnez un ordre. Le Grand Inquisiteur. Sire, j'irai moi-m~me. La Rezine. Et si le duc ne vient pas?.... PhIlzppe IL. II serait donc mort. (Au capitaine.) Tu le remplaceras dans 1'ex6cution de mes ordres. (It passe.) La Marquise (a' Quziwzla). Cours chez le duc, qu'il vienne et se F1RENVCH READER.25 25I comporte comme s'iI n'6tait pas mourant. La m~disance doit 6tre une calomnnie. Quinola. Comptez sur moil mais prot~gez-nous. (Seul.) Sangode'mi! le roi m'a paru charms de mon invention de NotreDame-del-Pilar, je lui fais vceu.... de quoi?.... Nous verrons apr~s le succ~s(Le /he'dre change el repre'sente un cachol de 1'Inguds~i/ion.) SCENE IX. FONTANARES, seud. Je comprends maintenant pourquoi Colomb a voulu que ses chaines fussent mises pr~s de lui dans son cercueji. Quelle 1e9Qn pour les inventeurs! Une grande de'couverte est une v~rit6. La v~rit6 ruine tant d'abus et d'erreurs: uls commencent par s'attaquer 'a P'homme. Aux novateurs, la patience! j'en aurai. Maiheureusement, ma patience me vient de mon amour. Pour avoir Marie, je rove la gloire et je cherchais.....Je vais voler au-dessus d'une chaudi'ere un brin de paille. Tous les hommes ont vui cela, depuis qu'il y a des chaudires et de la paille; moi, j'y vois une force; pour 1'e'valuer, je couvre la chaudire, le couvercie saut et ne me tue pas. Archim~de et moi, nous ne faisons qu'un. IL voulait un levier pour soulever le monde: ce levier, je le tiens, et j'ai la sottise de le dire: tous les maiheurs fondent sur moi. Si je meurs, homme de g~nie 'a venir qui retrouveras ce secret, agis et tais-toi. La lumie're que nous d~couvrons, on nous la prend pour allumer notre bficher. Galilke Mon Maitre, est en prison pour avoir dit que la terre tourne, et j'y suis pour la vouloir organiser! Non! j'y suis comme rebelle Lh la cupidit6 de ceux qui veulent mon secret; -si je n'aimais pas Marie, je sortirais ce soir, je leur abandonnerais le profit, la glorie me resterait....Oh! rage!....La rage est bonne pour les enfants: soyons calme, je suis puissant. Si du momns j'avais des nouvelles du seul homme qui ait foi en moi. Est-il libre, lIui qui mendiait pour me nourrir?...La foi n'est que chez le pauvre, il en a tant besoin! SCENE X. Le GRAND INQUISITEUR, un FAMILIER, FONTANARES. Le Grand Inquisileur. E h bien! mon fls? vous parliez de foil 252 252 RENCH READER. peut-Otre avez-vous fait de sages rdflexions. Allons, e'vitez au Saint-Office l'emploi de ses rigneurs. Fonlanards. Mon p'ere, que souhaitez-vous que je dise? Le Grand Inquzisitur. Avant de vous mettre en libertd, le Saint-Office doit &tre sflr que vos moyens sont naturels. Fonlanardil Mon pbre, si j'avais fait un pacte avec le mauvais esprit, me laisserait-il ici? Le Grandlnquzivieur. Vous dites une parole impie: le demon a un maitre, nos auto-da-fd le prouvent. Fontanaris. Avez-vous jamais vu un vaisseau en mer? (Le Grand Inquiz'leur failt un sitne affirmaljfv) Par quel moyen allait-il? Le Grand Inquz'z'leur. Le vent enflait ses voiles. Fonfanarnds. Est-ce le demon qui a dit ce moyen au premier navigateur? Le Grand Inquislleur. Savez-vous ce qu'il est devenu? Foniranares. Peut-6tre est-il devenn quelque puissance maritime oubli6e.... Enfin mon moyen est aussi naturel que le sien: j'ai vu comme lui dans la nature une force, et que l'homme peut s'approprier, car le vent est 'a Dieu, l'homme n'en est pas le maitre, le vent emporte ses vaisseaux, et ma force 'a moi est dans le vaisseau. Le Grand lnquzisieur (& pani). Cet homme sera bien dangereux. (Haul.) Et vous refusez de nous La dire?. Fonlarnds. Je la dirai an rol, devant tonte La cour; personne alors ne me ravira ma gloire ni ma fortune. Le Grand InquA'i/eur. Vous vons dites inventeur, et vous ne pensez qu'at la fortune! Vons efes plus ambitieux qu'homme de genie. Fon/anarts. Mon pb're, je suis si profond6ment irritd de la jalousie du vulgaire, de I'avarice des grands, de La conduite des faux savants, que... si je n'aimais pas Marie, je rendrais au hasard ce que le hasard m'a donn6. Le Grand Inquzileur. Le hasard! Fontanares. J'ai tort. Je rendrais 'a Dieu la pensde que Dieu m'envoya. Le Grand Inquisileur. Dieu ne vous I'a pas envoy6e pour la cacher, nous avons le droit de vous faire parler. (A son familier.) Qu'on pr6pare la question. Fonlanarks. Je 1attendais. FRENCH READER.25 253 SCENE XI. Le GRAND INQUISITEUR, FONTANARES, QIJJINOLA, le DUC d'OLNIEDo. Quinola. Ca n'est pas sain, la torture. Fontanarks Quinola! et dans quelle livr~e! Quinola. Celle du succ~s, vous serez libre. Fonlanare's. Libre? Passer de l'enfer -au ciel en un moment? Le duc d'Olme~do. Comme les martyrs. Le Grand Inquisiteur. Monsieur, vous osez dire ces paroles ici! Le duc d'`Olmedo. Je suis charg4 par le roi de vous retirer cet homme des mains, et je vous en re'ponds..... Le Grand Inquisileur. Quelle faute! Quinzola. Ah I vous, vouliez le faire bouillir dans vos chaudires pleines d'huile, merci 1 Les siennes vont nous faire le tour du monde.... comme 9a! (Ii fail lourner son chapeau.) Fonlanares. Embrasse-moi donc, et dis-moi comment. Le duc d'Olme~'do. Pas un mot ici. Quinola. Oui (z7 mon/re les talons de flInquisi/eur), car les murs ont ici beaucoup trop d'intelligence. Venez. Et vous, monsieur le duc, courage!1 Ah! vous ktes bien pale, il faut vous rendre de couleurs; mais ca me regarde. SCENE XIII. Les pr~eg'en/s, le Roi, la REINE, la MARQUISE de MONTD)EGAR, le CAPITAINE DES GARDES, le GRAND 1NQUISITEUR, le PRESIDENT DU CONSEIL DE CASTILLE, toule la Cour. Phibppbe II. (au Capi/aine des Gardes). Notre homme est-il venu? Le Capi/aine. Le due d'Olm6do, que j'ai rencontr6 sur les degr~s du palais, s'est empress6 d'ob~ir an roi. Le duc d'Olmd'do (un genou a lerre). Le roi daigne-t-il pardonner un retard.... impardonnable? 254 254 F~1RUENACH READE,,R. Plppe IL. (le rebkve par le bras blesse'). nt iatmu rant.... (zI regarde la marquise) d'une blessure reque dans une rencontre de nuit. Le duc d'Olmt~o. Vous me voyez, sire. La Marquise (& part). 1i a mis du rouge. Phizpe I. (au duc). Oi est ton prisonnier? Le duc d'O/me'do (mon/rant Fontanares). Le voici.... Fontanare's (un genou a~ terre). Pre~t "a realiser, 'a la tr's-grande gloire de Dieu, des merveilles sur la splendeur du rbegne de mon mai~tre. Philz~fpe JL. Leve-toi, panle: quelle est cette force miraculeuse qui doit donner l'empire du monde 'a l'Espagne? Fontanare's. Une puissance invincible, la vapeur.....Sire, 6tendue en vapeur, l'eau veut un espace bien plus consid6rable que sous sa forme naturelle, et pour le prendre elle souleverait des montagnes. Mon invention enferme cette force: la machine est arm&e de roues qui fouettent la mer, qui rendent un navire rapide comme le vent, et capable de re'sister aux tempetes. Les travers~es deviennent su~res, d'une c6lI'rite' qui n'a de bornes que dans le jeu des roues. La vie humaine s'augmente de tout le temps 6conomis6. Sire, Christophe Colomb vous 'a donne' un monde 'a trois mille lieues d'ici; je vous le mets 'a la porte de Cadix, et vous aurez, Dieu aidant, 1'empire de Ia men. La Reine. \Tous n'e~tes pas dtonn6, sire? Philzpe IL. L'6tonnement est une louange involontaire qui ne doit pas 6chapper 'a un roi. (A Fontanare's.) Que me demandes-tu? Fontanare's. Ce que demanda Colomb: un navire et mon roi pour spectateur de 1'exp~rience. Pkl'pe IL. Tu auras le roi, 1'Espagne, et le monde. On te dit amoureux d'une file de Barcelone. Je dois alien au dela' des Pyr~n~es, visiter mes possessions, Roussillon, Perpignan. Tu prendras ton vaisseau 'a Barcelone. vu n'vzfi Fontanares. En me donnant le vaisseau, vu 'vzfi justice; en me le donnant 'a Barcelone, vous me faites une grace qui change votne sujet en esciave.tte Philhppe IL4 Perdre un vaisseau de NWta, c'est ri'squer ta tae La ioi le veut ainsi.... Fontanares. Je le sais, et je l'accepte. ZF.RE21WH READER.25 2 5 15' PkiI'pe II. Eh bien, hardi jeune homme, r~ussis 'a faire aller Contre le vent, sans voiles ni rames, ce vaisseau comnme il irait par un bon vent. Et toi, -ton nom? Fontanare's. Alfonso Fontanar~s. Phi4hzpe II. Tu seras Don Alfonso Fontanares, duo de. Neptunado, grand d'Espagne. Lie duc de Lermie. Sire, les statuts de la grandesse.Phil, Pe II. Tais-toi, duc de Lerme. Le devoir d'un roi est d'lever 1'homme de g6nie au-dessus de tous, pour honorer le rayon de lumiIbre que IDieu met en lui. Le Grand Inquisi/eur. Sire.... PUzY4pfe II. Que veux-tu? Lie Grand Inquisiteur. Nous ne retenions pas cet homme parce qu'il avait un commerce avec le dlmon, ni parce qu'il 6tait impie, ni parce qu'il &tait d'une famille soupgonn6e d'h~r~sie; miais pour la sfiret6 des monarchies. En permettant aux esprits de se communiquer leurs pens~es, l'imprimerie a d~jia produit Luther, dont la parole a eu des ailes. Mais cet homme va faire, de tous les peuples, un seul peuple; et devant cette masse le Saint-Office a trembI6 pour la royaut6. Phi7h5pe IL Tout progr~s vient du ciel. Lie Grand Inquisileur. Le ciel n'ordonne pas tout ce qu'il laisse faire. Phzl)ppe II. Notre devoir consiste rendre bonnes les choses qui paraissent mauvaises, 'a faire de tout un point du cercie dont le tr6ne est le centre. Ne vois-tu pas qu'il s'agit de nialiser la domination universelle que voulait mon glorieux pere?.... (A Fontanaries.) Donc, grand d'Espagne de premie're classe, je mettrai sur ta poitrine la Toison d'Or: tu seras enfin grand-mailtre des constructions navales de l'Espagne et des Indes.....(A un mini's/re.) Prisident, tu exp~dieras aujourd'hui m~me, sous peine de me d~plaire, l'ordre de mettre lila disposition de cet homme, dans notre port de Barcelone, un vaisseau 'a son choix, et.... qu'on ne fasse aucun obstacle 'a son entreprise. H. de Balzac. 256 FRENCH READER. 78. Le Secret de la Confession. SCENE VIII. Les pre'cdenis, le ROI. Le Roi. (On lui pre'sente des supphlues.) C'est bien, messieurs.. Amiral, vous ici? L'Amiral (aux pieds du Roi). Sire... Le Roi. Qu'est-ce? pourquoi vous troublez-vous ainsi? L'Amiral. Votre flotte.... Le Rot. N'est plus; des malheurs, des naufragesVous n'dtiez pas charge de vaincre les orages. L'ocean a tout fait..... L'amiral est connu Pour un brave marin: qu'il soit le bien venu. Entendez-vous, messieurs, je le veux; il doit l'tre. Guzman. L'ordre de Calatrave a perdu son grand-maltre; On rapporte sa croix, sire. Le Roi. Noble ornement! Amiral, la voila, portez-la dignement. L'Amiral (a genoux). Quoi, sire, c'est sur moi que votre main dispense Le Roi. C'est la fidelit6 qu'en vous je recompense; D'autres ont aujourd'hui m6rit6 mon courroux. D'Albe. Sire, mes ennemis.... Le Roi. Qui vous dit que c'est vous? (II monte sur le trAne apres avoir parcouru la salle daudience.) (Du haut du trone.) D'Egmont! D'Egmont Sire, l'Infant daignera nous defendre; Permettez, que sa voix.... Le Rot. Je suis pret a I'entendre. Don Carlos. Rdvolte contre d'Albe et soumis a vos lois, Sire, un &tat jadis conquis par nos exploits, La Belgique, qu'opprime un envoys sinistre, Ose se plaindre au Roi des fureurs du ministre; Partout la mort; et d'Albe y grave en souverain Le code des tyrans sur un livre d'airain; Regne par le supplice, et sous sa main sauvage Dans ces champs avilis fait germer l'esclavage: Tout s'indigne et tout fuit. L'hymen 6pouvante, FRENCH READER.25 257 Maudissant le bienfait de sa f~condit6, Ne vent plus Lh ses fils, si rien ne le rassure, Du joug universel 16guer la fl~trissure. Quand Sons le poids des maux le peuple est abattu, Un prince doit trembler devant chaque vertu. Sire, n'en croyez plus 1'indigne flatterie; La publique raison par les siecles mihrie Reprend sa dignit6. Partout dans l'univers A son jour 6clatant les, yenx se sont ouverts. Quand tout marche et grandit, rests seul immobile Quel prince arr~terait avec sa main d~bile L'irr6sistible essor d'un monde r~voltd Qu'un souffle imp6tueux pousse 'a la libert6? L'Europe pressentait son aurore prochaine: Des pr6jug~s vieillis rompez la longue chalne, Rendez hl~ a pens6e et son culte et ses droits, Dans ce brillant chemin devancez tons les rois. Gardant de votre nom 1'empreinte imrp6rissable! Marchez l~ sa lumie're, et de vos nobles mains, Sire, laissez tomber le bonheur des humains. Le Roz' Qu'ai-je entendn? quels sont ces discours sacril~ges? Moi, reconnaltre ici d'orgueilleux privil~ges? Carlos et d'Egmonl. Ciel.! [jTous Zes courtiscans s'ezoignen( duie rince. Le Roi. Irai-je, accneillant un d~sir insens6, Calomnier d'nn mot tout mon r~gne pass6? Mauvaise politique et raves de jeune homme, Les rois ont derri'ere eux, Si grands qu'on les renomme, Des ab'imes cach~s qu'ils n'aper~oivent pas; Ills y tombent tonjours s'ils reculent d'un pas. On crie autour de moi: Libert6....-. Quel fant6me! Quel giant inconun se I~ve en mon royanme? De la toute-puissance il mesure les droits; Il pr6tend grandir l'hornme en abaissant les rois, Et lorsqu'il ne devrait que fle'chir quand je passe, Pour ramper sons mes yeux n'a plus assez d'espace. Pense-t-il 6branler de son repaire obscur Le rocher de mon tr6ne avec son souffle impur? Lasse apr~s quatorze ans d'nn sommeil 16thargique, Au fond de ses marais s'agite la Belgique, 258 FRENCH READER. L'avenir nous menace, et j'attends sans trembler; On verra devant moi l'avenir reculer: Ma puissance, debout sur ses bases profondes, Devient le centre unique ou gravitent deux mondes, Et mon bras dtendu ramasse incessamment Les sceptres que les rois tiennent trop faiblement. Ces mots ambitieux de raison, de pensde, De siecle qui grandit..... Rdvolte interesse! Orgueil que nous devons punir avec le fer; C'est lorgueil rdvoltd qui nous valut lenfer. Du nom d'ambassadeur le Belge vous appelle, D'Egmont, mais a mes yeux vous n'&tes qu'un rebelle. D'Egmont. Je venais devant vous baisser un front soumis... Sont-ce 1a les bienfaits que vous aviez promis? Tantot a nous venger votre justice prete... Le Roi (a dEgmont). Avais-je aussi promis de vous livrer ma tte? [II se leve. Ecoutez, Castillans, que tout soit delairci. Ce n'est pas comme roi que je parais ici; Je viens vous ddnoncer un crime dpouvantable; Je suis accusateur. D'Albe. Roi, nommez le coupable. Le Roi. En vain contre les lois son titre le ddfend; Je vous vois tous frdmir. Tous les Courisans. Ciel! YDAlbe. Quel est-il? Le Roi. L'Infant. Oui, l'Infant. Tous les Courtisans. 0, forfait! Don Carlos. Sire. Le Roi. Fils parricide, Gomes m'a ddvoild ton complot regicide; L'acte des revolt6s fut signe de ton nom. Cet acte accusateur, le d6mens-tu? Don Carlos. Moi? non. Le Roi. Traltre envers son pays, rebelle ia la nature! Don Carlos. N'appartient-il qu'a vous d'etouffer son mumurmue? Oui, par mon ddsespoir un moment dgare... Mais cet acte fatal, mes mains l'ont dechird; Mon erreur faisait place a la reconnaissance, FL"R ENJIC H R EA DE.R.29 259 Votre amour me rendait toute mon innocence; La voix d'Elisabeth, par un charme vainqueur.... Le Roi (sapprockcznt de Carlos). Je connais 1'ascendant qu'elle a pris sur ton cceur; Ta r~volte envers moi n'est pas ton seul outrage, Et des crimes plus grands. Don Carlos. Es sont tous votre ouvrage. Vous a-t-on vu prkter votre oreille 'a mes cris, Et du maiheur du monde excepter votre fils? Non, l'inflexible roi fut un barbare p~re. Un seul bonheur, un seul m'attendait sur la terre; J e mn'enivrais d'espoir; j'6chappais par l'amour Au regret 6ternel de vous devoir le jour. Mes pleurs, en aucun temps n'ont fl6chi ta rigueur, Toujours ta main de fer a repouss6 mon ccreur. Appelez les bourreaux, commandez les supplices, 3 e les attends. Le Rol'. Le nom de tes laches complices. D'Egmont. Sire, le mien. J'eus part "a ce noble attentat. Le Rol. D'Albe, qu'ils soient conduits dans les prisons d'6tat. D'Albe (a Car/os). Au nom du roi, rendez ce fer. Don Car/os (&rant son efik). A toil, perfide!I TIous les Cour/isans. Ciel! Don Carlos. Qui s'avance? Le Roi. Infant, contre qui?.... Yous /es Courlisans (lirani leurs 15e) ~ iie RWgicide! s)Rgide Don Car/os (aux Cour/Isans). Pourquoi ce transport menagant? Ne m'avertissez pas qu'on peut verser du sang. Ne m'avertissez pas, lasso d'8tre victime, Qu'on peut fuir le supplice en commettant le crime. Philippe a prononc6 mon arr~t sans palir; Laissez le parricide 'a qui veut l'accomplir! Le Roz. Vous voyez d'un tel fils ce que je dois attendre. Gardes! Mais quoi! quel bruit au loin se fait entendre? D'A/be. Le tocsin. Le Roi4 Ce tocsin!'.... 26o 260 FRENCH REA DER. SCENE IX. Les pre'ceden/s, GUZMAN. Guzman (au -Roi). Vos jours sont menaces; Un peuple furieux s' avance 'a flots press~s. Sire, vers ce palais la r~volte insolente S'ouvre, au nom de Carlos, une route sanglarite. Vous n'avez qu'un instant, bient t Yons les Cour/isans. Sauve le roi! Le.Roi (a son fils). Tes vceux sont satisfaits, Carlos. Don Carlos. Ce n'est pas moi. A ce soule'vement un autre ici commande. D'A/lbe. Quel autre qu'un rebelle? Don Carlos. Albe me le demande. L'Amzfral (au -Roi). Sire, assurez vos jous j' embrasse vos Ii faut.... [genoux; Le Roi. S'iI faut moturir, mourons digne de nous. Viens, Carlos, ta fureur ne sera point tromp~e; Viens sur le sein d'un pere essayer ton e~p6e. La foule te demandel, et ce peuple 6gar6 Te proclamera roi sur mon corps d~chir6. Que tardes-tu? Marchons! Don Car/os (posani son Ae~e'eaxesd o) Sire, voici mon glaive; Un tro'ne diff~rent pour votre fills s'e'leve; Avec un regard fier on m'y verra courir, Et vingt ans de maiheurs m'ont appris 'a mourir. Venez, et pr6sidez 'a mon arret supreme, Sans 6tre de ma mort plus trouble' que moi-Me~me. [On emmene Car/os et d'Egmon/. D'Al6e. Sire, le bruit s'accrolit, commandez.... Le Roi (lirani son i5e) Suiezmoil Et que les, factieux reconnaissent leur roi. D'a Pr's Schi//ler "Don Car/os." -FR-ENCH READER.26 26i 7 9. SoMe, tide du Bourgeois Gen/ilkomme. ACTE SECOND. M. JOTJRDAIN, le maz/re de musique, le ma//re a' danset. A-fourdain. Voilk qui n'est point sot; et ces gens-l'a se tr6 -moussent bien. Le mzd/re de musique. Lorsque la danse sera m~le avec la musique, cela fera plus d'effet encore; et vous verrez quelque chose de galant dans le petit ballet que nous avons ajust6 pour vous. AL. jourdain. C'est pour tanto't, au moins; et la personne pour qui j'ai fait faire tout cela me doit faire l'honneur de venir diner c6ans. Le md/'re a' danser. Tout est pr~t. Le ma/re d musque. Au reste, monsieur, ce n'est pas assez: ii faut qu'une personne comme vous, qui 6tes magnifique, et qui avez de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis. M. fourdain. Est-ce que les gens de qualit6 en ont? Le maz//re de musique. Oui, monsieur. AL Jourdain. J'en aurai donc. Cela sera-t-iI beau? Le ma//re de musique. Sans doute. 1i vous faudra trois voix: un dessus, une baute-contre, et une basse, qui seront accompagn~es d'une basse de viole, d'un t6orbe, et d'un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritournelles. M.Jourdabz. Ii y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plalit, et qui est harmonieux. Le ma//re de musique. Laissez-nous gouverner les choses. AL jourdaziz. Au moims, n'oubliez pas tant6t de m'envoyer des musiciens pour chanter 'a table. Le ma//re de musique. Vous aurez tout ce qu'il vous faut. M.L jourdain. Mais, surtout, que le ballet soit beau. Le ma//re de musique. Vous en serez content; et, entre autres choses, de certains menuets que vous y verrez. 262 FRENCH REA DE.R. AL jourdain. Ab!les menuets sont ma, danse, et je veux que vous me les voyiez danser. Allons, mon mai"tre. Le maitlre a' danser. Un chapeau, monsieur, s'il vous plailt. (AL Jourdain va _prendre le chapeau de son laquais, et le met pardessus son bonnet de null. Son maitre Juliprend les mabns, et lefalt danser sur un air de menuet qu'z? chante.) La, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la. En cadence, STL vous plait.. La, la, la, la, la. La jambe droite, la, la, la. Ne remuez pas taut les e'paules. La, la, la, la, la, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropi6s. La, la, la, la, la, la. Ilaussez la t~te. Tournez la point du pied en dehors, La, la, la; dressez votre corps. Al. JO u rdain. H16! Le maitre de musi'que. Voila, qui est le mieux du monde. AL. Jourdain. A propos! apprenez-moi comme ii faut faire une rdvdrence pour saluer une marquise; j'en aurai besoin tantdt Le mazitre a danser. Une r6ve'rence pour saluer une marquise? Ml. jourdain. Oui; une marquise qui s'appelle IDorim~rne. Le maitre &' danser. Donnez-moi la main. AL Jourdain. Non, vous, n'avez qu'h faire; je le retiendrai hien. Le maitre &' danser. Si vous, voulez la saluer avec beaucoup de respect, ii faut faire d'abord une r6ve'rence en arriere, puis marcher vers elle avec trois r6v~rences en avant, et 'a la dcrni~e' vous baisser jusqu'k' ses genoux. AL jourdaln. Faites, un peu. (Apre's que le maitre a' danser a fail trois rve'vrences.) Bon. ACTE TROISIEME. SCENE I. M. JOURDAIN, deux laquats. AL jourdain. Suivez-moi, que j'aifLLe un peu montrer mon habit par la ville; et surtout ayez soin tous, deux de marcher imme'diatement sur mes pas, afin qu'on voie bien que vous, 8es Li moi. FR1"ENCH READER. 6 263 Laqu.ais. Oui, monsieur. AL fourdaitz. Appelez-moi Nicole, que je Iui donne quelques ordres. Ne bougez: la voila'. SCENE IL. Les pre'ddents, NICOLE. AL Jourdain. Nicole! Afiole. Plalit-il? M. jourdain. Ecoutez. Nicole (riant). Hi, hi, hi, hi, hi. XL Jourdain. Qu'as-tu 'a rire? Nicole. Hi, hi, hi, hi, hi. AL Jourdain. Que veut dire cette coquine-la.? Nicole. Hi, hi, hi. Comme vous voila, bkti Hi, hi, hi. M. Jourdain. Comment donc? Nicole. Ah! ah! mon Dieu! Hi, hi, hi~ hi, hi. M. Jourdain. Quelle friponne est-ce lit? Te moques-tu de MOi? Nicole. Nenni, monsieur, j'en serais bien falch~e. Hi, hi, hi, hi. AL Jourdain. Je te baillerai sur le nez, si tu ris d'avantage. Nicole. Monsieur, je ne puis pas m'en emp~cher. Hi, hi, hi, hi, hi. AL Jourdain. Tu ne t'arr~teras pas? Nicole. Monsieur, je vous demande pardoih; mais, vous 8tes si plaisant, que je ne saurais me tenir de rire. Hi, hi, hi. AL jourdain. Mais voyez quelle insolence! Nicole. Vous, 6tes, tout-it-fait dr6le comme cela. Hi, hi. AL jourdain. Je te.... Nicole. Je vous, prie de m'excuser. Hi, hi, hi, hi. AL jourdain. Tiens, si tu ris encore le momns du monde, je te jure que je t'appliquerai sur la joue le pins grand soufflet qui se soit jamais donn6. Nicole. Eh bien, monsieur, voilit qui est fait: je ne rirai plus. AL Jourdain. Prends-y bien garde. Ii faut que, pour tant6t, tu nettoies.. Nicole. Hi, hi. AM. Jourdain,. Que tu nettoies comme il faut. 264 264 ~.117.RFRNCH -READER. Nic- ~o le. H ihi. M. jourdafin. Ii faut, dis-je, que tu riettoies la salle, et. Nicole. Hi, hi. M. jourdain. Encore? Nizcole (lombant a' force de rire). Tenez, monsieur, battez-rnoi pluto't, et me laissez rire tout mon soffl; cela me fera plus de bien. Hi, hi, hi, hi. AL jourdain. J'enrage. Nicole. De grAce, monsieur, je vous prie de me laisser rire. Hi, hi, hi. AL jourdain. Si je te prends.... Nficole. Monsieur-eur, je cre'verai-ai, si je ne ris pas. H4i, hi, hi. AL jourdain. Mais a-t-on jamais vu une pendarde comme celle-lah, qui me vient rire insolemment au nez, au lieu de recevoir mes ordres? Nicole. Que voulez-vous, que je fasse, monsieur? Ml. jourdain. Que tu songes, coquine, 'a pr~parer ma maison pour la compagnie qui doit venir tant t Nicole (se relevant). Ah! par ma foi, je n'ai plus envie de rire, et toutes vos compagnies font taut de d~sorckes c6ans, que ce mot est assez pour me mettre en mauvaise humeur. AL jourda in. Ne dois-je point pour toi fermer ma porte 'a tout le monde? Nficole. Vous devriez au momns la fermer 'a certaines gens. SCENE III. Les pr6e'Mdenls, MADAME JOURDAIN. Mine. jourdain. Ah! ah! voici une nouvelle histoire! Qu'estcc que c'est donc, mon mani, que cet 6quipage-kii? Vous moquezvous du monde, de vous 8tre fait enharnacher de la sorte? et avez-vous envie qu'on se raille partout de vous? AL jourda in. 1i n'y a que des sots et des sottes qui se railleront de moi. Mine. Jourdain. Vraiment, on n'a pas attendu jusqu'a' cette heure; il y a longtemps que vos fagons de faire donnent ~L rire 'a tout le monde. JIM jourdain. Qui est done tout ce monde-Tha, s'il vous plaitt? F7RXENCH REfADER.26 265 Mine. Jourdain. Tout ce monde-l'a est un monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalis~e de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que Cest que notre maison. On dirait qu'il est c6ans car~me-prenant tons les jours; et d~s le matin, de peur d'y rnanquer, on y entend des vacarmes de violons et de chanteurs dont tout le voisinage se trouve incommod6. Nz'cole. Madame panle bien. Je ne saurais plus voir mon manage propre avec cet attirail de gens que vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tons les quartiers de la ville pour l'apporter ici; et la pauvre Fran~oise est presque sur les dents, 'a frotter les planchers que vos beaux mailtres viennent crotter r6guli~rernent tons les jours. M. J[ourdazhz. Ouais, notre servante Nicole, Yous avez le caquet bien affil6 pour une paysanne. Mine. fourdain. Nicole a raison; et son sens est meilleur que le v6tre. Je voudrais bien savoir ce que vous pensez faire d'un maitre 'a danser it l'Age que vous avez. Nicole. Et d'un grand maitre tireur d'armes, qui vient, avec ses battements de pied, 6branler toute la maison, et nous d~raciner tons les carriaux de notre salle. IV. Jourdain. Taisez-vous, ma servante et ma femme. AMie. Jourdain. Est-ce que vous voulez apprendre 'a danser pour quand vous n'aurez plus de jambes? Nicole. Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu'un? M. Jourdain. Taisez-vous, vous dis-je; vous 6tes des ignorantes l'ne et l'autre; et vous ne savez pas les prerogatives de tout cela. Mine. Jourclain. Vous devriez bien plut~t songer at marier votre ifille, qui est en 'age d'8tre pourvue. M. Jourdain. Je songerai 'a marier ma fille quand ii se pr&sentera un parti pour elle; mais je veux songer aussi 'a apprendre les belles choses. Ni'cole. J'ai encore oui dire, madame, qu'il a pris pour renfort de potage, un mailtre de philosophie. Ml. Jourdain. Fort bien. Je veux avoir de 1'esprit, et savoir raisonner des choses parmi les honn~tes gens. Mine. Jourdain. N'irez-vous point, l'n de ces jours, au collage vous faire'donner le fouet, it votre 'age? 266 266 FRENCH PEA DER. AL Jourdain. Pourquoi non? Plfit 'a Dieu 1'avoir tout-h1'heure et savoir ce qu'on apprend au coll6ge! Nicole. Oui, ma foi! cela vous rendrait La jambe bien mieux faite. AL Jourdain. Sans doute. iMme.Jourdain. Tout cela est fort n~cessaire pour conduire votre maison. M. fourdain. Assur6ment. Vous parlez toutes deux comme des betes, et j'ai honte de votre ignorance. (A MadameJourda in.) Par exemple, savez-vous, vous, ce que c'est que vous dites 'a cette heure? Min7e. Jourdain. Oui. Je sais que cc que je dis est fort bien dit, et que vous devriez songer 'a vivre d'autre sorte. AL Jourdain. Je ne parle pas de cela. Je vous lemande ce que c'est que les paroles que vous dites ici. Mine. Jourda in. Mes paroles sont bien sens~s, et votre conduite ne 1'est guire. M. Jourdain. Je ne parle pas de cela, vous dis-je. Je vous demande, ce que je parle avec vous, ce que je vous dis L cette heure, qu'est-ce que c'est? Mine. Jourdain. Des chansons. M. Jourdazin. Eh, non, ce n'est pas cela. Ce que nous disons tous deux, le langage que nous parlous 'a cette heure. Mine. Jourdain. Eh bien? AL. Jourdain. Comment est-ce que cela s'appelle? Mmne. Jourdain. Cela s'appelle comme on veut l'appeler. ALJourdain. C'est de la prose, ignorante. MIne. Jourdain. De la prose? M. Jourdain. Oui, de la prose. Tout ce qui est prose n'est point vers, et tout ce qui n'est point vers est prose. 114! voila ce que c'est que d'6tudier. (A Nitole.) Et toi, sais-tu bien comme ii faut faire pour dire un U? Nitole. Comment? M. Jourdain. Oui. Qu'est-ce que tu fais quand tu dis U? Nicole. Quoi? M. Jourdain. Dis un pen U, pour voir. Nicole. Eh bien, U! AM. Jourdain. Qu'est-ce que tu fais? Nicole. Je dis U. M. Jourdazin. Oui: mais quand tu dis U, qu'est-ce que tu fais? FRENCH READER.26 267 Nicole. Je fais ce que vous me di-tes. M. jouerdain. Oh! l'6trange chose que d'avoir affaire 'a des b~tes! Tu allonges les I~vres en dehors, et approches la machoire d'en haut de celle d'en bas. U, vois-tu? Je fais la moue: U. Nicole. Oui, cela est biau. Mine. Jfourdain. Voil'a qui est admirable. AL jourdain. C'est bien autre chose, si vous aviez vu 0, et DA, et FA!! Mine. fourdain. Qu'est-ce que c'est que tout ce galimatias-i'a? Nicole. De quoi est-ce que tout cela gu~rit? Al. Jourdafin. J'enrage quand je vois des femmes ignorantes. Mine. Jourdain. Allez, vous devriez envoyer promener tous ces gens-l~, avec leurs fariboles. Nicole. Ft surtout ce grand escogriffe de malitre d'armes, qui remplit de poudre tout mon m~nage. AL jourda in. Ouais!1 ce maitre d'armes vous, tient au cceur! Je te veux faire voir ton impertinence tout h 1'eure. (Apre's avoir fataporter des fleurets, et en avoir donne' uen ' Nicole.) Tiens; raison demonstrative; la ligne du corps. Quand on pousse en quarte, on n'a qu'a faire cela; et quand on pousse en tierce, on n'a qu'h faire cela. Voila' le moyen de n'8tre jamais tu6; et cela n'est-il pas beau, d'6tre assur6 de son fait quand on se bat contre quelqu'un. La', pousse-moi un peu, pour voir. [ Nicole piousse pilusieuers bo/tes a AM. jourdain. _f. ourdain. Tout beau!1 Holhd ho! Doucement! Diantre soit la coquine! Nicole. Vous me dites de pousser. AL Jourdain. Oui; mais tu me pousses en tierce avant que de pousser en quarte, et tu n'as pas la patience que je pare. Mine. Jourdain. Vous eftes fou, mon mani, avec toutes vos fantaisies; et cela vous est venu depuis que vous vous m~lez de hanter la noblesse. M!. Jourdain. Lorsque je hante la noblesse, je fais paraitre mon jugement; et cela est plus beau que de hanter votre bourgeoisie. Mine. Jourdain. Camon vraiment! il y a fort 4 gagner h fr&quenter vos nobles; et vous avez bien op6r6 avec ce beau M. le comte, dont vous vous 6tes emb~guin6. M!. Jourdain. Paix; songez 'a ce que vous dites. Savez-vous blien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, ,)68 68 F-RENCH READER. quand vous parlez de lui? C'est une personne d'importance plus que vous ne pensez, un seigneur que l'on considbre t la cour, et qui parle au roi tout comme je vous parle. N'est-ce pas une chose qui est tout-h-fait honorable, que l'on voie venir chez moi si souvent une personne de cette qualit6, qui m'appelle son cher ami, et me traite comme si j'6tais son 6gal? Ii a pour moi des bont6s qu'on ne devinerait jamais, et devant tout le monde ii me fait des caresses dont je suis moi-me'me confus. AKme.Jourdain. Gui, ii a des bont6s pour vous, et vous fait des caresses; mais ii vous emprunte votre argent. AL Jourdabi. Eh bien, ne m'est-ce pas de l'honneur de prefter de l'argcnt it un homme de cette condition-lit? et puis-je faire moins pour un seigneur qui m'appelle son cher ami? Mine. Jourdain. Et ce seigneur, que fait-il pour vous? AL Jourdain. Des choses dont on serait 6tonn6, si on les savait. Mime. Jourdaziz. Et quoi? AL Jourdain. Baste! je ne puis pas m'expliquer. Ii suffit que Si je lui ai pr&6 de Fargent, ii me le rendra bien, et avant qu'il soit peu. Mine. jourdain. Gui. Attendez-vous it cela? AL Jourdain. Assurement. Ne me l'a-t-il pas dit? MMme. Jourdain. Gui, oui, ii ne manquera pas d'y faillir. AL Jourdain. Ii m'a jur6 sa foi de gentilbomme. Mine. Jourdain. Chansons! AL Jourdain. Guais! Vous &tes bien obstin6e, ma femme; je vous dis, qu'il me tiendra sa parole; j'en suis stir. Mine. Jourdain. Et moi, je suis sfire que non, et que toutes les caresses qu'il vous fait ne sont que pour vous enjOler. AfL Jourdain. Taisez-vous. Le voici. Mine. Jourdain. II ne nous faut plus que cela. Ii vient peut6tre encore vous faire quelque emprunt; et ii me semble que j'ai dmn6 quand je le vois. M. Jourdain. Taisez-vous, vous dis-je. Mohlidre: " Le Bourgeois Gen/zikomine." FR'~nEN-CH READER.29 269 8o. Le Charla/anisme. (COMEDIE-VAUDEVIUE EN ux ACTE. PAR MM. SCRIBE ET MANERES.) DELMAR, Ihomme de leifres. RONDON, journabisle' REMY, rn~e'den. M. GERMONT. SoPHIIE, sa fille. MME. DE MELCOURT, niece de Hl. Germioni. JOHN domestiq'ues de Delmnar. La sce'ne se asecPa,dans la rnazson de Delmar. [Le th4a~tre repr~sente un salon 616gant; porte au fond, et denx portes lat6rales; aux co't6s de la porte du fond, deux corps de biblioth~que garnis de livres, et surmont~s, l'un du buste de Piron, l'autre de celui de Favart. Sur le devant du th~atre, 'a droite de l'acteur, une table sur laquelle Delmar est occup6 "a 6crire, au lever du rideau. A gauche, et un peu vers le fond, un bureau.] SCENE I. DELMAR, ensud~e JOHN. Delmar (fravaidlan/ a' son bureau). Hein! qui vient Ila me d&ranger? Voil'a ma sc'ene que je n'acheverai jamais. Eh bien, John, qu'est-ce que c'est? John. Monsieur, c'est aujourd'hui le 15 Avril; et le monsieur qui a retenu l'appartemnent du quatri~me vient s'y installer. Delmar. Est-ce que je 1'en emp~che? John. Non, monsieur.... mais il vent vous parler, parceque c'est lui qui a aussi retenu l'appartemnent du premier, vis-a-vis.. C'est pour des personnes, de province. Delmar. Je dis qu'il n'y a pas moyen de travailler, quand on est homnme de lettres, et qu'on a le malbeur d'etre propri~taire. 270 270~F.RENCH READER. *... Je sais "bien que l'inconv6nient est rare, mais enfin, voillt une scene d'amour-une situation dramatique. (Air die la Partie Garrde.) A chaque instant on m'importune, II faut quitter its muses pour 1'argent. On veut avoir et gfinie et fortune Tout 'a la fois! impossible, vraiment! Lorsque l'on est au sein de l'opulence L'esprit ne fait qu'embarrasser; Voili pourquui taut de gens de finance Aiment mieux s'en passer. John. Monsieur, je vais renvoyer le locataire. Delmar. Eb, non, ce ne serait pas honn~te. qu'est-ce que c'est? J/ohn. Je crois que c'est un m6decin. Delmar. Un m6decin; diable, les m6decins, c'est bien us6. J'aurais pr'f&r6 un locataire qui eu't un autre dtat-un 6tat original; ~a m'aurait fourni quciques sujets....-(A John.) C'est 6gal, fais entrer. (John sort.) J'Yai justement un vieux m~decin 'a mettre en scietne; et peut-6"tre sans qu'il s'en doute, ce brave homme pourra. me servir. SCENE IL. DEILMAR, REMIT, JOHN. John (annonfan/). Monsieur le docteur R~my. Dc/mar (se levani). R6my.... (Courant a' R e'my.) Mon ami, mon ancien camarade. Comment I c'est toi qui viens loger chez moi? Re'my. II se pourrait!....cette maison t'appartient! Delmar. EhI oui, vraiment. Re'my. Je n'en savais rien. Ii y a longtemps que nous ne nous sommes vus. De/mar. Tu as raison; autrefois, quand nous 6tions 6tudiants, moi it l'cold de droit, toi it l'4ole de m6decine. -Re'nw. Alors, nous ne nous quittions pas; nous vivions ensemble. Ddlmar. Et quand j'6tais malade-quel z~ele, quelle amiti6! Comme tu me soignais! Deux fois je t'ai d11 la vie..... Mais F-RENCH -READE.R.27 27 1 que veux-tu? Je suis un malheureux, un ingrat. Depuis que je me porte bien, je t'ai oubli6.,Rimy. Non, tu ne m' a pas oubli; tu m'aimes toujours. Je le vois h la franchise de ton accueil; mais les &v6nements nous ont s6par6s. J'ai &6 passer deux ans 'a Montpellier. Je travaillais beaucoup. Je t'6crivais quelquefois. Et toi, lanc6 an milieu des plaisirs de la capitale, tu n'avais pas le temps de me r~pondre. Cela m'a fait un peu de peine; et pourtant je ne t'en ai pas voulu.... tu as la tate 16g~re, mais le coeur excellent; et en amiti6, cela suffit..Delmar. Ainsi donc, tu abandonnes le quartier Saint-Jacques pour la rue du Mont-Blanc? Tant mieux, morbien! Comme autrefois, nous vivrons, je 1'esp'ere, Pour conumencer, plus de bail, plus d'argent. Re'my. Quoi, tu voudrais....? Delmar. Je suis proprie'aire! Tu garderas, pour rien ton logement, On nous aurons un proc'es sur-le-champ. R~ny. Mais permets donc.Delmar. Allons, cher camarade, Daigne accepter les offres d'un ami; Ne souifre pas que l'on dise aujourd'hui Qu'Oreste envoie un huissier 'a Pilade, Pour le forcer 'a demeurer chez lui. R~my. Un proc~s avec toi..... Certes, je ne m'y exposerai pas; car, autant que je puis voir, tu es devenn un avocat distingu6-tn as fait fortune au barreau. Delmar. Du tout. Ref'my. Cependant, quand j'ai quitt6 Paris, tu venais de passer ton dernier examen. Delmar. J'en suis rest6 Ita; et de 1'6tude d'avou6 je me snis 6lanc6 sur la sc~ne. Re~my. Vraiment! tu as toujours en du go~it pour la litt~rature. Delmar. Non pas celle de Racine et de Molire, mais une antre qu'on a invent~e depuis, et qui est Plus expe'ditive..... Je me rappelais l'exemple de Gilbert, Malffitre, et compagnie, qui sont arriv~s au temple de M6moire en passant par l'h6pital; et je me disais: Pourquoi les gens qui ont de l'esprit, n'anraientils pas celui de faire fortune? pourquoi la richesse serait-elle le 2,- 2 2~~72 F-RENCH READE-R. privilege exciusif des imb~ciles on des sots? pourquoi, surtout, un homme de lettres irait-il fatiguer les grands de ses importunit6s? Non, morbieu! ii est un protecteur auquel on pent, sans rougir, consacrer ses travaux-un MWc'ne noble et g~ne'reux, qui recompense sans marchander, et qui paie ceux qui l'amusent -c'~est le public. Re'my. Je comprends-tu as fait queiques trag~dies, quelqnes po~mes 6piques? Delmar. Pas si bate! Je fais l'op6ra-comique et le vaudeville. On se ruine dans la haute litt6rature; on s'enrichit dans la petite. Soyez done dix ans 'a cr~er un chef-d'omuvre! Nous mettons trois jours 'a composer les n~tres, et encore souvent nous sommes trois.... ainsi calcule. Re'my. C'est l'affaire d'un d~jefiner. Delmar. Comme tn dis-les d~jefiners jonent un grand rofle dans la litt6rature. C'est comme les diners dans la politique. De nos jours, combien de reputations et de fortunes enlev~es 'a la fourchette! Je sais bien que nos chefs-d'oeuvre valent it-penpres ce qu'ils nous cofitent. Mais on en a vu qui duraient huit jours, quelques-uns out 6t6 jusqu'it quinze; et quand on vit un mois, c'est l'immortalit6; et on pent se faire lithographier avec une couronne de laurier. -Rdny. Et tu es heureux? Delmar. Si je snis heureux? (Air des Amazones.) N'allant jamais implorer la puissance, Je ne crains pas qu'on rn'a~rkte en chemin; Libre, et tout fier dle mon ind6pendance, Par le travail j'embellis mon destin; Aux maiheureux je peux tendre la main. Quand je le veux, je cdde h la paresse; L'amour souvent vient agiter mon cceur. [1?ressant la main de Re'myj J'ai retrouvd' I'amni de ma jeunesse,Dis- moi, mon cher, n'est-ce pas le bonheur? J'ai retrouve' I'ami de ma jeunesse,Dis-moi, mon cher, n'est-ce pas le bonheur? Et toi, mon cher, comment vont les affaires?.Remy. Assez mal, j'ai pen de reputation, pen de clients. Delmar. C'est inconcevable, car je ne connais pas dans Paris de me'decin qui ait plus de talent. AFZRENCH READER.23 273 _Re'nP. Dans notre 6tat, ii faut du temps pour se faire connailtre... nous ne jouissons que dans l'arri~re saison; et quand la reputation arrive.. Delmar. Il faut s'en aller. Comme c'est gai! Mais dismaoi, pour qui est cet appartement que tu as lou.6 sur le m~nie palier que moi? Re'ny. Ce n'est pas pour moi, mais pour une famille qui arrive de Montpellier, et qui m'a prie' de lui retenir un logement. Le p'Cre d'abord est un excellent homme,.et puis la jeune personne.. Delmar. Ah, ah! il y a une jeune personne l Permettez donc, monsieur le docteur. C'est-ce que nous serions amoureux? Re'rny. A toi, je peux te le confler. Eli bien, oui, je suis amoureux...et sans espoir. Delmar. Sans espoir? laisse donc; c'est quand les m~decins ifen ont plus, que ~a va toujours 'a merveille. Rhny. Le Pere est un riche propri~taire-M. Germont. Deirnar. M. Germont, de Montpellier! nous, voil'a en pays de connaissance. II a ici, 'a Paris, une ni~ece, madame de Melcourt, chez laquelle je suis requ, et qui me parle souvent de son oncle-un original sans pareil, qui tient 4v la gloire et 'a la reputation, et qui a pens6 mourir de joie en voyant un jour son nom. imprim6 dans le journal du de'partement. R& m. C'est lui-m~me. Ii ne recherche pas la fortune, car il en a beaucoup... mais quand j'6tais 'a Montpellier, il m'a promis la main de sa fille 'a condition que je retournerais 'a Parisque je m'y ferais connailtre-que je deviendrais un docteur 'a la mode:-et pour tout cela ii ne m'a donne' que trois ans. Delmar. C'est plus qu'il ne faut. Re'my. Non, vraiment... car nous voil' 'a la fin de Ia troisil~me ann&e... j'ai travaill6 sans relache...et je suis encore inconnu. (AIR: Consuaissez mieux le grand Evge'ne.) Ma clientelle est bien loin d'~tre boone, Delmar. Les vivants sont toos des ingrats; Rimy. Pourtant je n'ai tue' personne. Delimar. Mon pauvre ami, tu ne parviendras pas. II faut, 'a vous, d'illustres fun6railles! Un msldecin est comme on conqudrant: Autour de lui, sur les champs de batailles, Plus ii en tombe, et plus ii paralt grand. 274 274 ~_FR ENCH READER. C' est ta. faute. Si tu m'~tais venu voir plus t6t, nous aurions cherch6 'a te lancer. D'abord j'aurais parh6 de toi dans mes vaudevilles; ~a aurait couru la province; ga se serait peut-8tre jou6 'a Montpellier; et si ton beau-pare va an spectacle, ton mariage 6tait d6cid6. Remy. Laisse donc.-.. Est-ce que j'aurais jamnais consenti... Delmar. Pourquoi pas? Mais il est encore temps... Nous avons vingt-quatre heures devant nous, et en vingt-quatre heures il se fait 'a Paris bien des reputations! Justement, voici mon ami Rondon, le journaliste. SCENE III. Les pre'ceden/s, RONDON. Rondon. Bon jour, mon cher Delmar. (A R'm~y, qu'zZ salue.) Monsieur, votre serviteur.... (A Delmar.) Je t'apporte de bonnes nouvelles, car je sors du comit6 de lecture; et l'ouvrage que nous avons termin6 hier a produit.. Delmar. C'est bien. Nous en parlerons dans un autre moment....Tu viens pour travailler? Rondon Onimorbie!...(Apelant.) John, 'a d~jeuner car moi, je suis bon convive et bon enfant. Delmar. Je te pr~sente le docteur R~my, mon camarade de college, et mon meilleur amni,-un jeune praticien, qui est persuad6 que, POUr r6ussir, 11 suffit d'avoir du rp~rite. Rondon. Monsieur vient de provincel Delmar. Non... du faubourg Saint-Jacques. Rondon. C'est ce que je voulais dire. Delmar (a~ Re'ny). Apprends-donc, et mon ami Rondon te le dira, que, dans ce sie'le-ci, ce n'est rien que d'avoir du talent. Rondon. Tout le monde en a... Delmar. L'essentiel est de le persuader aux autres; et pour cela, il faut le dire, il faut le crier. Rondon. Monsieur a-t-il compos6 quelque ouvrage? Re'my. Un Trait6' sur le Croup, qui renferme, je crois, quelques vues utiles; mai's toute I'Mdition est encore chez Ponthieu et Delaunay, mes libraires. FR7""EN-zCH READER, ~ 275 RzvOndon. Nous l'enl~verons; j'en ai enlev6 bien d'autres..Delmar. Ne fais-tu pas tin cours? Ri~my. Oui, tous les soirs je r6unis quelques 6tudiants. Deirnar. Nous en parlerons. -Rondon. Nous vous ferons conna'itre.,. Avez-vous uine noxnbreuse clientelle? R6ny. Non, vraiment. Rondon. C'est 6gal, on le dira de m~me. Delmar, Ca encouragera les autres! et puis, j'y pense, il y a tine place vacante 'a I'Acad~mie de MWdecine de Paris. Rondon. Pourquoi ne vous mettez-vous pas stir les rangs? Rt!my. Moi I... et des titres? Delmar. Des titres!.... 'a I'Acad6mie?.... C'est du luxe. As-tn adopt6 quelque innovation, quelque systerne? Pourquoi n'entreprends-tu pas l'acupuncture? Rondon. Ah, oui!....le syst~me des aiguilles? (AmIR: Aue Vaudeville de, Fanchon.) Pour gue'ir, on vous pique.Systrnme t6conomnique, Qui depuis ce moment R~pand La joie en nos families; Car nous avcoss en magasins Plus de bonnes aiguilles Oue de bons m~decins. JDelmar. Les jeunes ouvribres, Les jeunes couturibres, Out remplac6 la faculte'; Ces novices gentilles Vont, en servant l'humnauit6, Avec un cent d'aiguilles Nous rendre la sant4. Rondon. Je te prends ce trait-la pour mon journal, car je parle de tout dans mon journal. Mais je nie me connais pas beaucoup en m6decine; et si monsieur veut me dottier deux ou trois articles tout faits..R'm~y. Y pensez-vous? Employer de pareils moyens, ce serait mal, ce serait du charlatanisme. Delmar. Raison de plus. Rondon. Du charlatanisme! Mais tout le monde en use 'a Paris-c'est approuv6, c'est requ, c'est la monnaie courante. T 2 276 76 ~F-R-ENCH READER., Delmar. TUmoin notre dernier suecces. Rondon. D'abord la representation 6tait au be'nefice d'un acteur qui se retirait d~finitivement pour la quatri~me fois. Delmar. Depuis un mois les journaux annongaient qu'il n'y g4vait plus de places, que tout 6tait lou6,. Rondon. Et la composition du spectacle! Delmar. Et celle du parterre!. je ne t'en panle plus; mais il ne faut pas croire que nous soyons les seuls. Dans tous les e6tats, dans toutes les classes, on ne voit que charlatanisme. -Rondon. Le marchand affiche une cessation de commerce qui narrive jamais. Delmar. Le libraire publie la troisieme 6dition d'un ouvrage avant la premi~re. Rondon. Le chanteur fait annoncer qu'il est enrhumt6, pour exciter l'indufgence. Delmar. Les th6a'tres donnent des representations extraordinaires quand ils n'en peuvent pas donner d'ordinaires. -Rondon. Charlatans! charlatans! Tout ici-bas n'est que charlatans. Delmar. Je ne te parle pas des comperes. Rondon. Nous serons les vo~tres. Je vous offre mes services et mon journal; car moi, je suis hon enfant. Re~n~y. Je vous remercie, messieurs... mais, j'ai aussi mon syst~me; et je suis persuad6 que, sans intrigue, sans pro~neurs, sans charlatanisme, le veritable m6rite finit toujours par se faire connaitre et acqu6rir une gloire solide et plus durable. Delmar. Oui, une gloire posthume. Essaies-en, et tu m'en diras des nouvelles. -Re'y. Adieu; je vais faire quelques visites. Delmar (le re/enani). Mais, 6coute donc.. -Re'y. Ah! si les personnes que j'attends arrivaient en mon absence, charges-toi de les recevoir et de leur montrer leur appartement. Air. -Delmnar. Q-1and, par nos soins, notre appui tut~laire, Tu peux marcher 'a la cile'brit6; Quand des honneurs nous t'ouvrons la carribre, Tu vas languir dans ton obscurite'! Songe ha l'amour que ton cceur abandonne! Songe h la gloire. FRENCH READER. 277 Rdmy. On doit en Atre 6pris Quand d'elle-md'me?a nous elle se donne; D~s qu'on 1'achbte, elle n'a plus de prix. (Ensemble.) Del mar et LRondon. Quand, par nos soins, notre appui tutdlaire, Tu peux marcher 4s la cdldbrit6; Quand des honneurs nous t'ouvrons la carribre, Tu vas languir dans ton obscurit6. Re'Imy. Quand, par vos soins, votre appui tutdlaire, Je puis marcher 4 la cdlbrit6; Quand des honneurs vous m'ouvrez la carribre, Moi, j'aimne mieux mon humble obscurit6. [Il sort. SCENE IV, RONDON, DELmAR.. Rondon. C'est donc un philosophe que ton ami le m~decin? Deirnar. Non, mais, c'est un obstin6 qui, par des scrupules (hMplacs~s, va manquer un beau maniage. Rondon. C'est cependant. quelque chose qu'un beau mariage; et puisque nous en sommes sur ce chapitre, j'ai une confidence 'a te faire. II est question, en projet, d'un superbe 6tablissement pour moi-il vaut mieux tard que jamais-vingt mille livres de rente, Delmar. Vraiment! et quelle est la famille? Rondon. Je ne te le dirai pas, car je n'en sais rien encore; mais on doit me presenter au beau-paere, de's qu'il sera arriv6. Delmar. Ah! il n'est pas de Paris? Rondon. Non-mais il vient s'y fixer-un homme immens6 -ment riche, qui aime les arts, qui les cultive lui-m~me, et qui ne serait pas ffichd d'avoir pour gendre un litt6rateur distingu6 et un bon enfant -et je suis Pa..Delmar. C'est cela-te voila' mari6, et tu ne feras plus rien, (Air, de la Robe et le8 Bottes.) Prends-y bien garde, tu. t'abuses! Oui, tu compromets ton 6tat; Quand on se voue au commerce des Muses On dolt rester fidble au cdlibat. Bondon. Crois-tu i'hymen si funeste h 1'e'tude? Delmar. L'hymnen, mon cher, est funeste aux auteurs; A nous, surtout, nous qui, par habitude, Avons toujours des collaborateurs, Et voil'a pourquoi je veux rester gargon. 278 278 F.RnENCH READER. Rondon. Gui, et pour quelque autre rai'son encore. Ii y a, de par le monde, une jolie petite dame de Melcourt. Delmar. Y penses-tu, la femme d'un acad6micien! Rondon. Oh! je suis pr~t 'a 6ter mon chapeau. Delmar. Avant son maniage, c'6tait une arnie de ma soeur, et il n'y a entre nous que la bonne amitid. Ingrat que tu es! c'est 'a elle que nous devons nos succ'es; c'est notre providence Hit& raire. Vive, aimable, spirituelle, r6pandue dans le grand monde, partout elle vante nos ouvrages. Divini! dez~'leux! admzirable! elle ne sort pas de la'; et il y a tant de gens qui n'ont jamais d'avis, et qui sont enchant6s d'8tre l'cho d'une jolie femme! Et aux premi~res repr6sentations il faut la voir aux loges d'avantsc'ne! Elle nit 'a nos vaudevilles, elle pleure "a nos op~rascomiques..... Dernie'rement encore, j'avais fait un me'lodrame -qui est-ce qui ne fait pas des sottises? Elle a eu la presence d'esprit de s'6vanouir au second acte-9a donne l'exemple; qa a gagn6 la premi~re galerie -toutes les dames out eu. des attaques de nerfs, et moi un succ~s fou. Si ce ne sont pas l'a des obligations! John (annonran/). Madame de Melcourt. SCENE V. Les prkdden/s, MME. DE MELCOURT. Delmar. Qu'entends-je! Madame de Melcourt chez moi! Quel bonheur inattendu! 11me. de 1JHelcour/ (6Ionn6?). Monsieur Delmar! Eh, mais, monsieur, comment 6tes-vous ici pour me recevoir? Je venais voir mon Qncle, pour qui on a retenu un logement dans cette maison-et l'on m'a dit: Montez au premier. Delmar. Je r6compenserai mon portier-c'est un homme qui a d'heureuses idtes. A/me. de N1elcourt. Et moi, je le gronderaii. M'exposer 'a vous faire une visite! Que dira M. Rondon, qui est si mauvaise langue? Rondon. Oh! madame, je suis bon enfant. Delmar. N'allez-vous pas me reprocher un bonheur que je ne dois qu'au hasard? Monsieur votre oncle va arriver dans l'instant. J'ai promis au docteur Re'my de le recevoir. FR-ENCH READ~ER.27 279 Mine, de Melcouri. Le jeune R~my!-vous le connaissez? vous 8tes bien heureux, c'est 1'omme invisible. II m'ktait recommand6, mais jamais il ne s'est prdsent6 chez moi-et cependant j'y prends le plus vif int6r~t. J'ai re~u de ma jeune cousine une lettre si pressante! Ii faut absolument faire connaitre cet homme. Delmar. II ne le veut pas. lime. de M1e/court. Comment, il ne le vent pas! ii Al faudra bien. Nous lui donnerons de la vogue malgre' lui, et sans qu'il s'en doute. Delinar. Ce serait admirable I Mlie. de Melcourl. Et pourquoi pas? si vous me secondez. Rondon. Ce sera une conspiration. A/mze. de Me/court. II faut d'abord quelques, articles de journaux. Delmar. Voici Rondon qui s'en chargera. -Rondon. Certainement; un m~decin-ce n'est pas un confre're. Moi, je suis boa enfant. Donnez-moi des notes. (II va s'asseoir 'a la table, et ecrz?.) " Le docteur rnmy." De/mar. Auteur d'un ouvrage sur le Croup. Rondon (ecriviant). "Le docteur R~my,.... le sauveur de lenfance,.'... l'espoir des mares de famille." Delinar. 1i fait tous les soirs un petit cours de physiologie. Rondon. Un petit cours! (Ecri'vant.) " C'est aujourd'hui que le c6l~bre docteur R6my termine son cours de physiologie. On commencera It sept heures pr~cises. Les voitures prendront la file an coin de la rue Neuve-des-Mathurins, et sortiront par la rue joubert." Delmar. Parfait. DIs qu'on promet de la foule, tout le monde y court. (II applelle.),John! John! tu iras 'a la pr~fecture demander deux gendarmes. John. Oui, monsieur. Delmar. Gendarmes It cheval, surtout! on les voit mieux-et 9a attire de plus loin. Mine. de Melcourt. Attendez donc. 1i y a une place vacante It 'Acade'mie de M6decine de Paris. Delmar. C'est cc que nous disions ce matin, -Rondon. II faut qu'iI l'ait. Mine. de il/e/court. II lFaura. C'est aujourd'hui que l'on pro-. nonce. On est incertain entre deux rivaux-de sorte qu'un troisi~me qui se pr6senterait pourrait tout concilier. '-, So RENCH REA DER. Rondon. Oui, mais encore faudrait-il faire quelques visites, et jamais ce monsieur ne s'y d~clidera. Be/mar. Je les ferai pour lui, et sans qu'il le sache. J 'irai voir le pr~sident, et je mettrai des cartes chez les autres. A/me. de Alelcourl. Moi, j'irai voir leurs femmes. (AIR: Ami, voici la siante semaine.) Je tftcherai de s~ddire les dames, Qui s6duiront leurs dpoux. C'est ainsi Que 1'on parvient. C'est toujours par les femmesVoiPk comment j'ai placd mon mari, Rossdos. Nous courrons touls. 37Jme. de.ZMeleoust. Grace h nos promenades, Notre docteur est dans le hon chemin; Rien ne lui manque... Delmasr. Except6 des malades, Et le voi1h tout-h-fait mddecin. A/me. de Afe/couri. C'est vrai. 1I faut lui trouver quelques malades riches- des malades de bonne compagnie ou des petits malades de grande maison. Attendez! l'ambassadrice d'Espagne me demandait, ce matin, un m~decin pour sa femme de chambre. Ensuite, je connais une princesse polonaise, dont le singe s'est. cass6 la cuisse-la princesse jockoniska. De/mar. Cela suffit pour commencer. 1 a~ppe/le.) John, John! De"s que le docteur R6my sera rentr6, et qu'il y aura du monde.... (II luip]ar/e 6as.) Tu m'entends-l'air inquiet, effar6. John. Oui, monsieur. Mime. de Aelecourl. On monte l'escalier -je reconnais la voix de mon oncle-celle de sa fille; ce sont nos voyageurs. Rondon. Moi, je vais 'a l'imprimerie; je sors par la porte de'rob~e. lime. de Afe/couri. AhM monsieur a deux sorties 'a son appartement. De/mar. Les architectes ont tout pr~vu. Rondon. Sans doute-un gar~on!-et un auteur dramatique! rnais je n'en dis pas davantage, parceque je suis bon enfant. [1/ son par /a por/e a~ droik'. FRENCH READER. 2,8i SCENE VI. DELMAR, MME. DE MIELCOURT, M. GERMONT, SOPHIE. A/me. de Melcouri. Ah ~a, mon oncle, vous venez!sans doute 'a Paris pour marier ma cousine? Germont. Mais oui, c'est mon intention. A/me. de Melcouri. Elle sera vraiment charmante, quand elle aura un mari et une robe de chez Victorine. Victorine, ma. ch~re, ii n'y a qu'elle pour les robes; Nattier pour les fleurs; Herbault pour les toques. C'est cher, mais c'est distingu6. Germont. C'est bon, c'est bon; 't demain les affaires s~rieuses. Occupons-nous de notre appartement; et avant tout, montons chez ce cher R6my-'a quel stage demeure-t-il? De/mar (bas a' Aime. de Me/court). D~cemment, je ne peux pas dire qu'il loge au quatri~me. (Haut.) Monsieur, vous ktes chez lui. 3Mie. de Me/court. Y pensez-vous? De/mar (bas). Je partagerai avec lui. Ce n'est pas la premi'ere fois. Germoni. Comment diable!.. an premier, dans la Chauss~e d'Antin! he/mar. Et 1'appartement qui vous est r~serv6 est ici en face sur le m~me palier. Germoni. Et un mobilier charmant-d'une fra'icheur, d'une e96gance -une bibliothe'que!-et des bustes. Air. J'aper~ois llh deux docteurs qu'on renomnme, C'est Hippocrate et Galien. Delmar (ba8 ar Mime. de Mielcoust). Oui, c'est Favart, c'est Piron, le brave homme! 6Germont. Ah! tons les deux je les reconnais bien. (bis) N'est-il pas vrai, c'6taient deux fortes totes? Deux grands docteurs. JBehmar. C'laient deux grands talents (a part.) Pour les couplets. Germosnt. Ils ont l'air buns vivants! D)el mar. Je le crois bien. Si j'avais leurs recettes Je serais stir de vivre bien long-temups. 282 282 FRENCH -REA DER. Germoni (a' Delmar). Monsieur est de la maison?I Delmar. Je suis le propri6taire; et si ce n'e'taient les services que M. R6my m'a rendus, il y a long temps que je lui aurais donn6 cong6. Sopihie. Et pourquoi donc? Delmar. Pourquoi, mademoiselle? Parceque je ne peux pas dormir, parcequ'on m'6veille toutes les nuits!1 La nuit dernie're encore., deux 6quipages qui s'arr~tent 'a ma porte! et l'on frappe 'a coups redoubl6s! "N'est-ce pas ici le c~lRbre docteur R~my? " on le demande chez un riche financier qui a une indigestion; *..chez la femme d'un ministre qui a des attaques de nerfs. C'est ai n'y pas tenir. Je n'ose pas le renvoyer; mais 'a l'expiration du bail je serai oblig6 de l'augmenter, je vous en pr6viens. Germont. Qu'est-ce que vous me dites Iat? Ce pauvre Re'my a donc: un peu de reputation? Delmar. Lui! il n'a pas un moment de repos, ni moi non plus. Sopihie. AhI que je suis contente! vous voyez bien, mon Zpere, j'~tais sfire qu'il parviendrait. Germont. Et ou"i est-il en ce moment? De/mar. Dieu le sait! il est mont6 dans son cabriolet, et il court Paris. Germont. Qu'entends-je!1 il a un cabriolet? Air. Delinar. Eh, oui, monsieur, c'est bien juste en effet; Tous les docteurs un pen calibres Out an moins un cabriolet Pay6 par les pompes funbbres: On dolt beauconp 4 lenrs secours; Pourrait-on sans leur faire injure Les voir ha pied? ~...eux qni font tons les jours Partir taut de gens en voiture! Germont. Et vous, ma ch~re ni'ece, que dites-vous de tout cela? 11Kme. de Me/court. Qu'il y a beaucoup d'exage'ration. Germont. Quoi! vous pensez que le docteur R~my.... ilme. de elfecourt. Moi!1 je n'en dis rien, parceque je ne puis pas le souffrir. C'est un homme insupportable, qu'on ne trouve jamais; toutes les dames en sont folles, et je ne sais pas pourquoi. F-RENCH READER.23 283 Sphze. Mais taisez-vous dlonc. Mi~me. de Mielcouri. Et pourquoi donc me taire? Je dis ce que je pense. Ii m'a enlev6 mes spasmes nerveux-j'en conviens-car il gu~rit; c'est vrai, il gu6rit; il n'a que cela pour lui; il faut bien qu'il ait quelque chose. Delmar. Vous voila,. I. toujours injuste et exag~r~e, quand vous n'aimez pas les gens. Mime. de Mielcouri. Et vous, toujours, preft 'a partager l'engoCtment g6ne'al. Germoni. Mais ma niece; mais, monsieur. Mine. de Melcourt. Vous, verrez ce que deviendra votre docteur R~my. MValgr6 tous ses succ~s, je ne lui donne pas dix ans de vogue. Delmar. Eh bien, par exemple.. Sophie. Fi! ma cousine; c'est indigne 'a vous. SCENE VII. Les prZ6denls, REMY. Mlime. de Mielcouri. Et, tenez, voici encore quelqu'un qui vient le demander, et qui ne le trouvera pas. Delnar (bas a, Mime. de Mielcouri). C'est lui-m~me. Mime. de Mielcouri (ci parn). Ah, mon Dieu, ce que c'est de ne pas conna~itre. Re'my. Enfin, vous voil'a donc arrive'. Germont. Ce cher R~my! Embrasse-moi done. Re'mny. Bonjour, monsieur; bonjour, mademoiselle. Un si aimable accueil.... Germont. Ne doit pas t'6tonner- toi, qui partout es requ et f~e' Nous savons de tes nouvelles. Re'my. De mes nouvelles? et comment? Germont. Parbieu! par la renomm~e. Re'my. Par la renomm~e? je ne croyais pas qu'elle s'occupa't de moi. Mine. de Mielcourt. Ah!1 quoique m~decin, monsieur est modeste -voil'a une qualit6 qui va nous raccommoder ensemble. Sphie (ci Re'my). C'est Madame de Melcourt, ma cousine, et une de vos malades. -Re'y. De mes malades! Je ne pense pas avoir eu l'honneur 284 284 ~~FIRERNCH REA DER. Nmie. de Mfelcour!. Qu'est-ce que je vous disais. C'est insupportable! et nous allons de nouveau nous broujiler. IL ne reconnaft me~me pas ceux 'a qui il a rendu la sant6! Delmar. Parbleu! je le crois bien....sur la quantite'. Mlais pardon, monsieur, avant- de sortir j'aurais un mot de con, sultation 'a demander au docteur.. sur des douleurs que j '4prouve. Re'iy. IL serait vrai! Qu'est-ce que c'est? Panle vite, mon cher Delmar. Delmar (conduzdan/ Reiny a l'ex/re'inz/e du Ihedtre a' droile). Rien; mais j'ai une confidence 'a te faire. M. Germont a pris, l'appartement en face, sur le meime palier; je lui ai dit que tu demeurais ici avec moi. Re'n~y. Et pourquoi donc? Delinar. Belle question! Pour que tu aies plus d'occasions de voir ta pr6tendue. Ren'n~. Je te remercie. Quel bonheur! Mais quant 'a cette dame, elle se trompe, je ne la connais pas. Delinar. Qu'est-ce que ga te fait? Ne va pas la contredire; ce nyest pas honne'te. Minme. de Melcouri (bas a' Germon/). Ce jeune homme qui cause avec lui est M. Delmar son propri~taire,-un auteur tresdistingu6. Gerinoni. Comment, c'est M. ]Delmar, l'auteur? Je logerais dans la maison d'un auteur! Tu sais bien, ma fille, cet opera que nous avons vu 'a Montpellier-M. Delmar- les paroles de cet air que tu. chantes si bien sur ton piano. illme. de Melcourt. J'espe're que vous vous rencontrerez chez moi avec monsieur, qui me fait souvent L'honneur d'y venir; c'est aussi un ami du docteur. Gernorn'. Je lui en fais compliment. Si je me fixais 'a Paris, je ne voudrais voir que des poe'tes, des artistes, des gens ce'Rebres. J'aimerais 'a paraitre en public avec eux, parceque c'est agre'able d'6tre remarqu6, d'6tre suivi; d'entendre dire autour de soi: "1C'est monsieur un tel; c'est sfir. Le voil'a. Et quel est donc ce monsieur qui Lui donne le bras? C'est M. Germont, de Montpellier, son ami intime." C'est une mani~ere de se faire connaitre. Voil'a pourquoi j'Iai toujours voulu pour gendre un bomme c~l'ebre; il en rejaillit sur la famille, et sur le beau- pere, une illustration relative. FRENCH READER.28 28,1 R y.Je suis d~sold monsieur, de vous voir de pareilles ides-non pas qu'elles ne soient tr~s-louables en elles- es mais maiheureusement pour moi, mon pen de reputation. Sophie. Que voulez-vous donc de plus? Delmar. Tu es bien difficile, apr~s les ouvrages que tu. as faits -apr~s ton Trait6 sur le Croup. IIme. de Melcourt. C'est-i'-dire que c'est une modestie qui ressemble beaucoup 'a de l'orgueil. R6ny (a' Delmar, qui lui fail des szgnes). Non, morbieun! je ne veux point tromper un honne'te homme, je veux qu'il sache que j'ai peu de r6putation, peu de clients. SCENE VIII. Les pire'cdenis, Joiix. John. Monsieur le docteur, on vous fait demander chez l'ambassadeur d'Espagne. Re'my. Moi! John. Oui! vous, le docteur R~my; et on vous prie de ne pas perdre de temps, car madame l'ambassadrice est tr~s-inqui'ete. Germont. L'ambassadrice! SCENE IX. Les prtZcedents, FRAN9OIS. F ranrois. Monsieur le docteur, c'est de la part d'une princesse polonaise, qui vous supplie de passer chez elle ce matin.,Re'ny. A moi! une princesse polonaise? Feranfois. La princesse j~ockoniska. Elle vous attend en consultation pour une personne de sa maison qui est gravement indispos6e. RWny. Je vous jure que je ne les connais pas. Mine. de.Zi/elcourt. C'est tons les jours de nouveaux clients. Air. Voyez combien d'argent il gagne; Cest la Pologne et c'est l'Espagne; 11 soigne le nord, le midi. Germont. Chez la princesse, Chez son altesse, Puisqu'on tattend, Allons, pars a l'inst-ant. 2.86 FRENCH READER. )Nmy. Non, je 1'atteste, Ici je reste; L'amnbassadeur Me fait trop d'honneur. Germont. Eh quoji Idans 1'6tat qu'il exerce, Refuser un pareil client! Delmar. C'est Hlippocrate refusant Les pxdsents d'Artaxerce. Germont. Et moi, j'exige que vous partiez. Tanto~t, 'a diner, nous vous reverrons. Delmar (lul donnant son chapa) Voa o hpa;l cabriolet est en bas, et le cheval est attel6. Re'm~y. Mais est-ce que jc peux profiter.... Delmar (bas). Eh! oui, sans doute; tu reviendras plus vite. Re'my. A la bonne heure; mais il a dans tout cela quelque chose que je ne comprends pas. [II sort. SCENE X. Les pr/c/dents, hors REmy. Delmar. Ii doit vous paraitre fort original; mais il a une ambition telle qu'il croit toujours n'&tre rien. Germont. Tant mieux, tant mieux! C'est ainsi qu'on arrive; et je vois maintenant que c'est la' le gendre qu'il me faut. Sphie. N'est-ce pas, mon p're? Germont. Oui; mais je me trouve dans un grand embarras, dont il faut que je vous fasse part. Mime. de Zifelcourt. Ah mon Dieu! qu'est-ce que c'est? Germont. Ne me doutant pas de la reputation du docteur R~my, j'avais renonc6 hi cette alliance, et ma fille sait que j'avais donn6 ma parole 'a un de mes amis qui demeure 'a Paris. Sophie. Aussi, c'est bien malgr6 moi. Germont. Que veux-tul il m'avait propos6 pour gendre un 1itt~rateur connu. Delmar. Il faut rompre avec lui. Germont. Sans doute, mais cela demande des managements; il faudrait le voir, lui parler. C'est un homme qui travaille pour le thftre, et pour les journaux. (A Delmar.) Et vous, qui fr~juentez ces messieurs, si vous vouliez me donner quelques renseignements. .F-RENCH READER, 8 287 De/mar (bas a' Nme. de Mfe/court'). Comme si j'avais le temps! et nos visites 'a I'Acad~mie! Germont (foufl/ant dans sa poche). J'ai l'a son nom, et une note sur ses ouvrages. SCENE XI. Les pire'cewdns, RONDON. Delmar. Mais, tenez; voici un de mes amis qui connailt tout le rmonde, et qui vous dira tout ce qu'il sait-et tout ce qu.'il ne sait pas; c'est un dictionnaire biographique ambulant. (Bas a' -Rondon.) C'est le provincial que nous attendions, le beau-p~ere du docteur; ainsi soigne-le. Rondon. Sois tranquille; tu. sais que je suis bon. Delmar. Eh oui!1 c'est connu. Adieu, monsieur, je vais faire quelques courses. Mine. de Me/court. Et moi, je vais conduire Sophie dans votre nouvel appartement. Viens, ma chere, nous avons tant de choses 'a nous dire! Messieurs, nous vous laissons. [E//es entrent dans /a chambre a' gauche. SCENE XII. Germont. Monsieur est un ami du jeune M. Delmar? un auteur sans doute? Rondon. Gui, monsieur-connu par quelques suqcc~s agrdables. Germont. Monsieur, je cultive aussi les sciences et les artsmais en amateur. J'ai compos6 un Cours d'Agriculture, et dans ma jeunesse je maniais le pinceau. J'ai fait un Massacre des Innocents, qui, j'ose dire, i'tait effrayant 'a voir. Rondon. Monsieur, je m'en rapporte bien 'a vous; mais que puis-je faire pour votre service? Germont. Je ne sais pas comment reconnaitre votre obligeance, monsieur; c'est sur un de vos confrbres que je voudrais vous consulter. (Regardant le papier q'u'i/ tire de sa poche.) Connaissez-vous un M. Rondon? Rondon. Hemn! qu'est-ce que c'est? Germont. Un litt~rateur qui travaille 'a plusieurs ouvrages p6riodiques. Rondon. Gui, monsieur, Oui, je le connais beaucoup. Je ne suis pas le seul. 288 288 F7RENCH READER. Germont. Eh bien, monsieur, qu'est-ce que vous en pensez? -Rondon. Mais, monsieur, je dis que... (Apart.) Quelque habitu6 qu'on soit 'a faire son 6'loge, on ne peut pas, comme cela, de vive voix.... si c'6tait imprim6, encore passe. (Haut.) Je dis, monsieur, que c'est un gar~on 'a qui g~n6ralement l'on reconna~it du m6rite. Germont. Tant mieux. Mais est-ce un homme aimable, un bon enfant? Rondon. Oh, pour cela, ii s'en vante. Mais oserai-je vous, demander pourquoi toutes ecs questions? Germzont. Je m'en vais vous le dire. Sans le connailtre, je suis presque engag6 avec lu. Un ami cotumun, M. Derbois.... Rondon. M. Derbois; je le connais beaucoup. Germont. Un conseiller 'a la cour royale, M. Derbois, lui avait propos6 ma fille en maniage. Rondon (a' part). Quoi, c'6tait I'a le parti qu'iI me destinait A merveille!1 (Haut.) Eh bien, monsieur! Germiont. Eli bien! monsieur, je n'ose pas I'avouer 'a mon ami Derbois, qui a cette affaire tr'es 'a cceur; mais je ne veux plus de M. Rondon pour gendre. Rondon. Comment, monsieur? Germont. Je cherche quelque moyen de le lui faire savoir avec politesse et avec 6gards. Si vous vouliez vous en charger Rondon. Je vous, remercie de la commission. Germiont. Est-ce que vous croyez qu'il le prendra mal? Rondon. Sans, doute; car encore voudra-t-il savoir pour queules raisons. Germont. Oh! c'est trop juste; et je m' en vais vous les dire. C'est que j'ai pr~f6re' pour gendre le docteur Re'my. Rondon (~i part). Qu'entends-je, notre jeune protlg6! C'est bien diff~rent. (Haut.) R~my? Qu'est-ce que c'est que 9a? Germont. Le c~lbre docteur R~my! ce m~decin si connu dans, Paris! Rondon. Je ne le connais pas; et je vous. dirai m~me que jamais je n'en ai entendu parler. Germont. Ii serait possible! ses malades,.. et ses ouvrages. Rondon. Pour des malades, il est possible qu'il en ait fait. Mais pour des ouvrages, je crois qu'except6 ses libraires, personne n'Yen a eu connaissance. -F-RENCH READER.28 289 SCENE XIII, Les pre'ci'dents, MME. DE MELCOURT. Hmie de Mfelcourt. Mon oncle, mon oncle, je quitte ma cousine, qui vient de me faire ses confidences. Germont. II suffit, ma ni~ce. Je ne croirai d~sormais aucun rapport; je ne veux me fier qu'i. moi-me'me, at mon propre jugement. Je vais chez mon amni Derbois-un conseiller, un excellent homme-qui est toujours, malade, et qui toutes les semaines change de mfdecins; ainsi ii doit en avoir l'habitude; ii doit conna'itre les meilleurs. Je lui parlerai du docteur. PMie. de Mfe/court. Pourquoi me dites-vous cela? Gerinont. Suffit, je m'entends. Te passerai, aprl~s cela, chez les libraires du Palais-Royal; et je verrai si par hasard l'dition enti~re ne serait pas dans leurs boutiques; car ii ne faut pas croire que nous autres provinciaux.... lfi'me. de Melcourt. Voulez-vous que je vous accompagne? J'ai lIt ma voiture. Germont. Du tout, je rentre chez moi; je vais m'habiller; je demanderai un fiacre; et nous verrons. Monsieur, enchant6 d'avoir fait votre connaissance. Rondon. Monsieur, je descends avec vous. (A Madame de Melcourt.) Madame, j'ai bien l'honneur. SCENE XIV. MMIE. DE MELCOURT, seule; pui's DELMAR. AMie. de Mfe/court. Nous voilat bien! Toute la conspiration est d~couverte! C'est vous, Delmar? Delmar (entrant -Par la porte a' droite). Je rentre par mon escalier d~rob6. J'ai fait nos visites; j'ai vu beaucoup de monde; tout va bien, et je vous apporte de bonnes nouvelles. HMne. de Me/court. Et moi, j'en ai de mauvaises. Sophie m'a tout racont. Cet homme de lettres, qu'on lui destinait pour mani, n'est autre que votre ami. De/mar. Rondon? cjuelle faute nous avons faite en le mettant dans notre parti! 1kfie. de.1~/e/court. II n'en est d'jit plus; il est pass6 it l'ennemi. U 290 290 -F-R-ENCH READER. Delmar. Eli bien, taut mielix, Si vous me secondez. NMie. de Melcourt. Mais avant tout il s'agit de mon oncle, ai qui Von a tout dit, et qui va lui-in~me courir aux informations -chez M. Derbois, conseiller, qui connait tous les m6decins de Paris; ii va partir dans 1'instant; car il a me'me fait demander un fiacre. De/mar. Un fiacre!1 c'est bon; nous avons du temps h nous. Vite, I'Almanach des 2,5,000 adresses. [1 /'ouvre. Mine. de Me/courl. De lh iil doit aller au Palais-Royal, chez les libraires du docteur, pour demander le fameux Trait6 sur le Croup; et sa visite fera 6poque, car c'est peut-6tre le premier exemplaire qui sera vedud de 1'annue. De/mar. Rassurez-vous, car Von peut tout r6parer. (Ap'pe/anl.) John! Fran~ois! toute ma maison! (A//ant ca son secr(/azre.) Approchez, vous autres, et 6coutez bien. Ii me faut du monde, des amis d~vou6s; et il m'en faut beanconp,-enfin comme il s'agissait d'une piremi('-re repre.sentation. J/ohn. Je comprends, monsieur; on fera comme la dernie're fois. De/mar. C'est bien; ce sera eulev6! Quatre de vos gens iront 'a dix minutes de distance chez M. Derbois, conseiller, rue de Harlay; ils monteront, ils souneront fort; uls demanderout si on n' a pas vu M. le docteur Re'my. Es ajouteront qu'on le cherche dans tout le quartier; qu'il doit y 8tre, qu'il faut qu'on le trouve, attendu qu'il est demauds par tiu ministre, par un prince, et par un banquier. John. Oni, monsieur. De/mar. Pendant ce temps les autres courrout les galeries du Palais-Roval, entreront chez tons les libraires, et ach~teront tous les exemplaires qn'ils pourront trouver d'nn Trait6 sur le Croup, par le docteur R6my. Compreuds.tu? John. Oui, monsieur. De/mar. Surtout nie va pas te tromper et en acheter un a-utre! - quelque confrere dont on enleverait l'~ition. John. Soyez tranquille. Dc/mar. Tons les exemplaires, 'a quelque prix que ce soit; quand les derniers devraient co-ker vingt francs I Tenez, prenez; voila' de 1'argent, et s'il en fant encore, u'6pargnez rien. John. Monsieur sera content. Delmar. Ce gaillard-li' a de l'intelligence. II faudra que je pousse an th~tre. Partez. FR"I",EN.zCH READER.29 291 Mine. de Melcourt. Moi je vais porter les derniers COUPS. Tout ce que je crains, ce sont maintenant les articles de Rondon. Delmar. Ne craignez rien. C'est lui, je l'entends. Je vais parer ce dernier coup, car je connais son COW6 faible. SCENE XV. RONDON, DELMAR. Rondon (en/rant par la porke late'rale a' droife). (A par!.) J'avais, fait pour lc docteur un article d'amiti6, mais la justice doit reprendre ses droits; et dans celui-ci je 1'ai trait6 en conscience. Delmar. Ah! te voil'a, Rondon! As-tu envoy6 l'article de ce matin sur l'ouvrage du docteur RWmy? Rondon. Oui, oni, iI 6tait m~me imprime; et dans un quart d'heure il va paraltre tel qu'il est, si je ne fais rien dire; mais j'ai pri6 qu'on attendit, parceque je veux en envroyer un autre, que je viens de composer dans ton cabinet, Delmar. Un second I C'est trop beau.... et je t'en remercie. Mais tu as bien fait; et, sans t'en douter, tu te seras rendu service 'a toi-m~me. Rondon. Que veux-tu dire? Delmar. Le journal oct tu travailles vient d'6tre achet6 secr'etement par M. de Melcourt, I'acad~micien. Rondon. Secre'tement. Delmar. Sans doute, 'a cause de sa dignit6. Mine. d& Melcourt, enchant&e de la complaisance, de la bonne grAce que tu as rnise ht la seconder, te fera d'abord conserver ta place, qui est, je crois, de cinq 4t six mulle francs. Rondon. C'est vrai. Delmar. Elle peut encore, par la suite, te faire augmenter;tandis que, si tu avais refus6 de la servir, si tu y avais mis de la mauvaise volont6-tu sais cc que pent le ressentiment d'une femme. Rondon. (playant et de'hiran/ son article). Oui, sans doute; mais ce que j'en fais dans cette occasion, c'est plut6t pour toi que pour elle.... dar, enfin, s'il faut te parler 'a Coeur ouvert, j'ai d~couvert que ce docteur 6tait mon rival, 292 292 ~F.RENAICH READER. Delmar. Vraiment? Rondon. Ii vient m'enlever un tr'es-beau mariage; et la d~licatesse ne m'oblige pas 'a le servir. Je laisse aujourd'hui le premier article comme il est, parcequ'il est imprim6, et qu'iI ne faut pas se brouiller avec le propridtaire de son journal; mais j'en resterai lai, je serai neutre. Delmar. On ne t'en demande pas davantage; et pourvu que tu ne dises rien au beau-p'ere, et que tu le laisses choisir entre vous deux.... -Rondon, Non pas, non pas! J'ai ddj't parid; j'en conviens franchement, parceque je suis un bon enfant. J'ai dit du mal! mais de vive voix. -Delmar. Ii se pourrait!.... AhI taut mieux! sa reputation est faite. 11 ne lui mauquait plus que 9a; il ne lui manquait plus que des ennemis, et j'allais lui en chercher. Mais te voil'a. -Rondon. iDame! on me trouve toujours dans ces occasions; et puisque 9a te fait plaisir, tu peux. 8re tranquille; mais nous allons voir comment il se tirera des informations que le beaupbre a &6 prendre sun lui. Delmar. Tiens, justipment... les voilli de netour. SCENSE XVI. Lspre'cedents, M. GERMONT, REMY. Germont (fenanI -Re'my embrasse'). Mon chen R~my, mon chen gendre!1 Je te trouve an moment oti tu descendais de ta voiture, et je ne te quitte plus; il faut que je te demande pardon des soupgons que j'ai os6 concevoir. Re'my. A moi! des excuses! Germont. Oui, sans doute. Je viens de chez M. Derbois, un conseiller hi la cour, rue de Hanlay, un de mes vieux amis, qui est toujouns malade et entour6 de m6decins. Re'm. Je ne le connais pas. Germont. Oui, mais lui te connalit. Depuis ce matin il n'entend panler que de toi dans son quartier; on est m~me venu. chez lui tnois ou quatne fois; et comme il est m6content de son docteur, il le quitte, et c'est toi qu'il choisit; il te supplie, d&s demain, de vouloir bien lui donner tes soins, si tes occupations te le permettent. FRENCH READER. 9:293 Rliny. Comment donc!...Et avec plaisir. Germont. Encore tin client. Delmar (a' part). Encore tin comp'ere; mais celui-l'a est de bonne foi, et ce sont les meilleurs. Germoni. De la je suis pass6 au Palais-Royal, j'ai demands ton Traits sur le Group. Re'my (& parl). Ah, mon Dieu! Rondon (de met'me). Je respire. Delmar. Eh bien, monsieur? Gernmont. Impossible d'en trouver tin exemplaire! Rondon. Ca n'est pas croyable. Re'myn. Vous vous eftes mal adress6. Germont. Je me suis adress6 ~t tout le monde; et tons les libraires du Palais-Royal m'ont assur6, qu'except6 la Campagne de Moscou de M. de S6gur, et les brochures de M. Stendhal, ii n'y avait pas un exemnple d'une vogue pareille-c'6tait uine rage, tine furie; on s'arrachait les exemplaires: aujourd'hui surtout, il parait que la vente a pris tin A1an. Delmar. Et vous n'avez pas Pu vous procurer? Germont. Si, vrairnent, un seul, et le voil'a. C'est, je crois, le dernier; et je l'ai pay6 quarante francs. Re'my. Au lieu de deux francs! Germont. Oui, mon ami; et encore le libraire ne voulait pas me le donner. " Mais c'est l'ouvrage de mon gendre," liii ai-je (lit; je veux l'avoir-je l'aurai, d-fit-il m'en cofiter cent 6cus. "Votre gendre!" m'a-t-il r6pondu en 6'tant son chapeaui. "Vous eftes le beaui-p~re du docteur R6my! Monsieur, diteslui, de ma part, que s'il veut dix mille francs de Ia seconde edition, je les ai 'a son service." R6~my. II se pourrait! Delmar (a~part). Encore des compbres. Rondon. C'est 9a; voil' comme ils sont hi Paris! Maintenant qu'il est lanc6, je voudrais Varr~ter que je ne pourrais pas. SCENE XVIL. Les _prece'dents, SopHiiE. Sphie. Mon p~re! mon p're! voifl' des voitures, des gendarmnes! 294 294. FRENCH READER. German!. Des voitures? des gendarmes? Delmar. Oui, ils arrivent pour son Cours de Physiolog-ie, qu'il termine aujourd'hui. Germont. Nous y assisterons. tous! Un cours do physiologie, c'est tr~s-amusant. Soaphir. Et puis, voici les journaux du soir; ils vionnent d'arriver. II y a un article superbo-sur M. R~my. Tenez, lisez plut6t. On y dit en toutes lettres qu'il y a une place vacante i4 l'Acad~mie de M6decine, et quo s'il y avait une justice, c'est Iui qui devrait etre nomm6..Re'my. Vraiment! Germon! (qul a regarde' le Journal). C'est, ma foi, vrai; c'est imprim6. Rondan (bas). 11 no manquait plus quo cola pour leur tourner la t~te! Germont. Ah, mon Dieu!1 ma fille! mes enfants! il est question do moi! Delmar (prenan! lejournal). Ce n'est pas possible. -Rondon (bas). Si, vraiment, j'avais soign6 le beau-p~re. Delmar (lkrant lejaurnal en regardant Germant). "1Un peintre c6lhebre, l'honneur do la province, vient d'arriver 'a Paris..... C'est M. Germiont, autour du fameux tableau du Massacre des Innocents. On dit qu'il s'ost enfin ddtermin6 'a publier son Cours. d'Agriculture, si impatienmmont attondu par los savants." German!. Je commence donc 'a percer! Delmar. C'est 'a votre gendre que vous devez cela. Tout ce qui tient 'a un homme c6le'bre, acquiert de la c6l6brit6. German! (a" Rondon). Eh bien! monsieur, vous qui 'rtendiez quo R6my n'avait ni talent ni reputation, que dites-vous do cot article, oiu on lui donne de si grands edoges? Randon (avec noblesse). Je dis, monsieur, quo l'article est do moi. German! et kRnmy. 11 so pourrait? Randon. Jo suis Rondon, hommo do lettres, celui qu'on vous, avait propos6 pour gendre. Commo rival, jo n'e'tais point oblig6 do dire du bien do monsieur; mais, comme juge, je devais Delnar (a part-). C'ost bien cola! Charlatanisme do gino'rosit6. Remyz (allan 'a' -Rondan). Monsieur, je n'oublierai jamais un FRVWENCH READER.29 295 trait aussi g~n~reux. Vous 8tes un homme d'honneur, vous 6tes un galant homme. Rondon. Monsieur, je suis un bon enfant, et voil'a tout. SCE.NE XVIII. Les prke'dents, MME. DE MELCOTJRT (entrant par lefond). A/me. de Melcourt. Mes amis, mon cher R~my, recevez mon compliment. J'6tais chez la femme du Vice-Pr~sident 'a entendre le r~sultat de 1'61ection acad~mique. Vous 8tes nomm(. Tous. Ii serait vrai! Re'my. Je ne peux pas en revenir; car enfin, je ne m'6tais pas mis sur les rangs, je n'avais pas m~me fait de visites. Eh bien, mes amis, que vous disais-je ce matin? Vous voyez bien que, sans intrigues, sans cabale, sans charlatanisrne, on finit toujours par arriver. Delmar. Oui, tu as raison. (A part.) Mes chevaux sont en nage; (s 'essuyant lefront) et moi, je n'en puis plus. SCENE XIX. Lespkre'cedents; joiHN, avec un gros ballot sur les tPaules. John. Monsieur, nous sommes sur les dents. Ii y a encore deux ballots comme cela en bas: c'est toute I'6dition. Delmar. Veux-tu bien te taire!1 John. Il n'y manque qu'un seul exemplaire qui a &t6 enilev6. Delmar. C'est bon, porte in premi~ere 6dition dans ma chambre. (A part.) Ca servira pour la seconde..R6ny. Que veux-tu dire? et quels sont ces livres? Delmar. Tu le sauras plus tard; jouis de ton triomnphe; tu le peux sans rougir, car cette fois du momns la vogue a rencontr6 le m~rite; mais disons, en 1'honneur de in morale, que les r&putations qui se font en vingt-quatre heures se d~truisent de Meme; et que si le hasard ou I'amiti6 commence les renomm~es, c'est le talent seul qui les soutient et qui les consolide. Scribe. 296 296FRENCH READER. Si. Fragment de Pomp,'e. CORNELIE (tenant lurne gui cn/tzent lee cendres de Ponzgze2). o vous, h ma douleur objet terrible et tendre; Eternel entretien de haine et de pitid, Restes du grand Pomp6e, dcoutez sa nioitid; N'attendez point de moi de regrets ni de larmes, Un grand cceur a ses maux applique d'autres charmes. Les faibles d~plaisirs s'amusent 'a parler, Et quiconque se plaint cherche h se consoler. Moi, je jure des dieux la puissance supreme, Ou, pour dire encore plus, je jure par vous-meme; Car vans pouvez bien plus sur-ce cceur ddsold Que le respect des dieux qui l'ont roal protdgd; Je jure donc par vous, 6 pitoyable reste, Ma divinitd seule, aprbs ce coup funeste, Par vous, qui seul ici pouvez me soulager. De n'd'teindre jamais l'ardeur de le venger. Ptolm&e 'a Cdsar par un lche artifice, Rome, de ton Pomp~e a fait un sacrifice; Et je n'entrerai point dans tes murs d6solds, Que le pretre et le dieu ne lui soient immol6s. Eaites-m'en souvenir, et soutenez ma haine, o cendres, mon espoir aussi bien que ma peine; Et, pour m'aider un jour h perdre son vainqueur, Versez dans tous les cceurs ce que ressent mon cceur. Corneille. 82. Zpkzpe'nie en Aui'de. (Acte II. Scene 2.) AGAMEMNON, hPHIGENIE. Iphik. Seigneur, oii coures-vous? et quels empressements Vous ddrobent sitdt 'a nos embrassements? A qui dois-je imputer cette fuite soudaine? Mon respect a fait place aux transports de la reine; IFRILENCH REA DER.29 2 9 7 Un moment ~t mon tour ne vous puis-je arrefter? Et ma joie?~vos, yeux n'ose-t-elle 6clater? Ne puis-je. Again. Eh bien, ma fille, embrassez votre p'ere; 11 vous aime toujours. Iphkzr. Que cette amour m'est che're! Quel plaisir de vous voir et de vous contempler Dans ce nouvel 6clat dont je vous vois briller!1 Quels honneurs! quel pouvoir! D~j'a la renomm~e Par d'tonnants r~cits ru'en avait inform~e; Mais que, voyant de pr~s ce spectacle charmant, jJe sens croitre ma joie et mon 6tonnernent! Dieux! avec quel. amour la Grece vous revere! Quel bonheur de me voir la fille d'un tel p~re! Again. Vous m~ritiez, ma, file, un p'ere plus heureux. -Ipkhik. Quelle fflicit6 peut manquer 'a vos vceux? A de plus grands honneurs un roi peut-il pr~tendre? J'ai cru n'av6ir au ciel que des grakes ~ rendre. Again. (a' par/). Grands dieux! 'a son malheur dois-je la preparer? Ipihzk. Vous vous cachez, seigneur, et semblez soupirer; Tous vos, regards sur moi ne tombent qu'avec peine: Avons-nous sans vos ordres abandonn6 Myce'ne? Again. Ma fille, je vous vois toujours des me~mes yeux; Mes les temps sont chang~s, aussi bien que les lieux. D'un soiii cruel ma joie est ici combattue. Iphzir. Eh! mon pZre, oubliez votreragimaue J e pr6vois la rigueur d'un long 6loignement. N'osez-vous sans rougir 8tre p?~re un moment? Vous n'avez devant vous qu'une jeune princesse A qui j'avais pour moi vant6 votre tendresse; Cent fois, lui promettant mes soins, votre bont6, J'ai fait gloire 'a ses ye-ux de ma fflicit6: Que va-t-elle penser de votre indiff6rence? Ai-je flatt6 ses vceux d'une fausse esperance? N'6claircirez-vous point ce front charge d'ennuis? Again. Ah, ma fille!I Zpih tk. Seigneur, poursuivez. Again. Je ne puis. Iphik. PNrisse le Troyen auteur de nos alarmes! 298 298 ~F-RENVCH -READER. Again. Sa perte 'a ses vainqueurs couitera bien des larmes. Iphik. Les dieux daignent surtout prendre soin de vos jours! Agarn. Les dieux depuis un temps me sont cruels et sourds. IIpkzzk. Caichas, dit-on, prepare un pompeux sacrifice? Again. Puiss6-je auparavant fi6chir leur injustice! 1hIpkz. L'offrira-t-on bient~t? Again. Plus t6t que je ne veux. Iphkz. Me sera-t-il permis de me joindre 'a vos v~eux Verra-t-on 'a l'autel votre heureuse famille? Again. H6las! Iphz~r. Vous vous taisezt Again. Vous y serez, ma fille. Adieu. Racine (i 639-17 11)I 83. La Mlori d'Hzbpoiy/e. A peine nous sortions des portes de Tr~ze'ne, 1I 6tait sur son char; ses gardes afflig~s Imitaient son silence, autour de lui ranges; II suivait tout pensif le chemin de Myc'enes; Sa main sur les chevaux laissait fiotter les re~nes; Ses superbes coursiers qu'on voyait autrefois Pleins d'une ardeur si noble ob~ir 'a sa voix, L'zeil morne maintenant, et la tate baiss~e, Semblaient se conformer 'a sa triste peps~e. Un effroyable cri, sorti du fond des flots, Des airs en ce moment a troubl6 le repos; Et du sein de la terre une voix formidable R~pond en g~missant it ce cri redoutable. Jusqu'au fond de nos cceurs notre sang s'est glac6: Des coursiers attentifs le cnin s'est h~riss6. Cependant, sur le dos de la plaine liquide, S'61e've 'a gros bouillons une montagne humide: L'onde approche, se brise, et vomit 'a nos yeux, Parmi des flots d'6cume, un monstre furieux. Son front large est arme' de comnes mena~antes; Tout son corps est couvert d'6cailles jaunissantes; Indomptable taureau, dragon imp6tueux, Sa croupe se recourbe en replis tortueux; F-R-ENCH -READ-ER.29 299 Ses longs mugissements font trembler le rivage, Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage; La terre s'en e'meut, l'air en est infect6, Le fiot qui l'apporta, recule 6pouvant6. Tout fuit; et sans s'armer d'un courage inutile, Dans le temple voisin chacun cherche un asile. Hippolyte lui seul, digne fils d'un h~ros, Arr~te ses couirsiers, saisit ses javelots, Pousse au monstre, et d'un dard laric6 dune main su're Ii lui fait dans, le flanc une large blessure. De rage et de douleur le monstre bondissant Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant, Se roule, et leur pr~sente une gueule enflamm6e Qui les, couvre de feu, de sang, et de fumn~e. La frayeur les emporte; et sourds 'a cette fois, Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix; En efforts impuissants leur malitre se consume; ELs rougissent le mors d'une sanglante &cume. On dit qu'on a vu m~me, en ce d~sordre aifreux Un dieu. qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux. A travers les rochers la peur les pr~cipite; L'essieu crie et se rompt: 1'intr~pide Hippolyte Voit voler en sclats tout son char fracass6; Dans les r~nes lui-m~nme il tombe embarrass6. Excusez ma douleur; cette image cruelle Sera pour moi de pleurs une source 6ternelle. Train6 par les chevaux que sa main a nourris, Ii veut les rappeler, et sa voix les effraie I~ls courent: tout son corps n'est bient~t qu'une plaie. De nos cris douloureux la plaine retentit. Leur fougue imp~tueuse enfin se ralentit: I~ls s'arre'tent non loin de ces tombeaux antiques Oii des rois ses affeux sont les froides reliques. J'y cours en soupirant, et sa garde me suit, De son g6n6reux sang la trace nous conduit: Les rochers en son teints; les ronces, d~gouttantes Portent de ses cheveux les d6pouilles sanglantes. J'arrive, je I'appelle; et me tendant la main, Ii ouvre un oei'l mourant qu'il referme soudain. "Le ciel," dit-il, Im'arrache une innocente vie. 300 FIREKNCH READER. Prends soin, apr~es ma mort, de la triste Aricie... Cher ami, si mon p~re un jour d~sabus6 Plaint le maiheur d'un fils faussement accus6, Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive, Dis-lui qu'avec douceur il traite sa captive; Qu'iI lui rend...." A ce mot ce h6ros expir6, N'a laiss6' dans mes bras qu'un corps d~figur6: Triste objet oii des dieux triomphe la coibere, Et que m~connailtrait l'oeil m~me de son pere, -Raci'ne: "1Phk'dre." -NO0T ES. I.PAGE i. Tomvba dans des filets. Corny. Eog. ' tumble' and ' stumble.' FV4 t, net; dimin. from 'IEll;' tat. ' filum.' lVdbarressser, to disentangle. Comnp. Eog. ' bar,' ' obstruction.' Forft, forest. Comp. Gena. 'forst;' probably from the Med. tat. 'forestuim,' from adv. 'foris.' fRosgea, from tat. 'rodere.' Alicilles, meshes; from Ital. 'maglia.' Mdmie. Comp. Ital. ' medesimno;' Sp. ' minsmo;' probably from tat. ' metipsissimum., 2. We: Ital. ' oca,' from ' auca'= I avica,' in the sense of 'avis.' -Pondait, tat. ' ponere.' PAGE 2. Consvoitise, covetousness; from Med. tat. 'convotare,' i. e. 'votis prosequi.' 3. Etaployjer. Corny. tat. ' implicare.' Maison, from tat. ' manere.' '4, t'buitre, from Gr. 0'o'rpcov; whence tat. 'ostrea.' Ramasser, from Or. &/LcZaPW. Sur ce pied-let, at that rate. Gobe, connected probably with ' gape,' having the mouth wide open; here 'to swallow,' or ' gobble.' iEcaille, shell. Comp. Germ. ' schale,' from a Saxon root. 5. PAGE 3. Charlatan, quack; from ltal. 'ciarlare,' to talk much; others derive from tat, I scarlatati,' or ' scarlatani,' wearing scarlet clothing. Dimanscle, Sunday; from tat. ' dies magna.' Caboaret, inn. Comp. tat. ' caupo,' and Med. tat. ' cabaretum.' Vide note to ecabane, page 2Q. 302 NO TES. Morceau, from Lat. ' mordere;' as Eng. I'bit' from ' bite.' Bouchse, mouth; from Ital. I'bocca.' Timoign~rent, testified, showed; from Lat. 'testis.' iEmpirique, charlatan; frons Gr. 1E/o_,r~npacbs. Coin, from Gr. td~vos. Etranger (comp. Sp. ' estranar'), from Lat. 'extraneus.' Mosuiller (from Lat. root 'mollis,' or Gr. jsrsxaicbs), to moisten. Souper. Comp. Germ. 'saufen,' because the meal consisted originally chiefly of liquids. Superclserie, contraction from ' super tricherie.' Comp. Eng. ' trick.' Craie, from Lat. ' creta.' 6. Mfazarin (Julius, Cardinal), was born July 14, 16o2, in Rome (according to some historians, in the Abruzzi); he studied at Alcala and Salamanca, was captain of the Pope's troops in 1625, and became acquainted with Richelieu, 1630, at Avignon. He entered the Church 163;2, was made vice-legate at Avignon, and in 1634 papal nuncio to the court of France. In 1639 he entered the French service, became cardinal in a 641, and, after Richelieu's death, prinse minister, which charge he held until his death, s66i.,Ste. Marguerite, osse of two small islands, known to the ancients under the name of Lerinse Insulx, on the coast Of Provence near Antibes; famous for its state prison. PAGE 4. Masque. Comp. Germ. I'maske;' Sp. ' mascara;' from Med. Lat. 'masca,' i. e. I'strigx,' ghost. B3astille, the state prison in Paris, built by Charles V. 1370-83, at the Porte St. Antoine, and destroyed during the revolution of 1789, July 14 and a5. Louvois (Franqois Michel, marquis of), minister of war under Louis XV; born 1641, died 1691. Tenait dus, resembled, partook of. Gout, Lat. I'gustus.' On lui faisait la plus grandle celore, he fared magnificently, sumptuously; lit. they made him the greatest ' cheer.' Assiette, rad. ' asseoir.' Bateau. Comp. Eng. ' boat;' Germ, ' boot.' PAGE, 5. V~oltaire (Frangois Marie Avouet de), one of the most celebrated writers of the eighteenth century; born 1694 at ChiAenaix, near Sceaux; died in Paris 1778. Abreger, to shorten; Lat. 'ab' and 'breviare,' Epargner. Comp. Germ. 'sparen; Eng. ' spare.' Des-ober. Comp. Germ. I'rauben;' Eng. ' rob.' Hsippocrate, the most famous of ancient physicians; born in the island of Kos about 460 A. C.; died at Larissa 370 A. C. PAGE 6. Csoo (pron. ero), hook; ' pendre au croc,' to hang up. Ddbutait, to begin; from I'de' and ' but.' Alguaszll, officer of justice, policeman: Spanish word of Arabic root, Meinager, to spare. Comp. Ital. ' maneggiare;' Eng. ' manage.' NO TES. 303 JPlaie et bosse. The former is an open wound, a sore; the latter, a bruise: ne demander que plaie et bosse,' to wish for nothing but quarrels, for mischief.,Je le, laissai s'e ianouir lae rate, I let him have his laugh out;lit. I let him drive out his spleen. Tout beau, gently. Faubourg, suburb, from Germ. 'vorburg.' Assassinats: of doubtful et~nology. Some refer it to the followers of the Old Man of the Mountain, Haselijechin, who murdered all those pointed out to them by their chief. Others derive it from a word ' sasis,' i. e. knife; as sicarii' from 'sica.' Le, Sage (Alain Rene'), born at Sarzeau, dep. Morbihan, i668; went early to Paris to follow philosophical studies. He wrote "1Crispin, Rival de son Maitre; "Turcaret," a satire against the financiers of the time; " Le Diable Boiteux;" "Gil Blas," the plot of which he found in the Spanish novel of Volez de Guerara, "El Diabolo Cojuelo;" "Le Bachelier de Salamianque;` and others. He died 1747. 8. PAGE 7. Gibier, game; from Lat. I'cibaria,' Faible. Comp. Eng. 'feeble;' Sp. ' feble;' from Lat. I'flebilis,' i. q. I'debilis,' pitiful, weak, etc. Couvre, whence Eng. 'cover,' from Lat. 'cobperire.' Queun roi prenne, let a king take, etc. Payer, whence Eng. 'pay;' probably from Ital. ' pagare,' or Sp. ' pagar,' from Lat. 'pacare.' Titer. Comp. Gr. 0Z5 CL, Germ. 'tiidten,' and Engl. 'death.' Prends garde, derived from the Saxon I'warican,' whence Germ. 'wahren,' Eng. ' ward,' a. a. PAGE 8. Midecins:- through Lat. I'medicina,' from Gr. /.zJho/.at. (duirir, froin Lat. ' curare;' as I'aigre,' ' maigre,' from ' acer,' ' macer.' Marques, from Germ. ' merken,' derived from Sax. root, whence Bog. 'mark.' Alors, from Ital. ' allora,' i. q. '1 'heure,' I'maintenant.' Note, that the final is never joined to the following word in pronunciation: ' alors il dit,' pr. 'alor ilI dit.' Hachs: old Sax. root ' haccan,' whence Germ. I'hacken,' Eng. ' hack.' Empe'cher, from Lat. ' impedire.' 9. Fre'dbri II. r'oi de Prusse. Born 1712, Jan. 12; died 1786, Aug. i7; reigned:1740-86. -Page, probably from Gr. traov. Gages. Comp. Eng. 'wages,' from Lat. 'vadium;' whence 'engager.' Soulager, from Lat. I'sublevare;' like 'cage' from 'cavea.' PAGE 9. Chambre, from Gr. icay~upa, through Lat. ' camera;' Germ. ' kammer;' Eng. 'chamber.' Comp. Heb. inpa. o. Bourse. Comp. Gr. 13v'paa; whence Lat. 'byrsa;' Germ. 'b~rse;' Eng. 'purse.' 304 NO TES. Poehe. Conip. Eng. 'pouch,' 'poke,' 'pocket.' Etonnement. Comp. Eng. ' astonishment,' and Germ. staunen.' 10 Maniait, from Lat. manus,' corresponding go the literal English rendering ' to handle,' from 'hand.' Atelier. The old spelling 'Itelier' or ' astelier' seems to point to 'hastella,' from Lat. ' hasta.' II ecartait, he put aside, kept off. The etymology is obscure; perhaps from the game at cards, to put aside, to discard valueless cards for others. PAGE IO. Cour, from Med. Lat. ' curtis,' derived from ' cohors.' Comp. Gr. X6pros, Germ. 'garten.' The word is derived apparently from some verb signifying enclose, surround; perhaps Sax. 'gyrdan,' whence Eng. ' yard.' Comp. ' basse-cour,' poultry-yard. Ecu, from Lat. 'scutum,' arv'ros, shield, the coat-of-arms which the coin bore. Cardinal Richelieu (Armand Jean Duplessis), born Sept. 5, 1585, in Poitou, of noble family; studied divinity, and became bishop when only twenty-two years of age. Marie de Mddicis promoted him, and he became grand almoner. and soon after minister of the interior and foreign affairs. In 1622 he obtained the dignity of cardinal, and was made a member of the Council of State, 1624. Despite many plots to undermine his position and ruin him, he became prime minister, 1629; peer of France and duke, I63. Died Dec. 4, I642. Cardinal, from Lat. 'cardo,' hinge. Enthousiasme, from Gr. Ev0ovoradrw, infuse a divine spirit. Cornae, driver of an elephant; derived from Sanskrit ' karnikin,' elephant. Brusque, rough, blunt, abrupt; an old Gaelic root. The Breton 'brisg,' Welsh ' brys,' Eng. ' brisk,' all belong to the same stock. Souverain. Comp. the Eng., and Ital. 'sovrano,' from Lat. 'supernus,' superus;' like ' pauvre,' ' oeuvre,' recevoir,' from ' pauper,' opera,' 'recipere.' PAGE II. S'assouvir, to satisfy, especially the cravings of hunger or thirst. The etymology is very doubtful. The derivation from the Gothic 'ga-sbthian,' XopTa(ELv; the changing th into v is hazardous. Eblouir, to dazzle. Comp. Germ. ' blode,' 'blodsichtig.' Boutique, shop, with the cognate forms, Sp. 'botica,' Ital. 'bottega,' from adoOeSci, a storehouse. Accueil, reception: ' faire accueil,' or 'bon accueil,' to receive kindly; derived from Lat. 'ad' and ' colligere.' The French have changed the conjugation of the Lat. verb from third to fourth conj. Petits-pieds, game, epecially fowl. II. PAGE 12. Foule, crowd. Comp. Germ. ' voll,' ' fille;' Eng.' fill,' full.' Coup, blow. Comp. Ital.' colpo,' from Gr. c6daQfpos. On tomba d'accord, it was agreed. Tocsin, alarm-bell; from old French ' toquer,' i.Jq. 'toucher,' and ' sein' or 'seint,' bell; the latter word probably from ' signum,' NO TES. 305 ~Escalier, staircase; from Lat. I'scalx,' whence p. cl. ' scalarium.' Souspposuses, from Lat. ' suspicio,' whence Eng. 'suspect.' PAGE 13. Coup, in this sense, is repeatedly used in French: ' coup de l'trier,' stirrup-cup. Compare ' bumper.' Faire 9-aison, in this sense, ' honour their toasts.' 1 2. Butin, with Eng, ' booty;' Germ. 'beute;' Ital. 'bottino;' from an old Saxon root. Chsameaus, with the cognates, Easg. 'camel;' Lat. 'camellas;' Gr. iacjq~oXos, from Arabic ' djamal; Heb. ~tj Courroie, strap; with Sp. ' correa' Ital. ' correggia,' from Lat, I'corrigia.' PAGE 14. Hfenssir, -neigh; from bat. I'hinnire.' Entravn~s, picketed, tied up; from bat. I'trabs.' Orge, barley; from Lat.' hordeum.' Lecher, lick, Comp. Germ. 'lecken,' bat. ' lingo,' Gr. XE>'sJ. 113. Noanc d, shaded; from bat. 'nubes.' PAGE 15. Assez, enough. Comp. Ital. 'assai,' from bat. ' ad satis.' Essdosser, to don, put on, rad. Fr. ' dos.' IFhysionossie, Gr. (pdoss and vd~uss. Esscsi, with the cognates:~ Eng.'I assay' and ' essay,' bat. I'sequi,' Germ. 'suchenl,' Eog. 'seek,' belong to one root signsifying ' to follow,' etc. 114. Fldsu. Comp. the Eng. ' flail;' Germ. I'flegel;' Lat. ' flagellum;' Gr. rxq-y~'; Eng. ' flog.' PAGE s6. Genghis Khan: a celebrated Mongol leader, whose proper nanse was Temnudschin, was the son of the Mongol leader Yesukaik; born ii5 After the detkth of his father he took refuge with the chief of a larger Mongol tribe, Ung, whose daughter he married. He eventually, after the death of his father-in-law, who fell in battle, and after having taken Kara-Korum, the capital of the Naiman Tartars, resolved to invade China; passed across the Great Wall 1209, and took Pekin a12a5. The murder of his ambassadors by the Sultan of Khiva determined him to attack Turkestan, with an army Of 700,000 men. Ile took by storm the cities Bokhara, Samarkand, and Kowbaresm, and extended his dominion as far as the Driieper. He died 1227, Aug. 24. 15. Oter. Comp. Eng. 'oust;' probably from ' haustare,' formed of I'haurire.' PAGE 17. Marteau, mallet, hammer. Comp. Ital. I'martello,' from bat. ' martulus,' i. q. I'marculus.' Esrpi's, mangled, murdered. The etymology is not clear. The Gr. oQrpEcpwsv seems unsatisfactory..The Ital, I'stroppiare,' whence the French 306 O TES. is taken, gives no clue. 'Storpiare,' and thence 'extorpidare,' have been suggested. Tombeau. Comp. Lat.' tumulus;' Gr. r1zp os; Eng. ' tomb.' Chemin, with Ital.' cammino;' Sp. ' camino,' from Med. Lat.' caminus.' ApoJphthtgmes: i. q. d7r6pOE-ya, a terse saying. Employer, with the cognate forms, plier;' Ital. ' piegare;' Sp. ' plegare,' from Lat. 'plicare.' i6. Colter. Comp. Germ. ' kosten;' Eng. ' cost.' PAGE 18. Coiffures, head-dress. The derivation is by no means clear. Compare Eng. 'coif;' Ital. ' cuffia.' Maouche, patches; Lat. ' musca.' Montesquieu (Charles de Secondat, baron de Brede et de): born Jan. 18, I689, near Bordeaux; became (1714) councillor at the parliament of Bordeaux, and, two years later, president; was founder of the Academy of Bordeaux. His first great work was the " Lettres Persanes," followed by his " Considdrations sur les Causes de la Grandeur et de la Decadence des Romains," 1734; and "Esprit des Lois," 1748. He died in Paris, Feb. Io, I755. 17. Cuerite, sentry-box. PAGE I9. Bane. Comp. Eng. ' bench;' Germ. ' bank;' Sp. and Ital. ' banco,' from the German. Embarcation, from 'barque,' derived from a Celtic root 'barc.' Comp. Germ. barke;' Eng. ' bark' and ' barge;' Jtal. ' barca.' Mat. Comp. Eng. and Germ. 'mast.' In German and Dutch the word is used in connection with ' baum,' i. e. ' beam: Agr&s, rigging. Pavilion, flag; from Lat. 'papilio,' orig. a butterfly. Zieue. Sp. 'legua;' Ital. 'lega,' from p. class. Lat. ' leuca.' The etymology is doubtful. The word is evidently of Celtic origin: the Irish as well as the Gaelic 'leig' signify the same. I8. Hutte, with Eng. ' hut,' from 0. H. Germ. ' hutta.' HMte, host; from 'hospes, -itis.' Dechue, from dechoir; from Ital. ' decadere;' Lat. 'cado.' Pitie, with the Eng. 'pity;' from Lat. ' pietas.' Foyer, from adj.' focarius. PAGE 20. Naguere, or 'nagubres,' adv.; from ' il n'y a gubre' ('temps' understood). Desormais, from ' ds,' 'ore' (old word, from Lat. ' hora'), and ' magis,' i. q. 'dbs ce moment.' Cabane, with Eng. ' cabin,' from Gaelic ' caban.' Compare Gr. caB3v71, Lat. 'caupona.' NOTES. 307 Braler: Ital. ' brustolare,' from Lat. 'urere,' through a frequentative formation ' ustulare '-' perustulare' which is found in the Provengal form of ' bruslar.' Briser. Comp. Eng. 'bruise,' burst;' Germ. ' bersten.' Guizot (Frangois P. G.): born at Nismes, Oct. 4, 1787; educated, after the death of his father, 1794, in Geneva; returned, I806, to Paris; I809, his first work, "Nouveau Dictionnaire Universel de la Langue Frangaise," appeared; 18 1-14, he wrote his "Etat des Beaux Arts en France," "Annales de l'Education," and " Vies des Poetes Frangais du Sidcle de Louis XIV." His political career began with the Restoration. He had been recommended to Montesquieu, then minister of the interior, who appointed him to a secretaryship. After a series of writings, more or less touching upon social and political questions, 1820-I822, he, in conjunction with several other literary men of note, published the celebrated "Collection des Memoires relatifs k l'Histoire de France depuis la Fondation de la Monarchie jusqu'au I3me Sibcle," and the " Collection des Memoires relatifs B l'Histoire de la R6volution d'Angleterre." He wrote further " Observations sur l'Histoire de France," " Histoire de la Revolution d'Angleterre," and conducted the " Encyclopedie Progressive" and the "Revue FranSaise." In 1828, when the government allowed him to resume his lectures on Modern History, he produced his " Histoire de la Civilisation en France depuis la Chute de l'Empire Romain jusqu'h* la Revolution Franqaise; 1830, he entered the French Chamber as representative of Lisieux. After the revolution of July he became minister of the interior, and remained in the cabinet, with short interruptions, until 1837; I840, he was sent as ambassador to England, and in October of the same year assumed the direction of foreign affairs, and was eventually, from 1847, premier. Since the revolution of 1848 he has occupied himself almost exclusively with literature. I need only quote a few of the works: "Monk;" " Chute de la Republique;" "Etude sur les Beaux-Arts;" "Shakespeare et son Temps;" " Corneille et son Temps;" and other memoirs. 19. Narbonne: the ancient Narbo Marcius or Narbona in the old province of Languedoc, founded 118 A. c., was the capital of the 'provincia romana,' or ' Gallia Narbonensis,' is a small town of about I5,ooo inhabitants. Fenetres en ogive, pointed or arched window, ogive window. PAGE 2I. Bariole, variously coloured. Aile, wing; from Lat. 'ala.' Grele. Comp. Eng.' shrill;' Germ. ' grell;' from Lat.' gracilis.' Joue. Diez gives it from Ital. 'gota,' from Med. Lat. 'gabatx,' hollow eating-vessels; more probably from Lat. ' gena.' Lavater: born 1741, at Zurich; died Jan. 2, 180I; known chiefly on account of his physiognomical speculations. Moustaches, with Eng. and Ital., from Gr. uv'forae. PAGE 22. Feodal, with the Eng. ' feudal' (a. o. not found before the eleventh century); low Lat. 'feudum.' Derivation perhaps from 'fee,' i. e. stipend, and 'odal' or 'udal,' signifying property; whence 'fee-oth' (Lat. 'fedum'), stipendiary property.-Blackstone. Others derive from Lat. 'fedus.' Cadet, younger son. The old spelling 'captet' seems to favour the etymology of ' capitetum,' Low Lat., from ' caput,' in the sense of ' little chief' X 2 3o8 NO TE$ Don Juan de Braganza, who afterwards, under the name of John IV, ascended the throne of Portugal, and from whom the present royal line of Portugal and the imperial house of Brazil are descended. S'appuyer, to lean against; from the Low Lat. ' appodiare;' Lat. ' podium.' PAGE 23. Capucin, fiom the Ital.' cappucino,' which again is derived from the Low Lat. ' capa,' clpak or hood; connected thus with ' chapeau,' a. o. Araignee, spider; Gr. dpaXvry. Ralentir, with the corresponding Eng. 'relent;' Ital. 'rallentare,' from Lat. ' le.lire.' PAGE 24. Rayon, with Eng. ' ray;' Sp. ' rayo;' from Lat. ' radius.' Rdveries. The etymology is doubtful: some derive it from pEBrj, others from Lat. ' rabies,' or ' rapere,' through ' reve.' Boisrobes t (Francois de), born at Caen in 1592; wrote a great number of plays, epistles, odes; was always a great favourite of Richelieu, from whom he obtained several valuable livings. Colletet (Guillaume), born in Paris I596, member of the Academy. A prolific writer in prose and verse, and especially noted for a history of French poets and poetry brought down to his day. Died 1659. Corneille (Pierre), born at Rouen June 6, 1606. Brought up by Jesuits, he was at first intended for the bar, but, disheartened by want of success, turned his energies towards the stage, and is properly called " cr4ateur du th6dtre Francais." His first comedy " Mlite," represented x626, established his reputation; and was followed by "Clitandre," given 1630; "La Veuve," 1634; and others. He was early known and patronised by Richelieu, but not liking the criticisms passed by the latter on matters where he deemed his opinion sufficiently good, he withdrew from the court and lived at Rouen. The study of Spanish literature, especially the works of De Castro, influenced his writings. The "Cid" was the result of his labours in this new field, followed by "Les Hjoaces" (1639), "Cinna," 'Polyeucte," "La Mort de Pompde" (1641), the comedy of " Le Menteur," tragedy of " Theodore, Vierge et Martyre," "Rodogune" (1646), and " H6raclius " (1647), " Andromeda," comedy of " Don Sanche d'Aragon," "Nicomede," a. o. He wrote on a variety of other subjects, especially an " Imitation du J4sus Christ," some Latin verses. He died October I, 1684. PAGE 25. Fauteuil, arm-chair; from 0. H. Germ. 'falt-stuol,' i.e. folding c'lair. PAGE 26. Figny (A. de), born March 27, 1799, entered the army 1814, but retired I828, and devoted himself to literature. His lessei poems were colJected and appeared 1828. His great work "Cinq-Mars," whence the extract is taken, appeared 1826; another work " Stello,' 1832. He also wrote some translations; among others that of "Othello," 1830; and the '"Merchant of Venice." In 1832 he brought out his drama "La Marfchale d'Ancre;" 183r, h's " Chatterton." 20. Fier, proud; from Lat. 'ferus.' PAGE 27. Gustave-Adolphe, king of Sweden, leader of the Protestants during the early portion of the Thirty Years' War. Bannier, or Banner, one of his generals. NOTES. 309 Walstein, or Wallenstein, imperial leader. _Dte de Weimar, Protestant general. W4,ert (jean de), imperial general. PAGE 30. iEtineslants, from bat. 'scintilla.' Note the change in the consonants. 21. PAnE 31. Caroco, a kind of jacket Or spencer. Marraisse; Ital. and Sp. 'madrina;' formed similarly to 'parrain,' from Med. bat. ' patrinns.' PAGE.32. Neveue. with Eng. I'nephew;' Germ. 'neffe:' from bat. ' nepos.' Chagrin, grief, chagrin; derived generally from a Turkish root 'sagri.' Veusse, widow; bat. ' vidua;' Germ. I'wittwe.' iI7'ouasse, I'espbce de galette;' generally spelt 'fouace; 'fouasse de froment,' cheesecake. Maitre-cidre, i. q. cidre de premibre qualit6. Convoitise, like cognate Eng. ' covetousness; Ital. 'cubitare;' from bat. 'cnpidus.' Jl~tgeoter, or mijoter, to simmer. Armnoire, originally probably ' armarnm repositorinm.' ANappe, table-cloth; i. q. ' mappe,' from Lat. I'mappa.' Cuiller, spoon; from Lat. ' cochlear.' (Juet, snare, watch; Gaelic -root I'gai-ste,' signifying the same; so also the old Irish form. PAGE 3.3. Seuil. Comp. Eng. ' sill;' Germ. ' schwelle;' Lat. ' soliumn.' Giron, lap; from Gr. -yvp0'9. Bordjes (courir des), to tack abont. PAGE, 34. Singe; bat. 'simia.' iEstomac, with Eng. ' stomach;' bat. from Gr. aor6,axos. TVaquer, to be vacant; from bat. ' vacnus; 'vaquer 4,' to attend to. Reseout, spinningwheel; bat. 'rota.' PAGE 3,5. Coude, bat. ' cnbitus.' Comp. Ital. 'cnbito.' Grain blanc, white squall. Tfschons: an old Gaelic root, 'tasg;' Eng. ' task.' The derivation from bat. 'taxa' seems less likely. Erpanouis: b.at. ' expandere.' Riot, fain. for 'yvin;' probably through Gr. lrivc. PAGE 36. Csdsaillere, iron hook: Sp. I'gramallera;' bow bat. I'cramaculus.' The derivation from Gr. Itpi',iaoasa, to be suspended, is at least doubtful; the bat.'I cremnare,' to burn, equally so. The old radical ' a' in the bat. form points to an old root I'kramn/ still existing in Dutch, in the sense of I'hook,' PAGE 37. Mar'souisn, from 0. H. Germ. 'meer-suin;' Germ. 'meerschwein,' porpoise, sea-hog. Guseux:- of doubtful origin; perhaps the Dutch ' guit,' i. e. rascal, rogue, might give a clue. The word became famous by being opprobriously applied to the league of Flemish nobles t566, (temp. Philip II,) by the Comte de Barlaimont. Nippes, fain. things, clothes. PAGE 38. Ji'lin goudrossni, tarred rope. Bourrant sapi~pe, filling his pipe. 310 NOTES. PAGE 39. Comte, count; from Lat. ' comes.' Souvestre (Emile), born at Morlaix in Brittany in I8o6, passed his early years at the college of Pontivy, whence he was to proceed to the Ecole Polyt4chnique, to study mathematics. He preferred however a legal career, and graduated at Rennes, I826. The death of his father, which happened during his sojourn there, put him in possession of a small competency, and he determined to visit Paris, in order if possible to bring out a tragedy of his, " Le Sibge de Missolonghi." He failed in this design, and returned rather crestfallen to Brittany, and worked hard at an account of his native province (published as late as 1836), when his eldest brother died, leaving a widow and child totally unprovided for. He undertook to maintain them; and we find him in various places-at Nantes as a bookseller's assistant and schoolmaster, at Morlaix as barrister, at Brest as editor of a newspaper, at Mulhousen as professor of rhetoric. He wrote for various papers, and was engaged on the famous work "Les derniers Bretons" (published I836), followed by " Riche et Pauvre," " L'Homme et l'Argent," " Du Philosophe sous les Toits." The revolution of 1848 found him still in the midst of his literary labours, and his friends persuaded him to take a part in the political movement. He offered himself as candidate for Finisterre, but was rejected, and he devoted himself entirely to the organisation of an "Ecole d'Administration," lectured to working men, and commenced evening classes in various quarters of Paris, until the police put an end to his philanthropic endeavours. He died suddenly 1854. 22. PAGE 40. Aine, groin; Lat. ' inguen.' PAGE 4I. Bidre: Eng. ' bier;' Germ.' bahre;' connected with Gr. and Lat. fero.' PAGE 42. Cortege: Fr.' cour.' Vide note above. )Depourvus, from Lat. ' privare.' BDetail, from Lat. ' bestialia;' pl. neuter, used collectively. Boccace: Giovanni Boccacio, born 1313, died December 21, I375. His writings embrace a variety of subjects; the most remarkable is the 'Decamerone.' PAGE 43. Sismondi (Jean Charles), the historian, born May 9, 1 773, at Geneva; resided from 1793-5 in England. After his return to Geneva he suffered imprisonment and had to pay a heavy fine for having assisted political refugees, which induced him to live near Pescia; but he underwent further molestation by the French and Italians, so that he returned again to Geneva. Among his many literary works I would specially instance his " Histoire des Rdpubliques Italiennes du moyen Age," Zurich 1807-8; and the still more celebrated " Histoire de la Renaissance de la Libertr en Italie" (Paris I832); nor ought his work " De la Littdrature du Midi de l'Europe" (Paris i813) to be forgotten. He died at Geneva, June 25, I842. 23~ PAGE 44. Baronage. The root of the word ' baron' is found in Celtic barr;' the Semitic languages have it in various forms. (Comp. Pharaoh, Heb. i:3, signifying strength, manhood, and similar ideas.) The Gr. 3apvs would fall under this category, as well as the Lat. ' vis.' Race, with the same Eng. word, from Ital. ' razza;' from Lat. ' radix.' NO TES. 311 Brigansd. The very same form occurs in Welsh: 'brigant,' mountaineer, high. lander, depredator; from 'brig,' i. e. summit. Vicomte, with Eng. ' viscount;' from Lat. I'vice comes.' PAGE, 45. Moissoss, from Lat. I messio.' Bandits. Comp. Eng. ' bind;' Germ. I'biuden.' PAGE 46. Entendre l'offlee, to attend the service. ffJidntriers: Eng. 'minstrel.' E~ameau: Eng. 'hamlet;' from an old Saxon root, ' ham,' signifying home. PAGE 47.- S'anjantit:- root I niaut;' from Lat. ' ens' and negation. Puits, pron. pui: from Gr. 80dos; Lat. ' puteus.' PAGE 48. Beaucoup: for it we find occasionally ' grand coup.' Derivation of 'coup,' vide above. Thierry (Augustin), born at Blois, May xo, 17~95' one of the best modern historians; was educated at the college of Blois and the Ecole Normale. In 1814 he went to Paris, and was a warm adherent of St. Simon; became 1817 a contributor to the journal " Le Censeur Europien," and i8,2o the "1Courrier Frangais." From 1820-5 he devoted himself to the study of French and English history, the result of which was his "Histoire de la Conqudte de I'Angleterre par les Normands." He published further some "Lettres sur l'Histoire de la France." He became a member of the Academy i83o. Among his other works the " Recits des temps Md'rovingiens," and the "1Recueil des Monuments ine'dits de l'Histoire du Tiers-6tat," deserve notice. 24. PAGE: 49. Greffier, clerk; Gr. yp4(qeL. Cramossi:- Eng. crimson; Germ. I'karmosin;' from an Arabic root, PAGE 54. Reque'te, with Eng. ' request;' from Lat. ' requiro.' All4,'uant, with Eng. ' allege;' from Lat. I'allego.' PAGE 55. Barre. Comp. Eng. 'bar,' Germ. 'birre,' with the sibilant 'sperren.' 25. PAGE 57. Rudoyaient, treated harshly; from I rude.' Eclhafaud. Comp. Ital. I'catafalco;' Eng. 'scaffold;' Germ.' schafott.' Guere, or gue'res; the Ital.' guari;' from the 0. H. Germ. ' wani;' Lat. I'veins: others derive it from Germ. 'gar,' or Lat. ' parum.' PAGE 5 8. Angoisse; Lat.' angustia.' Comp. Eng. 'anguish;' Germ.I angst.' Clheveur: Ital. I'capello;' Lat.'I capillus.' S'agenouilla, from 'genou.' Cereneil. Comp. Germ. I'sarg;' from 0. H. Germ. 'sarc.' 26. PAGE 59. Dauphin; derivation from Lat. ' delphinus;' Gr. sX~pfs. The title Dauphin, borne by the eldest sons of the kings of France, was originally a surname of the lords of Viennois, and transmitted to the royal house of France after the cession of the Dauphin4, anno 1349. PAGE, 6o. Douairie're, dowager; from Low Lat. I'dotarium;' from Lat. 'dos.' 312 NOTES. PAGE 6I. Capefigue (Baptiste H. R.), born 1799 in Marseilles; studied law at Aix, which study he forsook after his arrival in Paris, and devoted himself entirely to journalism and literature. He is a most prolific writer. His more remarkable works are "Charlemagne," 1841; " Histoire Constitutionelle et Administrative de la Renaissance," 1844; " Histoire de la R4forme, de la Ligue, et du Rhgne de Henri IV." He is by no means an accurate historian, though a brilliant and taking writer. His best work is " Histoire de la Restauration.' 27. Caustique, from Gt. tcavourro5s; from fcato. PAGE 62. S'entassa, from 'tas,' an old Gaelic and Erse root 'taisg;' the old Eng. ' tasse,' in the sense of heap, occurs in several old writers. PAGE 63. Paienne, with the Eng. 'pagan;' from Lat. 'paganus,' he who lives in the country, i. e. who (since Constantine the Great) confessed the old religion in consequence of seclusion in the country. Comp. Germ. and Eng. 'heide,' ' heathen;' from ' heide,' i. e. ' heath.' PAGE 64. Bougeoir, candlestick. The word 'bougie,' according to Menage, derived from Bougie, a town in North Africa, whence they used to obtain wax and candles. L'ail, garlic; from Lat. 'alium' or ' allium;' pronounced ' a-ie.' As a rule, the termination 'ail' is pronounced in the manner indicated; so ' 6vantail,' 'travail,' a.o. Haie. Comp. Germ. ' hecke,' from Sax. 'heag;' Eng. 'hedge.' PAGE 65. lesquin, with Ital. 'meschino' from Arab. 'meskin,' i.e. poor, miserable. 28. PAGE 66. Picux. Comp. Eng. 'pile;' Germ. ' pfahl.' Claie, hurdle; from an old Celtic root ' cliath.' Iaubert. Comp. Germ. ' hellebarte;' Eng. halbert;' from M. H. Germ. 'helmbarte.' Rochet, with the Eng. and Ital. forms; from A. H. Germ. 'roc.' Comp. Germ. ' rock.' PAGE 67. Aventurier. Comp. Germ. 'abenteucr;' Eng. 'adventure,' from Lat. ' advenire.' Manseaux, i. q. 'manceaux,' inhabitants of Le Mans (now departement de la Sarthe). Fantassin, footsoldier; the same root occurs in ' infanterie.' Pederinage, with Sp. 'peregrino;' from Lat. 'peregrinus.' Compare Germ. and Eng. ' pilgrim.' PAGE 68. Broussailles. Comp. Eng. 'brush,' and Welsh 'brwys,' i.e. thick branching, Redoute, with Eng. equivalent; from Lat. 'reducere.' 29. PAGE 70. Choix, with Eng. ' choice;' from an old Gothic root ' kiusan;' Anglo-Sax. ' ceosan;' Germ. ' kiesen;' Eng. ' choose;' Fr. ' choisir.' PAGE 71. BIate, from an old Germ. root 'hasten;' whence Eng. ' haste.' Psrtre, with Eng. 'priest;' Germ. 'priester;' from Gr. arpeo13,t epot. Otages, from Med. Lat. ' hostagium;' contracted from' obsidiaticum;' from Lat. ' obsidatus.' NOTES. 3 13 30, Or'nle, crest; from the same root as ' croitre.' PAGE 72. Remblai, embankment. Renconstre, meeting-point. Berge, Ital. ' barga,' overhanging embankment; a very old root. Compare Welsh ' bargodi,' to overhang, from ' bargawd, Gaelic Ibarrach,' loaded over the rim. Crinelie, castellated; derived from a Lat. root found in Pliny, Icrenx,' notches, incisions. Verger, garden; from Lat. ' viridiarium.' Tare, basin, wet dock. PAGE 73. Baionette., so called after the town of Dajonne; but whether because manufactured there, or from having been used first in the assault upon the town i66,5, is uncertain. Grauche, left. Comp. Eng. ' gawky,' awkward, and the 0. Eng. I'gawkshaw,' and I'gawkhanded,' for 'left-handed.' The derivation is quite uncertain. FVauchies, from Lat. 'falx.' Mitraille, small shot, grape-shot. The second meaning, ' small coin,' gives trace of etymology: probably from ' mite,' small coin. Comp. Eng. ' mite.' Dsihlai, rubbish, excavation. Chi'ne, oak; probably from the old Gaelic I'cunnadh.' Diez, derived it from 'quercus,' adj. 'quercinus,' inde I'quernus ' ' quesnus ' whence 0. Fr. ' quesne,' i. e. ' chdne;' and adduced ' chascun,' from ' quisque.' PAGE 74. Faire seuter, blow up. Ddhusquer, dislodge. Etym. I'de,' prefix, and ' bLtche,' to drive from the bush. PAGE 7,;. Fouge'res, fern. Brume, haze, mist; from Lat. 'bruma,' from ' brevissima,' sub. ' diies,' winter. PAGE 76.,Taillir, to gush out; from Lat. 'jaculari.' Choe, with the corresponding Eug. 'shock' and 'shake,' from a Saxon root. Bouleversement, overthrow. Der. 'boule,' ball, howl, and 'verser,' Eeumne, scum, froth; from 0. H. Germ. I'scdmn,' i. q. I'schaum.' Appareiller, to get -under weigh, set sail. PAGE 77. Estoffette, express. The word is connected with the Bug. 'step.' Comp. Gr. TTe~f30.. 32. Soucis, from Lat. ' sollicitum;' like ' anne,' 'haut,' ' feu,' from Iunba,' 'altus,' 'felix.' Orre. Ital. ' grado,' from Lat. I'gratum.' PAGE 78. Moqved, from Gr. pICGOS. Guerillas: word taken from the Spanish 'guerrilla,' signifying ' skirmish;' generally used in the sense of bodies of light troops engaged in skirmishing. That the word is improperly used is evident; since it originally only signifies the mode of warfare. 314 NO TES. a Amsterdam: i. e. Louis Bonaparte. a Cassel: i. e. Jerome. a Naples: i. e. Murat. Vanter: Ital.' vantare;' Eng. ' vaunt;' from post-class. Lat. ' vanitare,' from ' vanus.' PAGE 80. Noyau, from Lat. 'nux,' nucleus. Prado, one of the many royal residences in the neighbourhood of Madrid. Saint-Ildephonse. The court generally resides either at Aranguez, in the Escurial, or at San Ildefonso. PAGE 81. Fusiller, to shoot; from the same root as ' feu' fire; i. e. from 'focus,' whence Ital. ' focile' =Fr. ' fusil,' gun. Egorger, to kill, gorge; from Lat. 'gurges,' ' gurgalio.' Rlenfort, reinforcement. Gene, hampered, i. e. poor; from 0. Fr. ' gehene,' from Heb. ' gehenna'= hell. PAGE 82. Duperie, imposition; from Lat. ' decipere,' or ' dubius.' Rechauffer, derived from Lat. ' calidus.' Dedommnagement, damages; Lat. root ' damnum.' PAGE 83. ROle, part; a very old root found in both Latin and Celtic. Comp. Lat. ' rota,' rotula;' Germ. ' rollen,' a. o. 33 -Ba7con: Eng. 'balcony,' from 0. H. Germ. ' balcho'= post, pillar. PAGE 84. Aube, with Ital. 'alba,' dawn, from Lat. 'albus.' Vide note to ' soucis,' p. 76. PAGE 85, Rez-de-chaussee, ground floor: 'rez' from an old participle rbs '= ' ras' = Lat. ' rasus.' PAGE 86. Deuil, mourning, sadness; post-class. Lat. 'dolium,' 'cordolium,' grief, sorrow, from ' dolere.' Saccadees, abrupt,jolting, jerking. Tatonnements, experiments; lit. feeling one's way, groping along. The verb ' tAter' from Ital. ' tastare.' Comp. Eng. ' taste;' Germ. ' tasten,' i. e. to touch and taste= key of piano, etc. The Lat. root seems to be 'taxitare,' an iterative form of ' taxare,' from ' tangere.' PAGE 87. Marechal, with the various equivalents, from 0. H. Germ. ' marahsealc.' The first word we find in ' mare,' an old Saxon root, and the latter in the Celtic 'sgalag '=servant. The primary signification seems to have been, groom, farrier. Haranguer, to harangue, speak publicly, hold forth. The root is the Saxon ' hring,' whence Eng. and Germ. 'ring.' PAGE 88. Bourgeois, common, mean; the root 'bourg,' Germ. 'burg,' from 0. H. Germ. 'burg,' from 'bairgan,' i. e. 'bergen,' to protect, to shield; whence it was imported into the post-class. Lat. ' burgus,'= the Gr. 7rvpyos. Terne, tarnished, dim, dark. Grille, gate; derived from the same word as the Eng. ' crate' and ' grate,' viz. Lat. ' crates,' hurdle; dim. 'craticola.' Colonel, from Ital. 'colonna'= Lat. 'columna.' PAGE 9O. Epouse, with the equivalents, ' spouse;' Ital. ' sposo ' and ' sposa;' from Lat.' sponsare.' NOTES. 315 PAG E 91. T6t, soon; from Ital. I'tosto.' According to Diez, contraction from tot-cito,' who adduces instances of superadding ' totus,' as in ' toute-Isi'heure.' Plaque8, decorations, various orders of knighthood; from Gr, 7rci$. Comp. Germ. ' flach;' Eng. Iflat,' ' plate,' a. O. Lamartisse (A. de), born at Macon, Oct. 21r, 1 790; entered the army 2 8r4; but retired after the return of Napoleon from Elba. His first production, "1Mdditations Pod'tiques," created a great sensation. He was appointed to the legation of Florence, and spent some time in London, Naples, and Florence, in his official capacity. His "1Nouvelles M~ditations Pod'tiques," though more polished than the first, were not quite so successful; still less the "1Mort de Socrate," i8:23. The "1Dernier Chant do P4lerinage d'Harold," 1825, and "Le Chant do Sacre," in which he described the coronation of Charles X, followed soon after. He was elected a member of the Academy 1829, and was about to start as ambassador to Greece, when the revolution of 1830 put an end to his career. Though the new government offered to retain him in office, he declined; and was found, at the outbreak of the revolution Of 1848, among the opposition. His most celebrated works were, "1Souvenirs, Impressions, Pense'es, et Paysages pendant on Voyage en Orient," Paris i83,5; "1Histoire des Girondins," 1847; "Histoire de la Rdvolution de 1848;"Histoire de la Restauration, i~851i." 34. Gar-tois, inhabitants of Ghient. Gouvesnante (des Pays-Bas), Margaret duchess of Parma. PAGE 92. Connectable, in Lat. 'comes stabuli.' Paroiser (se), to he dressed, decked. PAGE 93. Bousfon, fool, i. q. ' fou;' the latter from an old root I'ffwl' in Welsh. Comp. Heb. ~V- unsavoury, foolish, Lam. ii. 14. A 'etourdir, amazingly. Comp. slang, ' stunningly.' The derivation from the same root as Welsh ' twrdd,' tumult, seems most appropriate. PAGE 94. "1?icos lhombres," nobles, lit, rich men. Psmtse, post, timber. Comp. Germ. ' pfosten;' Lat. ' postis.' Ess esoupe, behind; ' sauter en croupe,' to jump up behind. Comp. Bug. 'crupper.' PAGE 95.- Fspie'gleries, tricks; from the Germ. Ispiegel;' Lat. I speculum.' 'Eulenspiegel,' I'ulespibgle.' 35. Exempt, police-officer. PAGE 96. H~e'stge, dull, heavy; from Lat. I hebes;' Gr. dpIAs8xs. Anse, creek or cove. PAGE 97. Phare, lighthouse; derived from the island of Pharos, famous for its lighthouse; hence, in Greek, 65 qp~pos, the lighthouse. Rochse, with Bog. 'rock;' Ital. I'rocca;' from an old and extensive root. Comp. Gael. ' roc,' or 'roic;' Gr. pkd4, a. o. Psoue, Lat. I prora.' 3r6 NOTES. Esquif, with the equivalents, 'skip' and 'ship;' Germ. 'schiff;' Ital. and Sp. 'schifo,' from 0. H. Germ. 'skif.' Poulie, from Eng. 'pulley.' Ievre, drunk; from Lat.' ebrius;' like 'avoir,' 'cheval,' 'aveugle,' from ' habere,' 'caballus,' ' aboculus.' PAGE 98, Canon (d'un fusil), barrel. Escabea: Lat. 'scabellum.' Paroi, side-wall, side; Lat. 'paries.' Cruche, cruse; from an old Gaelic root, 'cruisgean; Welch, 'crwth.' Comp. Germ. 'krug;' provinc.' kruke;' whence Eng. 'crockery.' Paille, with Ital. ' paglia,' from Lat. ' palea.' Gesir, from Lat. 'jacere;' the infinitive is but seldom used. There are at present only the third pers. sing., the plural of the present ind., the imperfect, and the present participle, in use. Most frequently occurs in the third pers. sing. of the present, ' git,' in connection with ' ci' or * 1h.' Blafard, dim, dingy; from 0. H. Germ. root. PAGE 99. Enfleure, swelling; from Lat.' inflare.' Ecorce, rind, rough exterior; from Lat. ' cortex.' PAGE I00. Glaner, to glean. Comp. Welsh ' glan,' i. e. clean. Fetu, wisp. PAGE 10o. Pourrie, rotten; Lat. ' putridus.' Moisi, musty; 'moisir,' from Lat. 'mucescere.' Lucarne, small window; from Lat.' lucerna.' Comp. Irish 'luacharn,' light, lamp; Welsh 'llygorn.' Geolier, jailer; from an old root. Comp. Welsh ' geol,' prison. PAGE IO2. Bruit, noise. The older etymologists derive from Lat. 'rugire.' It is evidently onomatopoetic, since it occurs in so many languages. Comp. Welsh ' broth,' commotion; Irih, ' bouidhean,' noise, strife; Gael. ' bouaillean,' tumult, noise, confusion. PAGE 103. Grommeler, a similar word to the former, with even a more extended vocabulary. Comp. Eng. 'grumble,' with the sibilant 'to scream;' the Heb. o:p, to roar, thunder; Welsh ' grwm,' murmur, a. o. PAGE 0I4. Po te-clefq, i. q. geolier. French compound words of this sort are not infrequent. Compare 'brfile-gueule,' 'passe-partout,' ' porte-feuille,' tirebouchon,' 'tire-botte, 'coupe-tdte,' 'porte-diner,' and others; so also ' brisetout,' same page. PAGE I05. Trcu, hole. Comp. Gr. rpv%. PAGE o06.?as, i. q. ' rez.' Vide note to p. 85. Aboutir, abut, adjoin. Nager, swim; Lat. 'navigare.' Bourreau, executioner. Diez gives a doubtful etymology from Ital. 'boja,' fetter, chain. PAGE 109. Epaules, with the Ital. ' spalla;' from Lat. 'spatula.' Sueur, Lat. ' sudor.' PAGE I I. LEzard, from Lat. 'lacerta.' Voulte, with Ital. ' volta;' frcm Lat. ' volvere;' part. ' volutus.' Patrouille, connected with 'patte.' Comp. Ital. ' pattuglia,' where the 'r,' which is often inserted, disappears. This again from rrdros, iraTrlv. Shako, from Hungarian 'csAk6,' cap. PAGE 12. Machiavel (Nicolo di Bernardo dei Machiavelli), born 1469 at NOTES.37,orence, became early chancellor of the republic, and very soon after secretary. e died in poverty and misery, June 1527, at Florence. Of his works, the Istorie Fiorentine," 12I5-1492,' written 1532, is the most important, though e is most famous for his political writings, " Discorsi" 1 502 "Arte della luerra," 1.521I; and especially '11 Principe," i i5 Granit, from bat. ' granum.' 1'ouce, from bat. 'pollex.' Giment, from bat. I cxmentumn. Tambour, the hollow axis of a winding staircase. PAGE 11i5. Atre, hearth; from 0. II. Germ. I'astlrih,' which is the modern 'estrich.' PAGE 1 t 6. Besogne, another form for 'hbesoin.' PAGE 11i7. Cadlous, flint; perhaps from bat. ' calculus.' The Gaelic I'sgiileag' has the same signification. PAGE 118. Fer-ti-cheval. When two nouns are joined by 'it,' the second is put in the singular, when used to specify the first; and only when the sense of this qualification requires a plural, the latter is correct. So we say, I'un hfteau it vapeur,' ' un dlon 'a tdte,' I'un fusil it vent,' ' une table b, tiroir; but we say 'une hague it diamants,' 'u-ne chaise it porteurs.' There are however instances where both forms occur, viz. ' montague it glace,' and 'it glaces,' I'une Plante fitfeur blanche,' and ' itflurs blanches,' ' fruit it noyau,' and ' noyaux,' a. 0. Boyass, from bat. 'botellus.' Golerie, from the Germ. I'wallen,' which one often finds; Fr. 'aller.' Menage's derivation seems unsatisfactory. The old French verb ' galer'= se rdjouir,' gives a better one:" galerie, lieu on salle de rdjouissance." 13fidlonner, to gag; from Ihfliller:' the Ital. I'badare,' signifying to gape, to wait for, to desire, from 'hba.' The very act of pronouncing the word gives the root. PAGE, 122. Aieul, from dim. I'aviolus,' from bat. I'avus.' (Jaianis (Pierre), a celebrated physiologist, born at Cosnac I 7 7; died ia8oS. PAGE 123. Csevet, from ' chef' 'zIcaput.' PAGE I 2. Toile, from bat. I'tela.' JFardeacs, of the same root as Eng. I'hurthen;' whether derived from Arabic, according to Diez, or Gaelic ' farach,' is not certain. Lineuni: Ital. 'lenza,' ' lenzuolo,' from bat. I'litea.' PAGE 129. Faineanto, idlers, lazy persons; lit. ' ceux qui ne font rien,' Ne'ast: ltal. 'niente;' from 'ens,' with negation. PAGE 130. Vogue, from 0. H. Germ. I'wfc' = mod. 'woge.' Fant6ese, from Gr. xivrYaoaea, through the bat. lamne, wave; from bat. I'lamina.' PAGE 13 1. P/anc/he, plank; ' faire la planche,' to float on the back. 0sanspe, from 0. H. Germ. ' kramf' = mod. I'krampf;' Eng. 'cramp.' PAGE 132. )3'engourdir, with the Ital. I'gordo,' from bat. ' gurdus' =foolish, dull, silly; 's'engourdir,' to become stiff, dull. PAGE 133. 1iafale, squall. PAGE 134. Jlouette, sea-gull. Tartanse, a vessel provided with one mast, bearing a large lateen sail, also rigged with foresail. PAIGE 135. Borde/is (courir des). Vide note to p. 33. PAGE 3 6. Aviron, oar; prob. from root I'vertere,' to turn. 3I8 NOTES. PAGE 138. Mouillages, anchoring-places, moorings. PAGE 139. Ecoutille, hatchway. PAGE I40. Dumas (Alexandre), one of the most prolific of French writers, son of the General of Division, was born June 24, 1803, at Villers-Cotterets, a small town in Picardy. His mother lived in penury after the death of the General, and was unable to give her son a good education, and sent him, when twenty years old, to Paris, to gain a livelihood. An old companion in arms of his father, General Foy, procured him an appointment of secretary in the household of the duke of Orleans. A few years' residence in the duke's house finished his neglected education, and he began to write, I826, for the "Journal des Modes," "Psyche," published a small volume of novels, and wrote, with a few others, the vaudeville "La Noce et l'Enterrement." In I829 he produced the celebrated play " Henri III. et sa Cour," which caused great enthusiasm. The duke of Orleans appointed him his librarian; and Dumas produced in the next few years a number of plays, none of which had the success which he achieved with his " Henri III." His later pieces belong more or less all to the melodramatic class, are thoroughly sensational, and of small artistic merit. Among his novels, "Le Comte de Monte-Christo" (1844), " Mmoires d'un M~decin" (1848), and others, had a decided success, and enjoy an almost European reputation. 36. PAGE 141. Donner en, to run into. Tertre, hillock. Souche, trunk, stem, stock. Abri, shelter. Etymologists arc divided as to the derivation of this word. Some derive it from the Lat. 'apricus,' others from ' operire,' others from ' arbre,' and others from 0. H. Germ. 'bergen.' PAGE 145. Grappe, bunch, grape; from a very extensive stock. Comp. Eng. 'grapple,' ' crab;' Welsh ' crap;' Germ. ' greifen.' PAGE 146. Porter armes! shoulder arms! Cohue, noisy crowd; derived from 'hue,' cry, shout, noise. 37 -PAGE 147. Joyau, with Ital. 'giogello;' Germ. 'juwel;" Eng. 'jewel;' from Lat. ' gaudiale,' from 'gaudium.' Arene, Lat. 'arena,' from 'arere.' to be dry. PAGE 149. Dresser (se), with Eng. ' dress;' Ital. 'dirizzare;' from Lat. ' directus.' 38. PAGE 150. Repaire, lair; from post-class. Lat. 'repatriare.' PAGE 152. Guide, with Ital. 'guidare;' evidently of German origin, though not clear from what root. Compare Germ. 'weisen,' from Gothic 'wisa,' or Anglo-Sax. ' wisian.' Talus, slope. NOTES. 3119 G-rief, with Eng., from Lat. I'gravis.' Lentisque, mastic-tree. PAGE I53. Massif, thicket. 39. PAGE r54. Caramnbolage, cannon; from Sp. ' carambola.' PAGE 155. Etre sur les dents, to be exhausted. Bredoujille, without anything, lit, lurched; a term translating the Eng. 'lurch' in backgammon. The verb I'bredouiller,' to stutter, stammer. Ec~kower, to run aground, fail. PAG z6. Glaise, clay, fromn Lat. 'glis;' Gr. -yXia; Anglo.Sax. I claeg.' PAGE, i6o. Fausser, to break, bend. ~&ararre, disturbance. Diez derives from 0. HI. Germ, ' bhga,' quarrel. PAGE i 6s. iEpas'piller, to scatter; with the Ital. ' sparpagliare,' from Lat. 'papilio,' or I'spargere.' Queue, with Ital. 'coda,' from Lat. ' cauda.' PAGE i62. Epine, from Lat. 'spiculum.' Les qunts efers En l'eir, headlong. PAGE 163. Basassds, tawny; from an Arabic root signifying 'leather.' PAGE 1 64. ECharpe, with Bug. ' scarf,' from 0. Hi. Germ. I'scharge,' mod. 'schhrpe.' PAGE ix66. As'quebuse, corrupted from the Germ. 'hakenbiichse.' Ifausse-col, gorget (worn by officers when on duty). PAGE 171. Aub44ine, hawthorn; from Lat. I'alba spina.' PAG;E 172. Boulevard: from Germ. I'bollwerk' Bug. ' bulwark,' an outwork, rampart, shelter. 41. Tanfanst, old verb, to rebuke; from Med. Lat. 'tentio,' from ' tenere.' Ramentevoir, to remember, bear in mind; corrupted from I'reminiscor.' Appoltron'i (obs.), poltroon, coward, spiritless; from I'pollex ' and ' truncus,' maimed in the thumb to avoid military service. Sebastian, born at Lisbon 1,54 succeeded his grandfather, John 111. 15S57, His zeal for the religion he professed induced him to undertake a war against the Moors, and he invaded Africa 1578, with the intention of conquering it; he was however beaten by the king of Morocco in the first battle, and disappeared. There were several pretenders of that name during the reigns of Philip 11. and III. Emjjpirer, to grow worse; from ' pire.' PAGE i 73. Poiser (ohs.), i. q. I'facher,' ' incommoder.' (Ost (ohs.), i. q. Bog. ' host,' armies; from Lat. ' hostis.' Tracassesr, to move about. The usual modern meaning is, to fidget, worry. T1~moieon; i. q. I'defaillance;' Bug. ' swoon;' from Gr. rlacrJayls. Oncques (obs.), sometimes spelt I'onc ' and I'onq;' from Lat. I'unquamn. 320.NOTES. Montaigne (Michel), the celebrated moralist, was born I553 at the castle of that name in Perigord. His father watched carefully over his education, and sent him at an early age to the college of Guienne, at Bordeaux, where he studied under Grouchy, Buchanan, Muret, and became, 1554, councillor of the parliament of Bordeaux. He began to write his Essays at the age of thirty-nine, the first two books of which appeared 158o. A complete edition appeared 1588. He died 1592. 42. PAGE 174. Laurent de M3dicis, son of Pietro dei Medici, was born 1492, and died 15I9. Fugger. This princely house is descended from the weaver, John Fugger, citizen of Augsburg, whose second son Jacob (died 1469) extended his father's business. His sons married ladies of rank, and were ennobled by the emperor Maximilian, to whom they lent a sum of 70,oo0 florins, and a further sum of I70,000 ducats. The grandson of Jacob, Antonius, is the one in whose house Charles V. lodged during the session of the diet of Augsburg, I530. Paracelse, called Bombastus, born 1493 in Schwyz, was educated in the first instance by his father, a celebrated physician, and afterwards by the more famous alchemist Trithemius, abbot of Sponheim. When here, he made the acquaintance of Sigismund Fugger, Died 1541. PAGE 175. Hlenri IV. (15b9-I6Io), third son of Anton de Bourbon and Jeanne d'Albret, daughter of Henry king of Navarre and Bearn, was born Dec. 4, I553, at Pau, in Bearn. After the peace of St. Germain en-Laye, it was proposed that the Protestant Henri of Navarre should marry Margaret of Valois, sister of Charles IX. The marriage took place Aug. 18, and saved Henri IV's life, since the massacre of St. Bartholomew took place on the 24. After the death of the duke of Alengon and of Henry III, Aug. 2, I589, he succeeded to the crown. He was murdered by Ravaillac, May 13, I61o. PAGE 176. Bateleur, juggler, mountebank; from 'bateau.' Comp. Welsh ' bd;' Anglo-Sax. ' bt;' Eng. ' boat.' Charlts IX. king of France, I560-74, second son of Henri II. and of Catherine de Medicis, was born June 27, 1550, at St. Germain-en-Laye, and succeeded his brother Francis II, Dec. 5, I56o. He died two years after the massacre of the Protestants, (probably poisoned,) May 30, 1574. PAGE 177. Balzac (Honord de), one of the best modern writers; born, May 20, 1799, at Tours; was sent early to the college at Vend6me; and, as his parents were too poor to educate him further, he became amanuensis at the office of a notary in Paris. He wrote for some time without achieving anything very remarkable; but his work, " Les Derniers Chouans, ou la Bretagne en 18oo," had a decided success. It was followed by "Physiologie du Mariage," " Scenes de la Vie Privee," " Scenes de la Vie de Province," " Le Pbre Goriot," a. o. As a dramatist he ranks lower. He died Aug. I8, 1850. 43. PAGE 178. La Bruye.e (Jean de la), born at Dourdan in Normandy, 1639; NOTES. 32I became early attached to the household of the duke of Burgundy. He published his "CaractBres" in I687; became academician I693; and died three years later, 1696. 44 -PAGE 179. LaRochefoucauld(Frangois, duc de), born I613; died r68o; author of " Maximes," which Voltaire ranks among the most remarkable works written in the 17th century. 45 -PAGE I80. Mignet (FranCois A. de), born May 6th, 1796, at Aix; educated at Avignon; studied law at the same time as Thiers, and accompanied him, 1821, to Paris, where he wrote for the Courrier Franpais until 1830, when he joined the staff of the National, founded by Thiers. A course of lectures held at the Atheneum laid the foundation of his " Histoire de la Revolution Frangaise," 1824. After the revolution of July, 1830, he became a councillor of state, and,sat in the Chamber of Deputies; in 1837 a member of the Academy. Other works of his deserving favourable mention are the 1" Histoire de Marie Stuart," and "Notices et Memoires Historiques.' 47. PAGE 184. Festoye (obs.), i. q. ' fter.' PAGE 185. Etre quitte pour, to get off with. 49. PAGE 189. Baleine, whale. The fisheries were carried on as early as the I2th century by the Biscayans; the fishery in the Northern Seas, however, not before the end of the i6th century, that is, about a century after the discovery of America had taken place. The first discovery of Greenland was made by Norsemen, not by whale-fishers. The northern portion of Europe did not engage in this trade until two hundred years after. PAGE 190. Utopie. Name given by Sir Thomas More to an imaginary island described by him in his Latin work " Utopia." Chimriqtue, from Xilatlpa, the daughter of Typhaion and Echidna, the mythical fire-spouting monster, with lion's head, serpent's tail, and goat's body, killed by Bellerophon. PAGE 192. Michelet (Jules): born in Paris I798; was Professor of Classics, History, and Philosophy at the College Rollin I821-26. From I827 until 1837 he was at the Ecole Normale; 1838 he became Professor of History and Moral Philosophy at the College de France. He was suspended 185o, and has lived since in Brittany, engaged on his "Histoire de France." Among other works we notice specially his "Philosophie de l'Histoire;" "Histoire de la Rdpublique Romaine;" "PrBcis de l'Histoire de France." 50. PAGE 194. Newcastle, long. 152~, lat. 33~X PAGE I96. Des chiens elds, mangy curs. Y 32a NOTES. Faite: Lat. ' fastigium.' Outre: Lat. 'ultra.' PAGE 197. Hangar, shed; sometimes spelt ' angar. Ecureuil, with Eng. equivalent, from Gr. oamlovpos, through the Lat. dim. ' sciuriolus.' Baies, berries. Comp. Gr. B1atos. Etique, thin; orig. 'hectic,' from Gr. IrLcT6s. Tatte, bowl; from Lat. ' gabatae.' 51. PAGE 203. Traite de Campo-Formio, October I7, I797. By this treaty, signed by Napoleon on behalf of France, and Count Cobentzel on the part of Austria, the French Republic secured as boundary lines, the Rhine, the Alps, the Pyrenees, and the sea; the Cisalpine Republic, consisting of Lombardy, Modena, Bologna, Ferrara to the Romagna, Mantua, the Venetian provinces on the right bank of the Adige, and the Valteline, was recognised; France acquired the fortress of Mayence and the Ionian Islands. In return for her losses Austria took possession of the Venetian territory on the left bank of the Adige. PAGE 208. Escarnouches. Comp. the equivalents 'skirmish;' Germ. ' scharmiitzel;' Ital. ' scaramuccia;' Welsh ' ysgarm.' 52. PAGE 210. Paroisse, with the equivalents, 'parish;' Ital. 'parrdcchia,' from the Gr. irapolaia; through the Lat. ' parochia.' PAGE 21. Piege, from Lat. ' pedica.' 53 -PAGE 213. 3Be'bo (Pietro), a noble Venetian, born in the sixteenth century, afterwards secretary of Leo. X. He is known as historian and writer on various literary and political subjects. Le Pogge. Poggio Bracciolini, commonly called le Pogge, was born at Terranova 1380, and died at Florence 1459. He is most famous for his discoveries of ancient classics in Switzerland. Arioste, born at Reggio 1474; wrote in his earliest youth tragedies which he acted with his younger brothers. He received a very careful education from Gregorio of Spoleto, and was early brought into contact with Cardinal Hippolytus of Este, the son of Hercules I. He was by him employed in various important affairs of state, and eventually resided at the court of Alfonso, the Cardinal's brother, at Ferrara. In 1516 his great work, "Orlando Furioso," appeared, which, on account of its marvellous beauty, gained for the author the surname " Divino." He wrote besides some comedies, of which the " Cassandra" and the " Supposti" are worthy of being remembered. Perugin (Pietro Vanucci), commonly called Perugino, because he lived chiefly at Perugia, was born at Citta Della Pieve 1446; others say that he was born at Perugia, but he would not have acquired the citizenship of that town had he been born there. He studied under a not very skilful painter, and afterwards at Florence, some say under Verocchio, where he would have been the fellowstudent of Leonardo da Vinci. After a lengthened sojourn he returned to NOTES. 323 Perugia, and in his turn became the teacher of Raphael. Perugino excelled chiefly in the manner of painting the heads of his subjects, and in the architectural arrangements of his paintings, many of which are to be seen in Naples, Rome, Florence, and Perugia. He died at the mature age of 78. Bramante (Francisco Lazzari), born at Castel Durante, in the principality of Urbino, two years before the former; was likewise destined to become a painter, but turned his attention to architecture, and found a worthy employer in the person of Pope Julius II. The basilica of St. Peter was his chef-d'ceuvre; other works are the fountain of Transtevere, and the round temple in St. Peter's convent in Montorio. He died 1540, at the age of 70. Michel-Ange (Buonarotti), belonging to the noble house of Canossa, was born 1474 at Caprea, and died in Rome I564; was a pupil of Domenico Ghirlandago and of the sculptor Bertoldo. Hewas called to Rome byPope Julius II., and ordered to build a mausoleum, which work was twice interrupted in consequence of the jealousy of Bramante, who persuaded the pope to order Michael Angelo to execute fresco paintings for the Sistine chapel, a species of painting in which he as yet had no experience. Nothing daunted, he undertook the work, and in twenty months finished this masterpiece, which more than any other gives evidence of his sublime genius. Before he could resume his labours at the mausoleum, Julius II. died, and Leo. X. sent him to Florence to superintend the building of the fagade of the library of St. Laurence. Under Adrian VI. he executed the famous statues of Moses and Christ for the tomb of Julius II., which latter statue was afterwards placed in the Minerva church at Rome. He likewise sculptured a Descent from the Cross, and a statue of Bacchus and Cupid. As late as the year 1546 he undertook to finish the church of St. Peter, but did not live to see the termination of his labours. Cellini (Benevenuto), born at Florence 1500, a celebrated goldsmith and sculptor. Amongst his famous works the Perseus holding the Head of Medusa, which stands in the market-place in Florence, and a Christ in the chapel of the Pitti palace, are the most celebrated. He died, after a life full of vicissitude, in his native town, 1570. PAGE 216. Bizarrerie, oddity; of Spanish origin. 54. PAGE 219. Laeune, drawback; Lat.' lacuna.' PAGE 220. Tamisdes, sifted; from 'tamis,' i. q. '6tamine,' from Greek Yr6hIAwv. Budget, the annual estimate of the public revenue and expenditure, with a demand of supplies. The original meaning is 'pouch,' or hollow vessel; derived probably from Lat. 'bulga.' Comp. Gaelic 'bolg' or 'builg;' Ital. ' bolgia;' other French form bougette,' PAGE 22I. Son moulin de Sans-Souci. Proverbial from the fact that Frederic the Great of Prussia, when erecting the palace of Sans-Souci, would not interfere with the property of a miller situated in the midst of the royal park. 55 -PAGE 223. LVessor. Comp. Ital. ' sorare;' Eng. ' soar.' Proselyte, one who has come over, a convert; with the equivalents, from Gr. 7rp6s and Xev'Otv'. Y2 324 NOTES. 56. PAGE 224. La JFontaine, Jean de, born I62I at Chateau-Thierry, is one of the most famous of older French writers. His education seems to have been very neglected; and after an attempt to reconcile his wayward mind with monastic life, at the seminary of St. Magloire, he gave himself up to the full enjoyment of all life's pleasures. He had not written anything up to his 23rd year. It is said that the recital of Malherbe's ode on Henry IV.'s death awoke in him the desire of composing similar verses, and he gave himself up to the study of that writer, but, following the advice of a friend, exchanged him for the purer models of classic literature, Horace, Homer, and Virgil, and read, not without being greatly influenced, the Italian works of Ariosto, Bocaccio. and Machiavelli. The faults of his writings are those of his age. His volume of Tales, " Contes," appeared in a collected form 1633. His Fables rank among the best ever written. He became academician 1684, and died I695, at the age of seventy-three. 60. PAGE 227. Victor Hugo, born at Besangon, 1802, is one, if not the most important, of modern French writers. His youth was very eventful; and, after following his father's fortunes and occasionally residing with his mother, he came to Paris I812, and, with his brothers, entered the College Louis le Grand. When only fifteen years of age he wrote a poem, " Sur les Avantages de l'Etude," and his pieces, " Les Vierges de Verdun," and " Moise au bord du Nil," were crowned by the Academy of Toulouse 1820. The romance " Bug-Jargal" originally appeared under the title of " Contes sous la Tente," followed by " Han d'Islande," "Cromwell," "Odes et Ballades," " Le Dernier Jour d'un Condamne," and "Hernani," 1822-30. When the struggle between the classical and romantic school broke out, he became leader of the latter. The celebrated romance " Notre Dame de Paris " and the beautiful " Feuilles d'Automne" fall into this period. The tragedies "Lucrecia Borgia," " Angelo," and " Marie Tudor" were for a long time on the Paris stage. He became academician 1841, peer of France 1845. After the revolution of i848 he became the representative of Paris in the National Assembly, but retired, after the coup d'dtat (1852), to Guernsey, where he still resides. His latest great work appeared last year, and is entitled " Les Mistrables." 63. PAGE 228. Hutye, lapwing. The French is onomatoepic, in imitation of the cry. Ronsard (Pierre de), born in Vendome, 1524, of a noble (originally) Hungarian family, became early a favourite of both muses and princes. (He was page of Francis I., son of the duke of Orleans; followed Mary Stuart to Scotland; and Charles IX. would not live without him.) He died 1585, at the priory of St. Come, full of honours, and worshipped by his cotemporaries. Some of his minor pieces are very good; but, on the whole, his indulgent or blind cotemporaries overrated his works. NO TES. 325 64. PAGE 230. Belleau (Rtmi); born at Nogent le Rotrou I528; died in Paris 1577. He is well known as translator of Anacreon, and writer of idyls. His versification, of which the extract is a fair specimen, is very graceful and smooth. 65. PAGE 230. Abois, bay; from ' aboyer,' to bay, from Lat. ' baubari,' and Gr. Baviow (onomatoepic). Gave, from Lat. ' cams.' 66. PAGE 23 1. Les toiles quifilent, shooting stars. 67. PAGE 235. Delavigne (Casimir), born at Havre 1 794; studied at Paris in the Lyc6e Napoleon. His first work, "Dithyrambe sur la Naissance du Roi de Rome," which appeared in 18II, created some sensation. The appearance of the " Mess6niennes" (I8)8) marks almost a political epoch. He is essentially national, and the resume which he gives of his writings in the final verses of the fifth Mess6nienne, and which I subjoin, indicates the tendency of his works very fairly:"Podte et Frangais, j'aime a chanter la France: Qu'elle accepte en tribut de perissables fleurs! Malheureux de ses maux, et fier de ses victoires, Je depose a ses pieds ma joie ou mes douleurs: J'ai des chants pour toutes ses gloires, Des larmes pour tous ses malheurs." His piece " Les Vepres Siciliennes" had a successful run at the Odeon, and was followed by the superior one (testifying at once to the versatility of the author's talent and to the progress he had made), the " Comddiens." Still more renowned was his tragedy " Le Paria." He became academician 1825. Among others of his later works, I notice specially " Marino Faliero," I829; "Louis XI.," 1832; "Don Juan d'Autriche," I835. a. o. 70. PAGE 238. Musset (A. de), born in Paris I81o, was, before he had quite finished his eighteenth year, a prominent member of the romantic school. His first work, " Les Contes d'Espagne et d'Italie," is not without many beauties. Interesting in many respects are his " Confessions d'un Enfant du Siecle," 1846; so are some of his " Comddies et Proverbes en Prose," I840. He became academician 1852, and is one of the most esteemed of contributors to the " Revue des Deux Mondes." 326 N 2OTES. 7'. PAGE 239. Besranger (Pierre Jean de), was born in Paris I 78o, and spent the first few years of his life in the house of his grandfather, a poor tailor. He subsequently resided with an aunt at Peronne, where he was apprenticed to a printer. When seventeen years of age he returned to Paris, and resolved to write a comedy; but, afraid of the difficulties, he gave up this plan, and conceived a new one, viz. of writing an epos on " Clovis." This idea was also abandoned, and, upon the recommendation of Arnault, a small post in the Bureau de l'Universite was procured for him, which he held until the year 1821. His songs became very popular, and, as he had not been servile and cringing to Napoleon I., neither did he abuse him when it was the fashion to do so, and he fell in consequence into ill odour with the existing government. Condemned to fines, which his friends ever paid, and to imprisonment, which he suffered, his popularity grew in proportion to the prosecution instituted against him by the government. Since the July revolution he has written but little, and lived a quiet and retired life at Passy, near Paris, where he died not long since. 73 -PAGE 241. Chdenier(Andre), born at Constantinople Oct. 29, I762, was the son of the French Consul-General, by a Greek lady. He was, at an early age, sent to France, and educated at the College de Navarre. At the age of twenty he obtained a lieutenancy in a regiment of the line stationed at Strasburg, but soon grew weary of the monotony of garrison life, and returned to Paris, where he enjoyed the friendship of Lebrun, David, Palissot, and others. In consequence of too arduous a course of study, he was obliged to go to Switzerland, whence he proceeded to London, and was for some time employed by the French ambassador, the Count de Luzerne. He returned to Paris I790, and was drawn into political controversies; founded and edited the " Journal de Paris," a paper alike hostile to the royal and extreme republican party. He took an active part in the defence of Louis XVI.; and wrote with his own hand the letter in which the unfortunate monarch, after his condemnation, claims the right of appeal to the people. This course of action brought upon him the hatred of the dominant party, and he was imprisoned and executed July 25, 1794, two days before Robespierre's death. An elegy which he wrote shortly before his death, entitled " La Jeune Captive," ranks deservedly very high, as also the elegy " Le Malade." 74 -PAGE 242. Lacchant leur bordee, pouring in their broadside. PAGE 243. Vaisseaux de haut bord, men of war. Forban, pirate; from low Lat. ' foris bannitus,' outlawed. Pirate; from Gr. irepaTrs; i. q. Xparrs. Faucher; from Lat. ' falx.' PAGE 244. Sabord, port-hole. NOTES. 327 75. PAGE 245. Marengo (battle of), took place June 14, 18oo, between Napoleon and the Austrian general Melas. Arcole (battle of), resulting in a victory over the Austrians under Alvinczy, took place November 17, 1796. 76. PAGE 246. Mazeppa; descended from a noble Polish family; became early a page at the court of King John Casimir. To punish him for an intrigue, he was condemned to be tied naked to a wild horse. He found his way to the Ukraine, where he distinguished himself among the Cossacks so much that the Hetman chose him for his aide-de-camp and secretary. After the death of Samoilowitsch, he was chosen Hetman, and gained the confidence and esteem of Peter the Great; took part in the wars of Charles XII. against the Czar, and after the battle of Pultowa accompanied the king of Sweden to Bender, where he died the same year (1709). PAGE 247. Ebloui, dazzled. Comp. Germ. 'blbde' and its compounds. Gonflds, swelled, swollen; with the Ital. equivalent 'gonfiare,' from Lat. ' conflare,' i. q. 'inflare.' PAGE 248. Orfraie, with the equiv. osprey; Ital. ' ossifrago,' from Lat. ossifraga.' Yeuse; Lat. ' ilex.' Erable, maple. 77. PAGE 249. Galile; Galileo, an eminent philosopher, born at Pisa February 18, 1564; studied medicine and philosophy at Pisa x58I, where he became professor of mathematics 1589, and made a series of discoveries, astronomical, physical, &c. His disquisitions on the relative merits of the two systems of Ptolemy and Copernicus, entitled " Dialogo di Galileo Galilei, dove ne Congressi di Quattro Giornate si Discorre de due massimi Sistemi Tolemaico e Copernicano," (1632), drew upon him the violent hatred of the Inquisition. He was imprisoned in Rome, and was finally condemned to revoke his heresies. This he did; but, when rising, he turned round and exclaimed "e pur si muove!" (" and she moves notwithstanding!"), referring to the earth's motion. After a further imprisonment he was sent to Siena, and lived the remainder of his years on his estate near Florence, chiefly studying the remoter branches of mathematics. He died January 2, I642, and lies buried in the church of Sta. Croce in Florence. 78. PAGE 256. Rdvolte contre d'Albe. The revolt of the Netherlands dates from the successor of Charles V., Philip II. Although a violent persecution of the Protestants took place under Charles, yet no open resistance was attempted. The viceroy Granvella, recalled 'I564, to make room for Alba, had overstepped all bounds of prudence, and the cruelties of his successor only made the breach between monarch and people wider. The latter declared their independence July 26, I58I. 328 NOTES. 79. PAGE 268. Moliere, the greatest comic writer, was born January IS, I622, and was the son of Jean Poquelin, upholsterer. He was sent at an early age to the College de Clermont, since called Louis le Grand, where he studied assiduously under Gassendi. He had just finished his studies, when he had to follow Louis XIII. to Narbonne in his father's stead. On his return he went to Orleans, to become lawyer; did not however practise, but formed in Paris a company of actors, who at the Illustre Theatre gave a series of representations. In order not to hurt the pride of his family, who vainly strove to turn him from his profession, he assumed the name of Moliere, which has for ever become famous. He quitted Paris, with his troupe, I646, and performed at various places in the provinces. His first work, according to Montesquieu, was a tragedy entitled "La Thebaide," followed in 1653 by "l'Etourdi," which had an unparalleled success; by " Le Depit Amoureux,"' 654. The troupe, now called " la troupe de Monsieur," returned to Paris 1658, and performed " Les Prdcieuses Ridicules," I659, and " Igauarelle," I660, which had a run of forty consecutive representations, an almost unheard-of success. The next piece, " Don Garcie de Navarre," was but coldly received; but in his " Ecole de Maris," I66s, and the " Ecole des Femmes," I662, he was more fortunate. He enjoyed the esteem and favour of the king to such an extent, that the company was in future called "la troupe du Roi." He received a pension of 7000 livres, and the king and the duchess of Orleans were sponsors to his first child, I664. In June, 1666, " Le Misanthrope" was represented, which is perhaps his chef-d'ceuvre; two months later, "Le Medecin malgre lui." His " Tartuffe" met, as was to be expected, with much opposition, and, through written as early as 1664, could not be acted until I669. In I668 "L'Avare" appeared, but met with a cold reception. He had more success with " Georges Dandin " and " Pourceaugnac " in 1669. "Le Bourgeois Gentilhomme" was acted October 14, i670, of which Louis XIV., after the second performance, said, addressing MoliBre, " en verite, vous n'avez rien fait, qui m'ait taut diverte." "Les Fourberies de Scapin" appeared in 167I; "Les Femmes Savantes" 672; and " Le Malade Imaginaire," his last, February Io, I673; during the performance of which he was taken ill, and died at the age of fifty-one. He had not the honour of being an academician. His statue was, however, placed among those of its great men, with the inscription, "Rien ne manque a sa gloire; il manquait a la notre." OXFORD: BY T. COMBE, M.A., E. P. HALL, AND H. LATHAM, M.A., PRINTERS TO THE UNIVERSITY. JANUARY, i868. 16, BEDFORD STREET, COVENT GARDEN, MACMILLAN AND CO.'S CLASSICAL BOOKS.,ESCHYZLUS.-AESCHYLI EUMENIDES. The Greek Text, with English Notes, and English Verse Translation and an Introduction. By BERNARD DRAKE, M.A., late Fellow of King's College, Cambridge. 8vo. 7s. 6d. The Greek Text adopted in this Edition is based upon that of Wellauer, which may be said in general terms to represent that of the best manuscripts. But in correcting the Text, and in the Notes, advantage has been taken of the suggestions of Hermann, Paley, Linwood, and other commentators. ARISTOTZE.-ARISTOTLE ON FALLACIES; OR, THE SOPHISTICI ELENCHI. With a Translation and Notes by EDWARD POSTE, M.A., Fellow of Oriel College, Oxford. 8vo. 8s. 6d. Besides the doctrine of Fallacies, Aristotle offers either in this treatise, or in other passages quoted in the commentary, various glances over the world of science and opinion, various suggestions on problems which are still agitated, and a vivid picture of the ancient system of dialectics, which it is hoped may be found both interesting and instructive. It is not only scholarlike and careful; it is also perspicuous." —Guardian. AKRSTO7LE.-AN INTRODUCTION TO ARISTOTLE'S RHETORIC. With Analysis, Notes, and Appendices. By E. M. COPE, Senior Fellow and Tutor of Trinity College, Cambridge. 8vo. I4s. This work is introductory to an edition of the Greek Text of Aristotle's Rhetoric, which is in course of preparation. "Mr. Cope has given a very useful appendage to the promised Greek Text; but also a work of so much independent use that he is quite justified in his separate publication. All who have the Greek Text will find themselves supplied with a comment; and those who have not will find an analysis of the work.'"-A thenahum. 1000:::68 2 1MACM LLAN AND CO.'S CATULLUS.-CATULLI VERONENSIS LIBER, edited by R. ELLIS, Fellow of Trinity College, Oxford. I8mo. 3s. 6d. " It is little to say that no edition of Catullus at once so scholarlike has ever appeared in England."'-A tzhenir m. " Rarely have we read a classic author with so reliable, acute, and safe a guide."-Saturday Review. CICERO.-THE SECOND PHILIPPIC ORATION. With an Introduction and Notes, translated from the German of KARL HALM. Edited, with Corrections and Additions, by JOHN E. B. MAYOR, M.A., Fellow and Classical Lecturer of St. John's College, Cambridge. Third Edition, revised. Fcap. 8vo. 5s. "A very valuable edition, from which the student may gather much both in the way of information directly communicated, and directions to other sources of knowledge."-A/ thenceuam. DEMOSTHEN.ES.-DEMOSTHENES on the CROWN. The Greek Text with English Notes. By B. DRAKE, M.A., late Fellow of King's College, Cambridge. Third Edition, to which is prefixed /ASCHINES AGAINST CTESIPHON, with English Notes. Fcap. 8vo. 5s. The terseness and felicity of Mr. Drake's translations constitute perhaps the chief value of his edition, and the historical and archeological details necessary to understanding the De Corond have in some measure been anticipated in the notes on the Oration of iEschines. In both, the text adopted in the Zurich edition of 185I, and taken from the Parisian MS., has been adhered tu without any variation. Wheie the readings of Bekker, Dissen, and others appear preferable, they are subjoined in the notes. HODGSON.-MYTHOLOGY FOR LATIN VERSIFICATION. A Brief Sketch of the Fables of the Ancients, prepared to be rendered into Latin Verse for Schools. By F. HOFDSON, B.D., late Provost of Eton. New Edition, revised by F. C. HODGSON, M.A. I8mo. 3s. Intending the little book to be entirely elementary, the Author has made it as easy as he could, without too largely superseding the use of the Dictionary and Gradus. By the facilities here afforded, it will be possible, in many cases, for a boy to get rapidly through these preparatory exercises; and thus, having mastered the first difficulties, he may advance with better hopes of improvement to subjects of higher character, and verses of more difficult composition. JESSOPP.-A MANUAL OF THE GREEK ACCIDENCE FOR THE USE OF BEGINNERS. By AUGUSTUS JESSOPP, M.A., Head Master of King Edward the Sixth School, Norwich. Fcap. 8vo. 3s. 6d. CLASSICAL BOOKS. 3 YUVEN4AL.-JUVENAL, FOR SCHOOLS. With English Notes. By J. E. B. MAYOR, M.A. New and Cheaper Edition. Crown 8vo. [In the Press. ' A School edition of Juvenal, which, for really ripe scholarship, extensive acquaintance with Latin literature, and familiar knowledge of Continental criticism, ancient and modern, is unsurpassed, we do not say among English School-books, but among English editions generally." —Edinburgh Review. LYTTELTON.-THE COMUS of MILTON rendered into Greek Verse. By LoRD LYTTELTON. Extra fcap. 8vo. Second Edition. 5s. - THE SAMSON AGONISTES of MILTON rendered into Greek Verse. By LORD LYTTELTON. Extra fcap. 8vo. 6s. 6d. MARSHALL.-A TABLE OF IRREGULAR GREEK VERBS, Classified according to the Arrangement of Curtius's Greek Grammar. By I. M. MARSHALL, M.A., Fellow and late Lecturer of Brasenose College, Oxford; one of the Masters in Clifton College. 8vo. cloth. Is. MERIVALE.-KEATS' HYPERION rendered into Latin Verse. By C. MERIVALE, B.D. Second Edition. Extra fcap. 8vo. 3s. 6d, PHILOLOGY.-THE JOURNAL of SACRED and CLASSICAL PHILOLOGY. Four Vols. 8vo. I2s. 6d. each. PLA TO.-THE REPUBLIC OF PLATO. Translated into English, with an Analysis and Notes, by J. L1. DAVIES, M.A., and D. J. VAUGHAN, M.A. Third Edition, with Vignette Portraits of Plato and Socrates, engraved by JEENS from an Antique Gem. I8mo. 4s. 6d. ROB Y.-AN ELEMENTARY LATIN GRAMMAR. By H. J. RoBY, M.A. New Edition. x8mo. [In the Press. "It contains an amount of accurate and well-digested knowledge such as is often found wanting in works of much greater pretensions. We know no book which in so small a compass, and with so little parade, contains more sound knowledge of Latin."-Spectator. 4 MACMILLAN AND CO.'S SALLUST.-CAII SALLUSTII CRISPI Catilina et Jugurtha. For use in Schools (with copious Notes). By C. MERIVALE, B.D. (In the present Edition the Notes have been carefully revised, and a few remarks and explanations added.) Second Edition. Fcap. 8vo. 4s. 6d. The Jugurtha and the Catilina may be had separately, price 2s. 6d. each. TA CITUS.-THE HISTORY OF TACITUS translated into ENGLISH. By A. J. CHURCH, M.A., and W. J. BRODRIBB, M.A. With Notes and a Map. 8vo. los. 6d. The translators have endeavoured to adhere as closely to the original as was thought consistent with a proper observance of English idiom. At the same time it has been their aim to reproduce the precise expressions of the author. The campaign of Civilis is elucidated in a note of some length which is illustrated by a map, containing only the names of places and of tribes occurring in the work. THRING.-Works by Edward Thring, X.A., Head Master of Uppingham School:- A CONSTRUING BOOK. Fcap. 8vo. 2s. 6d. This Construing Book is drawn up on the same sort of graduated scale as the Author's English Grammar. Passages out of the best Latin Poets are gradually built up into their perfect shape. The few words altered, or inserted as the passages go on, are printed in Italics. It is hoped by this plan that the learner, whilst acquiring the rudiments of language, may store his mind with good poetry and a good vocabulary. - A LATIN GRADUAL. A First Latin Construing Book for Beginners. Fcap. 8vo. 2s. 6d. The main plan of this little work has been well tested. The intention is to supply by easy steps a knowledge of Grammar, combined with a good vocabulary; in a word, a book which will not require to be forgotten again as the learner advances. A short practical manual of common Mood constructions, with their English equivalents, form the second part. - A MANUAL of MOOD CONSTRUCTIONS. Extra fcap. 8vo. is. 6d. THrUCYDIDES.-THE SICILIAN EXPEDITION. Being Books VI. and VII. of Thucydides, with Notes. A New Edition, revised and enlarged, with a Map. By the Rev. PERCIVAL FROST, M.A., late Fellow of St. John's College, Cambridge. Fcap. 8vo. 5s. This edition is mainly a grammatical one. Attention is called to the force of compound verbs, and the exact meaning of the various tenses employed. MA THEMA TICAL BOOKS. 5 WRIGHT.-Works by J. Wright, l.A., late Head Master of Sutton Coldfield School:- HELLENICA; Or, a HISTORY of GREECE in GREEK, as related by Diodorus and Thucydides, being a First Greek Reading Book, with Explanatory Notes Critical and Historical. Second Edition, with a Vocabulary. I2mo. 3s. 6d. In the last twenty chapters of this volume, Thucydides sketches the rise and progress of the Athenian Empire in so clear a style and in such simple language, that the author doubts whether any easier or more instructive passages can be selected for the use of the pupil who is commencing Greek. -A HELP TO LATIN GRAMMAR; Or, the Form and Use of Words in Latin, with Progressive Exercises. Crown 8vo. 4s. 6d. "Never was there a better aid offered alike to teacher and scholar in that arduous pass. The style is at once familiar and strikingly simple and lucid; and the explanations precisely hit the difficulties, and thoroughly explain them,"-English yournal of Education. - THE SEVEN KINGS OF ROME. An Easy Narrative, abridged from the First Book of Livy by the omission of difficult passages, being a First Latin Reading Book, with Grammatical Notes. Fcap. 8vo. 3s. This work is intended to supply the pupil with an easy Construing-book, which may at the same time be made the vehicle for instructing him in the rules of grammar and principles of composition. Here Livy tells his own pleasant stories in his own pleasant words. Let Livy be the master to teach a boy Latin, not some English collector of sentences, and he will not be found a dull one. -A VOCABULARY AND EXERCISES on the "SEVEN KINGS OF ROME." Fcap. 8vo. 2s. 6d. The Vocabulary and Exercises may also be had bound up with "The Seven Kings of Rome." MATHEMATICAL BOOKS. AIR FY.-Works by G. B. Airy, Astronomer Royal:-ELEMENTARY TREATISE ON PARTIAL DIFFERENTIAL EQUATIONS. Designed for the use of Students in the University. With Diagrams. Crown 8vo. cloth, 5s. 6d. It is hoped that the methods of solution here explained, and the instances exhibited, will be found sufficient for application to nearly all the important problems of Physical Science, which require for their complete investigaton the aid of partial differential equations, 6 MACMIL~LAN AND CO.'S AIR Y. —Works by G. B. Airy —Continued. ON THE ALGEBRAICAL AND NUMERICAL THEORY of ERRORS of OBSERVATIONS, and the COMBINATION of OBSERVATIONS. Crown 8vo. cloth, 6s. 6d. - UNDULATORY THEORY OF OPTICS. Designed for the use of Students in the University. New Edition. Crown 8vo. cloth, 6s. 6d. POPULAR ASTRONOMY. With Illustrations. New and Cheaper Edition. I8mo. cloth, 4s. 6d. Popular Astronomy in general has many manuals; but none of them supersede the Six Lectures of the Astronomer Royal under that title. Its speciality is the direct way in which every step is referred to the observatory, and in which the methods and instruments by which every observation is made are fully described. This gives a sense of solidity and substance to astronomical statements which is obtainable in no other way."-Gtardian. BA YMA.-THE ELEMENTS of MOLECULAR MECHANICS. By JOSEPH BAYMA, S.J., Professor of Philosophy, Stonyhurst College. Demy 8vo. cloth, Ios. 6d. BEASLEY.-AN ELEMENTARY TREATISE ON PLANE TRIGONOMETRY. With Examples. By R. D. BEASLEY, M.A., Head Master of Grantham Grammar School. Second Edition, revised and enlarged. Crown 8vo. cloth, 3s. 6d. This Treatise is specially intended for use in Schools. The choice of matter has been chiefly guided by the requirements of the three days' Examination at Cambridge, with the exception of proportional parts in Logarithms, which have been omitted. About Four hundred Examples have been added, mainly collected from the Examination Papers of the last ten years, and great pains have been taken to exclude from the body of the work any which might dishearten a beginner by their difficulty. BOOLE.-Works by G. Boole, D.C.L., F.R.S., Professor of Mathematics in the Queen's University, Ireland:- A TREATISE ON DIFFERENTIAL EQUATIONS. New and Revised Edition. Edited by I. TODHUNTER. Crown 8vo. cloth, I4s. The author has endeavoured in this Treatise to convey as complete an account of the present state of knowledge on the subject of Differential Equations, as was consistent with the idea of a work intended primarily for elementary instruction. The earlier sections of each chapter contain that kind of matter which has usually been thought suitable to the beginner, while the later ones are devoted either to an account of recent discovery, or the discussion of such deeper questions of principle as are likely to present themselves to the reflective student in connexion with the methods and processes of his previous course. MAATHEMA TI CAL BOO-ES.7 7 BOOLE.-Works by G. Boole', D.C.L., F.R.S.-C'ontinued. - A TREATISE ON DIFFERENTIAL EQUATIONS. Supplementary Volume. Edited by I. TODHUNTER. Crown 8vo. cloth, Ss. 6d. - THE CALCULUS OF FINITE DIFFERENCES. Crown Svo. clj~th, ios. 6d. This work is in some measure designed as a sequel to the Treatise on Differential Equations, and is composed on the same plan. CAMBRIDGE SENA TE-H1OUSE PROBLEMS and RIDERS, WITH SOLUTIONS:1848-1851. —PROBLEMS. By FERRERs and JACKSON. 8vo. cloth. 15s. 6hZ. 1848-I85 i.-RIDERS. By JAMESON. Svo. cloth. 7S. 6d. 1854p-PROBLEMS and RIDERS. By WALTON and MACKENZIE, 8vo. cloth. ios. 6d. 1857.-PROBLEMS and RIDERS. By CAMPION and WALTON. 8vo. cloth. Ss. 6d. i860.-PROBLEMS and RIDERS. By WATSON and ROUTH. Crown 8vo. cloth. 7s. 6d. i864.-PRO~BLEMS and RIDERS. By WALTON and WILKINSON. 8vo. cloth. ios. 6d. CAMBRIDGE COURSE OF ELEMENTARY NATURAL PHILOSOPHY, for the Degree of B. A. Originally compiled by J. C. SNOWBALL, M.A., late Fellow of St. John's College. Fifth Edition, revised and enlarged, and adapted for the Middle-Class Examinations by THOMAS LUND, B. D., Late Fellow and Lecturer of St. John's College; Editor of Wood's Algebra, &c. Crown 8vo. cloth. 5s. This work will he found suited to the wants, -not only of University Students, but also of many others who require a short course of Mechanics and Hydrostatics, and especially of the Candidates at our Middle-Class Examinations. CAMHBRID GE A ND D UBLIN MA THEMA TICA L 7O URNA7L. THE COMPLETE WORK, in Nine Vols. 8vo. cloth. /67 43.(Only a few copies remain on hand.) CZIEYNE.-AN ELEMENTARY TREATISE on the PLANETARY THEORY. With a Collection of Problems. By C. H. H. CHEYNE, B.A. Crown 8vo. cloth. 6s. 6d. -THE EARTH'S MOTION of ROTATION. By C. H. H. CHEYNE, M.A. Crown Svo. 33. 6d. 8 MA CMILLAN AND CO.'S CHELDE.-THE SINGULAR PROPERTIES of the ELLIPSOID and ASSOCIATED SURFACES of the Nth DEGREE. By the Rev. G. F. CHILDE, M.A., Author of "Ray Surfaces," "Related Caustics," &c. 8vo. ios. 6d. CHRISTIEE-A COLLECTION OF ELEMENTARY TESTQUESTIONS in PURE and MIXED MATHEMATICS; with Answers and Appendices on Synthetic Division, and on the Solution of Numerical Equations by Homer's Method. By JAMES R. CHRISTIE, F.R.S., late First Mathematical Master at the Royal Military Academy, Woolwich. Crown 8vo. cloth, 8s. 6d. The Series of Mathematical Exercises here offered to the public is collected from those which the author has from time to time proposed for solution by his pupils during a long career at the Royal Military Academy; they are in the main original: and having well fulfilled the purpose for which they were first framed, it is hoped they may be made still more widely useful. DAL TON.-ARITHMETICAL EXAMPLES. Progressively arranged, with Exercises and Examination Papers. - By the Rev. T. DALTON, M.A., Assistant Master of Eton College. I8mo. cloth. 2s. 6d. DREW.-GEOMETRICAL TREATISE on CONIC SECTIONS. By W. H. DREW, M.A., St. John's College, Cambridge. Third Edition. Crown 8vo. cloth, 4s. 6d. In this work the subject of Conic Sections has been placed before the student in such a form that, it is hoped, after mastering the elements of Euclid, he may find it an easy and interesting continuation of his geometrical studies. With a view also of rendering the work a complete Manual of what is required at the Universities, there have been either embodied into the text, or inserted among the examples, every book-work question, problem, and rider, which has been proposed in the Cambridge examinations up to the present time. DREW.- SOLUTIONS to the PROBLEMS in DREW'S CONIC r SECTIONS. Crown 8vo. cloth, 4s. 6d. FERRERS.-AN ELEMENTARY TREATISE on TRILINEAR CO-ORDINATES, the Method of Reciprocal Polars, and the Theory of Projections. By the Rev. N. M. FERRERS, M.A., Fellow and Tutor of Gonville and Caius College, Cambridge. Second Edition. Crown 8vo. 6s. 6d. The object of the author in writing on this subject has mainly been to place it on a basis altogether independent of the ordinary Cartesian system, instead of regarding it as only a special form of Abridged Notation. A short chapter on Determinants has been introduced. MA THEMA TICAL BOOKS. 9 FROST.-THE FIRST THREE SECTIONS of NEWTON'S PRINCIPIA. With Notes and Illustrations. Also a Collection of Problems, principally intended as Examples of Newton's Methods. By PERCIVAL FROST, M.A., late Fellow of St. John's College, Mathematical Lecturer of King's College, Cambridge. Second Edition. 8vo. cloth, los. 6d. The author's principal intention is to explain difficulties which may be encountered by the student on first reading the Principia, and to illustrate the advantages of a careful study of the methods employed by Newton, by showing the extent to which they may be applied in the solution of problems; he has also endeavoured to give assistance to the student who is engaged in the study of the higher branches of Mathematics, by representing in a geometrical form several of the processes employed in the Differential and Integral Calculus, and in the analytical investigations of Dynamics. FROST and WOLSTENHOLMAE.-A TREATISE ON SOLID GEOMETRY. By PERCIVAL FROST, M.A., and the Rev. J. WOLSTENHOLME, M.A., Fellow and Assistant Tutor of Christ's College. 8vo. cloth, I8s. The authors have endeavoured to present before students as comprehensive a view of the subject as possible. Intending as they have done to make the subject accessible, at least in the earlier portion, to all classes of students, they have endeavoured to explain fully all the processes which are most useful in dealing with ordinary theorems and problems, thus directing the student to the selection of methods which are best adapted to the exigencies of each problem. In the more difficult portions of the subject, they have considered themselves to be addressing a higher class of students; there they have tried to lay a good foundation on which to build, if any reader should wish to pursue the science beyond the limits to which the work extends. GODFRA Y.-A TREATISE on ASTRONOMY, for the use of Colleges and Schools. By HUGH GODFRAY, M.A., Mathematical Lecturer at Pembroke College, Cambridge. 8vo. cloth. I2s. 6d, "We can recommend for its purpose a very good Treatise on Astronomy by Mr. Godfray. It is a working book, taking astronomy in its proper place in mathematical science. But it begins with the elementary definitions, and connects the mathematical formulae very clearly with the visible aspect of the heavens and the instruments which are used for observing it."-Guardian. GODFRA Y.-AN ELEMENTARY TREATISE on the LUNAR THEORY. With a brief Sketch of the Problem up to the time of Newton. By HUGH GODFRAY, M.A. Second Edition, revised. Crown 8vo. cloth. 5s. 6d. HEMMING.-AN ELEMENTARY TREATISE on the DIFFERENTIAL AND INTEGRAL CALCULUS, for the use of Colleges and Schools. By G. W. HEMMING, M.A., Fellow of St. John's College, Cambridge. Second Edition, with Corrections and Additions. 8vo, cloth. 9s. Io MACMILLAN AND CO.'S 'ONES and CHEYNE.-ALGEBRAICAL EXERCISES. Progressively arranged. By the Rev. C. A. JONES, M.A., and C. H. CHEYNE, M.A., Mathematical Masters of Westminster School. New Edition. I8mo. cloth, 2s. 6d. This little book is intended to meet a difficulty which is probably felt more or less by all engaged in teaching Algebra to beginners. It is that while new ideas are being acquired, old ones are forgotten. In the belief that constant practice is the only remedy for this, the present series of miscellaneous exercises has been prepared. Their peculiarity consists in this, that though miscellaneous they are yet progressive, and may be used by the pupil almost from the commencement of his studies. They are not intended to supersede the systematically arranged examples to be found in ordinary treatises on Algebra, but rather to supplement them. The book being intended chiefly for Schools and Junior Students, the higher parts of Algebra have not been included. MORGAN.-A COLLECTION of PROBLEMS and EXAMPLES in Mathematics. With Answers. By H. A. MORGAN, M.A., Sadlerian and Mathematical Lecturer of Jesus College, Cambridge. Crown 8vo. cloth, 6s. 6d. This book contains a number of problems, chiefly elementary, in the Mathematical subjects usually read at Cambridge. They have been selected from the papers set during late years at Jesus college. Very few of them are to be met with in other collections, and by far the larger number are due to some of the most distinguished Mathematicians in the University. PARKINSONI.-Works by S. Parkinson, B.D., Fellow and Praelector of St. John's College, Cambridge:- AN ELEMENTARY TREATISE ON MECHANICS. For the use of the Junior Classes at the University and the Higher Classes in Schools. With a Collection of Examples. Third Edition, revised. Crown 8vo. cloth, 9s. 6d. The author has endeavoured to render the present volume suitable as a Manual for the junior classes in Universities and the higher classes in Schools. In the Third Edition several additional propositions have been incorporated in the work for the purpose of rendering it more complete, and the Collection of Examples and Problems has been largely increased. - A TREATISE on OPTICS. Second Edition, revised. Crown 8vo. cloth, los. 6d. A collection of Example's and Problems has been appended to this work which are sufficiently numerous and varied in character to afford useful exercise for the student: for the greater part of them recourse has been had to the Examination Papers set in the University and the several Colleges during the last twenty years. Subjoined to the copious Table of Contents the author has ventured to indicate an elementary course of reading not unsuitable for the requirements of the First Three Days in the Cambridge Senate-House Examinations. MA THEMIA TICAL BOOKS. II PfIEAR.- ELEMENTARY HYDROSTATICS. With numerous Examples. By J. B. PHEAR, M.A., Fellow and late Assistant Tutor of Clare College, Cambridge. Fourth Edition. Crown 8vo. cloth, 5s. 6d. "An excellent Introductory Book. The definitions are very clear; the descriptions and explanations are sufficiently full and intelligible; the investigations are simple and scientific. The examples greatly enhance its value."-Englishe yournal of Education. PRATT.-A TREATISE on ATTRACTIONS, LAPLACE'S FUNCTIONS, and the FIGURE of the EARTH. By JOHN H. PRATT, M.A., Archdeacon of Calcutta,,Author of "The Mathematical Principles of Mechanical Philosophy." Third Edition. Crown 8vo. cloth, 6s. 6d. PUCKLE.-AN ELEMENTARY TREATISE on CONIC SECTIONS and ALGEBRAIC GEOMETRY. With Easy Examples, progressively arranged; especially designed for the use of Schools and Beginners. By G. H. PUCKLE, M.A., St. John's College, Cambridge, Head Master of Windermere College. Third Edition, enlarged and improved. Crown 8vo. cloth, 7s. 6d. [In the Press. This work will, it is hoped, be found to contain all that is required by the upper classes of Schools and by the generality of students at the Universities. RA WLINSON.-ELEMENTARY STATICS. By G. RAWLINSON, M.A. Edited by EDWARD STURGES, M.A., of Emmanuel College, Cambridge, and late Professor of the Applied Sciences, Elphinstone College, Bombay. Crown 8vo. cloth. 4s. 6d. Published under the authority of H. M. Secretary of State for use in the Government Schools and Colleges in India. " This Manual may take its place among the most exhaustive, yet clear and simple, we have met with, upon the composition and resolution of forces, equilibrium, and the mechanical powers."-Oriental Buadget. ROUTH.-AN ELEMENTARY TREATISE on the DYNAMICS of a SYSTEM of RIGID BODIES. With Examples. By EDWARD JOHN ROUTH, M.A., Fellow and Assistant Tutor of St. Peter's College, Cambridge; Examiner in the University of London. Crown 8vo. cloth, ios. 6d. SNOWBALL.-PLANE and SPHERICAL TRIGONOMETRY. With the Construction and Use of Tables of Logarithms. By J. C. SNOWBALL. Tenth Edition. Crown 8vo. cloth, 7s. 6d. In preparing a new edition, the proofs of some of the more important propositions have been rendered more strict and general; and a considerable addition of more than Two hundred Exanzples, taken principally from the questions in the Examinations of Colleges and the University, has been made to the collection of Examples and Problems for practice. MACMILLAN AND CO.'S SMITH. -Works by Barnard Smith, M.A., Rector of Glaston, Rutlandshire, late Fellow and Senior Bursar of St. Peter's College, Cambridge:- ARITHMETIC and ALGEBRA, in their Principles and Application, with numerous Systematically arranged Examples, taken from the Cambridge Examination Papers, with especial reference to the Ordinary Examination for B.A. Degree. Tenth Edition. Crown 8vo. cloth, Ios. 6d. This work is now extensively used in Schools and Colleges both at home and in the Colonies. It has also been found of great service for students preparing for the MIDDLE-CLASS AND CIVIL AND MILITARY SERVICE EXAMINATIONS, from the care that has been taken to elucidate the lrinciZles of all the Rules. - ARITHMETIC FOR SCHOOLS. New Edition. Crown 8vo. cloth, 4S. 6d. COMPANION to ARITHMETIC for SCHOOLS. [Preparing. A KEY to the ARITHMETIC for SCHOOLS. Fifth Edition. Crown 8vo., cloth, 8s. 6d. - EXERCISES in ARITHMETIC. With Answers. Crown 8vo. limp cloth, 2s. 6d. Or sold separately, as follows:-Part I. is.; Part II. is. ANSWERS, 6d. These Exercises have been published in order to give the pupil examples in every rule of Arithmetic. The greater number have been carefully compiled from the latest University and School Examination Papers. - SCHOOL CLASS-BOOK of ARITHMETIC. I8mo. cloth, 3s. Or sold separately, Parts I. and II. Iod. each; Part III. Is. KEYS to SCHOOL CLASS-BOOK of ARITHMETIC. Complete in one Volume, I8mo. cloth. 6s. 6d.; or Parts I., II., and III. 2S. 6d. each. - SHILLING BOOK of ARITHMETIC for NATIONAL and ELEMENTARY SCHOOLS. I8mo. cloth. Or separately, Part I. 2d.; Part II. 3d.; Part III. 7d. ANSWERS, 6d. THE SAME, with Answers complete. x8mo. cloth, Is. 6d. KEY to SHILLING BOOK of ARITHMETIC. I8mo. cloth, 4s. 6d. - EXAMINATION PAPERS in ARITHMETIC. In Four Parts. I8mo. cloth, is. 6d. THE SAME, with Answers, ISmo. Is. 9d. KEY to EXAMINATION PAPERS in ARITHMETIC. I8mo. cloth, 4A. 6d. MATHtEMA TICAL BOOKS. 13 TAIT anzd STEELE.-DYNAMICS of a PARTICLE. With Examples. By Professor TAIT and Mr. STEELE. New Edition. Crown 8vo. cloth, Ios. 6d. In this Treatise will be found all the ordinary propositions connected with the Dynamics of Particles which can be conveniently deduced without the use of D'Alembert's Principles. Throughout the book will be found a number of illustrative Examples introduced in the text, and for the most part completely worked out; others, with occasional solutions or hints to assist the student, are appended to each Chapter. TA YLOR. —GEOMETRICAL CONICS; including Anharmonic Ratio and Projection, with numerous Examples. By C. TAYLOR, B.A., Scholar of St. John's College, Cambridge. Crown Svo. cloth, 7s. 6d. TODHUNTER.-Works by I. Todhunter, M,A., F.R.S., Fellow and Principal Mathematical Lecturer of St. John's College, Cambridge:- THE ELEMENTS of EUCLID for the use of COLLEGES and SCHOOLS. New Edition. I8mo. cloth, 3s. 6d. - ALGEBRA for BEGINNERS. With numerous Examples. New Edition. I8mo, cloth, 2s. 6d. Great pains have been taken to render this work intelligible to young students by the use of simple language and by copious explanations. In accordance with the recommendation of teachers, the examples for exercises are very numerous. KEY to ALGEBRA for BEGINNERS. [Nearly ready. - TRIGONOMETRY for BEGINNERS. With numerous Examples. I8mo. cloth, 2s. 6d. Intended to serve as an introduction to the larger treatise on Plane Trigonometry, published by the author. The same plan has been adopted as in the A lgebrafor Beginners: the subject is discussed in short chapters, and a collection of examples is attached to each chapter. - MECHANICS for BEGINNERS. With numerous Examples. I8mo. cloth, 4s. 6d. Intended as a companion to the two preceding books. The work forms an elementary treatise on Demonstrative Mechanics. It may be true that this part of mixed mathematics has been sometimes made too abstract and speculative; but it can hardly be doubted that a knowledge of the elements at least of the theory of the subject is extremely valuable even for those who are mainly concerned with practical results. The author has accordingly endeavoured to provide a suitable introduction to the study of applied as well as of theoretical Mechanics. i4 IMACMILLAN AND CO.'S TODHUNTER.-Works by I. Todhunter,.A. —Continued. — A TREATISE on the DIFFERENTIAL CALCULUS. With Examples. Fourth Edition. Crown 8vo. cloth, Ios. 6d. - A TREATISE on the INTEGRAL CALCULUS. Second Edition, revised and enlarged. With Examples. Crown 8vo, cloth, los. 6d. -A TREATISE on ANALYTICAL STATICS. With Examples. Third Edition, revised and enlarged. Crown 8vo. cloth, ios. 6d. - PLANE CO-ORDINATE GEOMETRY, as applied to the Straight Line and the CONIC SECTIONS. With numerous Examples. Fourth Edition. Crown 8vo. cloth, 7s. 6d. - ALGEBRA. For the use of Colleges and Schools. Fourth Edition. Crown 8vo. strongly bound in cloth, 7s. 6d. This work contains all the propositions which are usually included in elementary treatises on Algebra, and a large number of ErxamplesJor Exercise. The author has sought to render the work easily intelligible to students without impairing the accuracy of the demonstrations, or contracting the limits of the subject. The Examples have been selected with a view to illustrate every part of the subject, and as the number of them is about Sixteen hundred andfifty, it is hoped they will supply ample exercise for the student. Each set of Examples has been carefully arranged, commencing with very simple exercises, and proceeding gradually to those which are less obvious. - PLANE TRIGONOMETRY. For Schools and Colleges. Third Edition. Crown 8vo. cloth, 5s. The design of this work has been to render the subject intelligible to beginners, and at the same time to afford the student the opportunity of obtaining all the information which he will require on this branch of Mathematics. Each chapter is followed by a set of Examples; those which are entitled Miscella4emrs Exainples, together with a few in some of the other sets, maybe advantageously reserved by the student for exercise after he has made some progress in the subject. In the Second Edition the hints for the solution of the Examples have been considerably increased. - A TREATISE ON SPHERICAL TRIGONOMETRY. Second Edition, enlarged. Crown 8vo. cloth, 4s. 6d, This work is constructed on the same plan as the Treatise on Plane Trigonometry, to which it is intended as a sequel. Considerable labour has been expended on the text in order to render it comprehensive and accurate, and the Examples, which have been chiefly selected from University and College Papers, have all been carefully verified. - EXAMPLES of ANALYTICAL GEOMETRY of THREE DIMENSIONS. Second Edition, revised. Crown 8vo. cloth, 4s. - AN ELEMENTARY TREATISE on the THEORY of EQUATIONS. Second Edition, revised. Crown 8vo. cloth, 7s. 6d. MATHEiATICAL BOOKS. 15 WILSON.-A TREATISE on DYNAMICS. By W. P. WILSON, M.A., Fellow of St. John's College, Cambridge; and Professor of Mathematics in Queen's College, Belfast. 8vo. 9s. 6d. WOLSTENHOLME.-A BOOK of MATHEMATICAL PROBLEMS on subjects included in the Cambridge Course. By JOSEPH WOLSTENHOLME, Fellow of Christ's College, sometime Fellow of St. John's College, and lately Lecturer in Mathematics at Christ's College. Crown 8vo. cloth, 8s. 6d. [yustlzublished. In each subject the order of the Text-Books in general use in the University of Cambridge has been followed, and to some extent the questions have been arranged in order of difficulty. The collection will be found to be unusually copious in problems in the earlier subjects, by which it is designed to make the work useful to mathematical students, not only in the Universities, but in the higher classes of public schools. CONTENTS: Geometry (Euclid).-Algebra.-Plane Trigonometry.-Conic Sections, Geometrical.-Conic Sections, Analytical -Theory of Equations. -Differential Calculus.-Integral Calculus -Solid Geometry -Statics.Dynamics, Elementary.-Newton.-Dynamics of a Point.-Dynamics of a Rigid Body.-Hydrostatics.-Geometrical Optics.-Spherical Trigonometry and Plane Astronomy. EDUCATIONAL BOOKS ON SCIENCE. GEIKIE. ELEMENTARY LESSONS in PHYSICAL GEOLOGY. By ARCHIBALD GEIKIE, F.R.S., Director of the Geological Survey of Scotland. [Preparing. HUXLE Y.-LESSONS in ELEMENTARY PHYSIOLOGY. With numerous Illustrations. By T. H. HUXLEY, F.R.S., Professor of Natural History in the Royal School of Mines. Fourth Thousand. I8mo. cloth, 4s. 6d. "It is a very small book, but pure gold throughout. There is not a waste sentence, or a superfluous word, and yet it is all clear as daylight. It exacts close attention from the reader, but the attention will be repaid by a real acquisition of knowledge. And though the book is so small, it manages to touch on some of the very highest problems..... The whole book shows how true it is that the most elementary instruction is best given by the highest masters in any science."-Guardian. "The very best descriptions and explanations of the principles of human physiology which have yet been written by an Englishman."-Saturday Review. i6 MACMILLANA AND CO.'S LOCKYER.-ELEMENTARY LESSONS in ASTRONOMY, with numerous Illustrations. By J. NORMAN LOCKYER. [Preparing. OLZVER.-LESSONS IN ELEMENTARY BOTANY. With nearly Two Hundred Illustrations. By DANIEL OLIVER, F.R.S., F.L.S. Third Thousand. I8mo. cloth, 4s. 6d. " The manner is most fascinating, and if it does not succeed in making this division of science interesting to every one, we do not think anything can..... Nearly 200 well executed woodcuts are scattered through the text, and a valuable and copious index completes a volume which we cannot praise too highly, and which we trust all our botanical readers, young and old, will possess themselves of."-Poeular Science Review. "To this system we now wish to direct the attention of teachers, feeling satisfied that by some such course alone can any substantial knowledge of plants be conveyed with certainty to young men educated as the mass of our medical students have been. We know of no work so well suited to direct the botanical pupil's efforts as that of Professor Oliver's, who, with views so practical and with great knowledge too, can write so accurately and clearly." —Natural History Review. "It is very simple, but truly scientific, and written with such a clearness which shows Professor Oliver to be a master of exposition... No one could have thought that so much thoroughly correct botany could have been so simply and happily taught in one volume."-American yournai of Science and Arts. ROSCOE.-LESSONS in ELEMENTARY CHEMISTRY, Inorganic and Organic. By HENRY RoSCOE, F.R.S., Professor of Chemistry in Owen's College, Manchester. With numerous Illustrations and Chromo-Litho. of the Solar Spectra. Fifth Thousand. ISmo. cloth, 4s. 6d. It has been the endeavour of the author to arrange the most important facts and principles of Modern Chemistry in a plain but concise and scientific form, suited to the present requirements of elementary instruction. For the purpose of facilitating the attainment of exactitude in the knowledge of the subject, a series of exercises and questions upon the lessons have been added. The metric system of weights and measures, and the centigrade thermometric scale, are used throughout the work. "A small, compact, carefully elaborated and well arranged manual."Spectator. "It has no rival in its field, and it can scarcely fail to take its place as the text-book at all schools where chemistry is now studied."-ChemicalNews. "We regard Dr. Roscoe's as being by far the best book from which a student can obtain a sound and accurate knowledge of the facts and principles of rudimentary chemistry."-The Veterinarian. MISCELLAEO US ED UCA TIONAL BOOKS. 7 MISCELLANEOUS EDUCATIONAL BOOKS. ATLAS of EUROPE. GLOBE EDITION. Uniform in size with Macmillan's Globe Series, containing 48 Coloured Maps, on the same scale Plans of London and Paris, and a copious Index, strongly bound in half-morocco, with flexible back. 9s. NOTICE.-This Atlas includes all the Countries of Europe in a Series of Forty-eight Maps, drawn on the same scale, with an Alphabetical Index to the situation of more than io,ooo Places; and the relation of the various Maps and Countries to each other is defined in a general Key-Map. The identity of scale in all the Maps facilitates the comparison of extent and distance, and conveys a just impression of the magnitude of different Countries. The size suffices to show the Provincial Divisions, the Railways and Main Roads, the Principal Rivers and Mountain Ranges. As a book it can be opened without the inconvenience which attends the use of a folding map. "In the series of works which Messrs. Macmillan and Co. are publishing under this general title (Globe Series) they have combined portableness with scholarly accuracy and typographical beauty, to a degree that is almost unprecedented. Happily they are not alone, in employing the highest available scholarship in the preparation of the most elementary educational works; but their exquisite taste and large resources secure an artistic result which puts them almost beyond competition. This little atlas will be an invaluable boon for the school, the desk, or the traveller's portmanteau."-British Quarterly Review. EARLY EGYPTIAN HISTORY for the Young. With Descriptions of the Tombs and Monuments. New Edition, with Frontispiece. Fcap. 8vo. 5s. "Written with liveliness and perspicuity."-Guardian. "Artistic appreciation of the picturesque, livelyhumour, unusual aptitude for handling the childish intellect, a pleasant style, and sufficient learning, altogether free from pedantic parade, are among the good qualities of this volume, which we cordially recommend to the parents of inquiring and book-loving boys and girls."-A thenauwm. " This is one of the most perfect books for the young that we have ever seen. We know something of Herodotus and Rawlinson, and the subject is certainly not new to us; yet we read on, not because it is our duty, but for very pleasure. The author has hit the best possible way of interesting any one, young or old."-Literary Churchman. HOLE. —A GENEALOGICAL STEMMA of the KINGS of ENG. LAND and FRANCE. By the Rev. C. HOLE. In One Sheet. Is. i8 MACMILLAN AND CO.'S HOLE. -A BRIEF BIOGRAPHICAL DICTIONARY. Compiled and Arranged by CHARLES HOLE, M.A., Trinity College, Cambridge. Second Edition, in Pott 8vo., neatly and strongly bound in cloth, 4s. 6d. The most comprehensive Biographical Dictionary in English,-containing more than i8,ooo names of persons of all countries, with dates of birth and death, and what they were distinguished for. "An invaluable addition to our manuals of reference, and from its moderate price, it cannot fail to become as popular as it is useful." —Timzes. " Supplies a universal want among students of all kinds. It is a neat, compact, well printed little volume, which may go into the pocket, and should be on every student's table, at hand, for reference."-Globe. YEPHSON.-SHAKESPEARE'S TEMPEST. With Glossary and Explanatory Notes. By the Rev. J. M. JEPHSON. i8mo. is. 6d. " His notes display a thorough familiarity with our older English literature, and his preface is so full of intelligent critical remark, that many readers will wish that it were longer."-Guardian. OPPEN.-FRENCH READER. For the use of Colleges and Schools. Containing a Graduated Selection from Modem Authors in Prose and Verse; and copious Notes, chiefly Etymological. By EDWARD A. OPPEN. Fcap. 8vo. cloth, 4s. 6d. "Mr. Oppen has produced a French Reader, which is at once moderate yet full, informing yet interesting, which in its selections balances the moderns fairly against the ancients..... The examples are chosen with taste and skill, and are so arranged as to form a most agreeable course of French reading. An etymological and biographical appendix constitutes a very valuable feature of the work.l"-Birmingham Daily Post. PA ULL-PICTURES of OLD ENGLAND. By Dr. REINHOLD PAULI. Translated by E. C. OTTE. Crown 8vo. 8s. 6d. "A sketch at once so faithful and so picturesque of our mediaeval life and manners...... For a general view of the literature and state system of our country, of the rise and history of parliaments, together with a sufficiently minute description of our old social life, we hardly know any manual that excels the present. It seems to be well suited not as a class-book, but as a preparation for the competitive examinations."-Christian Remembrancer. A SHILLING BOOK of GOLDEN DEEDS. A Reading-Book for Schools and General Readers. By the Author of "The Heir of Redclyffe." I8mo. cloth. " To collect in a small handy volume some of the most conspicuous of these (examples) told in a graphic and spirited style, was a happy idea, and the result is a little book that we are sure will be in almost constant demand in the parochial libraries and schools for which it is avowedly intended."Educational Times. EDUCATIONAL BOOKS ON THEOLOGY. i9 A SHILLING BOOK of WORDS from the POETS. By C. M. VAUGHAN. I8mo. cloth. THRING.-Works by Edward Thring, M.A., Head Master of Uppingham:- THE ELEMENTS of GRAMMAR taught in ENGLISH. With Questions. Fourth Edition. I8mo. 2s. - THE CHILD'S GRAMMAR. Being the substance of "The Elements of Grammar taught in English," adapted for the use of Junior Classes. A New Edition. I8mo. Is. The author's effort in these two books has been to point out the broad, beaten, every-day path, carefully avoiding digressions into the bye-ways and eccentricities of language. This work took its rise from questionings in National Schools, and the whole of the first part is merely the writing out in order the answers to questions which have been used already with success. Its success, not only in National Schools, from practical work in which it took its rise, but also in classical schools, is full of encouragement. SCHOOL SONGS. A collection of Songs for Schools. With the Music arranged for Four Voices. Edited by the Rev. E. THRING and H. RICCIUS. Music Size. 7s. 6d. EDUCATIONAL BOOKS ON THEOLOGY. EASTWOOD. —THE BIBLE WORD BOOK. A Glossary of Old English Bible Words. By J. EASTWOOD, M.A., of St. John's College, and W. ALDIS WRIGHT, M.A., Trinity College, Cambridge. I8mo. 5s. 6d. (Uniform with Macmillan's School Class Books.) HARDWICK.-A HISTORY of the CHRISTIAN CHURCH. MIDDLE AGE. From Gregory the Great to the Excommunication of Luther. By ARCHDEACON HARDWICK. Edited by FRANCIS PROCTER, M.A. With Four Maps constructed for this work by A. KEITH JOINSTON. Second Edition. Crown 8vo. Ios. 6d. The History commences with the time of Gregory the Great, and is carried down to the year xso2,-the year when Luther, having been expelled from those Churches that adhered to the Communion of the Pope, established a provisional form of government and opened a fresh era in the history of urope. 20 MACMILLAN AND CO.'S HIARD WICK.-A HISTORY of the CHRISTIAN CHURCH during the REFORMATION. By ARCHDEACON HARDWICK. Revised by FRANCIS PROCTER, M.A. Second Edition. Crown 8vo. xos. 6d. This work forms a Sequel to the author's book on The Middle Ages. The author's wish has been to give the reader a trustworthy version of those stirring incidents which mark the Reformation period. MACLEAR.-Works by the Rev. G. F. Maclear, B.D., Head Master of King's College School, and Preacher at the Temple Church:- A CLASS-BOOK of OLD TESTAMENT HISTORY. Third Edition, with Four Maps. I8mo. cloth, 4s. 6d. " A work which for fulness and accuracy of information may be confidently recommended to teachers as one of the best text-books of Scripture History which can be put into a pupil's hands."-Educatio7nal Times. "A careful and elaborate though brief compendium of all that modern research has done for the illustration of the Old Testament. We know of no work which contains so much important information in so small a compass." -British Quarterly Review. " A well-arranged summary of the scriptural story."-Guardian. - A CLASS-BOOK of NEW TESTAMENT HISTORY: including the Connection of the Old and New Testament. With Four Maps. Second Edition. ISmo. cloth. 5s. 6d. " Mr. Maclear has produced in this handy little volume a singularly clear and orderly arrangement of the Sacred Story.... His work is solidly and completely done."-A thencum. - A SHILLING BOOK of OLD TESTAMENT HISTORY, for National and Elementary Schools. With Map. I8mo. cloth. - A SHILLING BOOK of NEW TESTAMENT HISTORY, for National and Elementary Schools. With Map. I8mo. cloth. - CLASS BOOK of the CATECHISM. [In tze Press. PROCTER.-A HISTORY of the BOOK of COMMON PRAYER: with a Rationale of its Offices. By FRANCIS PROCTER, M.A. Sixth Edition, revised and enlarged. Crown 8vo. Ios. 6d. In the course of the last twenty years the whole question of Liturgical knowledge has been reopened with great learning and accurate research, and it is mainly with the view of epitomizing their extensive publications, and correcting by their help the errors and misconceptions which had obtained currency, that the present volume has been put together. ED UCATIONAL BOOKS ON THEOLOG Y. 21 PROCTER.-AN ELEMENTARY HISTORY of the BOOK of COMMON PRAYER. By FRANCIS PROCTER, M.A. i8mo. 2s. 6d. The author having been frequently urged to give a popular abridgment of his larger work in a form which should be suited for use in schools and for general readers, has attempted in this book to trace the History of the Prayer-Book, and to supply to the English reader the general results which in the larger work are accompanied by elaborate discussions and references to authorities indispensable to the student. It is hoped that this bodk may form a useful manual to assist people generally to a more intelligent use of the Forms of our Common Prayer. RAMSA Y.-THE CATECHISER'S MANUAL; or, the Church Catechism illustrated and explained, for the use of Clergymen, Schoolmasters, and Teachers. By ARTHUR RAMSAY, M.A. Second Edition. i8mo. is. 6d. SIMPSON.-AN EPITOME of the HISTORY of the CHRISTIAN CHURCH. By WILLIAM SIMPSON, M.A. Fourth Edition. Fcap. 8vo. 3s. 6d. SWAINSON.-A HAND-BOOK to BUTLER'S ANALOGY. By C. A. SWAINSON, D.D., Norrisian Professor of Divinity at Cambridge. Crown 8vo. Is. 6d. WESTCOTT.-A GENERAL SURVEY of the HISTORY of the CANON of the NEW TESTAMENT during the First Four Centuries. By BROOKE FOSS WESTCOTT, B.D., Assistant Master at Harrow. Second Edition, revised. Crown 8vo. Ios. 6d. The Author has endeavoured to connect the history of the New Testament Canon with the growth and consolidation of the Church, ana to point out the relation existing between the amount of evidence for the authenticity of its component parts and the whole mass of Christian literature. Such a method of inquiry will convey both the truest notion of the connexion of the written Word with the living Body of Christ, and the surest conviction of its divine authority. - INTRODUCTION to the STUDY of the FOUR GOSPELS. By BROOKE Foss WESTCOTT, B.D. Third Edition. Crown 8vo. Ios. 6d. This book is intended to be an Introduction to the Study of the Gospels. In a subject which involves so vast a literature much must have been overlooked; but the author has made it a point at least to study the researches of the great writers, and consciously to neglect none. 22 MACMILLAN AND CO.'S WESTCOTT.-THE BIBLE in the CHURCH. A Popular Account of the Collection and Reception of the Holy Scriptures in the Christian Churches. Second Edition. By BROOKE FOSS WESTCOTT, B.D. i8mo. cloth, 4s. 6d. "Mr. Westcott has collected and set out in a popular form the principal facts concerning the history of the Canon of Scripture. The work is executed with Mr. Westcott's characteristic ability." —ouarnalof Sacred Literature. WILSON.-AN ENGLISH HEBREW and CHALDEE LEXICON and CONCORDANCE to the more Correct Understanding of the English translation of the Old Testament, by reference to the Original Hebrew. By WILLIAM WILSON, D.D., Canon of Winchester, late Fellow of Queen's College, Oxford. Second Edition, carefully Revised. 4to. cloth, 25s. The aim of this work is, that it should be useful to Clergymen and all persons engaged in the study of the Bible, even when they do not possess a knowledge of Hebrew; while able Hebrew scholars have borne testimony to the help that they themselves have found in it. "On the whole, we cordially recommend the work, on the ground of its correctness, size, price, and practicalness."-British Quarterly Review. BOOKS ON EDUCATION. ARNOLD.-A FRENCH ETON; or, Middle-Class Education and the State. By MATTHEW ARNOLD. Fcap. 8vo. cloth, 2s. 6d. "A very interesting dissertation on the system of secondary instruction in France, and on the advisability of copying the system in England."Saturday Review. BLAKE.-A VISIT to some AMERICAN SCHOOLS and COLLEGES. By SOPHIA JEX BLAKE. Crown 8vo. cloth. 6s. " Miss Blake gives a living picture of the schools and colleges themselves, in which that education is carried on."-Pall-MalZ Gazette. "Miss Blake has written an entertaining book upon an important subject; and while we thank her for some valuable information, we venture to thank her also for the very agreeable manner in which she imparts it."A4 thencum. "We have not often met with a more interesting work on education than that before us."-Educational Times. MEDICAL BOOKS. 23 ESSAYS ON A LIBERAL EDUCATION. By CHARLES STUART PARKER, MA., HENRY SIDGWICK, M.A., LORD HOUGHTON, JOHN SEELEY, M.A., REV. F. W. FARRAR, M.A., F.R.S., &c., E. E. BOWEN, M.A., F.R.A.S., J. W. HALES, M.A., J. M. WILSON, M.A., F.G.S., F.R.A.S., W. JOHNSON, M.A. Edited by the Rev. F. W. FARRAR, M.A., F.R.S., late Fellow of Trinity College, Cambridge; Fellow of King's College, London; Assistant-Master at Harrow; Author of "Chapters on Language," &c., &c. In One Volume, 8vo. cloth, los. 6d. THRZNG.-EDUCATION AND SCHOOL. By the Rev. EDWARD THRING, M.A., Head Master of Uppingham. Second Edition. Crown 8vo. cloth. 6s. YOUMANS.-MODERN CULTURE: its True Aims and Requirements. A Series of Addresses and Arguments on the Claims of Scientific Education. Edited by EDWARD L. YOUMANS, M.D. Crown 8vo. 8&. 6d. MEDICAL BOOKS. ANSTIE.-STIMULANTS and NARCOTICS, their Mutual Relations, with Special Researches on the Action of Alcohol, -Ether, and Chloroform on the Vital Organism. By FRANCIS E. ANSTIE, M.D., M.R.C.P. 8vo. I4s. BARWELL.-GUIDE IN THE SICK ROOM. By RICHARD BARWELL, F.R.C.S. Extra fcap. 8vo. 3s. 6d. FOX.-On the DIAGNOSIS and TREATMENT of the VARIETIES of DYSPEPSIA, considered in Relation to the Pathological Origin of the Different Forms of Indigestion. By WILSON Fox, M.D. Lond., F.R.C.P., Professor of Pathological Anatomy at University College, London, and Physician to University College Hospital. Demy 8vo. cloth. 7s. 6d. HUMPHRY.-THE HUMAN SKELETON (including the Joints). With Two Hundred and Sixty Illustrations drawn from Nature. By GEORGE MURRAY HUMPHRY, M.D., F. R.S. Medium 8vo. ~L 8s. 24 MJACM~LLAN AND CO.'S MEDICAL BOOKS. HUMPHRY.-THE HUMAN HAND and the HUMAN FOOT. With numerous Illustrations. By GEORGE MURRAY HUMPHRY, M.D., F.R.S. Fcap. 8vo. 4$. 6d. "We cordially recommend the book to the public and the profession; the former cannot but be benefited by it, and the members of the latter, even though accomplished anatomists, will be both interested and amused by the novel way in which many of its points are brought forward."-Lancet. HUXLE Y- LESSONS IN ELEMENTARY PHYSIOLOGY. With numerous Illustrations. By T. H. HUXLEY, F.R.S., Professor of Natural History in the Government School of Mines. Uniform with Macmillans' School Class Books. Fourth Thousand. I8mo. 4s. 6d, JOURNAL OF ANATOMY and PHYSIOLOGY, Conducted by Professors HUMPHRY and NEWTON, and Mr. CLARK, of Cambridge; Professor TURNER, of Edinburgh; and Dr. WRIGHT, of Dublin. Published twice a year. Parts I. and II., price 7s. 6d. each; Part III., 6s. MAUDSLEY.-THE PHYSIOLOGY and PATHOLOGY OF THE MIND. By HENRY MAUDSLEY, M.D. Lond., Physician to the West London Hospital, &c. 8vo. cloth. I6s. REYNOLDS.-A SYSTEM OF MEDICINE. Edited by J. RusSELL REYNOLDS, M.D., F.R.C.P., London. The First Volume contains:-PART I. GENERAL DISEASES, or Affections of the Whole System. ~ I.-Those determined by agents operating from without, such as the exanthemata, malarial diseases, and their allies. ~ II.-Those determined by conditions existing within the body, such as Gout, Rheumatism, Rickets, &c. PART II. LOCAL DISEASES, of Affections of particular Systems. ~ I.-Diseases of the Skin. Vol. I. 8vo. cloth. 25s. - A SYSTEM OF MEDICINE. Vol. II. containing Diseases of the Nervous System, the Respiratory System, and the Circulatory System. [In the Press. CAMBRIDGE:-PRINTED BY JONATHAN PALMER. ia ~ ~ Fl;~~r UNIVERSITY OF MICHIGAN 1 lt {1 r1il 11/ill II I Hll I tl If f 3 9015 01349 2346 W.^^. - ~ r ~ -j -- -- I-~i - I ~~~~~~~~~~ " i~~~~;1 I-A - - v-, - I~~~~~~~~~ I = - - -